[1997] 1 C.F. 780
A-259-96
Sa Majesté la Reine (appelante)
c.
Placer Dome Inc. (intimée)
Répertorié : Canada c. Placer Dome Inc. (C.A.)
Cour d’appel, juges Strayer, Robertson et McDonald, J.C.A.—Toronto, 7 octobre; Ottawa, 5 novembre 1996.
Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Dividendes — La contribuable a vendu la participation qu’elle détenait dans une société minière et a invité d’autres compagnies à soumettre des offres pour acheter ses actions — Son offre ayant été retenue, cette société a accepté de verser des dividendes tout en acquérant les actions — La contribuable a été imposée de nouveau en vertu de l’art. 55(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui vise à empêcher le « dépouillement des gains en capital » — Les dividendes intersociétés exemptés d’impôt sont réputés aux termes de l’art. 55(2) ne pas être des dividendes, mais le produit de la disposition d’un bien en immobilisation — Il s’agit de savoir si l’opération visait à diminuer sensiblement le gain en capital — Le terme « objets » à l’art. 55(2) doit être interprété dans un sens subjectif — Distinction entre les termes « objet » et « résultat » — Nature de la preuve exigée du contribuable pour s’acquitter de la charge qui lui incombe de démontrer que l’art. 55(2) ne s’applique pas — La contribuable ne cherchait pas à éviter l’impôt.
Il s’agit de l’appel d’une décision de la Cour canadienne du Canada portant sur l’interprétation du paragraphe 55(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Cette disposition vise à empêcher ce qu’on appelle le « dépouillement des gains en capital ». Placer Dome, qui détenait des actions dans Falconbridge Inc. et McIntyre Mine Ltd., a décidé de vendre la participation non majoritaire qu’elle détenait dans Falconbridge et elle a invité d’autres sociétés à soumettre des offres en vue d’acheter ses actions. Falconbridge désirait participer au processus de soumission pour empêcher un concurrent de prendre graduellement le contrôle sans verser de prime de contrôle à tous les actionnaires. La Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario interdisait toutefois à Falconbridge d’offrir d’acheter sa propre participation sans offrir en même temps d’acheter les actions de tous les autres actionnaires de Falconbridge. Pour éviter cette exigence, Falconbridge avait besoin d’obtenir une dispense de la part de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO). Avec cet objectif en tête, le vice-président de la compagnie a conçu l’idée de verser un dividende à tous les actionnaires, dont Placer Dome. La CVMO a accordé la dispense demandée et Placer Dome a accepté l’offre de Falconbridge. Des dividendes de 4 75 $ et de 11 96 $ l’action ont été versés à Placer Dome et à tous les autres actionnaires inscrits de Falconbridge et de McIntyre respectivement. Le montant des dividendes en numéraire faisait partie de la contrepartie totale que Placer a reçue lors de la vente de ses actions. Normalement, le paragraphe 112(1) de la Loi exempte d’impôts les dividendes intersociétés. En l’espèce, toutefois, le ministre du Revenu national a établi une nouvelle cotisation à l’égard de la contribuable et a inclus en totalité les dividendes de 82 756 115 $ en vertu du paragraphe 55(2) qui prévoit, dans certaines circonstances déterminées, que des dividendes sont réputés être le produit de la disposition des actions à l’égard desquelles ils ont été reçus. Pour que le paragraphe 55(2) s’applique, il faut établir que l’un des objets de l’opération était de diminuer sensiblement la partie du gain en capital qui, sans le dividende, aurait été réalisée lors de la vente des actions à leur juste valeur marchande. La question en litige en appel était de savoir si le juge de la Cour de l’impôt a eu raison de conclure que ni Placer Dome ni Falconbridge ne visait un tel objectif et qu’en conséquence, le paragraphe 55(2) ne s’appliquait pas.
Arrêt : l’appel doit être rejeté.
Il n’y a pas d’uniformité en ce qui concerne les critères à employer pour qualifier un évitement fiscal. Certaines dispositions prévoient un critère fondé sur l’« objet », alors que d’autres exigent que l’on analyse le « motif » ou le « résultat ». Lorsqu’on emploie le terme « objet », la question à se poser est celle de savoir si ce terme doit s’entendre dans un sens subjectif, par opposition à un sens objectif. La principale différence qui existe entre le sens subjectif et le sens objectif du terme « objet » est que le premier invite personnellement le contribuable à témoigner sur son état d’esprit au moment de l’exécution de l’opération. En théorie, l’adoption de l’interprétation subjective pourrait signifier que des opérations identiques effectuées par des contribuables différents peuvent entraîner des conséquences fiscales différentes. Si l’on accepte qu’au paragraphe 55(2) de la Loi, le législateur emploie le terme « objets » au sens subjectif, c’est au contribuable qu’il incombe d’établir que cette disposition ne s’applique pas. Le contribuable ne peut se contenter de nier que son objet était de diminuer sensiblement son gain en capital. Il n’est pas nécessaire que le contribuable présente des éléments de preuve corroborant ou complémentaires qui démontrent que son témoignage est véridique. Une fois qu’il est établi qu’une opération a eu pour effet de diminuer sensiblement un gain en capital, le ministre peut à juste titre en inférer que le contribuable poursuivait un tel objectif. Pour réfuter cette inférence, le contribuable doit offrir une explication qui révèle les objets que sous-tend l’opération. Cette explication doit démontrer qu’aucun des objets visés n’était de diminuer sensiblement le gain en capital. Un témoignage non corroboré mais digne de foi peut constituer une preuve suffisante de l’intention du contribuable. Les mots « objet » et « résultat » ne peuvent pas être interprétés comme visant un critère objectif. L’emploi du terme « objets » dans un contexte et du terme « résultat » dans un autre oblige à attribuer à chacun un sens différent qui soit compatible avec son emploi et son contexte au paragraphe 55(2). Les discussions que Falconbridge et Placer ont eues au sujet du « revenu à l’abri » ne démontrent pas qu’un des objets de l’opération était de diminuer sensiblement le gain en capital et ne font pas tomber l’intimée sous le coup du paragraphe 55(2) de la Loi. On ne peut conclure que l’intimée voulait éviter l’impôt du simple fait qu’elle savait qu’elle avait le droit de diminuer sensiblement le gain en capital qu’elle aurait autrement réalisé lors de l’opération, dans la mesure où le dividende pouvait être rattaché au « revenu à l’abri ».
