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[1997] 2 C.F. 471

A-434-94 (T-2001-90)

74712 Alberta Ltd. (autrefois Cal-Gas & Equipment Ltd.) (appelante)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié : 74712 Alberta Ltd. c. M.R.N. (C.A.)

Cour d’appel, juges Strayer, Linden et Robertson, J.C.A.—Calgary, 21 novembre 1996; Ottawa, 29 janvier 1997.

Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions Appel d’un jugement par lequel la Section de première instance a rejeté l’appel interjeté de la décision par laquelle la Cour de l’impôt avait rejeté l’appel d’une nouvelle cotisation en vertu de l’art. 20(1)c)(i) de la Loi de l’impôt sur le revenu (qui permet la déduction des intérêts payés sur de l’argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu imposable d’une entreprise ou d’un bien)La société mère a obtenu de la CIBC une entente de crédit de 7,4 millions de dollars, dont 3,3 millions de dollars ont été mis à la disposition de la contribuable et de ses sociétés liées à titre de marge de créditLe reste du prêt correspondait aux dettes antérieures contractées par le groupeLa contribuable a garanti le remboursement du prêtElle a emprunté l’argent pour honorer sa garantieL’appel est rejetéLe but du prêt était d’honorer une garantie, et non de gagner un revenuL’argent emprunté n’a pas été utilisé pour gagner un revenuLe bulletin d’interprétation IT-445 (qui permet la déduction des frais d’intérêt sur l’argent emprunté pour honorer une garantie qui a été donnée « moyennant une contrepartie suffisante ») ne s’applique pas, étant donné que la contrepartie fournie est insuffisanteIl ressort de l’analyse de l’arrêt Bronfman c. La Reine que le juge Robertson fait dans ses motifs concourants que la C.S.C. a reconnu qu’il était possible qu’il existe des exceptions au principe de l’utilisation directeLe bulletin d’interprétation IT-445 est une façon de formuler autrement la condition relative à l’expectative raisonnable de profit.

Il s’agit de l’appel d’un jugement par lequel la Section de première instance a rejeté l’appel interjeté de la décision par laquelle la Cour de l’impôt avait rejeté l’appel d’une nouvelle cotisation refusant la déduction des intérêts payés par l’appelante sur un emprunt qu’elle avait contracté pour honorer la garantie qu’elle avait donnée à l’égard des dettes de sa société mère. L’appelante fait partie d’un groupe de sociétés dont la Trennd est devenue la société mère par suite d’une restructuration effectuée en 1979. Avant la restructuration, l’appelante s’est vu offir l’occasion de conclure un contrat très lucratif avec la Husky Oil, mais pour être en mesure de saisir cette occasion, elle devait acheter de l’équipement. À cette fin, elle a emprunté de l’argent de la CIBC. En 1980, la Trennd a consolidé les dispositions financières prises par ses filiales sous la forme d’une entente de crédit de 7,4 millions de dollars avec la CIBC. Cette entente de crédit exigeait des garanties mutuelles de la part des sociétés du groupe, y compris de l’appelante. Sur cette somme, 3,3 millions de dollars ont été avancés sous forme de marge de crédit d’exploitation à laquelle l’appelante et ses sociétés liées avaient accès. Le reste du prêt correspondait aux dettes antérieures contractées par les compagnies du groupe Trennd, y compris celles de l’appelante. En 1981 et 1982, la CIBC a réalisé ses garanties. L’appelante a emprunté 1,7 millions de dollars de la Wells Fargo pour honorer sa garantie et elle a déduit les intérêts payés en vertu du sous-alinéa 20(1)c)(i) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui permet la déduction des sommes payées en exécution d’une obligation légale de verser des intérêts sur de l’argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien. Le ministre a refusé la déduction. La Cour de l’impôt a rejeté l’appel de la contribuable en déclarant que, même s’il n’aurait pas été faisable pour l’appelante de vendre ses actifs pour honorer sa garantie, la fin véritable et l’utilisation directe de l’argent emprunté avaient été le remboursement d’une dette contractée par la Trennd. Cette conclusion reposait sur l’application de l’arrêt Bronfman Trust c. La Reine, suivant lequel, en l’absence de « circonstances exceptionnelles », le contribuable doit, pour tomber sous le coup du sous-alinéa 20(1)c)(i) de la Loi de l’impôt sur le revenu, démontrer que sa véritable intention était d’emprunter l’argent dans le but direct de gagner un revenu. Il ne suffit pas d’établir un lien entre l’argent emprunté et une fin indirecte de gagner un revenu. La Cour de l’impôt a jugé que les circonstances n’étaient pas exceptionnelles. Le juge de première instance est arrivé au même résultat que la Cour de l’impôt au sujet de l’argument de la conservation des actifs, et il a rejeté le moyen subsidiaire suivant lequel on devait établir un lien entre la fin du prêt et la fourniture du crédit qui avait permis à l’appelante de conclure un contrat avec la Husky Oil. Le juge de première instance a conclu que l’appelante avait déjà commencé à récolter les fruits du contrat et qu’elle était indépendante sur le plan financier avant la mise en place de l’entente de crédit consolidé et que l’appelante avait reçu une contrepartie insuffisante pour la garantie, parce que la seule chose nouvelle que l’entente de crédit avait procurée à l’appelante était une marge de crédit d’exploitation dont elle s’était en fin de compte peu servi. Par conséquent, le bulletin d’interprétation IT-445, qui déclare que « [l]es frais d’intérêt sur l’argent emprunté pour consentir un prêt à un taux d’intérêt raisonnable ou pour honorer une garantie qui a été donné « moyennant une contrepartie suffisante » sont généralement déductibles » ne s’applique pas. Le juge de première instance a convenu que la fin réelle de l’emprunt était de venir en aide à la société mère. Comme l’appelante n’exploitait pas une entreprise consistant à fournir et à payer des garanties, elle ne pouvait déduire les intérêts sur les sommes empruntées à cette fin.

La question à trancher est celle de savoir si les intérêts payés en l’espèce étaient des intérêts sur « de l’argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien » au sens du sous-alinéa 20(1)c)(i).

Arrêt : l’appel devrait être rejeté.

Le juge Linden (avec l’appui du juge Strayer) : Les tribunaux appliquent strictement la déduction d’intérêts autorisée par le sous-alinéa 20(1)c)(i), parce que les contribuables se servent habituellement de ces paiements pour augmenter leurs immobilisations. Si la loi n’autorisait pas cette déduction, aucune déduction ne serait normalement permise au titre de ce type de paiements. Toutefois, comme la politique fiscale canadienne vise à favoriser l’augmentation des possibilités de produire un revenu, le sous-alinéa 20(1)c)(i) autorise certaines déductions d’intérêts. Le juge de première instance a conclu à bon droit que l’emprunt avait été contracté dans le but d’honorer la garantie que l’appelante avait donnée, et non pour tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien. Le prêt ne pouvait pas être considéré comme un prêt duquel la contribuable pouvait tirer un profit et, partant, les intérêts payés sur ce prêt ne sont pas déductibles. Même si l’élément déclencheur initial de l’emprunt était la garantie donnée par l’appelante, l’argent emprunté n’a pas été effectivement utilisé pour produire un revenu, mais bien pour rembourser les dettes contractées par la Trennd. C’est au législateur fédéral ou à la Cour suprême du Canada, et non à notre Cour, qu’il appartient de corriger la situation dans laquelle se trouve l’appelante. Le bulletin d’interprétation IT-445 ne s’applique pas parce que la contrepartie reçue pour le prêt était insuffisante et que l’utilisation de l’argent ne correspondait pas à son utilisation originale.

Le bulletin d’interprétation IT-445 ne s’appliquait pas parce que la contrepartie reçue pour le prêt était insuffisante et parce que l’utilisation de l’argent ne correspondait pas à son utilisation originale.

Le juge Robertson : Les intérêts payés sur le prêt de 1,7 million de dollars consenti par la banque ne sont pas déductibles du revenu.

Le bulletin d’interprétation IT-445 heurte de front le principe de l’utilisation directe posé dans l’arrêt Bronfman suivant lequel les intérêts payés sur de l’argent qui a été emprunté pour être affecté à une utilisation directe inadmissible ne sont pas déductibles du revenu. Mais, le raisonnement de la Cour suprême dans l’arrêt Bronfman laisse ouverte la possibilité de reconnaître des exceptions au principe de l’utilisation directe pour les raisons suivantes. (1) La catégorie des circonstances exceptionnelles concorde avec l’objet et le but du sous-alinéa 20(1)c)(i), qui est d’atténuer les incidences de l’alinéa 18(1)b) et d’encourager l’accumulation de capitaux utilisés pour produire un revenu imposable. (2) La reconnaissance de cette catégorie ne contredit pas les raisons de principe qui sont à la base de l’existence du principe de l’utilisation directe. Permettre aux contribuables de déduire de leur revenu les intérêts qu’ils ont payés sur le fondement d’une utilisation indirecte admissible, comme la conservation de biens productifs de revenus, alors que l’utilisation directe ne vise aucune fin économique, reviendrait à accorder un bénéfice inattendu à de riches Canadiens et serait injuste pour les contribuables moins nantis. (3) Dans l’arrêt Bronfman, la Cour suprême n’a pas expressément écarté l’arrêt Trans-Prairie Pipelines, Ltd. c. M.R.N., [1970] C.T.C. 537 (C. de l’É.), dans lequel il avait été jugé que le contribuable pouvait déduire de son revenu les intérêts payés sur l’argent qu’il avait emprunté pour une utilisation indirecte admissible. L’arrêt de la Cour suprême justifie l’acceptation de l’existence d’une catégorie distincte d’exceptions à la règle générale sur la déductibilité des intérêts. (4) Finalement, la catégorie des circonstances exceptionnelles s’accorde avec la directive que l’on trouve dans l’arrêt Bronfman et suivant laquelle les opérations doivent être examinées en fonction des « réalités commerciales ». La réalité commerciale est la suivante : les emprunts que contractent les compagnies font partie intégrante de leur processus de production de revenu au même titre que la fourniture de la garantie d’un tiers. On ne peut en dire autant des prélèvements sur le capital qui sont versés au bénéficiaire d’une fiducie.

Dans l’arrêt Bronfman, la Cour mentionne les deux critères à appliquer pour déterminer si les intérêts payés sur des fonds empruntés pour une utilisation directe inadmissible sont déductibles du revenu : (1) le contribuable doit démontrer que la fin réelle (l’intention) qu’il visait en utilisant les fonds était de gagner un revenu; (2) le contribuable s’attendait raisonnablement à ce que l’opération d’emprunt lui procure un revenu supérieur aux intérêts payés. Le bulletin d’interprétation IT-445 est tout simplement une façon de formuler autrement la condition relative à l’expectative raisonnable de profit. Le bulletin d’interprétation IT-445 est donc fondé en droit. En conséquence, les intérêts payés sur l’argent emprunté pour honorer les garanties données moyennant une contrepartie suffisante peuvent être déduits du revenu même si l’utilisation de cet argent n’a qu’un effet indirect sur la capacité du contribuable de gagner un revenu. L’utilisation indirecte admissible n’est donc pas trop éloignée dans tous les cas.

Peu importe que le moment retenu pour apprécier « l’admissibilité de l’utilisation » soit celui où la garantie a été donnée ou la date à laquelle l’argent a été emprunté en vue d’honorer la garantie, l’appelante n’est pas en mesure de respecter le principe de l’utilisation directe. La fourniture de la garantie visait à faciliter la capacité de production de revenu du débiteur principal, la Trennd, et non celle du garant (la Cal-Gas). L’argent emprunté a été affecté à une utilisation directe inadmissible.

Dans certains cas, il se peut que l’argent emprunté en vue de rembourser la dette d’un tiers ne contrevienne pas au principe de l’utilisation directe. Il peut exister des situations dans lesquelles le contribuable est en mesure d’établir qu’il avait accès au produit de l’emprunt qu’il a garanti et qu’il a effectivement reçu le produit en question. En pareil cas, l’emprunt est directement lié à la capacité du garant de générer des revenus. Si la Cal-Gas avait réussi à établir que la somme de 1,7 million de dollars qu’elle a été obligée de payer en exécution de la garantie se rapportait en tout ou en partie à sa propre dette, les intérêts payés auraient pu être déduits en vertu du sous-alinéa 20(1)c)(i). La dette dont le remboursement serait garanti serait celle de la Cal-Gas. Toutefois, la Cal-Gas avait remboursé la totalité de l’argent qu’elle devait à la Trennd au moment où la banque a exigé le paiement. Le droit de déduire des intérêts doit être limité à la partie du prêt qui se rattache directement à la dette contractée par le garant pour tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien et qui demeure impayée au moment où la garantie est réalisée.

Les intérêts payés ne sont pas déductibles du revenu à moins que la réserve relative aux circonstances exceptionnelles qui a été formulée dans l’arrêt Bronfman ne s’applique. Mais ce que la Cal-Gas a reçu de la Trennd en contrepartie de l’octroi de la garantie était insuffisant. La question du caractère suffisant de la contrepartie doit être abordée en se demandant si deux entreprises commerciales raisonnables qui n’ont aucun lien entre elles se seraient entendues sur des modalités contractuelles comme celles qui ont été acceptées en l’espèce. N’eût été le fait que la Cal-Gas et la Trennd sont des compagnies liées, il est douteux que la Cal-Gas aurait donné la garantie sur le fondement de ce qu’elle a reçu et compte tenu de l’obligation éventuelle qu’elle avait prise à sa charge. L’appelante n’a pas réussi à démontrer que les avantages ou les profits que pouvait lui procurer le crédit qui a été mis à sa disposition l’emportaient sur le risque et l’ampleur possibles des pertes découlant de la fourniture de la garantie. Tout objectif de production de revenu imputable à la fourniture de la garantie est, faute d’éléments de preuve convaincants contraires, tout simplement trop « éloigné ».

Le juge de première instance a rejeté à bon droit l’argument de la nécessité commerciale. Il n’a pas été établi selon la prépondérance des probabilités que la réorganisation des sociétés et la mise en place de l’entente de crédit ont été effectuées dans le but de permettre à la Cal-Gas d’exécuter le contrat de la Husky Oil.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, ch. 97, art. 6(1)a), (5) (édicté par S.C. 1939, ch. 46, art. 8).

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 20.1 (édicté par L.C. 1994, ch. 21, art. 13).

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1948, ch. 52, art. 12(1)b).

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 18(1)a), b), 20(1)c)(i).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32; (1987), 36 D.L.R. (4th) 197; [1987] 1 C.T.C. 117; 87 DTC 5059; 25 E.T.R. 13; 71 N.R. 134; Interior Breweries Ltd. v. Minister of National Revenue, [1955] R.C.É. 165; [1955] C.T.C. 143; (1955), 55 DTC 1090; McLaws c. M.R.N., [1974] R.C.S. 887; (1972), 27 D.L.R. (3d) 137; [1972] C.T.C. 165; 72 DTC 6149.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Imperial Oil Ltd. v. Minister of National Revenue, [1947] R.C.É. 527; [1948] 1 D.L.R. 305; [1947] C.T.C. 353; (1947), 3 DTC 1090; Tonn c. Canada, [1996] 2 C.F. 73 [1996] 1 C.T.C. 205; (1995), 96 DTC 6001; 191 N.R. 182 (C.A.).

DÉCISONS EXAMINÉES :

Bowater Canadian Ltd. c. La Reine, [1987] 2 C.T.C. 47; (1987), 87 DTC 5287; 78 N.R. 140 (C.A.F.); Emerson (R.I.) c. La Reine, [1986] 1 C.T.C. 422; (1986), 86 DTC 6184 (C.A.F.); autorisation de pourvoi refusé à [1986] 1 R.C.S. viii; (1986), 70 N.R. 160; Canada Safeway Limited v. The Minister of National Revenue, [1957] R.C.S. 717; (1957), 11 D.L.R. (2d) 1; [1957] C.T.C. 335; 57 DTC 1239; Minister of National Revenue v. Steer, [1967] R.C.S. 34; [1966] C.T.C. 731; (1966), 66 DTC 5481; Trans-Prairie Pipelines, Ltd. c. M.R.N., [1970] C.T.C. 537; (1970), 70 DTC 6351 (C. de l’É.); M.R.N. c. Attaie, [1990] 3 C.F. 325 [1990] 2 C.T.C. 157; (1990), 90 DTC 6413; 109 N.R. 232 (C.A.); Mark Resources Inc. c. Canada, [1993] C.T.C. 2259; (1993), 93 DTC 1004 (C.C.I.); Sternthal, J c La Reine, [1974] CTC 851; (1974), 74 DTC 6646 (C.F. 1re inst.); Auld v. Minister of National Revenue (1962), 62 DTC 27 (C.A.I.).

