A-890-97
Bande indienne de Musqueam et chef Joseph Ralph Becker, Ernie Campbell, Wayne Sparrow, Leona M. Sparrow, Nolan Charles, Mary Charles, Johnna Crawford, Gail Y. Sparrow, Myrtle McKay, Larry Grant et Sa Majesté la Reine (demandeurs) (appelants)
c.
Mary Glass, Hin F. Ko, Mabel W. Ko, Roy Westwick, Gwyneth M. Westwick, Kerry-Lynne Ferris, Stephen W. Findlay, Norah C. Findlay, Jerry Janes, Diana Janes, Gregory Pappas, Tasie Pappas, Solon S. Wang, Peter M. Lee, Herbert M. Lewis, Alexander Kalinowski, Katarina Kalinowski, John W. Whitefoot, Sheila M. Whitefoot, Lisbet MacKay, Pierre Dow, Mona McKinnon, Wong L. Lee, Man-Loong Lee, John M. Glaiserman, Juan L.G. Cam, Elizabeth C. Cam, Evelyn M. Murray, William T. Ziemba, James R. Thompson, Ann B. Thompson, Yum C. Lau, Irene Lau, James Y. P. King, Tjin K. Tan, Eiji Murakami, Miyako Murakami, Thomas W. F. Fung, Amy M. L. Chan, Gertrude Henneken, Hans T. Henneken, Howard G. Isman, Marjorie E. Isman, Stanley Evans, Dorothy Evans, Khi Yoeng Tjin, Wen-Tien Tai, Kui-Hsiang Huang, Phyllis Weinstein, Patricia Lai, Wilfred E. Patton, Jean M. Patton, Attilio Girardi, Mary Girardi, Irma E. Boulter, George S. Boulter, John G. Cragg, Olga B. Cragg, Howard E. Cadinha, Arlene B. Cadinha, Maria C. Ormond, Douglas R. Eyrl, Judith F. Eyrl, Cheung K. Choi, Chan P. K. Choi, Celia Kaan, Cecil S. C. Kaan, Ramon Y. Kaan, Helena Kan, Leslie Bara, Ottilia Bara, Alfred K. Lee, Esther K. Lee, Diana W. C. Sung, Donald C. Graham, Winnifred A. Graham, Ronald J. MacKee, Alexander H. Wong, Stella L. Wong, Edward B. Huyck, Dorothy A. Huyck, Frederick S. Edy, Ellen V. Edy, Victor H. Hildebrand, John E. Egan, Chi K. Ching, Siu Y. Chan, Lavender Chu, Frederick Chu, George E. Rush, Anne L. Rush, Herta J. Neumann, Cornelius Neumann, James A. Forsythe, Diane R. Forsythe, Peter J. Funk, Elizabeth Funk, Elfriede Machek, Adelheid Machek, Lillian P. Toews, Hui C. Keung, Patricia H. K. S. Wah, Vadilal J. Modi, Mira V. Modi, Charles H. Shnier, Elaine C. Shnier, Agnes P. C. Shen, Carol M. Lau, Dennis Lau, Marjorie McClelland, Arthur Nee, Laura T. Nee, Donald W. Scheideman, Kathryn M. Scheideman, William N. King, Allan J. Hunter, Grace K. Hunter, Grace NG, Irving Glassner, Noreen C. Glassner, Priscilla Fratkin, Nancy B. Berner, Gregory Hryhorchuk, Darcy L. Hryhorchuk, Astley E. Smith, Betty Ann Smith, Lily R. Eng. (défendeurs) (intimés)
Répertorié: Bande indienne de Musqueamc. Glass (C.A.)
Cour d'appel, juges Desjardins, Robertson et Sexton, J.C.A."Vancouver, 3 et 4 novembre; Ottawa, 21 décembre 1998.
Peuples autochtones — Terres — Lots situés sur une réserve indienne, cédés à la Couronne par une bande indienne à des fins de location — La Couronne a conclu une entente cadre avec un promoteur privé en vue de faire un plan de lotissement du terrain et d'y fournir des services — Le promoteur a reçu des baux pour chacun des lots et les a cédés à des particuliers à des fins résidentielles — Le bail précisait que le loyer annuel équivaudrait à 6 % de la —valeur courante du terrain— — La —valeur courante du terrain— désignait-elle la valeur d'un droit de tenure à bail de 99 ans sur la réserve indienne ou la valeur du terrain détenu en pleine propriété? — L'intention des parties était que la bande avait le droit de recevoir, à titre de loyer, 6 % de la valeur de la pleine propriété — L'intention de la bande était de s'assurer un rendement équitable et modéré sur la valeur des investissements — Revue de la jurisprudence sur l'évaluation de terres autochtones — La —valeur courante du terrain— signifie la valeur d'un terrain détenu en pleine propriété — Le fait qu'une propriété soit située sur une réserve indienne ne diminue pas sa valeur marchande — Le juge de première instance a commis une erreur en imposant une réduction de 50 % à des terres situées sur une réserve — L'intention des parties était que les terrains soient évalués avant d'avoir été viabilisés — Les frais de service et de mise en valeur doivent être soustraits de la valeur des lots détenus en pleine propriété pour déterminer la —valeur courante du terrain—.
Il s'agissait d'un appel d'une décision de la Section de première instance déterminant le juste loyer annuel pour la période de 20 ans commençant le 8 juin 1995, pour 75 lots importants situés sur la réserve indienne no 2 de Musqueam dans l'un des endroits les plus prisés de Vancouver. Les lots en question couvrent une superficie de 40 acres qui ont été cédées à la Couronne par la bande indienne de Musqueam à des fins de location. Le 8 juin 1965, la Couronne a conclu une entente cadre avec un promoteur privé dont le mandat était de faire un plan de lotissement du terrain et d'y fournir des services. Le promoteur a reçu des baux pour chacun des lots et les a ensuite cédés à des particuliers à des fins résidentielles. En vertu du paragraphe 2(4) du bail type, un loyer annuel total net représentant 6 % de la valeur courante du terrain est considéré comme un "juste loyer" aux fins du bail. Le juge de première instance a accepté la position des intimés selon laquelle la "valeur courante du terrain" désignait la valeur d'un droit de tenure à bail de 99 ans sur la réserve indienne no 2 de Musqueam, plutôt que la valeur du terrain détenu en pleine propriété. Il a jugé qu'il n'y avait pas de différence substantielle entre la valeur d'un bail à long terme et celle d'une pleine propriété mais a conclu que les lots de Musqueam auraient une valeur inférieure à une pleine propriété similaire, compte tenu du fait que le lot était situé sur une réserve indienne et des questions de fiscalité, de viabilité et de l'incertitude du titre autochtone. Par conséquent, il a réduit de 50 % le montant de 600 000 $ représentant la valeur du lot moyen détenu en pleine propriété. Finalement, le juge de première instance a jugé, d'après une interprétation appropriée de la clause de location du bail, que les terrains devaient être évalués avant d'avoir été viabilisés. Deux questions ont été soulevées en appel: 1) l'expression "valeur courante du terrain" dans la clause de révision du loyer des baux devrait-elle être interprétée comme étant la valeur d'une pleine propriété ou la valeur d'un droit de tenure à bail de 99 ans afférent aux terres d'une réserve?; 2) les frais de service et de mise en valeur devraient-ils être soustraits de la valeur des lots détenus en pleine propriété pour déterminer la "valeur courante du terrain"?
Arrêt: l'appel est accueilli en partie.
1) Le juge de première instance a commis une erreur lorsqu'il a conclu que l'expression "valeur courante du terrain" signifiait la valeur d'un droit de tenure à bail de 99 ans dans la réserve indienne no 2 de Musqueam, plutôt que la valeur d'une propriété franche. La mention de la "valeur courante du terrain" signifie que la bande avait le droit de recevoir, à titre de loyer, 6 % de la valeur de la pleine propriété. D'après l'ensemble du contrat et son contexte global, telle était l'intention des parties. Il est d'usage dans les baux à long terme d'utiliser un pourcentage de la valeur du terrain pour déterminer le loyer annuel. La technique utilisée de longue date consiste à évaluer le terrain comme une pleine propriété. Cette interprétation de la "valeur courante du terrain" est compatible avec l'adoption d'une formule basée sur la valeur marchande du terrain dont il faut déterminer le loyer et cette formule a été adoptée dans le but de parvenir à un juste loyer annuel, en termes de rendement sur une immobilisation. Le but d'inclure une clause de révision du loyer dans un bail à long terme est de garantir un rendement sur l'investissement d'un bien immobilisé qui pourrait être vendu. Une fois que la bande a cédé son droit à des fins de vente, celui-ci ne peut plus grever la propriété cédée à la Couronne et tout acquéreur du terrain reçoit un titre de propriété absolu. Les parties souhaitaient que l'expression "valeur courante du terrain" signifie la valeur du terrain détenu en pleine propriété, ce qui est compatible avec le fait que la bande aurait pu, par voie de cession, délivrer un titre de pleine propriété. Les techniques d'évaluation immobilière ne permettent pas de prendre en compte l'identité du propriétaire pour déterminer la valeur du terrain. Les terres autochtones ne devraient pas être traitées différemment d'autres terrains. La valeur marchande des terres autochtones devrait être déterminée de la même manière que celle d'autres terrains. Réduire la valeur des terres autochtones en s'appuyant sur le droit sui generis des Autochtones sur leurs propres terres est un facteur non pertinent pour déterminer le loyer calculé en tant que pourcentage de rendement sur un investissement. Si les parties avaient l'intention de s'écarter de la méthode bien acceptée qui consiste à évaluer les terrains faisant l'objet de baux à long terme à leur valeur de propriété libre ou à leur valeur d'échange, elles pouvaient le préciser dans le bail, et elles auraient dû le faire. Le fait qu'il s'agisse de terres situées sur une réserve ne diminue pas la valeur marchande de la propriété en question. La conclusion du juge de première instance selon laquelle la valeur hypothétique du lot moyen détenu en pleine propriété est de 600 000 $ était acceptable, mais c'était une erreur d'imposer une réduction de 50 % parce qu'il s'agissait de terres situées sur une réserve.