LOIS ET RÈGLEMENTS
Finance Act, 1960 (R.-U.), 1960, ch. 44, art. 28(1).
Income Tax Assessment Act 1936-1973, Austl. Acts P. 1901-1973, art. 51(1), 260.
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C., 1985 (5e suppl.), ch. 1, art. 12(1)j), 55(1) (abrogé par L.C. 1988, ch. 55, art. 33), (2),(3),(4),(5), 84(3), 112(1), 138(6).
Loi sur les valeurs mobilières, L.R.O, 1990, ch. S.5.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
C.P.L. Holdings Ltd. c. Canada, [1995] 1 C.T.C. 447; (1995), 95 DTC 5253 (C.F. 1re inst.); Commissioners of Inland Revenue v. Brebner (1967), 43 T.C. 705 (H.L.).
DISTINCTION FAITE AVEC :
Newton v. Commissioner of Taxation of Australia, [1958] A.C. 450 (P.C.); Ashton v. Inland Revenue Comr., [1975] 1 W.L.R. 1615 (P.C.); Magna Alloys and Research Pty Ltd v. Federal Commissioner of Taxation (1980), 33 ALR 213 (Fed. C. of A.).
DÉCISIONS CITÉES :
454538 Ontario Ltd. c. M.R.N., [1993] 1 C.T.C. 2746; (1993), 93 DTC 427 (C.C.I.); La Reine c. Covertite Ltd., [1981] CTC 464; (1981), 81 DTC 5353 (C.F. 1re inst.); McAllister Drilling Ltd. c. Canada, [1994] 2 C.T.C. 211; (1994), 95 DTC 5001; 81 F.T.R. 139 (C.F. 1re inst.); Bentleys, Stokes & Lowless v. Beeson (1952), 33 T.C. 491 (C.A.).
DOCTRINE
Arnold, B. J. et al., eds. Materials on Canadian Income Tax, 10th ed. Scarborough, Ont. : Carswell, 1993.
Jones, J. F. Avery. « Nothing Either Good or Bad, But Thinking Makes It So—The Mental Element in Anti-Avoidance Legislation—I », [1983] Brit. Tax Rev. 9.
Krishna, Vern. The Fundamentals of Canadian Income Tax, 5th ed. Scarborough, Ont. : Carswell, 1995.
McDonnell, T. E. « Legislative Anti-Avoidance : The Interaction of the New Rule and Representative Specific Rules » in Report of the Proceedings of the Fortieth Tax Conference, 1988 Conference Report. Toronto : Canadian Tax Foundation, 1989.
APPEL d’une décision ([1996] 2 C.T.C. 2258) par laquelle la Cour canadienne de l’impôt a jugé que l’opération exécutée par la contribuable n’avait pas diminué sensiblement la partie du gain en capital qui, sans le dividende, aurait été réalisée lors de la vente des actions à leur juste valeur marchande au sens du paragraphe 55(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Appel rejeté.
AVOCATS :
Max J. Weder et John Shipley pour l’appelante.
Ian H. Pitfield et John R. Owen pour l’intimée.
PROCUREURS :
Le sous-procureur général du Canada pour l’appelante.
Thorsteinssons, Vancouver et Toronto, pour l’intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Robertson, J.C.A. : La Cour statue sur l’appel d’une décision du juge Bell de la Cour canadienne de l’impôt [[1996] 2 C.T.C. 2258] portant sur l’interprétation et l’application du paragraphe 55(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu [L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1] (la Loi). Le paragraphe 55(2), qui est une disposition anti-évitement, vise à empêcher la transformation de gains en capital imposables en dividendes en franchise d’impôt intersociétés, ou ce qu’on appelle familièrement le « dépouillement de gains en capital ».
Voici un résumé des faits essentiels. Placer Dome (Placer) a décidé de vendre la participation non majoritaire qu’elle détenait dans Falconbridge Ltd. (Falconbridge). Elle a invité d’autres sociétés à soumettre des offres en vue d’acheter ses actions. L’offre de Falconbridge a été retenue. Falconbridge avait convenu de verser près de 83 000 000 $ en dividendes tout en acquérant les actions de Placer pour la somme d’environ 450 000 000 $. Normalement, le paragraphe 112(1) de la Loi exempte d’impôts les dividendes intersociétés. Dans le cas qui nous occupe, toutefois, le ministre du Revenu national (le ministre) a établi une nouvelle cotisation à l’égard de la Placer en vertu du paragraphe 55(2) qui prévoit, dans certaines circonstances déterminées, que des dividendes sont réputés être le produit de la disposition des actions à l’égard desquelles les dividendes en question ont été reçus. C’est la présomption contenue au paragraphe 55(2) qui transforme des dividendes libres d’impôt en gains en capital imposables.
