A-430-98
L'Alberta Wilderness Association, la Fédération canadienne de la nature, la Société pour la protection des parcs et des sites naturels du Canada, la Jasper Environmental Association et le Pembina Institute for Appropriate Development (appelants) (demandeurs)
c.
Le ministre des Pêches et des Océans et Cardinal River Coals Ltd. (intimés) (défendeurs)
et
Brian Bietz, Gordon Miller et Tom Beck, en leur qualité de Commission d'évaluation créée en vertu de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale en vue d'examiner le projet Cheviot Coal (intervenants) (intervenants)
Répertorié: Alberta Wilderness Assn.c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (C.A.)
Cour d'appel, juges Strayer, Robertson et Sexton, J.C.A."Toronto, 30 novembre et 1er décembre; Ottawa, 4 décembre 1998.
Environnement — Appel du rejet de la demande de contrôle judiciaire d'un rapport de la commission conjointe d'évaluation renfermant l'évaluation environnementale d'une proposition concernant la réalisation et l'exploitation d'un projet relatif à une mine de charbon à ciel ouvert près du parc national Jasper — Après que le rapport eut été soumis, le ministre des Pêches et Océans a donné une réponse fédérale dans laquelle il faisait savoir que les autorisations seraient délivrées en vertu de la Loi sur les pêches — Le juge qui a entendu la demande a statué que les appelants devaient contester la réponse fédérale afin d'invoquer la question du caractère suffisant du rapport de la commission et de fonder la demande visant à l'obtention d'une ordonnance d'interdiction — Étant donné que la réponse fédérale donnée par le ministre n'avait pas été contestée, elle faisait obstacle à la demande des appelants — Les exigences de la LCEE sont des directives légiférées qui exigent expressément qu'une évaluation environnementale soit effectuée avant que le ministre prenne une décision — Le ministre n'a pas compétence pour délivrer les autorisations en l'absence d'une évaluation environnementale — L'évaluation doit être effectuée conformément à la Loi, y compris l'exigence imposée à l'art. 16 — Le fait qu'une réponse fédérale a été donnée et n'a pas été contestée ne change rien à ces exigences — La réponse fédérale et le rapport de la Commission sont des mesures législatives distinctes dont les fonctions et les buts sont différents — La réponse fédérale ne l'emporte pas sur le rapport et ne peut pas remédier aux vices de ce rapport — L'effet combiné des art. 34c), d), 2(1), 37 est qu'avant de prendre une décision, le ministre tient compte de l'évaluation environnementale qui a été effectuée conformément à la LCEE — Les appelants ont le droit de remettre en question le rapport même s'ils n'ont pas contesté la réponse fédérale.
Il s'agissait d'un appel d'une ordonnance par laquelle la Section de première instance avait rejeté la demande que les appelants avaient présentée en vue du contrôle judiciaire d'un rapport préparé par la commission conjointe d'évaluation, lequel était composé de l'évaluation environnementale d'une proposition concernant la réalisation et l'exploitation d'un projet relatif à une mine de charbon à ciel ouvert de 23 kilomètres, à trois kilomètres à l'est du parc national Jasper. Cardinal River Coals Ltd. a demandé au ministère des Pêches et des Océans de délivrer des autorisations en vertu de la Loi sur les pêches à l'égard de son projet. Le projet a été renvoyé à la commission, qui a soumis un rapport. Le ministre a donné une réponse fédérale dans laquelle il faisait savoir que les autorisations relatives au projet seraient délivrées. Lors de la demande judiciaire, le juge qui a entendu la demande a statué que les appelants devaient contester la réponse fédérale afin d'invoquer la question du caractère suffisant du rapport de la commission et de fonder la demande visant à l'obtention d'une ordonnance d'interdiction contre le ministre. La demande de contrôle judiciaire a été rejetée pour le motif que la réponse fédérale donnée par le ministre n'avait pas été contestée et qu'elle faisait donc obstacle à la demande des appelants. Le bien-fondé de l'argument des appelants n'a pas été examiné.
