T-1625-97
Sa Majesté la Reine (demanderesse)
c.
J.D. Irving, Limited, constituée en personne morale, Atlantic Towing Ltd., constituée en personne morale, Irving Oil Company, Limited, constituée en personne morale, le remorqueur Irving Maple, ses propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur ce remorqueur et Universal Sales, Limited (défendeurs)
et
L'administrateur de la Caisse d'indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires et le Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de 1971 (parties par application de la loi)
Répertorié: Canadac. J.D. Irving, Ltd.(1re inst.)
Section de première instance, juge Hugessen" Montréal, 9 et 10 décembre; Ottawa, 21 décembre 1998.
Droit maritime — Pratique — Requête en jugement sommaire — Action en recouvrement de dépenses engagées pour renflouer une barge qui a coulé en 1970 avec sa cargaison de mazout — Premier déversement d'hydrocarbure causant des dommages importants aux rivages des Îles de la Madeleine — Petites quantités d'hydrocarbures rejetées de façon intermittente par la suite, donnant lieu à des mesures préventives mineures — Rapport en 1992 recommandant des mesures préventives immédiates compte tenu de la détérioration progressive de la barge et du risque de rejet massif d'hydrocarbures — Barge remise à flot en 1996 — Action intentée en 1997 alléguant la responsabilité fondée sur la partie XVI de Loi sur la marine marchande, sur la négligence, sur la nuisance — 1) L'art. 677(10) prévoit que les actions —fondées sur la responsabilité décrite au paragraphe (1)— se prescrivent: a) s'il y a eu dommages par pollution, par 3 ans à compter du jour où les dommages se sont produits et par 6 ans à compter de l'événement qui les a causés; ou b) s'il n'y a pas eu dommages par pollution, par 6 ans à compter de l'événement — L'art. 677(1)a), qui impose la responsabilité au propriétaire du navire pour des dommages dus à la pollution, s'appliquait puisque les dommages sont survenus en 1970 — Si l'art. 677(1)b), qui impose la responsabilité au propriétaire du navire pour les mesures préventives, s'appliquait, le terme —événement— signifiant un événement qui a causé ou qui causera vraisemblablement des dommages par pollution, vu l'historique et le but de la partie XVI, quelles seraient les conséquences des interprétations proposées? — L'art. 677(10) rend l'action irrecevable parce que prescrite — Vraisemblable que le ministre ait eu, avant le dépôt du rapport de 1992 sur lequel il s'appuie maintenant, des motifs raisonnables de croire que la barge causerait des dommages par pollution — Bonne application du principe de la possibilité de découverte des dommages commande que le délai commence à courir en 1970 — 2) Suivant l'art. 681, la responsabilité du propriétaire d'un navire soumis à l'application de la Convention quant aux questions mentionnées à l'art. 677(1) est limitée à celle que prévoit la partie — N'étant pas clair que la barge était encore un navire soumis à l'application de la Convention, l'art. 681 pouvait ne pas s'appliquer — De plus, les délits de négligence et de nuisance peuvent être de nature continue — Aucune preuve des délits allégués, ni du moment où ils se seraient produits — Impossibilité de tirer des conclusions sur les faits essentiels pour permettre de dégager la défenderesse de toute demande fondée sur sa responsabilité délictuelle non visée par l'art. 677(1) — 3) La responsabilité prévue par la partie XVI se limite au propriétaire du navire — Bien que la définition de propriétaire englobe l'affréteur, l'affrètement coque-nue en faveur d'Atlantic Towing Ltd. a pris fin sans préavis par application de ses propres modalités lorsque le navire a sombré — L'action fondée sur la partie XVI a été rejetée contre les défendeurs autres que J.D. Irving, Limited — 4) L'art. 84(1) (qui a adopté la partie XVI) s'applique expressément aux dépenses engagées après son entrée en vigueur — Un événement survenu avant le 24 avril 1989, lorsque la partie XVI n'était pas encore en vigueur, peut produire des effets juridiques et donner lieu à une demande en vertu de cette partie après cette date. — La réclamation contre la Caisse d'indemnisation tirant entièrement son origine de la Loi, cette disposition doit s'appliquer pleinement — Présomption d'absence d'effet rétroactif réfutée — 5) L'art. 710(1)a) permet le dépôt, auprès de l'administrateur de la Caisse d'indemnisation, d'une demande de recouvrement de frais mentionnés à l'art. 677(1) pour des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, dans les 2 ans suivant la date où ces dommages se sont produits et dans les 5 ans suivant l'événement qui les a causés — La demande dirigée contre la Caisse d'indemnisation était prescrite — 6) L'art. 699 prévoit que le Fonds international est tenu de verser une indemnisation lorsqu'un créancier a été incapable d'obtenir pleine indemnisation de la part du propriétaire du navire après la survenance d'un événement — Responsabilité du Fonds international sous le régime de la partie XVI liée à sa responsabilité en vertu de la Convention sur le Fonds — Convention sur le Fonds entrée en vigueur en 1978 — Adhésion du Canada plus de 10 ans plus tard — Rien n'indique dans la Convention sur le Fonds qu'elle doit avoir un effet rétroactif — Présomption d'absence d'effet rétroactif pleinement applicable — 7) La demande dirigée contre le Fonds international était prescrite en vertu de l'art. 677(10).
Il s'agit de trois requêtes sollicitant un jugement sommaire présentées par les défendeurs et chacun des défendeurs par application de la loi. L'action vise à recouvrer la somme de 42 millions de dollars que la demanderesse a engagée pour renflouer l'Irving Whale. L'action procède à la fois du droit d'origine législative, vu les allégations de responsabilité fondées sur la partie XVI de la Loi sur la marine marchande du Canada, et du droit de la responsabilité délictuelle, vu les allégations de négligence et de nuisance.
J.D. Irving, Limited était le propriétaire enregistré du Irving Whale qui a sombré le 7 septembre 1970, alors qu'il transportait une cargaison de mazout brut. Le déversement d'hydrocarbures qui en a résulté a contaminé le rivage des Îles de la Madeleine sur une distance d'environ 32 kilomètres. De petites quantités d'hydrocarbures ont continué à être rejetées par la barge, de façon intermittente, pendant les 26 années qui ont suivi, bien que ces rejets n'aient eu aucune conséquence appréciable sur les terres émergées des environs. On a surveillé l'état de la barge et on a pris des mesures préventives consistant, notamment, à placer des sacs sur les tuyaux de mise à l'air libre pour empêcher le rejet d'hydrocarbures. Un rapport remis en 1992 a recommandé la prise de mesures préventives immédiates parce qu'il y avait un risque important de rejet massif d'hydrocarbures et que la détérioration progressive du bâtiment rendrait un jour son renflouement impossible. La barge a été remise à flot en 1996 et la présente action a été intentée en 1997.
Atlantic Towing Ltd. était l'affréteur coque-nue de la barge; Irving Oil Company Ltd. était le propriétaire de la cargaison d'hydrocarbures; le remorqueur Irving Maple remorquait la barge au moment du naufrage; Universal Sales Ltd. était le propriétaire enregistré du remorqueur Irving Maple; et Atlantic Towing Ltd. était l'exploitant du remorqueur Irving Maple et en avait le contrôle au moment du naufrage.