DÉCISIONS CITÉES :

Tennant c. M.R.N., [1996] 1 R.C.S. 305; (1996), 132 D.L.R. (4th) 1; [1996] 1 C.T.C. 290; 96 DTC 6121; 192 N.R. 365; Herald and Weekly Times Ltd. v. Federal Commissioner of Taxation (1932), 48 C.L.R. 113 (H.C. Aust.); Stein et autres c. « Kathy K » et autres (Le navire), [1976] 2 R.C.S 802; (1975), 62 D.L.R. (3d) 1; 6 N.R. 359; Lyons (D M) c MRN, [1984] CTC 2690; (1984), 84 DTC 1633 (C.C.I.); Corbett c. Canada, [1997] 1 C.F. 386(C.A.); Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695; (1993), 110 D.L.R. (4th) 470; 19 C.R.R. (2d) 1; [1994] 1 C.T.C. 40; 94 DTC 6001; 161 N.R. 243; Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; (1984), 10 D.L.R. (4th) 1; [1984] CTC 294; 84 DTC 6305; 53 N.R. 241; Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254; (1996), 113 D.L.R. (4th) 289; 17 C.C.E.L. (2d) 141; 10 C.C.P.B. 213; [1996] 1 C.T.C. 303; 96 DTC 6103; 193 N.R. 241; Canada c. Placer Dome Inc., [1997] 1 C.F. 780(C.A.); The Commissioners of Inland Revenue v. Holder (Sir H. C., Bart) and Holder (J. A.) (1932), 16 T.C. 540 (H.L.); Canada c. MerBan Capital Corp., [1989] 2 C.T.C. 246; (1989), 89 DTC 5404; 100 N.R. 383 (C.A.F.).

DOCTRINE

Arnold, B. J. « Is Interest a Capital Expense? » (1992), 40 Can. Tax J. 533.

Canada. Ministère du Revenu national. Impôt. Bulletin d’interprétation IT-445, 21 février 1981.

Couzin, R. et al. « Tax Treatment of Interest : Bronfman Trust and the June 2, 1987 Release » in Corporate Management Tax Conference, Toronto : Canadian Tax Foundatio, 1987.

Dixon, Gordon D. and Brian J. Arnold. « Rubbing Salt into the Wound : The Denial of the Interest Deduction After the Loss of a Source of Income » (1991), 39 Can. Tax J. 1473.

Hogg, Peter W. and J. E. Magee. Principles of Canadian Income Tax Law. Scarborough, Ont. : Carswell, 1995.

Jones, Avery J. F. « Nothing Either Good or Bad, but Thinking Makes It So—The Mental Element in Anti-Avoidance Legislation » (1983), British Tax Review 9.

Krishna, Vern. The Fundamentals of Canadian Income Tax, 5th ed. Toronto : Carswell, 1995.

APPEL d’un jugement par lequel la Section de première instance ([1994] 2 C.T.C. 191; (1994), 94 DTC 6392; 78 F.T.R. 259) a rejeté l’appel interjeté de la décision par laquelle la Cour de l’impôt ([1990] 2 C.T.C. 2001; (1990), 90 DTC 1407) a rejeté l’appel d’une nouvelle cotisation refusant la déduction des intérêts sur un emprunt contracté pour honorer la garantie donnée à l’égard des dettes d’une société mère. Appel rejeté.

AVOCATS :

Cliff D. O’Brien, c.r. et Alnasir Meghji pour l’appelante.

Michael E. Curley et Rhonda Nahorniak pour l’intimé.

PROCUREURS :

Bennett Jones Verchere, Calgary, pour l’appelante.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Linden, J.C.A. : La question en litige dans la présente affaire est celle de savoir si les intérêts payés par l’appelante en 1983, 1984 et 1985 sur le prêt de 1,7 million de dollars que lui a consenti la Wells Fargo Bank étaient déductibles en vertu du sous-alinéa 20(1)c)(i) de la Loi de l’impôt sur le revenu[1].

L’appelante Cal-Gas & Equipment Ltd. (Cal-Gas, maintenant la 74712 Alberta Ltd.) a utilisé ce prêt de 1,7 million de dollars pour honorer la garantie qu’elle avait donnée à l’égard des dettes contractées par sa société mère, la Trennd Investments (1979) Ltd. (Trennd), envers la Banque Canadienne Impériale de Commerce (CIBC).

La question à trancher dans le présent appel est celle de savoir si les intérêts payés en l’espèce étaient des intérêts sur « de l’argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien » au sens du sous-alinéa 20(1)c)(i), qui dispose :

20. (1) Nonobstant les dispositions des alinéas 18(1)a), b) et h), lors du calcul du revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition, peuvent être déduites celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qui peut raisonnablement être considérée comme s’y rapportant :

c) une somme payée dans l’année ou payable pour l’année (suivant la méthode habituellement utilisée par le contribuable dans le calcul de son revenu), en exécution d’une obligation légale de verser des intérêts sur

(i) de l’argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien (autre que l’argent emprunté et utilisé pour acquérir un bien dont le revenu serait exonéré d’impôt ou pour prendre une police d’assurance-vie),

Le juge de la Cour de l’impôt n’a pas admis la déduction [[1990] 2 C.T.C. 2001]. Au terme d’un nouveau procès, la Section de première instance de notre Cour a également refusé la déduction [[1994] 2 C.T.C. 191]. La Cour est du même avis et estime elle aussi que ces sommes ne répondent pas à la définition contenue au sous-alinéa 20(1)c)(i).

Faits à l’origine du litige

La Cal-Gas est une entreprise qui fournit du propane et des appareils de chauffage. Elle fait partie d’un groupe de sociétés qui appartiennent en grande partie à une seule et même personne, M. John Corbett Anderson (Anderson), qui les exploite également. La Trennd est devenue la société mère de ce groupe par suite d’une restructuration effectuée en 1979. La raison de cette restructuration, de même que la situation financière de la Cal-Gas à l’époque de la restructuration et les conséquences de la restructuration sur les rapports de la Cal-Gas avec la CIBC seraient des facteurs dont il y a lieu de tenir compte pour régler le présent appel. La restructuration de sociétés par suite de laquelle la Trennd s’est retrouvée à la tête du groupe de compagnies appartenant à Anderson visait à faire de la Trennd le banquier du groupe. Juste avant la restructuration, la Cal-Gas, qui éprouvait des difficultés financières, s’est vu offrir l’occasion de conclure un contrat très important et très lucratif avec la Husky Oil en vue de lui fournir du propane dans la région de Lloydminster. Pour être en mesure de saisir cette occasion, la Cal-Gas devait acheter de l’équipement. Elle a donc pris en 1979 certaines dispositions de crédit avec la CIBC grâce à la garantie fournie par une autre des filiales de sa société mère. En 1980, à la suite de la restructuration en question, les dispositions financières prises par les diverses filiales de la société mère ont été consolidées par la CIBC sous la forme d’une entente de crédit qui exigeait des garanties mutuelles de la part des sociétés du groupe Trennd, y compris de la Cal-Gas. En contrepartie, le groupe Trennd obtenait un financement total pour une somme d’environ 7,4 millions de dollars, qui comprenait la dette de 2 016 498 $ que la Cal-Gas avait précédemment contractée lors de son premier financement. La Cal-Gas a également obtenu la possibilité de contracter au nom de la Trennd des prêts d’exploitation pour des sommes plus élevées, jusqu’à concurrence de 3,3 millions de dollars.

Toutefois, à la suite de la mise en place de l’entente de crédit, le groupe Trennd a connu de graves difficultés financières. La Cal-Gas, qui, à l’origine, était un des maillons faibles du groupe, était le seul membre qui continuait à prospérer. En conséquence, en 1981 et 1982, la CIBC a réalisé ses garanties en demandant aux membres du groupe Trennd, dont la Cal-Gas et à M. Anderson, à titre personnel, de payer la dette de la Trennd. La Cal-Gas a emprunté 1,7 million de dollars de la Wells Fargo pour s’acquitter de ses obligations en qualité de caution des dettes de la Trennd. L’argent a été versé directement à la CIBC et la Trennd a remis à la Cal-Gas un billet à ordre ne portant pas intérêt. Dégagée de ses obligations, la Cal-Gas a continué à exercer ses activités. Une somme supplémentaire de 500 000 $ a été versée à la CIBC par Anderson personnellement pour régler le solde de la dette.

Décision du juge de la Cour de l’impôt

Dans un premier temps, la Cal-Gas a soutenu devant la Cour de l’impôt que « Cal-Gas a emprunté l’argent pour pouvoir continuer d’utiliser son actif invendable (y compris ses comptes clients) et de conserver son actif (i.e. continuer d’exister) [et] qu’il s’agissait donc d’une fin commerciale ». Bien qu’il se soit dit d’accord avec l’appelante pour affirmer qu’il n’aurait pas été faisable pour la Cal-Gas de vendre ses actifs pour honorer sa garantie, le juge de la Cour de l’impôt a néanmoins conclu que la fin véritable et l’utilisation directe de l’argent emprunté avaient été le remboursement d’une dette contractée par la Trennd envers la CIBC. Il a fondé cette conclusion sur l’application de l’arrêt Bronfman Trust c. La Reine[2]. Selon cet arrêt, pour qu’un contribuable puisse se soustraire à la non-déductibilité qui est prévue à l’alinéa 18(1)b) par le biais du sous-alinéa 20(1)c)(i), il doit, en l’absence de « circonstances exceptionnelles », démontrer que sa véritable intention était d’emprunter l’argent en question dans le but direct de gagner un revenu. Il ne suffit pas de démontrer que l’argent emprunté a servi indirectement à gagner un revenu. Suivant ce raisonnement, le juge de la Cour de l’impôt a statué que [aux pages 2004 et 2005] :

Même si la Cour suprême du Canada a reconnu que, dans certaines circonstances exceptionnelles, le contribuable peut déduire les intérêts sur des sommes empruntées à une fin non admissible en raison de l’effet indirect sur la capacité du contribuable de gagner des revenus, et que Cal-Gas n’avait pas d’autre choix que d’emprunter de l’argent, les circonstances de cette affaire ne sont pas suffisamment exceptionnelles pour permettre à cette Cour de ne pas appliquer le principe établi par l’arrêt Bronfman (précité).

En conséquence, le juge de la Cour de l’impôt a refusé la déduction prévue au sous-alinéa 20(1)c)(i).

La décision du juge de première instance

N’ayant pas réussi à convaincre la Cour de l’impôt que la fin réelle du prêt consenti par la Wells Fargo était de conserver les actifs de la Cal-Gas—ce qui aurait suffit à inscrire ce prêt dans le cadre du sous-alinéa 20(1)c)(i) —, l’appelante a formulé de façon complètement différente sa thèse devant la Section de première instance de la Cour fédérale. En l’espèce, elle soutient que l’on devrait établir un lien entre la fin du prêt et la fourniture du crédit qui a permis à la Cal-Gas de conclure un contrat rentable avec la Husky à Lloydminster. La fourniture de la garantie que la CIBC a réalisée par la suite constituait, suivant ce raisonnement, une étape critique permettant à la Cal-Gas de gagner un revenu.

Après en être arrivé au même résultat que le juge de la Cour de l’impôt au sujet de l’argument de la conservation des actifs, le juge de première instance a rejeté pour deux motifs la qualification subsidiaire donnée à la fin visée. En premier lieu, il a conclu que la Cal-Gas avait déjà commencé à récolter les fruits de l’affaire conclue avec Husky et qu’elle était indépendante sur le plan financier avant la mise en place de l’entente de crédit consolidé de la CIBC. Le juge de première instance a également conclu que la Cal-Gas avait reçu une contrepartie insuffisante pour la garantie, ce qui l’avait par la suite obligé à faire des versements à la CIBC pour le compte de la Trennd, en partie parce que la seule chose nouvelle que l’entente de crédit avait procuré à la Cal-Gas était une marge de crédit d’exploitation dont elle s’est en fin de compte peu servi. Par conséquent, le bulletin d’interprétation IT-445, qui déclare que « [l]es frais d’intérêt sur l’argent emprunté pour consentir un prêt à un taux d’intérêt raisonnable ou pour honorer une garantie qui a été donnée “moyennant une contrepartie suffisante” sont généralement déductibles » ne s’appliquait pas au cas qui nous occupe.

En second lieu, le juge de première instance s’est fondé sur l’arrêt Bronfman Trust, précité[3], pour affirmer que, même si la garantie initiale visait à gagner un revenu, le fait d’établir un lien avec une fin aussi indirecte débordait largement le cadre étroit de l’exception énoncée au sous-alinéa 20(1)c)(i). Par conséquent, le juge de première instance a abondé dans le sens du ministre et du juge de la Cour de l’impôt en affirmant que la fin réelle de l’emprunt de 1,7 million de dollars était de venir en aide à la Trennd, la société mère de la Cal-Gas, qui était en difficulté. Comme la Cal-Gas n’exploitait pas une entreprise consistant à fournir et à payer des garanties, elle ne pouvait déduire les intérêts sur les sommes empruntées à cette fin.

Moyens invoqués en appel

Devant notre Cour, l’appelante persiste et soutient la même thèse que celle qu’elle a défendue devant la Section de première instance, à savoir que l’on peut établir que l’argent emprunté de la Wells Fargo a été utilisé à une fin admissible poursuivie en vue de gagner un revenu si l’on établit un lien entre l’argent en question et la raison pour laquelle la garantie a initialement été donnée. À l’appui de sa thèse, l’appelante soutient que le financement qu’elle a d’abord obtenu de la CIBC en 1979 lui a été accordé à la condition que la CIBC lui accorde par la suite une entente de crédit consolidé. Elle affirme que l’entente de crédit visait à s’assurer que la Cal-Gas soit en mesure de saisir l’occasion de gagner un revenu que lui offrait la Husky. En tant que tel, la fin de la garantie, au moment où elle a été donnée, était de faciliter la conclusion de l’entente de financement qui avait permis à la Cal-Gas de répondre à l’offre de la Husky. En réponse à la conclusion du juge de première instance suivant laquelle la Cal-Gas était financièrement indépendante au moment où la garantie a été donnée en 1980 et suivant laquelle elle n’avait donc pas besoin de l’entente de crédit consolidé, l’appelante fait valoir deux arguments. En premier lieu, elle affirme que la Cal-Gas venait à peine de commencer à exécuter le contrat qu’elle avait passé avec la Husky et que ce contrat n’avait pas été conclu depuis assez longtemps pour que la Cal-Gas soit remise en selle[4]. En second lieu, l’appelante soutient que le financement initial n’aurait jamais été accordé à la Cal-Gas si celle-ci et la CIBC n’avaient pas envisagé l’entente de crédit consolidé au moment où les conventions de location ont été signées[5]. Finalement, l’appelante conteste la conclusion du juge de première instance suivant laquelle la Cal-Gas n’a pas reçu une contrepartie suffisante pour sa garantie. Elle affirme que la contrepartie qu’elle a reçue consistait en un financement initial de 1,2 million de dollars, qu’elle a reçus en prévision de l’entente de crédit consolidé, ainsi qu’en une augmentation de la marge de crédit qu’elle pouvait utiliser par l’intermédiaire de la Trennd. L’appelante soutient que le bulletin d’interprétation IT-445 devrait s’appliquer en l’espèce.

