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T-2243-93

Edward Anderson, Garnet Woodhouse, Marshall Woodhouse, Robert McLean, Patrick Anderson, Ormand Stagg et George Traverse en leur nom personnel et au nom de tous les membres de la Première nation de Fairford, groupe d'Indiens désigné comme étant la bande de Fairford et déclaré être une bande pour l'application de la Loi sur les Indiens par le décret C.P. 1973-3571 (demandeurs)

c.

Le procureur général du Canada, au nom de Sa Majesté la Reine du chef du Canada (défendeur)

Répertorié: Première nation de Fairfordc. Canada (Procureur général)(1re   inst.)

Section de première instance, juge Rothstein" Edmonton, 6 et 7 mars 1997, Winnipeg, 5, 6, 7, 8, 12, 13, 14, 15, 19, 21, 22, 26, 27, 28 et 29 janvier, 4, 17, 18 et 19 février, 2, 3, 4, 5, 23, 24, 25, 26 et 27 mars; Ottawa, 12 novembre 1998.

Peuples autochtones Terres Une bande indienne a poursuivi la Couronne fédérale par suite de la violation d'une obligation fiduciaire se rapportant à la construction d'un barrage par le ManitobaLe barrage avait causé de grosses inondations dans la réserve indienneLe Manitoba avait reconnu être responsable des inondations et avait remis à la bande des terres de remplacementLa Couronne avait refusé de ratifier l'accord d'indemnisation, mais avait accepté le transfert des terres de remplacementLa bande n'était pas satisfaite des terres de remplacement remises par suite des pertes subies par ses membresLa question était de savoir si la Couronne avait violé l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers la bandeLa cause des demandeurs était fondée sur l'art. 18(1) de la Loi sur les IndiensL'obligation fiduciaire ne prenait naissance qu'au moment de la cession des terres en faveur de la CouronneLe défendeur avait violé l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers la bande en omettant de remédier aux lacunes de l'accord d'indemnisation en temps opportun et en omettant de consulter la bande.

Couronne Action fondée sur la violation d'une obligation fiduciaire intentée par une bande indienne à la suite de la construction d'un barrage par le Manitoba dans une réserve indienneLes membres de la bande auraient subi des pertes par suite de la violation d'obligations fiduciaires envers la bandeLes demandeurs se fondaient sur l'art. 18(1) de la Loi sur les Indiens pour soutenir que le défendeur avait violé son obligation fiduciaire au moment de l'étude, de la planification et de l'approbation du barrageExamen de la jurisprudence relative à l'obligation fiduciaireL'exigence relative à la dépendance et à la vulnérabilité est indispensable pour qu'il y ait obligation fiduciairePour qu'une obligation fiduciaire prenne naissance, une partie doit avoir cédé un pouvoir à l'autreEn l'espèce, il n'existait aucune obligation fiduciaire, que ce soit selon l'approche des attentes raisonnables ou selon l'approche de la cession de pouvoir et de la vulnérabilitéLes mesures prises par le défendeur étaient des obligations de droit public ne donnant pas naissance à un rapport fiduciaireLe défendeur a agi conformément à la Loi sur les Indiens en permettant au Manitoba d'utiliser la réserve aux fins de la construction d'un batardeau et en obtenant une résolution du conseil de la bande autorisant pareille utilisationLe défendeur n'avait pas le pouvoir discrétionnaire de contrôler l'exploitation du barrageIl n'a pas violé son obligation fiduciaire en omettant d'utiliser les dispositions de la Loi sur la protection des eaux navigables pour obtenir des concessions du Manitoba à l'égard de l'inondation des terres de la réserveL'obligation de consultation qui incombe à la Couronne en ce qui concerne la cession de terres d'une réserve s'étend aux aliénations de terres de la réserve par le défendeur en vertu de l'art. 35 de la Loi sur les IndiensLa consultation qui a eu lieu en 1971 entre les Affaires indiennes et le conseil de la bande était conforme à la norme de consultation prescrite par la C.S.C.Le défendeur a violé l'obligation fiduciaire qu'il avait envers la bande entre 1978 et 1984 en omettant de remédier aux lacunes de l'accord d'indemnisation en temps opportun et en omettant de consulter la bandeDu mois de septembre 1984 au mois de février 1986, les mesures prises par le défendeur, à l'exception de l'omission de consulter, ont été prises avec diligence et étaient conformes à ce à quoi l'on peut s'attendre d'un fiduciaire.

Pratique Prescription Prescription de six ans à l'égard des demandes présentées par les demandeurs en vertu de l'art. 2(1)k) de la Loi sur la prescription du ManitobaLes demandes qui ont pris naissance avant le 15 septembre 1987 sont prescritesL'argument fondé sur la violation continue de l'obligation fiduciaire n'est pas fondéLe délai de prescription commence à courir à l'égard de chaque violation alléguéeLe délai commence à courir au moment de la découverte de la cause d'actionLe retard et l'omission de consulter se sont produits plus de six ans avant que la déclaration eut été déposée, le 15 septembre 1993La question était de savoir à quel moment les demandeurs auraient pu découvrir, s'ils avaient fait preuve d'une diligence raisonnable, les causes d'action contre le défendeurLa cause d'action des demandeurs fondée sur le fait que la Couronne a tardé à agir entre 1978 et le mois de septembre 1984 n'est pas prescriteLa cause d'action fondée sur l'omission de consulter entre le mois de septembre 1984 et le mois de février 1986 est prescrite depuis le mois de février 1992.

Il s'agissait d'une action en violation d'obligation fiduciaire intentée par les membres de la bande indienne de Fairford contre Sa Majesté la Reine du chef du Canada. En 1960 et 1961, le gouvernement du Manitoba, à la connaissance du défendeur et avec son aide financière, avait construit l'ouvrage de régularisation des eaux de la rivière Fairford, un barrage, en vue de régulariser le niveau des eaux du lac Manitoba, en amont de la réserve de Fairford. En 1967 et par la suite, de grosses inondations ont eu lieu dans la réserve de Fairford en raison de la construction du barrage; le Manitoba a reconnu sa responsabilité à cet égard. Les demandeurs ont allégué que l'exploitation du barrage avait eu un impact négatif sur leurs droits autochtones en ce qui concerne la chasse, la pêche et le piégeage ainsi que sur leur droit à la production agricole. Le Manitoba et la bande ont engagé des négociations en vertu desquelles le Manitoba devait remettre des terres à la bande (les terres de remplacement) pour l'indemniser des terres qui étaient inondées. En 1974, la bande a signé un accord d'indemnisation par lequel elle convenait d'accepter des terres de remplacement d'une superficie de 5 771,91 acres et de libérer le Manitoba de toute responsabilité additionnelle à l'égard des inondations. Toutefois, le Canada a refusé de ratifier l'accord, et ce, pour un certain nombre de raisons. En 1979, les membres de la bande occupaient les terres de remplacement même si celles-ci n'avaient pas encore été transférées à Sa Majesté et même si elles ne faisaient pas légalement partie de la réserve. Finalement, le Canada a accepté le transfert des terres de remplacement et les a mises de côté en tant qu'additions à la réserve indienne de Fairford no 50. La bande de Fairford ne croyait pas que les terres de remplacement soient suffisantes pour indemniser complètement ses membres des pertes subies; elle a déposé une déclaration le 15 septembre 1993. Même s'ils ont concédé que le Manitoba était à l'origine de leurs problèmes, les demandeurs ont soutenu que Sa Majesté la Reine du chef du Canada était responsable de toutes les pertes subies depuis que le barrage avait été construit et que le Canada avait violé à maintes reprises les obligations fiduciaires qu'il avait envers la Première nation de Fairford. Les demandeurs semblaient donc soutenir que la Couronne fédérale avait une obligation fiduciaire générale continue de protéger leurs droits autochtones. L'action soulevait un certain nombre de questions, qui étaient toutes directement liées à l'obligation fiduciaire que la Couronne avait envers la bande de Fairford, ainsi que la question de la prescription de l'action.

Jugement: l'action doit être accueillie en partie.

La première question était de savoir si la Couronne avait violé l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers la bande de Fairford au moment de la planification de l'approbation et du financement de l'ouvrage de régularisation des eaux. Le Manitoba possédait, exploitait et contrôlait cet ouvrage dans le cadre d'un projet du gouvernement provincial, même si la Couronne fédérale avait fourni une aide financière en vue de la construction de l'ouvrage. Les demandeurs soutenaient que le défendeur était tenu, en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Indiens, de ne pas agir de façon à gêner l'utilisation de la réserve par la bande et qu'en participant à l'ouvrage, il avait violé cette obligation. Dans l'arrêt Guerin et autres c. La Reine et autre, la Cour suprême du Canada avait statué que le paragraphe 18(1) avait pour effet de conférer à la Couronne l'obligation de protéger les droits des Indiens dans des opérations avec des tiers. Une fois les terres cédées, la Couronne se voyait conférer le pouvoir discrétionnaire de décider ce qui était vraiment le plus avantageux pour les Indiens. Ce pouvoir discrétionnaire avait pour effet de transformer l'obligation qui incombait à la Couronne en une obligation de fiduciaire. Il a également été reconnu que le rapport fiduciaire était défini à la fois par l'existence d'un pouvoir discrétionnaire de la part du fiduciaire et par la vulnérabilité du bénéficiaire. La vulnérabilité était une exigence essentielle, et elle signifiait que le bénéficiaire, malgré ses meilleurs efforts, ne pouvait pas empêcher l'exercice abusif du pouvoir discrétionnaire par le fiduciaire et que les autres recours juridiques ou pratiques étaient insuffisants ou absents. Dans le contexte autochtone, il a été statué que pour qu'une obligation fiduciaire prenne naissance, une partie doit avoir cédé son pouvoir à l'autre. Afin de déterminer si une obligation fiduciaire a pris naissance par suite de la participation de la Couronne au barrage, il fallait déterminer si, en vertu d'une loi, d'une entente, d'une conduite particulière ou d'un engagement unilatéral, il avait mutuellement été convenu que la Couronne agirait pour le compte de la bande de Fairford de façon à donner naissance à une attente raisonnable selon laquelle la Couronne agirait dans l'intérêt de la bande à l'exclusion d'autres intérêts. Les faits de l'espèce ne démontraient pas l'existence d'un rapport contractuel entre la Couronne et la bande de Fairford. Rien ne montrait non plus que la Couronne se soit engagée à agir à titre de fiduciaire pour le compte des Indiens aux stades de l'étude, de l'approbation et du financement du barrage. En ce qui concerne la conduite particulière, il faut remarquer que, de façon générale, il n'existe une obligation fiduciaire que dans le cas d'une obligation prenant naissance dans un contexte de droit privé. Les obligations qui découlent d'une mesure prise par le pouvoir législatif ou par le pouvoir exécutif sont des obligations de droit public et ne créent aucun rapport fiduciaire. Les mesures prises par la Division des affaires indiennes au moment pertinent l'ont été en vertu de la Loi sur les Indiens et de la Loi sur le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, et il s'agissait d'obligations de droit public. Rien ne montrait qu'il s'agirait d'obligations de droit privé telles que celles qui existent lorsque des terres indiennes sont cédées. C'est pourquoi la conduite de la Couronne, lorsqu'elle traitait avec les Indiens en vertu de ces lois ne pouvait pas servir de fondement à la création d'une obligation fiduciaire. Les faits de l'espèce ne montraient pas qu'un pouvoir avait été cédé sur une question. Tant en vertu de l'approche fondée sur les attentes raisonnables que de l'approche relative à la cession d'un pouvoir et à la vulnérabilité, la Couronne n'agissait pas à titre de fiduciaire pour ce qui est de sa participation à l'étude, à l'approbation ou au financement du barrage. Le droit des obligations fiduciaires, dans le contexte autochtone, ne peut pas être interprété comme plaçant la Couronne dans la situation impossible d'avoir à renoncer à ses obligations de droit public lorsque pareilles obligations sont contraires aux intérêts des Indiens.

La deuxième question était de savoir si la Couronne avait violé l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers la bande de Fairford en obtenant l'autorisation au moyen d'une résolution du conseil de la bande à l'égard de la construction du batardeau dans la réserve. Il fallait construire un batardeau en vue de limiter temporairement le débit de la rivière Fairford. Étant donné que le Manitoba ne devait pas utiliser la réserve aux fins de la construction du batardeau pendant plus d'un an, le ministre pouvait avoir autoriser pareille utilisation sans obtenir le consentement du conseil de la bande. Toutefois, il y avait eu consultation, et le conseil de la bande avait donné son consentement. Il n'y avait pas eu violation de la Loi sur les Indiens puisque le consentement avait été obtenu. Le ministre n'était pas tenu d'agir en l'absence d'un consentement donné par le conseil de bande en vertu du paragraphe 28(2) de la Loi, même s'il s'agissait d'une aliénation temporaire pour une période de moins d'un an. La Loi sur les Indiens n'exigeait donc pas que l'utilisation de la réserve par le Manitoba aux fins de la construction du batardeau soit considérée comme une cession en vertu de l'article 37 de la Loi et il n'était pas nécessaire d'obtenir l'approbation de la bande à pareille fin. Le Canada a agi conformément à la Loi sur les Indiens en permettant au Manitoba d'utiliser la réserve aux fins de la construction du batardeau et en obtenant une résolution du conseil de la bande autorisant pareille utilisation.

La troisième question était de savoir si la Couronne avait violé son obligation fiduciaire en omettant de remédier aux inondations périodiques et aux impacts négatifs connexes qui en découlaient pour les droits de la Première nation de Fairford. Les demandeurs alléguaient qu'étant donné qu'elle était au courant des impacts négatifs auxquels ils faisaient face en raison de l'exploitation du barrage, la Couronne était tenue, en vertu d'une obligation fiduciaire, de faire ce qu'il fallait pour protéger les droits de la bande contre les effets de cet ouvrage. Les demandeurs soutenaient également que la Couronne était tenue d'exercer son influence en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables (LPEN) pour contrôler la façon dont le Manitoba exploitait le barrage. Même si elle avait fait part d'un grand nombre de ses préoccupations à la Division des affaires indiennes, la bande de Fairford savait que c'était l'exploitation du barrage par le Manitoba qui causait des problèmes. Rien ne montrait que la bande comptait sur la Couronne pour remédier aux problèmes causés par le barrage et que cette dernière avait le pouvoir discrétionnaire de contrôler l'exploitation du barrage. La seule participation directe de la Couronne à l'égard du barrage se rapportait à l'étude qu'elle avait effectuée, ainsi qu'à l'approbation et au financement du projet. C'était le Manitoba qui était propriétaire du barrage et qui l'exploitait. Le paragraphe 31(3) de la Loi sur les Indiens préserve le droit de la bande et de ses membres d'intenter eux-mêmes une action fondée sur la violation du droit de propriété. La bande n'avait pas cédé ce pouvoir à la Couronne et il n'y avait pas d'entente mutuelle entre le Canada et la bande donnant lieu à une attente raisonnable permettant de croire que la Couronne intenterait une telle action. La bande de Fairford n'était pas vulnérable face à la Couronne en ce qui concerne les tiers qui pénétraient, sans droit ni autorisation, dans leur réserve, ou qui portaient de quelque autre façon atteinte à leurs droits. Les mesures que la Division des affaires indiennes a prises étaient conformes aux obligations de droit public prévues par la Loi sur les Indiens et ne pouvaient pas donner naissance à une obligation fiduciaire. L'argument des demandeurs selon lequel le Canada avait violé son obligation fiduciaire en omettant d'utiliser les dispositions de la LPEN pour exiger des concessions du Manitoba à l'égard de l'inondation des terres de la réserve de Fairford était également insoutenable.

La quatrième question était de savoir si la Couronne avait violé l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers la bande en transférant sans condition en 1962, en vertu de l'article 35, 23 acres de terrain aux fins d'une route sans consulter la bande, sans imposer à l'égard du transfert des conditions destinées à assurer qu'il soit le moins possible porté atteinte aux droits de la Première nation de Fairford et sans obtenir une juste indemnité. Pour construire le barrage, il fallait procéder à un nouvel alignement d'une route provinciale à travers la réserve en vue d'éliminer les courbes. Pour ce faire, le Manitoba avait besoin d'environ 34 acres dans la réserve de Fairford comme emprise routière. La disposition pertinente de la Loi sur les Indiens concernant la prise de terres à des fins provinciales est l'article 35. Au moyen d'une résolution du conseil de la bande datée du 7 décembre 1960, le transfert au Manitoba de 11 acres, situées à proximité du barrage, a été autorisé. Au moyen d'une résolution du conseil de la bande datée du 12 juin 1962, le transfert au Manitoba de 23 autres acres de terrain a été autorisé. La Couronne a consenti à ce que le Manitoba prenne les 34 acres aux fins de l'emprise routière. Les demandeurs ont été consultés au sujet du transfert des terres aux fins de la route et de l'indemnisation y afférente. La participation nécessaire de la Couronne, en vertu de l'article 35 de la Loi, à la prise par le Manitoba des terres de la réserve de Fairford aux fins d'une route a donné naissance à une obligation fiduciaire de la part de la Couronne de veiller à ce que les intérêts de la bande soient protégés puisque celle-ci avait un pouvoir discrétionnaire unilatéral à l'égard de l'opération. En omettant de consentir de la façon appropriée au transfert au Manitoba des 11 acres situées au nord au moyen d'un décret pendant plus de 12 ans, la Couronne a violé l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers la bande. En omettant d'obtenir du Manitoba le plein montant du prix d'achat dans un délai opportun, la Couronne avait encore une fois violé son obligation fiduciaire. Toutefois, la Couronne a obtenu le paiement intégral, avec intérêts, et un décret autorisant le transfert des 34 acres au Manitoba a été pris. Il a donc été remédié aux violations de l'obligation fiduciaire. Dans ces conditions, il n'y avait aucune autre cause d'action fondée sur la violation d'une obligation fiduciaire.

La cinquième question était de savoir si la Couronne avait violé son obligation fiduciaire en encourageant la bande de Fairford à entamer des négociations avec le Manitoba, en 1969, en vue d'un échange de terres, alors qu'elle savait que la construction et l'exploitation du barrage allaient avoir un impact négatif sur les intérêts pratiques et juridiques de la bande s'étendant bien au-delà d'un intérêt foncier et que la bande n'avait pas le pouvoir de conclure pareilles négociations ou ententes. Le rapport existant entre la Couronne et les bandes indiennes à l'égard des terres et droits de ces dernières est régi par les deux principes d'autonomie et de protection. Même si la Loi sur les Indiens offre une protection, il faut traiter les peuples autochtones comme des acteurs autonomes dont les décisions doivent être respectées. Il n'existait donc aucun motif d'ordre juridique pour lequel la bande de Fairford n'aurait pas pu ou n'aurait pas dû négocier avec le Manitoba. Étant donné que les terres de remplacement devaient être transférées du Manitoba à la Couronne afin de faire partie de la réserve, une obligation fiduciaire de veiller à ce que la bande ne soit pas exploitée a pris naissance au moment du transfert. Toutefois, cette obligation a uniquement pris naissance lorsqu'on a demandé à la Couronne de ratifier l'entente négociée par la bande. Au stade des négociations, il n'existait pas d'obligation de ce genre. Rien n'empêche, en principe, une bande indienne d'être en mesure de déterminer ses propres exigences ainsi que de conduire ses propres négociations et de les mener à bonne fin.

La sixième question était de savoir si la Couronne avait violé l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers la bande de Fairford en omettant de lui divulguer des renseignements et en tentant unilatéralement de remédier au fait que la province n'était de toute évidence pas autorisée à occuper les terres de la réserve au moyen du transfert réputé, en 1973, d'une parcelle de 34 acres aux fins d'une voie publique, sans consulter la bande. En ce qui concerne les questions de cession de terres d'une réserve, il existe une obligation de consultation de la part de la Couronne; cette obligation s'étend aux aliénations des terres d'une réserve par la Couronne en vertu de l'article 35 de la Loi. Le procès-verbal d'une réunion tenue le 16 septembre 1971 entre les représentants des Affaires indiennes, le conseil de la bande de Fairford et un représentant de la Fraternité des Indiens du Manitoba montrait que la question des emprises routières n'avait jamais été réglée, que le plein montant de l'indemnité n'avait pas été versé et que des intérêts seraient payés. Le procès-verbal montrait que toutes les circonstances de l'affaire avaient pleinement été divulguées au conseil de la bande. La consultation qui avait eu lieu entre les Affaires indiennes et le conseil de la bande était conforme à la norme de consultation prescrite par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Delgamuukw c. Colombie-Britannique.

La septième question était de savoir si la Couronne avait violé son obligation fiduciaire en omettant, entre 1977 et 1984, de remédier aux lacunes du prétendu accord de 1974 concernant le transfert des terres de remplacement d'une façon opportune. La bande de Fairford avait négocié avec le Manitoba la question de l'indemnité à verser par suite des inondations causées, depuis 1967, par l'exploitation du barrage. Ces négociations ont abouti, en 1974, à la préparation par le Manitoba d'une entente entre la bande, le Manitoba et le Canada en vue du transfert des terres de remplacement à la bande de Fairford. Entre 1977 et 1984, de nombreux événements avaient considérablement retardé le transfert des terres de remplacement à la bande de Fairford. Le retard était principalement attribuable à la Couronne et il était injustifié. C'était le pouvoir discrétionnaire dévolu à la Couronne de s'occuper des terres cédées et de remédier à la vulnérabilité de la bande indienne, une fois qu'elle avait cédé les terres, qui donnait naissance à l'obligation fiduciaire. La Couronne n'avait pas agi en temps opportun après avoir reçu l'accord d'indemnisation du Manitoba en 1977. L'accord d'indemnisation de 1974 était une opération déraisonnable pour la bande, puisque, en échange de terres d'une superficie de 5 771,91 acres, la bande était prête à libérer le Manitoba de toute autre demande et à lui permettre, sans restriction aucune, d'exploiter le barrage, et ce, quelle que soit l'étendue des inondations possibles. Toutefois, en ne ratifiant pas une opération déraisonnable à laquelle la bande était prête à consentir, la Couronne n'était pas exemptée d'une obligation fiduciaire parce qu'elle avait tardé à ratifier l'opération à cause de la confusion qui régnait au sujet de la façon de procéder. La Couronne était tenue de déterminer, en temps opportun, ce qui était déraisonnable dans l'accord d'indemnisation et d'en informer la bande de Fairford. En omettant de le faire, elle avait violé l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers la bande. Cette violation avait commencé au début de 1978, du fait que la Couronne n'avait pas exercé son pouvoir discrétionnaire à l'égard de l'accord d'indemnisation en se fondant sur une analyse réfléchie de ses lacunes, qu'elle n'avait pas informé la bande de Fairford des lacunes et qu'elle ne lui avait pas demandé d'instructions. Entre le début de l'année 1978 et le mois de septembre 1984, aucun progrès n'avait été fait à l'égard de ces questions, la bande n'avait pas été conseillée au sujet des lacunes de l'accord ou fort peu de conseils lui avaient été donnés à ce sujet, et il n'y avait pas eu de discussions avec la bande au sujet de ce qu'il fallait faire. Étant donné que la bande n'a pas été adéquatement consultée pendant plus de six ans et demi, le retard était déraisonnable.

La huitième question était de savoir si la Couronne avait violé l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers la bande de Fairford en négociant activement avec le Manitoba entre 1984 et 1991 à l'égard de l'indemnité accordée pour les effets préjudiciables du barrage sans que la bande participe à ces négociations ou sans qu'elle en ait connaissance. Jusqu'au mois de septembre 1984, la Couronne comprenait mal l'accord d'indemnisation et faisait peu de progrès à cet égard, mais la situation avait changé lorsque Jim Gallo, fonctionnaire au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, a pris l'affaire en main. La seule période pour laquelle l'allégation des demandeurs selon laquelle il n'y avait pas eu consultation était étayée par la preuve était celle qui allait du mois de septembre 1984 au mois de février 1986. L'omission de la Couronne de consulter la bande pendant cette période a donné lieu à la violation d'une obligation fiduciaire de protéger la bande lorsqu'elle traitait avec le Manitoba. Rien ne montrait qu'il y avait eu un retard ou, à l'exception de l'omission de consulter, quelque autre délit de la part de M. Gallo. Les mesures que M. Gallo avait prises, à l'exception de l'omission de consulter, étaient diligentes et conformes à ce qu'on s'attendrait d'un fiduciaire. Lorsque la Couronne traitait unilatéralement avec le Manitoba, elle était tenue de consulter la bande et l'omission de la consulter pendant cette période constituait une violation d'une obligation fiduciaire.