En vertu de l'article 5 de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale (LCEE), une évaluation environnementale est effectuée avant que le ministre puisse délivrer des autorisations. L'article 13 prévoit que dans le cas où un projet est renvoyé à une commission, l'exercice d'une attribution prévu pour mettre en œuvre le projet en tout ou en partie est subordonné à l'achèvement de l'évaluation environnementale de celui-ci et à la prise d'une décision à son égard. En vertu de l'article 16, certaines questions, notamment les effets environnementaux cumulatifs de la réalisation du projet et les solutions de rechange, sont prises en considération par la commission dans son rapport. En vertu du paragraphe 37(1), le rapport de la commission est soumis au ministre pour examen et réponse. Le paragraphe 37(1.1) énonce la procédure que le ministre doit suivre. Une fois que le gouverneur en conseil a donné son agrément, le ministre "prend la décision" conformément à l'agrément.
Le nœud du litige se rapportait à la question de savoir si le fait que la réponse fédérale n'avait pas été contestée devait empêcher les appelants de solliciter une ordonnance interdisant au ministre de délivrer des autorisations dans l'avenir.
Arrêt: l'appel est accueilli.
Le juge qui a entendu la demande a commis une erreur en concluant que la réponse l'emporte sur le rapport. Les exigences de la LCEE sont des directives légiférées qui exigent expressément qu'une évaluation environnementale soit effectuée avant que le ministre prenne une décision. Le ministre n'a pas compétence pour délivrer des autorisations en l'absence d'une évaluation environnementale. Toute évaluation doit être effectuée conformément à la Loi, y compris l'exigence imposée à l'article 16. Le fait qu'une réponse fédérale a été donnée et n'a pas été contestée ne change rien à ces exigences. Les appelants avaient le droit de débattre le bien-fondé de leur cause.
Les appelants avaient le droit de solliciter une ordonnance d'interdiction contre le ministre pour le motif que le rapport de la commission était défectueux sur des points importants. Le fait que la réponse fédérale n'avait pas été contestée n'avait rien à voir avec la demande des appelants. La réponse fédérale ne l'emporte pas sur le rapport de la commission et ne peut pas remédier aux vices du rapport. Il s'agit de mesures législatives distinctes dont les fonctions et buts sont différents.
L'effet combiné des alinéas 34c) et d) ainsi que du paragraphe 2(1) et de l'article 37 est qu'avant de prendre une décision, le ministre tient compte de l'évaluation environnementale qui a été effectuée conformément à la LCEE. Les appelants avaient donc le droit de remettre en question le rapport et ils n'étaient pas préclus de le faire parce qu'ils n'avaient pas contesté la réponse fédérale. Le juge qui a entendu la demande aurait dû analyser les arguments avancés par les appelants afin de décider si une évaluation environnementale appropriée avait été effectuée par la commission conjointe. L'affaire doit être renvoyée à la Section de première instance et être entendue avec la demande de contrôle judiciaire présentée dans le dossier T-1790-98, qui soulève les mêmes questions et est fondée sur les mêmes faits.
lois et règlements
Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement, DORS/84-467.
Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37, art. 2(1) "évaluation environnementale" 5, 13, 16 (mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 22), 34c ),d), 37(1) (mod., idem, art. 29; L.C. 1994, ch. 46, art. 3), (1.1) (mod., idem).
Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14.
jurisprudence
décisions appliquées:
Alberta Wilderness Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (1997), 26 C.E.L.R. (N.S.) 238; 146 F.T.R. 19 (C.F. 1re inst.); Friends of the West Country Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1998] 4 C.F. 340 (1re inst.); Bowen c. Canada (Procureur général), [1998] 2 C.F. 395; (1997), 26 C.E.L.R. (N.S.) 11; 139 F.T.R. 1 (1re inst); Union of Nova Scotia Indians c. Canada (Procureur général), [1997] 1 C.F. 325; (1996), 22 C.E.L.R. (N.S.) 293; 4 C.N.L.R. 280; 122 F.T.R. 81 (1re inst); Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3; (1992), 88 D.L.R. (4th) 1; [1992] 2 W.W.R. 193; 84 Alta. L.R. (2d) 129; 3 Admin. L.R. (2d) 1; 7 C.E.L.R. (N.S.) 1; 132 N.R. 321.
APPEL du rejet par la Section de première instance d'une demande de contrôle judiciaire concernant un rapport de la commission conjointe d'évaluation, renfermant l'évaluation environnementale d'une proposition concernant la réalisation et l'exploitation d'un projet relatif à une mine de charbon à ciel ouvert près du parc national Jasper (Alberta Wilderness Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1998] A.C.F. no 821 (1re inst.) (QL)) pour le motif que la réponse fédérale, qui n'avait pas été contestée, faisait obstacle à la demande des appelants. Appel accueilli.
ont comparu:
Stewart A. G. Elgie et Jerry V. DeMarco pour les appelants (demandeurs).