L’intimée soutient qu’en honorant sa garantie, la Cal-Gas faisait un paiement de capital, étant donné qu’elle n’exploitait pas une entreprise de prêt d’argent. Pour faire relever les intérêts de l’alinéa 20(1)c), la contribuable ne peut pas invoquer une « utilisation admissible moins directe ». En l’espèce, l’argent a servi directement à rembourser la dette de la Trennd. Cette utilisation n’a en elle-même généré aucun revenu. À titre subsidiaire, l’intimée affirme que même si la Cour a le droit de considérer le moment où l’appelante a donné sa garantie, il y a suffisamment d’éléments de preuve qui tendent à démontrer que l’appelante a connu une hausse de ses profits avant la mise en place de l’entente de crédit consolidé pour justifier la conclusion du juge de première instance selon laquelle la Cal-Gas n’avait pas besoin de l’entente de crédit consolidé pour profiter de l’occasion que lui offrait la Husky[6]. L’intimée affirme également que la Cour n’est pas obligée de suivre la politique du ministre qui est précisée dans le bulletin d’interprétation IT-445 et que, même si elle l’était, comme le juge de première instance l’a conclu, la Cal-Gas n’a pas obtenu une contrepartie suffisante en l’espèce, étant donné qu’elle avait obtenu la plus grande partie de son financement avant la mise en place de l’entente de crédit[7].

Analyse

Les tribunaux appliquent strictement la déduction d’intérêts autorisée par le sous-alinéa 20(1)c)(i). Cela s’explique par le fait que les contribuables se servent habituellement de ces paiements pour augmenter leurs immobilisations. Si la loi n’autorisait pas cette déduction, aucune déduction ne serait normalement permise au titre de ce type de paiements. Toutefois, comme la politique fiscale canadienne vise à favoriser l’augmentation des possibilités de produire un revenu, l’alinéa 20(1)c) autorise certaines déductions d’intérêts[8].

À mon avis, l’appelante n’a pas réussi à convaincre la Cour que le juge de première instance a commis une erreur en lui refusant la déduction soit parce que la fin réelle de l’emprunt était de conserver des biens productifs de revenu, soit parce que l’on pouvait établir un lien entre la fin réelle de l’emprunt et la raison pour laquelle la garantie avait initialement été donnée. Le juge de première instance a conclu à bon droit que l’emprunt de 1,7 million de dollars avait été contracté dans le but d’honorer la garantie que l’appelante avait donnée, et non pour tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien.

(i)         La fin réelle de l’emprunt était-elle de conserver des biens productifs de revenus?

Le juge de première instance n’était pas persuadé que l’intérêt sur l’argent emprunté pouvait tomber sous le coup du sous-alinéa 20(1)c)(i) du simple fait que la Cal-Gas désirait conserver ses biens productifs de revenu tout en remboursant en même temps en totalité la dette de la Trennd. Voici les explications que le juge de première instance a données à ce sujet et qui vont dans le même sens que celles que le juge de la Cour de l’impôt avait formulées avant lui [à la page 210] :

Bien que la demanderesse ait pu emprunter cet argent et le verser à la CIBC en vue d’empêcher que son entreprise et ses éléments d’actif soient mis sous séquestre par la CIBC, elle a utilisé directement cet emprunt précis pour permettre à sa société mère Trennd (1979) et à M. Anderson de s’acquitter de leurs dettes.

Sur le fondement de cette conclusion de fait, le juge de première instance a écarté les arguments qu’invoquait l’appelante pour prétendre que le principe posé par le président Thorson dans le jugement Imperial Oil Ltd. v. Minister of National Revenue, [1947] R.C.É. 527, s’appliquait à la présente espèce. Dans l’affaire Imperial Oil, les intérêts sur les fonds empruntés qui avaient servi à régler une dette contractée à la suite de l’abordage d’un navire avaient été jugés déductibles au motif qu’ils se rapportaient à un risque qui était prévisible dans l’industrie de la navigation et que, comme le juge de première instance l’a exprimé dans une formule lapidaire, cet événement était [à la page 207] « lié de façon accessoire à l’entreprise de laquelle elle tirait un revenue »[9]. Le juge de première instance a établi une distinction entre l’espèce et l’affaire Imperial Oil en déclarant que, pour que le principe puisse s’appliquer au prêt consenti par la Wells Fargo [à la page 208], « il ne suffit pas que l’emprunt ait simplement été utilisé en vue de purger les dettes de M. Anderson et de Trennd (1979), ces dernières n’étant pas véritablement liées accessoirement à l’entreprise dont la demanderesse tirait un revenu ». La preuve justifie cette conclusion de fait, et les conclusions de droit que le juge de première instance en a tirées sont inattaquables.

Le juge de première instance a en outre reconnu, à l’instar du juge de la Cour de l’impôt, que [à la page 208] « la Cour doit tenir compte de ce que le contribuable a effectivement fait, et non de ce qu’il aurait pu faire, relativement aux déductions potentielles dont la demanderesse essaie maintenant de se prévaloir ». Ce raisonnement s’accorde parfaitement avec la mise en garde formulée par le juge en chef Dickson dans l’arrêt Bronfman Trust, précité, suivant laquelle le sous-alinéa 20(1)c)(i) oblige les tribunaux à s’en tenir à « ce que le contribuable a réellement fait et non pas de ce qu’il aurait pu faire »[10]. Dans cette affaire, la question en litige formulée par le juge en chef Dickson était précisément celle que soulève la thèse de l’appelante [à la page 35] :

La question est de savoir si l’intérêt que la fiducie a payé sur ces emprunts est déductible aux fins de l’impôt sur le revenu; plus particulièrement, l’intérêt ne peut-il être déduit que lorsque l’emprunt est utilisé directement pour produire un revenu ou y a-t-il également lieu à déduction lorsque, bien que son utilisation directe puisse ne pas produire de revenu, il est possible de considérer l’emprunt comme un moyen de conservation de biens productifs de revenu qui auraient pu sans cela être liquidés?

Pour répondre à cette question, le juge en chef Dickson a fait remarquer que, bien qu’il existe, dans les affaires fiscales, une tendance « à essayer de déterminer la véritable nature commerciale et pratique des opérations du contribuable … [c]ela ne signifie … pas qu’une déduction telle que la déduction au titre d’intérêts prévue par le sous-al. 20(1)c)(i), laquelle, de par le texte même de cette disposition, ne peut être réclamée par un contribuable que dans des circonstances bien précises, ne doive tout à coup plus faire l’objet d’aucune restriction »[11]. Cette observation vaut également dans le cas qui nous occupe.

(ii)        La fin réelle de l’emprunt était-elle d’obtenir du crédit?

Les arguments que fait valoir l’appelante pour affirmer qu’elle s’inscrit dans le cadre du sous-alinéa 20(1)c)(i) au motif que c’est la fin pour laquelle elle a obtenu la première entente de crédit qui lui permet en réalité de se prévaloir de la déduction demandée ne sont pas plus convaincants en fait et en droit.

Après avoir examiné tous les documents et avoir entendu les témoignages, le juge de première instance a conclu [à la page 207] :

La demanderesse soutient néanmoins que, selon une interprétation juste de l’opération—en fait, des opérations—et la Cour considère qu’elles remontent à l’été 1978—l’emprunt de 1,7 million de dollars a véritablement été utilisé en vue de permettre à Cal-Gas d’obtenir du crédit. L’avocat de la demanderesse affirme que c’est la (seule) manière dont la société pouvait être en mesure d’exercer ses activités commerciales rentables à Lloydminster. La Cour ne peut souscrire à cette hypothèse, compte tenu de la date et du volume des opérations conclues longtemps avant que cette entente de crédit soit conçue et proposée par MM. Wood et Anderson au début de 1980, et mise en place, en avril 1980, par l’acceptation de la CIBC, sans subir de modifications majeures jusqu’à ce que la CIBC commence à s’inquiéter, à partir de 1981.

Cette conclusion m’apparaît inattaquable, malgré la plaidoirie fort éloquente et détaillée de Me O’Brien. Le juge de première instance a fait reposer ses conclusions sur la preuve documentaire qui a été portée à sa connaissance et sur les témoignages qu’il a entendus et il m’est impossible de conclure qu’il a commis une erreur manifeste et dominante[12].

Le juge de première instance a également conclu en droit que, même si elle avait conclu l’entente de crédit consolidé pour être davantage en mesure de tirer profit du contrat de la Husky, la Cal-Gas ne peut invoquer la fin initiale pour laquelle la garantie a été donnée pour affirmer que c’est aussi la fin pour laquelle le prêt a été demandé. Cette conclusion de droit repose sur les observations souvent citées que le juge en chef Dickson a formulées dans l’arrêt Bronfman Trust[13] :

La disposition prévoyant la déduction des intérêts exige non seulement la détermination de l’usage auquel ont été affectés les fonds empruntés, mais aussi la détermination de la « fin ». L’admissibilité à la déduction est soumise à la condition que l’argent emprunté soit utilisé pour produire un revenu. Cependant, il est bien établi par la jurisprudence que le point pertinent n’est pas la fin de l’emprunt lui-même. Ce qui est pertinent est plutôt la fin qu’a visée le contribuable en utilisant l’argent emprunté d’une manière particulière …

Suivant le juge en chef Dickson, on doit par ailleurs retenir, non pas l’utilisation primitive des fonds empruntés, mais leur utilisation actuelle[14]. Un contribuable ne peut pas, du simple fait que l’argent emprunté a servi originairement à produire un revenu, continuer à déduire les intérêts payés; l’argent emprunté doit également servir actuellement à produire un revenu. Le prêt que la Wells Fargo a consenti à la contribuable ne pouvait pas être considéré comme un prêt duquel la contribuable pouvait tirer un profit et, partant, les intérêts payés sur ce prêt ne sont pas déductibles.

Une autre décision qui appuie cette conclusion est le jugement Interior Breweries Ltd. v. Minister of National Revenue[15], dans lequel le juge Cameron, de la Cour de l’Échiquier, a refusé la déduction des intérêts payés sur un emprunt qui avait été contracté dans le but de rembourser un emprunt bancaire. Le juge a expliqué[16] que l’argent emprunté n’avait pas servi à produire un revenu, mais qu’il avait plutôt été [traduction] « utilisé en entier pour rembourser l’emprunt bancaire ». Une déduction n’est accordée [traduction] « que si l’argent emprunté sert lui-même à tirer un revenu de l’entreprise »[17]. On peut faire les mêmes observations dans la présente affaire, dans laquelle l’argent emprunté a servi à honorer la garantie, et non à gagner un revenu. Même si l’élément déclencheur initial de l’emprunt était la garantie donnée par la Cal-Gas, l’argent emprunté n’a pas été effectivement utilisé pour produire un revenu, mais bien pour rembourser les dettes contractées par la Trennd envers la CIBC. C’est là l’aboutissement inéluctable de la méthode qu’a retenue la Cour suprême pour définir le champ d’application du sous-alinéa 20(1)c)(i).

Les professeurs Hogg et Magee, dans leur ouvrage Principles of Canadian Income Tax Law, (1995)[18], expliquent comment le principe de l’utilisation actuelle a été [traduction] « appliqué implacablement par les tribunaux pour refuser la déduction des frais d’intérêts lorsque la source de revenu que les fonds avaient été empruntés pour acquérir a disparu »[19]. Les auteurs précisent que la rigueur de ce principe a été atténuée dans une certaine mesure en 1994 lorsque l’article 20.1 [Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 (édicté par L.C. 1994, ch. 21, art. 13)] a été édicté pour permettre la déduction des intérêts lorsque les biens achetés avec l’argent emprunté cessent de produire un revenu, du moins dans le cas de certaines actions et de certaines obligations. J’estime, en conséquence, que c’est au législateur fédéral ou à la Cour suprême du Canada, et non à notre Cour, qu’il appartient de corriger la situation dans laquelle se trouvent l’appelante et certaines autres personnes[20].

(iii)       Pertinence du bulletin d’interprétation

Le Bulletin d’interprétation IT-445, daté du 21 février 1981 n’est d’aucune utilité en l’espèce, bien qu’il mérite notre examen. En voici un extrait :

[Bulletin d’interprétation IT-445] Déductibilité de l’intérêt sur les fonds empruntés pour consentir un prêt à un taux d’intérêt inférieur à un taux raisonnable ou pour honorer une garantie donnée moyennant une contrepartie insuffisante dans les cas où il y a lien de dépendance.

Le présent bulletin remplace le numéro 8 du bulletin IT-239R du 18 avril 1977. Les commentaires des numéros 7 à 10 ci-dessous s’appliquent à compter de l’exercice financier 1982 d’un contribuable. Cependant, ils seront également applicables à l’intérêt payé ou payable pour l’exercice financier 1981 dans le cas de tout emprunt consenti après la date de publication du présent bulletin.

1. Le présent bulletin traite des circonstances dans lesquelles un contribuable a le droit de déduire l’intérêt sur des fonds empruntés pour consentir un prêt à un taux d’intérêt inférieur à un taux raisonnable (voir les observations du Ministère sur ce qu’il juge raisonnable au numéro 6 ci-dessous) ou pour honorer une garantie donnée moyennant une contrepartie insuffisante. Le bulletin d’interprétation IT-239R2 expose l’opinion du Ministère sur la déductibilité des pertes en capital admissibles résultant du prêt ou de la garantie.

2. Bien que le bulletin mentionne les expressions « actionnaires » et « corporations », ces dernières peuvent être interchangées avec « associé » et « société », le cas échéant, lorsque des associés prêtent de l’argent à leur société ou honorent les dettes de celle-ci.

Observations générales

3. Les frais d’intérêt sur l’argent emprunté pour consentir un prêt à un taux d’intérêt raisonnable ou pour honorer une garantie qui a été donnée moyennant une contrepartie suffisante sont généralement déductibles. Cependant, les frais d’intérêt sur l’argent emprunté ne sont généralement pas déductibles, soit en totalité soit en partie, lorsque cet argent :

a) est prêté sans intérêt ou à un taux d’intérêt inférieur à un taux raisonnable;

b) est prêté dans des circonstances où les conditions de paiement du taux d’intérêt raisonnable par la personne à qui l’argent emprunté a été prêté ne sont pas clairement établies au moment du prêt; ou

c) n’est pas utilisé par l’emprunteur pour tirer un revenu direct de son entreprise ou d’un bien acquis avec l’emprunt. Le fait que l’emprunteur puisse tirer un revenu indirect, par exemple d’une augmentation des dividendes d’une corporation à qui un prêt sans intérêt a été consenti, ne suffit pas pour permettre à l’emprunteur de déduire l’intérêt sur sa dette. (Voir cependant les exceptions traitées aux numéros 7 à 10 ci-dessous). Ce paragraphe vise plus que les simples cas de prêts dos à dos ou complémentaires.

4. Lorsque la corporation à qui l’argent a été prêté cesse d’exploiter son entreprise et qu’il n’y a aucun espoir raisonnable pour les actionnaires de tirer un revenu de la corporation, il n’est plus permis de déduire l’intérêt sur la dette de l’actionnaire. Comme la corporation a cessé d’exploiter son entreprise, on ne peut plus soutenir que l’argent emprunté est utilisé en vue de produire un revenu. Dans une année d’imposition donnée, il faut tenir compte de l’utilisation de l’argent au cours de cette année et non pas de l’utilisation originale de ces fonds.

En premier lieu, le Bulletin d’interprétation ne s’applique pas parce que le juge de première instance a conclu, à juste titre, que la contrepartie reçue pour le prêt était insuffisante au sens de l’article premier. En second lieu, il ne satisfait pas au critère énoncé à la dernière phrase de l’article 4, parce que l’utilisation de l’argent ne correspondait pas à son utilisation originale.

Le fait que la Cour confirme la décision du juge de première instance ne signifie pas que la Cour souscrive à tout ce qu’il a écrit dans son style parfois imagé. En particulier, les avocats et la Cour trouvent injustifié l’emploi qu’il a fait du terme « manœuvre » (en anglais « concocted ») au sujet d’une des pièces qui a été préparée en vue de l’instance[21].

Finalement, je ne vois pas en quoi l’arrêt Tonn c. Canada[22], qui porte sur des faits forts différents, pourrait être de quelque utilité que ce soit pour l’appelante dans le cas qui nous occupe.