La dernière question se rapporte à la prescription. En invoquant l'alinéa 2(1)k) de la Loi sur la prescription du Manitoba, le défendeur a soutenu que les demandes des demandeurs étaient prescrites. Un délai de prescription de six ans est imposé par cette disposition à l'égard des demandes que les demandeurs ont présentées. Étant donné que la déclaration des demandeurs avait été déposée le 15 septembre 1993, les demandes antérieures au 15 septembre 1987 sont prescrites. Les demandeurs ont soutenu que le défendeur avait continuellement violé l'obligation fiduciaire qu'il avait envers la bande à compter du moment où il avait approuvé et en partie financé le barrage. Toutefois, tout manquement à l'obligation fiduciaire doit pouvoir être situé à un moment précis. L'argument qu'il y a eu violation continue n'est pas fondé. Une cause d'action distincte fondée sur la violation d'une obligation fiduciaire invoquée contre la Couronne découle de chaque ensemble distinct de circonstances et un nouveau délai de prescription commencera à courir à l'égard de chaque violation alléguée de l'obligation fiduciaire. Le délai ne commence pas à courir, aux fins de la prescription, tant qu'il n'y a pas eu "découverte de la cause d'action" au sens de l'alinéa 2(1)k) de la Loi. Une cause d'action est considérée comme pouvant être découverte lorsque les faits importants sur lesquels repose cette cause d'action ont été découverts par le demandeur ou auraient dû l'être si celui-ci avait fait preuve d'une diligence raisonnable. Il s'agissait de savoir à quel moment les demandeurs auraient pu découvrir, en faisant preuve d'une diligence raisonnable, qu'ils avaient ces causes d'action contre la Couronne. La bande de Fairford était au courant du retard dès le 8 mars 1979. Cependant, elle ne savait pas si le retard était attribuable à des motifs justifiables ou si la Couronne omettait d'agir avec la diligence dont le fiduciaire doit faire preuve. La bande a appris que le retard était injustifié en 1992 après avoir retenu les services de la firme E. E. Hobbs and Associates Ltd. en vue d'effectuer des recherches sur les événements qui avaient donné lieu à la construction du barrage et à l'omission subséquente de conclure un règlement satisfaisant, ainsi qu'en vue d'évaluer les dommages qui avaient été subis. Jusqu'en 1990, il n'y avait pas lieu pour la bande de Fairford de croire qu'elle avait une cause d'action contre la Couronne ou que, lorsque cette dernière agissait à titre de fiduciaire, elle ne faisait pas preuve d'une diligence raisonnable. Avant la présentation du rapport Hobbs, en février 1992, la bande de Fairford n'aurait pas pu raisonnablement découvrir les faits importants concernant la façon dont la Couronne s'était occupée de l'accord d'indemnisation entre le début de l'année 1978 et le mois de septembre 1984. En ce qui concerne la cause d'action des demandeurs fondée sur le fait que la Couronne a tardé à agir au cours de cette période, l'action n'était pas prescrite. Quant à l'omission de la Couronne de consulter la bande de Fairford entre le mois de septembre 1984 et le mois de février 1986, la bande a été mise au courant, en février 1986, des efforts que la Couronne avait faits auprès du Manitoba pendant cette période. La cause d'action fondée sur l'omission de consulter la bande au cours de cette période est prescrite depuis le mois de février 1992.

lois et règlements

Convention sur le transfert des ressources naturelles (Manitoba) (confirmée par la Loi constitutionnelle de 1930, 20 & 21 Geo. V, ch. 26 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 16) [L.R.C. (1985), appendice II, no 26], annexe (1.)), par. 13.

Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37, art. 2(1) "effets environnementaux", 16(1)a ).

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 35(1).

Loi de la protection des eaux navigables, S.R.C. 1927, ch. 140, art. 4.

Loi sur la prescription, L.R.M. 1987, ch. L150, art. 2(1)k).

Loi sur la protection des eaux navigables, S.R.C. 1952, ch. 193, art. 4, 5, 10.

Loi sur le ministère de la Citoyenneté et de l'immigration, S.R.C. 1952, ch. 67, art. 5.

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 2(1) "réserve" (mod. par L.R.C. (1985) (4e  suppl.), ch. 17, art. 1), 18(1),(2), 31(1),(3), 28(2), 35, 37(1) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 2), 39(1)b) (mod., idem, art. 3), 64 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 10).

Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, ch. F-14, art. 34.

Loi sur l'expropriation, L.R.C. (1985), ch. E-21, art. 26(11).

Loi sur l'expropriation, S.C. 1969-70, ch. 41, art. 24. Traité no 2 (1871).

jurisprudence

décisions suivies:

Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335; (1984), 13 D.L.R. (4th) 321; [1984] 6 W.W.R. 481; 59 B.C.L.R. 301; [1985] 1 C.N.L.R. 120; 20 E.T.R. 6; 55 N.R. 161; 36 R.P.R. 1; Frame c. Smith, [1987] 2 R.C.S. 99; (1987), 42 D.L.R. (4th) 81; 42 C.C.L.T. 1; [1988] 1 C.N.L.R. 152; 78 N.R. 40; 23 O.A.C. 84; 9 R.F.L. (3d) 225; Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574; (1989), 69 O.R. (2d) 287; 61 D.L.R. (4th) 14; 26 C.P.R. (3d) 97.

décisions appliquées:

Bande indienne des Opetchesaht c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 119; (1997), 147 D.L.R. (4th) 1; [1997] 7 W.W.R. 253; 90 B.C.A.C. 1; [1998] 1 C.N.L.R. 134; 9 R.P.R. (3d) 115; Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010; (1997), 153 D.L.R. (4th) 193; 99 B.C.A.C. 161; [1998] 1 C.N.L.R. 14; 220 N.R. 161; Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 R.C.S. 344; (1995), 130 D.L.R. (4th) 193; [1996] 2 C.N.L.R. 25; 190 N.R. 89; Bande indienne de Semiahmoo c. Canada, [1998] 1 C.F. 3; (1997) 148 D.L.R. (4th) 523; [1998] 1 C.N.L.R. 250; 215 N.R. 241 (C.A.).

distinction faite avec:

Sandvik, A.B. c. Windsor Machine Co. (1986), 8 C.P.R. (3d) 433; 7 C.I.P.R. 232; 2 F.T.R. 81 (C.F. 1re inst.).

décisions examinées:

R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075; (1990), 70 D.L.R. (4th) 385; [1990] 4 W.W.R. 410; 46 B.C.L.R. (2d) 1; 56 C.C.C. (3d) 263; [1990] 3 C.N.L.R. 160; 111 N.R. 241; Union of Nova Scotia Indians c. Canada (Procureur général), [1997] 1 C.F. 325; (1996), 22 C.E.L.R. (N.S.) 293; [1997] 4 C.N.L.R. 280; 122 F.T.R. 81 (1re inst.); Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377; (1994), 117 D.L.R. (4th) 161; [1994] 9 W.W.R. 609; 49 B.C.A.C. 1; 97 B.C.L.R. (2d) 1; 16 B.L.R. (2d) 1; 6 C.C.L.S. 1; 22 C.C.L.T. (2d) 1; 57 C.P.R. (3d) 1; 95 DTC 5135; 5 E.T.R. (2d) 1; 171 N.R. 245; 80 W.A.C. 1; Apsassin c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1988] 3 C.F. 20; [1988] 1 C.N.L.R. 73; (1987), 14 F.T.R. 161 (1re inst.); Bande indienne Wewayakum c. Canada et Bande indienne Wewayakai (1995), 99 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.).

décisions citées:

R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507; (1996), 137 D.L.R. (4th) 289; [1996] 9 W.W.R. 1; 80 B.C.A.C. 81; 23 B.C.L.R. (3d) 1; 109 C.C.C. (3d) 1; [1996] 4 C.N.L.R. 177; 50 C.R. (4th) 1; 200 N.R. 1; 130 W.A.C. 81; Roberts c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 322; [1989] 3 W.W.R. 117; (1989), 35 B.C.L.R. (2d) 1; 25 F.T.R. 161; 92 N.R. 241; Bande de la première nation des Chippewas de Nawash c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) (1996), 11 Admin. L.R. (2d) 232; [1997] 1 C.N.L.R. 1; 116 F.T.R. 37 (C.F. 1re inst.); Custer v. Hudson's Bay Co. Dev. Ltd., [1983] 1 W.W.R. 566 (C.A. Sask.); R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771; (1996), 181 A.R. 321; 133 D.L.R. (4th) 324; [1996] 4 W.W.R. 457; 37 Alta. L.R. (3d) 153; 105 C.C.C. (3d) 289; [1996] 2 C.N.L.R. 77; 195 N.R. 1; 116 W.A.C. 321; Diggon-Hibben Ltd. v. The King, [1949] R.C.S. 712; [1949] 4 D.L.R. 785; Woods v. The King, [1951] R.C.S. 504; [1951] 2 D.L.R. 465; (1951), 67 C.R.T.C. 87; Kruger c. La Reine, [1986] 1 C.F. 3; (1985), 17 D.L.R. (4th) 591; [1985] 3 C.N.L.R. 15; 32 L.C.R. 65; 58 N.R. 241 (C.A.); Bande Alexander (no 134) c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1991] 2 C.F. 3; [1991] 2 C.N.L.R. 22; (1990), 39 F.T.R. 142 (1re inst.); C. (C.D.) v. Starzecki, [1996] 2 W.W.R. 317; (1995), 44 C.P.C. (3d) 319 (B.R. Man.); Bande indienne de Lower Kootenay c. Canada, [1992] 2 C.N.L.R. 54; (1991), 42 F.T.R. 241 (C.F. 1re inst.); Central Trust Co. c. Rafuse, [1986] 2 R.C.S. 147; (1986), 75 N.S.R. (2d) 109; 31 D.L.R. (4th) 481; 186 A.P.R. 109; 34 B.L.R. 187; 37 C.C.L.T. 117; 42 R.P.C. 161; M. (K.) c. M. (H.), [1992] 3 R.C.S. 6; (1992), 96 D.L.R. (4th) 289; 14 C.C.L.T. (2d) 1; 142 N.R. 321; 57 O.A.C. 321.

doctrine

Finn, P. D. "The Fiduciary Principle" in Youdan, T. G. (ed.). Equity, Fiduciaries and Trusts . Toronto: Carswell, 1989.

Indian Treaties and Surrender. Ottawa: Imprimeur de la Reine, 1957.

Macklem, P. "Aboriginal Rights and State Obligations" (1997), 36 Alta. L.R. 97.

Rotman, L. I. Parallel Paths: Fiduciary Doctrine and the Crown-Native Relationship in Canada. Toronto: University of Toronto Press, 1996.

ACTION en violation d'une obligation fiduciaire intentée par les membes de la bande indienne de Fairford par suite de grosses inondations causées par la construction d'un barrage dans la réserve indienne de Fairford, au Manitoba. Action accueillie en partie.

ont comparu:

E. Anthony Ross et Kevin J. Scullion pour les demandeurs.

Craig J. Henderson, Sidney R. Restall et Brian H. Hay pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Harris & Harris, Etobicoke (Ontario) pour les demandeurs.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

NOTE DE L'ARRÊTISTE

Le directeur général a décidé que la présente décision devrait être publiée dans le Recueil des arrêts de la Cour fédérale étant donné qu'elle renferme un examen exhaustif de l'obligation fiduciaire que la Couronne a envers les bandes indiennes, dans ce cas-ci la Première nation de Fairford, qui habite dans la réserve indienne de Fairford, au Manitoba. Le juge a mentionné à maintes reprises des décisions importantes de la Cour suprême du Canada se rapportant à l'obligation fiduciaire qui incombe à la Couronne dans le contexte autochtone. Toutefois, il a été décidé qu'une partie seulement de la décision devait être publiée et que certains passages des motifs du jugement de 154 pages, dans lesquels les faits et la preuve documentaire étaient examinés à fond, seraient omis et remplacés par des notes de l'arrêtiste.

Le juge Rothstein:

1. APERÇU

Il s'agit d'une action en violation d'obligation fiduciaire intentée par les membres de la bande indienne de Fairford1 contre le gouvernement du Canada. En 1960 et 1961, le gouvernement du Manitoba, à la connaissance du Canada et avec son aide financière, a construit l'ouvrage de régularisation des eaux de la rivière Fairford (l'ouvrage de régularisation des eaux ou l'ouvrage, un barrage) et a approfondi le chenal de la rivière Fairford, qui coule le long de la réserve indienne de Fairford et se déverse dans le lac St-Martin, au centre du Manitoba. L'ouvrage de régularisation des eaux était destiné à régulariser le niveau des eaux du lac Manitoba, en amont de la réserve de Fairford.

En 1967 et par la suite, pendant de nombreuses années, les eaux de la rivière Fairford et du lac St-Martin ont causé de grosses inondations dans la réserve de Fairford2. Le Manitoba a reconnu sa responsabilité à cet égard. Il a initialement indemnisé la bande de Fairford chaque année pour la perte de foin résultant de l'inondation des champs de foin. Le Manitoba et la bande ont par la suite engagé des négociations en vertu desquelles le Manitoba devait remettre des terres à la bande (les terres de remplacement) pour l'indemniser des terres qui étaient inondées.

En 1974, la bande a signé un accord tripartite (l'accord d'indemnisation de 1974, l'accord d'indemnisation, l'accord de 1974 ou l'accord) par lequel elle convenait d'accepter des terres de remplacement d'une superficie de 5 771,91 acres et de libérer le Manitoba de toute responsabilité additionnelle à l'égard des inondations3. Par le décret 1398/76, le Manitoba a autorisé le transfert des terres de remplacement conformément à l'accord. En 1977, l'accord a été envoyé au Canada en sa qualité de propriétaire en common law de la réserve de Fairford aux fins de sa ratification. Le Canada a refusé de ratifier l'accord, et ce, pour un certain nombre de raisons. Initialement, sa seule objection était que la bande de Fairford ne pouvait pas être partie à l'accord et que le transfert des terres devait être effectué en faveur de Sa Majesté la Reine du chef du Canada. Par la suite, d'autres objections concernant le fond de l'accord ont été soulevées.

La preuve indique que les membres de la bande ont pu utiliser une partie des terres de remplacement à compter de 1975. En 1979, les membres de la bande occupaient les terres de remplacement même si celles-ci n'avaient pas encore été transférées à Sa Majesté et même si elles ne faisaient pas légalement partie de la réserve.

En 1984, le Canada a commencé à se concentrer sur d'autres lacunes de l'accord de 1974. Une lacune importante était que l'accord ne prévoyait pas le niveau maximal d'inondation. Il y a alors eu entre le Manitoba et le Canada d'autres discussions dont la bande de Fairford a de temps en temps été informée. Le Manitoba a d'abord refusé d'envisager de modifier l'accord. Toutefois, il a finalement convenu de certaines modifications. Il reconnaissait notamment la nécessité d'établir un niveau maximal d'inondation. En fin de compte, le Manitoba a convenu que les terres de remplacement devaient être considérées comme visant à indemniser la bande en partie seulement. La chose a été consignée dans un protocole d'entente entre le Canada et le Manitoba daté du 13 décembre 1990. Finalement, par le décret fédéral 1992/430, le Canada a accepté le transfert des terres de remplacement et les a mises de côté en tant qu'additions à la réserve indienne de Fairford no 50. Le Canada n'a jamais signé l'accord de 1974.

La bande de Fairford ne croyait pas que les terres de remplacement étaient suffisantes pour indemniser complètement ses membres des pertes subies. Elle a donc décidé d'intenter la présente action contre Sa Majesté la Reine du chef du Canada; elle a déposé sa déclaration le 15 septembre 1993. Même si les demandeurs ont concédé que le Manitoba est à l'origine de leurs problèmes, ils soutiennent que le Canada est responsable de la perte et du préjudice subis parce qu'il avait une obligation fiduciaire envers la bande de Fairford. La bande n'a pas intenté d'action contre le Manitoba4.

2. LA DEMANDE

Les demandeurs affirment que les membres de la bande de Fairford ont subi une perte par suite de la violation des obligations fiduciaires que le Canada avait, selon eux, envers la bande en ce qui concerne l'ouvrage de régularisation des eaux (et d'autres questions). Les obligations et violations précises seront énoncées en détail ci-dessous. Les pertes qu'auraient subies les membres de la bande comprenaient la perte de champs de foin, qui avait eu un impact négatif sur l'agriculture dans la réserve, et la destruction de l'habitat naturel, qui avait eu un impact négatif sur la possibilité pour les membres de la bande de se livrer à leurs activités de chasse, de pêche et de piégeage, tant dans la réserve qu'en dehors de la réserve. Les demandeurs affirment également que des maladies comme la dysenterie sont apparues et que l'eau a été contaminée. En plus de la perte financière directe qu'ils affirment avoir subie, les demandeurs disent que la violation par le Canada de ses obligations fiduciaires a entraîné une perte d'autonomie des membres de la bande, et a notamment occasionné une hausse de l'alcoolisme, de la toxicomanie, des maladies mentales ou des troubles de détresse, des querelles au sein de la collectivité ainsi qu'une hausse du chômage et de la dépendance envers l'aide sociale. Par suite des pertes subies, les demandeurs sollicitent des dommages-intérêts généraux et spéciaux, et notamment des dommages-intérêts pour la perte financière qu'ils ont subie et des dommages-intérêts futurs ainsi que des dommages-intérêts punitifs et exemplaires.

Les parties ont convenu, et la Cour a déclaré, que les demandeurs n'ont pas à établir strictement le montant des dommages-intérêts au stade de l'instance où la question de la responsabilité est en jeu. Cette décision traite uniquement de la question de la responsabilité5.

3. LA PREUVE

Les témoignages oraux présentés par les demandeurs étaient composés des témoignages d'un certain nombre de membres de la bande, d'un ancien agent des Indiens qui s'occupait de la bande de Fairford au début des années 1960 ainsi que de deux témoins qui ont été cités à titre d'experts. La preuve présentée par les demandeurs se rapportait essentiellement aux changements néfastes que les membres de la bande attribuaient à l'ouvrage de régularisation des eaux, aux rapports entre le Canada et la bande et aux souvenirs que certains membres de la bande gardaient de divers événements qui s'étaient produits pendant la période pertinente. Le témoignage d'expert de L. G. Chambers, de Wardrop Engineering Inc., était composé d'une étude hydrologique préliminaire de la réserve et d'un bref examen de l'infrastructure de la réserve avant et après la construction de l'ouvrage de régularisation des eaux. Le témoignage d'expert d'A. Brian Ransom était composé d'une étude de l'impact des inondations dans la réserve en 1995. Ce rapport comportait un historique du projet concernant l'ouvrage de régularisation des eaux et des inondations dans la réserve, et il était en particulier fait mention des négociations qui avaient eu lieu entre la bande de Fairford et la province du Manitoba dans les années 1970 à l'égard des terres de remplacement.

Dans ses témoignages oraux, le défendeur donnait des explications au sujet de certains événements, en particulier de ceux qui se rapportaient à la tentative que le Canada avait faite pour que le Manitoba consente à modifier l'accord d'indemnisation de 1974. Deux experts ont également été appelés à témoigner au sujet de la question des limites de la réserve de Fairford par rapport à la rivière Fairford et de la question de savoir si l'ouvrage de régularisation des eaux était en partie construit sur des terres de la réserve ou entièrement sur des terres publiques provinciales.

En contre-preuve, les demandeurs ont produit un témoin qui a déposé au sujet de la question des limites de la réserve de Fairford par rapport à la rivière Fairford et au lac St-Martin.

En plus des témoignages oraux, les parties ont soumis un exposé conjoint des faits ainsi qu'une douzaine de volumes renfermant plus de 800 documents datant de l'année 1871 jusqu'au début des années 1990. Ce sont surtout dans ces documents que figurent les faits se rapportant à la planification et à la construction de l'ouvrage de régularisation des eaux, aux négociations qui ont eu lieu entre la bande et le Manitoba après l'inondation de 1967, à l'accord de 1974 ainsi qu'aux discussions et négociations se rapportant aux modifications que le Canada voulait apporter à l'accord.

L'audience a commencé à Edmonton le 6 mars 1997; l'interrogatoire des témoins a duré deux jours. L'audience s'est ensuite poursuivie à Winnipeg, du 5 janvier 1998 au 4 février 1998, l'interrogatoire des témoins couvrant 16 autres jours. La présentation des plaidoyers, qui a débuté le 17 février et a pris fin le 27 mars 1998, a duré 12 jours et, le 20 avril 1998, le défendeur a présenté un plaidoyer écrit final au sujet de la question de la prescription.

4. OBLIGATIONS FIDUCIAIRES ET VIOLATIONS ALLÉGUÉES PAR LES DEMANDEURS

L'approche que les demandeurs ont adoptée en ce qui concerne le droit était de nature générale. Les demandeurs semblaient soutenir que la Couronne a une obligation fiduciaire générale continue de protéger les droits ancestraux. Compte tenu de la jurisprudence bien connue établie par la Cour suprême du Canada, à savoir les arrêts Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335, et R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, ainsi que d'autres arrêts, les demandeurs accumulent les remarques qui ont été faites au sujet de l'obligation fiduciaire, lesquelles, considérées dans leur ensemble, allèguent-ils, étayent en l'espèce l'existence d'obligations fiduciaires de la part de la Couronne envers la bande de Fairford. Ils entremêlent divers faits s'échelonnant sur une période de plus de 34 ans, de 1958, période pendant laquelle on planifiait activement la construction de l'ouvrage de régularisation des eaux, jusqu'à 1993. Ils disent que la Couronne est responsable de toutes les pertes qu'ils ont subies depuis que l'ouvrage de régularisation des eaux a été construit et que [traduction] "le Canada a violé à maintes reprises les obligations fiduciaires qu'il avait envers la première nation de Fairford. Ces violations ont non seulement été commises dans de nombreux cas précis, mais un grand nombre d'entre elles sont aussi d'une "nature continue"". Les demandeurs énumèrent ensuite des obligations précises et des cas précis de violation. Il sera utile d'analyser chacune de ces obligations et violations dans l'ordre établi par les demandeurs. Les obligations et violations alléguées sont en général citées exactement de la même façon que les demandeurs l'ont fait dans leur documentation.

4.A. La Couronne a-t-elle violé l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers la bande de Fairford "aux stades de la planification et de l'approbation de l'ouvrage de régularisation des eaux de 1960 compte tenu du rapport de 1948 et de la participation à l'étude de 1958, dans laquelle on omettait de tenir compte des intérêts juridiques et pratiques de la première nation de Fairford, et en s'engageant à financer le projet sans s'occuper des intérêts de la première nation de Fairford"?

4.A.1. La position des demandeurs

Les demandeurs soutiennent que le Canada avait une obligation fiduciaire envers la bande de Fairford pour ce qui est de sa participation à la planification, à l'approbation et au financement du projet concernant l'ouvrage de régularisation des eaux. Ils caractérisent les décisions du Canada à l'égard de la planification, de l'approbation et du financement de l'ouvrage comme s'il avait exercé un pouvoir discrétionnaire au détriment d'une bande indienne vulnérable. Ils disent que les circonstances ont donné naissance à une obligation fiduciaire de la part du Canada de tenir compte des effets de l'ouvrage sur les droits de la bande de Fairford, de s'assurer qu'il n'y ait pas d'inondations et d'autres effets néfastes et, par conséquent, de refuser de permettre la construction de l'ouvrage de régularisation des eaux. Dans leur mémoire des faits et du droit, les demandeurs disent ceci:

[traduction] Lorsque le Canada a convenu de financer le projet à 50 p. 100, il a assuré que l'ouvrage de régularisation des eaux serait construit. Il a donné son approbation avant même qu'on envisage d'entamer des discussions avec la première nation de Fairford et avant d'aviser cette dernière à ce sujet. Le Canada a accepté, tacitement du moins, que l'ouvrage de régularisation des eaux soit construit sans exiger que des dispositions soient prises en vue d'assurer le respect et la protection des droits de la première nation de Fairford, et de fait, c'est ce qui s'est produit.

Le Canada savait alors, ou aurait dû savoir, que la construction et l'exploitation de l'ouvrage de régularisation des eaux risquaient de gêner l'utilisation de la réserve de Fairford par la première nation, et porteraient notamment atteinte aux droits ancestraux, aux droits issus de traités ou aux droits constitutionnels permettant à la bande de se livrer à des activités de chasse, de pêche et de piégeage et d'observer d'autres coutumes et pratiques traditionnelles sur les terres de la réserve et sur les terres publiques voisines inoccupées.

4.A.2. Les faits

Au début et au milieu des années 1950, il y a eu au Manitoba de grosses inondations printanières. En 1955, le premier ministre de l'époque, Douglas L. Campbell, a demandé au gouvernement du Canada d'effectuer une étude préliminaire des principales rivières et des principaux lacs du Manitoba en vue de l'élaboration d'un programme global de prévention des crues. Le Canada avait intérêt à effectuer pareille étude étant donné que, par le passé, il s'était vu obligé de secourir le Manitoba.

Par une entente conclue entre le Manitoba et le Canada le 5 juillet 1956, la Commission des lacs Winnipeg et Manitoba a été établie et son mandat a été énoncé. La Commission était composée de représentants des deux gouvernements. Les paragraphes 4, 5 et 6 du mandat prévoyaient ceci:

[traduction] 4. [. . .] La Commission planifiera, supervisera et effectuera une étude des lacs Winnipeg et Manitoba ainsi que des cours d'eau du Manitoba se versant dans ces lacs ou ayant leur source dans ces lacs; elle déterminera quels projets d'aménagement et de régularisation de ces cours d'eau sembleraient, à son avis, réalisables, notamment en ce qui concerne a) la prévention des crues et b) l'énergie hydro électrique, et fera rapport à ce sujet.

5. Si la Commission conclut que certains ouvrages et projets ou certaines mesures de contrôle sont faisables à l'une des fins énoncées ci-dessus ou aux deux fins énoncées ci-dessus, elle indiquera à quels égards d'autres intérêts (publics ou privés) seraient touchés, et ce, que ce soit d'une façon favorable ou d'une façon défavorable.

6. La Commission pourra soumettre des rapports provisoires aux deux gouvernements, et elle présentera un rapport final sur ses conclusions au plus tard le 1er juillet 1958. Les rapports ne porteront que sur des faits et avis concernant l'aspect technique, mais ils renfermeront des estimations du coût des mesures jugées faisables et pourront renfermer des estimations du coût et du temps jugés nécessaires pour effectuer des études détaillées précises à l'égard des divers projets et ouvrages de régularisation qui y sont mentionnés et que le Manitoba jugera opportun, à la suite d'un examen, de réaliser. L'étude et les rapports ne porteront que sur les questions susmentionnées et ne renfermeront pas d'évaluations coût-bénéfice6.