Patrick G. Hodgkinson et Mary L. King pour le ministre des Pêches et des Océans, intimé (défendeur).
Dennis R. Thomas, c.r. et Allan E. Domes pour Cardinal River Coals Ltd., intimée (défenderesse).
Personne n'a comparu pour les intervenants (intervenants).
avocats inscrits au dossier:
Sierra Legal Defence Fund, Toronto, pour les appelants (demandeurs).
Le sous-procureur général du Canada pour le ministre des Pêches et des Océans, intimé (défendeur).
Fraser Milner, Edmonton, pour Cardinal River Coals Ltd., intimée (défenderesse).
Alberta Energy & Utilities Board, Calgary, pour les intervenants (intervenants).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Sexton, J.C.A.: À la fin de l'audience, cette Cour a accueilli l'appel, des motifs devant être prononcés par la suite. D'où les présents motifs.
Il s'agit d'un appel d'une ordonnance par laquelle la Section de première instance a rejeté, le 12 juin 1998 [[1998] F.C.J. no 821 (QL)], la demande que les appelants avaient présentée en vue du contrôle judiciaire d'un rapport concernant le projet Cheviot Coal daté du 6 juin 1997 préparé par la commission conjointe d'évaluation. Le rapport était composé de l'évaluation environnementale d'une proposition de Cardinal River Coals Ltd. (CRC) concernant la réalisation et l'exploitation d'un projet relatif à une mine de charbon à ciel ouvert de 23 kilomètres, à trois kilomètres à l'est du parc national Jasper (Alberta), une région riche du point de vue de l'environnement qui est l'habitat de divers animaux sauvages. Il est soutenu que la réalisation du projet et son exploitation, pour une période de 20 ans, auront un impact dramatique sur l'environnement.
Les appelants sollicitent l'annulation de la décision du juge qui a entendu la demande et demandent à cette Cour d'accorder entre autres une ordonnance interdisant au ministre des Pêches et des Océans (le MPO) de délivrer des autorisations en vertu de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, pour le motif que l'évaluation environnementale effectuée par la commission conjointe n'était pas conforme aux exigences législatives énoncées dans la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37 (LCEE). Le juge qui a entendu la demande a rejeté la demande en se fondant sur le motif préliminaire selon lequel la réponse fédérale donnée par le ministre n'avait pas été contestée et qu'elle faisait donc obstacle à la demande présentée par les appelants. Par conséquent, le bien-fondé de l'argument des appelants selon lequel le rapport de la commission n'était pas conforme à la LCEE, n'a pas été examiné. Les appelants soutiennent que le juge qui a entendu la demande a donc commis une erreur en rejetant la demande. Ils demandent à cette Cour de renvoyer l'affaire à la Section de première instance pour que l'argument qu'ils ont invoqué au sujet du caractère suffisant du rapport puisse être débattu à fond. Subsidiairement, ils ont demandé que l'affaire soit entendue au fond, de nouveau, devant cette Cour. Avant d'analyser l'affaire, je citerai les dispositions législatives pertinentes.
Les dispositions législatives
En vertu de l'article 5 de la LCEE, une évaluation environnementale est effectuée avant que le ministre puisse délivrer des autorisations. Le passage pertinent de la disposition est ainsi libellé:
5. (1) L'évaluation environnementale d'un projet est effectuée avant l'exercice d'une des attributions suivantes:
L'article 5 est renforcé par l'article 13, qui est ainsi libellé:
13. Dans le cas où un projet appartient à une catégorie visée dans la liste d'étude approfondie, ou si un examen par une commission ou un médiateur doit être effectué, malgré toute autre loi fédérale, l'exercice d'une attribution qui est prévu par cette loi ou ses règlements pour mettre en œuvre le projet en tout ou en partie est subordonné à l'achèvement de l'évaluation environnementale de celui-ci et à la prise d'une décision à son égard aux termes de l'alinéa 37(1)a).