L’appel devrait être rejeté avec dépens.

Le juge Strayer, J.C.A. : Je suis du même avis.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Roberston, J.C.A. (motifs concordants) :

I.          GENÈSE DE L’INSTANCE

À la suite d’une réorganisation de sociétés, la Cal-Gas s’est retrouvée au nombre des sociétés chapeautées par sa société-mère, la Trennd. Pour réaliser cette réorganisation, la Trennd et son unique actionnaire, Anderson, ont demandé et obtenu un prêt de 7,4 millions de dollars de la Banque de commerce. Sur cette somme, 3,3 millions de dollars ont été avancés sous forme de marge de crédit d’exploitation à laquelle la Cal-Gas et ses sociétés liées avaient accès par l’intermédiaire de la Trennd, qui était le banquier du groupe. Le reste du prêt correspondait aux dettes antérieures contractées par les compagnies du groupe Trennd envers la banque, y compris un prêt de 1,3 million de dollars imputable à la Cal-Gas. Avant d’accepter de consentir le prêt en question, la banque a exigé des garanties de la part de la Cal-Gas, d’Anderson et d’autres sociétés liées. La banque a, deux ans plus tard, exigé le remboursement du prêt et a mis en demeure la Cal-Gas, la seule société rentable du groupe Trennd, d’honorer sa garantie. À ce moment-là, la Cal-Gas avait remboursé toutes les sommes qu’elle devait à la Trennd aux termes de l’entente de crédit. La Cal-Gas a répondu à la mise en demeure de la banque en empruntant 1,7 million de dollars sur les 2,2 millions de dollars qui étaient nécessaires pour exécuter son obligation. M. Anderson a payé la différence de 500 000 $.

La Cal-Gas a essayé de déduire les intérêts payés en vertu du sous-alinéa 20(1)c)(i) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Cette disposition prévoit que peuvent être déduites du revenu du contribuable les sommes qu’il a payées dans l’année en exécution d’une obligation légale de verser des intérêts sur de l’argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien. Dans la nouvelle cotisation qu’il a établie, le ministre du Revenu national a refusé la déduction. L’appel interjeté par la Cal-Gas devant la Cour canadienne de l’impôt a été rejeté, de même que l’appel de novo qu’elle a interjeté devant la Section de première instance de notre Cour (voir, respectivement, 74712 Alberta Ltd. c. M.R.N., [1990] 2 C.T.C. 2001 (C.C.I.) et [1994] 2 C.T.C. 191 (C.F. 1re inst.).

J’ai eu l’avantage de lire l’ébauche de motifs de mon collègue, le juge Linden. Je suis d’accord avec lui pour dire que les intérêts payés sur le prêt de 1,7 million de dollars consenti par la banque ne sont pas déductibles du revenu. Là où mon opinion diffère de la sienne, c’est en ce qui concerne le raisonnement juridique invoqué pour justifier cette conclusion de droit. Mes motifs reposent sur une analyse fouillée de l’arrêt de principe Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32, de la Cour suprême du Canada, et sur ses répercussions. Ainsi qu’un juge de la Cour de l’impôt l’a fait remarquer à juste titre, cet arrêt est maintenant invoqué à l’appui d’un grand nombre de propositions (voir le jugement Mark Resources Inc. c. Canada, [1993] 2 C.T.C. 2259 (C.C.I.), à la page 2269, le juge Bowman (désistement de l’appel interjeté devant la C.A.F.).

II.         DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

Voici les dispositions législatives pertinentes au présent appel :

18. (1) Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d’une entreprise ou d’un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

a) un débours ou une dépense, sauf dans la mesure où elle a été faite ou engagée par le contribuable en vue de tirer un revenu des biens ou de l’entreprise ou de faire produire un revenu aux biens ou à l’entreprise;

b) une somme déboursée, une perte ou un remplacement de capital, un paiement à titre de capital ou une provision pour amortissement, désuétude ou épuisement, sauf ce qui est expressément permis par la présente Partie;

20. (1) Nonobstant les dispositions des alinéas 18(1)a), b) et h), lors du calcul du revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition, peuvent être déduites celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qui peut raisonnablement être considérée comme s’y rapportant :

c) une somme payée dans l’année ou payable pour l’année (suivant la méthode habituellement utilisée par le contribuable dans le calcul de son revenu), en exécution d’une obligation légale de verser des intérêts sur

(i) de l’argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien (autre que l’argent emprunté et utilisé pour acquérir un bien dont le revenu serait exonéré d’impôt ou pour prendre une police d’assurance-vie),

ou une somme raisonnable à cet égard, le moins élevé des deux montants étant à retenir;

III.        L’ARRÊT BRONFMAN : DIX ANS PLUS TARD

Les fiduciaires de la fiducie Bronfman avaient choisi de faire des prélèvements sur un capital de 2,5 millions de dollars pour les verser à une bénéficiaire. Au lieu de liquider quelques-uns des biens immobilisés de quelque 70 millions de dollars pour faire ces versements, les fiduciaires avaient jugé avantageux de contracter un emprunt pour se procurer les fonds nécessaires. L’emprunt a été remboursé trois ans plus tard à la suite de la vente de quelques-uns des actifs de la fiducie. Dans l’intervalle, la fiducie a tenté de déduire les intérêts payés sur les emprunts au cours de chacune des trois années où l’emprunt n’était pas encore remboursé. Ces sommes étaient bien supérieures à la somme qui avait été épargnée en ne liquidant pas certains des biens immobilisés de la fiducie. La Cour suprême a commencé son analyse en réaffirmant le principe posé dans l’arrêt Canada Safeway Limited v. The Minister of National Revenue, [1957] R.C.S. 717, aux pages 722 et 723, et 727. Dans cet arrêt, il a été jugé que, faute de disposition législative autorisant la déduction des intérêts sur des sommes empruntés, ces intérêts sont réputés être des « paiements à titre de capital » dont l’alinéa 18(1)b) [auparavant l’art. 12(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1948, ch. 52] de la Loi interdit la déduction. L’arrêt Canada Safeway est par ailleurs important, parce que la Cour y a posé le fondement analytique de ce qui allait devenir le principe de « l’utilisation directe » qui a été énoncé dans l’arrêt Bronfman. Pour ce seul motif, il vaut la peine de réexaminer les faits et le raisonnement juridique de cette première affaire.

Dans l’affaire Canada Safeway, la compagnie contribuable (Safeway) exploitait une chaîne de magasins d’alimentation. Elle avait emprunté de l’argent pour acquérir les actions d’un distributeur de produits d’alimentation avec lequel la Safeway avait des opérations commerciales importantes. La contribuable a essayé de déduire les intérêts payés au motif que le fait de détenir les actions en question augmentait sa capacité de gagner un revenu en lui permettant de bénéficier, par exemple, d’un traitement de faveur de la part du distributeur et d’un avantage concurrentiel sur les autres chaînes de magasins d’alimentation. La contribuable n’a pas prétendu—et ne pouvait pas prétendre—qu’elle avait acheté les actions en vue de gagner un revenu imposable. À l’époque, les dividendes intersociétés étaient considérés comme un revenu exempt d’impôt.

La Cour suprême a statué, à la majorité, que la contribuable n’avait pas le droit de déduire les intérêts payés. Pour les années d’imposition en question, et aux termes du paragraphe 6(5) de la Loi de l’impôt de 1939 [Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, ch. 97 (édicté par S.C. 1939, ch. 46, art. 8)], les dépenses engagées pour gagner le revenu exempt d’impôt n’étaient pas déductibles. L’argent que la Safeway avait emprunté n’avait pas été utilisé dans le cadre de l’entreprise de la contribuable pour gagner un revenu imposable, mais plutôt pour gagner un revenu exempt d’impôt sous forme de dividendes versés par le distributeur. Quant aux avantages accessoires dont la contribuable avait bénéficié, la Cour a jugé qu’ils constituaient des répercussions « indirectes et éloignées » (le juge Rand, à la page 727) (voir également la décision Interior Breweries Ltd. v. Minister of National Revenue, [1955] R.C.É. 165, dans laquelle les intérêts ont été jugés non déductibles dans une affaire dans laquelle la contribuable avait emprunté de l’argent pour rembourser un prêt qui avait servi à acheter des actions donnant droit à des dividendes).

Je souligne que la Cour suprême a récemment retenu le point de vue soutenu par certains auteurs qui estimaient que l’arrêt Canada Safeway était « mal fondé » (voir l’arrêt Tennant c. M.R.N., [1996] 1 R.C.S. 3, aux pages 316 et 317 (le juge Iacobucci)). Je présume que cette opinion s’explique par le fait que, dans l’arrêt Canada Safeway, la Cour avait conclu que les intérêts sont nécessairement des dépenses de capital, et je suppose que cette opinion se limite à cette conclusion (voir P. W. Hogg et J. E. Magee, Principles of Canadian Income Tax Law (Carswell, 1995), à la page 221, note 36; et B. J. Arnold, « Is Interest a Capital Expense? » (1992), 40 Can. Tax J. 533). Si j’ai tort sur ce point, la Cour suprême devra également de toute évidence réévaluer l’arrêt Bronfman.

Pour dresser un tableau complet de la situation, je tiens également à faire remarquer qu’il semble que le principe posé dans l’arrêt Emerson (R.I.) c. La Reine, [1986] 1 C.T.C. 422 (C.A.F.), autorisation de pourvoi refusée à [1986] 1 R.C.S. viii, ait été annulé par suite de la modification apportée en 1994 à la Loi (voir l’article 20.1). Le principe établi dans l’arrêt Emerson veut que l’on refuse la déduction d’intérêts continus lorsque la source du revenu qui a été acquis avec l’argent emprunté cesse d’exister. Le principe lui-même a toujours fait l’objet de sévères critiques (voir G. D. Dixon et B. J. Arnold, « Rubbing Salt into the Wound : The Denial of the Interest Deduction After the Loss of a Source of Income » (1991), 39 Can. Tax J. 1473.

A)        Le principe de l’utilisation directe

La Cour suprême a, dans l’arrêt Bronfman, formulé deux principes qui servent à déterminer si des intérêts sont déductibles : le principe de l’« utilisation directe » et le « principe de l’utilisation actuelle ». On retrouve l’essentiel du premier principe dans les trois extraits suivants des motifs du jugement (aux pages 45 et 46, et 53 et 54) :

Ce ne sont pas tous les intérêts qui sont déductibles. L’intérêt sur l’argent emprunté pour produire un revenu exempt d’impôt ne l’est pas. L’intérêt sur l’argent emprunté pour acheter des polices d’assurance-vie ne l’est pas. L’intérêt sur les emprunts utilisés à des fins non productives de revenu, telles que la consommation personnelle ou la réalisation de gains en capital, ne l’est pas non plus. La déduction prévue par la loi exige donc qu’on détermine si l’argent emprunté a été utilisé en vue de tirer un revenu imposable d’une entreprise ou d’un bien, ce qui constitue une utilisation admissible, ou s’il a été affecté à quelqu’une des possibles utilisations inadmissibles. Il incombe au contribuable d’établir que les fonds empruntés ont été utilisés à une fin identifiable ouvrant droit à la déduction. Par conséquent, si le contribuable mélange des fonds utilisés à différentes fins, dont une partie seulement est admissible, il peut ne pas pouvoir réclamer la déduction : voir, par exemple, Mills c. Ministre du Revenu national, 85 D.T.C. 632 (C.C.I.); No. 616 v. Minister of National Revenue, 59 D.T.C. 247 (C.A.I.).

Cela ne signifie toutefois pas qu’une déduction telle que la déduction au titre d’intérêts prévue par le sous-al. 20(1)c)(i), laquelle, de par le texte même de cette disposition, ne peut être réclamée par un contribuable que dans des circonstances bien précises, ne doive tout à coup plus faire l’objet d’aucune restriction. Il ne faut pas supposer à la légère qu’une utilisation effective et directe d’argent emprunté est moins réelle que les utilisations abstraites et indirectes que les contribuables ont, à l’occasion, alléguées dans une tentative d’obtenir une qualification avantageuse de l’utilisation d’emprunts. En particulier, j’estime que, même si cela peut être décrit comme une façon indirecte de conserver un revenu, l’emprunt d’argent pour une fin directe inadmissible ne devrait pas conférer à un contribuable le droit de déduire les intérêts payés.

Dans une telle situation, le contribuable réduit doublement ses possibilités à long terme de produire des revenus : premièrement, en utilisant son capital d’une façon non productive de revenu imposable; et deuxièmement, en subissant les frais de financement reliés à la dette. Bien entendu, il est loisible au contribuable de dépenser de l’argent d’une manière dont on ne peut attendre qu’elle produise un revenu imposable, mais s’il prend ce parti, il ne peut pas s’attendre à ce que le fisc lui accorde un traitement avantageux. À mon avis, le texte de la Loi exige que les fonds empruntés aient été affectés à une utilisation admissible précise, car, à l’évidence, le but restreint qu’elle vise est d’encourager les contribuables à améliorer leurs possibilités de produire des revenus. Voilà, selon moi, qui vient empêcher qu’une déduction soit permise à l’égard de l’intérêt payé sur des fonds empruntés qui servent indirectement à conserver des biens productifs de revenu, mais qui ne sont pas utilisés directement « en vue de tirer un revenu … d’un bien ».

Il ressort à l’évidence de ces extraits que le principe de l’utilisation directe comporte deux volets. En premier lieu, il est nécessaire d’établir que les fonds empruntés ont été utilisés à une fin admissible, c’est-à-dire qu’ils se rapportent à une source productive de revenu, qu’il s’agisse d’une entreprise ou d’un bien. En second lieu, il doit exister un lien suffisamment direct entre l’utilisation de l’argent emprunté et la source de revenu. Ainsi, même dans les cas dans lesquels l’argent emprunté a été utilisé pour une fin qui a pour effet indirect d’améliorer la capacité du contribuable de gagner un revenu, les intérêts demeurent non déductibles. La fin productive de revenu est tout simplement trop indirecte.

L’exemple classique du principe de l’utilisation directe est celui du contribuable qui emprunte de l’argent dans le but de s’acheter une résidence personnelle. En pareil cas, il est facile d’établir que l’argent emprunté a servi à acheter un bien. Le contribuable ne peut toutefois tirer un revenu de ce bien tant qu’il s’en sert comme résidence personnelle. Ainsi, on ne peut prétendre que l’argent qui a été emprunté a été utilisé en vue de tirer un revenu d’un bien au sens de l’alinéa 20(1)c) de la Loi. Dans l’arrêt Bronfman, le juge en chef Dickson qualifie le résultat juridique d’« utilisation directe inadmissible des fonds empruntés » ou d’« utilisation directe inadmissible ». Même si l’argent emprunté a pour effet de permettre au contribuable de conserver des placements productifs de revenu, les intérêts demeurent non déductibles. C’est ce qu’on appelle une « utilisation indirecte admissible des fonds ». Les intérêts échappent à l’application du principe de l’utilisation directe parce que l’argent emprunté est utilisé dans le but indirect d’améliorer la capacité du contribuable de générer des revenus, c’est-à-dire dans un but indirect.

À cette étape-ci, je tiens à formuler trois remarques qui deviendront plus importantes plus loin dans les présents motifs. Premièrement, le principe de l’utilisation directe est conforme au principe énoncé à l’alinéa 18(1)a) de la Loi suivant lequel les dépenses doivent se rapporter à une source de revenu. Ainsi, par exemple, les intérêts imputables à des dépenses de consommation ne sont pas déductibles, parce qu’il ne s’agit pas de dépenses engagées en vue de tirer un revenu imposable d’une entreprise ou d’un bien.

Deuxièmement, sur le plan de la planification fiscale, les opérations devraient être structurées de telle sorte que l’argent emprunté par le contribuable serve à des fins commerciales et à des fins de placement. Pour les achats de consommation, le contribuable devrait puiser dans ses épargnes. Ainsi que le professeur Krishna le souligne : [traduction] « On emprunte pour son entreprise et on se sert de ses épargnes pour le plaisir » (voir Krishna, The Fundamentals of Canadian Income Tax, 5e éd., Toronto, Carswell, 1995, à la page 714).