2) La question de savoir s'il faut soustraire les frais de service afférents au terrain de la valeur des lots détenus en pleine propriété était une question d'interprétation, s'articulant sur le sens de l'alinéa 2(2)a) du bail. D'après cet alinéa, les terrains à évaluer sont "des terrains non améliorés se trouvant dans l'état où ils étaient à la date de la présente entente". Cela soulève une autre question, savoir si "la présente entente" fait référence à l'entente cadre, à la date de laquelle les terrains n'avaient pas été viabilisés, ou au bail lui-même, à la date duquel ils l'avaient été. Il est clair que les parties avaient l'intention de faire évaluer les terrains avant qu'ils ne soient viabilisés. Les frais de service doivent être déduits de la valeur courante des lots viabilisés "la présente entente" doit désigner l'entente cadre. Le juge de première instance a fondé sa conclusion selon laquelle l'alinéa 2(2)a) du bail renvoie à l'entente cadre sur plusieurs raisons convaincantes. La plus convaincante de ces raisons était que la bande avait fourni un terrain non viabilisé et non mis en valeur, tandis que le promoteur avait dépensé les fonds et accepté le risque inhérent à la mise en valeur, y compris les frais de service. Par conséquent, les parties ne pouvaient pas souhaiter, lors de la révision du loyer, que la bande reçoive un dédommagement à l'égard des services et de la mise en valeur alors qu'elle n'en avait pas payé le coût et qu'elle n'en était pas responsable. Il existe un principe bien établi selon lequel, en l'absence de mots à l'effet contraire, un propriétaire ne doit pas bénéficier d'améliorations qui ont été faites par le preneur à bail à ses frais. La bande n'a pas payé pour les services, et elle ne devrait donc pas être dédommagée pour ceux-ci. L'utilisation de l'expression "sans amélioration" est compatible avec l'opinion selon laquelle les frais de service ne doivent pas être inclus dans le calcul du "juste loyer annuel". Tous les frais de service doivent être soustraits de la valeur des terrains nus, détenus en pleine propriété pour déterminer la "valeur courante du terrain".
lois et règlements
Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, ch. 149, art. 2, 39, 53.
Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 369, 394.
jurisprudence
décisions appliquées:
Bullock's, Inc. v. Security-First Nat. Bank of Los Angeles, 325 P.2d 185 (Cal. Dist. Ct. App. 1958); Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335; (1984), 13 D.L.R. (4th) 321; [1984] 6 W.W.R. 481; 59 B.C.L.R. 301; [1985] 1 C.N.L.R. 120; 20 E.T.R. 6; 55 N.R. 161; 36 R.P.R. 1; Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010; (1997), 153 D.L.R. (4th) 193; 99 B.C.A.C. 161; [1998] 1 C.N.L.R. 14; 220 N.R. 161; Canada c. Cascade Inn Ltd., [1978] A.C.F. no 201 (1re inst.) (QL); Gulf Oil Canada Ltd. c. Conseil des ports nationaux, T-1478-71, le juge Kerr, motifs en date du 14-9-72, C.F. 1re inst., non publié; Devil's Gap Cottages (1982) Ltd. c. Canada, [1991] A.C.F. no 1142 (1re inst.) (QL); Queen (The) in right of Canada and Lynnwood Marinaland Ltd., Re (1971), 20 D.L.R. (3d) 589 (C.A.C.-B.).
décisions non suivies:
Golden Acres Ltd. c. Canada (1988), 22 F.T.R. 123 (C.F. 1re inst.); Rodgers et al. c. Canada (1993), 74 F.T.R. 164 (C.F. 1re inst.); Morin et al. c. Canada (1996), 114 F.T.R. 141 (C.F. 1re inst.).
distinction faite avec:
Leighton et al. c. Canada (1987), 13 F.T.R. 198 (C.F. 1re inst.).
décisions citées:
Revenue Properties Co. v. Victoria University (1993), 101 D.L.R. (4th) 172; 62 O.A.C. 35 (C. div. Ont.); Montreal Trust Co. v. Spendthrift Holdings Ltd., [1984] O.J. No. 296 (H.C.) (QL); Burrard Dry Dock Co. c. Canada, [1974] A.C.F. no 417 (1re inst.) (QL).
doctrine
Black's Law Dictionary, 6th ed. St. Paul, Minn.: West Publishing Co., 1990, "improved land", "improvement".
APPEL d'une décision de la Section de première instance ((1997), 137 F.T.R. 1) déterminant la méthode d'évaluation de terres des réserves indiennes faisant l'objet d'un bail à long terme en vertu duquel le loyer annuel doit être réévalué périodiquement au taux de 6 % de la "valeur courante du terrain". Appel accueilli en partie.
ont comparu:
Darrell W. Roberts et Lisa Fong pour les appelants.
Timothy J. Maledy et Julie D. Fisher pour les intimés (sauf James A. et Diane R. Forsythe).
avocats inscrits au dossier:
Roberts & Griffin, Vancouver, pour les appelants.
Watson Goepel Maledy, Vancouver, pour les intimés (sauf James A. et Diane R. Forsythe).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Sexton, J.C.A.: La principale question soulevée dans le présent appel consiste à déterminer la méthode qu'il convient d'utiliser pour évaluer les terres des réserves indiennes qui font l'objet d'un bail à long terme aux termes duquel le loyer annuel doit être réévalué périodiquement au taux de 6 % de la "valeur courante du terrain". Le fait que les terrains sont situés sur une réserve justifie-t-il de les évaluer à la moitié de ce qu'ils vaudraient s'ils étaient situés à l'extérieur de celle-ci? Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis d'interpréter le bail comme signifiant que les terrains doivent être évalués comme des terrains détenus en pleine propriété sans application de la réduction désignée sous l'expression de "facteur applicable à une réserve indienne".
Les faits
Il s'agit d'un appel d'une décision de la Section de première instance de la Cour fédérale, qui a été rendue le 10 octobre 1997 [(1997), 137 F.T.R. 1], et qui a déterminé le juste loyer annuel pour la période de 20 ans commençant le 8 juin 1995, pour les 75 lots situés dans le parc Musqueam sur la réserve indienne no 2 de Musqueam au sud-ouest de Vancouver. Les lots en question, qui sont situés à proximité de la University of British Columbia et d'un terrain de golf, ont une grande superficie. Ils sont décrits par le juge de première instance comme étant "l'un des endroits les plus attrayants et les plus agréables de Vancouver".
Dans des motifs très détaillés, le juge de première instance a fait une analyse exhaustive des faits de la cause, que je n'ai pas l'intention de reprendre ici. Je donnerai plutôt ci-dessous un bref résumé des faits qui sont essentiels au règlement des questions soulevées dans le présent appel.
Les lots en question couvrent une superficie d'environ 40 acres qui ont été cédées à Sa Majesté la Reine le 17 février 1960 par la bande indienne de Musqueam (la bande indienne) à des fins de location. Cette cession a été acceptée le 20 avril 1961 et prévoyait que Sa Majesté était autorisée à louer les terrains conformément à la Loi et aux conditions de la cession, aux termes de l'article 53 de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, ch. 149. Le 8 juin 1965, Sa Majesté la Reine a conclu une "entente cadre" avec un promoteur privé (Musqueam Development Company Limited), non liée à la bande indienne de Musqueam, qui obligeait le promoteur à faire un plan de lotissement du terrain et à y fournir des services. Le promoteur devait recevoir des baux pour chacun des lots, une fois qu'ils auraient été viabilisés. Il a déposé le plan de lotissement le 15 décembre 1965, et les services ont été fournis en 1966. Ainsi donc, le promoteur a reçu des baux pour chacun des lots conformément au "projet de bail (résidentiel)", qui était joint en annexe à l'entente cadre. Le promoteur a ensuite cédé chaque bail à des particuliers à des fins résidentielles.
Voici un exemple type de la clause de révision du loyer qui est en cause en l'espèce:
2(1) PAR CONSÉQUENT, le montant suivant doit être payé chaque année à l'avance au ministre:
a) pour chaque année de la première période de dix ans, un montant de 298 $;
b) pour chaque année de la deuxième période de dix ans, un montant de 343,75 $;
c) pour chaque année de la troisième période de dix ans, un montant de 375 $;
2(2) Le loyer relatif à chaque année des trois périodes successives de vingt (20) ans et de la dernière période de neuf (9) ans correspond à un juste loyer à l'égard du lot visé, lequel loyer est négocié immédiatement avant le début de chacune de ces périodes. Dans le cadre de ces négociations, les parties présument que, à la date de celles-ci, les terrains sont
a) des terrains non améliorés se trouvant dans l'état où ils étaient à la date de la présente entente;
b) des terrains comportant une voie d'accès publique;
c) des terrains se trouvant dans une zone lotie;
d) des terrains zonés pour la construction résidentielle de maisons unifamiliales,
et les présomptions qui précèdent seront également formulées dans le cas de toute détermination du loyer conformément aux dispositions du paragraphe (3) des présentes.
2(3) Si le ministre et le preneur à bail ou les cessionnaires de celui-ci ne peuvent s'entendre sur les loyers à payer au cours de l'une des périodes successives selon le paragraphe (2) qui précède, la question sera tranchée en application de l'alinéa 18(1)g) de la Loi sur la Cour de l'Échiquier.
2(4) Un loyer annuel total net représentant six pour cent (6 %) de la valeur courante du terrain, calculé à la date des nouvelles négociations conformément à la méthode énoncée au paragraphe (2) des présentes, est considéré comme un "juste loyer" aux fins des présentes. [Non souligné dans l'original.]
Il est bien établi que l'article 2 de ce bail type est pratiquement identique à l'article 15 de l'entente cadre qui est rédigé dans les termes suivants:
15(2) Le loyer relatif à chaque année des trois périodes successives de vingt (20) ans et à chaque année de la dernière période de neuf (9) ans correspond à un juste loyer relatif au terrain visé dans chacun des baux négociés immédiatement avant le début de chacune de ces périodes. Dans le cadre de ces négociations, les parties présument que, à la date desdites négociations, les terrains sont
a) des terrains non améliorés se trouvant dans l'état où ils étaient à la date de l'entente;
b) des terrains comportant une voie d'accès publique;
c) des terrains se trouvant dans une zone lotie;
d) des terrains zonés pour la construction résidentielle de maisons unifamiliales,
et les présomptions qui précèdent seront également formulées dans le cas de toute détermination du loyer conformément aux dispositions du paragraphe (3) des présentes.
15(3) Si le ministre et le preneur à bail ou les cessionnaires de celui-ci ne peuvent s'entendre sur les loyers à payer à l'égard de l'un ou l'autre des baux pour une des périodes successives selon le paragraphe (2) qui précède, la question sera tranchée en application de l'alinéa 18(1)g) de la Loi sur la Cour de l'Échiquier.