En vertu de l'article 16 [mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 22] de la LCEE, certaines questions, notamment les effets environnementaux cumulatifs de la réalisation du projet et les solutions de rechange, sont prises en considération par la commission dans son rapport. Comme nous le verrons, le bien-fondé de l'argument des appelants n'est pas en cause. Les paragraphes 16(1) et (2) se lisent comme suit:
16. (1) L'examen préalable, l'étude approfondie, la médiation ou l'examen par une commission d'un projet portent notamment sur les éléments suivants:
a) les effets environnementaux du projet, y compris ceux causés par les accidents ou défaillances pouvant en résulter, et les effets cumulatifs que sa réalisation, combinée à l'existence d'autres ouvrages ou à la réalisation d'autres projets ou activités, est susceptible de causer à l'environnement;
b) l'importance des effets visés à l'alinéa a);
c) les observations du public à cet égard, reçues conformément à la présente loi et aux règlements;
d) les mesures d'atténuation réalisables, sur les plans technique et économique, des effets environnementaux importants du projet;
e) tout autre élément utile à l'examen préalable, à l'étude approfondie, à la médiation ou à l'examen par une commission, notamment la nécessité du projet et ses solutions de rechange,"dont l'autorité responsable ou, sauf dans le cas d'un examen préalable, le ministre, après consultation de celle-ci, peut exiger la prise en compte.
(2) L'étude approfondie d'un projet et l'évaluation environnementale qui fait l'objet d'une médiation ou d'un examen par une commission portent également sur les éléments suivants:
a) les raisons d'être du projet;
b) les solutions de rechange réalisables sur les plans technique et économique, et leurs effets environnementaux;
c) la nécessité d'un programme de suivi du projet, ainsi que ses modalités;
d) la capacité des ressources renouvelables, risquant d'être touchées de façon importante par le projet, de répondre aux besoins du présent et à ceux des générations futures.
En vertu du paragraphe 37(1) [mod., idem, art. 29; L.C. 1994, ch. 46, art. 3], le rapport de la commission est soumis au ministre pour examen et réponse. Cette disposition prévoit ce qui suit:
37. (1) Sous réserve du paragraphe (1.1), l'autorité responsable, après avoir pris en compte le rapport du médiateur ou de la commission ou si le ministre, à la suite du rapport d'étude approfondie, lui demande de prendre une décision aux termes de l'alinéa 23a), prend l'une des décisions suivantes:
a) si, compte tenu de l'application des mesures d'atténuation qu'elle estime indiquées, la réalisation du projet n'est pas susceptible d'entraîner des effets environnementaux négatifs importants ou est susceptible d'en entraîner qui sont justifiables dans les circonstances, exercer ses attributions afin de permettre la mise en œuvre totale ou partielle du projet et veiller à l'application de ces mesures d'atténuation;
b) si, compte tenu de l'application des mesures d'atténuation qu'elle estime indiquées, la réalisation du projet est susceptible d'entraîner des effets environnementaux qui ne sont pas justifiables dans les circonstances, ne pas exercer les attributions qui lui sont conférées sous le régime d'une loi fédérale et qui pourraient permettre la mise en œuvre du projet en tout ou en partie.
Le paragraphe 37(1.1) [mod. par L.C. 1994, ch. 46, art. 3] énonce la procédure que le ministre doit suivre:
37. [. . .]
(1.1) Une fois pris en compte le rapport du médiateur ou de la commission, l'autorité responsable est tenue d'y donner suite avec l'agrément du gouverneur en conseil, qui peut demander des précisions sur l'une ou l'autre de ses conclusions; l'autorité responsable prend alors la décision visée au titre du paragraphe (1) conformément à l'agrément.
Comme le paragraphe 37(1.1) permet de le constater, une fois que le gouverneur en conseil a donné son agrément, le ministre "prend [. . .] la décision" conformément à l'agrément.
Historique
En mai 1996, CRC a demandé au ministère des Pêches et des Océans de délivrer des autorisations en vertu de la Loi sur les pêches à l'égard de son projet. Le MPO a décidé que le projet pouvait avoir des effets environnementaux importants et qu'il devait donc être renvoyé à une commission en vertu de la LCEE. Étant donné qu'une évaluation environnementale était également nécessaire en vertu de la législation provinciale, le ministre fédéral de l'Environnement et l'Alberta Energy and Utilities Board (l'EUB) ont convenu d'effectuer une évaluation conjointe fédérale-provinciale comme le prévoit la législation. Le projet a été renvoyé à la commission à l'automne 1996 et cette dernière a tenu des audiences du 13 janvier au 20 février 1997, et une audience supplémentaire le 10 avril 1997.