Troisièmement, je ne vois rien dans la jurisprudence, en particulier dans les motifs de l’arrêt Bronfman, qui exige une appréciation subjective des mobiles ou de l’intention qui sont à la base de la décision du contribuable d’emprunter de l’argent (voir, dans le même sens, l’arrêt Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, à la page 736, dans le contexte de l’alinéa 18(1)a) de la Loi). Les termes « utilisé » et « en vue de » sont employés à l’alinéa 20(1)c) dans un sens objectif et non dans un sens subjectif. Il importe de reconnaître que des termes comme « mobile », « intention », « motif », « fin », « objet » et « effet » peuvent être appliqués ou interprétés différemment selon le contexte législatif dans lequel ils sont invoqués (voir, de façon générale, l’arrêt Canada c. Placer Dome Inc., [1997] 1 C.F. 780(C.A.); et J. F. Avery Jones, « Nothing Either Good or Bad, but Thinking Makes It So—The Mental Element of Anti-Avoidance Legislation » (1983), British Tax Review 9).

B)        Le principe de l’utilisation actuelle

Dans l’arrêt Bronfman, la Cour suprême a également confirmé le bien-fondé du principe de l’utilisation actuelle selon lequel c’est l’utilisation actuelle et non l’utilisation primitive de l’argent emprunté dont il faut tenir compte lorsqu’il s’agit de déterminer si des intérêts sont déductibles. Ainsi, le contribuable qui emprunte initialement de l’argent pour une fin directe inadmissible (par exemple, pour acheter une résidence), ne peut déduire les intérêts payés. Toutefois, si l’utilisation inadmissible devient admissible (dans l’hypothèse où la résidence est maintenant louée), les intérêts deviennent déductibles en vertu du sous-alinéa 20(1)c)(i) de la Loi. L’inverse est également vrai. La Cour suprême a analysé très récemment toutes les répercussions du principe de l’utilisation directe dans l’arrêt Tennant c. M.R.N., précité.

Le principe de l’utilisation directe repose sur la prémisse juridique suivant laquelle c’est la fin que sous-tend l’utilisation de l’argent emprunté, et non la fin pour laquelle il a été emprunté, qui est déterminante. Dans de nombreux cas, la fin est la même tant dans le cas de l’utilisation que dans celui de l’emprunt. Dans l’arrêt Bronfman, le juge en chef Dickson a reconnu le bien-fondé de cette distinction (à la page 46) et s’est fondé sur la décision de principe rendue par la Commission d’appel de l’impôt dans l’affaire Auld v. Minister of National Revenue (1962), 62 DTC 27 (C.A.I.). Il vaut la peine de reproduire le passage pertinent de la décision de la Commission (à la page 30) :

[traduction] À mon avis, ce n’est pas la fin sous-jacente à l’emprunt lui-même qui est pertinente, mais bien la fin sous-jacente à l’utilisation de l’argent emprunté. Dans la plupart des cas, la fin est la même en ce qui concerne l’emprunt et l’utilisation, mais lorsque la fin est différente, c’est la fin de l’utilisation qui est décisive. Un exemple rend cette distinction évidente. Ainsi, A peut emprunter 10 000 $ pour l’aider à acheter une résidence dans laquelle il a l’intention de vivre. Il décide toutefois après l’emprunt de ne pas acheter la maison et de placer la somme de 10 000 $ dans son entreprise non constituée en personne morale, au sein de laquelle il l’utilise à une fin commerciale. À mon avis, les intérêts payés sur la somme de 10 000 $ sont de toute évidence déductibles en vertu de l’alinéa 11(1)c), étant donné que la fin pour laquelle cet argent a été utilisé était de gagner un revenu. On ne tient pas compte du fait que cet argent n’a nullement été emprunté en vue de gagner un revenu. [Non souligné dans l’original.]

Comme c’était le cas dans l’affaire Bronfman, le principe de l’utilisation actuelle ne s’applique pas aux faits de l’espèce. Dans l’affaire Bronfman, l’utilisation et la fin immédiates ou primitives de l’argent emprunté étaient de faire des prélèvements sur le capital pour les verser à la bénéficiaire. En conséquence, la fiducie n’avait reçu aucun bien durable en contrepartie. Une fois versé à la bénéficiaire, l’argent emprunté a été dépensé et la fiducie ne pouvait plus l’affecter à une utilisation subséquente ou actuelle, que celle-ci soit admissible ou inadmissible (voir l’arrêt Bronfman, à la page 47). De même, dans la présente affaire, l’argent emprunté a été dissipé une fois qu’il a été payé à la banque. En consentant et en honorant la garantie, la Cal-Gas n’a reçu aucun bien vendable ou durable en retour. Il devenait donc impossible d’établir un lien entre l’argent emprunté et une utilisation subséquente ou actuelle.

C)        Les répercussions de l’arrêt Bronfman et des pratiques administratives

Pour en revenir au principe de l’utilisation directe, le juge en chef Dickson a conclu, dans l’arrêt Bronfman, que l’argent emprunté avait servi immédiatement et directement à faire un prélèvement sur le capital et non à gagner un revenu. Cette affectation constituait une utilisation directe inadmissible de l’argent emprunté. Cependant, le fait que l’emprunt avait permis à la fiducie de conserver des placements productifs de revenu équivalait à une utilisation indirecte admissible. Compte tenu du principe de l’autorité de la chose jugée, on ne saurait prétendre que la ratio decidendi de l’arrêt Bronfman se limite à la simple proposition que les intérêts accumulés sur de l’argent emprunté dans le but de faire des prélèvements sur le capital d’une fiducie et de les verser à un bénéficiaire ne sont pas déductibles du revenu en vertu du sous-alinéa 20(1)c)(i) de la Loi. Cet aspect de l’arrêt Bronfman n’a jamais été mis en doute ou même critiqué. Mais l’arrêt Bronfman appuie un principe de droit beaucoup plus large : les intérêts payés sur de l’argent qui a été emprunté pour être affecté à une utilisation directe inadmissible ne sont pas déductibles du revenu.

En raison de la portée du principe de l’utilisation directe, les juristes et le ministre ont été pris au dépourvu lorsque l’arrêt Bronfman a été rendu. Pour les planificateurs fiscaux, cet arrêt soulevait des questions au sujet de la portée du principe de l’utilisation directe dans de nombreux contextes commerciaux. Quant aux répercussions de l’arrêt Bronfman, voir la perception de R. Couzin et autres, « Tax Treatment of Interest : Bronfman Trust and the June 2, 1987 Release », Corporate Management Tax Conference, Association canadienne d’études fiscales, 1987, à la page 10 :1.

Dans le but d’essayer de clarifier l’application possible du raisonnement suivi dans l’arrêt Bronfman à d’autres situations apparemment analogues, le ministère des Finances et le ministère du Revenu national ont, le 2 juin 1987, publié un communiqué de presse conjoint qui était accompagné d’un avis de motion de voies et moyens visant à modifier la Loi de l’impôt sur le revenu. Ainsi qu’il est déclaré dans ce communiqué, le ministre était disposé à continuer à suivre les pratiques administratives qui étaient énoncées dans d’autres bulletins d’interprétation. Si j’ai bien compris, les bulletins d’interprétation et les pratiques administratives se rapportant à la déductibilité des intérêts s’appliquent toujours même si la Loi n’a pas été modifiée à cet égard, sauf par l’insertion de l’article 20.1. Le juge de première instance a soulevé la question de savoir si ces pratiques sont conformes aux règles de droit énoncées dans l’arrêt Bronfman : « ce n’est pas le ministre mais les … cours supérieures qui ont véritablement et officiellement la compétence pour interpréter la loi » (précité, à la page 208).

Le ministre continue à se conformer à une pratique administrative qui heurte de front l’arrêt Bronfman. Devant le juge de première instance, le ministre a reconnu que, conformément au Bulletin d’interprétation IT-445 du 21 février 1981, les intérêts sur les fonds empruntés et utilisés pour honorer une garantie sont déductibles à condition que le contribuable ait reçu une contrepartie suffisante au moment où la garantie a été consentie. Cette admission m’amène à formuler deux observations préliminaires. En premier lieu, le Bulletin d’interprétation IT-445 prévoit également que, dans certains cas déterminés, les intérêts sont déductibles même si la garantie est donnée moyennant une contrepartie insuffisante. Je constate que les faits de la présente affaire ne satisfont pas aux critères susmentionnés. En second lieu, je suis conscient du fait que l’arrêt Minister of National Revenue v. Steer, [1967] R.C.S. 34 n’appuie pas la pratique administrative en question. En revanche, la brièveté des motifs du jugement (qui ont été prononcés à l’audience), combinée au fait que l’arrêt Steer a été rendu une vingtaine d’années avant l’arrêt Bronfman sont des facteurs qui permettent de penser que l’on doit examiner cette décision avec prudence.

Ainsi qu’il sera expliqué plus loin, il n’y a aucun doute que les intérêts payés sur de l’argent emprunté en vue d’honorer une garantie entrent dans la catégorie des utilisations directes inadmissibles. (Je pose ce principe de façon générale.) Si tel est le cas, il y a alors lieu de se demander s’il existe un fondement juridique quelconque qui justifie la pratique administrative énoncée dans le bulletin d’interprétation IT-445—ou, d’ailleurs, celles qui sont énoncées dans d’autres bulletins d’interprétation pertinents, qui heurte de front le principe de l’utilisation directe posé dans l’arrêt Bronfman. Dans le présent appel, le ministre a souligné que les tribunaux ne sont pas liés par des politiques administratives comme celles que l’on trouve dans le bulletin d’interprétation IT-445, et il ajoute que les tribunaux doivent appliquer le droit aux faits. À première vue, cet argument semble incompatible avec l’admission qu’il a faite au procès. Je considérerai cette admission comme une invitation qui nous est faite de déterminer s’il existe un fondement juridique qui permet d’apporter des exceptions au principe de l’utilisation directe, y compris l’exception fondée sur les garanties données moyennant une contrepartie suffisante. Je n’hésite pas à poursuivre ce raisonnement, car s’il n’existe pas de fondement juridique qui permette de reconnaître l’existence d’exceptions à ce principe, je suis d’accord avec le juge de première instance pour dire qu’il se peut que le ministre ne se conforme pas au principe de droit applicable.

D)        La réserve relative aux circonstances exceptionnelles

La valeur de l’arrêt Bronfman à titre de précédent ne se limite pas aux principes de l’utilisation directe et de l’utilisation actuelle. Le juge en chef Dickson a en effet poursuivi en examinant la possibilité d’assouplir le principe de l’utilisation directe dans des circonstances exceptionnelles. Vu l’ensemble des faits de l’affaire, il n’était pas disposé à permettre à la fiducie de déduire les intérêts en question. À la page 54 de ses motifs, l’ancien juge en chef a posé la question dans les termes suivants :

Même s’il est des circonstances exceptionnelles dans lesquelles, selon une appréciation réaliste des opérations d’un contribuable, il pourrait convenir, en raison d’un effet indirect sur sa capacité de gagner des revenus, de lui permettre de déduire l’intérêt sur les fonds empruntés pour un usage inadmissible, je suis convaincu que de telles circonstances n’existent pas en l’espèce. Il me semble qu’à tout le moins, le contribuable doit convaincre la Cour que la fin réelle qu’il visait en utilisant les fonds était de gagner un revenu.

Il serait trompeur de laisser entendre que cet extrait constitue une acceptation sans réserve de l’existence d’une catégorie distincte d’exceptions au principe de l’utilisation directe. L’expression « [m]ême s’il est des circonstances exceptionnelles » permet de penser que l’ancien juge en chef était peu disposé à encourager la reconnaissance d’une catégorie de circonstances exceptionnelles qui pourrait être utilisée pour saper le principe de l’utilisation directe. Néanmoins, je suis convaincu qu’on peut à juste titre inférer du passage précité que, dans certaines circonstances, les intérêts payés peuvent être déduits même s’ils se rapportent à une utilisation directe inadmissible de l’argent emprunté. À l’appui de cette conclusion, voici en bref les quatre motifs que je propose.

En premier lieu, la catégorie des circonstances exceptionnelles concorde avec l’objet et le but du sous-alinéa 20(1)c)(i). Deuxièmement, la reconnaissance de cette catégorie ne contredit pas les raisons de principe qui sont à la base de l’existence du principe de l’utilisation directe. Troisièmement, dans l’arrêt Bronfman, la Cour suprême du Canada n’a pas expressément écarté l’arrêt Trans-Prairie Pipelines, Ltd. v. M.N.R., [1970] C.T.C. 537 (C. de l’É.). Dans cette décision, il a été jugé que la contribuable pouvait déduire de son revenu les intérêts payés sur l’argent qu’elle avait emprunté pour ce qu’on peut qualifier une utilisation indirecte admissible. Quatrièmement, la catégorie des circonstances exceptionnelles s’accorde avec la directive que l’on trouve dans l’arrêt Bronfman et suivant laquelle les opérations doivent être examinées en fonction des « réalités commerciales ». Je passe maintenant à l’examen plus détaillé de chacun de ces motifs.

De nos jours, c’est un lieu commun de reconnaître que le législateur fédéral a édicté le sous-alinéa 20(1)c)(i) de la Loi pour atténuer les incidences de l’alinéa 18(1)b) et pour encourager l’accumulation de capitaux utilisés pour produire un revenu imposable. Dans l’arrêt Tennant c. M.R.N., précité, aux pages 320 et 321, on a reproché à notre Cour de ne pas avoir retenu une conception qui favorise l’atteinte de l’objet du sous-alinéa 20(1)c)(i). La réserve relative aux circonstances exceptionnelles favorise l’atteinte de cet objectif et ne va pas à l’encontre des véritables raisons de principe à la base du principe de l’utilisation directe. Il en est ainsi à la condition que l’exception soit soigneusement définie, de manière à ne pas lui permettre de l’emporter sur le principe. Ces considérations nous amènent à nous pencher sur la véritable raison de principe à la base du principe de l’utilisation directe.

On ne peut ignorer le fait que, dans l’arrêt Bronfman, le juge en chef Dickson a, à plusieurs reprises, évoqué la possibilité d’assouplir le principe de l’utilisation directe de manière à permettre la déduction des intérêts en ce qui concerne ce que je qualifierais d’utilisations personnelles inadmissibles, comme l’achat de maisons de vacances et de polices d’assurance-vie. La plupart des décisions citées dans l’arrêt Bronfman—et des affaires dont les tribunaux sont saisis de nos jours—portent sur l’achat de propriétés résidentielles qui peuvent être utilisées à des fins personnelles ou à des fins locatives. Inévitablement, le débat tourne autour de la déductibilité des intérêts payés sur le prêt hypothécaire (voir, par ex., l’arrêt M.R.N. c. Attaie, [1990] 3 C.F. 325 (C.A.)). Mais ces affaires ne se limitent pas à l’achat de résidences personnelles. Ainsi, dans l’affaire Bronfman, la ministre a invoqué devant la Commission de révision de l’impôt le jugement Sternthal, J c La Reine, [1974] CTC 851 (C.F. 1re inst.), pour contester l’arrêt Trans-Prairie. Dans l’affaire Sternthal, le contribuable, dont l’actif dépassait largement le passif, avait emprunté 250 000 $. Le même jour, il a consenti à ses enfants des prêts sans intérêt totalisant 280 000 $. Comme on pouvait s’y attendre, les intérêts payés ont été jugés non déductibles.