15(4) Un loyer annuel total net représentant six pour cent (6 %) de la valeur courante du terrain, calculé à la date des nouvelles négociations conformément à la méthode énoncée au paragraphe (2) des présentes, est considéré comme un "juste loyer" aux fins des présentes.
Le bail type stipule que le terrain fait l'objet de baux de 99 ans qui sont entrés en vigueur le 8 juin 1965. Le loyer pour chacune des trois premières périodes de dix ans est établi dans les baux. Il convient de noter que le montant du loyer annuel pour cette période initiale se situe entre 298 $ et 375 $. La méthode utilisée pour déterminer ce loyer n'a pas été déposée en preuve. Pour la période de 20 ans commençant le 8 juin 1995, et pour les deux périodes ultérieures de 20 ans, de même que pour la dernière période de neuf ans, le bail précise que le loyer annuel équivaudra à 6 % de la "valeur courante du terrain".
Le présent litige porte essentiellement sur les divergences d'opinions des parties au sujet du sens de l'expression "valeur courante du terrain". Le bail précise que le règlement de tout différend entre les parties à cet égard doit être tranché par les tribunaux.
En première instance, les parties ont présenté des estimations très différentes de la "valeur courante du terrain". Les appelants ont présenté deux experts, MM. Johnston et Grant, qui ont utilisé la technique de la parité avec des pleines propriétés semblables situées à l'extérieur de la réserve pour en arriver à fixer la valeur du lot moyen à 712 500 $ et 607 000 $ respectivement. L'expert des intimés, M. Oikawa, tenant compte du fait qu'il s'agit de terres indiennes, a utilisé la technique résiduelle du terrain et a conclu que la valeur du lot moyen non viabilisé était de 134 000 $. L'estimation des appelants étant à peu près cinq fois plus élevée que celle des intimés, il est manifeste que les parties se font une opinion très différente du sens qu'il convient de donner à l'expression "valeur courante du terrain".
Le juge de première instance [à la page 15] a accepté la position des intimés selon laquelle la "valeur courante du terrain" désignait la valeur d'un "droit de tenure à bail de 99 ans sur la réserve indienne no 2 de Musqueam, lequel droit n'est pas touché par les conditions des baux actuellement en vigueur, sauf en ce qui a trait aux présomptions prescrites au paragraphe 2(2) des baux en question". Il a donc rejeté l'opinion des appelants selon laquelle la "valeur courante du terrain" désignait la valeur du terrain détenu en pleine propriété.
Pour évaluer la "valeur courante du terrain" selon son interprétation, et en l'absence de données appropriées ayant trait aux transactions ayant été faites sur la réserve, le juge de première instance a jugé nécessaire de se référer à la valeur des pleines propriétés situées à l'extérieur du parc Musqueam afin d'obtenir une donnée de base lui permettant de déterminer la valeur des lots de Musqueam. Il a tout d'abord conclu que M. Grant en était arrivé à une juste évaluation de la valeur des lots situés en dehors de la réserve en utilisant la technique de la parité. En fait, M. Oikawa a concédé que M. Grant avait utilisé équitablement cette technique pour déterminer la valeur hypothétique des lots de Musqueam détenus en pleine propriété.
Le juge de première instance a conclu que la preuve démontrait qu'il n'y avait pas de différence substantielle entre la valeur d'un bail à long terme (estimée au début du bail) et celle d'une pleine propriété. Ainsi donc, le fait que la propriété à évaluer faisait l'objet d'un droit de tenure à bail de 99 ans plutôt que d'être une propriété franche ne modifiait pas substantiellement la "valeur courante du terrain". Toutefois, il a conclu que les lots de Musqueam devaient avoir une valeur inférieure à une pleine propriété similaire, non pas à cause du droit de tenure à bail, mais plutôt du fait que le lot était situé sur une réserve indienne.
Il a aussi conclu que la preuve démontrait que les terres indiennes avaient une valeur inférieure à des terrains détenus en pleine propriété à cause de questions de fiscalité et de viabilité et de l'incertitude du titre autochtone, résultant de la possibilité que les Autochtones parviennent à l'autonomie gouvernementale et de l'agitation connue sur les réserves indiennes de la région. Il a déclaré que, dans l'ensemble, la preuve relative à l'estimation indiquait que le droit de tenure à bail afférent aux lots de Musqueam, du fait que ceux-ci sont situés sur une réserve indienne, valait entre 40 % et 70 % de la valeur de lots détenus en pleine propriété comparables situés à l'extérieur d'une réserve. Le juge de première instance a préféré le témoignage de M. Oikawa qui concluait à une valeur inférieure par rapport aux autres estimateurs et il s'est appuyé sur les estimations que ce dernier a obtenues au moyen de la technique résiduelle du terrain, et selon laquelle il a été déterminé que des terres de la réserve situées dans le parc Salish valaient approximativement 305 000 $ de moins qu'une pleine propriété comparable. Il a jugé que cela constituait la preuve que la réduction applicable à des terres indiennes devait être d'environ 50 %.
Reconnaissant que la valeur du terrain ne pouvait être déterminée avec précision, le juge de première instance a arrondi à 600 000 $1 l'estimation de 607 000 $ à laquelle M. Grant était parvenu pour la valeur du lot moyen détenu en pleine propriété. En s'appuyant sur le témoignage de M. Oikawa, il a réduit ce chiffre de 50 % pour tenir compte du fait qu'il s'agissait de terres situées sur une réserve. Le juge de première instance a donc établi la valeur du lot moyen viabilisé de Musqueam à 300 000 $.
Finalement, le juge de première instance a jugé, d'après une interprétation appropriée de la clause de location du bail, que les terrains devaient être évalués avant d'avoir été viabilisés. À partir de cette conclusion, il a dû réduire la valeur moyenne des terrains viabilisés en soustrayant les frais de service. Le juge de première instance a accepté le témoignage non contredit de M. Oikawa portant sur le coût de ces services, après avoir corrigé ces calculs pour les faire correspondre à son évaluation plus élevée des lots viabilisés. Il a donc soustrait les frais de service de la valeur des lots viabilisés détenus en pleine propriété pour parvenir à leur valeur finale en tant que lots non viabilisés. Comme le prévoit le bail, le juste loyer annuel pour la propriété équivaut à 6 % de ce résultat final qui représente en fait la "valeur courante du terrain".
Les questions en litige
Le présent appel soulève les deux questions suivantes:
I. L'expression "valeur courante du terrain" dans la clause de révision du loyer des baux doit-elle être interprétée comme étant la valeur d'une pleine propriété ou la valeur d'un droit de tenure à bail de 99 ans afférent aux terres d'une réserve?
II. D'après le bail, les frais de service et de mise en valeur doivent-ils être soustraits de la valeur des lots détenus en pleine propriété pour déterminer la "valeur courante du terrain"?
I. L'expression "valeur courante du terrain" dans la clause de révision du loyer des baux doit-elle être interprétée comme étant la valeur d'une pleine propriété ou la valeur d'un droit de tenure à bail de 99 ans afférent aux terres d'une réserve?
La présente affaire est essentiellement une question d'interprétation, portant expressément sur le sens de l'expression "valeur courante du terrain" utilisée au paragraphe 2(4) des baux. Ce paragraphe est rédigé dans les termes suivants:
2(4) Un loyer annuel total net représentant six pour cent (6 %) de la valeur courante du terrain, calculé à la date des nouvelles négociations conformément à la méthode énoncée au paragraphe (2) des présentes, est considéré comme un "juste loyer" aux fins des présentes. [Non souligné dans l'original.]
Les appelants font valoir que le juge de première instance a commis une erreur en concluant que l'expression "valeur courante du terrain" signifiait la valeur d'un droit de tenure à bail de 99 ans dans la réserve indienne no 2 de Musqueam, plutôt que la valeur d'une propriété franche. En toute déférence pour l'examen approfondi que le juge de première instance a fait de cette question, je suis d'avis qu'il faut maintenir la position des appelants.
Je suis d'accord avec l'avocat des appelants qui prétend que la "valeur courante du terrain" signifie que la bande a le droit de recevoir, à titre de loyer, 6 % de la valeur de la pleine propriété. À mon avis, d'après l'ensemble du contrat et son contexte global, telle était l'intention des parties. Pour parvenir à sa conclusion, le juge de première instance a mis l'accent sur le droit conféré au preneur à bail, au lieu d'évaluer le terrain lui-même. En agissant ainsi, il s'est écarté du sens ordinaire des termes de la clause. Si les parties avaient l'intention d'évaluer le droit du preneur à bail, alors dans la clause de révision du loyer, plutôt que d'utiliser les mots "valeur courante du terrain", elles auraient pu utiliser les mots "valeur courante de la propriété à bail" ou, comme dans l'affaire Leighton et al. c. Canada (1987), 13 F.T.R. 198 (C.F. 1re inst.), "la valeur des "terres louées selon les modalités du présent bail".
Il convient de noter dès le début que la preuve démontre qu'il est depuis longtemps d'usage dans les baux à long terme d'utiliser un pourcentage de la valeur du terrain pour déterminer le loyer annuel. Cette méthode est souvent employée par le bailleur pour s'assurer que le loyer représente fidèlement le rendement négocié par les parties sur la valeur marchande du terrain. Elle tient compte du fait que le bailleur pourrait vendre le terrain à sa valeur courante et réinvestir le produit aux taux d'intérêt en vigueur, si le terrain ne faisait pas l'objet d'un bail à long terme.
La technique utilisée de longue date consiste à évaluer le terrain comme une pleine propriété. C'est ce qu'a confirmé à l'instruction M. Johnston, l'estimateur des appelants, qui a expliqué de la manière suivante quel était le but d'utiliser un rendement en pourcentage:
[traduction] La raison d'être fondamentale est d'obtenir un rendement sur la valeur d'un investissement, et je pense que dans presque tous les cas où j'ai vu cette technique utilisée, la valeur de référence est la valeur d'une pleine propriété, et quand ce n'est pas le cas, on précise généralement de façon très explicite quelle est la valeur à utiliser.