Le 17 juin 1997, la commission conjointe a rendu publics son rapport et ses recommandations; le rapport était intitulé: Report of the EUB-CEAA Joint Review Panel: Cheviot Coal Project, Mountain Park Area, Alberta [traduction] "Rapport de la commission conjointe EUB-LCEE: projet de Cheviot Coal, région de Mountain Park (Alberta)". Le 2 octobre 1997, le MPO, avec l'agrément du gouverneur en conseil, a donné une réponse fédérale dans laquelle il faisait savoir que les autorisations relatives au projet seraient délivrées en vertu de la Loi sur les pêches . Le 31 octobre 1997, les appelants ont présenté la demande de contrôle judiciaire ici en cause. Comme il en a déjà été fait mention, le juge qui a entendu la demande a rejeté la demande le 12 juin 1998 pour les motifs que je résumerai ci-dessous.
Décision du juge qui a entendu la demande
Le juge qui a entendu la demande a statué que les appelants devaient contester la réponse fédérale afin d'invoquer la question du caractère suffisant du rapport de la commission et de fonder la demande visant à l'obtention d'une ordonnance d'interdiction contre le ministre. Les arguments avancés par les appelants se rapportaient aux présumées erreurs commises par la commission conjointe, comme le fait de ne pas avoir observé l'article 16 de la LCEE, et non à la réponse fédérale. Le juge qui a entendu la demande a conclu que le rapport de la commission n'était plus le document sur lequel le ministre se fonderait, étant donné que la réponse dictait la décision que le ministre devait prendre en vertu de l'article 37 de la LCEE. Il estimait donc qu'une fois que la réponse fédérale avait été donnée, il était trop tard pour invoquer les erreurs commises par la commission conjointe dans son rapport. Le juge a donc rejeté la demande de contrôle judiciaire, en disant que la réponse fédérale faisait obstacle à la réparation demandée par les appelants.
Après que le juge qui a entendu la demande eut rendu sa décision, le MPO a délivré une autorisation à l'égard d'une partie du projet de CRC. Les appelants cherchent à faire annuler cette autorisation au moyen d'une autre demande de contrôle judiciaire (T-1790-98), qui doit être entendue par la Section de première instance, pour le même motif que celui pour lequel ils sollicitent une réparation en l'espèce, à savoir que le rapport de la commission n'est pas conforme à la LCEE. Le 4 septembre 1998, le juge en chef Isaac a décidé que cette demande ne pouvait pas être entendue avec cet appel étant donné que l'autorisation avait été délivrée après la date d'audition de la demande.
Analyse
Le nœud du litige se rapporte à la question de savoir si le fait que la réponse fédérale n'a pas été contestée doit empêcher les appelants de solliciter une ordonnance interdisant au ministre de délivrer des autorisations dans l'avenir. À mon avis, le juge qui a entendu la demande a commis une erreur en retenant l'argument des intimés selon lequel la réponse l'emporte sur le rapport.
Dans une requête préliminaire [(1997), 26 C.E.L.R. (N.S.) 238 (C.F. 1re inst.)] qui a été présentée avant le présent appel, les intimés ont sollicité la radiation de la demande initiale des appelants pour le motif qu'elle était prescrite. Le juge Hugessen, au paragraphe 4, pages 240 à 242, a fait les remarques suivantes:
J'estime plutôt que le rapport devrait être considéré comme une étape préliminaire essentielle, prévue par la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, qui précède la décision du ministre de donner son autorisation en vertu de l'article 35 de la Loi sur les pêches.
Or, cette décision n'a pas encore été prise et j'estime que le fait de considérer que l'avis de requête introductive d'instance des requérants vise principalement à empêcher le ministre de rendre cette décision au motif que le rapport de la commission est irrémédiablement vicié constitue une interprétation raisonnable de celui-ci.
L'interdiction (telle le mandamus et le quo warranto) est une réparation expressément visée par l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale et, à l'instar de ceux-ci, son exercice ne dépend pas de l'existence préalable d'une décision ni d'une ordonnance.
Je souscris à l'avis exprimé dans ce passage, qui a été adopté par le juge Gibson dans l'affaire Friends of the West Country Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1998] 4 C.F. 340 (1re inst.), à la page 352, note 7.