Dans ce contexte, on peut comprendre pourquoi la Cour suprême ne souhaite pas encourager qu’on s’écarte du principe de l’utilisation directe. Permettre aux contribuables de déduire les intérêts payés de leur revenu sur le fondement d’une utilisation indirecte admissible (la conservation de biens productifs de revenus), alors que l’utilisation directe ne vise aucune fin économique, reviendrait à accorder un bénéfice inattendu à de riches Canadiens et serait injuste pour les contribuables moins nantis. Ces préoccupations d’équité fiscale sont expressément formulées dans l’arrêt Bronfman. On oublie souvent les remarques tranchantes que le juge en chef Dickson a formulées à cet égard. Pourtant, elles représentent, à mon avis, la véritable raison de principe à la base de cet arrêt (aux pages 48 et 49) :

À mon avis, ni la Loi de l’impôt sur le revenu ni la jurisprudence n’autorisent les tribunaux à ne pas tenir compte de l’usage direct qu’un contribuable fait d’argent emprunté. Il suffit d’envisager les conséquences de l’interprétation préconisée par la fiducie pour qu’on arrive à la conclusion que cette interprétation ne peut pas être celle qu’a voulue le législateur. La fiducie ne peut obtenir gain de cause que si le sous-al. 20(1)c)(i) s’interprète de manière à permettre une déduction à l’égard des emprunts contractés par un contribuable qui possède des biens productifs de revenu. Suivant cette thèse, ce contribuable pourrait se servir du produit de l’emprunt pour acheter une police d’assurance-vie, pour s’offrir des vacances, pour se porter acquéreur de biens spéculatifs ou pour se livrer à n’importe quelle autre activité non productive de revenu ou inadmissible. L’intérêt serait néanmoins déductible. Un contribuable moins nanti, par contre, qui ne possède pas de biens productifs de revenu, ne pourrait pas déduire les intérêts payés sur des emprunts utilisés d’une manière identique. Une telle interprétation serait injuste envers certains contribuables et, en même temps, constituerait une entorse criante à l’exigence légale selon laquelle la déductibilité des intérêts est conditionnelle à l’utilisation de l’argent emprunté à des fins bien précises productives de revenu.

Compte tenu de la raison de principe susmentionnée, il me semble que, dans les cas où l’on ne peut établir que l’argent emprunté a été affecté à une utilisation inadmissible du type de celles dont il était question dans les affaires Bronfman et Canada Safeway, il peut y avoir lieu d’appliquer dans certains cas la réserve relative aux circonstances exceptionnelles. Pour justifier cette proposition, je passe à l’examen de l’arrêt Trans-Prairie.

Dans l’affaire Trans-Prairie, la société contribuable voulait financer l’expansion de son entreprise par l’émission d’obligations. Elle a toutefois découvert que, en raison des exigences de son fonds d’amortissement, il lui était impossible de lancer les obligations sans avoir préalablement racheté ses actions privilégiées. La contribuable a emprunté 700 000 $, dont 400 000 $ ont été affectés au rachat des actions privilégiées, et les 300 000 $ restant à l’expansion de son entreprise. Le ministre a refusé la déduction des quatre septièmes des intérêts sur le prêt, au motif que sur la somme de 700 000 $, 400 000 $ n’avaient pas été utilisés pour tirer un revenu d’une entreprise. Le président Jackett a accueilli l’appel interjeté par la contribuable et a déclaré déductibles les intérêts payés sur la totalité de l’emprunt de 700 000 $. D’après lui, les fonds empruntés avaient servi à « combler la perte laissée par le rachat » (à la page 541).

Le raisonnement juridique et le résultat auquel le tribunal est parvenu dans l’arrêt Trans-Prairie justifient amplement l’idée que les intérêts payés peuvent être déduits du revenu même si cette affaire impliquait une utilisation de fonds empruntés que le juge en chef Dickson aurait vraisemblablement qualifiée d’utilisation indirecte admissible. Comme on pouvait s’y attendre, dans l’affaire Bronfman, le contribuable a invoqué l’arrêt Trans-Prairie. Malheureusement, la façon dont le juge Dickson a traité cette dernière décision m’apparaît, en toute déférence, ambivalente. Dans l’arrêt Bronfman, le juge Dickson invoque à deux reprises la décision Trans-Prairie. Il vaut la peine de reproduire ces deux extraits (aux pages 52 et 54) :

Donc, à l’exception de l’affaire Trans-Prairie, dont, à mon humble avis, le raisonnement ne justifie pas la conclusion que la fiducie intimée cherche à tirer, la jurisprudence s’est montrée généralement hostile aux réclamations fondées sur des utilisations admissibles indirectes dans des cas où il y a une utilisation directe mais inadmissible des fonds empruntés.

Même s’il est des circonstances exceptionnelles dans lesquelles, selon une appréciation réaliste des opérations d’un contribuable, il pourrait convenir, en raison d’un effet indirect sur sa capacité de gagner des revenus, de lui permettre de déduire l’intérêt sur les fonds empruntés pour un usage inadmissible, je suis convaincu que de telles circonstances n’existent pas en l’espèce. Il me semble qu’à tout le moins, le contribuable doit convaincre la Cour que la fin réelle qu’il visait en utilisant les fonds était de gagner un revenu. À l’inverse de ce qui semble être le cas dans l’affaire Trans-Prairie, les faits en l’espèce sont loin de faire cette démonstration. [Passage non souligné dans l’original.]

Il ressort du premier extrait que l’ancien juge en chef était d’avis que les faits de l’affaire Trans-Prairie permettaient de conclure que les fonds empruntés avaient été affectés à une utilisation indirecte admissible. Du moins, c’est ce qu’on suppose en général (voir Krishna, précité, à la page 714). Ce qu’on ne sait pas avec certitude, c’est si la qualification inverse (celle d’utilisation directe inadmissible) était fondée sur le fait que la Cour estimait que les effets productifs de revenu étaient tout simplement trop indirects ou sur le fait que l’acte d’emprunter dans le but de racheter des actions ne constituait pas une opération qui était susceptible en elle-même de générer un revenu ou un profit. (Cette ambiguïté nous amène à nous demander si une opération d’emprunt peut donner lieu à une perte prévue tout en remplissant les conditions requises pour être considérée comme une utilisation admissible. Je reviendrai plus loin sur cette question dans les présents motifs.)

En ce qui concerne le second extrait, je tire deux conclusions. La première est évidente. Dans l’arrêt Bronfman, la Cour n’a pas expressément écarté l’arrêt Trans-Prairie. J’estime qu’il n’est pas sans intérêt de rappeler que, dans l’arrêt Bronfman, la Cour suprême a confirmé le résultat auquel le juge Pratte, de la Cour d’appel, était arrivé. Le juge Pratte n’a pas jugé mal fondé l’arrêt Trans-Prairie. Il a plutôt conclu que cette affaire portait sur des faits différents en raison de la « théorie des lacunes » susmentionnée. La seconde conclusion, qui est liée à la première, est que les observations du juge en chef Dickson impliquent que l’issue de l’affaire Trans-Prairie pourrait être confirmée en raison du fait que l’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que l’opération d’emprunt donne lieu à un profit. Ce fait était absent de l’affaire Bronfman, sur laquelle nous reviendrons plus loin.

La seule autre décision que je connaisse qui aborde l’appréciation du bien-fondé de l’arrêt Trans-Prairie qui a été faite dans l’arrêt Bronfman est l’arrêt M.R.N. c. Attaie, précitée, à la page 344. Dans cet arrêt, la Cour a fait remarquer que, dans l’arrêt Bronfman, le juge en chef Dickson avait confirmé le raisonnement suivi dans l’arrêt Trans-Prairie. La Cour a poursuivi en statuant que, comme l’argent emprunté avait servi à financer la résidence personnelle du contribuable, la situation de ce dernier ne correspondait pas aux circonstances extraordinaires en cause dans l’affaire Trans-Prairie.

À mon avis, si l’ancien juge en chef avait été d’avis que l’arrêt Trans-Prairie contredisait l’arrêt Bronfman, c’est-à-dire qu’il était mal fondé, il l’aurait dit. Je suis conscient du fait que, pour régler le présent appel, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur le bien-fondé de la décision Trans-Prairie. Il suffit de déclarer que l’opinion que la Cour suprême avait de cette décision justifie l’acceptation de l’existence d’une catégorie distincte d’exceptions à la règle générale de la déductibilité des intérêts.

Finalement, je passe aux extraits de l’arrêt Bronfman qui concernent les « réalités commerciales » et qui font maintenant jurisprudence. J’estime qu’ils traduisent la volonté du juge en chef Dickson de reconnaître l’existence d’exceptions au principe de l’utilisation directe (aux pages 52 et 53) :

Je reconnais toutefois que, tout comme il y a eu tendance dernièrement à s’éloigner d’une interprétation stricte des lois fiscales … de même la jurisprudence récente en matière fiscale a tendance à essayer de déterminer la véritable nature commerciale et pratique des opérations du contribuable. En effet, au Canada et ailleurs, les critères fondés sur la forme des opérations sont laissés de côté en faveur de critères fondés sur ce que lord Pearce a appelé une [traduction] « appréciation saine de toutes les caractéristiques directrices » des événements en question … [Citations omises.]

Il s’agit là, je crois, d’une tendance louable, pourvu qu’elle soit compatible avec le texte et l’objet de la loi fiscale. Si, en appréciant les opérations des contribuables, on a présent à l’esprit les réalités commerciales et économiques plutôt que quelque critère juridique formel, cela aidera peut-être à éviter que l’assujettissement à l’impôt dépende, ce qui serait injuste, de l’habileté avec laquelle le contribuable peut se servir d’une série d’événements pour créer une illusion de conformité avec les conditions apparentes d’admissibilité à une déduction d’impôt.

Rares sont les affaires fiscales dont notre Cour est saisie qui ne commencent pas par un rappel que la Cour doit tenir compte de la véritable nature commerciale et pratique des opérations du contribuable. Chaque affaire doit être évaluée en ayant présent à l’esprit les réalités commerciales et économiques. Ce qu’on néglige souvent, ce sont les observations du juge en chef Dickson que l’on trouve dans le second extrait précité. C’est là qu’on trouve son apparente inquiétude au sujet de l’injustice que constituerait le fait de faire dépendre l’assujettissement à l’impôt de l’habileté avec laquelle le contribuable peut se servir d’une série d’événements pour « créer une illusion de conformité » avec la Loi.

Pour les fiscalistes, cette exhortation à tenir compte des réalités commerciales peut être une façon polie de mettre en garde les juges qui peuvent être perplexes lorsqu’ils examinent des opérations commerciales complexes. À mon sens, cette exhortation sert également à rappeler que le processus d’interprétation ne doit pas être réduit à la simple prémisse erronée que le seul objet de la Loi est de se procurer des recettes fiscales. En réalité, la Loi cherche à atteindre des objectifs opposés et il n’est pas toujours facile d’interpréter une disposition ambiguë sans favoriser un objectif aux dépens d’un autre.

Dans le contexte de la présente affaire, la réalité commerciale est la suivante : les emprunts que contractent les compagnies font partie intégrante de leur processus de production de revenu au même titre que la fourniture de la garantie d’un tiers qui est accordée aux prêteurs par des compagnies liées ou par des actionnaires. La fourniture et l’acceptation de garanties font partie, dans le monde du commerce, du processus quotidien de production de revenu. On ne peut en dire autant des prélèvements sur le capital qui sont versés au bénéficiaire d’une fiducie. Ainsi que le juge Bowman l’avait fait remarquer au sujet de l’arrêt Bronfman : « La fin vague, c’est-à-dire de protéger un actif n’ayant pratiquement pas produit de revenu, était évidemment secondaire par rapport à la fin directe et peu rentable que constituait le versement du capital à un bénéficiaire de la fiducie » (Mark Resources, précité, à la page 2270).

En conclusion, j’estime, en toute déférence, que le raisonnement de la Cour suprême permet une éventuelle reconnaissance d’exceptions au principe de l’utilisation directe. À tout le moins, on devrait, en droit, être disposé à examiner la question de la déductibilité des intérêts dans les cas dans lesquels on peut démontrer que l’application du principe de l’utilisation directe ne permettrait pas d’atteindre le but visé. Je passe maintenant à l’épineuse question de savoir quels critères doivent s’appliquer pour définir les limites de la catégorie des circonstances exceptionnelles.

E)        Portée de la catégorie des circonstances exceptionnelles

Ayant reconnu que l’arrêt Bronfman n’empêche pas la reconnaissance d’exceptions au principe de l’utilisation directe dans le cadre d’une catégorie de circonstances exceptionnelles, il est quand même nécessaire d’isoler les critères à appliquer pour déterminer si les intérêts payés sur des fonds empruntés pour une utilisation directe inadmissible sont déductibles du revenu. Dans l’arrêt Bronfman, le juge en chef Dickson ne mentionne que deux conditions, à savoir que le contribuable doit démontrer que la fin réelle (l’intention) qu’il visait en utilisant les fonds était de gagner un revenu et qu’il s’attendait raisonnablement à ce que l’opération d’emprunt lui procure un revenu supérieur aux intérêts payés.

En pratique, il convient d’avoir présent à l’esprit deux autres facteurs évidents lorsqu’il s’agit de déterminer si les faits d’une affaire déterminée font entrer celle-ci dans la catégorie des circonstances exceptionnelles. Premièrement, le contribuable invoque-t-il l’argument de la « conservation de biens productifs de revenu »? En second lieu, l’argent emprunté a-t-il été utilisé à des fins commerciales ou économiques? Autant que je puisse le prévoir, l’argument de la conservation de biens productifs de revenu n’aura jamais de poids.

En ce qui concerne l’exigence de la fin réelle, il est évident que ce critère constitue une invitation faite au contribuable de témoigner au sujet de son intention de gagner un revenu. Deuxièmement, il est également évident que le critère n’est pas purement subjectif, mais qu’il doit être apprécié en fonction des éléments de preuve qui ont été retenus et des inférences qu’on peut légitimement en tirer. À mon humble avis toutefois, cette exigence est problématique. L’inférence inévitable est que le contribuable ne peut déduire les intérêts qu’il a payés si l’on peut démontrer qu’il n’avait pas véritablement l’intention de gagner un revenu. À mes yeux, cette inférence crée de la confusion avec la doctrine du trompe-l’œil. Je crois que l’on peut retracer les origines de cette confusion dans l’un des moyens qui étaient invoqués par la fiducie dans l’affaire Bronfman.

Dans l’affaire Bronfman, la fiducie soutenait—et le ministre reconnaissait—que la fiducie aurait pu déduire les intérêts si elle avait vendu des actifs pour faire le versement à la bénéficiaire et si elle avait ensuite contracté un emprunt pour acheter des actifs de remplacement. Le juge en chef Dickson a rejeté cet argument principalement au motif que la fiducie ne pouvait pas demander à la Cour suprême de qualifier l’opération en tenant compte des réalités commerciales de la fiducie tout en lui demandant en même temps de le faire en fonction de ce que la fiducie aurait pu faire. Le juge en chef Dickson a toutefois fait remarquer que si la fiducie avait vendu un élément d’actif pour faire le versement et si elle l’avait immédiatement racheté avec l’argent emprunté, les tribunaux auraient bien pu estimer que la vente et le rachat « constituaient une formalité ou un simulacre conçu pour dissimuler le caractère essentiel de l’opération, c’est-à-dire que de l’argent a été emprunté et utilisé pour financer le paiement d’un prélèvement sur le capital à la bénéficiaire » (à la page 55). Comme on pouvait s’y attendre, les commentateurs n’ont pas tardé à qualifier cette dernière déclaration de remarque incidente.

On estime généralement que l’idée que des opérations structurées d’évitement fiscal pourraient aller à l’encontre de la doctrine du trompe-l’œil crée de l’incertitude dans le droit (voir Krishna, précité, aux pages 1373 et 1374 et Hogg, précité, à la page 457, note 32). Sur le fondement d’autres arrêts de la Cour suprême, il est généralement accepté que cette doctrine repose sur le concept de la « tromperie » et non sur les bases plus larges dont il est question dans l’arrêt Bronfman (voir Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536). Dans ces conditions, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi on doit aborder avec prudence la condition relative à la fin réelle. On gagne plus à examiner la seconde des deux conditions, celle de l’expectative raisonnable de profit.