La position des appelants sur le sens de l'expression "valeur courante du terrain" est compatible avec l'adoption d'une formule basée sur la valeur marchande du terrain dont il faut déterminer le loyer. Il semble manifeste que cette formule a été adoptée dans le but de parvenir à un juste loyer annuel, en termes de rendement sur une immobilisation. Le rendement de cet investissement est fixé à 6 %, mais la clause de loyer tient compte d'une fluctuation possible de la valeur de l'actif, ce qui indique que la bande avait prévu que sa valeur pourrait varier avec le temps. La bande devait donc avoir l'intention de s'assurer un rendement équitable mais modéré sur la valeur de ses investissements en échange de la sécurité que procure un bail à long terme.
Mon opinion est appuyée par le raisonnement énoncé dans Bullock's, Inc. v. Security-First Nat. Bank of Los Angeles, 325 P.2d 185 (Cal. Dist. Ct. App. 1958). Le passage suivant de Bullock, tiré des pages 188 et 189, a été cité dans la décision Revenue Properties Co. v. Victoria University (1993), 101 D.L.R. (4th) 172 (C. div. Ont.) [à la page 181] comme étant applicable dans les cas de révision des loyers:
[traduction] Le bail prévoit la détermination de la valeur du terrain, et non pas de la valeur de l'utilisation du terrain à une fin particulière. Tout le contexte révèle que les parties avaient à l'esprit la valeur de la propriété plutôt que son utilisation à une fin donnée. Il ne faut pas se laisser confondre par le fait que le loyer annuel réel est obtenu en calculant cinq pour cent de la valeur estimative. Il ressort clairement des clauses de location que les parties ont convenu que les bailleurs toucheraient comme loyer un pourcentage fixe sur la valeur du terrain, cette valeur devant être redéterminée tous les dix ans [. . .] D'après la méthode de calcul acceptée par les parties, on peut raisonnablement déduire qu'elles envisageaient leur rendement comme un taux d'intérêt sur un investissement. Elles ont fixé le taux net du rendement sur l'investissement du bailleur à cinq pour cent, mais elles ont également prévu que la valeur de cet investissement pourrait fluctuer. Elles se sont rendu compte que la valeur de cette immobilisation pouvait fluctuer de temps à autre, et par conséquent, elles ont prévu une réévaluation périodique afin que les bailleurs puissent continuer de toucher un rendement de cinq pour cent sur la valeur de leur investissement. Quand les parties faisaient référence à la "valeur" du terrain en question, elles songeaient à sa valeur pécuniaire ou à son prix sur le marché, c'est-à-dire sa valeur marchande .
Alors, quelle était l'intention des parties? On ne peut contester que la bande, si elle n'était pas partie à un bail à long terme, pourrait choisir de céder le terrain à Sa Majesté à des fins de vente. En vertu de son obligation de fiduciaire, Sa Majesté devrait alors vendre le terrain au meilleur prix qu'elle pourrait obtenir. Cette valeur équivaudrait certainement à la valeur du terrain détenu en pleine propriété.
Compte tenu de ce fait, je doute fort que la bande aurait conclu un bail à long terme si cette décision avait eu pour effet de dévaluer la valeur de son propre actif, réduisant par le fait même le rendement qu'elle touche sur l'actif. D'après ce scénario, ce serait pure folie de la part de la bande de ne pas vendre le terrain à sa pleine valeur afin de réinvestir le produit aux taux en vigueur.
Les intimés proposent une interprétation du bail selon laquelle la bande toucherait une compensation moindre que si elle avait simplement vendu le terrain et investi le produit de cette vente. Accepter que telle était l'intention des parties est au mieux discutable et, à mon avis, cela nous incite fortement à ne pas adopter l'interprétation que donnent les intimés de l'expression "valeur courante du terrain" comme étant la valeur d'un droit de tenure à bail de 99 ans afférent aux terres d'une réserve.
Le juge de première instance a débattu ce point. Il a conclu qu'"il n'est nullement sous-entendu dans les baux que la "valeur courante du terrain" renvoie à autre chose que la valeur réelle du terrain visé par les baux en question" (voir la page 11). Cette opinion est similaire à l'opinion du juge Reid dans la décision Montreal Trust Co. v. Spendthrift Holdings Ltd. , [1984] O.J. no 296 (H.C.) (QL) dans laquelle on a conclu que c'était le "terrain nu" qui devait être évalué. Toutefois, comme on l'a déjà vu, le juge de première instance s'écarte de cette opinion en évaluant le droit de tenure à bail de 99 ans afférent aux terres de la réserve plutôt que le "terrain nu" lui-même.
Analyse des conclusions du juge de première instance
Le juge de première instance en est venu à la conclusion que la propriété à évaluer était un droit de tenure à bail de 99 ans afférent aux terres d'une réserve en fondant largement son analyse sur le caractère unique du titre autochtone. Le juge de première instance a correctement fait observer que l'article 2 de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, ch. 149, établit que le titre de propriété légal des terres des réserves est dévolu à Sa Majesté, que celle-ci doit utiliser ces terres à l'usage et au profit d'une bande. Donc, le titre de propriété de Sa Majesté sur les terres des réserves n'est pas absolu puisqu'il est assujetti au droit des Autochtones. Il reconnaît qu'en vertu de l'article 39 de la Loi, une bande peut céder ses terres à Sa Majesté à des fins de vente. Finalement, il note que toute cession n'est valide que si elle est acceptée par le gouverneur en conseil.
À partir de cette analyse, il établit une distinction entre un domaine détenu en pleine propriété et des terres indiennes. À la page 14, il déclare ceci:
En raison de ces dispositions de la Loi sur les Indiens, ni le droit de Sa Majesté non plus que celui des Indiens sur les terres des réserves ne peuvent être considérés comme l'équivalent d'un domaine franc ou d'un domaine détenu en fief simple. Il n'y a qu'un seul cas où les terres des réserves peuvent vraiment se comparer aux propriétés franches détenues en fief simple. Il s'agit du cas où la propriété est cédée de façon absolue à Sa Majesté à des fins de vente, conformément aux articles 37 à 39 de la Loi sur les Indiens. Cependant, la cession absolue a pour effet d'éteindre le droit des Indiens sur la terre, de sorte que celle-ci n'est plus considérée comme une terre réservée aux Indiens. Lors de la cession absolue, cette terre n'est plus une terre réservée.
Le juge de première instance a reconnu à bon droit que la bande aurait pu choisir de vendre ses terres en les cédant à cette fin. Une fois cédées, les terres auraient pu être comparées à des terres franches. Toutefois, la préoccupation qu'il entretient au sujet du fait que, selon ce scénario, les terres perdraient leur caractère de terres réservées aux Indiens est hors de propos. Le fait que les terres des réserves cédées à des fins de vente perdent leur caractère de terres réservées aux Indiens est compatible avec le fait que, dans le cas d'une vente d'une pleine propriété, une fois que le propriétaire a vendu le terrain, le droit de propriété antérieur s'est éteint. Le juge de première instance a simplement reconnu le principe que, par la cession, les Autochtones ont le droit de vendre les terres des réserves, comme tout propriétaire d'un domaine détenu en pleine propriété. Le fait que les terres cédées à des fins de vente par les Autochtones ne conservent pas leur caractère de terres réservées aux Indiens est fidèle aux principes du droit immobilier.
Le juge de première instance s'appuie sur l'inaliénabilité et le caractère sui generis du titre aborigène sur les terres des réserves pour les distinguer des terres franches. Toutefois, à mon avis, ce raisonnement n'est pas pertinent quant à l'évaluation de la valeur courante du terrain pour les fins de la révision du loyer. Il ne tient pas compte du fait qu'ensemble, par voie de cession, Sa Majesté et la bande peuvent délivrer un titre de pleine propriété sur le terrain. Bien entendu, en l'espèce, ces deux parties sont les demanderesses.
Par conséquent, je ne peux accepter l'importance que le juge de première instance a accordée à cette conclusion que l'on trouve à la page 14 de ses motifs:
Dans le cas qui nous occupe, le terrain n'a été cédé que dans le but d'être loué. Par conséquent, il demeure une terre réservée aux Indiens et comporte tous les avantages et restrictions découlant de cette nature [. . .] Le droit foncier le plus important que Sa Majesté peut accorder au nom de la bande indienne de Musqueam conformément à l'acte de cession s'y rapportant est un droit de tenure à bail à long terme.
Il est manifeste que le juge de première instance a conclu que l'évaluation à faire portait sur un droit de tenure à bail de 99 ans parce qu'il s'agit là de l'étendue du droit qui a été cédé par les Autochtones. À mon avis, l'accent qu'il a mis sur la nature de la propriété louée au preneur à bail ne tient pas compte du fait qu'il était loisible à la bande de céder les terrains à des fins de vente plutôt qu'à des fins de location.
Il convient de réitérer que le but d'inclure une clause de révision du loyer dans un bail à long terme est de garantir un rendement sur l'investissement d'un bien immobilisé qui pourrait être vendu. Une fois que la décision a été prise de louer ce bien, le fait que celui-ci soit cédé à des fins de location plutôt que de vente n'est pas pertinent quant à sa valeur. À l'expiration du bail, le bien appartiendra toujours à la bande, et celle-ci pourra le vendre ou le louer ou l'utiliser à ses propres fins. Le bien a été cédé à des fins de location, mais il aurait tout aussi bien pu être cédé et vendu et c'est pourquoi la valeur qui doit servir à déterminer le loyer n'est pas touchée par la décision de louer. À mon avis, le fait que le terrain puisse être vendu fait échec à la prétention selon laquelle il devrait être évalué autrement qu'à partir de sa valeur comme propriété franche.
À cet égard, je suis d'avis que le juge de première instance s'est appuyé à tort sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335, pour justifier sa conclusion. Comme le déclare le juge de première instance à la page 12 de ses motifs, Guerin reconnaît le principe bien accepté que le titre autochtone est sui generis. Toutefois, le juge de première instance semble conclure de cet arrêt que les terres autochtones ne peuvent être évaluées comme des pleines propriétés à cause de leur inaliénabilité. En adoptant cette position, il ne semble pas avoir tenu compte de la deuxième partie du passage qu'il a cité des motifs du juge en chef Dickson dans l'affaire Guerin, précitée, à la page 382, où le juge en chef déclare ceci:
[. . .] mais il est également vrai [. . .] que ce droit, lorsqu'il est cédé, a pour effet d'imposer à Sa Majesté l'obligation de fiduciaire particulière d'utiliser les terres au profit des Indiens qui les ont cédées [. . .] Le droit des Indiens se distingue donc surtout par son inaliénabilité générale et par le fait que Sa Majesté est tenue d'administrer les terres pour le compte des Indiens lorsqu'il y a eu cession de ce droit.