Pour que le paragraphe 55(2) s’applique, il faut établir que l’un des objets de l’opération ou des opérations était de diminuer sensiblement la partie du gain en capital qui, sans le dividende, aurait été réalisée lors de la vente des actions à leur juste valeur marchande. Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que ni Placer ni Falconbridge ne visait un tel objectif et il a conclu, en conséquence, que le paragraphe 55(2) ne s’appliquait pas. Le ministre insiste pour dire que, pour en venir à cette conclusion, le juge de la Cour de l’impôt a appliqué à tort un critère subjectif plutôt qu’un critère objectif pour déterminer l’objet de l’opération ayant conduit à la vente des actions de Falconbridge et au versement des dividendes. En toute déférence, j’estime que le juge de la Cour de l’impôt n’a pas commis d’erreur. Mon analyse commence par l’exposé du cadre législatif concernant la question en litige en l’espèce.
I. CADRE LÉGISLATIF
Les paragraphes 55(2) à (5) renferment une série de dispositions anti-évitement qui empêchent un actionnaire qui réside au Canada de transformer, lors de la disposition des actions qu’il détient dans une autre société, un gain en capital imposable en un dividende qui ne serait pas imposable sous le régime de la partie I de la Loi. Lorsqu’il s’applique, le paragraphe 55(2) prévoit que les dividendes en franchise d’impôt intersociétés sont réputés ne pas être des dividendes, mais plutôt le produit de la disposition d’un bien en immobilisation ou, lorsque la société n’a pas disposé des actions, un gain réalisé à l’occasion de la disposition d’un bien en immobilisation. Le paragraphe 55(2) est ainsi libellé :
55. …
(2) Lorsqu’une société résidant au Canada a reçu, après le 21 avril 1980, un dividende imposable à l’égard duquel elle a droit à une déduction en vertu du paragraphe 112(1) ou 138(6), comme partie d’une opération ou d’un événement ou d’une série d’opérations ou d’événements (sauf comme partie d’une série d’opérations ou d’événements qui ont commencé avant le 22 avril 1980) dont l’un des objets (ou, dans le cas d’un dividende visé au paragraphe 84(3), dont l’un des résultats) a été de diminuer sensiblement la partie du gain en capital qui, sans le dividende, aurait été réalisée lors d’une disposition d’une action du capital-actions à la juste valeur marchande, immédiatement avant le dividende et qu’il serait raisonnable de considérer comme étant attribuable à autre chose qu’un revenu gagné ou réalisé par une société après 1971 et avant l’opération ou l’événement ou le début de la série d’opérations ou d’événements visés à l’alinéa 3a), malgré tout autre article de la présente loi, le montant du dividende (à l’exclusion de la partie de celui-ci qui est assujettie à l’impôt en vertu de la partie IV qui n’est pas remboursé en raison du paiement d’un dividende à une société lorsqu’un tel paiement fait partie de la série d’opérations ou d’événements) :
a) est réputé ne pas être un dividende reçu par la société;
b) lorsqu’une société a disposé de l’action, est réputé être le produit de disposition de l’action, sauf dans la mesure où il est inclus par ailleurs dans le calcul de ce produit;
c) lorsqu’une société n’a pas disposé de l’action, est réputé être un gain de la société pour l’année au cours de laquelle le dividende a été reçu de la disposition d’une immobilisation. [Non souligné dans l’original.]
Plusieurs conditions doivent être remplies pour que cette disposition s’applique. Premièrement, le dividende doit avoir été reçu après le 21 avril 1980. Deuxièmement, le dividende doit avoir été reçu par une société résidant au Canada. Troisièmement, le dividende doit être un dividende qui serait par ailleurs déductible en vertu des paragraphes 112(1) ou 138(6) de la Loi. Quatrièmement, sous réserve de la cinquième condition, le dividende doit être reçu dans le cadre d’une opération ou d’une série d’opérations, dont l’un des objets était de diminuer ce qui aurait autrement été un gain en capital. Cinquièmement, si le dividende est réputé découler de l’application du paragraphe 84(3), il suffit d’établir qu’un des résultats de l’opération ou de la série d’opérations a été d’obtenir une telle diminution. En sixième lieu, la diminution doit être sensible. En septième lieu, le gain en capital potentiel qui a été ainsi diminué doit être attribuable à autre chose qu’au revenu gagné par la société qui verse le dividende après 1971 et avant la date de la réception du dividende.
Bien que la distinction qu’il faut faire entre les termes « objets » et « résultats » soit cruciale dans le présent appel, la septième condition préalable exige une brève explication. Il est acquis aux débats que le paragraphe 55(2) ne s’applique pas aux dividendes qui sont entièrement attribuables au revenu gagné par Falconbridge après 1971 ou à ce qu’on appelle dans les milieux fiscaux le « revenu à l’abri ». La somme qui peut être versée sous forme de dividendes sans aller à l’encontre du paragraphe 55(2) est appelée familièrement « dividende à l’abri », et elle peut être payée dans la mesure où la société a un revenu sûr en mains immédiatement avant de verser le dividende. Lorsque le dividende n’est pas entièrement attribuable à un revenu à l’abri, l’alinéa 55(5)f) permet effectivement au contribuable de séparer la fraction du dividende qui représente un revenu sûr de la fraction qui n’en représente pas un, de sorte que le paragraphe 55(2) n’a aucune incidence sur la première. La doctrine et la jurisprudence fiscales révèlent que l’aspect plus problématique de cette exception au paragraphe 55(2) réside dans la méthode de calcul de la somme qui constitue un « revenu à l’abri » : voir, de façon générale, le jugement 454538 Ontario Ltd. c. M.R.N., [1993] 1 C.T.C. 2746 (C.C.I.), à la page 2754 et B. J. Arnold, T. Edgar & J. Li, Materials on Canadian Income Tax, 10e éd. (Scarborough, Ont. : Carswell, 1993), aux pages 726 et 727.