Il est évident que la condition relative à l’expectative raisonnable n’oblige pas le contribuable à démontrer que l’utilisation des fonds empruntés a effectivement généré des revenus. Il se trouve seulement que, vu l’ensemble des faits de l’affaire Bronfman, la preuve démontrait de manière irrésistible qu’il ne pouvait y avoir d’« expectative raisonnable » que le rendement du portefeuille de la fiducie soit supérieur aux intérêts payables sur le prêt. Au cours d’une année d’imposition, les intérêts sur les emprunts dépassaient 110 000 $, tandis que le capital équivalent ainsi conservé rapportait moins de 10 000 $. Voici en quels termes le juge en chef Dickson a expliqué la chose à la page 54 de ses motifs :

D’ailleurs, il n’est pas simplement anecdotique que les biens, qui ont été conservés pendant une brève période, ont eu un rendement bien en deçà du loyer de l’argent emprunté. En 1970, l’intérêt sur les 2 200 000 $ d’emprunts dépassait les 110 000 $, tandis qu’une tranche moyenne de 2 200 000 $ de biens de la fiducie (le montant du capital « conservé ») rapportait moins de 10 000 $. La contribuable ne peut alléguer aucune attente raisonnable que le rendement de l’ensemble du portefeuille de la fiducie, ou même d’un élément particulier de ce portefeuille, soit supérieur à l’intérêt payable sur un montant équivalent de la dette. Le fait que l’emprunt a pu servir à empêcher des pertes en capital ne peut aider la contribuable à obtenir une déduction prévue uniquement à l’égard de l’utilisation d’argent emprunté en vue de produire un revenu.

En dernière analyse, le juge en chef Dickson a conclu que la fiducie n’avait pas le droit de déduire les intérêts payés. Il n’y avait aucune expectative raisonnable de profit et l’argent avait été emprunté pour une utilisation directe inadmissible. En d’autres termes, l’opération d’emprunt ne respectait pas le principe de l’utilisation directe et rien ne permettait d’invoquer la réserve relative aux circonstances exceptionnelles.

En plus des deux conditions imposées par le juge en chef Dickson, il nous reste l’admission faite par le ministre. Ainsi qu’il a déjà été souligné, le Bulletin d’interprétation IT-445 prévoit que les intérêts payés sur un prêt, dont le produit a servi à honorer un contrat de garantie donnée moyennant une contrepartie suffisante, peuvent être déduits du revenu en vertu du sous-alinéa 20(1)c)(i) de la Loi. À la réflexion, il me semble que cette admission est tout simplement une façon de formuler autrement la condition relative à l’expectative raisonnable de profit. Il serait plus logique de se demander si la garantie représente un aspect accessoire de l’entreprise du contribuable qui n’expose pas celui-ci à un risque de perte déraisonnable. L’hypothèse qui suit est peut-être un peu simpliste sur le plan commercial, mais elle illustre bien ma thèse.

Supposons qu’un fabricant réussisse à vendre dix gadgets à la condition qu’il garantisse le paiement du prix d’achat au banquier de l’acheteur. En contrepartie, l’acheteur indépendant convient d’acheter 1 000 gadgets au fabricant sur une période de cinq ans sans autre disposition financière de la part du fabricant. On peut légitimement supposer que le fabricant qui fait affaire avec un tel acheteur n’est pas dans le commerce dans le but de perdre des revenus. L’entrepreneur raisonnable calculera les risques que cette obligation éventuelle ne se matérialise et ses coûts avant d’accepter de consentir la disposition financière demandée et de fixer le prix de vente de ses gadgets. Si le fabricant est appelé à honorer sa garantie et qu’il s’estime forcé d’emprunter les fonds requis, les intérêts qu’il paiera pourraient être déduits de son revenu au motif qu’ils font partie de la catégorie des circonstances exceptionnelles. La garantie a été donnée dans des circonstances accessoires à l’entreprise du contribuable et n’a pas exposé celui-ci à des risques déraisonnables de pertes financières. En bref, la contrepartie était suffisante ou elle donnait lieu à une expectative raisonnable de profit.

En résumé, je suis d’avis que l’admission du ministre est fondée en droit, ainsi qu’il ressort du Bulletin d’interprétation IT-445. En conséquence, les intérêts payés sur l’argent emprunté pour honorer les garanties données moyennant une contrepartie suffisante peuvent être déduits du revenu même si l’utilisation de cet argent n’a qu’un effet indirect sur la capacité du contribuable de gagner un revenu. L’utilisation indirecte admissible n’est donc pas trop éloignée dans tous les cas.

IV.       ANALYSE

Pour revenir au cas qui nous occupe, et en appliquant les principes posés dans l’arrêt Bronfman, la première question à aborder est celle de savoir si le principe de l’utilisation directe est respecté en l’espèce. Devant le juge de première instance, la Cal-Gas a soutenu que, si elle n’avait pas honoré la garantie, la Banque aurait demandé sa mise sous séquestre. En réponse, le juge de première instance a statué que la Cal-Gas était tenue de « démontrer qu’[elle avait une véritable] intention, et non une intention farfelue ou illusoire, d’après les faits, d’emprunter l’argent en vue de gagner un revenu » (à la page 209). Le juge de première instance a poursuivi en jugeant mal fondé le moyen tiré de la mise sous séquestre. Reconnaissant que la Cal-Gas pouvait avoir emprunté l’argent et l’avoir versé à la CIBC en vue d’empêcher un tel résultat, le juge a statué que : « elle a utilisé directement cet emprunt précis pour permettre à sa société mère Trennd (1979) et à M. Anderson de s’acquitter de leurs dettes » (à la page 210).

Bien que je sois d’accord avec le juge de première instance pour dire que le moyen tiré de la mise sous séquestre n’est pas tenable, je ne souscris pas à son raisonnement. À mon avis, il est évident que le juge de première instance a confondu le principe de l’utilisation directe avec la condition relative à la fin réelle dont nous avons déjà parlé. Il est vrai que le juge de première instance a conclu que les deux seuls témoins qui avaient témoigné au nom de la Cal-Gas n’étaient pas crédibles et qu’en conséquence, le moyen tiré de la mise sous séquestre ne reposait sur aucun fait. Mais il me semble que ce que le juge de première instance a fait, c’est d’apprécier l’applicabilité du principe de l’utilisation directe en fonction des mobiles qu’avait la Cal-Gas d’emprunter l’argent en question, à savoir de tirer M. Anderson et la Trennd d’affaire.

Selon l’arrêt Bronfman, c’est l’utilisation directe productive de revenu à laquelle l’argent emprunté a été affecté qui est pertinente. Ainsi, la raison ou le mobile à la base de la décision de la Cal-Gas d’emprunter les fonds sur lesquels des intérêts devaient être payés demeure une considération non pertinente pour l’application du principe de l’utilisation directe. En corollaire, il est sans intérêt que le paiement de la garantie par la Cal-Gas ait eu pour effet de dégager d’autres personnes des obligations qu’elles avaient contractées aux termes de la même garantie. Ces conclusions vont dans le même sens que les observations formulées par le ministre. Nul n’a tenté de défendre cet aspect du raisonnement du juge de première instance, que ce soit lors des débats ou dans la plaidoirie écrite.

À mon humble avis, le moyen tiré de la mise sous séquestre est mal fondé au motif qu’il ne tient pas compte de l’obligation d’établir d’abord que l’argent emprunté a été affecté à une utilisation admissible directe. Je tiens pour acquis qu’une compagnie qui garantit, par exemple, les dettes personnelles de ses actionnaires (par ex. des dettes portant sur des dépenses de consommation) n’a pas le droit de déduire les intérêts payés sur l’argent emprunté pour honorer cette garantie. Il en est ainsi même si l’emprunt a évité à la compagnie d’être mise sous séquestre. Le principe de l’utilisation directe ne tient pas compte de ces genres de dispositions financières. Le fin mot de l’histoire, c’est que, même si l’on pouvait dire que la Cal-Gas a emprunté la somme de 1,7 million de dollars pour éviter une mise sous séquestre, l’argent a été affecté à une utilisation indirecte admissible, à savoir la conservation de biens productifs de revenu.

En appel devant la présente Section de la Cour, les avocats de la Cal-Gas ont choisi avec sagesse de défendre une autre thèse juridique. Ils soutiennent maintenant que le moment pertinent pour apprécier « l’admissibilité de l’utilisation » est celui où la garantie a été donnée et non la date à laquelle l’argent a été emprunté en vue d’honorer la garantie. Le ministre adopte pour sa part le point de vue selon lequel, peu importe la date retenue, la Cal-Gas n’est pas en mesure de respecter le principe de l’utilisation directe. Suivant le ministre, si la date à retenir est celle à laquelle la garantie a été consentie, la Cal-Gas n’exploitait pas une entreprise consistant à donner des garanties à profit. Par conséquent, on ne peut conclure que la garantie a été donnée en vue de « tirer un revenu » de l’entreprise de la Cal-Gas. Le ministre maintient qu’en supposant que la date à retenir soit réputée être celle à laquelle l’argent a été emprunté, l’argent emprunté a servi directement à payer une dette contractée par la Trennd envers la banque, et que cette utilisation n’a produit en elle-même aucun revenu, étant donné qu’on ne s’attendait pas à obtenir un revenu par suite du paiement de la garantie. En résumé, la Cal-Gas n’exploitait pas une entreprise consistant à rembourser des tiers ou à leur prêter de l’argent.

Je souscris à la thèse de la Cal-Gas, mais uniquement dans la mesure où il est plus profitable de considérer la date à laquelle la garantie a été donnée que de tenir compte de la date à laquelle elle a été honorée. Je suis également d’accord avec le ministre pour dire que, indépendamment de la date qui est retenue, la Cal-Gas n’est pas en mesure de respecter le principe de l’utilisation directe. Finalement, je suis d’accord pour dire que le fait que le paiement de la garantie se rapporte à la dette contractée par un tiers est d’une importance critique en ce qui concerne l’issue du présent appel. Je ne puis toutefois souscrire à l’essentiel de la thèse du ministre. Plutôt que d’essayer d’éclaircir les arguments des parties, je me propose de décomposer la thèse du ministre en trois volets. Mon but est d’en finir avec certaines idées fausses qui, si on n’y prend pas garde, peuvent devenir incontrôlables.

Le premier volet repose sur la conviction erronée que, pour se prévaloir d’une déduction en vertu du sous-alinéa 20(1)c)(i) de la Loi, la Cal-Gas devait exploiter une entreprise consistant à rembourser des dettes (agissant comme une espèce de philanthrope) ou, subsidiairement, exploiter une entreprise consistant à donner des garanties (agissant comme une espèce de caution). Ces propositions sont de toute évidence intenables.

Le deuxième volet tourne autour de la conviction erronée que, pour que l’utilisation qu’il a faite de l’argent emprunté puisse être considérée comme une utilisation directe admissible, le contribuable doit établir que l’argent emprunté a été utilisé pour une fin générant des apports continus de revenus (par ex. pour acheter des actions qui produisent des dividendes). À mon avis, l’application du principe de l’utilisation directe n’est pas assujettie à l’obligation qu’il existe un rapport direct entre l’emprunt et la production de revenu. Je tiens à le préciser, parce que l’acquittement d’une dette ou d’une obligation légale ne peut jamais donner lieu directement à une expectative de revenu, et encore moins de profit.

Ma thèse est simple. Dans l’état actuel du droit, le contribuable n’est pas tenu d’établir l’existence d’un lien de causalité entre une dépense déterminée et une recette donnée. La dépense est déductible même si elle se solde par une perte prévue. Ces principes de base ont été confirmés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Symes, précité, à la page 729, où la Cour cite la décision Imperial Oil Ltd. v. Minister of National Revenue, [1947] R.C.É. 527. Si une dépense est déductible en vertu de l’alinéa 18(1)a) de la Loi, il devrait s’ensuivre que l’argent emprunté pour faire face à cette dépense est déductible en vertu du sous-alinéa 20(1)c)(i). La réalisation des fonds empruntés pour une fin qui ne génère pas elle-même de revenu n’a aucune incidence sur ce résultat. La meilleure façon d’illustrer ma thèse est de citer l’affaire Imperial Oil.

Dans le jugement Imperial Oil, il a été jugé que la contribuable avait le droit de déduire une somme qui avait été payée pour régler les dommages-intérêts découlant d’une négligence dans le fonctionnement d’un de ses navires. La Cour de l’Échiquier a jugé mal fondé l’argument du ministre selon lequel la dépense en question n’avait pas été faite dans le but de tirer un revenu, mais simplement pour s’acquitter d’une obligation légale. En réponse, le président Thorson a souligné qu’on pouvait en dire autant pour chaque dépense. Il a statué que, dès lors que l’obligation était contractée à titre d’aspect accessoire de l’entreprise, elle était réputée faire partie du processus de production de revenu. Voici ce qu’il déclare, aux pages 538 et 539 :

[traduction] La négligence commise par les préposés de l’appelante dans le fonctionnement de ses bâtiments, et la responsabilité qui en découle de verser des dommages-intérêts en raison de l’abordage qui en a résulté, constituait un risque normal et ordinaire inhérent aux activités maritimes qui faisaient partie de l’entreprise de l’appelante et en constituaient en réalité un aspect accessoire.

Sauf erreur, si l’Imperial Oil avait emprunté les fonds nécessaires pour rembourser sa dette, le ministre se serait opposé à la déduction des intérêts au motif que le règlement d’une dette constitue une « utilisation qui n’a produit en elle-même aucun revenu, étant donné qu’on ne s’attendait pas à obtenir un revenu ». À mon avis, l’opposition du ministre n’est pas tenable. Je reconnais qu’il existe une différence entre le libellé du texte anglais de l’alinéa 18(1)a) de la Loi et celui du sous-alinéa 20(1)c)(i). Le premier emploie les termes « gaining or producing » pour parler des dépenses engagées en vue de tirer un revenu d’une entreprise, tandis que le second emploie le terme « earning » pour parler de l’argent emprunté en vue de tirer un revenu d’une entreprise. À mon avis, cette distinction ne peut être considérée comme significative, ne serait-ce qu’à cause du fait que le jugement Imperial Oil a été rendu à une époque où l’équivalent du texte anglais de l’alinéa 18(1)a) employait le terme « earning » pour parler des dépenses engagées en vue de tirer un revenu d’une entreprise (voir l’alinéa 6(1)a) de la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu).

Le troisième volet de la thèse du ministre—qui est en réalité un volet subsidiaire—repose sur la conviction erronée que c’est la fin immédiate à la base de l’utilisation de l’argent emprunté qui est pertinente. Je souscris à l’argument de la Cal-Gas suivant lequel on considère la fin au moment où la garantie est donnée et non à la date à laquelle elle est payée. Il est indubitable en l’espèce que l’argent emprunté a servi directement à rembourser une créance de la banque en exécution de la garantie. Au sens étroit, on peut dire que l’argent a été utilisé à cette fin. Mais on ne sait pas pour autant si l’argent a finalement été versé pour une fin productive de revenu.

Dans le jugement Imperial Oil, la Cour ne s’est pas bornée à conclure que la dépense avait été engagée en vue d’exécuter une obligation légale. C’était là l’utilisation et la fin immédiates du paiement. Dans ce jugement, la Cour a poursuivi en concluant que la dépense avait été engagée en vue de tirer un revenu dans la mesure où elle pouvait raisonnablement être considérée comme s’inscrivant dans le cadre du processus de production de revenu. Pareillement, le sous-alinéa 20(1)c)(i) nous force à regarder au-delà de l’utilisation et de la fin immédiates de l’emprunt pour nous demander si l’on peut conclure que la Cal-Gas poursuit ou visait une fin directe de production de revenu en accordant la garantie en question. Or, on doit répondre par la négative à cette question.

La fourniture de la garantie de la Cal-Gas a permis à la Trennd d’obtenir un emprunt et de recevoir un produit dont elle pouvait se servir en vue de gagner un revenu. Ainsi, la fourniture de la garantie visait à faciliter la capacité de production de revenu du débiteur principal (la Trennd) et non celle du garant (la Cal-Gas). L’argent emprunté par la Cal-Gas a servi à rembourser le prêt consenti à la Trennd, dont celle-ci avait utilisé le produit pour les fins qu’elle jugeait appropriées. Conformément à l’arrêt Bronfman, il faut conclure que l’argent emprunté par la Cal-Gas a été affecté à une utilisation directe inadmissible. En résumé, l’obligation contractée par la Cal-Gas était la dette qu’elle avait contractée aux termes de sa garantie. Il ne s’agissait pas d’une dette relative à une avance consentie à la Cal-Gas pour ses propres besoins de production de revenu (voir The Commissioners of Inland Revenue v. Holder (Sir H. C., Bart) and Holder (J. A.) (1932), 16 T.C. 540 (H.L.), à la page 564, le vicomte Dunedin).

