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[1997] 3 C.F. 893

T-754-96

Ronald W. Tolmie (requérant)

c.

Procureur général du Canada (intimé)

Répertorié : Tolmie c. Canada (Procureur général) (1re inst.)

Section de première instance, juge McGillis— Ottawa, 14 et 24 octobre 1997.

Accès à l’information Version électronique des Lois révisées du Canada exemptée de communication par application de l’art. 68a) de la Loi du fait qu’elle est à la disposition du public sous forme de CD-ROM et sur l’InternetLa personne qui demande la communication d’un document n’a pas le droit d’exiger que ce document lui soit communiqué sous une forme donnéeL’intimé pouvait invoquer de nouveaux chefs d’exemption après l’avis initial de refus de communiquer, pourvu que le Commissaire à l’information ait eu la possibilité d’examiner les nouveaux chefs d’exemption invoqués et que le requérant ait eu la possibilité de présenter à ce dernier ses observations concernant cette question.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 18b), 41, 68a).

AVOCATE :

Josephine A. L. Palumbo pour l’intimé.

A COMPARU :

Ronald W. Tolmie pour son propre compte.

PROCUREUR :

Le sous-procureur du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge McGillis :

LES FAITS DE LA CAUSE

Il y a en l’espèce recours introduit par le requérant sous le régime de l’article 41 de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, modifiée, en contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’intimé a refusé de lui communiquer certains documents.

Invoquant la Loi sur l’accès à l’information, le requérant avait, par lettre datée du 6 janvier 1995 au nom d’IRAD Corporation, demandé à l’intimé de lui communiquer un exemplaire des Lois révisées du Canada sous forme de fichier informatique. Dans sa demande, il disait sa préférence pour le [traduction] « format WordPerfect 5.1 existant, qu’emploie actuellement Justice Canada pour la saisie des Lois révisées. Cependant, d’autres formats comme le format Folio qui sert à la production des CD-ROM à cette fin seraient également acceptables ». En d’autres termes, le requérant demandait communication d’une version lisible par ordinateur des Lois révisées du Canada.

Par lettre en date du 25 janvier 1995, l’intimé a refusé de lui communiquer un exemplaire des Lois révisées du Canada sous forme de fichier informatique, et ce en invoquant l’alinéa 18b) de la Loi sur l’accès à l’information, portant protection des intérêts économiques de l’État[1]. Voici ce qu’on peut lire dans la lettre de refus :

[traduction] Ainsi que vous l’avez fait remarquer dans votre lettre, notre ministère prévoit de mettre les Lois révisées du Canada à la disposition du public. Les négociations sont en cours en vue de leur production sur CD-ROM au cours de cette année. Notre ministère se rend compte qu’il y a au Canada des entreprises qui ont pour spécialité d’assurer l’accès à des bases de données juridiques. De mettre maintenant à la disposition de votre compagnie un exemplaire des Lois révisées compromettrait le projet que fait notre ministère de mettre en vente cette information. Nous avons donc appliqué l’alinéa 18b) de la Loi [intérêts économiques de l’État] pour l’exempter de la communication.

Le 1er février 1995, le requérant a porté plainte auprès du Commissaire à l’information.

Durant l’enquête du Commissaire à l’information, l’intimé a soutenu que les documents en question étaient exemptés de communication par l’alinéa 68a) de la Loi sur l’accès à l’information, du fait qu’il s’agit de documents publiés, déjà mis à la disposition du public sous forme imprimée[2].

Le 20 août 1995, l’intimé a créé le site web du ministère de la Justice sur l’Internet pour donner au public accès à divers types d’informations, dont toutes les lois fédérales. En même temps, il a annoncé que les CD-ROM contenant les textes refondus des Lois révisées du Canada et des Règlements seraient rendus publics dans un proche avenir, avec mise à jour deux fois par an.

En octobre 1995, la version CD-ROM des Lois révisées du Canada est mise en vente au prix de 225 $.

LA DÉCISION DU COMMISSAIRE À L’INFORMATION

Par lettre en date du 16 février 1995, le Commissaire à l’information a fait savoir au requérant que sa plainte contre l’intimé n’était pas fondée. Dans son compte rendu, le Commissaire conclut qu’au moment de la demande de communication du requérant, le refus de communiquer les documents en question était justifié en vertu de l’alinéa 18b) de la Loi sur l’accès à l’information, du fait des intérêts économiques de l’État. Il conclut aussi qu’à la date de sa décision, c’était l’alinéa 68a) de la même Loi qui s’appliquait pour exempter ces documents de la communication, puisqu’ils étaient déjà disponibles sous forme de CD-ROM et sur l’Internet. Dans sa décision, le Commissaire à l’information fait notamment observer ce qui suit :

[traduction] Je conclus de mon enquête qu’au moment de votre demande de communication, l’article 18 justifiait le refus de communiquer. Il appert que le projet de mettre en vente les Lois révisées du Canada et les Règlements en était déjà à un stade avancé au moment de votre demande. Il était aussi raisonnable de croire que la communication de cette information aurait pu compromettre l’aptitude du ministère à mettre cette information en vente.