Les parties par application de la loi étaient l'administrateur de la Caisse d'indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires (la Caisse d'indemnisation), contre lequel une demande était dirigée en vertu de la partie XVI de la Loi sur la marine marchande du Canada; le Fonds international d'indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de 1971 (le Fonds international) qui a été avisé de la présente action et à laquelle il est devenu partie par application à la fois de la partie XVI de la Loi sur la marine marchande du Canada et de la Convention internationale portant création d'un Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (la Convention sur le Fonds).
Il s'agissait de savoir: 1) si la demande de la demanderesse était prescrite par application du paragraphe 677(10) de la Loi sur la marine marchande du Canada; 2) si l'article 681 faisait obstacle à toute demande fondée sur la responsabilité délictuelle autre que celle dirigée contre la défenderesse J.D. Irving, Limited en vertu de la partie XVI; 3) si une autre partie défenderesse était "propriétaire" de la barge, de manière à engager sa responsabilité d'origine législative en vertu de la partie XVI; 4) si la partie XVI s'appliquait rétroactivement à un naufrage survenu avant l'entrée en vigueur de la partie XVI et avant la création du fonds même; 5) si la demande dirigée contre la Caisse d'indemnisation était prescrite par application du paragraphe 710(1); 6) si la partie XVI imposait une obligation au Fonds international relativement à des événements survenus avant la prise d'effet de la Convention sur le Fonds au Canada; et 7) si la demande dirigée contre le Fonds international était prescrite.
Jugement: l'action dirigée contre les défendeurs doit être rejetée dans la mesure où elle est fondée sur la partie XVI de la Loi sur la marine marchande du Canada, mais elle devrait suivre son cours contre tous les défendeurs en ce qui a trait aux moyens fondés sur le droit de la responsabilité délictuelle; la demande dirigée contre la Caisse d'indemnisation devrait être rejetée; la demande reconventionnelle formulée par la Caisse d'indemnisation devrait être accueillie; et la demande dirigée contre le Fonds international devrait être rejetée.
1) L'alinéa 677(1)a) prévoit que le propriétaire d'un navire est responsable des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par le navire; et l'alinéa 677(1)b) prévoit que le propriétaire d'un navire est responsable des frais raisonnables supportés pour prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par le navire. Le paragraphe 677(10) prévoit que les actions "fondées sur la responsabilité décrite au paragraphe (1)" se prescrivent: a ) s'il y a eu dommages par pollution, par trois ans à compter du jour où les dommages se sont produits et par six ans à compter de l'événement qui les a causés; ou b) s'il n'y a pas eu dommages par pollution, par six ans à compter de l'événement. Le paragraphe 677(1) traite des demandes relatives aux dommages par pollution et aux mesures préventives. Comme il y a eu dommages par pollution au moment du naufrage en 1970, l'alinéa 677(1)a) s'appliquait. Toutefois, même si l'alinéa 677(1)b) s'appliquait, l'utilisation à deux reprises du terme "événement", dans des dispositions voisines à l'intérieur du même paragraphe (le paragraphe 677(10)) commande qu'un seul et même sens lui soit attribué. À prime abord, ce terme ne peut s'entendre que d'un événement qui a causé ou qui causera vraisemblablement des dommages par pollution.
Cependant, l'historique, le contexte et le but de la partie XVI ont été examinés. La partie XVI a été édictée pour mettre en œuvre la Convention sur le Fonds et la Convention internationale sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures lorsque les propriétaires des navires et des cargaisons ont éprouvé des difficultés à obtenir une police d'assurance sur le marché de l'assurance maritime internationale. L'examen des dispositions plus détaillées des conventions lève toute ambiguïté dans le paragraphe 677(10). Dans la version française, "événement" est employé comme l'équivalent à la fois de "incident" et de "occurrence", ce qui indique qu'on a voulu que les deux mots aient le même sens. De plus, le fait que le régime international et le régime canadien prévoient tous deux le recours à des fonds qui risquent de devoir être distribués proportionnellement en cas d'insuffisance offre une explication convaincante aux délais de prescription relativement courts; il serait imprudent pour les administrateurs des deux fonds d'effectuer des paiements si de nouvelles demandes excédant les montants disponibles pouvaient être faites; elles devraient attendre d'avoir la certitude qu'aucune demande de ce type ne pourra être faite. Un examen du contexte général de l'article 677 dans son ensemble et de l'ensemble de la partie XVI produit la même interprétation du mot "événement".
L'interprétation qui précède aurait pour effet de rendre l'action de la demanderesse irrecevable avant même qu'elle ait pris naissance, mais le droit d'action de la demanderesse était lui-même d'origine purement législative, de sorte que la présomption défavorable à l'application des délais de prescription fixés par une loi avait moins de poids. La demanderesse ne pouvait pas invoquer ses droits en equity alors qu'elle n'a rien perdu d'autre qu'un droit d'action qu'elle n'avait pas au moment du naufrage, qu'elle n'a pas tenté d'exercer au moment où la partie XX était en vigueur et qu'elle n'a exercé sous le régime de la partie XVI que longtemps après l'expiration du délai imparti.
Si la thèse de la demanderesse, selon laquelle le délai devrait commencer à courir à la date à laquelle le ministre a eu ou aurait dû avoir des motifs raisonnables de croire que l'épave pouvait vraisemblablement causer des dommages par pollution, était acceptée, il serait possible de présenter des demandes en recouvrement des frais et dépenses imputables à des mesures préventives pratiquement n'importe quand. L'un des buts de l'établissement d'un délai de prescription consiste à conférer une certaine certitude au droit, tout particulièrement lorsque, comme en l'espèce, les personnes responsables de deux fonds doivent avoir l'assurance que la liste des créanciers est définitivement arrêtée avant de prélever des paiements proportionnels sur les deux fonds. Une telle interprétation aurait également des répercussions négatives sur la capacité des propriétaires de navires d'obtenir une police d'assurance sur le marché de l'assurance maritime internationale, ce qui était une des raisons pour lesquelles le Canada a décidé d'abandonner son régime antérieur de responsabilité et d'indemnisation contenu à la partie XX. La réclamation était prescrite en vertu du paragraphe 677(10).
Néanmoins, le ministre a eu des motifs raisonnables de croire que la barge pouvait vraisemblablement causer des dommages par pollution avant le mois de décembre 1992. Si un délai de prescription différent devait s'appliquer à chaque mesure préventive que le ministre décide de prendre, à son entière discrétion, il n'existerait de fait absolument aucun délai de prescription. Le droit ne saurait admettre pareille solution. La bonne application du principe de la possibilité de découverte des dommages commande en l'espèce que le délai commence à courir au moment où le gouvernement a pris connaissance du fait que l'épave gisait au fond de la mer et que des hydrocarbures s'en étaient écoulés, s'en écoulaient encore et continueraient probablement de s'en écouler.