Dans son jugement, le juge de première instance ne met pas suffisamment d'accent sur la capacité de la bande de céder ses terres à des fins de vente et sur la nature des terres au moment de la cession. Une fois que la bande a cédé son droit à des fins de vente, celui-ci ne peut plus grever la propriété cédée à Sa Majesté et par conséquent tout acquéreur du terrain reçoit un titre de propriété absolu.
Mon opinion est également renforcée par le raisonnement énoncé dans la décision récente Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010. Dans Delgamuukw, précitée, à la page 1091, le juge en chef Lamer, exprimant l'avis unanime de la Cour sur la question du titre autochtone, reconfirme la possibilité d'avoir recours à la cession pour vendre des terres réservées aux Autochtones. Il déclare ceci:
Enfin, les remarques que je viens de faire au sujet de l'importance de la continuité du rapport qu'entretient une collectivité autochtone avec ses terres, et la valeur non économique ou intrinsèque de celles-ci ne devraient pas être considérées comme faisant obstacle à la possibilité d'une cession à la Couronne moyennant contrepartie de valeur.
À mon avis, le mot "moyennant" auquel fait référence le juge en chef est la valeur du terrain détenu en pleine propriété. Cela est compatible avec l'obligation qui incombe à Sa Majesté d'agir comme fiduciaire dans les négociations concernant les terres des Indiens et est également conforme à l'opinion adoptée dans des affaires portant sur la location de terres de la Couronne, où la valeur d'échange d'un terrain est sa valeur en tant que pleine propriété (voir Canada c. Cascade Inn Ltd. , [1978] A.C.F. no 201 (1re inst.) (QL) discutée ci-dessous).
En résumé, l'analyse précitée démontre que les parties avaient l'intention que l'expression "valeur courante du terrain" signifie la valeur du terrain détenu en pleine propriété. Cette conclusion est compatible avec le fait que la bande aurait pu, par voie de cession, délivrer un titre de pleine propriété. Les parties ont négocié et accepté un rendement de 6 % sur la "valeur courante du terrain". Soutenir que la valeur du terrain est d'une quelconque façon diminuée du fait qu'il est situé sur une réserve introduit un élément dans le contexte autochtone qui n'est pas pertinent en l'espèce.
L'évaluation effectuée ci-dessus est compatible avec la démarche adoptée dans des causes d'évaluation de terres non réservées aux Autochtones. La démarche appropriée pour évaluer la valeur marchande à des fins de révision du loyer a été établie par le juge Kerr dans la décision Gulf Oil Canada Ltd. c. Conseil des ports nationaux (14 septembre 1972), no T-1478-71 (C.F. 1re inst.). À la page 10, il a statué que dans les baux à long terme:
[traduction] "À mon avis l'évaluation devrait se faire autant que possible sur la base de la valeur marchande, c'est-à-dire de la valeur réellement ou théoriquement fournie par la loi de l'offre et de la demande entre un vendeur et un acheteur libres et consentants."
Cette démarche a par la suite été appliquée dans Canada c. Cascade Inn Ltd., précitée, et dans Burrard Dry Dock Co. c. Canada, [1974] A.C.F. no 417 (1re inst.) (QL). Dans la décision Cascade, au paragraphe 37, le juge suppléant Primrose confirme la démarche suivie dans les deux causes antérieures:
[. . .] les deux affaires en question exposent la bonne méthode de calculer le loyer foncier, à savoir: établir la valeur marchande véritable du droit sur la propriété et déterminer la valeur locative rentable et raisonnable de ce droit.
Il est évident que le juge suppléant Primrose a identifié la "valeur d'échange" dont il était question dans Gulf Oil , comme étant la valeur du terrain détenu en pleine propriété. C'est la valeur "déterminée de façon réelle ou théorique établie par le test de la concurrence entre un acquéreur prêt à acheter et un vendeur disposé à vendre". Comme il a déjà été noté, cette opinion renforce notre avis selon lequel le renvoi à l'échange du terrain moyennant la contrepartie de valeur dont il est question dans l'arrêt Delgamuukw , précité, fait référence à la valeur du terrain détenu en pleine propriété.
L'avocat des intimés a essayé d'établir une distinction avec ces causes en s'appuyant sur le fait que les terrains en question ont un caractère différent de ceux visés en l'espèce et, deuxièmement, sur le fait que, dans ces affaires, il s'agissait de terrains détenus en pleine propriété par Sa Majesté et non de terres réservées aux Autochtones. Ce dernier point a déjà été discuté en détail ci-dessus, et j'ai noté que le titre aborigène qui affecte le terrain ne porte pas atteinte à sa valeur pour les fins de la révision du loyer, dans des baux contenant des clauses comme celles des baux en l'espèce. Pour ce qui a trait à la première distinction, bien que les décisions Burrard et Gulf Oil ne portaient pas sur l'évaluation de lots résidentiels, le passage tiré de la décision Cascade et reproduit ci-dessus confirme que la démarche énoncée dans ces affaires doit être appliquée de façon universelle. De plus, les questions soulevées dans ces affaires sont certainement les mêmes que les questions soulevées en l'espèce, malgré les différences dans le type de terrains à évaluer. Toutes ces affaires s'appuient sur l'hypothèse de base qu'un propriétaire, qui consent un bail à long terme sur des terrains, a droit à un rendement sur la valeur d'une pleine propriété. Aucune distinction ne peut être faite parce qu'il s'agit de terres réservées aux Autochtones et je suis d'avis que le principe énoncé dans ces affaires doit être suivi.
L'opinion selon laquelle c'est le terrain lui-même qui doit être évalué, et non pas le droit du preneur à bail, est conforme à la jurisprudence qui laisse entendre qu'en général le loyer touché par le propriétaire ne doit pas être fonction de la valeur que représente le terrain pour le preneur à bail. Par exemple, si le preneur à bail n'utilise pas le terrain de la meilleure façon qui soit, la valeur du terrain n'est pas réduite pour autant (voir Revenue Properties Co. v. Victoria University, précitée).
En outre, les techniques d'évaluation immobilière ne nous autorisent pas à prendre en compte l'identité du propriétaire pour déterminer la valeur du terrain. Cela a été confirmé par les experts des appelants comme par ceux des intimés.
Il s'agit là d'une question de bon sens. Pour parvenir à une entente sur le prix que versera un acquéreur à l'achat d'une maison, l'identité du vendeur n'a aucune influence. Le prix d'achat est le montant dont l'acquéreur et le vendeur ont convenu, et qui tient compte de la valeur marchande de la propriété se fondant sur les caractéristiques de la propriété elle-même, y compris des facteurs comme son apparence et son emplacement. Il est difficile de concevoir un scénario dans lequel l'acquéreur étudierait les qualités du propriétaire pour décider du prix qu'il offrira.
Avant de conclure sur la question de l'évaluation de terres autochtones faisant l'objet de baux à long terme, je traiterai de la jurisprudence de la Section de première instance de la Cour.
Causes d'évaluation de terres autochtones
D'après les intimés, le courant jurisprudentiel composé de Leighton et al. c. Canada, précité; Golden Acres Ltd. c. Canada (1988), 22 F.T.R. 123 (C.F. 1re inst.); Devil's Gap Cottages (1982) Ltd. c. Canada, [1991] A.C.F. no 1142 (1re inst.) (QL); Rodgers et al. c. Canada (1993), 74 F.T.R. 164 (C.F. 1re inst.) et Morin et al. c. Canada (1996), 114 F.T.R. 141 (C.F. 1re inst.) établit que le caractère unique du titre autochtone a eu pour résultat concret que les terres autochtones ont été évaluées différemment des propriétés franches offertes en vente sur le marché. Il faut dire tout de suite qu'à mon avis, ces décisions ne sont pas particulièrement utiles étant donné qu'elles s'appuient essentiellement sur l'interprétation des mots employés dans chacun des baux en question. Le juge Strayer (tel était alors son titre) a reconnu ce fait dans la décision Devil's Gap, dans laquelle il a conclu que la jurisprudence antérieure était d'un usage limité puisque les clauses de chacune de ces affaires différaient du libellé dont il était saisi. Néanmoins, on a fait grand cas de ces décisions dans les observations verbales et j'estime donc qu'il est nécessaire de s'y attarder. La première affaire qui a été décidée dans cet ordre d'idée, soit l'affaire Leighton, est discutée ci-dessous.
1. Leighton et al. c. Canada
Dans cette affaire, il était question du loyer à payer pour des terres autochtones situées près du lac Little Shuswap en Colombie-Britannique. Le bail type prévoyait que le loyer annuel serait égal au montant qui (à la page 200):
[. . .] de l'avis du ministre, est un juste loyer économique pour les terres louées selon les modalités du présent bail et avec tous les services et avantages existants, mais sans tenir compte de la valeur des améliorations permanentes faites sur les terres par le locataire. [Non souligné dans l'original.]
Dans cette affaire, il s'agissait essentiellement de décider si les loyers imposés par le ministre, qui représentaient une augmentation générale de 720 $ du loyer de tous les lots, étaient "le montant qui [. . .] de l'avis du ministre, est un juste loyer économique pour les terres louées" (Leighton , à la page 202). Le juge Muldoon a rejeté avec vigueur la position du ministre en concluant que les loyers résultant de l'augmentation générale ne pouvaient représenter l'opinion que se faisait le ministre d'un juste loyer économique.
Les mots utilisés dans la clause du bail visé dans l'affaire Leighton sont très différents des mots utilisés en l'espèce et il est facile de faire la distinction avec la décision Leighton sur ce point. Dans Leighton, il s'agissait de savoir si le ministre avait agi équitablement en fixant unilatéralement le loyer. Le juge Muldoon a fondé sa décision sur le fait que le ministre n'avait pas examiné quelle devait être l'augmentation appropriée pour chacun des lots et que le fait d'imposer une hausse générale était injuste pour les petites propriétés, qui étaient frappées de façon disproportionnelle par cette augmentation importante. Je partage son opinion sur ce point. Toutefois, ses motifs ne peuvent être acceptés dans la mesure où ils appuient l'opinion selon laquelle les terres autochtones devraient être traitées différemment d'autres terrains.