Le rapport de la Commission des lacs Winnipeg et Manitoba sur les mesures à prendre aux fins de la régularisation des eaux des lacs Winnipeg et Manitoba a été rendu public en juin 1958. Pour atténuer les effets de l'inondation des terres en bordure du lac Manitoba, on recommandait la construction de l'ouvrage de régularisation des eaux de la rivière Fairford et l'approfondissement du chenal de la rivière Fairford. On cherchait ainsi à régulariser le niveau des eaux du lac Manitoba de façon qu'il soit de 811 à 813 pieds au-dessus du niveau de la mer.

Le Canada a également fourni au Manitoba de l'aide financière en vue de la construction de l'ouvrage. Il devait prendre en charge la moitié des coûts jusqu'à un maximum de 300 000 $.

Aux fins de l'aide financière, le Canada devait approuver des questions telles que l'emplacement, la faisabilité de la voie sur le plan technique, et la méthode de construction que le Manitoba se proposait d'employer. Ces questions sont énoncées dans un mémoire du gouvernement fédéral daté du 22 janvier 1960:

[traduction] Dans tous les cas où le gouvernement fédéral finance le coût d'un projet, il est essentiel qu'un examen technique de toutes les données relatives au projet soit effectué de façon qu'il soit possible de déterminer si le projet est faisable et s'il est souhaitable de le réaliser. Cet examen est nécessaire quelle que soit la mesure dans laquelle le Canada finance le projet. En vertu de la Loi canadienne sur l'aide à la conservation des eaux, l'examen des données relatives au projet est effectué par des ingénieurs de la Direction des ressources en eau avant que le ministère approuve le projet.

Le Canada semble avoir donné pareille approbation.

Toutefois, le Manitoba possédait, exploitait et contrôlait l'ouvrage de régularisation des eaux. Il s'agissait d'un projet du gouvernement provincial, fait qui est confirmé par une lettre datée du 3 janvier 1961, de G. L. MacKenzie, directeur, Rétablissement agricole des Prairies, ministère de l'Agriculture du Canada, à J. A. Griffiths, directeur, Régularisation et conservation des eaux, ministère de l'Agriculture et de la Conservation du Manitoba. Voici ce que dit M. MacKenzie:

[traduction] En ce qui concerne la section 3 de votre deuxième paragraphe, je ne crois pas que le Canada doive être tenu responsable de l'entretien ou de la responsabilité civile. Il s'agit d'un projet de votre gouvernement et nous ne faisons que financer une partie des coûts tel qu'il est prévu dans le décret C.P. 1960-1/1461. Ce projet ne ressemble en rien au projet des ouvrages de la rivière Saskatchewan sud, qui est un projet national relevant du gouvernement fédéral en vertu d'une entente spéciale. Le responsable devrait être celui qui exerce un contrôle sur le projet.

Rien ne montre que le Canada ait participé de quelque façon à l'ouvrage de régularisation des eaux ou qu'il ait exercé un contrôle, si ce n'est le fait qu'il a participé à l'étude, qu'il a donné son approbation sur le plan technique et qu'il a financé le projet, aux fins de sa réalisation.

4.A.3. Analyse de l'obligation fiduciaire

4.A.3.a. Paragraphe 18(1) de la Loi sur les Indiens

Pour étayer l'argument selon lequel le Canada a agi à titre de fiduciaire pour ce qui est de sa participation à l'étude, à la planification et à l'approbation de l'ouvrage de régularisation des eaux, les demandeurs se fondent sur le paragraphe 18(1) de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, qui prévoit ceci:

18. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, Sa Majesté détient des réserves à l'usage et au profit des bandes respectives pour lesquelles elles furent mises de côté; sous réserve des autres dispositions de la présente loi et des stipulations de tout traité ou cession, le gouverneur en conseil peut décider si tout objet, pour lequel des terres dans une réserve sont ou doivent être utilisées, se trouve à l'usage et au profit de la bande.

Les demandeurs soutiennent que le Canada était tenu, en vertu du paragraphe 18(1), de ne pas agir de façon à gêner l'utilisation de la réserve par la bande et qu'en participant à l'ouvrage, il a violé cette obligation.

L'argument invoqué par les demandeurs soulève la question de savoir si, lorsque Sa Majesté détient la réserve de Fairford à l'usage et au profit de la bande, naît une obligation fiduciaire de protéger la bande et la réserve contre les effets néfastes de l'exploitation de l'ouvrage de régularisation des eaux.

Les demandeurs se fondent fortement sur l'opinion incidente exprimée par le juge Wilson dans l'arrêt Guerin, précité, aux pages 349 et 350:

Je crois qu'en disposant que les réserves seront détenues par Sa Majesté à l'usage et au profit des bandes pour lesquelles elles sont mises de côté, l'art. 18 fait plus que donner une directive administrative à Sa Majesté. Je crois qu'il s'agit de la reconnaissance d'une réalité historique, savoir que les Indiens ont un droit de bénéficiaire sur leurs réserves et qu'il incombe à Sa Majesté de protéger ce droit et de s'assurer que les fins auxquelles les terres des réserves sont utilisées ne portent pas atteinte à ce droit. Cela ne signifie pas que, soit historiquement soit en vertu de l'art. 18, Sa Majesté détient les terres en fiducie pour les bandes. Les bandes n'ont pas la propriété absolue des terres; leur droit est limité. C'est cependant un droit auquel Sa Majesté ne peut porter atteinte ou qu'elle ne peut diminuer par l'utilisation des terres à des fins incompatibles avec le titre indien, à moins évidemment que les Indiens y consentent. Je crois que, dans ce sens, Sa Majesté a une obligation de fiduciaire envers les bandes indiennes relativement à l'utilisation qui peut être faite des terres des réserves, et que l'art. 18 constitue une reconnaissance légale de cette obligation. Par conséquent, je suis d'avis que, bien que Sa Majesté ne détienne pas les terres des réserves en fiducie pour les bandes en vertu de l'art. 18 de la Loi, parce que les droits des bandes sont limités par la nature du titre indien, elle les détient sous réserve de l'obligation qui incombe au fiduciaire de protéger et préserver les droits des bandes contre l'extinction ou l'empiétement. [Je souligne.]

En se fondant sur cette remarque, les demandeurs soutiennent que le paragraphe 18(1) imposait au Canada l'obligation de ne pas permettre la construction de l'ouvrage de régularisation des eaux.

Dans l'arrêt Guerin, précité, le juge Wilson a prononcé des motifs au nom de trois juges. Le juge Dickson (tel était alors son titre) a prononcé des motifs au nom de quatre juges. L'approche adoptée par le juge Dickson consistait à associer l'obligation fiduciaire de la Couronne au droit unique en son genre que les Indiens ont sur leurs terres et à l'inaliénabilité de ces terres sauf par cession à la Couronne. À la page 376, le juge dit ceci:

Le rapport fiduciaire entre Sa Majesté et les Indiens découle du concept du titre aborigène, autochtone ou indien. Cependant, le fait que les bandes indiennes possèdent un certain droit sur des terres n'engendre pas en soi un rapport fiduciaire entre les Indiens et Sa Majesté. Pour conclure que Sa Majesté est fiduciaire, il faut aussi que le droit des Indiens sur les terres soit inaliénable, sauf dans le cas d'une cession à Sa Majesté.

Il est interdit à une bande indienne de céder son droit directement à un tiers. La vente ou la location de terres ne peut avoir lieu qu'à la suite d'une cession et c'est alors Sa Majesté qui agit au nom de la bande. C'est dans la Proclamation royale de 1763 que Sa Majesté a pour la première fois endossé cette responsabilité qui lui est encore reconnue dans les dispositions de la Loi sur les Indiens relatives aux cessions. L'exigence d'une cession et la responsabilité qui en découle ont pour effet d'imposer à Sa Majesté une obligation de fiduciaire distincte envers les Indiens. [Je souligne.]

Le fait qu'une obligation fiduciaire n'existe qu'en cas de cession a en outre été renforcé à la page 382:

Il est vrai que le droit sui generis des Indiens sur leurs terres est personnel en ce sens qu'il ne peut être transféré à un cessionnaire, mais il est également vrai, comme nous allons le constater plus loin, que ce droit, lorsqu'il est cédé, a pour effet d'imposer à Sa Majesté l'obligation de fiduciaire particulière d'utiliser les terres au profit des Indiens qui les ont cédées [. . .] Le droit des Indiens se distingue donc surtout par son inaliénabilité générale et par le fait que Sa Majesté est tenue d'administrer les terres pour le compte des Indiens lorsqu'il y a eu cession de ce droit. Toute description du titre indien qui va plus loin que ces deux éléments est superflue et risque d'induire en erreur. [Je souligne.]

Selon le juge Dickson, le paragraphe 18(1) avait pour effet de conférer à la Couronne l'obligation de protéger les droits des Indiens dans des opérations avec des tiers. À cette fin, une fois les terres cédées, la Couronne se voyait conférer le pouvoir discrétionnaire de décider elle-même ce qui était vraiment le plus avantageux pour les Indiens. Le juge fait la remarque suivante aux pages 383 et 384:

Cette exigence d'une cession vise manifestement à interposer Sa Majesté entre les Indiens et tout acheteur ou locataire éventuel de leurs terres, de manière à empêcher que les Indiens se fassent exploiter. Cet objet ressort nettement de la Proclamation royale elle-même qui porte, au début de la disposition qui fait de Sa Majesté un intermédiaire, "qu'il s'est commis des fraudes et des abus dans les achats de terres des sauvages au préjudice de Nos intérêts et au grand mécontentement de ces derniers [. . .]" En confirmant dans la Loi sur les Indiens cette responsabilité historique de Sa Majesté de représenter les Indiens afin de protéger leurs droits dans les opérations avec des tiers, le Parlement a conféré à Sa Majesté le pouvoir discrétionnaire de décider elle-même ce qui est vraiment le plus avantageux pour les Indiens. Tel est l'effet du par. 18(1) de la Loi.

Ce pouvoir discrétionnaire, loin de supplanter comme le prétend Sa Majesté, le droit de regard qu'ont les tribunaux sur les rapports entre Sa Majesté et les Indiens, a pour effet de transformer l'obligation qui lui incombe en une obligation de fiduciaire. [Je souligne.]

C'est l'approche que le juge Dickson a adoptée à l'égard du rapport fiduciaire existant entre la Couronne et les Autochtones qui fait autorité et qui a été adoptée dans les arrêts subséquents. Voir Bande indienne des Opetchesaht c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 119; Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010; Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 R.C.S. 344; R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507; Roberts c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 322; Bande indienne de Semiahmoo c. Canada, [1998] 1 C.F. 3 (C.A.); Bande de la première nation des Chippewas de Nawash c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) (1996), 11 Admin. L.R. (2d) 232 (C.F. 1re inst.).

Ainsi, dans l'affaire Blueberry, précitée, les bandes avaient soutenu qu'étant donné que la Couronne détient le titre relatif aux terres de la réserve, elle est investie de certains pouvoirs à l'égard de ces terres et elle doit les exercer à titre de fiduciaire, pour le compte de la bande concernée. Les bandes avaient soutenu que pareille obligation fiduciaire était conforme au ton paternaliste de la Loi sur les Indiens. En rejetant cette idée, le juge McLachlin7 a dit ceci, aux pages 370 et 371:

[. . .], les dispositions de la Loi des Indiens relatives à la cession des réserves des bandes établissent un équilibre entre les deux pôles extrêmes que constituent l'autonomie et la protection. Il fallait que la bande visée consente à la cession de sa réserve, à défaut de quoi celle-ci ne pouvait pas être vendue. Par ailleurs, il fallait également que la Couronne, par l'intermédiaire du gouverneur en conseil, consente à la cession. L'exigence que la Couronne consente à la cession n'avait pas pour objet de substituer la décision de cette dernière à celle des bandes, mais plutôt d'empêcher que celles-ci se fassent exploiter.

[. . .]

Bref, l'obligation de la Couronne se limitait à prévenir les marchés abusifs.

Rien n'indique dans les arrêts qu'une obligation fiduciaire prend naissance du simple fait que Sa Majesté détient les terres de la réserve à l'usage et au profit d'une bande indienne conformément au paragraphe 18(1).

Cela ne veut pas pour autant dire que les auteurs n'ont pas critiqué la pratique uniforme des tribunaux, à la suite de la décision rendue dans l'affaire Guerin, de souscrire à l'approche préconisée par le juge Dickson. Voir par exemple Leonard Ian Rotman, Parallel Paths: Fiduciary Doctrine and the Crown-Native Relationship in Canada (Toronto: University of Toronto Press, 1996), aux pages 104 à 110. Toutefois, rien n'indique que les tribunaux aient dérogé à cette approche.

4.A.3.b. R. c. Sparrow

À la lumière de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Sparrow, précitée, il a également été soutenu qu'une obligation fiduciaire prend naissance dès que, par suite d'une mesure gouvernementale, les droits ancestraux sont éteints, c'est-à-dire que la cession n'est pas une condition nécessaire. Dans "Aboriginal Rights and State Obligations" (1997), 36 Alta. L.R.  97, Patrick Macklem dit ceci, à la page 112:

[traduction] Premièrement, l'arrêt Sparrow montre qu'à l'avis conservateur selon lequel les obligations fiduciaires prennent naissance seulement si des terres autochtones sont volontairement cédées, il faut ajouter l'avis plus large selon lequel ces obligations prennent également naissance lorsque les droits ancestraux sont unilatéralement éteints. Si la Couronne a envers le peuple autochtone des obligations fiduciaires lorsqu'elle s'ingère unilatéralement dans l'exercice des droits ancestraux, elle a a fortiori certaines obligations fiduciaires, du moins depuis 1982, lorsqu'elle éteint unilatéralement les droits ancestraux.

Dans l'affaire Sparrow, l'article 34 de la Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, ch. F-14, était contesté pour le motif qu'il allait à l'encontre des droits ancestraux reconnus et confirmés par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]8. La Cour suprême a statué que lorsque pareilles dispositions législatives sont édictées, la Couronne est tenue de justifier tout effet préjudiciable sur les droits ancestraux protégés par le paragraphe 35(1). La Cour a statué que cette exigence, en ce qui concerne la justification, reconnaît l'idée selon laquelle "la Couronne doit être tenue au respect d'une norme élevée"celle d'agir honorablement"dans ses rapports avec les peuples autochtones du Canada, comme le laisse entendre l'arrêt Guerin c. La Reine , précité" (page 1109). À part le fait de reconnaître que la Couronne est tenue de justifier la violation législative des droits ancestraux reconnus et confirmés par le paragraphe 35(1), je n'interprète pas la décision que la Cour suprême a rendue dans l'affaire Sparrow comme ajoutant quoi que ce soit aux conclusions tirées par le juge Dickson dans l'affaire Guerin à l'égard du droit des obligations fiduciaires dans le contexte autochtone, ou comme dérogeant à ces conclusions.

4.A.3.c. Union of Nova Scotia Indians c. Canada (Procureur général)

Les demandeurs citent également l'opinion incidente exprimée par le juge MacKay dans la décision Union of Nova Scotia Indians c. Canada (Procureur général), [1997] 1 C.F. 325 (1re inst.). Ils disent que cette décision étaye la thèse selon laquelle le Canada a une obligation fiduciaire générale de ne pas permettre qu'il y ait des effets négatifs injustifiés sur les droits ancestraux.

Dans l'affaire Union, la Cour effectuait le contrôle judiciaire d'une évaluation environnementale. À un moment donné, les Indiens Micmac avaient allégué qu'il y avait iniquité procédurale parce que les défendeurs n'avaient pas demandé aux demandeurs de signer un document relatif à l'examen préliminaire avant d'entreprendre un projet d'amélioration d'un chenal. Les demandeurs avaient allégué que la Couronne avait ainsi omis de s'acquitter de l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers les Indiens Micmac compte tenu des dispositions énoncées dans la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37 (LCEE).

À la page 339, le juge MacKay a fait remarquer que bien que la nature de l'obligation fiduciaire en question n'ait pas été énoncée dans l'argumentation:

[. . .] elle comporterait au moins le fait de ne pas permettre que s'exercent des effets négatifs injustifiés sur des droits autochtones permanents.

Aux pages 349 et 350, le juge conclut ce qui suit:

Comme je l'ai indiqué plus tôt, je conclus que les personnes agissant pour le compte des ministres concernés ont omis d'évaluer les effets négatifs éventuels du projet sur l'usage des ressources halieutiques des lacs Bras d'Or par les Micmacs à des fins traditionnelles, c'est-à-dire, alimentaires. Ainsi que je l'ai signalé plus tôt, la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse a clairement confirmé cet usage. Il s'agit d'un droit des Autochtones, que les personnes agissant au nom de Sa Majesté se trouvent dans l'obligation fiduciaire de protéger contre les effets négatifs injustifiés du projet, et je suis arrivé à la conclusion que les personnes agissant pour le compte des ministres concernés ont omis de prendre en considération l'obligation fiduciaire qui était requise en l'espèce. Ces omissions constituaient un cas d'inéquité procédurale et des erreurs de droit. [Je souligne.]

En l'espèce, les demandeurs se fondent sur ces remarques pour étayer l'allégation selon laquelle le Canada avait une obligation similaire de ne pas permettre que l'ouvrage de régularisation des eaux ait un effet négatif sur les droits de la bande de Fairford.

En vertu de l'alinéa 16(1)a) de la LCEE, il doit être tenu compte, dans le rapport d'examen préalable, des "effets environnementaux du projet". L'expression "effets environnementaux" est définie comme suit au paragraphe 2(1):

2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

[. . .]

"effets environnementaux" [. . .] les changements que la réalisation d'un projet risque de causer à l'environnement [. . .] sont comprises parmi les changements à l'environnement les répercussions de ceux-ci soit en matière sanitaire et socio-économique, soit sur l'usage courant de terres et de ressources à des fins traditionnelles par les autochtones, soit sur une construction, un emplacement ou une chose d'importance en matière historique, archéologique, paléontologique ou architecturale. [Je souligne.]

En décrivant l'obligation du gouvernement, le juge MacKay dit ceci, à la page 342:

Il a été allégué pour le compte des requérantes qu'en vertu de la LCEE, ces dernières, en qualité de représentantes des Autochtones, ont un rôle spécial à jouer dans le processus d'évaluation environnementale, et ce, du fait de la Loi elle-même et de l'obligation fiduciaire à leur endroit. Je n'en suis pas convaincu. Il est clair toutefois que la LCEE exige que l'on évalue tout effet d'un changement environnemental sur l'usage courant de leurs droits sur les ressources halieutiques des lacs Bras d'Or à des fins traditionnelles. [Je souligne.]

À mon avis, les demandeurs ont interprété la remarque incidente que le juge MacKay a faite dans la décision Union au delà du contexte et du but visé. Je crois qu'en disant qu'il existait une obligation fiduciaire "de ne pas permettre que s'exercent des effets négatifs injustifiés sur des droits autochtones permanents", le juge MacKay se fondait sur l'exigence législative voulant qu'il soit tenu compte, dans le rapport, des effets de la réalisation d'un projet sur l'usage des terres et des ressources à des fins traditionnelles par les autochtones. Contrairement à ce que les demandeurs ont soutenu en l'espèce, je n'interprète pas les remarques du juge MacKay comme ayant établi l'existence d'une obligation générale primordiale incombant à la Couronne.

4.A.3.d. Frame c. Smith

Je ne veux pas laisser entendre que l'obligation fiduciaire de la Couronne est limitée à la cession des terres indiennes, mais il doit exister des circonstances donnant lieu à une obligation fiduciaire de la part de la Couronne. Dans l'arrêt Semiahmoo, précité, à la page 22, le juge en chef Isaac, dit ceci:

Les ouvrages et arrêts portant sur les obligations fiduciaires établissent que les tribunaux doivent évaluer la relation particulière qui existe entre les parties afin de décider si elle donne lieu à une obligation fiduciaire et, dans l'affirmative, en vue de déterminer la nature et l'étendue de cette obligation.

Cela soulève la question de savoir si, indépendamment du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Indiens, les faits se rapportant à la participation de la Couronne à l'étude ainsi qu'à l'approbation et au financement de l'ouvrage de régularisation des eaux ont donné naissance à une obligation fiduciaire de la part de la Couronne.

En dehors des catégories de fiduciaires traditionnellement reconnues, à savoir le fiduciaire, le mandataire, etc., le juge Wilson, dans l'arrêt Frame c. Smith, [1987] 2 R.C.S. 99, à la page 136, a proposé un "guide rudimentaire" permettant de déterminer si l'imposition d'une obligation fiduciaire est appropriée:

Les rapports dans lesquels une obligation fiduciaire a été imposée semblent posséder trois caractéristiques générales:

(1) le fiduciaire peut exercer un certain pouvoir discrétionnaire.

(2) le fiduciaire peut unilatéralement exercer ce pouvoir discrétionnaire de manière à avoir un effet sur les intérêts juridiques ou pratiques du bénéficiaire.

(3) le bénéficiaire est particulièrement vulnérable ou à la merci du fiduciaire qui détient le pouvoir discrétionnaire.

Le juge Wilson prononçait des motifs dissidents dans l'arrêt Frame c. Smith, mais son guide "rudimentaire" a été largement adopté dans des arrêts subséquents.

4.A.3.e. Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd.

Dans l'arrêt Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574, le juge Sopinka, au nom de la majorité de la Cour (tout en étant dissident en partie en ce qui concerne la réparation qu'il convenait d'accorder, mais prononçant des motifs au nom de trois des cinq juges au sujet de la question du rapport fiduciaire) a adopté l'approche préconisée par le juge Wilson. Aux pages 599 et 600, il a ajouté ceci:

Il est possible de conclure qu'il y a des rapports fiduciaires, même si toutes ces caractéristiques ne sont pas présentes. Par ailleurs, leur présence n'est pas toujours concluante quant à l'existence de rapports fiduciaires.

Toutefois, il a ensuite fait remarquer que la seule exigence indispensable en ce qui concerne l'obligation fiduciaire était la dépendance ou la vulnérabilité:

Toutefois la seule caractéristique jugée indispensable à l'existence de rapports fiduciaires"la plus pertinente en l'espèce"est celle de la dépendance ou de la vulnérabilité. À ce propos, je souscris à l'avis exprimé par le juge Dawson dans l'affaire Hospital Products Ltd. v. United States Surgical Corp. , précitée, à la p. 488:

[traduction] Cependant, sous-jacente à tous les cas d'obligation fiduciaire est la notion que, de par la nature des rapports eux-mêmes, l'une des parties se trouve désavantagée ou vulnérable et, pour cette raison, fait confiance à l'autre partie et doit bénéficier en conséquence de la protection de l'equity qui fait appel à la conscience de cette autre partie [. . .]

À la page 607, le juge Sopinka a cité les remarques que le juge Wilson avait faites dans l'arrêt Frame, en décrivant ce qu'on entendait par vulnérabilité:

Cette vulnérabilité découle de l'incapacité du bénéficiaire (malgré ses meilleurs efforts) d'empêcher l'exercice abusif du pouvoir discrétionnaire combiné à la grave insuffisance ou à l'absence de tout autre recours juridique ou pratique pour réparer l'exercice injustifié du pouvoir discrétionnaire.

Avec les motifs que le juge Sopinka a prononcés au nom de la majorité dans l'arrêt Lac Minerals, le guide "rudimentaire" du juge Wilson fait autorité. Il a reconnu essentiellement que le rapport fiduciaire était défini à la fois par l'existence d'un pouvoir discrétionnaire de la part du fiduciaire et par la vulnérabilité du bénéficiaire. La vulnérabilité était une exigence essentielle, et elle signifiait que le bénéficiaire, malgré ses meilleurs efforts, ne pouvait pas empêcher l'exercice abusif du pouvoir discrétionnaire par le fiduciaire et que les autres recours juridiques ou pratiques étaient insuffisants ou absents.

4.A.3.f. Hodgkinson c. Simms"majorité"attentes raisonnables

La question de l'existence d'une obligation fiduciaire en dehors des catégories reconnues a de nouveau été examinée par la Cour suprême dans l'arrêt Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377. Cet arrêt s'écarte d'une façon notable du guide proposé par le juge Wilson dans l'arrêt Frame et de la définition de la vulnérabilité adoptée dans l'arrêt Lac Minerals.

Le juge La Forest, au nom de la majorité9, a statué que "[l]es lignes directrices du juge Wilson sont des indices qui aident à reconnaître une relation fiduciaire plutôt que les éléments qui la définissent". En outre, pour la première fois, la majorité des juges ont conclu que l'existence d'une obligation fiduciaire dépendait non de l'existence d'une vulnérabilité au sens attribué à ce mot par la majorité dans l'arrêt Lac Minerals , ou du genre de vulnérabilité décrit dans ce dernier arrêt, mais des attentes raisonnables des parties. À la page 409, le juge La Forest dit qu'il s'agit de savoir si:

[. . .] compte tenu de toutes les circonstances en présence, une partie pouvait raisonnablement s'attendre à ce que l'autre agisse dans l'intérêt de la première relativement au sujet en cause. La discrétion, l'influence, la vulnérabilité et la confiance étaient décrits comme des exemples non exhaustifs de facteurs probants dont il faut tenir compte lorsqu'on prend cette décision.

Le juge La Forest a également fait remarquer qu'il doit exister une entente mutuelle pour le compte des deux parties au sujet de cette attente raisonnable. Aux pages 409 et 410, il a dit ceci:

[. . .] lorsqu'on ne se trouve pas en présence des catégories établies, il faut faire la preuve que les parties ont mutuellement convenu que l'une d'elles renoncerait à agir dans son propre intérêt et accepterait d'agir seulement pour le compte de l'autre.