II. LES FAITS
Placer possédait des actions de Falconbridge ainsi que 52,9 pour cent des actions émises de McIntyre Mines Ltd. (McIntyre). Pour sa part, McIntyre détenait des actions de Falconbridge. De fait, Placer détenait 24,7 pour cent des actions en circulation de Falconbridge après dilution totale. Le 10 mai 1988, le conseil d’administration de Placer a adopté une résolution l’autorisant à inviter d’autres sociétés à soumettre des offres en vue d’acheter les actions de Falconbridge qu’elle et McIntyre détenaient. Placer a retenu les services de RBC Dominion Securities Inc. (RBC) pour éveiller l’intérêt d’autres sociétés et pour les inviter à soumettre des offres au sujet de l’achat des actions en question. Le 16 juin 1988, RBC a invité quatre compagnies, dont Falconbridge et Noranda Inc.—une concurrente de Falconbridge » à soumettre des offres.
Falconbridge désirait participer au processus de soumission parce qu’elle craignait que Noranda ou un autre soumissionnaire n’acquière ses actions et ne puisse ainsi prendre graduellement le contrôle de Falconbridge sans verser de prime de prise de contrôle à tous les actionnaires. La Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario [L.R.O. 1990, ch. S.5] interdisait à Falconbridge d’offrir d’acheter la participation de Falconbridge sans offrir en même temps d’acheter les actions de tous les autres actionnaires de Falconbridge (les exigences relatives à l’offre de l’émetteur). Comme la participation de Placer dans Falconbridge représentait plus de 20 pour cent de ses actions émises après dilution totale, la Loi sur les valeurs mobilières interdisait à tout acheteur des actions de Falconbridge, à l’exception de Falconbridge elle-même, d’offrir de payer un prix supérieur à 115 pour cent du cours moyen de ces actions à la Bourse de Toronto sur une période de temps déterminée, à moins que l’acheteur ne soit prêt à offrir d’acheter au même prix toutes les autres actions de Falconbridge à tous les autres actionnaires (les exigences relatives à l’offre publique d’achat). Vu ces exigences, Falconbridge voulait être en mesure de faire concurrence aux soumissionnaires extérieurs, comme Noranda, qui pouvaient offrir jusqu’à 115 pour cent, sans faire une offre semblable à tous les autres actionnaires.
Pour éviter l’exigence relative à l’offre de l’émetteur qui l’obligeait à faire une offre à l’ensemble de ses actionnaires, Falconbridge avait besoin d’obtenir une dispense de la part de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (la CVMO). Avec cet objectif en tête, le vice-président et chef des services financiers de Falconbridge a conçu l’idée de verser un dividende à tous les actionnaires, dont Placer. Il estimait que, grâce au versement d’un ou de plusieurs dividendes sur l’ensemble des actions de Placer, tous les actionnaires pourraient recevoir une part égale de la prime de prise de contrôle de sorte que, après l’opération, le montant des dividendes versés et la valeur des actions de Falconbridge ou de McIntyre détenues par les actionnaires autres que Placer correspondraient à peu près au montant des dividendes versés à Placer et au prix d’achat des actions qu’elle détenait dans Falconbridge. La direction de Falconbridge a conclu que l’idée de demander une dispense à la CVMO constituait la seule façon de procéder. Dans une décision majoritaire, la CVMO a accordé la dispense demandée.
Falconbridge et Noranda ont toutes les deux soumis des offres. Le 30 juin 1988, Placer a accepté l’offre de Falconbridge. L’offre obligeait Falconbridge à déclarer un dividende de 4 75 $ l’action ordinaire et McIntyre à déclarer un dividende de 11 96 $ l’action. Ces dividendes devaient être versés aux actionnaires de McIntyre au plus tard le 15 août 1988. Le 22 août 1988, des dividendes de 4 75 $ et de 11 96 $ ont été versés à Placer et à tous les autres actionnaires inscrits de Falconbridge et de McIntyre respectivement. Le montant des dividendes en numéraire faisait partie de la contrepartie totale que Placer a reçue lors de la vente de ses actions. Si l’on tient compte de ces dividendes, l’offre de Falconbridge correspondait à environ 118 pour cent du cours de ses actions.
Lors de la production de sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 1988, Placer a déclaré les sommes de 25 75 $ pour chaque action de Falconbridge et de 64 $ pour chaque action de McIntyre à titre de produit de disposition de biens en immobilisation totalisant environ 450 000 000 $. Placer a également déclaré les sommes de 59 523 409 $ et de 23 232 706 $ à titre de dividendes à inclure dans le revenu conformément à l’alinéa 12(1)j) de la Loi et elle a déduit ces mêmes sommes en vertu du paragraphe 112(1). De plus, Placer a, en vertu du sous-alinéa 55(5)f)(ii) de la Loi, désigné des sommes de 4 114 435 $ et de 1 123 945 $ à titre de dividendes imposables distincts (attribuables à un revenu à l’abri) qu’elle avait reçus respectivement de Falconbridge et de McIntyre. Le ministre a, en vertu du paragraphe 55(2) de la Loi, fixé de nouveau l’impôt dû par la contribuable en incluant le montant total des dividendes de 82 756 115 $ à titre de produit de disposition.
III. LA DÉCISION FRAPPÉE D’APPEL
Dans un premier temps, le juge de la Cour de l’impôt a examiné le témoignage donné par les représentants et les conseillers de Placer et de Falconbridge. Après avoir examiné ces témoignages, le juge de la Cour de l’impôt a formulé la question en litige de la façon suivante [à la page 2267] :
La prochaine question est de savoir si l’un des objets de l’opération (à supposer qu’une opération puisse avoir un objet) était de diminuer sensiblement la partie du gain en capital qui, sans le dividende, aurait été réalisée par l’appelante lors de la vente des actions de Falconbridge et de McIntyre à leur juste valeur marchande.