En résumé, l'affaire Leighton peut facilement être distinguée de l'espèce en s'appuyant sur le libellé de la clause de révision du loyer. En fait, le juge Muldoon a accordé beaucoup d'importance au fait que le sens de l'expression "juste loyer économique" était restreint par les mots "pour les terres louées selon les modalités du présent bail". À la page 202, il déclare que le bail:
[. . .] ne prévoit pas un loyer économique juste déterminé par un marché libre, ni un loyer fondé sur toute considération externe de nature commerciale. Bien loin d'étendre l'expression de "juste loyer économique" aux notions de marchés commerciaux libres, ouverts et externes, [il] restreint le sens de l'expression au "loyer pour les terres louées selon les modalités du présent bail".
Ainsi donc, l'intention des parties était de fixer le juste loyer au loyer correspondant à la valeur des terres louées selon les modalités restreintes du bail. En l'espèce, il n'y a pas de libellé semblable et par conséquent, la présente instance se distingue de l'affaire Leighton.
2. Golden Acres Ltd. c. Canada
Dans cette affaire, la question portait sur le loyer à payer pour certaines terres situées sur des réserves en Colombie-Britannique. Le bail fixait le loyer de la manière suivante (aux pages 124 et 125):
Le loyer annuel se rapportant à chaque période de cinq ans subséquente est fixé par Sa Majesté selon un montant déterminé en appliquant à la valeur de la terre un taux de capitalisation équivalant au taux préférentiel des banques à charte locales de Kelowna. À cette fin, la valeur de la terre correspond à la valeur marchande le 90e jour précédant le commencement de la période de cinq ans, comme si la terre faisait l'objet d'un droit de propriété libre. [Non souligné dans l'original.]
Le juge Muldoon, s'appuyant sur sa décision antérieure dans Leighton, a conclu ceci aux pages 127 et 128:
[. . .] l'expression "comme si la terre faisait l'objet d'un droit de propriété libre" doit être considérée comme un artifice contraire à la réalité [. . .]
Ainsi, bien que les parties au bail ont peut-être décidé ou ont été pressées d'y écrire les mots "comme si elle faisait l'objet d'un droit de propriété libre" comme exercice de l'imagination, elles ne se sont pas aventurées dans les détails inextricables d'une valeur marchande "imaginaire" [. . .] L'expression "valeur marchande" [. . .] doit donc être interprétée, tant en droit qu'en equity , comme signifiant la valeur de la terre dans ce "marché" très retreint comprenant des terres indiennes comparables, car c'est là le marché réel.
Il est clair qu'ici le juge Muldoon a interprété les mots utilisés pour fixer le loyer de la manière qui lui semblait juste et qu'il s'est écarté du sens clair de la clause. Celle-ci stipule on ne peut plus clairement que la "valeur de la terre" est la valeur d'une terre faisant l'objet d'un droit de propriété libre. Le juge Cullen a noté ce fait dans Rodgers , précité, à la page 175:
Le juge Muldoon n'a donc pas appliqué littéralement une clause de ce bail. Je ne pense cependant pas que ce soit l'approche indiquée dans l'affaire en instance. Les parties ont exprimé leur volonté dans le bail et bien que celui-ci laisse à désirer sur le plan de la terminologie juridique, cette volonté doit être respectée, en ce qui concerne en particulier la stipulation que le marché à l'extérieur de la réserve doit servir de source de données servant au calcul du loyer.
Je partage l'opinion du juge Cullen qui soutient que la démarche utilisée par le juge Muldoon pour l'évaluation des terres autochtones dans la décision Golden Acres ignore le sens manifeste des mots utilisés dans le bail qui définissent précisément l'intention des parties. Je ne crois donc pas que la démarche utilisée dans la décision Golden Acres soit utile pour trancher le cas en l'espèce.
3. Devil's Gap Cottages (1982) Ltd. c. Canada
Dans cette affaire, il était question de la juste valeur locative d'un terrain qui faisait partie de la réserve indienne no 38B de Kenora qui avait été mise de côté à l'usage et au profit de la bande indienne de Rat Portage. Le bail prévoyait que le loyer devait correspondre à la valeur indiquée ci-dessous:
[. . .] la juste valeur locative du terrain cédé à bail aux fins permises par les présentes à la date de la révision, sans toutefois tenir compte de la valeur des améliorations permanentes apportées au cours de cette période par le preneur à bail sur le terrain cédé à bail;
Il est important de noter que le bail dictait que la juste valeur locative devait signifier le montant suivant:
[. . .] le montant du loyer annuel [. . .] qui doit être versé pour un terrain vague de dimensions et de nature similaires mais situé à l'extérieur de la réserve dans un rayon d'au plus quinze (15) milles du terrain cédé à bail et qui doit être utilisé à des fins analogues à elles permises par les présentes; advenant le cas où il est impossible de trouver des terrains comparables dans un tel rayon du terrain cédé à bail, il faut utiliser les terrains qui en sont les plus proches. [Non souligné dans l'original.]
Le bail prévoyait également que s'il n'y avait pas un nombre suffisant de locations comparables dans la région, on devait utiliser la méthode subsidiaire suivante pour calculer le loyer:
[. . .] la juste valeur locative du terrain cédé à bail est calculée ou fixée à un taux représentant au moins dix pour cent (10 %) de la valeur marchande des terrains vagues situés à l'extérieur de la réserve comme cela est indiqué plus haut, comparables au terrain cédé à bail quant à leurs dimensions et à leur nature, qui ont été vendus ou mis en vente au cours de la période de trois (3) ou cinq (5) ans qui a précédé, sans tenir compte de la valeur des améliorations.
Puisqu'il n'y avait pas de locations comparables dans la région, il a fallu avoir recours à la deuxième méthode de calcul de la juste valeur locative, c'est-à-dire 10 % de la valeur marchande des "terrains vagues situés à l'extérieur de la réserve". Le juge Strayer a accepté que la juste valeur des terrains devait être déterminée en faisant référence à des terres situées en dehors de la réserve. Il n'a cependant pas accepté la position du juge Muldoon dans l'affaire Golden Acres suivant laquelle, face à une définition précise, il fallait évaluer les terres autochtones d'une manière différente de celle dont on évalue les autres terrains.
Comme l'a signalé le juge de première instance en l'espèce, le libellé du bail dans l'affaire Devil's Gap est différent de celui visé en l'espèce. Toutefois, la décision Devil's Gap appuie ma conclusion selon laquelle les terres autochtones doivent être évaluées de la même manière que tous les autres terrains. Cette démarche est aussi compatible avec la position adoptée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Delgamuukw, précité, indiquant que les Autochtones ont le droit de céder leurs terres moyennant une contrepartie de valeur. Bien qu'on puisse également faire une distinction avec l'affaire Devil's Gap en raison du libellé du bail, son résultat est compatible avec l'opinion moderne concernant la nature du titre autochtone.
Je note en passant que le juge Strayer a souligné les difficultés que pose l'évaluation des terres autochtones quand un traitement préférentiel accordé aux terres des réserves au niveau du zonage a en fait augmenté leur valeur par rapport à des pleines propriétés comparables. Les difficultés qu'il a notées en essayant de régler cette question ne doivent cependant pas nous faire perdre de vue que les terres autochtones ont été évaluées en tant que propriété libre.
4. Rodgers et al. c. Canada
Cette affaire portait sur l'évaluation d'un terrain dans le parc Beaucage, qui faisait partie des terres réservées aux Autochtones dans la réserve indienne no 10 de Nipissing. Le bail prévoyait que le prix à payer était le "loyer annuel au taux du marché" pour le terrain loué. La question principale dans cette affaire consistait à déterminer le "loyer annuel au taux du marché" pour le terrain loué.
Le montant du loyer était défini dans le bail de la façon suivante (à la page 167):
[. . .] "loyer annuel au taux du marché" s'entend du loyer annuel exigible, à la date où le ministre fixe le loyer, pour un terrain non bâti ayant la même superficie et les mêmes caractéristiques, mais situé à l'extérieur de la réserve, et servant aux mêmes fins que celles visées aux présentes, dans le voisinage de Sturgeon Falls (Ontario). S'il n'y a pas ou s'il n'y a pas suffisamment de terrains non bâtis de ce genre à l'extérieur de la réserve, comparables en superficie et en caractéristiques au terrain loué, et donnés à bail ou à louer pour les mêmes fins que celles visées aux présentes, le loyer annuel au taux du marché du terrain loué sera calculé ou fixé à un taux au moins égal à dix pour cent (10 p. 100) de la valeur marchande des parcelles de terre non bâties à l'extérieur de la réserve, ayant la même superficie et les mêmes caractéristiques que le terrain loué, [. . .] abstraction faite de la valeur des améliorations. [Non souligné dans l'original.]
Le juge Cullen a fondé sa détermination du loyer annuel au taux du marché sur le témoignage de l'évaluateur du défendeur. Il a rejeté le témoignage de l'évaluateur du demandeur qui avait évalué le terrain en faisant référence à d'autres terres des réserves, puisque cette méthode allait manifestement à l'encontre des prescriptions contenues dans le bail. Le juge de première instance s'est ensuite demandé laquelle des trois estimations produites par l'évaluateur du défendeur reflétait le plus exactement la valeur du terrain.
Le premier rapport se fondait sur la méthode subsidiaire consistant à calculer 10 % de la valeur marchande de terres similaires situées à l'extérieur de la réserve, mais cette méthode a été rejetée étant donné qu'elle comparait le terrain en question à des terrains qui ne lui étaient pas suffisamment comparables. Le deuxième rapport était également basé sur cette méthode subsidiaire, et le juge Cullen a jugé que les terrains situés en dehors de la réserve dans ce rapport étaient suffisamment semblables au terrain en question. Toutefois, d'après cette estimation, les loyers avaient subi une augmentation de 300 % par rapport aux loyers de la dernière période. La Cour a donc rejeté le rapport, malgré sa conformité aux modalités de la clause, parce que le résultat obtenu semblait "entièrement déraisonnable". À la page 173, le juge Cullen déclare que ce résultat déraisonnable s'explique par le fait:
[. . .] de comparer les propriétés à louer dans la réserve avec des propriétés résidentielles à vendre à l'extérieur, puis d'appliquer un coefficient plutôt arbitraire de 10 p. 100, autrement dit d'évaluer les terrains en cause comme s'ils étaient vendus à l'état de fief simple puis d'y appliquer le coefficient de 10 p. 100.