Le juge La Forest a conclu qu'une "approche fondée sur les attentes raisonnables" définissait un rapport fiduciaire dans le "contexte consultatif" où une partie affirmait avoir des connaissances spéciales et acceptait d'agir dans l'intérêt de l'autre partie en utilisant ces connaissances. Toutefois, à la page 410, il a fait remarquer que "pour qu'une relation puisse être qualifiée de fiduciaire, il doit exister davantage qu'un simple engagement par une partie de fournir des renseignements et d'exécuter les ordres de l'autre". Des éléments "comme la confiance, la confidentialité ainsi que la complexité et l'importance du sujet" devaient tous exister pour qu'il soit "raisonnable que la personne qui reçoit les conseils s'attende à ce que le conseiller exerce ses compétences spéciales dans son intérêt, à moins d'avis contraire".

4.A.3.g. Hodgkinson c. Simms"dissidence"une partie est assujettie au pouvoir de l'autre

L'opinion exprimée en dissidence par les juges Sopinka et McLachlin dans l'arrêt Hodgkinson doit également être examinée à la lumière des motifs prononcés par le juge Iacobucci. Celui-ci était d'accord avec le juge La Forest pour dire qu'il existait une obligation fiduciaire, mais il a continué à reconnaître le droit établi dans l'arrêt Lac Minerals en disant, à la page 480, qu'il préférait "traiter de l'arrêt Lac Minerals [. . .] en [s]e contentant de le distinguer de la présente affaire". Il laisse ainsi entendre que l'arrêt Lac Minerals fait encore autorité même si l'on ne sait pas exactement à quel genre d'affaires il s'applique. Il faut donc encore tenir compte de l'arrêt Lac Minerals.

Le rôle de la vulnérabilité dans une analyse fiduciaire était une question cruciale sur laquelle le juge La Forest d'une part et les juges Sopinka et McLachlin d'autre part différaient d'opinions dans l'arrêt Hodgkinson. Le juge La Forest était d'avis que la vulnérabilité n'était pas la "marque distinctive d'une relation fiduciaire", mais qu'elle constituait une indication importante de son existence (voir Hodgkinson , précité, à la page 405). Les juges Sopinka et McLachlin, conformément à l'avis exprimé par la majorité des juges au sujet de la question de la vulnérabilité dans l'arrêt Lac Minerals, étaient toujours d'avis que par vulnérabilité, on entendait que le bénéficiaire devait être assujetti au pouvoir du fiduciaire. Voici ce qu'ils ont dit, à la page 466:

On peut considérer que la vulnérabilité dans ce sens large possède les trois caractéristiques de la relation fiduciaire mentionnées dans l'arrêt Frame c. Smith. Elle comporte l'idée non seulement de la faiblesse de la partie dépendante, mais d'une relation dans laquelle une partie est assujettie au pouvoir de l'autre.

Ils ont fourni des explications supplémentaires, aux pages 467 et 468:

Des expressions comme "exercice unilatéral de pouvoir", "à la merci du pouvoir discrétionnaire de l'autre" et "a transmis ce pouvoir" laissent entendre que le bénéficiaire se fie entièrement au fiduciaire et dépend totalement de lui. À notre avis, ces expressions ne sont pas que du verbiage. Elles ont été utilisées délibérément par les tribunaux et les auteurs qui étaient soucieux du besoin de clarté et conscients des conséquences draconiennes de l'imposition d'une obligation fiduciaire. La confiance n'est pas une chose simple.

[. . .]

Cela est conforme aux notions de confiance et de loyauté qui sont au cœur même de l'obligation fiduciaire. Le mot "confiance" comporte l'idée d'un état de confiance absolue, l'idée de confier ses affaires à l'autre. L'obligation corrélative de loyauté découle de cette confiance absolue. Lorsqu'une partie conserve le pouvoir et la capacité de prendre ses propres décisions, l'autre partie peut avoir une obligation de diligence de ne pas présenter sous un faux jour la situation existante, sous peine de responsabilité en matière délictuelle ou pour négligence. Cependant, cette partie n'a aucun devoir de loyauté. Ce devoir supérieur n'existe que si la personne exerce un pouvoir unilatéral sur les affaires de l'autre personne, de sorte que cette dernière se trouve à la merci de son pouvoir discrétionnaire.

À la page 470, les juges ont limité la portée de la vulnérabilité en disant que la capacité de conserver un certain pouvoir décisionnel ne rend pas une partie vulnérable lorsqu'il s'agit de conclure à l'existence d'une obligation fiduciaire dans un cas donné:

Toutefois, aucun de ces raisonnements ne semblerait justifier l'imposition d'une obligation fiduciaire au conseiller en placements dans le cas où c'est le client qui conserve le pouvoir et la capacité de prendre les décisions dont il se plaint ultérieurement.

4.A.3.h. Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien)"cession d'un pouvoir au fiduciaire

Dans le contexte autochtone, les exigences, en ce qui concerne un rapport fiduciaire, ont de nouveau été examinées par le juge McLachlin dans l'arrêt Blueberry, précité. Dans sa décision, le juge a fait remarquer qu'en général, pour qu'une obligation fiduciaire prenne naissance, une partie doit avoir cédé son pouvoir à l'autre. Aux pages 371 et 372, le juge a dit ceci:

En règle générale, une obligation de fiduciaire prend naissance lorsqu'une personne possède un pouvoir unilatéral ou discrétionnaire à l'égard d'une question touchant une autre personne "particulièrement vulnérable": voir Frame c. Smith , [1987] 2 R.C.S. 99; Norberg c. Wynrib, [1992] 2 R.C.S. 226, et Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377. La partie vulnérable est tributaire de la partie qui possède le pouvoir unilatéral ou discrétionnaire, qui, à son tour, est obligée d'exercer ce pouvoir uniquement au profit de la partie vulnérable. La personne qui cède (ou, plus souvent, qui se trouve dans la situation où quelqu'un d'autre a cédé pour elle) son pouvoir sur quelque chose à une autre personne escompte que la personne à qui le pouvoir en question est cédé l'exercera avec loyauté et diligence. Cette notion est la pierre d'assise de l'obligation de fiduciaire. [Je souligne.]

La mention que le juge McLachlin a faite, dans l'arrêt Blueberry, au sujet de la cession d'un pouvoir est compatible avec les motifs qu'elle a prononcés (avec le juge Sopinka) dans l'arrêt Hodgkinson10. Il s'agit d'un indice qui n'est toutefois pas concluant, montrant que dans le contexte autochtone, la cession d'un pouvoir par une partie peut encore être nécessaire aux fins de la création d'une obligation fiduciaire.

4.A.3.i. Le cadre dans lequel il faut déterminer si des attentes raisonnables prennent naissance ou si un pouvoir a été cédé.

Étant donné que tant l'approche fondée sur les attentes raisonnables que l'approche fondée sur la cession d'un pouvoir et la vulnérabilité semblent faire autorité dans des circonstances différentes, et puisque les demandeurs invoquent des arguments fondés sur les attentes raisonnables de la bande de Fairford, j'apprécierai les faits de la présente espèce par rapport aux deux approches en vue de déterminer si une obligation fiduciaire de la part de la Couronne a pu prendre naissance. Je conclus que ni dans un cas ni dans l'autre, une obligation fiduciaire n'a pris naissance.

4.A.3.j. L'approche fondée sur les attentes raisonnables

Dans l'arrêt Hodgkinson, le juge La Forest a établi que, pour déterminer s'il existe une obligation fiduciaire, il faut que les parties aient mutuellement convenu que l'une d'elle renoncerait à agir dans son propre intérêt et accepterait d'agir seulement pour le compte de l'autre. Dans le contexte consultatif, le juge La Forest a conclu que lorsqu'une partie s'engage11 à s'acquitter de certaines obligations comportant l'existence d'éléments comme la confiance, la confidentialité, ainsi que la complexité et l'importance du sujet, une obligation fiduciaire peut prendre naissance (page 410). Toutefois, le juge dit qu'en général, l'obligation fiduciaire résulte d'une loi, d'une entente, d'une conduite particulière ou d'un engagement unilatéral par lequel une partie acquiert une position de force ou d'influence écrasante sur une autre partie (à la page 411).

Afin de déterminer si une obligation fiduciaire a pris naissance par suite de la participation de la Couronne à l'ouvrage de régularisation des eaux, il faut déterminer si, en vertu d'une loi, d'une entente, d'une conduite particulière ou d'un engagement unilatéral, la bande de Fairford et la Couronne avaient mutuellement convenu que la Couronne agirait pour le compte de la bande de façon à donner naissance à une attente raisonnable selon laquelle la Couronne agirait dans l'intérêt de la bande à l'exclusion d'autres intérêts.

En l'absence d'une cession, le paragraphe 18(1) de la Loi sur les Indiens ne donne pas naissance à une obligation fiduciaire de la part de la Couronne: Guerin. Aucune autre disposition législative n'a été citée par les demandeurs dans le contexte de la participation de la Couronne à l'ouvrage ici en cause. Les faits de la présente espèce ne démontrent pas l'existence d'un rapport contractuel entre la Couronne et la bande de Fairford. Rien ne montre non plus que la Couronne se soit engagée à agir à titre de fiduciaire pour le compte des Indiens pendant que l'ouvrage était aux stades de l'étude, de l'approbation et du financement.

J'examinerai maintenant la question de la conduite. Les demandeurs n'ont pas formulé leur plaidoyer en se référant à l'approche relative aux attentes raisonnables que le juge La Forest a énoncée dans l'arrêt Hodgkinson. Toutefois, ils ont mentionné des mesures antérieures prises par le Canada, lesquelles, selon eux, permettaient à juste titre à la bande de s'attendre à ce que le Canada prenne des mesures similaires à l'égard de l'ouvrage de régularisation des eaux de 1961. Plus précisément, les demandeurs disent qu'en 1934, le Canada a approuvé un projet de construction d'un ouvrage de régularisation des eaux de la rivière Fairford et qu'à ce moment-là, il s'était préoccupé du bien-être de la bande de Fairford.

Les demandeurs se fondent sur une série d'engagements que le ministre des Travaux publics du Manitoba avait pris, en 1934, envers le ministère des Travaux publics du Canada à titre de conditions de l'approbation par le Canada de la construction de l'ouvrage de régularisation des eaux, et en particulier sur les engagements suivants:

[traduction]

1."Le ministre convient par les présentes que s'il se pose une question par suite de l'approbation de la demande de règlement, il sera avant tout pleinement tenu compte des besoins, en ce qui concerne la navigation, et de la nécessité d'assurer aux fins de la navigation, dans la mesure nécessaire, l'écoulement naturel de la rivière Fairford.

[. . .]

9."Le ministre s'engage en outre à indemniser Sa Majesté du chef du Canada de toute demande, de quelque nature qu'elle soit, découlant de l'approbation dudit projet; cette approbation n'est aucunement réputée ajouter ou enlever quoi que ce soit aux droits des propriétaires riverains ou des preneurs à bail en amont ou en aval des ouvrages.

Les demandeurs affirment que ces engagements équivalaient à des garanties que le Canada avait obtenues du Manitoba, selon lesquelles les droits de riverain et autres droits liés à l'écoulement naturel de la rivière Fairford que la bande de Fairford et ses membres possédaient seraient protégés contre les conséquences préjudiciables résultant de la construction et de l'exploitation de l'ouvrage de régularisation des eaux de 1934.

Les engagements que le Canada avait demandés et obtenus, en 1934, à l'égard de l'ouvrage de régularisation des eaux étaient fondés sur l'article 4 de la Loi de la protection des eaux navigables, S.R.C. 1927, ch. 140, qui exigeait que la construction d'ouvrages sur des eaux navigables telles que la rivière Fairford soit agréée par le gouverneur en conseil et que lesdits ouvrages soient construits, placés et entretenus en conformité avec les règlements pris ou agréés par le gouverneur en conseil. Le premier engagement fait expressément mention de la navigation. Le neuvième engagement est une clause d'indemnisation protégeant le Canada contre toute demande dont il fait l'objet. Ces engagements que le Manitoba avait pris envers le Canada n'ont rien à voir avec les droits de la bande et ne montrent pas l'existence entre la bande et la Couronne d'une entente mutuelle susceptible de donner lieu à des attentes subséquentes de la part de la bande.

L'avocat des demandeurs a également cité une lettre que la Division des affaires indiennes du ministère fédéral de la Citoyenneté et de l'Immigration avait envoyée au ministère des Mines et Ressources naturelles du Manitoba le 10 novembre 1933, dans laquelle il était mentionné qu'une indemnité serait demandée si le barrage était exploité de façon à nuire aux ressources halieutiques du lac St-Martin. Aucune réponse n'a été produite en preuve et, dans les engagements que le Manitoba a pris envers le Canada, il n'est pas fait mention de la protection des ressources halieutiques. Il n'est pas établi non plus qu'en 1933 ou dans les années 1950, lorsque le Canada étudiait le projet de construction de l'ouvrage de régularisation des eaux, la bande de Fairford était au courant de l'existence de la lettre du 10 novembre 1933. Il est donc difficile d'interpréter cette lettre comme constituant une conduite susceptible de donner lieu à des attentes raisonnables de la part de la bande de Fairford, selon lesquelles le Canada protégerait ses droits lorsqu'il approuverait et financerait le projet de 1961.

Néanmoins, les demandeurs ont fait grand cas du rapport paternaliste existant entre la Couronne et les Indiens et du fait que les Indiens se fiaient au gouvernement. Selon certains éléments de preuve, les Indiens faisaient confiance à la Division des affaires indiennes et communiquaient avec elle, mais on ne saurait dire qu'en s'acquittant des obligations qui lui incombaient en vertu de la Loi sur les Indiens, la Couronne s'est conduite de façon à susciter chez la bande de Fairford, des attentes raisonnables selon lesquelles elle agirait dans l'intérêt de la bande à l'exclusion des autres intérêts, à l'égard de l'ouvrage de régularisation des eaux, c'est-à-dire qu'elle agirait à titre de fiduciaire.

Dans l'arrêt Guerin, le juge Dickson signale la distinction, aux fins de l'obligation fiduciaire, entre les obligations de droit privé et les obligations de droit public. À la page 385, il a fait la remarque suivante:

Il nous faut remarquer que, de façon générale, il n'existe d'obligations de fiduciaire que dans le cas d'obligations prenant naissance dans un contexte de droit privé. Les obligations de droit public dont l'acquittement nécessite l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire ne créent normalement aucun rapport fiduciaire. Comme il se dégage d'ailleurs des décisions portant sur les "fiducies politiques", on ne prête pas généralement à Sa Majesté la qualité de fiduciaire lorsque celle-ci exerce ses fonctions législatives ou administratives.

Le juge Dickson conclut qu'en s'occupant des terres indiennes qui ont été cédées, la Couronne assume une obligation fiduciaire. Toutefois, c'est à cause du "droit qui a une existence juridique indépendante" des Indiens sur leurs terres, lequel "existait avant toute disposition législative ou ordonnance du pouvoir exécutif" (Guerin , précité, à la page 379). Ce droit ne doit son existence ni au pouvoir législatif ni au pouvoir exécutif. Le juge dit [à la page 385] que l'obligation est donc "de la nature d'une obligation de droit privé".

Par contre, les obligations qui découlent d'une mesure prise par le pouvoir législatif ou par le pouvoir exécutif sont des obligations de droit public. Pareilles obligations, comme l'a dit le juge Dickson, ne créent normalement aucun rapport fiduciaire. Les mesures prises par la Division des affaires indiennes au moment pertinent l'ont été en vertu et à cause de la Loi sur les Indiens et de l'article 5 de la Loi sur le ministère de la Citoyenneté et de l'immigration, S.R.C. 1952, ch. 67. La Loi sur les Indiens renferme de nombreuses dispositions prévoyant la participation gouvernementale, et ce, à presque tous les égards, en ce qui concerne l'administration des affaires indiennes et le bien-être des Indiens. L'article 5 de la Loi sur le ministère de la Citoyenneté et de l'immigration prévoyait que les "devoirs, pouvoirs et fonctions du Ministre s'étendent à toutes matières de la compétence du Parlement du Canada concernant [. . .] les affaires indiennes [. . .], mais non assignées par la loi à un autre département du gouvernement du Canada, et embrassent lesdites matières". Il est certain qu'en vertu de ces lois, la Couronne, par l'entremise de la Division des affaires indiennes, et par la suite, du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, a traité activement pendant de nombreuses années avec la bande de Fairford. Toutefois, les mesures prises par la Division des affaires indiennes l'ont été en vertu et à cause de la Loi sur les Indiens et de la Loi sur le ministère de la Citoyenneté et de l'immigration; il s'agissait d'obligations de droit public. Rien ne montre qu'il s'agirait d'obligations de droit privé telles que celles qui existent lorsque des terres indiennes sont cédées. On ne laisse pas non plus entendre que la Couronne a exercé un pouvoir discrétionnaire pour le compte des Indiens. C'est pourquoi la conduite de la Couronne, lorsqu'elle traitait avec les Indiens et au nom des Indiens en vertu de ces lois généralement, ne peut pas servir de fondement à la création d'une obligation fiduciaire, en particulier à l'égard de sa participation au projet en cause.

4.A.3.k. L'approche fondée sur la cession d'un pouvoir et la vulnérabilité

J'examinerai maintenant la question de savoir si la bande de Fairford a cédé à la Couronne, à l'égard de l'ouvrage de régularisation des eaux, un pouvoir "sur une question" de sorte que la bande est devenue "vulnérable" ou qu'elle était "à la merci du pouvoir discrétionnaire de la Couronne". Les faits ne montrent pas qu'un pouvoir a été cédé sur une question. Ici encore, il faut déterminer s'il existe une loi, un contrat ou un engagement unilatéral pertinent12 . Il n'existe tout simplement aucun élément de preuve tendant à montrer l'existence d'une loi, d'un contrat ou d'un engagement unilatéral en vertu duquel la bande a cédé à la Couronne un pouvoir sur une question. De fait, la Couronne et la bande n'ont pas communiqué entre elles au moment où la Couronne étudiait, approuvait et finançait le projet de construction de l'ouvrage de régularisation des eaux. Le genre de vulnérabilité envisagé par les arrêts Lac Minerals et Blueberry n'existe pas dans ce cas-ci.

4.A.3.l. Conclusion

Pour ces motifs, je conclus que, tant en vertu de l'approche fondée sur les attentes raisonnables que de l'approche relative à la cession d'un pouvoir et à la vulnérabilité, la Couronne n'agissait pas à titre de fiduciaire pour ce qui est de sa participation à l'étude, à l'approbation ou au financement de l'ouvrage de régularisation des eaux.

Cela ne veut pas dire que la bande de Fairford n'a aucun recours ou qu'en général, si une mesure gouvernementale gênait l'utilisation d'une réserve par une bande indienne, un gouvernement responsable ne s'occuperait pas de la question de l'indemnisation. Le paragraphe 31(3) de la Loi sur les Indiens prévoit la possibilité pour un Indien ou une bande indienne d'intenter une action contre toute personne qui porte atteinte à ses droits. Voir Custer v. Hudson's Bay Co. Dev. Ltd., [1983] 1 W.W.R. 566 (C.A. Sask.). L'article 31 prévoit notamment ce qui suit:

31. (1) Sans préjudice de l'article 30, lorsqu'un Indien ou une bande prétend que des personnes autres que des Indiens, selon le cas:

a) occupent ou possèdent illégalement, ou ont occupé ou possédé illégalement, une réserve ou une partie de réserve;

b) réclament ou ont réclamé sous forme d'opposition le droit d'occuper ou de posséder une réserve ou une partie de réserve;

c) pénètrent ou ont pénétré, sans droit ni autorisation, dans une réserve ou une partie de réserve,

le procureur général du Canada peut produire à la Cour fédérale une dénonciation réclamant, au nom de l'Indien ou de la bande, les mesures de redressement désirées.

[. . .]

(3) Le présent article n'a pas pour effet de porter atteinte aux droits ou recours que, en son absence, Sa Majesté, un Indien ou une bande pourrait exercer.

Sauf dans les cas où la Loi sur les Indiens impose des restrictions, les Indiens peuvent engager des poursuites pour négligence, violation du droit de propriété ou, à mon avis, dans tous les autres cas où il est porté atteinte aux droits qu'ils ont sur leurs terres ou à tout autre droit qui leur est reconnu par la loi, par la common law ou de fait par la Constitution. C'est cette reconnaissance législative qui montre qu'en l'absence d'une cession, les Indiens ne sont pas vulnérables ou qu'ils ne sont pas à la merci du pouvoir discrétionnaire de la Couronne13, ou encore qu'ils ne sont pas sans droits et sans recours, de sorte qu'ils doivent se fonder sur l'obligation fiduciaire comme cause d'action. Dans la décision Apsassin c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1988] 3 C.F. 3 (1re inst.), (infirmé en appel dans [sub nom.] Blueberry, supra) le juge Addy s'est exprimé comme suit et rien dans les décisions rendues en appel ne diminue le bien-fondé de sa déclaration. Aux pages 46 et 47, voici ce que le juge a dit:

La Loi sur les Indiens apporte certaines restrictions aux actes et aux droits des Indiens inscrits. Sauf dans la mesure où ces restrictions particulières pourraient les empêcher d'agir librement, les Indiens ne doivent pas être légalement traités comme s'ils étaient incapables d'exercer pleinement leurs droits, comme le sont les mineurs ou les personnes incapables de s'occuper de leurs affaires, ce qui créerait pour la Couronne une obligation fiduciaire, exécutoire en justice, de les protéger ou d'intenter des actions en leur nom. Ils sont pleinement habilités à recourir aux lois fédérales et provinciales ainsi qu'à notre système judiciaire pour faire valoir leurs droits, comme ils le font d'ailleurs en l'espèce.

Enfin, conclure à l'existence d'une obligation fiduciaire pour ce qui est de la participation du Canada à l'ouvrage de régularisation des eaux serait à mon avis attribuer à l'obligation de la Couronne une portée beaucoup plus étendue que celle qui est implicitement visée par le paragraphe 18(1), ou encore par l'obligation fiduciaire pertinente ou par la jurisprudence concernant les autochtones. On placerait ainsi le gouvernement dans une situation où il y aurait conflit entre la responsabilité qui lui incombe d'agir dans l'intérêt public et l'obligation fiduciaire de loyauté qu'il a envers la bande indienne à l'exclusion des autres intérêts. En l'absence de dispositions législatives ou constitutionnelles contraires, le droit des obligations fiduciaires, dans le contexte autochtone, ne peut pas être interprété comme plaçant la Couronne dans la situation impossible d'avoir à renoncer à ses obligations de droit public lorsque pareilles obligations sont contraires aux intérêts des Indiens.

Cela dit, comme je l'expliquerai ci-dessous, le Canada a clairement tenu compte des intérêts de la bande de Fairford à l'égard de l'ouvrage de régularisation des eaux. Toutefois, il ne l'a pas fait en vertu d'une obligation fiduciaire, mais plutôt dans l'exercice de ses fonctions de droit public, en vertu de la Loi sur les Indiens et de la Loi sur le ministère de la Citoyenneté et de l'immigration.

Aucune autre cause d'action contre le Canada, à part la violation d'une obligation fiduciaire, n'a été plaidée ou débattue en l'espèce. Par conséquent, je n'étais pas saisi de la question de savoir si, en raison de sa participation à l'étude, ou encore de l'approbation ou du financement de l'ouvrage ici en cause, le Canada pourrait être tenu responsable de violation du droit de propriété, de nuisance ou de négligence ou d'une autre cause d'action et, bien sûr, je n'étais pas saisi non plus d'une action contre le Manitoba ou contre une autre personne. Je puis uniquement répéter que l'absence d'une cause d'action fondée contre le Canada en raison de la violation d'une obligation fiduciaire découlant de la participation de celui-ci à l'ouvrage en question ne veut pas nécessairement dire que les demandeurs ne disposent d'aucun recours14.

Note de l'arrêtiste (remplaçant

    les par. 70 à 100)

Cette partie de la décision se rapporte à la participation de la Couronne aux travaux de la Commission des lacs Winnipeg et Manitoba, qui avait publié un rapport en juin 1958. Le rapport traitait de l'impact de l'ouvrage de régularisation des eaux sur les intérêts des tiers en aval; il était conclu que le niveau des hautes eaux diminuerait légèrement et qu'il était possible de régulariser le niveau des basses eaux en modifiant la règle d'exploitation du lac Manitoba. Quant à la question de la consultation de la bande de Fairford au sujet de la construction du barrage, il a été conclu que la Couronne n'avait pas d'obligation fiduciaire découlant de sa participation à l'étude, à l'approbation et au financement du barrage et que même en l'absence de pareille obligation, elle avait fortement tenu compte des intérêts de la bande, que ce soit isolément ou avec les intérêts des tiers en aval. Cependant, il existait une obligation de consulter la bande de Fairford au sujet de l'utilisation des terres de la réserve aux fins de la construction d'un batardeau. À cet égard, le juge a conclu que la Division des affaires indiennes avait consulté le conseil de la bande de Fairford et qu'elle n'avait pas présenté les faits de manière inexacte ou qu'elle n'avait pas omis de divulguer certains renseignements.