La thèse selon laquelle le rapport de la commission est une condition légale essentielle de la délivrance des autorisations est étayée par les arrêts antérieurs. Je souscris aux décisions qui ont été rendues dans les affaires Bowen c. Canada (Procureur général), [1998] 2 C.F. 395 (1re inst.); Friends of the West Country, supra; et Union of Nova Scotia Indians c. Canada (Procureur général), [1997] 1 C.F. 325 (1re inst.), où il a été statué qu'une évaluation environnementale doit avoir été effectuée conformément à la LCEE avant qu'une décision comme l'autorisation du ministre en l'espèce puisse être prise. Cette thèse est renforcée par la décision rendue dans l'affaire Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, qui confirmait que les lignes directrices qui ont précédé la LCEE (le Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement, DORS/84-467) étaient de nature impérative plutôt que directive et que l'omission de les observer aurait donc pour effet d'enlever à l'autorité responsable la compétence voulue pour agir.
Les exigences de la LCEE sont des directives légiférées qui exigent expressément qu'une évaluation environnementale soit effectuée avant que le ministre prenne une décision. Il est clair que le ministre n'a pas compétence pour délivrer des autorisations en l'absence d'une évaluation environnementale. Il est également clair que toute évaluation doit être effectuée conformément à la LCEE, y compris par exemple, l'exigence imposée à l'article 16 de la LCEE. Le fait qu'une réponse fédérale a été donnée et n'a pas été contestée ne change rien à ces exigences. Les appelants ont donc le droit de débattre le bien-fondé de leur cause.
Les appelants ont le droit de solliciter une ordonnance d'interdiction contre le ministre pour le motif que le rapport de la commission est défectueux sur des points importants. Le fait que la réponse fédérale n'a pas été contestée n'a rien à voir avec la demande des appelants. À mon avis, la réponse fédérale ne l'emporte pas sur le rapport de la commission, et contrairement à ce que les intimés soutiennent, elle ne peut pas remédier aux vices du rapport de la commission. Il s'agit de mesures législatives distinctes dont les fonctions et buts sont différents.
En vertu de l'article 37 de la LCEE, le ministre examine le rapport de la commission avant de prendre une décision. L'alinéa 34c) établit que ce rapport doit énoncer "sa justification, ses conclusions et recommandations relativement à l'évaluation environnementale du projet". L'alinéa 34d ) dit clairement que c'est ce rapport renfermant les résultats de l'évaluation environnementale qui est soumis au ministre. Enfin, le paragraphe 2(1) définit l'"évaluation environnementale" comme étant une "[é]valuation des effets environnementaux d'un projet effectuée conformément à la présente loi". Le rapport qui est soumis au ministre conformément à l'alinéa 34d ) doit donc renfermer, conformément à l'alinéa 34c) et au paragraphe 2(1), les résultats de l'évaluation environnementale effectuée conformément aux exigences de la LCEE.
En somme, l'effet combiné des alinéas 34c) et d) ainsi que le paragraphe 2(1) et l'article 37 est qu'avant de prendre une décision, le ministre tient compte de l'évaluation environnementale qui a été effectuée conformément à la LCEE. Les appelants ont donc le droit de remettre en question le rapport et ils ne sont pas préclus de le faire parce qu'ils n'ont pas contesté la réponse fédérale.
Je crois que le juge qui a entendu la demande aurait dû, en supposant qu'une évaluation environnementale conforme à la LCEE soit une condition essentielle de la délivrance d'une autorisation par le ministre, analyser les arguments avancés par les appelants afin de décider si une évaluation environnementale appropriée avait été effectuée par la commission conjointe.
À mon avis, la Section de première instance est mieux placée pour entendre au fond l'argument invoqué par les appelants au sujet du caractère suffisant du rapport de la commission. En théorie, il est possible d'entendre de nouveau l'affaire au fond devant cette Cour, mais je crois que pour les raisons pratiques mentionnées par les appelants, l'affaire doit être renvoyée à la Section de première instance et être entendue avec la demande de contrôle judiciaire présentée dans le dossier T-1790-98. Ces affaires soulèvent les mêmes questions et sont fondées sur les mêmes faits. Nous remarquons qu'à l'audition de l'appel, les appelants ont convenu d'accélérer l'audition de l'affaire T-1790-98 si cette Cour était prête à entendre les demandes ensemble comme ils l'avaient proposé. Telle est la procédure qu'il convient de suivre, étant donné qu'elle aurait pour effet d'atténuer le préjudice causé à l'intimé par suite du retard.
Conclusion
L'appel est accueilli, la décision du juge qui a entendu la demande est annulée et l'affaire est renvoyée à la Section de première instance pour décision au fond. Les dépens sont adjugés aux appelants.
Le juge Strayer, J.C.A.: Je souscris à cet avis.
Le juge Robertson, J.C.A.: Je souscris à cet avis.