Il est évident que le juge Cullen ne pouvait accepter que les terres autochtones puissent être évaluées comme des terres détenues en pleine propriété, même si cela était l'intention expresse des parties. Le problème que posait l'évaluation du terrain en conformité avec le bail était "qu'elle [était] bien trop élevée" parce qu'"une augmentation de 300 p. 100 à l'expiration du premier terme [semblait] entièrement déraisonnable". Le juge Cullen a reconnu que la "méthodologie [était] conforme à celle que [prévoyait] le bail", mais il l'a rejetée parce qu'elle "[a donné] un résultat déraisonnable". Comme il avait rejeté la méthode prévue dans le bail, le juge Cullen a accepté le troisième rapport d'estimation qui réduisait la valeur des terres des réserves de 40 % par rapport à leur valeur de pleine propriété. Le juge Cullen a décrit cette réduction de 40 % comme étant arbitraire, mais il l'a acceptée, puisque l'évaluateur était un expert et que son estimation de la déduction appropriée relevait de son domaine d'expertise.
À mon avis, le résultat auquel en est arrivé le juge Cullen ne peut être accepté étant donné qu'il s'écarte de l'intention expresse des parties qui ressort des modalités de la clause de loyer. Le bail exigeait que le juste loyer annuel au taux du marché soit le montant du loyer payé pour un lot comparable à l'extérieur de la réserve, "ayant la même superficie et les mêmes caractéristiques" que les terres des réserves. Le juge Cullen a conclu que le terme "caractéristiques" utilisé dans le bail ne pouvait être interprété "abstraction faite de la nature du droit sur le terrain ou de ses caractéristiques physiques et de son emplacement". À mon avis, ce raisonnement s'écarte du sens clair des mots choisis par les parties. Le bail prévoyait que le loyer devait être égal au loyer des terrains situés à l'extérieur de la réserve ayant les mêmes caractéristiques. Ainsi donc, le terme "caractéristiques" ne peut inclure la "nature du droit sur le terrain", puisque les terrains situés à l'extérieur de la réserve ne pouvaient être détenus de la même manière que les terres des réserves.
Je suis d'avis que lorsque les parties ont exprimé leur intention claire dans un bail et lorsque la méthodologie précisée est suivie, le résultat de cette évaluation devrait être accepté. Les parties sont libres de contracter de la manière qu'elles choisissent et, par conséquent, il faut faire preuve de retenue par rapport au choix qu'elles ont exercé. À mon avis, un résultat qui respecte les modalités du bail et qui a pour effet secondaire d'augmenter le loyer de 300 % est plus raisonnable que de réduire arbitrairement de 40 % la valeur des terres autochtones par rapport à des terrains ayant les mêmes caractéristiques.
L'importance de centrer l'analyse sur l'intention des parties plutôt que sur le pourcentage d'augmentation ne peut être trop soulignée. Dans bon nombre de cas où il est question de terres autochtones, le renvoi à l'augmentation en pourcentage est très trompeur. Cela se confirme chaque fois que le loyer de la période initiale a été établi en-deçà de son juste prix. Dans ces cas, il n'est pas surprenant qu'une augmentation du loyer à sa juste valeur marchande semble déraisonnable. En outre, le fait de sous-évaluer de façon constante les terres autochtones en-deçà de leur valeur sur le marché afin de protéger les intérêts des preneurs à bail crée un cercle vicieux de dévaluation des terres des réserves, puisqu'on fait continuellement référence à des valeurs établies antérieurement quand la question de l'évaluation des terres autochtones se pose.
Il est manifeste que l'affaire Rodgers peut être distinguée de l'espèce d'après les mots utilisés dans le bail. Dans Rodgers, comme dans Golden Acres, la Cour a interprété les baux portant sur des terres réservées aux Autochtones en sous-estimant la valeur de leurs terres. J'aborde maintenant la décision la plus récente portant sur cette question.
5. Morin et al. c. Canada
Dans cette affaire, il était question d'un bail relatif à des terrains qui faisaient partie de la réserve indienne no 10 de Nipissing dans le lotissement de Jocko Point. Les baux prévoyaient une révision des loyers tous les cinq ans. La clause de loyer est rédigée dans les termes suivants:
[. . .] le loyer [. . .] est fixé en fonction de la juste valeur marchande du terrain à ce moment-là, en faisant abstraction de la valeur des améliorations construites ou apportées par le preneur sur le terrain cédé à bail, mais en tenant dûment compte de la valeur des autres terrains cédés à bail de la région.
Appliquant les dispositions du bail, la bande a fait estimer la juste valeur marchande des lots "en faisant abstraction des améliorations [. . .] mais en tenant dûment compte de la valeur des autres terrains cédés à bail de la région". Les demandeurs se sont opposés à l'évaluation et ont demandé comment le juste loyer économique véritable pour les lots loués devait être établi. La question était de savoir s'il fallait tenir compte du fait qu'il s'agissait de terres situées sur une réserve pour déterminer la "juste valeur marchande".
Le juge Gibson a établi une distinction entre cette affaire et la décision Rodgers en s'appuyant sur le fait que, dans le bail type de l'affaire Rodgers, il y avait une définition du "juste loyer économique annuel" qui stipulait que l'évaluation devait être faite en faisant référence uniquement à des terres non situées sur la réserve. Puisque dans cette affaire il n'y avait pas de restriction concernant les terres situées à l'extérieur de la réserve, le juge Gibson a statué que l'évaluation devait inclure les terres des réserves et que l'évaluateur qui n'en tiendrait pas compte [à la page 146] "méconnaîtrait le caractère unique des terres indiennes, caractère qui a été reconnu avec force par notre Cour, sous la plume du juge Muldoon dans les jugements Leighton et Golden Acres". Aux pages 147 et 148, le juge Gibson conclut comme suit:
Bien que la preuve qui m'a été soumise, les moyens invoqués et les précédents cités ne me permettent pas de conclure que tout évaluateur engagé pour établir la juste valeur marchande des lots du lotissement de Jocko Point devrait être tenu de se fonder uniquement sur les valeurs attribuées aux lots du parc Beaucage, je conclus qu'un évaluateur ne peut pas non plus à bon droit ignorer la juste valeur marchande attribuée à ces terrains. L'évaluateur qui tient compte de ces valeurs respecte de toute évidence la stipulation du contrat qui exige que l'on tienne dûment compte de la valeur des autres terrains cédés à bail dans le secteur du lotissement de Jocko Point. L'évaluateur qui ne tiendrait pas compte de ces valeurs ferait fi de la mise en garde qui a été formulée par notre Cour et à laquelle je souscris entièrement, suivant laquelle "[une] terre indienne inaliénable ne peut tout simplement pas, en réalité, atteindre la valeur d'une terre dans un marché authentiquement libre et ouvert".
Force est de constater que l'affaire Morin est la dernière d'une série de décisions qui sont fondées sur la prémisse selon laquelle "une terre indienne ne peut tout simplement pas, en réalité, atteindre la valeur d'une terre dans un marché authentiquement libre et ouvert".
Comme nous en avons discuté ci-dessus, ce principe a déjà été rejeté. Il s'agit en l'espèce d'interpréter une clause dans un contrat et, plus précisément, de déterminer quelle était l'intention des parties concernant le loyer à payer. En l'absence de mots à l'effet contraire, la valeur marchande des terres autochtones devrait être déterminée de la même manière que celle d'autres terrains. Réduire la valeur des terres autochtones en s'appuyant sur le droit sui generis des Autochtones sur leurs propres terres est un facteur non pertinent pour déterminer le loyer calculé en tant que pourcentage de rendement sur un investissement. Si les parties avaient l'intention de s'écarter de la méthode bien acceptée qui consiste à évaluer les terrains faisant l'objet de baux à long terme à leur valeur de propriété libre ou à leur valeur d'échange, elles pouvaient le préciser dans le bail, et elles auraient dû le faire.
Puisque j'ai rejeté le principe énoncé dans la décision Morin, je conclus que cette décision ne s'applique pas dans le contexte de l'espèce.
Conclusion sur le sens de "valeur courante du terrain"
En l'espèce, le bail prévoit que, pour les fins de la révision du loyer, les terrains doivent être évalués à leur "valeur courante". J'ai conclu que, lorsque cette expression est correctement interprétée, elle signifie la valeur du terrain détenu en pleine propriété. Cette conclusion est compatible avec la démarche suivie dans la décision Gulf Oil , précitée, et dans des décisions ultérieures. Le fait qu'il s'agisse de terres situées sur une réserve ne diminue pas, à mon avis la valeur marchande de la propriété en question. Soutenir que le titre autochtone afférent à cette parcelle de terre a eu pour effet d'en réduire la valeur par rapport à ce qu'elle serait sur un marché ouvert est une position intenable.
En acceptant la position des appelants, je me rends compte que les intimés devront faire face à de grosses augmentations de loyer, et ils ont toute ma sympathie. Toutefois, comme l'a déclaré le juge de première instance à la page 5 de son jugement:
[. . .] la Cour n'a pas à se demander si les demandeurs doivent recevoir ce qui, à leur avis, leur revient de droit ou si les défendeurs peuvent se permettre de payer le loyer annuel. Le juste loyer n'est pas une conclusion fondée sur l'évaluation de la Cour quant à un loyer souhaitable sur les plans économique ou social. Il doit plutôt découler d'une décision fondée sur l'interprétation des documents pertinents et sur l'acceptation des éléments de preuve pertinents et dignes de foi.
Par conséquent, j'accepte la conclusion du juge de première instance selon laquelle la valeur hypothétique du lot moyen détenu en pleine propriété est de 600 000 $. Pour les raisons indiquées ci-dessus, je conclus qu'il s'agit là de la "valeur courante du terrain" dont il est question au paragraphe 2(4) du bail et, en conséquence, j'estime que la réduction de 50 % imposée par le juge de première instance, parce qu'il s'agissait de terres situées sur une réserve, est une erreur. J'aborde maintenant la question des frais de service sur les terrains.
II. D'après le bail, les frais de service et de mise en valeur doivent-ils être soustraits de la valeur des lots détenus en pleine propriété pour déterminer la "valeur courante du terrain"?