En ce qui concerne l'utilisation des terres de la réserve aux fins de la construction du batardeau, les demandeurs disent qu'il fallait obtenir le consentement de la majorité des électeurs de la bande plutôt que celui de la majorité des conseillers de la bande. La réunion du 18 octobre 1960 était à la fois une réunion de la bande et du conseil de la bande. En plus des conseillers, environ 45 autres membres de la bande y assistaient. Il semblerait donc que les membres de la bande qui étaient présents aient su que les terres de la réserve devaient être utilisées aux fins de la construction du batardeau et qu'ils aient convenu de pareille utilisation. Néanmoins, le procès-verbal de la réunion n'est pas explicite sur ce point et je ne dispose d'aucun élément de preuve au sujet de la question de savoir si les membres de la bande qui étaient présents constituaient "une majorité des électeurs de la bande". Il faut donc examiner la question comme si c'était uniquement le conseil de la bande plutôt que la majorité des électeurs de la bande qui avait convenu de l'utilisation des terres de la réserve aux fins de la construction du batardeau.

Il appert que le Canada pensait qu'il agissait en vertu du paragraphe 18(2) de la Loi sur les Indiens et qu'il fallait obtenir une résolution du conseil de la bande plutôt qu'un vote des électeurs de la bande. Dans la lettre du 21 novembre 1960 qu'il a envoyée à M. Leslie, M. Jones dit ce qui suit:

[traduction] Le conseil de la bande ayant approuvé la demande, vous pouvez informer la Direction de la régularisation et de la conservation des eaux que l'autorisation de pénétrer dans la réserve et de construire les ouvrages temporaires est accordée conformément au paragraphe 18(2) de la Loi sur les Indiens, à condition que la Direction s'engage à observer les conditions imposées par le conseil de la bande.

Le paragraphe 18(2) prévoit ce qui suit:

18. [. . .]

(2) Le ministre peut autoriser l'utilisation de terres dans une réserve aux fins des écoles indiennes, de l'administration d'affaires indiennes, de cimetières indiens, de projets relatifs à la santé des Indiens, ou, avec le consentement du conseil de la bande, pour tout autre objet concernant le bien-être général de la bande, et il peut prendre toutes terres dans une réserve, nécessaires à ces fins, mais lorsque, immédiatement avant cette prise, un Indien particulier avait droit à la possession de ces terres, il doit être versé à cet Indien, pour un semblable usage, une indemnité d'un montant dont peuvent convenir l'Indien et le ministre, ou, à défaut d'accord, qui peut être fixé de la manière que détermine ce dernier.

Dans sa lettre, M. Jones mentionnait le paragraphe 18(2), mais je crois qu'il doit avoir commis une erreur étant donné que les mesures qu'il a prises étaient plutôt conformes au paragraphe 28(2) qui est ainsi libellé:

28. [. . .]

(2) Le ministre peut, au moyen d'un permis par écrit, autoriser toute personne, pour une période maximale d'un an, ou, avec le consentement du conseil de la bande, pour toute période plus longue, à occuper ou utiliser une réserve, ou à résider ou autrement exercer des droits sur une réserve.

Il appert que le paragraphe 18(2) autorise l'utilisation des terres de la réserve aux fins de la bande. Les genres d'utilisations autorisées permettent de le constater"écoles indiennes, administration d'affaires indiennes, cimetières indiens, projets relatifs à la santé des Indiens. Par application de la règle ejusdem generis , l'expression "pour tout autre projet concernant le bien-être général des Indiens", laisserait entendre une fin telle que les écoles, l'administration, les cimetières, etc. Il ne s'agirait pas d'une aliénation, même temporaire, en faveur d'une personne qui n'est pas membre de la bande.

C'est l'article 28 qui traite de l'occupation ou de l'utilisation de la réserve par des personnes autres que des membres de la bande. Le paragraphe 28(2) prévoit que le ministre peut autoriser une personne qui n'est pas membre de la bande à utiliser ou à occuper la réserve. Telle était à mon avis la situation en ce qui concerne l'utilisation de la réserve aux fins de la construction du batardeau par le Manitoba; dans sa lettre, M. Jones aurait donc dû mentionner le paragraphe 28(2) plutôt que le paragraphe 18(2)15.

La résolution du conseil de la bande ne précise pas la période pendant laquelle la réserve peut être utilisée aux fins de la construction du batardeau, mais elle dit clairement que les terres sont nécessaires "aux fins de la construction du batardeau" et que "tous les matériaux déposés sur les terres de la réserve [seront] enlevés et l'emplacement remis dans le même état ou dans un meilleur état qu'initialement". Les lettres qui ont été échangées à ce moment-là mentionnent que le batardeau sera enlevé une fois les travaux de construction de l'ouvrage de régularisation des eaux achevés. De toute évidence, la réserve ne devait être utilisée pour le batardeau que pendant une brève période et d'une façon temporaire.

Les demandeurs ne précisent pas quelle disposition de la Loi sur les Indiens s'appliquait, selon eux, à l'égard de l'approbation nécessaire aux fins de l'utilisation des terres de la réserve pour le batardeau. Toutefois, compte tenu du fait que leur avocat a mentionné l'arrêt Guerin et autres c. La Reine et autre, précité, les demandeurs semblaient estimer que l'utilisation des terres de la réserve aux fins de la construction du batardeau était un genre de cession au sens du paragraphe 37(1) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 2] de la Loi sur les Indiens, qui est ainsi libellé:

37. (1) Les terres dans une réserve ne peuvent être vendues ou aliénées que si elles sont cédées à titre absolu conformément au paragraphe 38(1) à Sa Majesté par la bande à l'usage et au profit communs de laquelle la réserve a été mise de côté.

Il est certain qu'une cession exige l'assentiment de la majorité des électeurs de la bande. L'alinéa 39(1)b) [mod., idem, art. 3] de la Loi sur les Indiens prévoit ceci:

39. (1) Une cession à titre absolu ou une désignation n'est valide que si les conditions suivantes sont réunies:

[. . .]

b) elle est sanctionnée par une majorité des électeurs de la bande:

(i) soit à une assemblée générale de la bande convoquée par son conseil,

(ii) soit à une assemblée spéciale de la bande convoquée par le ministre en vue d'examiner une proposition de cession à titre absolu ou de désignation,

(iii) soit au moyen d'un référendum comme le prévoient les règlements;

L'article 37, qui traite des cessions, et d'autres dispositions de la Loi sur les Indiens traitant des aliénations temporaires, se chevauchent. Voir Opetchesaht, aux pages 141 et 142. L'arrêt Opetchesaht montre clairement que le paragraphe 28(2) traite des aliénations d'une nature temporaire; en effet, le juge Major fait la remarque suivante à la page 145:

[. . .] le par. 28(2) vise des dispositions moins importantes, et le droit transféré doit avoir un caractère temporaire.

L'utilisation des terres de la réserve aux fins de la construction du batardeau était une utilisation temporaire et non une aliénation permanente. Dans l'arrêt Opetchesaht, le juge Major a statué que pareille utilisation temporaire exige l'autorisation du conseil de la bande plutôt que celui de la bande. Voici ce qu'il dit à la page 145:

En cas de vente, de disposition et de location à long terme ou autre aliénation permanente d'un droit des Indiens sur les terres de la réserve, il doit y avoir une cession nécessitant le vote de tous les membres de la bande. Cependant, dans le cas des droits d'utilisation, d'occupation ou de résidence pour une période de plus d'un an, seule l'approbation du conseil de la bande suffit.

Étant donné que la preuve laisse entendre que le Manitoba ne devait pas utiliser la réserve aux fins de la construction du batardeau pendant plus d'un an, le ministre pouvait autoriser pareille utilisation sans obtenir le consentement du conseil de la bande. Toutefois, comme je l'ai déjà expliqué, il y a eu consultation, et le conseil de la bande a donné son consentement. Je ne puis constater l'existence d'aucune violation de la Loi sur les Indiens puisque le consentement a été obtenu. Le ministre n'était pas tenu d'agir en l'absence d'un consentement donné par le conseil en vertu du paragraphe 28(2), même s'il s'agissait d'une aliénation temporaire pour une période de moins d'un an. La Loi sur les Indiens n'exigeait donc pas que l'utilisation de la réserve par le Manitoba aux fins de la construction du batardeau soit considérée comme une cession en vertu de l'article 37 et il n'était pas nécessaire d'obtenir l'approbation de la bande à pareille fin. Le Canada a agi conformément à la Loi sur les Indiens en permettant au Manitoba d'utiliser la réserve aux fins de la construction du batardeau et en obtenant une résolution du conseil de la bande autorisant pareille utilisation.

Note de l'arrêtiste (remplaçant

    les par. 112 à 141)

Le passage qui a été omis se rapportait à un certain nombre de questions, soit l'argument des demandeurs selon lequel la version dactylographiée de la résolution du conseil de la bande n'avait pas été présentée à une assemblée du conseil de la bande, la question de l'indemnisation accordée à l'égard de l'utilisation des terres de la réserve aux fins de la construction du batardeau ainsi que la question de l'effet des basses eaux en 1961. Toutefois, la principale question était de savoir si la Couronne avait violé l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers la bande de Fairford en permettant la construction de la section sud du barrage sur les terres de la Première nation de Fairford. On a discuté de la composition de l'ouvrage de régularisation des eaux et de la question de savoir si une digue faisant partie de l'ouvrage était située sur le lit de la rivière Fairford ou dans la réserve. Il a été conclu que la levée, lorsqu'elle servait également de digue, n'était pas située sur les terres de la réserve, mais dans le lit de la rivière Fairford, sur des terres détenues par le Manitoba. L'allégation selon laquelle la Couronne avait permis la construction de l'ouvrage de régularisation des eaux sur les terres de la réserve de Fairford n'était pas fondée.

4.D. Le Canada a-t-il violé son obligation fiduciaire en "omettant de remédier aux inondations périodiques et aux impacts négatifs connexes qui en découlaient pour les droits de la Première nation de Fairford"?

4.D.1. Position des demandeurs

Les demandeurs soutiennent que le Canada n'a pas remédié aux inondations périodiques et aux impacts négatifs connexes que les inondations ont eus sur les droits de la bande de Fairford de 1961 jusqu'à ce jour. Ils allèguent que leurs droits ancestraux, en ce qui concerne la pêche, la chasse et le piégeage, ainsi que leur droit à la production agricole, ont été touchés d'une façon négative par l'exploitation de l'ouvrage de régularisation des eaux. Ils allèguent que même si l'ouvrage était exploité par le Manitoba et même si le Manitoba avait directement causé les problèmes, le Canada avait l'obligation fiduciaire de mettre fin aux effets préjudiciables auxquels faisaient face la bande et ses membres.

4.D.2. Les faits

L'atteinte alléguée aux droits de pêche, de chasse et de piégeage des demandeurs découlait de l'inondation des terres sur lesquelles ceux-ci se livraient à des activités de chasse et de piégeage ainsi que de l'impact qu'avait l'exploitation de l'ouvrage de régularisation des eaux sur la qualité de l'eau et sur la population halieutique des cours d'eau situés à côté ou à proximité de la réserve de Fairford. L'impact négatif sur la production agricole était attribuable à l'inondation des champs de foin.

Dès 1961, les membres de la bande de Fairford ont fait face à certains problèmes en ce qui concerne la pêche et le piégeage aux environs du marais Pineimuta. Les inondations qui ont commencé en 1963 ont eu d'autres impacts négatifs sur la reproduction des oiseaux aquatiques et des rats musqués ainsi que sur la pêche commerciale. La grosse inondation qui a eu lieu en 1967 a occasionné la perte de la production de foin16.

Lorsque des problèmes de qualité d'eau se sont posés en 1961 et par la suite, le Canada a communiqué avec le Manitoba pour lui demander de remédier aux problèmes auxquels faisaient face la bande de Fairford et les autres bandes indiennes. En 1964, les représentants de la Division des affaires indiennes ont rencontré les représentants du Manitoba ainsi que des membres de la bande de Fairford et d'autres bandes pour discuter d'un certain nombre de questions concernant les pêcheurs indiens. La question de la diminution de la population halieutique attribuable à la baisse du niveau des eaux du lac St-Martin a été soulevée et des dispositions ont été prises en vue de permettre à certains pêcheurs du lac St-Martin de pêcher sur la rivière Dauphin. De plus, des représentants de la Division des affaires indiennes ont assisté, le 22 juin 1965, à une assemblée publique que la province avait convoquée en vue de familiariser les résidents de Fairford et du lac St-Martin avec le fonctionnement de l'ouvrage de régularisation des eaux. On a alors créé un comité chargé de rester en contact avec la Direction provinciale de régularisation et de conservation des eaux, relativement aux niveaux du lac, et d'informer la population locale de toute mesure qui était sur le point d'être prise à l'égard du barrage. Deux membres de la bande de Fairford ont été nommés membres du comité.

Lorsqu'il y a eu de grosses inondations en 1967 et en 1968, des négociations directes ont été tenues entre le Manitoba et la bande, et le Manitoba a accepté d'indemniser la bande à l'égard du foin perdu. Une fois qu'il est devenu évident que des inondations périodiques se produiraient à l'avenir, la bande et le Manitoba ont entamé des négociations au sujet du transfert de terres du Manitoba à la réserve de Fairford, lesquelles étaient destinées à remplacer les terres inondées.

4.D.3. Analyse de l'obligation fiduciaire

Compte tenu des arrêts Guerin, précité, et Union of Nova Scotia Indians, précité17, les demandeurs allèguent qu'étant donné qu'il était au courant des impacts négatifs auxquels ils faisaient face en raison de l'exploitation de l'ouvrage de régularisation des eaux, le Canada avait l'obligation fiduciaire d'atténuer ces effets et d'y mettre fin. Les demandeurs soutiennent que le Canada était tenu de faire [traduction] "ce qu'il fallait" pour protéger les droits de la bande contre ces effets préjudiciables, et qu'il était notamment tenu de reconnaître que l'inondation des terres de la réserve faisait naître une cause d'action fondée sur la violation du droit de propriété, puis qu'il était tenu d'intenter contre le Manitoba une action fondée sur pareille violation au nom des Indiens de Fairford.

Les demandeurs soutiennent également que le Canada était tenu d'exercer son influence en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables, S.R.C. 1952, ch. 193 (LPEN) pour contrôler la façon dont le Manitoba exploitait l'ouvrage de régularisation des eaux.

4.D.2.a. Les arrêts Guerin et Union et les autres fondements de l'obligation fiduciaire

J'ai déjà fait remarquer que dans l'arrêt Guerin, précité, la majorité des juges avaient conclu qu'une obligation fiduciaire prenait naissance si une bande indienne cédait des terres à la Couronne, de sorte que cette dernière était tenue d'agir dans l'intérêt de la bande lorsqu'elle s'occupait de ces terres. J'ai également fait remarquer que dans l'arrêt Union, l'obligation du gouvernement de "ne pas permettre que s'exercent des effets négatifs sur des droits autochtones permanents" découlait d'une exigence voulant que le gouvernement tienne compte de tout effet environnemental de la réalisation d'un projet sur les droits ancestraux comme il en est fait mention au paragraphe 2(1) de la LCEE. Cette obligation découlait d'un texte législatif particulier. Or, contrairement à ce que disent les demandeurs, ni l'arrêt Guerin ni l'arrêt Union n'imposent à la Couronne une obligation fiduciaire générale envers les Indiens ou les bandes indiennes.

Comme je l'ai conclu ci-dessus, dans la section 4.A., il doit exister une loi, une entente, une conduite ou un engagement unilatéral qui donne lieu de la part des Indiens à une attente raisonnable selon laquelle la Couronne agirait à titre de fiduciaire ou qui permet aux Indiens de céder un pouvoir sur une question à la Couronne de sorte qu'ils sont vulnérables ou à la merci du pouvoir discrétionnaire de la Couronne. Or, les faits montrent le contraire.

La preuve montre que les membres de la bande ont porté leurs plaintes à la connaissance du Canada par l'entremise de la Division des affaires indiennes. Elle montre également que des fonctionnaires de la Division des affaires indiennes ont écrit au Manitoba pour informer la province des effets négatifs que l'ouvrage de régularisation des eaux avait sur la réserve et sur les autres droits de la bande. On a tenu des assemblées publiques, auxquelles des membres de la bande de Fairford ont assisté. Des membres de la bande ont été nommés membres d'un comité de liaison chargé de tenir le Manitoba au courant des niveaux du lac et d'informer la population locale des mesures qui étaient sur le point d'être prises à l'égard du barrage. Par la suite, la bande de Fairford et le Manitoba ont entamé des négociations au sujet de l'octroi d'une indemnité à l'égard des terres inondées. La preuve montre que même si elle a fait part d'un grand nombre de ses préoccupations aux Affaires indiennes, la bande de Fairford savait que c'était l'exploitation de l'ouvrage par le Manitoba qui causait des problèmes. Rien ne montre qu'au moment où ces assemblées publiques et négociations ont eu lieu, la bande comptait sur le Canada pour remédier aux problèmes causés par l'ouvrage de régularisation des eaux.

En outre, rien ne montre que le Canada ait eu le pouvoir discrétionnaire de contrôler l'exploitation de l'ouvrage de régularisation des eaux. La seule participation directe du Canada à l'égard de l'ouvrage de régularisation des eaux se rapportait à l'étude qu'il avait effectuée, ainsi qu'à l'approbation et au financement du projet. C'était le Manitoba qui était propriétaire de l'ouvrage de régularisation des eaux et qui l'exploitait. Le Canada aurait uniquement eu le pouvoir d'intenter une action fondée sur la violation du droit de propriété (ou peut-être un autre genre d'action) contre le Manitoba. Les demandeurs soutiennent que le Canada aurait dû intenter pareille action en leur nom, mais le paragraphe 31(3) de la Loi sur les Indiens préserve le droit de la bande ou de ses membres d'intenter eux-mêmes pareille action. La bande n'a pas cédé ce pouvoir au Canada et il n'y avait pas d'entente mutuelle entre le Canada et la bande donnant lieu à une attente raisonnable permettant de croire que le Canada intenterait une telle action.

La bande de Fairford n'était pas vulnérable face au Canada en ce qui concerne les tiers qui pénétraient, sans droit ni autorisation, dans leur réserve, ou qui portaient de quelque autre façon atteinte à leurs droits. Il serait possible de dire que les Indiens étaient vulnérables et qu'ils étaient à la merci des effets de l'exploitation de l'ouvrage de régularisation des eaux, mais ils ne comptaient pas sur le Canada pour exercer un pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne la protection de leurs droits.

Comme je l'ai déjà conclu, les mesures que la Division des affaires indiennes a prises étaient conformes aux obligations de droit public prévues par la Loi sur les Indiens. Ces mesures ne peuvent pas être interprétées comme une promesse ou comme une conduite donnant naissance à une obligation fiduciaire.

4.D.2.b. Loi sur la protection des eaux navigables

À l'appui de l'argument fondé sur le LPEN, les demandeurs invoquent les articles 4 et 5 de la Loi, qui prévoient notamment ceci:

4. (1) Aucun ouvrage ne doit être construit ou placé dans des eaux navigables, ni sur, sous ou à travers de telles eaux, ni au-dessus, à moins que l'emplacement n'en ait été agréé par le gouverneur en conseil, et que ledit ouvrage ne soit construit, placé et entretenu en conformité des plans et règlements approuvés ou établis par le gouverneur en conseil.

[. . .]

5. (1) Tout ouvrage visé par la présente Partie, qui a été construit ou placé sur un emplacement non approuvé par le gouverneur en conseil, ou qui n'a pas été construit ou placé conformément à des plans ainsi approuvés, ou qui, après avoir été ainsi construit ou placé, n'est pas entretenu conformément à de semblables plans et règlements, peut être enlevé et détruit sous l'autorité du gouverneur en conseil par le ministre des Travaux publics, et les matériaux contenus dans ledit ouvrage peuvent être vendus, donnés ou autrement aliénés, et les frais de l'enlèvement, de la destruction ou autre aliénation de cet ouvrage, et les frais y afférents, sont, après déduction de toute somme réalisée par vente ou autrement, recouvrables du propriétaire, avec dépens, au nom de Sa Majesté.

Les demandeurs affirment que l'ouvrage de régularisation des eaux n'a jamais été agréé par le gouverneur en conseil. Ils soutiennent qu'étant donné que le Canada était autorisé à enlever et à détruire l'ouvrage de régularisation des eaux en vertu de l'article 5, il pouvait donc exercer des pressions considérables pour contraindre le Manitoba à exploiter l'ouvrage de régularisation des eaux de façon à éliminer, ou du moins à minimiser, le préjudice causé aux Indiens de Fairford et les dommages causés aux terres de la réserve, ou à verser une indemnité additionnelle à la bande.

Cet argument soulève deux problèmes. En premier lieu, la preuve ne montre pas clairement si le gouverneur en conseil a agréé l'ouvrage de régularisation des eaux conformément à l'article 4.

Fait encore plus important, la LPEN ne confère pas au Canada le genre de pouvoir que celui-ci aurait selon les demandeurs. Il n'est pas loisible au Canada, conformément à l'article 5 de la LPEN, d'exercer le pouvoir qu'il possède de détruire l'ouvrage de régularisation des eaux en vue de convaincre le Manitoba d'exploiter l'ouvrage de façon à minimiser le préjudice causé à la bande de Fairford et l'atteinte portée aux droits de ses membres, ou de leur accorder une indemnité additionnelle. La LPEN se rapporte à la navigabilité des cours d'eau. Le pouvoir que possède le gouverneur en conseil d'établir des règlements ou des arrêtés est énoncé à l'article 10, qui prévoit notamment ceci:

10. (1) Le gouverneur en conseil peut établir les arrêtés ou les règlements qu'il juge utiles aux fins de la navigation, concernant tout ouvrage auquel s'applique la présente Partie, [. . .] [Je souligne.]

Les articles 4 et 10 de la LPEN autorisent le gouverneur en conseil à prendre des arrêtés ou des règlements afin d'assurer la navigabilité du cours d'eau en cause. Ils ne confèrent pas au Canada le pouvoir général d'exiger des concessions qui n'ont rien à voir avec l'application de la Loi en menaçant de démolir l'ouvrage.

Je dois donc conclure que l'argument des demandeurs selon lequel le Canada a violé son obligation fiduciaire en omettant d'utiliser les dispositions de la LPEN pour exiger des concessions du Manitoba à l'égard de l'inondation des terres de la réserve de Fairford est également insoutenable.

4.E. Le Canada a-t-il violé l'obligation fiduciaire qu'il avait envers la bande "en transférant sans condition en 1962, en vertu de l'article 35, 23 acres de terrain "aux fins d'une route" sans consulter la bande, sans imposer à l'égard du transfert des conditions destinées à assurer qu'il soit le moins possible porté atteinte aux droits de la Première nation de Fairford et sans obtenir une juste indemnité"?

4.E.1. Les faits

En même temps que la construction de l'ouvrage de régularisation des eaux, la route provinciale à grande circulation no 6 a été détournée de façon que le sommet de l'ouvrage de régularisation des eaux serve de pont sur la rivière Fairford. Le Manitoba a ainsi procédé à un nouvel alignement de la route à travers la réserve en vue d'éliminer les courbes. Pour ce faire, le Manitoba avait besoin d'environ 34 acres dans la réserve de Fairford comme emprise routière.

La disposition pertinente de la Loi sur les Indiens concernant la prise de terres à des fins provinciales est l'article 35:

35. (1) Lorsque, par une loi fédérale ou provinciale, Sa Majesté du chef d'une province, une autorité municipale ou locale, ou une personne morale, a le pouvoir de prendre ou d'utiliser des terres ou tout droit sur celles-ci sans le consentement du propriétaire, ce pouvoir peut, avec le consentement du gouverneur en conseil et aux conditions qu'il peut prescrire, être exercé relativement aux terres dans une réserve ou à tout droit sur celles-ci.

(2) À moins que le gouverneur en conseil n'en ordonne autrement, toutes les questions concernant la prise ou l'utilisation obligatoire de terres dans une réserve, aux termes du paragraphe (1), doivent être régies par la loi qui confère les pouvoirs.

(3) Lorsque le gouverneur en conseil a consenti à l'exercice des pouvoirs mentionnés au paragraphe (1) par une province, une autorité municipale ou locale ou une personne morale, il peut, au lieu que la province, l'autorité ou la personne morale prenne ou utilise les terres sans le consentement du propriétaire, permettre un transfert ou octroi de ces terres à la province, autorité ou personne morale, sous réserve des conditions qu'il fixe.

(4) Tout montant dont il est convenu ou qui est accordé à l'égard de la prise ou de l'utilisation obligatoire de terrains sous le régime du présent article ou qui est payé pour un transfert ou octroi de terre selon le présent article, doit être versé au receveur général à l'usage et au profit de la bande ou à l'usage et au profit de tout Indien qui a droit à l'indemnité ou au paiement du fait de l'exercice des pouvoirs mentionnés au paragraphe (1).

Au moyen d'une résolution du conseil de la bande datée du 7 décembre 1960, le transfert au Manitoba de 11 acres, situées à proximité de l'ouvrage de régularisation des eaux, a été autorisé. L'indemnité convenue était de 50 $ l'acre. Un paiement partiel correspondant à 80 p. 100 du prix d'achat a été effectué. Le Canada n'a pas pris de décret en vertu de l'article 35, de sorte que le titre relatif à ces 11 acres n'a jamais été légalement transféré.

Au moyen d'une résolution du conseil de la bande datée du 12 juin 1962, le transfert au Manitoba de 23 acres de terrain (au sud des 11 acres visées par la résolution du 7 décembre 1960) a été autorisé. Encore une fois, l'indemnité convenue était de 50 $ l'acre, plus 500 $ pour la séparation et les inconvénients généraux. Un paiement partiel a été effectué. Cette fois-ci, au moyen du décret 1962-1761 du 13 décembre 1962, le Canada a consenti au transfert des 23 acres au Manitoba conformément à l'article 35 de la Loi sur les Indiens.