Le juge de la Cour de l’impôt a répondu à cette question en concluant que « ni [la contribuable] ni Falconbridge ne visait un tel objectif ». Pour en venir à cette conclusion, il a rejeté l’argument qu’une personne est présumée avoir voulu les conséquences naturelles de ses actes et qu’en l’espèce, l’une des conséquences de l’opération était de diminuer sensiblement le montant du gain en capital. Suivant le juge de la Cour de l’impôt, le fait qu’une opération comporte certaines conséquences ne conduit pas à la conclusion que l’un des objets de l’opération était de verser ou de recevoir un dividende en franchise d’impôt.
Le ministre a également fait valoir que, pour déterminer si l’un des objets de l’opération était de diminuer sensiblement le gain en capital, il fallait analyser la manière de voir et du vendeur et de l’acquéreur à la lumière de l’ensemble des circonstances entourant l’opération. En conséquence, le ministre a soutenu que Falconbridge avait reconnu que le versement du dividende allait entraîner un avantage fiscal et qu’elle avait agi en conséquence et que Placer était, pour sa part, au courant de la possibilité d’obtenir ainsi un « revenu à l’abri ». Le juge Bell a conclu que l’objet que poursuivait Falconbridge en versant un dividende était d’être dispensée par la CVMO de la nécessité de faire une offre à l’égard de toutes ses actions émises. Le juge s’est dit d’avis que les témoignages entendus menaient irrésistiblement à la conclusion que Falconbridge n’avait ni seule, ni de concert avec Placer, essayé de diminuer sensiblement le gain en capital. Quant à l’objet qu’avait Placer, le juge Bell a conclu qu’elle n’avait pas participé à l’élaboration et à la soumission de l’offre de Falconbridge et que cette seule constatation rendait impossible toute conclusion selon laquelle l’un des objets de Placer était de diminuer sensiblement le gain en capital qui devait être réalisé lors de la disposition des actions de Falconbridge et de McIntyre. Quant aux objets de l’opération, le juge a déclaré (à la page 2268) :
Rien dans les témoignages des dix témoins qui ont comparu pour [Placer] n’indique que l’idée de verser un dividende avait été conçue dans le but de diminuer le gain en capital. Ces témoins étaient des professionnels occupant des postes de responsabilité et étaient, selon moi, dignes de foi. Je conclus que l’objet de Falconbridge était simplement et exclusivement de faire l’acquisition de ses actions et de celles de McIntyre. Je conclus en outre que l’objet [de Placer] en acceptant l’offre « M » était de disposer de ses actions de ces deux compagnies selon des modalités qu’elle jugeait acceptables.
Finalement, le juge de la Cour de l’impôt a statué que le débat entre Placer et Falconbridge au sujet du revenu à l’abri et la décision de Placer de désigner, en vertu du sous-alinéa 55(5)f)(ii) de la Loi, des sommes à titre de dividendes imposables distincts n’avaient aucune incidence sur l’issue de la cause. Il s’est dit d’avis qu’il s’agissait simplement d’aspects dont des contribuables avisés et prudents pouvaient tenir compte dans le cas d’une opération de ce genre.
IV. PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Le principal moyen que fait valoir le ministre repose sur l’idée que, tel qu’il est employé au paragraphe 55(2), le terme « objets » ne vise pas les motifs de chacun des participants impliqués dans une série d’opérations. Autrement dit, ce terme doit être compris dans un sens objectif, et non dans un sens subjectif. À l’appui de cette proposition, le ministre invoque principalement une décision australienne, bien qu’il existe également deux arrêts du Comité judiciaire du Conseil privé qui appuient sa thèse. Le ministre soutient en outre qu’un dividende a pour objet de diminuer sensiblement un gain en capital lorsque le dividende est inextricablement lié à la disposition d’une action. Ainsi, il importe peu de savoir si l’une des deux parties ou les deux sont motivées par des considérations d’évitement fiscal. La question qui se pose est celle de savoir si le dividende et la disposition de l’action sont inextricablement liés lorsque l’opération a pour effet de diminuer sensiblement le gain en capital qui aurait autrement été réalisé. En l’espèce, le ministre tente de se fonder sur une décision que la Section de première instance de notre Cour a déjà rendue, à savoir le jugement C.P.L. Holdings Ltd. c. Canada, [1995] 1 C.T.C. 447, et à établir une distinction entre cette affaire et la présente espèce. Finalement, le ministre affirme que le fait que les deux parties aient reconnu que le revenu à l’abri procurait un avantage fiscal démontre bien que l’un des objets de l’opération était de diminuer sensiblement le gain en capital imposable.
L’avocat de Placer répond en soulignant le fait que le paragraphe 55(2) prévoit que, dans certaines circonstances, l’application de ce paragraphe dépend de l’« objet » de l’opération, tandis que dans un autre cas (en l’occurrence dans le cas des dividendes réputés qui sont visés par le paragraphe 84(3)), c’est le « résultat » de l’opération qui détermine si la disposition s’applique. L’emploi du terme « objet » dans un contexte et du mot résultat dans l’autre commande que l’on attribue à chacun de ces mots un sens différent qui soit compatible avec l’emploi et le contexte dans lequel il s’inscrit. Par conséquent, comme le législateur fédéral établit une distinction entre les deux termes, et comme le terme résultat est nécessairement objectif, le terme « objet » doit être appliqué dans son sens subjectif.