Les lots détenus en pleine propriété ayant été évalués comme terrains viabilisés, il reste une dernière question à trancher, c'est-à-dire décider s'il faut soustraire les frais de service afférents au terrain dans le calcul du "juste loyer du terrain". Il s'agit encore une fois d'une question d'interprétation, qui s'articule sur le sens de l'alinéa 2(2)a) du bail. Ci-dessous, le paragraphe 2(2) du bail est reproduit en entier pour plus de commodité:
2(2) Le loyer relatif à chaque année des trois périodes successives de vingt (20) ans et de la dernière période de neuf (9) ans correspond à un juste loyer à l'égard du lot visé, lequel loyer est négocié immédiatement avant le début de chacune de ces périodes. Dans le cadre de ces négociations, les parties présument que, à la date de celles-ci, les terrains sont
a) des terrains non améliorés se trouvant dans l'état où ils étaient à la date de la présente entente;
b) des terrains comportant une voie d'accès publique;
c) des terrains se trouvant dans une zone lotie;
d) des terrains zonés pour la construction résidentielle de maisons unifamiliales,
et les présomptions qui précèdent seront également formulées dans le cas de toute détermination du loyer conformément aux dispositions du paragraphe (3) des présentes. [Non souligné dans l'original.]
Ainsi, d'après l'alinéa 2(2)a), les terrains à évaluer sont "des terrains non améliorés se trouvant dans l'état où ils étaient à la date de la présente entente". Le conflit découle du fait que les parties se demandent si "la présente entente" fait référence à l'entente cadre, à la date de laquelle les terrains n'avaient pas été viabilisés, ou au bail lui-même, à la date duquel les terrains avaient été viabilisés.
Comme l'a noté le juge de première instance, il est manifeste que cette ambiguïté se pose du fait que les parties ont tiré l'article 15 de l'entente cadre et l'ont incorporé à l'article 2 du bail sans faire les modifications nécessaires pour indiquer de façon plus précise leur intention. Toutefois, malgré l'ambiguïté créée par l'adoption du libellé du paragraphe 15(2) de l'entente cadre, je crois qu'il est clair que les parties avaient l'intention de faire évaluer les terrains avant qu'ils soient viabilisés.
J'accepte la conclusion du juge de première instance selon laquelle les frais de service doivent être déduits de la valeur courante des lots viabilisés. À mon avis, on peut d'emblée conclure de son examen exhaustif des arguments présentés par les parties et de ses motifs que l'expression "la présente entente" doit désigner l'entente cadre.
Le point de départ de sa position est l'incorporation par renvoi de l'entente cadre dans le préambule du bail. La partie pertinente du préambule se lit comme suit:
ATTENDU QUE le terrain décrit dans ladite entente cadre a été loti et viabilisé selon les conditions de ladite entente [. . .]
EN CONSÉQUENCE, compte tenu des loyers, engagements et accords que le preneur à bail a convenu de respecter ainsi que des engagements et accords du preneur à bail qui sont énoncés dans l'entente cadre conclue entre le ministre et celui-ci, le ministre LOUE audit preneur à bail la parcelle de terrain se trouvant dans la ville de Vancouver.
Il est clair que l'entente cadre est incorporée au bail par la première phrase reproduite ci-dessus. En fait, les parties ont toujours eu l'intention de faire en sorte que les baux correspondent au "projet de bail (résidentiel)" joint en annexe à l'entente cadre.
Le juge de première instance a fondé sa conclusion selon laquelle l'alinéa 2(2)a) renvoie à l'entente cadre sur les quatre raisons suivantes qui, à mon avis, sont convaincantes.
Premièrement, l'opinion selon laquelle "la présente entente" fait référence à l'entente cadre est compatible avec le préambule du bail qui décrit les terrains comme ayant été lotis et viabilisés. Si "la présente entente" désignait le bail, il n'aurait pas été nécessaire d'inclure l'alinéa 2(2)c) puisque le préambule du bail indique déjà que les terrains ont été lotis.
Deuxièmement, si les parties avaient l'intention de faire en sorte que l'expression "la présente entente" renvoie au bail, elles auraient pu facilement rédiger l'alinéa 2(2)a) pour qu'on y lise "des terrains lotis et viabilisés sans amélioration" pour décrire l'état des terrains qui sont identifiés dans le préambule du bail.
Troisièmement, le loyer payé dans les 30 premières années a été calculé d'après la valeur des terrains non viabilisés et, en l'absence de toute explication, il est extrêmement difficile de prétendre que les parties avaient l'intention d'inclure les frais de service dans les révisions ultérieures du loyer.
Je trouve que la dernière raison énoncée par le juge de première instance [à la page 27] est particulièrement convaincante:
En quatrième lieu, la date de "la présente entente" correspond dans les faits à la date de l'entente cadre. La bande a fourni un terrain non viabilisé et non mis en valeur. Le promoteur a dépensé les fonds et accepté le risque inhérent à la mise en valeur, y compris les frais de service. Il m'est difficile de croire que les parties souhaitaient, lors de la révision du loyer, que la bande reçoive un dédommagement à l'égard des services et de la mise en valeur alors qu'elle n'en a pas payé le coût et qu'elle n'en était pas responsable.
Dès le début, la Musqueam Development Co. Ltd. a été obligée de fournir les services sur les lots. Après les avoir viabilisés, le promoteur a cédé les lots à chacun des preneurs à bail en échange d'une contrepartie; on ne peut que présumer que les frais de service ont été pris en charge par les preneurs à bail. L'avocat des appelants a soutenu que la bande avait en fait payé les services parce que, selon le témoignage de l'un de ses témoins, la bande avait accepté une réduction du prix des terrains puisque ceux-ci n'étaient pas viabilisés. Toutefois, cet argument n'est pas défendable. Si la bande touche un loyer fondé sur la valeur du terrain nu, détenu en pleine propriété, ce sera un loyer fondé sur la pleine valeur de son actif. Telle est l'étendue de son droit.
C'est en fait la position la plus logique étant donné qu'il est extrêmement douteux que la bande puisse être dédommagée pour les services qui ont été fournis aux frais du promoteur. Il existe un principe bien accepté selon lequel, en l'absence de mots à l'effet contraire, un propriétaire ne doit pas bénéficier d'améliorations qui ont été faites par le preneur à bail à ses frais. Ce principe a été précisé dans l'arrêt Queen (The) in right of Canada and Lynnwood Marinaland Ltd., Re (1971), 20 D.L.R. (3d) 589 par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique. À la page 591, le juge en chef Davey, énonce ce principe de la manière suivante:
[traduction] Le loyer payable pendant le terme prévu s'applique à la propriété louée au preneur à bail, c'est-à-dire le plan d'eau. En vertu du bail, le preneur a acquis une propriété à bail sur laquelle il avait le droit de faire des améliorations. L'obliger à payer un loyer accru pour les améliorations qu'il a faites pendant la durée du bail équivaudrait à lui faire payer un loyer sur une valeur qui a été créée par les dépenses qu'il était autorisé à faire, ce qui diminuerait la valeur de sa propriété à bail. Je pense que, si tel était le résultat recherché, il aurait fallu l'exprimer dans des mots précis qui ne sont pas là.
En l'espèce, la bande n'a pas payé pour les services, et elle ne devrait donc pas être dédommagée pour ceux-ci.
Finalement, un examen de l'alinéa 2(2)a) dans son ensemble appuie aussi l'opinion selon laquelle les terrains doivent être évalués avant d'être viabilisés. J'estime que l'utilisation de l'expression "sans amélioration" est compatible avec l'opinion selon laquelle les frais de service ne doivent pas être inclus dans le calcul du "juste loyer annuel". L'avocat des appelants a prétendu que les services n'étaient pas des "améliorations" au sens de ce terme, mais il n'a pas réussi à fournir d'autorité pour appuyer son opinion. En fait, certaines autorités sont à l'effet contraire. Par exemple, le Black's Law Dictionary , 6e éd., (à la page 757), définit l'expression [traduction] "terrain amélioré" comme étant un [traduction ] "immeuble dont la valeur a été augmentée par l'aménagement paysager et par la construction d'égouts, de routes, de services d'utilité publique et autres". De même le terme "amélioration" renvoie généralement [traduction ] "à des immeubles, mais il peut également inclure toute structure permanente ou autre aménagement, comme des rues, des trottoirs, des égouts, des services d'utilité publique, etc.". Donc, la position que j'ai adoptée est conforme au sens ordinaire de l'expression "terrains non améliorés".
Pour les motifs énoncés par le juge de première instance et vu mes observations supplémentaires, je suis d'avis que tous les frais de service doivent être soustraits de la valeur des terrains nus, détenus en pleine propriété, pour déterminer la "valeur courante du terrain". Donc, les frais de service seront déduits du montant de 600 000 $ pour déterminer la valeur finale du lot moyen.
En première instance, l'expert des intimés a prétendu que les services équivalaient à 117 818 $ par lot. Le juge de première instance a accepté cette méthode de calcul, dont certains éléments étaient fondés sur la "valeur courante" des lots. Étant donné que j'ai augmenté la "valeur courante du terrain" par rapport aux chiffres déterminés par le juge de première instance, ces frais de service augmenteront. Les avocats dans le présent appel ont indiqué qu'ils pourraient s'entendre sur le montant de ces frais de service.
Conclusion
Par conséquent, je suis d'avis d'accueillir l'appel en partie. La "valeur courante" des lots en question devrait être déterminée de la manière indiquée par le juge de première instance, à l'exception du fait que l'on retiendra la pleine valeur des lots nus, détenus en pleine propriété, plutôt que les chiffres obtenus après la déduction de 50 %. Les frais de service sur ces lots seront déduits selon les montants dont les parties conviendront. La différence constituera la "valeur courante" de chaque lot. Comme il est prescrit dans le bail, le "juste loyer annuel" pour la période de 20 ans commençant le 8 juin 1995 équivaudra à 6 % de la "valeur courante" de chaque lot. Les dépens du présent appel sont accordés aux appelants.
Dans les trente (30) jours suivant la date des présents motifs et conformément à la règle 394 des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106], l'avocat des appelants préparera un projet de jugement donnant effet à ceux-ci (notamment quant aux dépens) et, après avoir obtenu l'approbation de l'avocat des intimés quant à la forme et au contenu, il le soumettra à la Cour pour qu'elle le signe. Si les parties ne peuvent s'entendre sur la forme et le contenu du jugement dans le délai prescrit, ou si elles estiment nécessaire de demander des directives à la Cour au sujet de la préparation du projet de jugement conformément aux présents motifs, plus précisément en ce qui a trait au calcul des frais de service à déduire, l'une ou l'autre partie pourra présenter une requête en jugement conformément à la règle 369 des Règles de la Cour fédérale (1998).
Le juge Desjardins, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
Le juge Robertson, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
1 Ce montant n'a été contesté par aucune des parties à l'audition de l'appel.