Il appert qu'il y a ensuite eu un malentendu, une erreur et un retard lorsqu'il s'est agi de payer le solde du montant dû par le Manitoba et de mener à bonne fin le transfert du titre au Manitoba tant pour les 11 acres que pour les 23 acres en question. Finalement, en 1971, le Manitoba a effectué le paiement intégral, intérêts compris. Par le décret fédéral 1973-1734 du 19 juin 1973, le Canada a consenti à ce que le Manitoba prenne les 34 acres aux fins de l'emprise routière. Ce décret de 1973 se rapportait tant aux 23 acres déjà visés par le décret 1962-1761 qu'aux 11 acres qui n'avaient fait l'objet d'aucun décret.

4.E.2. L'omission de consulter la bande

Les demandeurs affirment qu'ils n'ont pas été consultés au sujet du transfert des terres aux fins de la route, mais ils l'ont clairement été. La preuve montre que le conseil de la bande a adopté des résolutions tant pour les 11 acres que pour les 23 acres et qu'il y a eu consultation au sujet de la question de l'indemnisation. Rien ne donne à entendre que l'indemnité n'ait pas été suffisante. Les demandeurs n'ont présenté aucune preuve tendant à montrer que la juste valeur marchande des terres était supérieure à ce qui avait été convenu ou que la prise des terres constituait plus qu'une atteinte minime aux droits de la bande.

Les demandeurs soutiennent qu'étant donné que l'adoption du décret 1973-1734, se rapportant aux 34 acres, a été retardée pendant plus d'une décennie, la valeur des terres avait alors augmenté puisque la route était alors construite, et que le décret n'aurait pas dû être pris sans qu'on négocie de nouveau la valeur des terres en tant que terres sur lesquelles une route était située. Cet argument ne tient pas compte du fait que 23 acres étaient visées par le décret 1962-1761 pris en 1962. En outre, la valeur des terres dépend de la valeur de terrains comparables de la région, et non d'une valeur spéciale attribuée aux terres à cause de la route18. On n'a présenté aucun élément de preuve donnant à entendre que les terrains comparables valaient plus de 50 $ l'acre lorsque les résolutions du conseil de la bande ont été adoptées ou que la valeur des terres a augmenté entre le début des années 1960 et le début des années 1970.

4.E.3. Violation du droit de propriété par le Manitoba

Les demandeurs affirment également que tant que les terres n'ont pas été officiellement transférées, le Manitoba pénétrait, sans droit ni autorisation, dans la réserve et que le Canada n'a pas obtenu une indemnité appropriée à l'égard de cette violation. Cet argument pourrait uniquement s'appliquer aux 11 acres situées au nord, pour lesquelles un décret n'a été pris qu'en 1973. Les demandeurs n'indiquent pas quelle serait l'indemnité appropriée à l'égard de la violation du droit de propriété. Toutefois, selon la preuve, le Manitoba aurait payé 80 p. 100 du prix convenu lorsque la bande a initialement accepté, en 1960, que les 11 acres soient prises. Comme en font foi les résolutions du conseil de la bande, des représentants des Affaires indiennes et le conseil de la bande se sont rencontrés à Ashern (Manitoba) le 16 septembre 1971; des explications qui satisfaisaient le conseil de la bande ont alors été données au sujet du retard et la bande a été informée des circonstances relatives au paiement du solde du montant dû, intérêts compris, et elle les a comprises.

Les 11 acres situées au nord n'ont pas été officiellement transférées en 1960, mais le Manitoba était autorisé à pénétrer dans la réserve et à utiliser les terres. Il est difficile d'imaginer qu'il s'agit là d'une violation du droit de propriété puisque la bande avait consenti au transfert, que 80 p. 100 du prix d'achat avait été payé, qu'on avait autorisé le Manitoba à pénétrer dans la réserve et à utiliser les terres sans que des objections soient formulées, et que, lorsque le prix a finalement été payé au début des années 1970, des intérêts ont été ajoutés et que ces dispositions satisfaisaient la bande à ce moment-là.

4.E.4. L'omission de compléter l'opération

Les circonstances se rapportent ici à la prise des terres de la réserve. Une fois les résolutions du conseil de la bande adoptées, le Canada était tenu de transférer les terres et d'obtenir l'indemnité convenue. Or, les 11 acres situées au nord ont été transférées plus d'une décennie après l'adoption de la résolution du conseil de la bande autorisant le transfert. En outre, le paiement intégral du prix convenu pour les 34 acres n'a été obtenu qu'en 1971.

La participation nécessaire du Canada, en vertu de l'article 35 de la Loi sur les Indiens, à la prise par le Manitoba des terres de la réserve de Fairford aux fins d'une route a donné naissance à une obligation fiduciaire de la part du Canada de veiller à ce que les intérêts de la bande soient protégés puisque celui-ci avait un pouvoir discrétionnaire unilatéral à l'égard de l'opération. (Voir Kruger c. La Reine, [1986] 1 C.F. 3 (C.A.), à la page 13, juge Heald, J.C.A., et à la page 45, juge Urie, J.C.A.). Le conseil de la bande avait consenti au transfert des terres et avait convenu du montant de l'indemnité, mais la bande était vulnérable par suite du pouvoir discrétionnaire exercé par le Canada à l'égard du transfert et du paiement.

En omettant de consentir de la façon appropriée au transfert au Manitoba des 11 acres situées au nord au moyen d'un décret pendant plus de 12 ans, le Canada a violé l'obligation fiduciaire qu'il avait envers la bande. En omettant de recouvrer le plein montant du prix d'achat dans un délai opportun, le Canada a encore une fois violé son obligation fiduciaire. La bande comptait entièrement sur le Canada pour prendre des dispositions à l'égard du paiement. À coup sûr, le Canada n'a pas agi d'une façon raisonnable et prudente comme s'il veillait à ses propres intérêts lorsqu'il s'est agi d'obtenir le paiement intégral.

Dans l'arrêt Blueberry, précité, le juge Gonthier a conclu, à la page 365, que l'obligation fiduciaire de la Couronne dans ce cas-là allait jusqu'à exercer le pouvoir qu'elle avait en vertu de l'article 64 de la Loi sur les Indiens en vue de corriger l'erreur qu'elle avait commise en vendant par inadvertance certains droits miniers. En l'espèce, la Couronne était également tenue, en vertu de son obligation fiduciaire, de mener l'opération à bonne fin en consentant au transfert des 11 acres situées au nord au moyen d'un décret et en obtenant le paiement du solde dû par le Manitoba, intérêts compris.

Enfin, le paiement intégral a été obtenu, avec intérêts, et un décret autorisant le transfert des 34 acres au Manitoba a été pris. Il a donc été remédié aux violations de l'obligation fiduciaire. Dans ces conditions, je ne puis constater l'existence d'aucune autre cause d'action fondée sur la violation d'une obligation fiduciaire.

4.F. Le Canada a-t-il violé son obligation fiduciaire "en encourageant la Première nation de Fairford à entamer des négociations avec le Manitoba, en 1969, en vue d'un échange de terres, alors qu'il savait que la construction et l'exploitation de l'ouvrage de régularisation des eaux allaient avoir un impact négatif sur les intérêts pratiques et juridiques de la Première nation de Fairford s'étendant bien au-delà d'un intérêt foncier et que la Première nation de Fairford n'avait pas la capacité ou le pouvoir de conclure pareilles négociations ou ententes"?

Note de l'arrêtiste (remplaçant

    les par. 174 à 182)

En ce qui concerne cet aspect de la violation de l'obligation fiduciaire, les demandeurs ont en premier lieu soutenu que la Couronne savait que le barrage aurait un impact négatif sur la bande de Fairford et sur ses membres à l'égard de questions autres que des questions foncières, c'est-à-dire sur la pêche, la chasse et le piégeage, et en son second lieu, que la bande n'avait pas la capacité ou le pouvoir de conclure une entente. Les faits se rapportant à ces arguments ont été examinés. À ce moment-là, la bande de Fairford était représentée par un avocat et ne pouvait donc pas soutenir qu'elle avait cédé son pouvoir à la Couronne à l'égard des négociations avec le Manitoba ou qu'elle s'attendait à ce que cette dernière négocie pour son compte.

4.F.3. L'obligation de la Couronne

Le rapport existant entre la Couronne et les bandes indiennes à l'égard des terres et droits de ces dernières est régi par les deux principes d'autonomie et de protection. L'étendue de la protection et de l'autonomie peut varier en fonction de l'importance des droits en cause. Dans l'arrêt Opetchesaht, précité, à la page 145, le juge Major explique l'équilibre qu'il faut établir entre les deux politiques:

D'une part, il est important de protéger les droits de la bande, mais, d'autre part, il faut également favoriser et respecter son autonomie dans la prise de décisions concernant ses terres et ses ressources. Dans Bande indienne de la rivière Blueberry, précité, le juge McLachlin a fait état de ces valeurs, qui entrent parfois en conflit, à la p. 370:

À mon avis, les dispositions de la Loi des Indiens relatives à la cession des réserves des bandes établissent un équilibre entre les deux pôles extrêmes que constituent l'autonomie et la protection.

À la page 358, le juge Gonthier, s'exprimant au nom de la majorité, a accepté ce principe:

Ainsi que l'a fait remarquer le juge McLachlin, la loi traite les peuples autochtones comme des acteurs autonomes en ce qui concerne l'acquisition et la cession de leurs terres, il faut donc respecter leurs décisions.

Cette remarque incidente montre que même si la Loi sur les Indiens offre une protection, il faut traiter les peuples autochtones comme des acteurs autonomes dont les décisions doivent être respectées. Il n'existe donc aucun motif d'ordre juridique pour lequel la bande de Fairford n'aurait pas pu ou n'aurait pas dû négocier avec le Manitoba. Le rôle du Canada se rapporte à l'application de la politique relative à la protection. Il n'est pas nécessaire et, puisque les Autochtones doivent être considérés comme des acteurs autonomes, il n'est peut-être pas souhaitable, que le Canada participe activement aux négociations entre une bande et des tiers.

Il sera ci-dessous expliqué qu'étant donné que les terres de remplacement devaient être transférées du Manitoba au Canada afin de faire partie de la réserve, une obligation fiduciaire de veiller à ce que la bande ne soit pas exploitée a pris naissance au moment du transfert. Toutefois, cette obligation a uniquement pris naissance lorsqu'on a demandé au Canada de ratifier l'entente négociée par la bande.

Au stade des négociations, il n'existait pas d'obligation de ce genre. La bande était la mieux placée pour savoir quelles pertes elle avait subies. Elle a retenu les services d'un avocat. Je ne puis voir pourquoi, en principe, une bande indienne ne devrait pas être en mesure de déterminer ses propres exigences ainsi que de conduire ses propres négociations et de les mener à bonne fin. Je crois que cette approche est conforme aux remarques incidentes qui ont été faites dans l'arrêt Opetchesaht, précité. Comme je l'ai dit, si le Canada est appelé à ratifier une entente négociée, il doit alors veiller à ce que la bande ne soit pas exploitée, mais autrement il n'est pas tenu de le faire.

The conclusion drawn in this deleted portion was that the evidence did not support the plaintiffs' arguments that the Crown may have withheld information crucial to negotiations between the Fairford Band and the Province of Manitoba.

4.G. Did Canada breach its fiduciary duty to the Fairford Band "by failing to disclose to the Fairford First Nation and attempting unilaterally to correct the clear lack of authority for the province to be on Reserve land by purporting to transfer, in 1973, a 34-acre block of land for `public road purposes', again without consulting the Fairford First Nation"?

4.G.1.  La position des demandeurs

Cet argument se rapporte à la parcelle de 34 acres qui a été prise aux fins de la route provinciale à grande circulation no 6 dont il a déjà été question dans la section 4.E. Les demandeurs affirment que la Couronne n'a pas informé ou consulté la bande lorsqu'elle a conclu les opérations relatives aux terres qui étaient prises aux fins d'une route.

4.G.2. L'obligation de consulter

Comme il en a déjà été fait mention, le Canada avait l'obligation fiduciaire de protéger les intérêts de la bande lorsqu'il était en train de négocier le transfert de terres de la réserve au Manitoba et d'obtenir l'indemnité convenue. Il est certain qu'en ce qui concerne les questions de cession de terres d'une réserve, il existe une obligation de consultation de la part de la Couronne. À mon avis, cette obligation s'étend aux aliénations des terres d'une réserve par le Canada en vertu de l'article 35 de la Loi sur les Indiens. Dans l'arrêt Guerin, précité, le juge Dickson a tiré la conclusion suivante, à la page 388:

Lorsqu'il s'est révélé impossible d'obtenir le bail promis, Sa Majesté, au lieu de procéder à la location des terres à des conditions différentes et défavorables, aurait dû retourner devant la bande pour lui expliquer ce qui s'était passé et demander son avis sur ce qu'il lui fallait faire.

Dans l'arrêt Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, le juge en chef Lamer dit ceci, à la page 1113:

Cet aspect du titre aborigène indique qu'il est possible de respecter les rapports de fiduciaire entre la Couronne et les peuples autochtones en faisant participer les peuples autochtones à la prise des décisions concernant leurs terres. Il y a toujours obligation de consultation. La question de savoir si un groupe autochtone a été consulté est pertinente pour décider si l'atteinte au titre aborigène est justifiée, au même titre que le fait pour la Couronne de ne pas consulter un groupe autochtone au sujet des conditions auxquelles des terres d'une réserve sont cédées à bail peut constituer un manquement à l'obligation de fiduciaire de celle-ci en commun law: Guerin.

À la page 1113, le juge en chef Lamer définit également le degré de consultation nécessaire:

La nature et l'étendue de l'obligation de consultation dépendront des circonstances. Occasionnellement, lorsque le manquement est moins grave ou relativement mineur, il ne s'agira de rien de plus que la simple obligation de discuter des décisions importantes qui seront prises au sujet des terres détenues en vertu d'un titre aborigène. Évidemment, même dans les rares cas où la norme minimale acceptable est la consultation, celle-ci doit être menée de bonne foi, dans l'intention de tenir compte réellement des préoccupations des peuples autochtones dont les terres sont en jeu. Dans la plupart des cas, l'obligation exigera beaucoup plus qu'une simple consultation. Certaines situations pourraient même exiger l'obtention du consentement d'une nation autochtone, particulièrement lorsque des provinces prennent des règlements de chasse et de pêche visant des territoires autochtones.

Il s'agit donc de savoir s'il y a eu consultation en l'espèce et, dans l'affirmative, si elle était suffisamment complète et détaillée pour satisfaire à l'obligation fiduciaire que le Canada avait envers la bande de Fairford.

4.G.3. Les faits

Comme il en a déjà été fait mention, le 16 septembre 1971, une réunion a été tenue à Ashern (Manitoba) entre les représentants du ministère des Affaires indiennes et le conseil de la bande de Fairford, ainsi qu'un représentant de la Fraternité des Indiens du Manitoba, mettre à jour la question relative à l'emprise de la route provinciale à grande circulation no 6. Le procès-verbal de la réunion montre que la question des emprises routières n'avait jamais été réglée, que le plein montant de l'indemnité n'avait pas été versé et que des intérêts seraient payés. Il ressort du procès-verbal que les représentants du Ministère voulaient régler l'affaire, mais qu'on laissait au conseil le soin de décider s'il allait confirmer les dispositions qui avaient initialement été prises. Le procès-verbal montre que toutes les circonstances de l'affaire ont pleinement été divulguées au conseil de la bande. Je cite le procès-verbal:

[traduction] M. Jackson a commencé la réunion en expliquant que la question des emprises routières dans la réserve indienne de Fairford, qui traînait depuis environ 1960, n'avait jamais été réglée, et que la réunion visait à mettre le chef et le conseil au courant de la situation, s'ils approuvaient les plans provinciaux concernant la construction de la voie publique dans leur réserve, ce qui permettrait de régler l'affaire et d'y mettre un terme d'une façon satisfaisante. Il a également été question du règlement relatif aux terres en cause relativement à la route provinciale à grande circulation no 6.

Le chef Anderson a déclaré que, compte tenu des négociations qui avaient eu lieu avec les anciens conseils, dont il était fait état dans le dossier, ils confirmeraient et approuveraient l'entente conformément aux documents. Toutefois, le chef a mentionné qu'il aimerait savoir à qui s'adresser à l'égard de l'entretien de la route étant donné que par le passé, la route n'avait pas été entretenue à la satisfaction de la bande et qu'il désirait ardemment régler le problème.

[. . .]

Le chef Anderson a de nouveau déclaré qu'ils souscrivaient aux conditions imposées par les anciens chefs et conseils à l'égard de l'emprise routière, mais il a de nouveau mentionné que la province n'avait pas respecté ses engagements [en ce qui concerne l'entretien de la route].

[. . .]

Le chef et le conseil ont alors signé une copie provisoire des plans et ont demandé que des copies des plans leur soient envoyées pour leurs dossiers.

M. Jackson a ensuite déclaré que la province avait pris d'autres terres d'une superficie de 5,22 acres, à part ce qui était initialement prévu dans l'entente, à l'égard de l'une des voies publiques menant à la route provinciale à grande circulation no 6. Le chef et le conseil devaient soumettre une résolution du conseil de la bande approuvant la chose et, sur présentation, la province verserait 500 $ à la bande. M. Wright a alors dit que des sections inutilisées d'une route pouvaient parfois être et avaient de temps en temps été retournées aux anciens propriétaires. Le chef Anderson a ensuite déclaré qu'il aimerait que la section inutilisée de cette route soit retournée à la bande. M. Jackson a déclaré qu'il assurerait le suivi. Une résolution du conseil de la bande a été préparée et signée par le chef et par le conseil comme il en a ci-dessus été fait mention.

M. Jackson a déclaré que la résolution du conseil de la bande qui avait été rédigée en 1960 à l'égard de la route provinciale à grande circulation no 6 avait été vérifiée et qu'il avait été constaté que le gouvernement provincial n'avait pas payé le plein montant de l'indemnité et qu'il était prêt à le verser à la bande, intérêts compris. Le chef Anderson leur était reconnaissant d'avoir fourni ce renseignement et a demandé des copies des documents concernant les terres utilisées aux fins de la construction de la route no 6, il a également demandé que des renseignements lui soient donnés au sujet des frais qui avaient été payés et de ceux qui ne l'avaient pas été.

Le chef et le conseil ont été informés que les intérêts impayés sur une période de dix ans étaient de 173 $, au taux de 5 p. 100, et que la province était prête à payer ce montant également. Cela leur convenait.

Le conseil de la bande a décidé de confirmer les dispositions qui avaient initialement été prises; les modalités de paiement, intérêts compris, lui convenaient.

Ce n'est qu'en 1973 que le décret 1973-1734, autorisant le transfert des terres au Manitoba aux fins de la route provinciale à grande circulation no 6, a été pris. Toutefois, il est certain que c'était la consultation qui avait eu lieu en 1971 qui avait entraîné le décret et le paiement du solde du prix d'achat qui était dû à l'égard des terres, intérêts compris, étant donné que le décret fait mention de la résolution du conseil de la bande du 16 septembre 1972 (il semble qu'une erreur ait été commise et qu'il s'agissait en fait de l'année 1971). Eu égard aux circonstances de l'espèce, je suis convaincu que la consultation qui a eu lieu entre les Affaires indiennes et le conseil de la bande était conforme à la norme de consultation prescrite dans l'arrêt Delgamuukw.

4.H. Le Canada a-t-il violé son obligation fiduciaire "en omettant, entre 1977 et 1984, de remédier aux lacunes du prétendu accord de 1974 concernant le transfert des terres de remplacement d'une façon opportune ou appropriée"?

4.H.1. Les faits

Comme il en a déjà été fait mention, la bande de Fairford avait négocié avec le Manitoba la question de l'indemnité à verser par suite des inondations causées, depuis 1967, par l'exploitation de l'ouvrage de régularisation des eaux. Ces négociations ont abouti, en 1974, à la préparation par le Manitoba d'une entente entre la bande, le Manitoba et le Canada en vue du transfert des terres de remplacement à la bande de Fairford. À cause de son importance, je cite l'entente au complet:

[traduction]

ATTENDU que certaines terres de la réserve indienne de Fairford no 50 (ci-après appelée la réserve) ont été de temps en temps inondées à cause de l'exploitation par le Manitoba de l'ouvrage de régularisation des eaux sur la rivière Fairford,

ATTENDU que le Manitoba est propriétaire de certaines terres contiguës à la réserve qu'il est prêt à transférer acre pour acre à la réserve à titre d'indemnisation par suite de la perte de champs de foin et de pâturages sur les terres inondées de la réserve,

ATTENDU que la bande a choisi certaines des terres appartenant au Manitoba qui peuvent être ajoutées à la réserve et en faire partie,

ATTENDU que le Canada et la bande sont prêts à accepter le transfert de certaines des terres du Manitoba à la réserve sous réserve des conditions ci-après énoncées,

À CES CAUSES, les parties aux présentes conviennent des dispositions suivantes:

1. Sous réserve des dispositions de The Crown Lands Act, ch. 340 des Statuts du Manitoba, le Manitoba transférera ou fera en sorte que soient transférées au Canada pour le compte de la réserve les terres plus précisément décrites à l'annexe "A", qui est jointe à l'accord et en fait partie, d'une superficie totale de 5 651,37 acres (ci-après appelées les terres transférées), délimitées en rouge sur la carte qui est jointe à l'annexe "B" de l'accord et en fait partie.

2. Étant donné que la superficie totale des terres transférées est inférieure à la superficie nécessaire en vue de satisfaire à l'exigence selon laquelle des terres additionnelles d'une superficie convenue de 6 000 acres doivent être transférées à la réserve, le Manitoba:

a) remettra un terrain aménagé d'une superficie de 190 acres, qui doit faire partie des terres transférées, lequel est composé, dans les secteurs O.1/2 10-30-90. et S.O. 1/4 12-30-90., d'une parcelle de 150 acres se prêtant à la production de foin et, dans le secteur N.E.1/4 10-30-90., d'une parcelle de 40 acres qui est cultivée et se prête à la production de foin ou de récoltes annuelles,

b) fera exécuter des travaux d'arpentage destinés à établir la limite sud des terres transférées aux fins de l'installation d'une clôture,

c) fournira des fonds en vue de l'installation de clôtures de délimitation extérieure sur une distance d'au plus cinq milles et demi (5 1/2) dans une partie située du côté ouest des terres transférées, et

d) assurera le transport des animaux des terres de la réserve qui sont inondées jusqu'à des pâturages sûrs.

3. Le Manitoba fournira aux bouviers de la réserve qui sont membres de la bande une quantité suffisante de foin pour alimenter le bétail se trouvant dans la réserve pendant la période hivernale d'alimentation 1974-1975, mais la quantité d'aliments fournie ne doit pas excéder une quantité de foin égale à celle qui peut avoir été perdue en raison de l'inondation des terres de la réserve causée par l'exploitation de l'ouvrage de régularisation des eaux de la rivière Fairford.

4. La bande continuera à reconnaître les droits de Harold Moar ainsi que de Gordon et de Douglas Sanderson et des autres résidents qui ne sont pas membres de la bande, et qui occupent les terres transférées, comme le montre l'annexe "B" des présentes, en vertu de permis généraux du Manitoba qui seront annulés, et la bande convient par les présentes que la réserve conclura des baux similaires avec ces occupants en vue de leur permettre de continuer à accéder à leurs terres, de les occuper et de les utiliser ainsi qu'en vue de leur permettre d'utiliser des services tels que les services d'électricité et les services téléphoniques et d'emprunter les chemins d'accès.

5. Les terres de la réserve qui ont été inondées continueront à faire partie de la réserve.

6. La bande et le Canada libèrent et déchargent par les présentes le Manitoba des actions, demandes, poursuites, dettes, comptes, dommages-intérêts, coûts et responsabilités de quelque nature qu'ils soient, qu'ils peuvent ou pourront faire valoir, ensemble ou séparément, et ce, que ceux-ci soient connus ou prévus ou non, en raison de l'inondation des terres de la réserve causée par l'exploitation de l'ouvrage de régularisation des eaux de la rivière Fairford par le Manitoba, et ils s'engagent en outre à indemniser le Manitoba de toute demande, poursuite ou action, quelle qu'elle soit, découlant de l'inondation des terres de la réserve causée par l'exploitation de l'ouvrage de régularisation des eaux de la rivière Fairford par le Manitoba.

7. Les parties collaboreront l'une avec l'autre en vue de fournir tout document ou de prendre toute initiative nécessaires en vue d'assurer la conclusion de l'accord.

8. Le Manitoba préparera les documents nécessaires aux fins d'une aliénation en bonne et due forme des terres qui sont transférées en vertu de The Crown Lands Act, et lorsqu'un acte de transfert dûment signé aura été établi en vertu de la Loi, il transmettra cet acte à la bande et au Canada pour conclusion et enregistrement au bureau d'enregistrement immobilier de Winnipeg.

EN FOI DE QUOI le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, pour le compte de Sa Majesté la Reine du chef du Canada, a apposé sa signature ainsi que le sceau de son ministère, le chef et le conseil de la bande de la réserve indienne de Fairford no 50, pour le compte de la réserve, ont apposé leurs signatures et leurs sceaux, et le ministre de l'Agriculture, pour le compte de Sa Majesté la Reine du chef du Manitoba, a apposé sa signature ainsi que le sceau de son ministère à la date susmentionnée.

Vers le 28 octobre 1974, le chef et le conseil de la bande ont signé l'accord.

Apparemment, le Manitoba a eu de la difficulté à réunir toutes les terres de remplacement. C'est pour cette raison, et peut-être pour d'autres, qu'il n'a consenti à l'accord qu'à la fin de 1976. Le 29 décembre 1976, il a pris le décret 1398-76 prévoyant la signature de l'accord.