2) L'article 681 prévoit que la responsabilité du propriétaire d'un navire soumis à l'application de la Convention quant aux questions mentionnées au paragraphe 677(1) est limitée à celle que prévoit la présente partie. Un "navire soumis à l'application de la Convention" est défini comme étant un navire de mer qui transporte différentes cargaisons d'hydrocarbures. "Propriétaire" d'un navire soumis à l'application de la Convention est défini comme étant la personne au nom de laquelle est immatriculé le navire. Au moment du naufrage, le Irving Whale était un navire soumis à l'application de la Convention et son propriétaire était la défenderesse J.D. Irving, Limited. Il subsistait toutefois un doute quant à savoir si le Irving Whale demeurait un "navire soumis à l'application de la Convention" et si la défenderesse J.D. Irving, Limited pouvait continuer de se prévaloir de l'article 681. Et les délits de négligence et de nuisance allégués contre les défenderesses peuvent tous les deux être de nature continue. Il n'y avait aucune preuve établissant les délits allégués et le moment précis où ils se seraient produits. Il n'était donc pas possible de tirer des conclusions sur les faits essentiels pour permettre de dégager J.D. Irving, Limited de toute demande fondée sur sa responsabilité délictuelle, laquelle n'est pas visée par le paragraphe 677(1).
3) La responsabilité prévue par la partie XVI se limite au propriétaire du navire. Bien que la définition du terme "propriétaire" englobe l'affréteur, l'affrètement coque-nue en faveur d'Atlantic Towing Ltd. a pris fin sans préavis par application de ses propres modalités lorsque le navire a sombré. Il n'y avait aucune preuve que des défendeurs autres que J.D. Irving, Limited pouvaient être propriétaires de la barge. L'action introduite sous le régime de la partie XVI doit être rejetée contre les défendeurs autres que J.D. Irving, Limited.
4) L'article 84, qui a adopté la partie XVI, s'applique expressément aux dépenses engagées après la date de son entrée en vigueur. Le législateur avait clairement l'intention que la partie XVI s'applique aux demandes en recouvrement des dépenses engagées après la date de son entrée en vigueur "indépendamment de la date de survenance de l'événement qui leur a donné lieu". Un événement qui est survenu avant le 24 avril 1989, lorsque la partie XVI n'était pas encore en vigueur, peut quand même produire des effets juridiques et donner lieu à une demande en vertu de cette partie après cette date. Étant donné que la réclamation dirigée contre la Caisse d'indemnisation tire son origine de la loi et ne dépend d'aucun facteur extérieur, cette disposition doit s'appliquer pleinement; la présomption d'absence d'effet rétroactif a été réfutée.
5) L'alinéa 710(1)a) permet à une personne qui a engagé des frais mentionnés au paragraphe 677(1) à cause de dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de déposer auprès de l'administrateur de la Caisse d'indemnisation une demande en recouvrement de ces frais dans les deux ans suivant la date où ces dommages se sont produits et dans les cinq ans suivant l'événement qui les a causés. Hormis la durée des délais en cause, le libellé de la disposition pertinente du paragraphe 710(1) est identique au libellé du paragraphe 677(1). Pour les motifs applicables au paragraphe 677(1), la demande dirigée contre la Caisse d'indemnisation était prescrite.
6) L'article 699 prévoit que le Fonds international est tenu de verser une indemnisation lorsqu'un créancier a été incapable d'obtenir pleine indemnisation de la part du propriétaire du navire lorsqu'il s'est produit un événement mettant en cause un navire soumis à l'application de la Convention. Il ressort clairement du libellé de l'article 699 que la responsabilité du Fonds international sous le régime de la partie XVI est liée à sa responsabilité en vertu de la Convention sur le Fonds. La Convention sur le Fonds est entrée en vigueur le 16 octobre 1978 et le Canada y a adhéré plus de 10 ans plus tard, entrant en vigueur le quatre-vingt-dixième jour après le dépôt de l'instrument approprié. Rien n'indique dans la Convention sur le Fonds qu'elle devait avoir un effet rétroactif. La présomption d'absence d'effet rétroactif a donc été appliquée pleinement.
7) La demande dirigée contre le Fonds international est prescrite en vertu du paragraphe 677(10).
lois et règlements
Convention internationale portant création d'un Fonds international d'indemnisation pour les dommage dus à la pollution par les hydrocarbures, 18 décembre 1971, [1989] R.T. Can. no 47.
Convention internationale sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, 29 novembre 1969, [1989] R.T. Can. no 46.
Loi modifiant la Loi sur la marine marchande du Canada et, en conséquence, la Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques et la Loi sur la production et la rationalisation de l'exploitation du pétrole et du gaz, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 6, art. 88.
Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9, art. 673 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 6, art. 84; L.C. 1993, ch. 36, art. 12), 677 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 6, art. 84; L.C. 1993, ch. 36, art. 15; 1996, ch. 31, art. 104), 678 (mod. par L.C. 1993, ch. 36, art 16), 679 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 6, art. 84), 681 (mod., idem), 699 (mod., idem), 710 (mod., idem; L.C. 1993, ch. 36, art. 18).
ont comparu:
M. Robert Jetté, Frederick A. Welsford, et Jonathan Westphal pour la demanderesse.
L. Yves Fortier, c.r., Johanne Gauthier et Frédéric Bachand pour les défendeurs.
David F. McEwen pour la partie par application de la loi, l'administrateur de la Caisse d'indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires.
John G. O'Connor pour la partie par application de la loi, le Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de 1971.
avocats inscrits au dossier:
Le sous-procureur général du Canada pour la demanderesse.
Ogilvy Renault, Montréal, pour les défendeurs.
McEwen, Schmitt & Co., Vancouver, pour la partie par application de la loi, l'administrateur de la Caisse d'indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires.
Langlois, Gaudreau, Québec, pour la partie par application de la loi, le Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de 1971.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
Le juge Hugessen:
INTRODUCTION
Les présents motifs touchent trois requêtes sollicitant un jugement sommaire présentées respectivement par les défendeurs et chacun des défendeurs par application de la loi. L'action vise le remboursement d'un montant de plus de 42 000 000 $ que la demanderesse soutient avoir engagé pour renflouer la barge Irving Whale. L'action procède à la fois du droit d'origine législative, vu les allégations de responsabilité fondées sur la partie XVI de la Loi sur la marine marchande du Canada1, et du droit de la responsabilité délictuelle, vu les allégations de négligence et de nuisance. Les requêtes visent principalement la responsabilité d'origine législative, bien qu'elles puissent avoir aussi certaines répercussions sur la question de la responsabilité délictuelle, comme nous le verrons.
LES PARTIES
La partie demanderesse est le gouvernement du Canada.
Les défendeurs désignés ont tous un lien avec la barge Irving Whale:
a) J.D. Irving Ltd. était le propriétaire enregistré du Irving Whale au moment de son naufrage;
b) Atlantic Towing Ltd. était l'affréteur coque-nue de la barge au même moment;
c) Irving Oil Company Ltd. était le propriétaire de la cargaison d'hydrocarbures transportée à bord de la barge;
d) le remorqueur Irving Maple remorquait la barge au moment du naufrage;
e) Universal Sales Ltd. était le propriétaire enregistré du remorqueur Irving Maple à ce moment;
f) Atlantic Towing Ltd. était l'exploitant du remorqueur Irving Maple et en avait le contrôle au moment du naufrage.
Les parties défenderesses par application de la loi sont:
a) l'administrateur de la Caisse d'indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires (la Caisse d'indemnisation), contre lequel une demande est dirigée en vertu de la partie XVI de la Loi sur la marine marchande du Canada;
b) le Fonds international d'indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de 1971 (le Fonds international) qui a été avisé de la présente action et à laquelle il est devenu partie par application à la fois de la partie XVI et de la Convention internationale portant création d'un Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, 18 décembre 1971 [[1989] R.T. Can. no 47] (la Convention sur le Fonds).