V. ANALYSE
La volonté du législateur fédéral de réprimer ou de contenir l’imagination des planificateurs fiscaux sur le plan juridique n’est nulle part plus évidente que dans les nombreuses dispositions anti-évitement dont il a parsemé la Loi de façon stratégique. Il n’y a cependant pas d’uniformité en ce qui concerne les critères à employer pour qualifier un évitement fiscal : ainsi, certaines dispositions prévoient un critère fondé sur l’« objet », alors que d’autres exigent que l’on analyse le « motif » ou le « résultat ». Lorsqu’on trouve les termes « objet » ou « motif », ceux-ci sont assortis d’éléments modificatifs comme « l’un des », « l’un des principaux », « le principal », ou tout simplement « le ». Compte tenu de la diversité des termes employés, la question devait inévitablement se poser un jour de savoir si le terme « objet » doit s’entendre dans un sens subjectif, par opposition à un sens objectif : voir, de façon générale, T. E. McDonnell, « Legislative Anti-Avoidance : The Interaction of the New Rule and Representative Specific Rules », in Report of the Proceedings of the Fortieth Tax Conference, 1988 Conference Report (Toronto : Association canadienne d’études fiscales, 1989) à la page 6 :1.
La principale différence qui existe entre le sens subjectif et le sens objectif du terme « objet » est que le premier invite personnellement le contribuable à témoigner sur son état d’esprit au moment de l’exécution de l’opération ou des opérations. En théorie, l’adoption de l’interprétation subjective pourrait signifier que des opérations identiques effectuées par des contribuables différents peuvent entraîner des conséquences fiscales différentes. Il faut toutefois reconnaître qu’en droit, il y a peu de choses qui se mesurent entièrement de façon subjective. Je m’explique.
Si l’on accepte pour le moment qu’au paragraphe 55(2), le législateur emploie le terme « objets » au sens subjectif, il y a trois aspects fondamentaux dont il faut tenir compte dans le cadre de cette analyse. En premier lieu, c’est au contribuable qu’il incombe d’établir que le paragraphe 55(2) de la Loi ne s’applique pas. En deuxième lieu, pour s’acquitter de cette charge ou de ce fardeau, le contribuable ne peut se contenter de nier (sans plus d’explication ou de détail) que son objet était de diminuer sensiblement son gain en capital. En troisième lieu, il n’est pas nécessaire que le contribuable présente des éléments de preuve corroborants ou complémentaires qui démontrent ou tendent à démontrer que son témoignage est véridique. Sur ces trois questions, voir respectivement les jugements C.P.L. Holdings Ltd. c. Canada, précité; La Reine c. Covertite Ltd., [1981] CTC 464 (C.F. 1re inst.); et McAllister Drilling Ltd. c. Canada, [1994] 2 C.T.C. 211 (C.F. 1re inst.).
En pratique, il est évident qu’une fois qu’il est établi qu’une opération a eu pour effet de diminuer sensiblement un gain en capital, le ministre peut à juste titre en inférer que le contribuable poursuivait un tel objectif. Pour réfuter cette inférence, le contribuable (ou ses conseillers) doivent offrir une explication qui révèle les objets que sous-tend l’opération. Cette explication ne doit être ni invraisemblable ni déraisonnable. Par ailleurs, il faut se rappeler que le paragraphe 55(2) de la Loi parle de « l’un des objets » de l’opération. En conséquence, le contribuable doit présenter une explication convaincante qui démontre qu’aucun des objets visés n’était de diminuer sensiblement le gain en capital. C’est en ce sens qu’un témoignage non corroboré mais digne de foi peut constituer une preuve suffisante de l’intention du contribuable : voir V. Krishna, The Fundamentals of Canadian Income Tax, 5e éd., (Scarborough, Ont. : Carswell, 1995), à la page 1391.
Le contribuable essaiera probablement de soutenir ses explications en présentant des preuves corroborantes, comme Placer l’a fait. Bien que le juge de la Cour de l’impôt ait poursuivi en concluant que Placer n’avait pas participé à l’élaboration de l’offre de Falconbridge ni à l’établissement de sa structure et que cette seule constatation rendait impossible la conclusion que l’un des objets de Placer était de diminuer sensiblement le gain en capital, il reste à savoir si ce raisonnement permettait à lui seul de trancher la question. Le juge de la Cour de l’impôt a statué que, vu l’ensemble des faits de la présente affaire, ni l’une ni l’autre des parties à cette opération n’avait un tel objet. Cette conclusion tend à appuyer l’idée qu’on doit examiner l’objet poursuivi par les deux parties : sur cette dernière question, voir la décision Bentleys, Stokes & Lowless v. Beeson (1952), 33 T.C. 491 (C.A.), à la page 504, le lord juge Romer.
Si l’on fait abstraction de ces questions de preuve, il nous reste à décider si le terme « objets » qui est employé au paragraphe 55(2) de la Loi doit s’entendre dans un sens objectif. Pris isolément, ce terme est neutre. Ce n’est que lorsqu’on le situe dans un contexte déterminé que l’on peut en déterminer le sens. Bien qu’il puisse exister des cas dans lesquels le terme « objets » est modifié par des mots ou des expressions qui donnent à penser qu’on doive lui accorder un sens autre qu’un sens subjectif, ce n’est pas le cas en ce qui concerne le paragraphe 55(2) de la Loi. Ce paragraphe prévoit en effet que, dans certains cas, son application dépend de l’« objet » d’une opération déterminée, tandis que, dans un autre cas (en l’occurrence, lorsque le dividende est réputé découler de l’application du paragraphe 84(3)), c’est le « résultat » de l’opération qui est déterminant. Je signale, entre parenthèses, que le paragraphe 55(1), une disposition générale anti-évitement (qui a depuis été abrogée) [abrogé par L.C. 1988, ch. 55, art. 33], ne joue que lorsque l’opération a pour « résultat » de réduire artificiellement ou indûment le montant du gain. Nul ne peut douter que le mot « résultat » invite à apprécier objectivement les circonstances factuelles. Dans ce contexte, je ne vois pas comment on peut prétendre que les mots « objet » et « résultat » doivent tous les deux être interprétés comme visant un critère objectif. À mon avis, il est évident que l’emploi du terme « objets » dans un contexte et du terme « résultat » dans un autre nous oblige à attribuer à chacun un sens différent qui soit compatible avec son emploi et son contexte au paragraphe 55(2).