Le 14 janvier 1977, le Manitoba a remis au Canada des copies de l'accord, signées par la bande (mais pas encore par le Manitoba), et lui a demandé de les signer.

Les terres de remplacement ne sont devenues des terres de la réserve qu'en 1992. Les demandeurs se plaignent du retard, entre 1977 et 1992, mais ils divisent cette période en deux autres périodes, l'une commençant en 1977, lorsque le Manitoba était prêt à aller de l'avant, et se terminant en 1984, et l'autre allant de 1984 jusqu'à maintenant. Le présent litige porte sur la période allant de 1977 à 1984.

Dès que l'accord d'indemnisation de 1974 lui a été remis, le Canada a reconnu l'existence de certains problèmes. Étant donné que l'accord visait le transfert de terres à une réserve indienne, le titre relatif à ces terres devait être détenu par Sa Majesté la Reine du chef du Canada. (Voir le paragraphe 18(1) et la définition de "réserve" figurant au paragraphe 2(1)19 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 1] de la Loi sur les Indiens.) Le Canada estimait que l'accord d'indemnisation n'était pas exécutable si la bande de Fairford en était partie. Le 17 mai 1978, l'avocat du gouvernement, J. B. Beckett, a déclaré, dans un avis écrit, qu'il fallait prendre un décret fédéral en vertu de l'article 35 de la Loi sur les Indiens afin de permettre l'inondation des terres de la réserve et que l'accord était inadéquat à cette fin. Il a également exprimé l'avis selon lequel l'indemnisation du Manitoba par le Canada nécessiterait l'adoption d'une loi fédérale.

En septembre 1978, le Canada a conclu que l'accord visait des terres qui faisaient déjà partie de la réserve et a demandé au Manitoba de prendre un décret modificateur.

Le 8 mars 1979, le chef et le conseil de la bande de Fairford ont écrit au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien pour demander que les terres de remplacement soient transférées à la réserve de façon que les membres de la bande puissent les occuper et les aménager.

Le 12 juin 1979, le Canada a informé le Manitoba que l'accord d'indemnisation était inacceptable, qu'il devrait être incorporé dans un décret provincial et que la bande de Fairford ne pouvait pas être partie à l'accord. Il a été signalé qu'en l'absence d'un décret fédéral pris en vertu de l'article 35 de la Loi sur les Indiens, l'inondation des terres de la réserve ne pouvait pas être autorisée et que l'indemnité demandée par le Manitoba nécessitait l'adoption d'une loi fédérale. La lettre dit que les Affaires indiennes acceptent les conditions de l'accord et que le ministère s'oppose uniquement à la procédure suivie. À cet égard, la lettre est plutôt ambiguë en ce sens qu'elle ne propose pas l'adoption d'un décret fédéral autorisant l'inondation des terres de la réserve ou l'adoption d'une loi fédérale.

Près d'un an s'est écoulé avant que le Manitoba réponde à la lettre du 12 juin 1979. Il semble que des avocats du gouvernement fédéral et des avocats du gouvernement provincial se soient rencontrés au moins une fois au printemps 1980 pour examiner la question.

Dans une lettre datée du 6 mai 1980, adressée à C. Henderson, du ministère fédéral de la Justice, I. D. Frost, du ministère du procureur général du Manitoba, signale que l'article 35 de la Loi sur les Indiens et les problèmes d'indemnisation mentionnés dans la lettre du 12 juin 1979 n'empêchaient pas la conclusion d'accords d'indemnisation portant sur ces questions à l'égard des bandes de Little Saskatchewan ou du lac St-Martin. Le Manitoba paraît avoir pris la position selon laquelle l'accord signé par le Canada le satisferait en ce qui concerne la question de l'inondation de la réserve et de l'indemnisation par le Canada.

Pour une raison ou une autre, on a répondu à cette lettre le 26 novembre 1981 seulement. Les lettres que le Manitoba a envoyées aux Affaires indiennes au cours de cette période de 18 mois montrent jusqu'à quel point le temps que mettait le ministère fédéral de la Justice à examiner l'affaire frustrait le Manitoba. Dans sa lettre du 26 novembre 1981, le Canada réitère la position qu'il avait prise dans sa lettre du 12 juin 1979. Cette lettre est elle aussi ambiguë et bien que la nécessité de se fonder sur l'article 35 de la Loi sur les Indiens relativement à la question de l'inondation et d'édicter une loi fédérale autorisant l'octroi d'une indemnité par le Canada soit mentionnée, la façon dont le Canada se proposait de régler ces questions n'est pas précisée.

Il y a ensuite eu des retards additionnels. Les représentants provinciaux et les représentants fédéraux se sont rencontrés le 23 novembre 1982, et ils paraissent s'être entendus sur la procédure à suivre. La preuve ne montre pas clairement quelle était exactement l'entente. Il y a ensuite eu une période d'environ 15 mois au cours de laquelle le Canada et le Manitoba ont échangé des lettres. Enfin, le 1er février 1984, le directeur, Réserves et fidéicommis, région du Manitoba, Affaires indiennes et inuit, a recommandé au directeur général, Réserves et fidéicommis, Ottawa, que le Canada prenne le décret nécessaire en vue d'accepter les terres de remplacement et de permettre à la province d'utiliser les terres de la réserve en vue de les inonder. Il n'est pas fait mention de l'indemnité qui, selon l'avis juridique exprimé par M. Beckett, devait être approuvée au moyen d'une loi fédérale. De plus, les terres que le Manitoba était autorisé à inonder ne sont pas décrites.

À la fin du mois de mars 1984, un rapport au gouverneur en conseil avait été préparé; toutefois, il paraît y avoir eu un gros arriéré, qui causerait encore du retard. De fait, on n'a pris aucune autre mesure en vue de mener à bonne fin le transfert à la réserve des terres de remplacement.

En septembre 1984, Jim Gallo, conseiller en droits fonciers, Affaires indiennes et inuit, région du Manitoba, ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, a commencé à s'occuper de l'affaire et a donné une nouvelle orientation aux négociations qui avaient lieu entre le Canada et le Manitoba. Il en sera question dans la section 4.J.

4.H.2. Analyse de l'obligation fiduciaire

Je retiens l'argument du Canada selon lequel le retard qu'il y a eu, entre 1977 et 1984, n'était pas uniquement attribuable au Canada et que la bande de Fairford avait dans une certaine mesure été consultée. À coup sûr, le Manitoba a tardé à répondre aux préoccupations que le Canada avait exprimées dans sa lettre du 12 juin 1979. Cependant, la correspondance montre que le chef de la bande de Fairford était périodiquement tenu au courant des discussions qui avaient lieu entre le Canada et le Manitoba.

En même temps, je suis convaincu que le retard était principalement attribuable au Canada et qu'il était injustifié. Le Canada a pour le moins été fort lent à agir, lorsqu'il s'est agi d'analyser la situation et de prendre des mesures en vue de faire avancer l'affaire. La correspondance montre qu'il y avait un certain degré de confusion parmi les fonctionnaires de la Division des affaires indiennes au sujet de ce qu'il fallait faire pour mettre un terme à l'opération. On ne sait pas trop comment le Canada pouvait proposer l'adoption d'un décret autorisant le Manitoba à inonder les terres de la réserve alors que l'accord conclu avec le Manitoba ne décrivait pas ces terres et ne précisait pas les mesures, le cas échéant, qui pouvaient être prises à l'égard de l'indemnité demandée.

Quoi qu'il en soit, le Canada n'a pas ratifié l'accord d'indemnisation et, en septembre 1984, aucun progrès n'avait été fait depuis le moment où l'on avait demandé au Canada de ratifier l'accord, en 1977. Dans une lettre au Manitoba datée du 18 septembre 1984, M. Gallo décrit, correctement à mon avis, la question de l'accord d'indemnisation comme étant [traduction] "dans un état de confusion totale".

Je crois que lorsque le Canada a reçu l'accord d'indemnisation du Manitoba au début de 1977, il a assumé un rôle de fiduciaire à l'égard de la bande. De fait, le Canada a pris la position selon laquelle la bande ne pouvait pas être partie à l'accord. C'était le Canada qui avait le pouvoir unilatéral de ratifier l'accord. Les circonstances habituelles dans lesquelles le Canada s'est trouvé à agir à titre de fiduciaire se rapportent à la cession de terres de la réserve. C'est le pouvoir discrétionnaire dévolu au Canada de s'occuper des terres cédées et de remédier à la vulnérabilité de la bande indienne, une fois qu'il a cédé les terres, qui donne naissance à l'obligation fiduciaire. Les mêmes conditions s'appliquent lorsque des terres doivent être ajoutées à une réserve indienne. Le titre légal relatif aux terres doit être dévolu à Sa Majesté la Reine du chef du Canada et les terres doivent être mises de côté par Sa Majesté à l'usage et au profit de la bande indienne. Sa Majesté doit consentir à détenir le titre à des conditions précises. Une fois que la bande indienne demande que les terres fassent partie de la réserve et qu'elle s'en remet au Canada, elle devient complètement vulnérable. Elle compte sur le Canada pour convenir avec la partie qui remet les terres des conditions auxquelles les terres sont remises et pour conclure l'opération. Comme dans le cas d'une cession, lorsque des terres doivent être ajoutées à une réserve, la Couronne s'interpose entre la partie qui remet les terres et la bande indienne, et doit protéger la bande contre une opération imprévoyante. Étant donné que l'opération se rapporte à des terres qui doivent être ajoutées à celles de la réserve, la Couronne n'a pas envers la bande une obligation de droit public, mais une obligation de la nature d'une obligation de droit privé (Guerin, précité, à la page 385). Je conclus donc qu'en pareil cas, le Canada agit en sa qualité de fiduciaire à l'égard de la bande indienne.

Le fiduciaire doit s'occuper du bien qui lui est confié comme s'il lui appartenait. Il doit agir avec une compétence et une diligence raisonnables. En général, je crois qu'il doit entre autres agir en temps opportun. Voir Bande Alexander (no 134) c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1991] 2 C.F. 3 (1re inst.), à la page 15, juge Strayer (tel était alors son titre).

Le Canada n'a pas agi en temps opportun après avoir reçu l'accord d'indemnisation du Manitoba en 1977.

Toutefois, un facteur vient compliquer l'affaire; comme je l'expliquerai ci-dessous, l'accord d'indemnisation de 1974 était une opération déraisonnable pour la bande. En échange de terres d'une superficie de 5 771,91 acres, la bande était prête à libérer le Manitoba de toute autre demande et à lui permettre, sans restriction aucune, d'exploiter l'ouvrage de régularisation des eaux, et ce, quelle que soit l'étendue des inondations possibles. Le Canada est responsable du retard, mais c'est au profit de la bande qu'il n'a pas ratifié l'accord.

Il s'agit donc de savoir si, en ne ratifiant pas une opération déraisonnable à laquelle la bande était prête à consentir, le Canada est protégé contre toute conclusion selon laquelle il a violé son obligation fiduciaire en tardant à agir. Je ne le crois pas. Les faits montrent que la confusion régnait parmi les responsables, en ce qui concerne la question de savoir ce que le Canada devait faire. Les lettres du Canada au Manitoba étaient ambiguës et montraient qu'il y avait confusion.

En mars 1984, le Canada a convenu de prendre, en vertu de l'article 35, un décret autorisant le Manitoba à utiliser les terres de la réserve pour les inonder. Toutefois, rien ne montre quelle était la superficie des terres en cause. De plus, rien ne montre de quelle façon le Canada était prêt à régler la question de l'indemnité qu'il devait verser en vertu de l'accord et s'il était prêt à le faire.

Le Canada aurait peut-être violé une obligation fiduciaire s'il avait ratifié une opération déraisonnable. Toutefois, il n'est pas libéré de cette obligation du simple fait qu'il a tardé à ratifier l'opération, et ce, parce que le retard n'a rien à voir avec le caractère déraisonnable de l'opération. Le Canada semble avoir été prêt à consentir à l'accord. Le retard était attribuable à la confusion qui régnait au sujet de la procédure à suivre.

L'obligation d'un fiduciaire est liée au pouvoir discrétionnaire qui doit être exercé. Cela doit comprendre l'évaluation du bien-fondé de l'accord du point de vue de la bande indienne. Le Canada était tenu de déterminer, en temps opportun, ce qui était déraisonnable, le cas échéant, dans l'accord d'indemnisation et d'informer la bande de Fairford de la chose. Telle est la raison pour laquelle le Canada agissait à titre de fiduciaire et s'interposait entre le tiers (le Manitoba) et la bande de Fairford. Comme le juge en chef Isaac, de cette Cour, l'a dit à la page 25 de l'arrêt Semiahmoo, précité:

Je dois souligner qu'en vertu de son obligation fiduciaire, la Couronne est tenue de refuser de consentir à la cession si l'opération est abusive. Afin de satisfaire à cette obligation, la Couronne elle-même doit examiner avec soin l'opération envisagée afin de s'assurer qu'elle n'est pas abusive. En sa qualité de fiduciaire, la Couronne doit se conformer à une norme de conduite stricte. [C'est moi qui a fait le second soulignement.]

Bien sûr, si le Canada avait agi en temps opportun, le Manitoba n'aurait peut-être pas consenti à une opération qui n'était pas déraisonnable pour la bande. Toutefois, cela n'absout pas le Canada de sa responsabilité. Dans l'arrêt Guerin, précité, le juge Dickson dit ceci, à la page 388:

Lorsqu'il s'est révélé impossible d'obtenir le bail promis, Sa Majesté, au lieu de procéder à la location des terres à des conditions différentes et défavorables, aurait dû retourner devant la bande pour lui expliquer ce qui s'était passé et demander son avis sur ce qu'il lui fallait faire.

Telle était l'obligation du Canada en l'espèce. Le Canada aurait dû décider en temps opportun que l'accord d'indemnisation n'était pas acceptable; il aurait dû expliquer ses raisons à la bande et lui demander des instructions au sujet de ce qu'il fallait faire. En omettant de le faire, le Canada a violé l'obligation fiduciaire qu'il avait envers la bande.

Il est difficile de savoir exactement à quel moment la violation a eu lieu et pendant combien de temps. Je crois que la violation doit avoir été commise lorsque le retard est devenu déraisonnable. L'affaire était complexe et il fallait certainement accorder au Canada le temps nécessaire pour évaluer l'opération et décider des mesures à prendre. L'accord a été présenté au Canada en janvier 1977. La première analyse juridique sérieuse a été faite par J. B. Beckett dans l'avis qu'il a exprimé en mai 1978. L'analyse avait été demandée le 1er décembre 1977. Aucune explication n'a été donnée au sujet de la raison pour laquelle il avait fallu plus de dix mois pour demander l'avis juridique et pourquoi il a fallu environ six mois pour que l'avis soit donné. Je ne puis voir pourquoi le Canada n'aurait pas dû se rendre compte, du moins avant la fin de l'année 1977, que, pour autoriser le Manitoba à utiliser les terres de la réserve afin de les inonder, il faudrait décrire ces terres et prendre une décision finale au sujet de la question de savoir si l'indemnité demandée par le Manitoba devait être accordée et, dans l'affirmative, déterminer les modalités d'indemnisation.

À mon avis, le Canada a violé l'obligation fiduciaire qu'il avait envers la bande de Fairford à compter du début de l'année 1978, du fait qu'il n'a pas exercé son pouvoir discrétionnaire à l'égard de l'accord d'indemnisation en se fondant sur une analyse réfléchie de ses lacunes, qu'il n'a pas informé la bande de Fairford des lacunes et qu'il ne lui a pas demandé d'instructions. Entre le début de l'année 1978 et le moment où M. Gallo a pris en main le dossier, en septembre 1984, aucun progrès n'a été fait à l'égard de ces questions, la bande n'a pas été conseillée au sujet des lacunes de l'accord ou fort peu de conseils lui ont été donnés à ce sujet, et il n'y a pas eu de discussions avec la bande au sujet de ce qu'il fallait faire. Étant donné que la bande n'a pas été adéquatement consultée pendant plus de six ans et demi, le retard est déraisonnable. J'ai reconnu que le Manitoba était en partie responsable du retard, mais le retard qui lui est attribuable est minime comparativement au retard occasionné par le Canada. Je conclus que, pendant cette période, le Canada a violé l'obligation fiduciaire qu'il avait envers la bande de Fairford en omettant de remédier d'une façon compétente aux lacunes de l'accord d'indemnisation en temps opportun et en omettant, une fois que les lacunes auraient dû être découvertes, de consulter la bande en vue de déterminer les mesures à prendre.

Note de l'arrêtiste (remplaçant

    les par. 231 à 277)

Il s'agissait de savoir si la Couronne avait violé l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers la bande de Fairford en omettant, entre 1977 et 1991, de remédier aux problèmes découlant du transfert incomplet des terres de remplacement visées par l'accord d'indemnisation de 1974 de façon qu'elles fassent partie de la réserve, tout en encourageant les Indiens à s'établir sur lesdites terres. Après avoir examiné les problèmes qui s'étaient posés ainsi que la perte et le préjudice allégués par les demandeurs, le juge a conclu que le fait que les terres de remplacement ne faisaient pas partie de la réserve avait causé des problèmes administratifs à la bande et à ses membres. Toutefois, les problèmes mentionnés par les demandeurs ne donnaient pas lieu à une perte ou à un préjudice précis ou encore la Couronne avait remédié à la situation. Sont également omis les faits se rapportant à la question de savoir si la Couronne avait violé l'obligation fiduciaire qu'elle avait envers la bande de Fairford en négociant activement avec le Manitoba entre 1984 et 1991 à l'égard de l'indemnité accordée pour les effets préjudiciables du barrage sans que la bande participe à ces négociations ou sans qu'elle en ait connaissance. Le juge a fait un long exposé des événements et des documents se rapportant à la période allant de 1984 à 1992.

4.J. Le Canada a-t-il violé l'obligation fiduciaire qu'il avait envers la bande de Fairford "en négociant activement avec la province entre 1984 (après qu'il s'est clairement rendu compte qu'aucun accord n'avait été conclu avec le Manitoba) jusqu'à l'année 1991 inclusivement, à l'égard de l'indemnité accordée pour les effets préjudiciables de l'ouvrage de régularisation des eaux, sans que la bande participe à ces négociations ou sans qu'elle en ait connaissance"?

Par le décret 1992-430 daté du 12 mars 1992, le Canada a accepté les terres de remplacement d'une superficie de 5 771,91 acres et les a mises de côté à l'usage et au profit de la bande de Fairford à titre d'additions à la RI no 50.

4.J.4. Conclusions tirées des faits

Cette longue chronologie des événements et cette longue mention des documents, de 1984 à 1992, permettent de faire les constatations suivantes:

1. Il était clair qu'en septembre 1984, le Canada comprenait qu'il ne pouvait pas ratifier l'accord de 1974 que la bande avait signé puisque la bande serait alors assujettie à des inondations sans restriction et n'aurait pas de recours contre le Manitoba;

2. En décembre 1984, le Canada avait décidé que la bande avait conclu une opération déraisonnable avec le Manitoba et qu'il serait difficile d'obtenir le consentement du Manitoba en vue de négocier à nouveau l'accord;

3. En décembre 1985, le Manitoba avait concédé que des niveaux d'inondation devaient être fixés;

4. Le Canada a pris la position selon laquelle des travaux de cartographie et d'arpentage devraient être exécutés en vue de déterminer si les niveaux d'inondation proposés par le Manitoba étaient raisonnables;

5. Entre le mois de septembre 1984 et le mois de février 1986, rien ne montre qu'il y ait eu des communications pertinentes entre les Affaires indiennes et la bande de Fairford;

6. Après le mois de février 1986, les communications et renseignements échangés entre les Affaires indiennes et la bande avaient augmenté de beaucoup;

7. Il fallait rassembler un grand nombre de renseignements pour déterminer les niveaux d'inondation et cela prenait énormément de temps;

8. Au cours de cette période, les retards ont été occasionnés par le Manitoba et par la bande, mais non par le Canada;

9. Les terres de remplacement ont été transférées au Canada et ont été mises de côté à l'usage et au profit de la bande de Fairford à titre d'additions à la RI no 50 sans que la bande renonce aux droits auxquels elle était prête à renoncer dans l'accord d'indemnisation de 1974.

La preuve montre que jusqu'au mois de septembre 1984, le Canada comprenait mal l'accord d'indemnisation et faisait peu de progrès à cet égard, mais que la situation a changé lorsque M. Gallo a pris l'affaire en main. M. Gallo a rapidement découvert des lacunes importantes dans l'accord d'indemnisation. Il aurait dû communiquer avec la bande de Fairford dès qu'il a découvert ces lacunes et discuter avec elle de la façon de procéder, mais il ne l'a fait qu'en février 1986. Dans l'intervalle, il a continué à négocier avec le Manitoba et, à la fin de 1985, il avait obtenu du Manitoba qu'on examine la question des niveaux d'inondation. Pendant ce temps, le Canada n'a pas conclu d'entente obligatoire avec le Manitoba pour le compte de la bande de Fairford.

Après le mois de février 1986, la bande était en cause et le Canada la consultait au sujet des négociations avec le Manitoba. La preuve n'étaye pas l'allégation des demandeurs selon laquelle le Canada avait activement négocié avec le Manitoba après cette date, sans que la bande participe aux négociations ou sans qu'elle soit au courant de la situation.

4.J.5. Analyse de l'obligation fiduciaire

La seule période pour laquelle l'allégation des demandeurs selon laquelle il n'y a pas eu consultation est étayée par la preuve est celle qui va du mois de septembre 1984 au mois de février 1986. J'ai déjà dit qu'il aurait été préférable que M. Gallo consulte la bande au cours de cette période. L'omission du Canada de consulter la bande pendant cette période a-t-elle donné lieu à la violation d'une obligation fiduciaire? Eu égard aux circonstances, je suis d'avis qu'elle y a donné lieu.

Dans l'arrêt Guerin, précité, le juge Dickson a conclu que l'obligation de consulter qui incombait au Canada avait pris naissance lorsqu'il s'était avéré impossible d'obtenir un bail aux conditions auxquelles la bande avait cédé les terres. Au lieu de procéder à la location des terres à des conditions différentes et défavorables, le Canada était tenu de consulter la bande Musqueam au sujet de ce qu'il fallait faire (à la page 388).

En l'espèce, pendant la période en question, soit entre le mois de septembre 1984 et le mois de février 1986, l'obligation fiduciaire du Canada consistait à protéger la bande lorsqu'elle traitait avec le Manitoba. Je crois que M. Gallo tentait de s'acquitter de cette obligation. Pendant la période pertinente, rien ne montre qu'il y a eu un retard ou, à l'exception de l'omission de consulter, quelque autre délit d'action ou de commission de la part de M. Gallo. Les mesures qu'il a prises me paraissent, à l'exception de l'omission de consulter, diligentes et conformes à ce qu'on s'attendrait d'un fiduciaire.

Rien ne montre dans la documentation dont je dispose qu'une consultation antérieure aurait influé sur le cours des négociations avec le Manitoba. Toutefois, l'obligation de consulter ne dépend pas d'une évaluation rétrospective de la question de savoir s'il était utile de consulter la bande. Lorsque le Canada traitait unilatéralement avec le Manitoba, il était tenu de consulter la bande et l'omission de la consulter pendant cette période constituait une violation d'une obligation fiduciaire de la part du Canada.

5.PRESCRIPTION

5.A. Le délai de prescription de six ans

Le défendeur soutient que les demandes des demandeurs doivent être rejetées parce qu'elles sont prescrites. On invoque l'alinéa 2(1)k) de la Loi sur la prescription du Manitoba, L.R.M. 1987, ch. L150. L'alinéa 2(1)k) est ainsi libellé:

2(1) Les actions suivantes se prescrivent par les délais respectifs indiqués ci-dessous:

[. . .]

k) une action fondée sur un accident, une erreur ou un autre motif de recours reconnu en Équité, sauf les motifs mentionnés aux alinéas ci-dessus, se prescrit par six ans, à compter de la découverte de la cause d'action;

Les tribunaux du Manitoba ont statué que l'alinéa 2(1)k) s'applique à la violation d'une obligation fiduciaire (voir: C. (C.D.) v. Starzecki, [1996] 2 W.W.R. 317 (B.R. Man.), à la page 323). Un délai de prescription de six ans est imposé à l'égard des demandes que les demandeurs ont présentées.

La déclaration des demandeurs a été déposée le 15 septembre 1993. Le défendeur soutient que toutes les demandes sont prescrites, à l'exception de celles dans lesquelles il est allégué que le Canada a violé une obligation fiduciaire à compter du 15 septembre 1987.

Sous réserve des considérations ci-après énoncées, les demandes antérieures au 15 septembre 1987 sont prescrites.

5.B. Plaidoyers non appropriés

Les demandeurs soutiennent que le défendeur n'a pas invoqué de la façon appropriée la Loi sur la prescription comme moyen de défense. L'avocat a cité la décision Sandvik, A. B. c. Windsor Machine Co. (1986), 8 C.P.R. (3d) 433 (C.F. 1re inst.) selon laquelle le moyen invoqué devrait énoncer les faits substantiels qui permettent d'invoquer les dispositions relatives à la prescription et préciser sur quelles dispositions provinciales la partie se fonde ainsi que l'effet de ces dispositions. Toutefois, l'avocat des demandeurs n'a présenté aucun argument à l'égard des faits substantiels qui, selon lui, n'avaient pas été invoqués.