LES FAITS
Malgré un certain désaccord entre les parties quant à la pertinence de certains faits, les faits suivants ont été établis, soit par des aveux dans les actes de procédure, soit par une preuve non contredite:
a) le Irving Whale était un chaland-citerne d'une longueur hors tout de 270 pieds d'une jauge nette au registre de 2 089,8 tonnes. Il était immatriculé au port de St. John conformément aux dispositions de la Loi sur la marine marchande du Canada;
b) le propriétaire enregistré de la barge était la société J.D. Irving Ltd.;
c) le 7 septembre 1970, le Irving Whale a fait naufrage pendant que le remorqueur Irving Maple le remorquait entre Halifax, en Nouvelle-Écosse, et Bathurst, au Nouveau-Brunswick. Il a coulé au fond de la mer, à une profondeur d'environ 220 pieds;
d) selon son connaissement, la barge transportait, au moment de son naufrage, une cargaison de 4 297 tonnes fortes de mazout brut;
e) au moment du naufrage et immédiatement après, des hydrocarbures ont été rejetés par la barge et ont contaminé le rivage des Îles de la Madeleine sur une distance d'environ 32 kilomètres. Le gouvernement du Canada a entrepris des travaux qui se sont poursuivis jusqu'en novembre 1970 pour nettoyer le rivage souillé par les hydrocarbures;
f) de petites quantités d'hydrocarbures ont continué à être rejetées par la barge, de façon intermittente, pendant les 26 années qui ont suivi, bien qu'aucun élément de preuve n'établisse que l'un de ces rejets a été suffisamment important pour avoir des conséquences appréciables sur les terres émergées des Îles de la Madeleine et de l'Île-du-Prince-Édouard;
g) le gouvernement a surveillé l'état de la barge. Une proposition de renflouement de la barge a été abandonnée peu de temps après le naufrage en raison d'appréhensions concernant la régularité du processus d'appel d'offres. Au cours des années qui ont suivi, les autorités ont pris des mesures préventives consistant, notamment, à placer des sacs sur les tuyaux de mise à l'air libre pour empêcher le rejet d'hydrocarbures;
h) en 1992, le gouvernement a commandé un rapport sur la faisabilité du renflouement de la barge. Ce rapport, remis le 1er décembre 1992, concluait que le risque de rejet massif non contrôlé d'hydrocarbures provenant de la barge était important et que la détérioration progressive du bâtiment rendrait un jour son renflouement impossible. Il recommandait la prise de mesures préventives immédiates;
i) le 18 mars 1994, le ministre des Transports a conclu que la barge représentait un risque de pollution à long terme et que le rejet probable de sa cargaison dans les eaux du Golfe aurait des conséquences catastrophiques sur les industries de la pêche et du tourisme dans la région;
j) le 30 juillet 1996, on a réussi à remettre le Irving Whale à flot et à le transporter au port de Halifax. On a constaté qu'il renfermait 3 575,871 tonnes fortes de pétrole brut;
k) La présente action a été intentée le 29 juillet 1997.
LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES
La partie XVI est trop longue pour qu'il convienne de la reproduire en entier. En voici toutefois les dispositions les plus pertinentes en l'espèce [articles 673 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 6, art. 84; L.C. 1993, ch. 36, art. 12), 677 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 6, art. 84; L.C. 1993, ch. 36, art. 15; 1996, ch. 31, art. 104), 678 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 6, art. 84; L.C. 1993, ch. 36, art. 16), 679 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 6, art. 84), 681 (mod., idem), 699 (mod., idem), 710 (mod., idem; L.C. 1993, ch. 36, art. 18)]:
673. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente partie.
"administrateur" L'administrateur de la Caisse d'indemnisation nommé en conformité avec l'article 704.
"Caisse d'indemnisation" La Caisse d'indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires, constituée par l'article 702.
"Convention sur le Fonds international" La Convention internationale portant création d'un fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, adoptée à Bruxelles le 18 décembre 1971, et modifiée par le protocole adopté à Londres le 19 novembre 1976.
"Convention sur la responsabilité civile" La Convention internationale sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, adoptée à Bruxelles le 29 novembre 1969, telle que modifiée par les protocoles qui sont en vigueur pour le Canada.
"dommages par pollution" À l'égard d'un navire, pertes ou dommages extérieurs au navire et causés par une contamination résultant du rejet d'un polluant par ce navire.
"dommages dus à la pollution par les hydrocarbures" À l'égard d'un navire, pertes ou dommages extérieurs au navire et causés par une contamination résultant du rejet d'hydrocarbures par ce navire.
"en vrac" Dans une cale ou une citerne faisant partie de la structure du navire, sans contenant intermédiaire.
"Fonds international" Le Fonds international d'indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures constitué par la Convention sur le Fonds international.
"garant" Quiconque, en vertu d'un contrat d'assurance responsabilité ou d'une autre garantie semblable, se porte garant à l'égard de la responsabilité d'un propriétaire de navire aux termes de l'article 677.
"hydrocarbures" Sauf aux articles 716 à 721, les hydrocarbures de toutes sortes sous toutes leurs formes, notamment le pétrole, le fuel-oil, les boues, les résidus d'hydrocarbures et les hydrocarbures mélangés à des déchets, à l'exclusion des déblais de dragage.
"navire" Toutes sortes de bâtiments, bateaux ou embarcations conçus, utilisés ou utilisables, exclusivement ou non, pour la navigation maritime, indépendamment de leur mode de propulsion ou de l'absence de propulsion.
"navire soumis à l'application de la Convention" Navire de mer, quel que soit le lieu de son immatriculation, qui transporte en vrac une cargaison de pétrole brut, de fuel-oil, d'huile diesel lourde, d'huile de graissage, d'huile de baleine ou d'autres hydrocarbures persistants.
"polluant" Les hydrocarbures, les substances désignées par règlement, nommément ou par catégories, comme polluantes pour l'application de la partie XV et, notamment, les substances suivantes:
a) celles qui, ajoutées à l'eau, produiraient, directement ou non, une dégradation ou altération de sa qualité de nature à nuire à son utilisation par l'homme ou par les animaux, les poissons ou les plantes utiles à l'homme;
b) l'eau qui contient une substance en quantité ou concentration telle ou qui a été chauffée ou traitée ou transformée depuis son état naturel de façon telle que son addition à l'eau produirait, directement ou non, une dégradation ou altération de la qualité de cette eau de façon à nuire à son utilisation par l'homme ou par les animaux, les poissons ou les plantes utiles à l'homme.
"propriétaire"
a) À l'égard d'un navire soumis à l'application de la Convention, la personne au nom de laquelle il est immatriculé ou, à défaut d'immatriculation, de celle qui en a la propriété;
b) à l'égard des autres navires, la personne qui a, au moment considéré, en vertu de la loi ou d'un contrat, les droits du propriétaire du navire en ce qui a trait à la possession et à l'usage du navire.
"rejet" À l'égard d'un navire, rejet depuis ce navire, d'un polluant qui, directement ou indirectement, atteint l'eau, notamment par déversement, fuite, déchargement ou chargement par pompage, rejet liquide, émanation, vidange, rejet solide et immersion.
"tonne" L'unité de mesure égale à mille kilogrammes.
[. . .]
677. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le propriétaire d'un navire est responsable dans les cas suivants:
a) des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par le navire;
b) des frais supportés par le ministre des Pêches et des Océans, un organisme d'intervention agréé aux termes du paragraphe 660.4(1), toute autre personne au Canada ou toute autre personne d'un État partie à la Convention sur la responsabilité civile pour la prise de mesures visant à prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par le navire ou les rejets d'hydrocarbures en prévision d'un risque de même que les pertes ou dommages causés par ces mesures, pour autant que ces frais et ces mesures soient raisonnables;
c) des frais supportés par le ministre des Pêches et des Océans pour les mesures qu'il prend aux termes de l'alinéa 678(1)a) en ce qui concerne les mesures de surveillance ou les mesures qu'il prend, ordonne ou interdit de prendre aux termes des alinéas 678(1)b) ou c), ou par toute autre personne pour les mesures qu'il lui a été ordonné ou interdit de prendre aux termes des alinéas 678(1)b) ou c) de même que les pertes ou dommages causés par ces mesures, pour autant que ces frais et ces mesures soient raisonnables.
(3) La responsabilité du propriétaire telle que prévue au paragraphe (1) n'est pas subordonnée à la preuve d'une faute ou d'une négligence, mais il n'est pas tenu responsable s'il démontre que l'événement:
a) soit résulte d'un acte de guerre, d'hostilités, de guerre civile ou d'insurrection ou d'un phénomène naturel d'un caractère exceptionnel, inévitable et irrésistible;
b) soit est entièrement imputable à l'acte ou à l'omission d'un tiers qui avait l'intention de causer des dommages;
c) soit est entièrement imputable à la négligence ou à l'action préjudiciable d'un gouvernement ou d'une autre autorité dans le cadre des responsabilités qui lui incombent en ce qui concerne l'entretien des feux et autres aides à la navigation.
(4) Le propriétaire peut être exonéré de tout ou partie de sa responsabilité s'il prouve que l'événement résulte en totalité ou en partie:
a) soit de l'acte ou de l'omission de la personne qui a subi les dommages, si celle-ci avait l'intention de causer un dommage;
b) soit de la négligence de cette personne.
(5) La présente partie n'a pas pour effet de porter atteinte aux droits ou recours qu'un propriétaire de navire responsable en vertu du paragraphe (1) peut exercer contre des tiers.
(6) Les frais supportés par un propriétaire de navire qui prend volontairement les mesures visées au paragraphe (1) à l'égard de dommages dus à la pollution par les hydrocarbures sont du même rang que les autres créances vis-à-vis des garanties que le propriétaire a données à l'égard de la responsabilité que lui impose le présent article, pour autant que ces frais et ces mesures soient raisonnables.
(7) Sous réserve des articles 679 et 683, la Cour d'Amirauté a compétence à l'égard des demandes en recouvrement de créances exercées en vertu de la présente partie.
(8) Sous réserve du paragraphe (9), la compétence que confère le paragraphe (7) à la Cour d'Amirauté peut s'exercer in rem à l'encontre du navire qui fait l'objet de la demande ou à l'encontre du produit de la vente de celui-ci déposé à la cour.
(9) Aucune action in rem ne peut être intentée au Canada à l'encontre:
a) d'un navire de guerre, d'un navire de la garde côtière ou d'un navire de police;
b) d'un navire qui appartient au Canada ou à une province, ou qui est exploité par le Canada ou une province, ou encore à l'encontre de la cargaison se trouvant sur ce navire, dans les cas où le navire en question est affecté à un service gouvernemental;
c) d'un navire qui appartient à un État étranger ou qui est exploité par un tel État, ou encore à l'encontre de la cargaison se trouvant sur ce navire si, au moment où la cause d'action a pris naissance ou au moment où l'action est intentée, le navire est utilisé exclusivement dans le cadre d'une activité gouvernementale non commerciale.
(10) Les actions fondées sur la responsabilité décrite au paragraphe (1) se prescrivent:
a) s'il y a eu dommages par pollution, par trois ans à compter du jour où les dommages se sont produits et par six ans à compter de l'événement qui les a causés;
b) s'il n'y a pas eu dommages par pollution, par six ans à compter de l'événement.
(11) En cas d'événement dont la responsabilité est imputable au propriétaire d'un navire aux termes du paragraphe (1), l'administrateur peut, même avant d'avoir reçu la demande visée à l'article 710, intenter une action in rem à l'encontre du navire qui fait l'objet de la demande ou à l'encontre du produit de la vente de celui-ci déposé à la cour et, à cette occasion, peut demander une garantie d'un montant au moins égal à la responsabilité maximale cumulée du propriétaire du navire calculée conformément à l'article 679.
(12) L'administrateur ne peut continuer cette action que s'il est subrogé dans les droits du demandeur en vertu du paragraphe 711(3).
678. (1) Le ministre peut, s'il a des motifs raisonnables de croire qu'un rejet de polluant ou un risque de rejet est attribuable à un navire:
a) prendre les mesures qu'il estime nécessaires pour prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum les dommages, voire enlever ou détruire le navire et son contenu, et disposer du navire et de son contenu;
b) surveiller l'application de toute mesure prise par toute personne en vue de prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum les dommages;
c) s'il l'estime nécessaire, ordonner à toute personne de prendre les mesures visées à l'alinéa b) ou lui interdire de les prendre.
(2) Le produit de la vente ou autre forme de cession d'un navire ou de son contenu effectuée en vertu de l'alinéa (1)a) est affecté aux frais engagés par la prise de mesures que vise cet alinéa; le surplus est remis au propriétaire du navire ou du contenu, selon le cas.
[. . .]
679. (1) La responsabilité maximale du propriétaire d'un navire aux termes de l'article 677 est limitée au plus petit des montants suivants dans le cas où l'événement qui engage sa responsabilité a eu lieu sans sa faute personnelle ou participation:
a) cent trente-trois droits de tirage spéciaux:
(i) par tonneau de jauge du navire, lorsque l'alinéa (2)a) s'applique,
(ii) par tonne d'équivalence de jauge du navire soumis à l'application de la Convention, lorsque l'alinéa (2)b) s'applique;
b) quatorze millions de droits de tirage spéciaux.
L'article 575 ne s'applique pas alors à la responsabilité du propriétaire décrite au paragraphe 677(1).
(2) Les règles suivantes s'appliquent à l'alinéa (1)a)_:
a) la jauge d'un navire est sa jauge nette augmentée du volume qui, en raison de l'espace occupé par la chambre des machines, a été déduit de sa jauge brute pour en déterminer la jauge nette;
b) s'il est impossible de déterminer la jauge d'un navire soumis à l'application de la Convention en conformité avec l'alinéa a), celle-ci est réputée égale à 39,368 pour cent du poids en tonnes des hydrocarbures que le navire peut transporter.
(3) Au paragraphe (2), la jauge nette est la jauge officielle.
(4) Pour l'application des alinéas (1)a) et b), les droits de tirage spéciaux sont ceux qu'émet le Fonds monétaire international.
[. . .]
681. (1) La responsabilité du propriétaire d'un navire soumis à l'application de la Convention quant aux questions mentionnées au paragraphe 677(1) est limitée à celle que prévoit la présente partie.
(2) Ne peut être engagée la responsabilité des préposés ou mandataires du propriétaire d'un navire soumis à l'application de la Convention, ou celle des personnes effectuant des opérations de sauvetage avec le consentement du propriétaire, eu égard aux questions mentionnées au paragraphe 677(1).