La conclusion qui précède est renforcée par l’arrêt Commissioners of Inland Revenue v. Brebner (1967), 43 T.C. 705, de la Chambre des lords. Cette affaire portait sur le paragraphe 28(1) de la Finance Act de 1960 [(U.K.), 1960, ch. 44], qui établissait une nette distinction entre les termes anglais effect (conséquence) et object (objet, but). Le tribunal a jugé (à la page 715) que l’« objet » à examiner supposait une intention subjective. Dans la mesure où les termes anglais object et purpose sont synonymes, le raisonnement suivi dans l’arrêt Brebner semble s’appliquer également au cas qui nous occupe. Le bien-fondé de ma conclusion doit, évidemment, être évalué en fonction du libellé précis du paragraphe 28(1) en question, qui dispose :
[traduction] 28.—(1) Le présent article s’applique au contribuable dans les cas suivants—
a) dans les circonstances visées au paragraphe suivant;
b) lorsqu’en conséquence d’une opération sur valeurs mobilières ou en raison de l’effet combiné de plusieurs opérations sur valeurs mobilières,
une personne est en mesure d’obtenir, ou a obtenu, un avantage fiscal, sauf si elle démontre que l’opération ou les opérations ont été effectuées pour des raisons commerciales authentiques ou dans le cours habituel d’opérations de placements ou de gestion de placements et qu’aucune de ces opérations n’avait pour objet principal de lui permettre d’obtenir des avantages fiscaux :
Malgré le point de vue que j’ai adopté, je suis prêt à examiner le moyen que le ministre tire de la jurisprudence d’autres pays du Commonwealth. On ne peut nier qu’à au moins deux reprises, le Conseil privé a jugé que le terme anglais purposes (objets) que l’on trouve dans certaines dispositions anti-évitement doit être interprété objectivement. Ainsi, dans l’arrêt Newton v. Commissioner of Taxation of Australia, [1958] A.C. 450, le Conseil privé a dit ce qui suit au sujet de l’interprétation à donner à une disposition générale anti-évitement australienne qui a depuis été abrogée : [traduction] « par « objet », il ne faut pas entendre « mobile », mais l’effet recherché » (à la page 465). De nouveau, dans l’arrêt Ashton v. Inland Revenue Comr., [1975] 1 W.L.R. 1615, le Conseil privé a assimilé l’objet à l’effet relativement à une disposition générale anti-évitement néo-zélandaise qui a depuis été abrogée, mais qui était semblable.
À mon avis, il est facile d’établir une distinction avec ces deux décisions du Conseil privé une fois que l’on fait porter son attention sur le contexte législatif dans lequel le terme « objet » a été analysé. Compte tenu des similitudes qui existent entre les dispositions de l’Australie et celles de la Nouvelle-Zélande, il suffit de reproduire ici la disposition pertinente de l’article 260 de la Income Tax Assessment Act de l’Australie 1936-1973 [Austl. Acts P. 1901-1973] :
[traduction]
260. Les contrats, ententes et accords … conclus oralement ou par écrit … qui ont pour objet ou pour effet ou qui prétendent avoir pour object ou pour effet …
…
(c) … de soustraire qui que ce soit aux obligations fiscales imposées par la présente Loi …
…
sont entachés de nullité absolue et sont inopposables au commissaire … [Non soulignés dans l’original.]
Les différences textuelles qui existent entre le libellé du paragraphe 55(2) de la Loi et la disposition australienne reproduite ci-dessus sautent aux yeux. Comme les mots « objet » et « effet » ne sont employés de façon interchangeable que dans la loi australienne et dans la loi néo-zélandaise, il serait inutile d’analyser davantage le raisonnement juridique à la base des deux arrêts du Conseil privé. D’autres ont déjà tenté de le faire et il n’y a rien à gagner à réexaminer des régimes fiscaux qui n’ont rien à voir avec le système canadien : voir, à cet égard, J. F. Avery Jones, « Nothing Either Good or Bad, But Thinking Makes It So—The Mental Element in Anti-Avoidance Legislation—I », [1983] Brit. Tax Rev. 9.
La décision sur laquelle le ministre se fonde est le jugement Magna Alloys and Research Pty Ltd v. Federal Commissioner of Taxation (1980), 33 ALR 213, de la Cour fédérale d’Australie (division générale). Plus précisément, le ministre invoque le passage suivant du jugement du juge Brennan, à la page 215 :
[traduction] Le but peut être ou bien subjectif—l’objet poursuivi par le contribuable—lorsqu’il s’entend du but que le contribuable entend atteindre en engageant la dépense en question ou bien objectif, à savoir le but que l’engagement de la dépense est propre à atteindre. Le mobile et le but subjectif se rattachent tous les deux à l’état d’esprit et ils doivent être distingués du but objectif, qui est un attribut de l’opération. Le but objectif est attribué à l’opération en fonction de toutes les circonstances connues alors que le but subjectif et le mobile, qui se rapportent à l’état d’esprit, peuvent être établis non pas seulement par inférence, mais également par une preuve directe, car l’état d’esprit peut être établi par le témoignage de la personne dont l’état d’esprit est pertinent à l’un des faits en litige.