La défense du défendeur se lit comme suit:

[traduction]

19. Quant à la déclaration dans son ensemble, il affirme que la demande de la première nation de Fairford et des demandeurs désignés est prescrite en vertu de la Loi sur la prescription, L.R.M. 1987, ch. L150, dans sa forme modifiée, et en particulier du paragraphe 2(1) de cette loi ainsi qu'en vertu de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e supp.), ch. 10, dans sa forme modifiée, et en particulier de l'article 39 de cette loi.

L'acte de procédure du défendeur n'est pas ambigu. Cette affaire n'est pas semblable à l'affaire Sandvik, précitée, dans laquelle les défenderesses avaient omis de désigner la législation provinciale sur la prescription sur laquelle elles entendaient se fonder et dans laquelle le juge du procès a conclu que "les moyens ne donnent absolument aucun renseignement à la demanderesse" (juge Collier, à la page 443). Je conclus qu'en l'espèce, les demandeurs avaient amplement été avisés de ce qui était allégué dans la défense. L'alinéa 2(1)k) de la Loi sur la prescription du Manitoba a été plaidé d'une façon appropriée.

. . .

5.D. Violation continue

L'approche générale que les demandeurs ont adoptée à l'égard de leur cause consistait à soutenir que le Canada a violé de façon continue l'obligation fiduciaire qu'il avait envers la bande à compter du moment où il a approuvé et en partie financé l'ouvrage de régularisation des eaux. Comme l'a dit l'avocat, [traduction] "pendant tout le temps où la preuve a été présentée, j'ai essayé de lier tout ce qui s'est passé depuis 1958 à la violation d'une obligation fiduciaire". Cela constituait clairement une tentative de sa part pour se soustraire au délai de prescription de six ans imposé par la Loi sur la prescription du Manitoba.

La violation continue a été plaidée dans des affaires antérieures. Dans l'arrêt Bande indienne de Semiahmoo c. Canada, précité, le juge en chef Isaac, de cette Cour, a expressément abordé cette question, aux pages 34 et 35:

L'obligation fiduciaire qui incombait à l'intimée après la cession peut être considérée comme continue tant que cette dernière conserve la propriété et le contrôle des terres, mais j'estime que tout manquement à cette obligation doit pouvoir être situé à un moment précis. Conclure que le manquement à une obligation fiduciaire se poursuit tant que la Couronne conserve les terres cédées irait à l'encontre du but même des délais de prescription [. . .]

Toutefois, le juge de première instance a commis une erreur en mettant l'accent sur la question de savoir s'il pouvait y avoir un manquement continu à une obligation fiduciaire, plutôt qu'en situant dans le temps l'obligation fiduciaire que l'intimée avait, après la cession, envers la bande à l'égard des terres cédées et en se demandant s'il y avait eu manquement à cette obligation à un moment donné [. . .] Il convient de décider si, après la cession, l'intimée a manqué à cette obligation continue à un moment donné, et non de se demander s'il y a eu un soi-disant "manquement continu". [C'est le juge en chef qui souligne.]

En faisant les remarques précitées, le juge en chef Isaac se fondait sur les décisions Bande indienne Wewayakum c. Canada et Bande indienne Wewayakai (1995), 99 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.), et Bande indienne de Lower Kootenay c. Canada, [1992] C.N.L.R. 54 (C.F. 1re inst.), à la page 118. Dans la décision Wewayakum, le juge Teitelbaum a examiné le droit et a dit ce qui suit, à la page 68:

La Couronne soutient, et je suis d'accord, [. . .] que la cause d'action ne prend naissance et ne peut fonder une action qu'une seule fois [. . .] Le fait que Cape Mudge ait pu subir une perte (ce qui, à mon avis, n'est pas le cas) entre 1907 et aujourd'hui ne donne pas naissance en droit à des "dommages-intérêts continus" ou à une "cause d'action continue"

En parlant des remarques que le juge Dubé avait faites dans la décision Lower Kootenay, le juge Teitelbaum a ajouté ceci [aux pages 68 et 69]:

Je remarque également que, dans la décision Bande indienne de Lower Kootenay et Luke c. Canada (1991), 42 F.T.R. 241 (C.F. 1re inst.), le juge Dubé a écarté l'argument suivant lequel une cause d'action "continue" peut faire échouer la défense de prescription. Dans l'affaire Luke , la bande demanderesse réclamait des dommages-intérêts pour chaque année pendant laquelle la Couronne avait manqué à sa présumée obligation fiduciaire de mettre fin à un bail imprévoyant négocié par la Couronne pour le compte de la bande. Le juge Dubé a rejeté l'argument de la bande portant que le cumul de dommages-intérêts pour chaque année au cours de laquelle la Couronne avait omis de mettre fin au bail de la bande a donné naissance à une nouvelle cause d'action à l'abri de tout délai de prescription. À la p. 293, le juge Dubé a fait les commentaires suivants:

Il reste donc à décider quel délai de prescription s'applique à chaque manquement et à quel moment. À mon avis, la cause d'action originale a pris naissance en 1934 au début du bail de cinquante ans. Le simple fait qu'il s'agisse d'un bail n'entraîne pas automatiquement renouvellement de la cause d'action chaque année et à ma connaissance, aucune autorité ne peut être citée à l'appui de cette proposition. Cependant, d'autres causes d'action peuvent prendre naissance pendant cette période.

L'argument qu'il y a eu violation continue n'est pas fondé. Les demandeurs affirment qu'il y a eu violation continue depuis 1958. Toutefois, le simple fait que des circonstances subséquentes donnent lieu à une obligation fiduciaire et à une cause d'action fondée sur la violation de cette obligation ne veut pas dire que la cause d'action a pour effet de remettre en vigueur rétroactivement un délai de prescription se rapportant à une cause d'action antérieure découlant de circonstances qui sont survenues antérieurement. Chaque cause d'action alléguée découle d'un ensemble distinct de circonstances. Une cause d'action distincte fondée sur la violation d'une obligation fiduciaire invoquée contre le Canada découle de chaque ensemble distinct de circonstances et un nouveau délai de prescription commencera à courir à l'égard de chaque violation alléguée de l'obligation fiduciaire.

5.E. Possibilité de découverte

La date à laquelle une cause d'action prend naissance n'est pas nécessairement celle à laquelle le délai de prescription commence à courir. L'alinéa 2(1)k) de la Loi sur la prescription du Manitoba, précitée, renferme une disposition concernant la "possibilité de découvrir" une cause d'action, selon laquelle le délai ne commence pas à courir, aux fins de la prescription, tant qu'il n'y a pas eu "découverte de la cause d'action". Une cause d'action est considérée comme pouvant être découverte lorsque "les faits importants sur lesquels repose cette cause d'action ont été découverts par le demandeur ou auraient dû l'être s'il avait fait preuve de diligence raisonnable". (Central Trust Co. c. Rafuse , [1986] 2 R.C.S. 147, à la page 224; voir également M. (K.) c. M. (H.), [1992] 3 R.C.S. 6, à la page 34).

Dans le contexte de la possibilité de découverte, j'examinerai les causes d'action que les demandeurs ont réussi à établir: à savoir que le Canada a violé l'obligation fiduciaire qu'il avait envers la bande de Fairford en tardant à examiner l'accord d'indemnisation ainsi qu'en omettant de consulter la bande entre le début de l'année 1978 et le mois de septembre 1984 et en omettant de consulter la bande entre le mois de septembre 1984 et le mois de février 1986. Je limite mon analyse de la prescription à ces questions étant donné que je n'ai pu constater l'existence d'aucune cause d'action valable à l'égard des autres allégations des demandeurs. Le retard et l'omission de consulter la bande se sont produits plus de six ans avant que la déclaration des demandeurs soit déposée, le 15 septembre 1993.

Il s'agit donc de savoir à quel moment les demandeurs auraient pu découvrir, en faisant preuve d'une diligence raisonnable, qu'ils avaient ces causes d'action contre le Canada.

La documentation montre que la bande de Fairford était au courant du retard dès le 8 mars 1979, lorsqu'elle a écrit au ministre des Affaires indiennes pour demander que le transfert des terres de remplacement soit effectué de façon que les membres de la bande puissent occuper et aménager les terres. Le 10 juillet 1981, le conseil de la bande a adopté une résolution montrant qu'il souhaitait que le Canada fasse preuve de diligence en mettant de côté les terres de remplacement à titre de terres de la réserve [traduction] "sans délai".

Par la suite, par écrit ou oralement, la bande a fait connaître sa frustration à l'égard du fait qu'on tardait à transférer les terres de remplacement de façon qu'elles fassent partie de la réserve. Il est certain que la bande était parfaitement au courant du retard.

Cependant, à mon avis, la bande ne savait pas si le retard était attribuable à des motifs justifiables ou si le Canada omettait simplement d'agir avec la diligence dont le fiduciaire doit faire preuve. La preuve montre que la bande a appris que le retard était injustifié uniquement vers 1992. En 1991, la bande a retenu les services de la firme E. E. Hobbs and Associates Ltd. en vue d'effectuer des recherches sur les événements qui avaient donné lieu à la construction de l'ouvrage de régularisation des eaux et à l'omission subséquente de conclure un règlement satisfaisant, ainsi qu'en vue d'évaluer les dommages qui avaient été subis. Après que ses services eurent été retenus, Hobbs and Associates a examiné les archives publiques tant du Manitoba que du Canada et a rencontré diverses personnes, et notamment d'anciens fonctionnaires et des fonctionnaires en place.

Le volume 1 du rapport Hobbs, daté du mois de février 1992, intitulé "It Has Cost Us Our Lives", renferme une analyse historique des événements qui se sont produits, notamment entre 1977 et 1984. Il ressort du rapport que la firme a examiné les dossiers du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien en effectuant son analyse. Le rapport mentionne diverses lettres échangées entre le Canada et le Manitoba ainsi qu'entre les fonctionnaires du ministère.

Le rapport fait expressément mention de la lettre que le ministère des Affaires indiennes a envoyée au Manitoba le 18 septembre 1984, décrivant la situation comme étant [traduction] "dans un état de confusion totale".

La preuve dont je dispose laisse entendre qu'entre 1977 et 1984, lorsque les représentants de la bande demandaient où en était l'accord d'indemnisation, les fonctionnaires du Ministère se contentaient d'assurer à la bande qu'on s'occupait de l'affaire et que tout allait bien. À certains moments, on a dit aux membres de la bande que c'était le Manitoba qui était responsable du retard. Rien ne montre que le Canada a accepté d'être blâmé pour le retard. On a appris jusqu'à quel point le Canada avait été négligent en s'occupant des négociations relatives à l'accord d'indemnisation entre le début de l'année 1978 et le mois de septembre 1984 uniquement lorsque la firme Hobbs and Associates a examiné les dossiers du Ministère et a constaté que le retard semblait être attribuable [traduction] "à la confusion et à la maladresse bureaucratiques".

Je ne crois pas qu'il aurait été raisonnablement possible de découvrir que le Canada s'occupait de l'affaire d'une façon négligente avant que Hobbs fasse enquête. Rien ne montre, jusqu'en 1990, que la bande de Fairford croyait avoir une cause d'action contre le Canada et rien dans la documentation ne montre qu'il y aurait eu lieu pour la bande de croire que, lorsque le Canada agissait à titre de fiduciaire, il ne faisait pas preuve d'une diligence raisonnable. Ce n'est que le 11 octobre 1990, lorsque l'avocat du gouvernement, Thomas A. Saunders, a écrit au chef Andrew Anderson que la bande a commencé à remettre en question la légalité de la conduite du Canada. La lettre est en partie ainsi libellée:

[traduction] Je ne sais pas trop si la bande a déjà retenu les services d'un avocat pour l'aider dans la présente affaire, mais à mon avis, il faudrait maintenant qu'elle ait un avocat qui veille à ce que ses intérêts soient protégés d'une façon appropriée.

(Si vous n'avez pas encore d'avocat et que vous avez besoin d'aide pour en choisir un, c'est avec plaisir que je vous aiderai si vous le désirez.)

Je suis convaincu qu'avant la présentation du rapport Hobbs, en février 1992, la bande de Fairford n'aurait pas pu raisonnablement découvrir les faits importants concernant la façon dont le Canada s'était occupé de l'accord d'indemnisation entre le début de l'année 1978 et le mois de septembre 1984. En ce qui concerne la cause d'action des demandeurs fondée sur le fait que la Couronne a tardé à agir au cours de cette période, je conclus que l'action a été intentée dans le délai imparti à l'alinéa 2(1)k) de la Loi sur la prescription du Manitoba et qu'elle n'est pas prescrite.

Quant à l'omission du Canada de consulter la bande de Fairford entre le mois de septembre 1984 et le mois de février 1986, la preuve montre que la bande a été mise au courant, en février 1986, des efforts que le Canada avait faits auprès du Manitoba pendant cette période. Dans la lettre qu'il a envoyée au chef Anderson de la bande de Fairford, ainsi qu'aux chefs des bandes de Little Saskatchewan et du lac St-Martin, le 17 février 1986, L. Robinson, directeur, Réserves et fidéicommis, Affaires indiennes et du Nord Canada, a écrit ce qui suit:

[traduction] Depuis le mois de septembre 1984, nous avons essayé d'obtenir le consentement de la province à l'égard de la modification de deux clauses des accords d'indemnisation concernant la régularisation de la rivière Fairford qui ont été signés entre 1974 et 1976. Ces modifications se rapportent au niveau jusque auquel le Manitoba peut inonder les terres de la réserve et à la nature du titre relatif aux terres de remplacement qui doivent être mises de côté pour chacune des trois réserves. Il faut effectuer les modifications demandées pour que le Canada puisse ratifier les accords d'indemnisation et leur donner effet en vertu de la Loi sur les Indiens.

Cette lettre montre clairement que la bande de Fairford a été informée en février 1986 des questions à l'égard desquelles le Canada avait omis de la consulter entre le mois de septembre 1984 et le mois de février 1986. La cause d'action fondée sur l'omission de consulter la bande au cours de cette période est prescrite depuis le mois de février 1992.

6. CONCLUSION

Je me suis longuement attardé à donner des précisions sur la façon dont j'interprétais les faits et le droit à l'égard de chacun des cas de violation d'obligation fiduciaire allégués par les demandeurs. Je l'ai fait parce que, eu égard aux circonstances de l'espèce, je croyais qu'il est important que les demandes présentées par les demandeurs soient examinées au fond et que la Cour donne des explications aux demandeurs au sujet des conclusions qu'elle a tirées.

Compte tenu de la preuve dont je dispose, je suis tout à fait convaincu qu'à certains égards, les conditions de vie dans la réserve de Fairford se sont améliorées au cours des quarante dernières années, mais qu'à d'autres égards, il y a eu une détérioration de la qualité de la vie pour de nombreux membres de la bande. D'après ce que j'ai entendu dire, je crois que cette détérioration est attribuable à un certain nombre de causes, dont l'une était le bouleversement que l'exploitation de l'ouvrage de régularisation des eaux avait causé à la réserve ainsi qu'aux activités et aux vies des membres de la bande.

Je sympathise énormément avec la situation des demandeurs, mais ma décision doit être fondée sur les faits tels qu'ils ont été établis ainsi que sur la primauté du droit. Cela veut dire qu'il faut appliquer les dispositions de la Loi sur les Indiens, de la Loi sur la prescription du Manitoba et des autres lois pertinentes ainsi que la common law, telles qu'elles s'appliquent aux obligations fiduciaires et telles qu'elles ont été énoncées principalement par la Cour suprême du Canada. Il en résulte une conclusion très restreinte de violation non prescrite d'une obligation fiduciaire. Les demandeurs peuvent maintenant commencer à faire la preuve du préjudice découlant de cette violation.

La demande que les demandeurs ont présentée est rejetée sauf en ce qui concerne la conclusion selon laquelle le Canada a violé son obligation fiduciaire en tardant à agir et en omettant de consulter la bande entre le début de l'année 1978 et le mois de septembre 1984. Cette cause d'action n'est pas prescrite.

La question des dépens est remise à plus tard de façon que les parties puissent présenter des observations additionnelles.

Les parties communiqueront avec le greffe pour fixer la date à laquelle les dommages-intérêts seront établis.

1 Sauf lorsque les plaidoyers des demandeurs sont cités dans ces motifs, le mot "bande" est employé plutôt que l'expression "première nation" étant donné que ce mot est celui qui est utilisé dans la Loi sur les Indiens , L.R.C. (1985), ch. I-5, dans sa forme modifiée.

2 Il y avait eu des inondations au cours des années antérieures, mais elles n'étaient pas aussi graves que celles qui ont eu lieu en 1967 et par la suite.

3 Initialement, la superficie des terres qui devaient être transférées était de 5 651,37 acres. La superficie des terres transférées est par la suite passée à 5 771,91 acres par suite de la fermeture de certaines réserves routières.

4 Les avocats ont fait savoir qu'il y a eu des négociations continues entre la bande et la province, mais cela n'est pas pertinent aux fins qui nous occupent.

5 La Cour a considéré l'allégation selon laquelle le Canada a violé l'obligation fiduciaire qu'il a envers la bande, en omettant de remédier aux problèmes sociopolitiques découlant du transfert incomplet des terres de remplacement, comme se rapportant à la question de savoir si cette violation a entraîné une perte ou un préjudice.

6 Les demandeurs se sont fondés sur une résolution de la Commission datée du 13 août 1956, qui établissait selon eux que la Commission n'avait pas tenu compte des intérêts des tiers en aval, tels que ceux de la bande de Fairford. Comme nous le verrons ci-dessous, je conclus que ce n'est pas le cas.

7 Le juge McLachlin a écrit des motifs concourants uniquement en son nom personnel et au nom du juge Major. Ses motifs sont les seuls qui traitent de l'argument de la bande au sujet de l'étendue de l'obligation fiduciaire de la Couronne.

8 L'art. 35(1) est ainsi libellé:

35. (1) Les droits existants"ancestraux ou issus de traités"des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.

9 Le juge La Forest a prononcé des motifs au nom de trois juges et le juge Iacobbuci a souscrit à l'avis du juge La Forest quant au résultat. Les juges Sopinka et McLachlin ont prononcé des motifs dissidents au nom de trois juges.

10 Voir, en particulier, la p. 466, où la remarque suivante est faite: "Comme nous l'avons vu, il ressort de la jurisprudence que ce qui distingue les conseils purs et simples de ceux qui donnent naissance à une obligation fiduciaire est le transfert d'un pouvoir réel d'une partie à l'autre."

11 Dans ses motifs, le juge La Forest fait mention, à la p. 410, de Finn, P. D., "The Fiducary Principle" [dans Youdan, T.G. (éd.) Equity, Fiduciaries and Trusts ], aux p. 50 et 51:

[traduction] [. . .] des responsabilités fiduciaires seront imposées si la fonction que le conseiller prétend remplir [. . .].

J'interprète l'engagement dont le juge La Forest fait mention comme correspondant au concept du conseiller qui "prétend remplir" une fonction dont Finn fait mention.

12 La cession d'un pouvoir par une partie à une autre partie, par laquelle le cédant ne conserve pas le pouvoir et la capacité de prendre des décisions, ne semblerait pas découler d'une conduite.

13 Il serait possible de soutenir que l'art. 31(1) place le Canada dans la situation d'un fiduciaire étant donné qu'il confère à celui-ci le pouvoir discrétionnaire d'intenter une action au nom d'un Indien ou d'une bande. Ainsi, dans l'arrêt Blueberry, la Cour suprême du Canada a statué que l'omission du surintendant général d'exercer le pouvoir discrétionnaire qu'il possède de corriger des erreurs portant atteinte aux droits des Indiens en vertu de l'art. 64 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 10] pouvait servir de fondement à un recours en violation d'une obligation fiduciaire contre la Couronne. Toutefois, l'obligation du ministre découlait du fait que les Indiens étaient vulnérables parce qu'ils n'avaient pas le pouvoir de corriger l'erreur. Le pouvoir conféré au procureur général en vertu de l'art. 31(1) ne s'applique pas de façon à rendre les Indiens vulnérables ou à les empêcher d'intenter leur propre action.

14 En faisant cette observation, je reconnais, bien sûr, que ces autres causes d'action doivent néanmoins être prouvées et que la question de la prescription serait encore pertinente.

15 L'art. 28(2) fait mention d'un permis écrit. Le mot "permis" n'est pas défini dans la Loi sur les Indiens . Par une lettre datée du 29 novembre 1960, M. Leslie a écrit à T. E. Weber, ingénieur en chef, Direction de la régularisation et de la conservation des eaux, Manitoba, en citant la lettre que M. Jones lui avait envoyée le 21 novembre 1960. M. Leslie dit ensuite ceci:

[traduction] J'espère que les observations susmentionnées mettront un point final aux dispositions visant à permettre l'utilisation des terres de la réserve dont il a été question et que l'autorisation mentionnée dans la lettre de l'administration centrale vous satisfait.

Je considère la lettre de M. Leslie comme constituant un permis écrit au sens de l'art. 28(2) de la Loi sur les Indiens.

16 Nature des droits en question:

Il n'a pas été contesté que le fait qu'on a gêné la production de foin sur les terres de la réserve constituait une entrave à l'utilisation de la réserve par la bande et par ses membres. Dans leur mémoire, les demandeurs ont soutenu que le droit de se livrer à des activités de chasse, de piégeage et de pêche sur les terres publiques inoccupées situées à côté ou à proximité de la réserve de Fairford était un droit ancestral ainsi qu'un droit issu du Traité no 2 (Traité entre Sa Majesté la Reine et les Chippaouais et les Cris du Manitoba et des territoires adjacents, et adhésions à ces derniers, 21 août 1871; pour consultation, voir: Canada, Indian Treaties and Surrenders (Ottawa: Imprimeur de la Reine, 1957) et la Convention sur le transfert des ressources naturelles (Convention), qui a pris effet le 15 juillet 1930. L'accord est énoncé à l'annexe (1.) de la Loi constitutionnelle de 1930, [20 & 21 Geo. V, ch. 26 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 16 [L.R.C. (1985), appendice II, no 26].

Le Canada a soutenu que les droits ancestraux des demandeurs en ce qui concerne la chasse, le piégeage et la pêche, ont été éteints par le Traité no 2, compte tenu de déclarations faites oralement pendant la négociation du Traité. Le défendeur dit que les droits de chasse, de piégeage et de pêche des demandeurs ne sont maintenant prévus que par les dispositions du Traité no 2 et de la Convention. D'autre part, les demandeurs ont soutenu que le Traité no 2 ne fait pas mention de leurs droits de chasse, de piégeage et de pêche et que ces droits ont donc continué à exister après la signature du Traité et qu'ils ont par la suite été modifiés par la Convention.

Le par. 13 de la Convention concernant le Manitoba éteint tout droit ancestral ou tout droit issu d'un traité existant permettant aux Indiens de se livrer à des activités de chasse et de pêche commerciale et maintient, à certaines conditions, les droits ancestraux ou les droits issus de traités qui leur sont reconnus lorsqu'il s'agit de se livrer à des activités de chasse, de piégeage et de pêche pour se nourrir (voir: R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771, à la p. 797, juge Cory, qui parlait du par. 12 de la Convention concernant la Saskatchewan). Le par. 13 de la Convention concernant le Manitoba est ainsi libellé:

13. Pour assurer aux Indiens de la province la continuation de l'approvisionnement de gibier et de poisson destinés à leurs support et subsistance, le Canada consent à ce que les lois relatives au gibier et qui sont en vigueur de temps à autre dans la province, s'appliquent aux Indiens dans les limites de la province; toutefois, lesdits Indiens auront le droit que la province leur assure par les présentes de chasser et de prendre le gibier au piège et de pêcher le poisson, pour se nourrir en toute saison de l'année sur toutes les terres inoccupées de la Couronne et sur toutes les autres terres auxquelles lesdits Indiens peuvent avoir un droit d'accès.

Aux fins qui nous occupent, il suffit de reconnaître que les demandeurs ont le droit de se livrer à des activités de chasse, de piégeage et de pêche pour se nourrir dans la réserve de Fairford ainsi que sur les terres publiques inoccupées adjacentes ou voisines conformément au par. 13 de la Convention.

17 Comme il en a déjà été fait mention, les demandeurs se reportent à la p. 349 de l'arrêt Guerin, supra, où le juge Wilson dit que le Canada a l'obligation fiduciaire de protéger et de préserver le droit que possède une bande contre les violations du droit de propriété et la destruction ainsi qu'à la p. 339 de la décision Union, supra, où le juge MacKay fait remarquer qu'il existe une obligation de ne pas permettre des effets négatifs injustifiés sur des droits ancestraux permanents.

18 En 1970, la Loi sur l'expropriation du Canada a été modifiée par S.C. 1969-70, ch. 41, art. 24 (maintenant L.R.C. (1985), ch. E-21, art. 26(11)) de façon à prévoir expressément qu'en déterminant la valeur des terres expropriées, il n'est tenu aucun compte de tout usage que la Couronne envisage de faire ou fait réellement du bien-fonds après l'expropriation. Avant que cette modification ait été effectuée, le critère à appliquer aux fins du calcul de l'indemnité à verser en vertu de la législation canadienne sur l'expropriation était moins bien établi, mais il était néanmoins clair à ce moment-là que l'indemnité ne devait pas être fondée sur la valeur des terres pour le preneur (voir: Diggon-Hibben Ltd. v. The King, [1949] R.C.S. 712, à la p. 715, et Woods v. The King, [1951] R.C.S. 504, à la p. 508).

19 2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

"réserve" Parcelle de terrain dont Sa Majesté est propriétaire et qu'elle a mise de côté à l'usage et au profit d'une bande; y sont assimilées les terres désignées, sauf pour l'application du paragraphe 18(2), des articles 20 à 25, 28, 36 à 38, 42, 44, 46, 48 à 51, 58 et 60, ou des règlements pris sous leur régime.

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