[. . .]
699. Dans le cas où un événement met en cause un navire soumis à l'application de la Convention, le Fonds international est tenu, sous réserve des dispositions de la Convention sur le Fonds international, de verser une indemnisation conforme aux termes de l'article 4 de cette convention, dans la mesure où un créancier a été, en application de la présente partie, incapable d'obtenir pleine indemnisation de la part du propriétaire du navire ou du garant de ce propriétaire.
[. . .]
710. (1) En plus des droits qu'elle peut exercer contre la Caisse d'indemnisation en vertu de l'article 709, toute personne autre qu'un organisme d'intervention agréé aux termes du paragraphe 660.4(1) ou qu'une personne d'un État partie à la Convention sur la responsabilité civile qui a subi des préjudices ou des dommages ou qui a engagé des frais mentionnés au paragraphe 677(1) à cause de dommages réels ou d'un risque de dommages dus à la pollution par les hydrocarbures peut déposer auprès de l'administrateur dans les délais qui suivent, une demande en recouvrement de créance due à ces dommages, préjudices et frais, sous réserve du pouvoir donné à la Cour d'Amirauté à l'alinéa 715a) de prescrire une période plus courte:
a) s'il y a eu des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, dans les deux ans suivant la date où ces dommages se sont produits et dans les cinq ans suivant l'événement qui les a causés;
b) s'il n'y a pas eu de dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, dans l'année qui suit l'événement.
(2) Sur réception de la demande en recouvrement de créance, l'administrateur procède de la façon suivante:
a) il enquête sur la créance et l'évalue;
b) il fait une offre de règlement pour la partie de la demande qu'il juge recevable.
(3) Pour enquêter sur les créances et les évaluer en conformité avec le paragraphe (2), l'administrateur a les pouvoirs d'un commissaire nommé en vertu de la partie I de la Loi sur les enquêtes.
(4) En enquêtant sur les créances et en les évaluant, l'administrateur doit se préoccuper seulement des faits suivants:
a) si la créance est couverte par le paragraphe (1);
b) si la créance résulte, en tout ou en partie:
(i) soit d'une action ou omission du demandeur visant à causer un dommage,
(ii) soit de la négligence de celui-ci.
(5) Le demandeur n'est pas tenu de démontrer que l'événement a été causé par un navire mais l'administrateur rejette la demande s'il est d'avis que la preuve établit que l'événement n'a pas été causé par un navire.
(6) L'administrateur réduit proportionnellement ou annule la demande lorsqu'il est convaincu que l'événement à l'origine de celle-ci est attribuable en tout ou en partie:
a) soit à une action ou une omission du demandeur visant à causer un dommage;
b) soit à sa négligence.
La partie XVI a été édictée par l'article 84 de la loi d'édiction2. Cette Loi a été promulguée le 24 avril 1989. Voici l'article 88:
88. (1) L'article 84 s'applique aux dommages et aux préjudices qui surviennent après son entrée en vigueur de même qu'aux frais qui sont engagés après cette entrée en vigueur, indépendamment de la date de survenance de l'événement qui leur a donné lieu.
(2) Les demandes en recouvrement de créance présentées à la Caisse d'indemnisation après l'entrée en vigueur de l'article 84 à l'égard de dommages et de préjudices survenus, de même qu'à l'égard des frais engagés, avant cette entrée en vigueur, sont déterminées en conformité avec les dispositions de la partie XV de la Loi sur la marine marchande du Canada, dans leur version antérieure à l'entrée en vigueur de cet article.
(3) Les droits et obligations de la Caisse des réclamations de la pollution maritime qui existent à l'entrée en vigueur de l'article 84 deviennent au moment de cette entrée en vigueur ceux de la Caisse d'indemnisation; les demandes non encore réglées à ce moment peuvent être dirigées contre la Caisse d'indemnisation, les droits transférés peuvent être exercés et les obligations remplies par celle-ci en conformité avec les dispositions de la partie XV de la Loi sur la marine marchande du Canada, dans leur version antérieure à l'entrée en vigueur de cet article.
LES QUESTIONS EN LITIGE
La Cour doit trancher les questions qui suivent.
1) Dans la requête présentée par les défendeurs:
a) La demande de la demanderesse est-elle prescrite par application du paragraphe 677(10)?
b) L'article 681 fait-il obstacle à toute demande fondée sur la responsabilité délictuelle autre que celle dirigée contre la défenderesse J.D. Irving Ltd. en vertu de la partie XVI?
c) Des éléments de preuve établissent-ils qu'une autre partie défenderesse était "propriétaire" de la barge, de manière à engager sa responsabilité d'origine législative en vertu de la partie XVI?
2) Dans la requête présentée par la Caisse d'indemnisation, défenderesse par application de la loi:
a) La partie XVI s'applique-t-elle rétroactivement à un naufrage survenu avant l'entrée en vigueur de la partie XVI et avant la création du fonds même?
b) La demande dirigée contre la Caisse d'indemnisation est-elle prescrite par application du paragraphe 710(1)?
3) Dans la requête présentée par le Fonds international, défendeur par application de la loi:
a) La partie XVI impose-t-elle une obligation au Fonds international relativement aux événements survenus avant la prise d'effet de la Convention sur le Fonds au Canada?
b) La demande dirigée contre le Fonds international est-elle prescrite?
LA REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR LES
DÉFENDEURS
La demande est-elle prescrite?
La thèse des défendeurs est d'une simplicité extrême. Le paragraphe 677(10) fixe deux délais de prescription différents. Le premier, établi par l'alinéa a), s'applique s'il y a eu dommage par pollution; le délai, qui comporte deux éléments, est de trois ans à compter du jour où les dommages se sont produits et de six ans à compter de l'événement qui les a causés. Comme il est indéniable qu'il y a eu dommage en l'espèce (les plages des Îles de la Madeleine ont été souillées et la demanderesse les a nettoyées), toutes les demandes étaient prescrites au plus tard en novembre 1973. Quoi qu'il en soit, et si jamais l'alinéa a) était jugé inapplicable, pour quelque raison que ce soit, l'alinéa b) établit un délai de prescription de six ans qui court à compter de "l'événement". De toute évidence, dans l'alinéa b ), l'expression "l'événement" a le même sens que dans l'alinéa a ) et la date déterminante est celle de l'événement qui a causé ou qui aurait pu causer les dommages dus à la pollution, c'est-à-dire la date du naufrage.