On ne devrait pas être surpris de constater qu’il est de jurisprudence constante, du moins sur le plan des principes généraux, que les intérêts payés sur un emprunt contracté dans le but d’honorer une garantie ne sont pas déductibles du revenu. Il y a unanimité sur cette question, mais les motifs varient (voir McLaws c. M.R.N., [1974] R.C.S. 887; Minister of National Revenue v. Steer, précité; Bowater Canadian Ltd. c. La Reine, [1987] 2 C.T.C. 47 (C.A.F.); et Canada c. MerBan Capital Corp., [1989] 2 C.T.C. 246 (C.A.F.).

Par ailleurs, je suis disposé à accepter qu’il se peut que, dans certains cas, l’argent emprunté en vue de rembourser la dette d’un tiers ne contrevienne pas au principe de l’utilisation directe. Il peut exister des situations dans lesquelles le contribuable est en mesure d’établir qu’il avait accès au produit de l’emprunt qu’il a garanti et qu’il a effectivement reçu le produit en question. En pareil cas, l’emprunt est directement lié à la capacité du garant de générer des revenus.

Par exemple, en l’espèce, la Cal-Gas pouvait utiliser la marge de crédit mise à sa disposition par la banque et l’a effectivement utilisée par l’intermédiaire de la Trennd, le banquier du groupe. En outre, le prêt initial représentait 1,3 million de dollars de la dette préexistante de la Cal-Gas envers la banque. Si la Cal-Gas avait réussi à établir que la somme de 1,7 million de dollars qu’elle a été obligée de payer en exécution de la garantie se rapportait en tout ou en partie à sa propre dette et non à celles de la Trennd ou des sociétés liées, je ne verrais alors aucune objection à permettre la déduction des intérêts payés en vertu du sous-alinéa 20(1)c)(i) de la Loi. La dette dont le remboursement serait garanti serait alors celle de la Cal-Gas et le principe de l’utilisation directe serait sans aucun doute respecté. Il ressort toutefois de l’ensemble des faits de la présente affaire que la Cal-Gas avait remboursé la totalité de l’argent qu’elle devait à la Trennd au moment où la banque a exigé le paiement en vertu de la garantie.

Je trouve un appui pour la réserve qui précède dans l’arrêt McLaws c. M.R.N., précité, aux pages 894 et 895. Dans cet arrêt, le tribunal a envisagé la possibilité que le garant ait accès au produit de l’emprunt dont il garantissait le remboursement. Le droit de déduire des intérêts doit, évidemment, être limité à la partie du prêt qui se rattache directement à la dette contractée par le garant pour tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien et qui demeure impayée au moment où la garantie est réalisée. Le fait que seule une fraction des intérêts payés puisse être déduite selon cette exception est envisagée au sous-alinéa 20(1)c)(i) de la Loi. Cette disposition prévoit que le contribuable peut déduire « celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qui peut raisonnablement être considérée comme s’y rapportant » Finalement, je dois signaler la mise en garde formulée dans l’arrêt Bronfman (à la page 46) suivant laquelle le contribuable qui « mélange » des fonds utilisés à différentes fins, dont une partie seulement est admissible, risque de ne pas pouvoir réclamer la déduction des intérêts.

À mon avis, il ne fait pas de doute en droit que la Cal-Gas a emprunté l’argent pour une utilisation directe inadmissible. En conséquence, les intérêts payés ne sont pas déductibles de son revenu à moins que la réserve relative aux circonstances exceptionnelles qui a été formulée dans l’arrêt Bronfman ne s’applique. Je constate par ailleurs que le juge de la Cour de l’impôt a fait allusion à la question de savoir si les faits de la présente espèce constituaient des circonstances exceptionnelles. Il a conclu que ce n’était pas le cas, étant donné que l’argent emprunté avait servi à rembourser la dette contractée par la Trennd (aux pages 2004 et 2005). Je signale que le juge de première instance a fait la même allusion, mais qu’il n’était pas convaincu de l’existence de circonstances exceptionnelles (aux pages 208 et 209). Je passe maintenant à la question de savoir si la garantie en question a été consentie moyennant une contrepartie suffisante.

Traditionnellement, la seule question que l’on se pose en droit est celle de savoir si la contrepartie est satisfaisante et non celle de savoir si elle est suffisante. La présente affaire fait exception à cette règle. Les avocats de la Cal-Gas soutiennent que la contrepartie qui a été obtenue par cette compagnie au moment où elle a donné la garantie était suffisante tant au sens juridique (contrepartie actuelle versée relativement à une obligation contractuelle entre la Cal-Gas et la banque) qu’au sens commercial (entre la Cal-Gas et la Trennd). En contrepartie de sa garantie, la Cal-Gas a reçu un billet à ordre de la Trennd, la possibilité d’utiliser la marge de crédit de 3,3 millions de dollars et la prise en charge par la Trennd de la dette préexistante de 1,3 million de dollars de la Cal-Gas envers la banque. Au passif de ce bilan, on trouve l’obligation de la Cal-Gas de rembourser cette dernière somme et toute autre somme qu’elle emprunterait de la Trennd en vertu de l’entente de crédit. En outre, la Cal-Gas a pris à sa charge une obligation éventuelle de 7,4 millions de dollars sans savoir si une partie de cette somme serait imputable à sa propre dette envers la Trennd.

À l’instar du juge de première instance, je suis d’avis que ce que la Cal-Gas a reçu de la Trennd en contrepartie de l’octroi de la garantie était insuffisant (précité, aux pages 204 et 209). Il faut reconnaître que ce qui constitue une contrepartie suffisante est, faute de critère pour nous éclairer, une question d’appréciation subjective. À mon avis la question du caractère suffisant de la contrepartie doit être abordée, dans un premier temps, en se demandant si deux entreprises commerciales raisonnables qui n’ont aucun lien entre elles se seraient entendues sur des modalités contractuelles comme celles qui ont été acceptées en l’espèce. N’eût été le fait que la Cal-Gas et la Trennd sont des compagnies liées, je doute que la Cal-Gas aurait donné la garantie sur le fondement de ce qu’elle a reçu et compte tenu de l’obligation éventuelle qu’elle a prise à sa charge.

À mon avis, la Cal-Gas n’a pas réussi à démontrer que les avantages ou les profits que pouvait lui procurer le crédit qui a été mis à sa disposition l’emportaient sur le risque et l’ampleur possibles des pertes découlant de la fourniture de la garantie. Pour reprendre les termes employés dans l’arrêt Imperial Oil, le risque de perte assumé par la Cal-Gas ne pouvait pas raisonnablement être considéré comme normal. Mon fabricant hypothétique de gadgets n’aurait certainement pas été disposé à agir comme la Cal-Gas l’a fait. Lorsqu’un contribuable garantit le remboursement d’un prêt déterminé qui est consenti à une autre personne, il ne devrait pas être trop difficile de déterminer s’il existe une corrélation raisonnable entre les risques de gains et de pertes. Tout comme le fabricant de gadgets, dans une situation comme la présente, le garant évaluera normalement le risque qu’il court en participant à l’opération de prêt. Ordinairement, le garant ne s’engagera que s’il est suffisamment motivé, par l’octroi d’une contrepartie suffisante, à assumer le risque que le débiteur ne respecte pas ses engagements. L’administration d’éléments de preuve portant sur les pratiques commerciales établies peut être le moyen le plus expéditif d’établir qu’une garantie a été donnée moyennant une contrepartie suffisante.

On peut soutenir qu’un raisonnement semblable s’applique dans les cas mettant en cause certaines entités liées, comme lorsqu’une société mère répond à la demande que lui fait le prêteur de garantir le remboursement des dettes de ses filiales. Bien que la fourniture de la garantie ne soit pas à l’abri de tout risque dans ce cas, une telle garantie ne comporte pas nécessairement de risques élevés pour la société mère. Celle-ci pourrait raisonnablement s’attendre à tirer un profit de l’opération de prêt et l’on pourrait démontrer que les risques qu’elle assume respectent les limites acceptables fixées par les réalités commerciales. Toutefois, la position du contribuable devient fragile lorsqu’une filiale garantit le remboursement des dettes de sa société mère et d’autres sociétés sœurs. En pareil cas, tout objectif de production de revenu imputable à la fourniture de la garantie est, faute d’éléments de preuve convaincants contraires, tout simplement trop « éloigné » au sens que l’on donne à ce terme en droit fiscal. Ces considérations m’amènent à la dernière question cruciale qui a été soumise au juge de première instance et à la présente section de la Cour.

Il ressort vraisemblablement des motifs du juge de première instance que la Cal-Gas a avancé un argument que je qualifierais d’argument de « nécessité commerciale ». En vertu de cet argument, la Cal-Gas a essayé de démontrer qu’avant que la Trennd n’obtienne le prêt, la Cal-Gas était financièrement instable, mais qu’elle venait d’obtenir un contrat lucratif avec l’Husky Oil. Pour tirer profit de ce contrat, la Cal-Gas avait besoin qu’on lui accorde un financement permanent et non qu’une compagnie liée, l’Allied garantisse ses emprunts. La Cal-Gas soutient que, sans le prêt et la réorganisation des compagnies, elle n’aurait jamais été en mesure d’exécuter le contrat de la Husky. Il est évident que l’argument de la nécessité commerciale revient à demander à la Cour de tenir compte des réalités commerciales.

Le juge de première instance a rejeté cet argument après avoir conclu que deux des témoins qui avaient témoigné au nom de la Cal-Gas n’étaient pas crédibles. Pour écarter leur témoignage, le juge de première instance a poursuivi en déclarant qu’un document qui avait été rédigé par les conseillers de la Cal-Gas était le fruit d’une [à la page 194] « manœuvre » (en anglais, « concocted »). Les avocats qui occupaient pour les deux parties n’ont pas comparu lors du présent appel. Je m’empresse d’ajouter que grande partie de la journée fixée pour les plaidoyers a été consacrée aux conclusions négatives tirées au sujet de la crédibilité.

Les avocats qui représentaient la Cal-Gas en appel, Mes O’Brien et Meghji, ont reconnu volontiers qu’une juridiction d’appel ne peut modifier les conclusions de fait tirées au sujet de la crédibilité des témoins à moins que l’on réussisse à démontrer qu’elles sont entachées d’une « erreur manifeste et dominante ». En l’espèce toutefois, les avocats n’arrivent pas à comprendre comment le juge de première instance a pu, en rendant son jugement quatorze mois après la date du procès, juger bon de mettre en doute la crédibilité des témoins alors qu’aucune question de crédibilité n’avait été soulevée au cours de la seule journée qu’a duré le procès. Les avocats se sont également élevés contre ce qu’ils ont appelé les remarques « gratuites » du juge du procès qui, à leur avis, étaient « injustifiées » et qui constituaient un « affront » aux avocats qui avaient comparu au procès pour le compte de la Cal-Gas (voir le mémoire exposant les faits et le droit de l’appelante, au paragraphe 56).

En réponse, Mes Curley et Nohorniak, les avocats du ministre, ont à juste titre invoqué la jurisprudence qui limite l’intervention des juridictions d’appel aux questions portant sur les conclusions de fait et la crédibilité. Cette jurisprudence commence avec l’arrêt Stein et autres c. « Kathy K » et autres (Le navire), [1976] 2 R.C.S. 802, de la Cour suprême, et se termine par l’arrêt qu’elle a récemment prononcé dans l’affaire Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254, à la page 281.

Quant aux conclusions défavorables qui ont été tirées au sujet de la crédibilité, les avocats du ministre ont essayé de démontrer que la nature changeante des moyens de droit invoqués par la Cal-Gas ont pu semer le doute dans l’esprit du juge de première instance. En tout état de cause, ils maintiennent qu’il n’y a aucun motif que justifie en droit notre Cour de modifier les conclusions de fait tirées par le juge de première instance. En revanche, les avocats du ministre admettent volontiers que le juge de première instance a commis une erreur en concluant que le document en question était le fruit d’une « manœuvre ». Les avocats sont allés jusqu’à expliquer en détail l’erreur commise par le juge de première instance en interprétant de façon inexacte les origines de certains renseignements financiers contenus dans ce document. Malgré cette admission, le ministre maintient qu’il n’y a aucune raison de modifier les conclusions de fait tirées par le juge de première instance.

Je retiens expressément l’admission du ministre suivant laquelle le document en question n’était pas le fruit d’une manœuvre. Je ne suis toutefois pas persuadé que le juge de première instance a commis une erreur en rejetant l’argument de la nécessité commerciale. Même si j’étais disposé à intervenir—et je ne le suis pas », je ne pourrais déclarer selon la prépondérance des probabilités que la réorganisation des sociétés et la mise en place de l’entente de crédit ont été effectuées dans le but de permettre à la Cal-Gas d’exécuter le contrat de la Husky Oil. Avec le recul, il est permis de croire que la meilleure preuve de la nécessité commerciale viendra des agents de l’établissement de crédit qui ont obtenu la garantie.

Pour terminer, je tiens à préciser que j’estime bien fondé le moyen que la Cal-Gas tire de l’arrêt éclairé que notre Cour a rendu dans l’affaire Tonn c. Canada, [1996] 2 C.F. 73 (C.A.). Compte tenu de l’analyse qui précède, il doit être évident que je ne considère pas que l’arrêt Tonn est pertinent aux questions qui nous occupent. Par ces motifs, il s’ensuit que l’appel devrait être rejeté avec dépens.



[1] S.R.C. 1952, ch. 148, mod. par S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 1.

[2] [1987] 1 R.C.S. 32.

[3] Le juge de première instance s’est également fondé sur l’arrêt Bowater Canadian Ltd. c. La Reine, [1987] 2 C.T.C. 47, dans lequel notre Cour a statué que les intérêts sur l’argent emprunté pour honorer des garanties données par un contribuable à des compagnies dans lesquelles il détenait une importante participation n’étaient pas déductibles parce que la dette originale avait été contractée à des fins d’immobilisation.

[4] Transcription, aux p. 63, 114 et 133.

[5] Id., aux p. 72, 73, 76 (ligne 15) et 78.

[6] Tableau comparatif des chiffres financiers, dossier d’appel, vol. II, à la p. 379.

[7] Lettre du 9 avril 1980 de la CIBC, dossier d’appel, vol. I, aux p. 139 à 147.

[8] Voir les propos du juge Iacobucci dans l’arrêt Tennant c. M.R.N., [1996] 1 R.C.S. 305, aux p. 316 et 317; voir également les propos tenus par le juge en chef Dickson dans l’arrêt Bronfman Trust, précité, à la p. 45.

[9] Voir également la décision Herald and Weekly Times Ltd. v. Federal Commissioner of Taxation (1932), 48 C.L.R. 113 (H.C. Aust.).

[10] Bronfman Trust, précité, à la p. 55.

[11] Id., supra, aux p. 52 et 53.

[12] Voir l’arrêt Stein et autres c. « Kathy K » et autres (Le navire), [1976] 2 R.C.S. 802.

[13] Supra, à la p. 46.

[14] Id., à la p. 47.

[15] [1955] R.C.É. 165.

[16] Id., à la p. 170.

[17] Ibid.

[18] À la p. 222.

[19] Voir le jugement Lyons (D M) c MRN, [1984] CTC 2690 (C.C.I.); et l’arrêt Emerson (R.I.) c. La Reine, [1986] 1 C.T.C. 422 (C.A.F.).

[20] Voir également l’arrêt Corbett c. Canada, [1997] 1 C.F. 386 (C.A.).

[21] Voir le dossier d’appel, vol. II, à la p. 379.

[22] [1996] 2 C.F. 73 (C.A.).

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