À mon avis, l’exemption de la version lisible par ordinateur des Lois révisées et des Règlements était justifiée au moment de votre demande. Cela dit, Justice a depuis mis les Lois révisées à la disposition du public sur l’Internet. Dès lors, le refus de communiquer n’est plus justifié au regard de l’alinéa 18b). Je dois donc examiner l’affaire à la lumière de l’article 68.

Les textes de loi en question n’étant pas à la disposition du public sous forme de fichier informatique au moment de votre demande, j’estime que l’article 68 ne s’appliquait pas à ce moment-là. Comme je l’ai déjà dit, cependant, leur version informatique est maintenant disponible, à la fois sur l’Internet et sous forme de CD-ROM. Au surplus, le prix de 250 $ pour la version CD-ROM est raisonnable à mon avis. À présent, donc, c’est l’article 68 qui s’applique et, pour cette raison, je n’envisage pas de recommander au ministère de mettre à votre disposition une version lisible par ordinateur.

LE POINT LITIGIEUX

La question à trancher est de savoir si le requérant a droit à la communication d’une version des Lois révisées du Canada lisible par ordinateur.

ANALYSE

Malgré l’argumentation éloquente du requérant, je conclus que les documents demandés sont exemptés de communication par application de l’alinéa 68a) de la Loi sur l’accès à l’information, du fait qu’une version électronique des Lois révisées du Canada est à la disposition du public sous forme de CD-ROM ou sur l’Internet. Puisque cette information est à la disposition du public sous forme de fichier informatique, les dispositions de cette dernière Loi n’ont pas application en l’espèce. Le requérant n’a donc pas droit à la communication des documents en question, quand bien même il souhaiterait les obtenir sous la forme particulière de fichier informatique que détient l’intimé. Sous le régime de la Loi sur l’accès à l’information, une personne peut demander la communication d’un document, mais elle n’a pas le droit d’exiger que ce document lui soit communiqué sous une forme donnée.

Ayant conclu que les documents en question sont exemptés de communication par application de l’alinéa 68a) de la Loi sur l’accès à l’information, il est inutile que j’examine si l’intimé était fondé à refuser de les communiquer en invoquant les intérêts économiques de l’État, que protège l’alinéa 18b).

Dans son argumentation orale et écrite, le requérant a soutenu qu’il n’avait pas eu la possibilité de présenter au Commissaire à l’information ses observations sur la question de savoir si l’intimé pouvait invoquer l’alinéa 68a) de la Loi sur l’accès à l’information en la matière. Il n’a produit aucune preuve que le Commissaire lui avait nié le droit de présenter des conclusions sur ce point. Par contre, on peut lire ce qui suit dans la lettre en date du 16 février 1995 de ce dernier :

[traduction] Tout au long de notre enquête, vous nous avez présenté nombre d’observations réfléchies sur les divers points de votre plainte. Soyez assuré qu’avant de parvenir à ma conclusion en la matière, j’ai pris toutes vos observations en considération. Elles ont été utiles et je vous en remercie.

Cela dit, j’en viens à votre argument qu’un ministère n’est pas recevable à ajouter d’autres chefs d’exemption après avoir notifié au demandeur le fondement de sa décision de refuser la communication. Un cas semblable a été récemment examiné par le juge Dubé, dans le cadre d’un recours fondé sur l’article 41. Dans cette affaire, le requérant (un de nos plaignants antérieurs) posait la question de savoir si le responsable de l’institution fédérale concernée était lié par les motifs figurant dans l’avis initial de refus de communiquer. La Cour a conclu que le nouveau chef d’exemption ne se traduirait par aucun préjudice pour le requérant, puisque j’avais la possibilité d’examiner les nouveaux chefs d’exemption invoqués.

On peut voir de cette décision que seuls sont inadmissibles les chefs d’exemption proposés après que le Commissaire à l’information a mis fin à son enquête. À titre d’information, ci-joint une copie de la décision Rubin et de la cause Davidson qui y est citée. Je comprends votre sentiment de frustration, mais je n’ai d’autre choix que de permettre aux ministères d’invoquer de nouveaux chefs d’exemption dans le cours de l’enquête.

Il ressort de la décision du Commissaire à l’information qu’il a expressément examiné la question de savoir si l’intimé pouvait invoquer un nouveau chef d’exemption, soulevé dans le cours de l’enquête. Au surplus, il a visiblement pris en considération les observations faites par le requérant à ce sujet. Dans ce contexte, je rejette comme non fondée l’assertion faite par le requérant qu’il s’était vu nier le droit de faire des observations sur le nouveau chef d’exemption soulevé par l’intimé. Je conclus aussi que le Commissaire à l’information était fondé à conclure, eu égard aux faits de la cause, que l’intimé était recevable à soulever, dans le cours de l’enquête du Commissaire à l’information, un nouveau chef d’exemption sous le régime de la Loi sur l’accès à l’information.

DÉCISION

La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune adjudication de dépens.



[1] L’art. 18b) de la Loi sur l’accès à l’information prévoit ce qui suit :

18. Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de documents contenant :

b) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire à la compétitivité d’une institution fédérale;

[2] L’art. 68a) de la Loi sur l’accès à l’information prévoit ce qui suit :

68. La présente loi ne s’applique pas aux documents suivants :

a) les documents publiés ou mis en vente dans le public;

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