La demanderesse fait valoir plusieurs arguments pour réfuter cette thèse. Premièrement, elle soutient que l'alinéa a) devrait s'appliquer uniquement lorsque la demande vise en fait les dommages dus à la pollution; en l'espèce, la demande étant reliée à des mesures purement préventive, le délai de prescription déterminant serait celui prévu à l'alinéa b). Deuxièmement, la demanderesse fait valoir, à toutes les étapes de son argumentation, la règle jurisprudentielle bien établie selon laquelle les délais de prescription doivent être interprétés restrictivement et les tribunaux doivent, en particulier, être extrêmement réticents à priver un demandeur de sa cause d'action avant même qu'elle prenne naissance et lorsqu'il n'aurait pas pu, en raison des circonstances, exercer son recours dans le délai imparti; c'est le cas en l'espèce, puisque le droit d'action conféré à la demanderesse par le paragraphe 677(1) n'existait même pas au moment auquel il est devenu prescrit selon les défendeurs. On désigne parfois une application plus particulière de la règle générale de l'interprétation stricte des délais de prescription comme la règle de la "possibilité de découverte": la prescription ne court pas contre un demandeur tant qu'il n'a pas ou qu'il ne devrait pas avoir eu connaissance de l'existence d'une réclamation. La demanderesse prétend donc qu'il faut tenir compte de ces règles pour déterminer ce qu'on entend par "l'événement" qui marque le point de départ du délai de prescription prévu par l'alinéa b ). La présomption invoquée par les défendeurs selon laquelle le législateur doit être tenu pour s'exprimer de façon uniforme est à la fois faible et réfutable. C'est particulièrement le cas lorsque l'éventail des sens qu'il est possible d'attribuer à un terme est étendu; c'est le cas du terme "événement". Lorsque la demande vise des mesures purement préventives, ce terme doit s'entendre de la prise de ces mesures ou, au plus tôt, du moment auquel la demanderesse a eu des motifs raisonnables de croire que des dommages par pollution se produiraient vraisemblablement en l'absence de telles mesures. À partir des faits soumis à la Cour, on prétend que la date possible la plus ancienne serait le mois de décembre 1992 et que le délai de six ans établi par l'alinéa b ) n'était donc pas expiré au moment de l'introduction de l'action.
À prime abord, je crois sans l'ombre d'un doute que l'interprétation du paragraphe 677(10) proposée par les défendeurs est juste. Il y a eu dommages par pollution au moment du naufrage en 1970. Le paragraphe (10) ne vise pas une demande fondée sur des dommages par pollution, mais les "actions fondées sur la responsabilité décrite au paragraphe (1)". Le paragraphe (1) traite des demandes relatives aux dommages par pollution et aux mesures préventives. L'alinéa a ) s'applique. Toutefois, même si l'alinéa b) s'appliquait, l'utilisation à deux reprises du terme "événement", dans des dispositions voisines à l'intérieur du même paragraphe (en fait, dans la même phrase) commande qu'un seul et même sens lui soit attribué. Ce terme ne peut s'entendre que d'un événement qui a causé ou qui causera vraisemblablement des dommages par pollution. Il aurait été incorrect, sur le plan de la grammaire et de la logique, de placer devant la deuxième occurrence du terme événement les mots "cet" ou "un tel", car il en aurait résulté de la confusion entre les événements qui ont causé des dommages par pollution et ceux qui étaient simplement susceptibles d'en causer.
Il ne faut toutefois pas s'arrêter au sens apparent du paragraphe 677(10) proprement dit. Je retiens la prétention de la demanderesse selon laquelle les dispositions établissant un délai de prescription doivent recevoir une interprétation stricte. Je partage aussi sans réserve la réticence souvent exprimée par les tribunaux à étouffer une action avant qu'elle prenne naissance en concluant qu'elle était prescrite avant même que la cause d'action existe ou que le demandeur en prenne connaissance. Par conséquent, j'estime nécessaire d'examiner le contexte plus large de la partie XVI, d'en étudier l'historique, le contexte et le but, d'apprécier les conséquences des différentes interprétations proposées en regard de la politique qui les sous-tend et de considérer les outils d'interprétation admissibles et accessibles.
Commençons par l'historique. Avant le mois de juin 1971, au Canada, comme dans la plupart des autres pays du monde, aucune disposition législative en vigueur ne régissait la responsabilité et l'indemnisation relatives à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires. Par la suite, de nouvelles dispositions formant la partie XX (devenue plus tard la partie XV et aujourd'hui abrogée) de la Loi sur la marine marchande du Canada ont été édictées. Il n'est pas nécessaire d'examiner ces dispositions en détail, mais soulignons que le Canada s'est ainsi écarté de façon importante, sur le plan de la politique, de la décision prise dans la Convention internationale sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, 29 novembre, 1969 [[1989] R.T. Can. no 46] (la Convention sur la responsabilité civile) et la Convention sur le Fonds de 1971) Compte tenu de cette divergence sur le plan de la politique, le Canada n'a pas adhéré à ces conventions et a fait cavalier seul pendant environ 18 ans. À la fin des années 1980, on devait toutefois constater que le régime canadien, en dépit et peut-être en raison du fait qu'il était considérablement plus sévère quant aux exigences imposées aux propriétaires de navires et aux expéditeurs, connaissait des difficultés dont l'une, et non la moindre, était l'impossibilité pour les propriétaires des navires et des cargaisons d'obtenir une police d'assurance sur le marché de l'assurance maritime internationale. Le Canada, compte tenu de ses activités sur la scène maritime et commerciale internationale, a dû emboîter le pas. En 1989, il a donc adhéré aux deux conventions, qu'il a mises en œuvre le 24 avril 1989, en édictant la partie XVI.
La partie XVI ne se limite cependant pas à la simple adoption des deux conventions par le Canada. Le régime canadien de responsabilité civile et d'indemnisation est compatible avec le régime international, mais il va plus loin à certains égards importants. Il s'applique à tous les navires, et non seulement aux navires-citernes qui transportent du pétrole en vrac (les navires soumis à l'application de la Convention); sa définition des hydrocarbures est plus large. Mais ce qui est plus important, la Caisse d'indemnisation a été constituée pour offrir une deuxième solution de rechange lorsque le recours aux assureurs des propriétaires et au Fonds international est insuffisant ou impossible.
En l'espèce, les dispositions les plus importantes des Conventions, par rapport à celles de la partie XVI, sont les suivantes:
Convention sur la responsabilité civile
Article I
Au sens de la présente Convention:
[. . .]
3. "Propriétaire" signifie la personne ou les personnes au nom de laquelle ou desquelles le navire est immatriculé ou, à défaut d'immatriculation, la personne ou les personnes dont le navire est la propriété. Toutefois, dans le cas de navires qui sont propriété d'un État et exploités par une compagnie qui, dans cet État, est enregistrée comme étant l'exploitant des navires, l'expression "propriétaire" désigne cette compagnie.
[. . .]
5. "Hydrocarbures" signifie tous hydrocarbures persistants, notamment le pétrole brut, le fuel-oil, l'huile diesel lourde, l'huile de graissage et l'huile de baleine, qu'ils soient transportés à bord d'un navire en tant que cargaison ou dans les soutes de ce navire.
6. "Dommage par pollution" signifie toute perte ou tout dommage extérieur au navire transportant des hydrocarbures causé par une contamination résultant d'une fuite ou de rejet d'hydrocarbures, où que se produise cette fuite ou ce rejet, et comprend le coût des mesures de sauvegarde et toute perte ou tout dommage causés par lesdites mesures.
7. "Mesures de sauvegarde" signifie toutes mesures raisonnables prises par toute personne après la survenance d'un événement pour prévenir ou limiter la pollution.
8. "Événement" signifie tout fait ou tout ensemble de faits ayant la même origine et dont résulte une pollution.
[. . .]
Article III
1. Le propriétaire du navire au moment d'un événement, ou, si l'événement consiste en une succession de faits, au moment du premier fait, est responsable de tout dommage par pollution qui résulte d'une fuite ou de rejets d'hydrocarbures de son navire à la suite de l'événement, sauf dans les cas prévus aux paragraphes 2 et 3 du présent article.