Suivant la citation qui précède, l’objet d’une opération—son but objectif—peut être différent de l’objet que poursuit la personne qui effectue l’opération—l’objet subjectif. Je m’arrête ici pour signaler qu’à la page 2267 de ses motifs, le juge de la Cour de l’impôt semble remettre en question l’opinion suivant laquelle l’objet de l’opération peut être distinct de l’objet de la personne qui effectue l’opération : « La prochaine question est de savoir si l’un des objets de l’opération (à supposer qu’une opération puisse avoir un objet). »
À première vue, la position du juge de la Cour de l’impôt et celle du juge Brennan semblent être opposées et pourtant elles sont conciliables lorsqu’on tient compte du contexte dans lequel le juge Brennan a formulé ses observations. Dans l’affaire Magna Alloys, c’était le paragraphe 51(1) de la Income Tax Assessment Act 1936-1973 de l’Australie qu’il fallait interpréter. Ce paragraphe était ainsi libellé :
[traduction] 51. (1) Toutes les pertes et dépenses qui ont été engagées dans le but de tirer le revenu imposable ou qui sont nécessairement engagées pour exploiter une entreprise en vue de tirer ce revenu constituent des pertes ou dépenses déductibles sauf dans la mesure où elles constituent des pertes ou des dépenses de capital de caractère privé ou sont engagées pour tirer un revenu exonéré. [Non soulignés dans l’original.]
Compte tenu de la disposition qui précède, il est facile de comprendre pourquoi le juge Brennan a conclu que la question de savoir si une dépense est engagée dans le but d’exploiter une entreprise ou en vue de tirer un revenu ne dépend pas de l’état d’esprit du contribuable (à la page 225). Dans l’affaire Magna Alloys, la question de droit précise en litige était celle de savoir si les frais de justice (les dépenses) qui avaient été engagés pour défendre les administrateurs et les mandataires du contribuable contre des accusations criminelles de complot étaient déductibles. À la page 225, le juge Brennan a conclu :
[traduction] En l’espèce, on peut déterminer la nature et l’ampleur de l’entreprise du contribuable sans égard à son état d’esprit. De même, il est objectivement certain que la dépense pertinente a été engagée pour payer les frais de justice des administrateurs et de leurs mandataires relativement à la poursuite au criminel qui avait été intentée contre eux. Le lien entre les services juridiques ainsi obtenus et l’entreprise du contribuable n’exige pas et ne permet pas que l’on tienne compte de l’état d’esprit du contribuable. La nature de ce lien se trouve dans les faits objectifs qui sont constatés par le juge ou sur lesquels les parties s’entendent.
Lorsqu’on situe la décision Magna Alloys dans son contexte, on constate que les commentaires précités du juge Brennan ne sont d’aucun secours au ministre. Cette décision appuie seulement la proposition qu’un critère relatif au but objectif est approprié dans le contexte du cadre législatif prescrit par le paragraphe 51(1) de la Income Tax Assessment Act 1936-1973 de l’Australie. En conséquence, l’argument que le terme « objets » tel qu’il est employé au paragraphe 55(2) de notre Loi doit être interprété d’une manière objective ne saurait être retenu. Dans ces conditions, il est inutile d’examiner en détail les autres moyens invoqués par le ministre. J’estime néanmoins qu’ils méritent certaines observations.
Ainsi que je l’ai déjà fait remarquer, le ministre maintient que l’objet d’un dividende est de diminuer sensiblement les gains en capital réalisables lorsque le dividende est inextricablement lié à la disposition d’une action. À mon avis, cet argument repose sur l’hypothèse erronée que le ministre aurait obtenu gain de cause dans l’affaire C.P.L. Holdings si le lien nécessaire entre le versement du dividende et la disposition des actions avait été établi. Bien qu’il soit vrai qu’il ait, dans cette affaire, statué que la disposition subséquente des actions ne faisait pas partie de l’opération qui avait donné lieu au versement du dividende, le juge de première instance n’est pas allé jusqu’à dire que, s’il avait tiré la conclusion contraire, l’affaire aurait été tranchée différemment. Tout au plus un tel lien donne lieu à l’inférence réfutable qu’un des objets de l’opération était de diminuer sensiblement le gain en capital. Il est tout aussi important de souligner que, dans l’affaire C.P.L. Holdings, le juge de première instance a reconnu que le paragraphe 55(2) établissait une distinction entre le terme « objets » et le terme « résultat ». À la page 457, le juge a déclaré :
Même si [le vérificateur de Revenu Canada] avait des motifs raisonnables d’agir comme il l’a fait, je ne suis pas d’accord avec sa conclusion. Le contribuable a fourni des éléments de preuve convaincants qui montrent que l’objectif du roulement consistait à faire [du contribuable] un créancier garanti de la corporation. J’estime que la transaction n’avait pas pour objectif de réduire la juste valeur marchande des actions, bien que ce soit là un de ses effets. [Non soulignés dans l’original.]
Finalement, je ne vois pas comment les discussions que Falconbridge et Placer ont eues au sujet du revenu à l’abri pourraient d’une certaine manière faire tomber Placer sous le coup du paragraphe 55(2) de la Loi. Les discussions qui ont eu lieu au sujet du revenu à l’abri ne démontrent pas qu’un des objets de l’opération était de diminuer sensiblement le gain en capital. Ce qu’elles démontrent, c’est que les parties savaient que le paragraphe 55(2) ne s’applique pas aux dividendes imputables au revenu à l’abri. On ne peut conclure que Placer voulait éviter l’impôt du simple fait qu’elle savait qu’elle avait le droit de diminuer sensiblement le gain en capital qu’elle aurait autrement réalisé lors de l’opération, dans la mesure où le dividende pouvait être rattaché au revenu à l’abri. D’ailleurs, ce n’est qu’après que l’opération eut été effectuée qu’un cabinet d’experts-comptables extérieur à Placer a découvert—et de façon fort habile—l’argument juridique que le montant total des dividendes, et non seulement le montant imputable au revenu à l’abri, pouvait être déclaré libre d’impôt.
VI. DISPOSITIF
Par ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.
Le juge Strayer, J.C.A. : Je suis du même avis.
Le juge McDonald, J.C.A. : Je suis du même avis.