2. Le propriétaire n'est pas responsable s'il prouve que le dommage par pollution
a) résulte d'un acte de guerre, d'hostilités, d'une guerre civile, d'une insurrection, ou d'un phénomène naturel de caractère exceptionnel, inévitable et irrésistible, ou
b) résulte en totalité du fait qu'un tiers a délibérément agi ou omis d'agir dans l'intention de causer un dommage, ou
c) résulte en totalité de la négligence ou d'une autre action préjudiciable d'un gouvernement ou autre autorité responsable de l'entretien des feux ou autres aides à la navigation dans l'exercice de cette fonction.
3. Si le propriétaire prouve que le dommage par pollution résulte en totalité ou en partie, soit du fait que la personne qui l'a subi a agi ou omis d'agir dans l'intention de causer un dommage, soit de la négligence de cette personne, le propriétaire peut être exonéré de tout ou partie de sa responsabilité envers ladite personne.
4. Aucune demande de réparation de dommage par pollution ne peut être formée contre le propriétaire autrement que sur la base de la présente Convention. Aucune demande en indemnisation du chef de pollution, qu'elle soit ou non fondée sur la présente Convention, ne peut être introduite contre les préposés ou mandataires du propriétaire.
5. Aucune disposition de la présente Convention ne porte atteinte aux droits de recours du propriétaire contre les tiers.
[. . .]
Article VIII
Les droits à indemnisation prévus par la présente Convention s'éteignent à défaut d'action en justice intentée en application des dispositions de celle-ci dans les trois ans à compter de la date où le dommage est survenu. Néanmoins, aucune action en justice ne peut être intentée après un délai de six ans, à compter de la date où s'est produit l'événement ayant occasionné le dommage. Lorsque cet énévement s'est produit en plusieurs étapes, le délai de six ans court à dater de la première de ces étapes.
Convention sur le Fonds international
Article 1er
Au sens de la présente Convention,
[. . .]
2. Les termes "navire", "personne", "propriétaire", "hydrocarbures", "dommage par pollution", "mesure de sauvegarde", "événement", et "Organisation", s'interprètent conformément à l'article 1er de la Convention sur la responsabilité, étant toutefois entendu que chaque fois que ces termes se rapportent à la notion d'hydrocarbures, le terme "hydrocarbures" désigne exclusivement des hydrocarbures minéraux persistants.
[. . .]
9. Lorsqu'un événement consiste en une succession de faits, on considère qu'il est survenu à la date du premier de ces faits.
[. . .]
Article 6
1. Les droits à indemnisation prévus par l'article 4 et à la prise en charge financière visée à l'article 5 s'éteignent à défaut d'action en justice intentée en application des dispositions de ces articles, ou de notification faite conformément à l'article 7, paragraphe 6, dans les trois ans qui suivent la date à laquelle le dommage est survenu. Néanmoins, aucune action en justice ne peut être intentée après un délai de six ans à compter de la date à laquelle s'est produit l'événement ayant causé le dommage.
2. Nonobstant les dispositions du paragraphe précédent, le droit du propriétaire ou de son garant de présenter au Fonds une demande de prise en charge financière conformément à l'article 5, paragraphe 1, ne s'éteint en aucun cas avant l'expiration d'un délai de six mois à compter de la date à laquelle le propriétaire ou son garant a eu connaissance d'une action formée contre lui en vertu de la Convention sur la responsabilité.
Ces dispositions ne contiennent aucun élément susceptible de modifier mon opinion provisoire sur l'interprétation juste du paragraphe 677(10). Au contraire, il me semble, dans la mesure où cette disposition pourrait être considérée comme ambiguë, l'examen des dispositions plus détaillées des conventions lève cette ambiguïté. En particulier, une comparaison de la définition du terme "incident/événement" avec le terme "occurrence/événement" révèle clairement au-delà de tout doute le sens de ce dernier terme. Le même terme est utilisé dans la version française des deux textes, et il est inconcevable qu'on ait voulu lui donner un sens différent en anglais seulement. De plus, le fait que les deux régimes, soit le régime international et le régime canadien, prévoient le recours à des fonds qui risquent de devoir être distribués proportionnellement en cas d'insuffisance offre une explication convaincante aux délais de prescription relativement courts; il serait imprudent pour les personnes responsables de l'administration des deux fonds d'effectuer des paiements si de nouvelles demandes excédant les montants disponibles pouvaient être faites; elles devraient attendre d'avoir la certitude qu'aucune demande de ce type ne pourra être faite.
J'ai déjà examiné le contexte immédiat du terme "événement" figurant au paragraphe 677(10). Si l'on étend notre examen au contexte général de l'article 677 dans son ensemble, on obtient le même résultat: dans chaque cas, la seule signification rationnelle qui peut être attribuée à ce terme est celle d'un événement qui cause ou qui pourrait vraisemblablement causer des dommages par pollution. Et si l'on examine, au-delà de l'article 677, l'ensemble de la partie XVI, le résultat obtenu ne diffère guère: les avocats de la Caisse d'indemnisation disent avoir trouvé 27 utilisations de ce terme et, dans tous les cas (à l'exception peut-être du paragraphe 710(5) dans lequel ce terme paraît avoir été utilisé à tort), il a nécessairement le sens proposé par les défendeurs.
Quant aux conséquences des interprétations contraires proposées, il est vrai que le sens prôné par les défendeurs aurait pour effet de rendre l'action de la demanderesse irrecevable avant même qu'elle ait pris naissance, mais certains éléments doivent être soulignés. Premièrement, le droit d'action de la demanderesse est lui-même d'origine purement législative, de sorte que la présomption défavorable à l'application des délais de prescription fixés par une loi a moins de poids. Deuxièmement, le fait que la demanderesse n'avait même pas de droit d'action d'origine législative au moment du naufrage du Irving Whale a de l'importance; ce droit d'action n'a pris naissance qu'environ dix mois plus tard, au moment de l'entrée en vigueur de la partie XX. Troisièmement, la partie XX ayant été abrogée le 24 avril 1989 (fait dont la demanderesse avait sûrement connaissance), le droit d'action qu'elle conférait à la demanderesse s'est éteint avant d'avoir été exercé et il a été remplacé par le droit d'action prévu par la partie XVI. Enfin, même en supposant que tous les délais de prescription fixés par la partie XVI aient commencé à courir uniquement au moment de son entrée en vigueur (thèse que la loi ne justifie pas, à mon avis), l'action de la demanderesse serait quand même prescrite, puisqu'elle a été introduite plus de huit ans après sa promulgation. À proprement parler, il est difficile de concevoir comment la demanderesse peut invoquer ses droits en equity alors qu'elle n'a rien perdu d'autre qu'un droit d'action qu'elle n'avait pas au moment du naufrage, qu'elle n'a pas tenté d'exercer au moment où la partie XX était en vigueur et qu'elle n'a exercé sous le régime de la partie XVI que longtemps après l'expiration du délai imparti.
Du point de vue inverse, l'acceptation de la thèse de la demanderesse, selon laquelle le délai devrait commencer à courir à la date à laquelle le ministre a eu ou aurait dû avoir des motifs raisonnables de croire que l'épave pouvait vraisemblablement causer des dommages par pollution, aurait des conséquences réellement incongrues. L'un des buts de l'établissement d'un délai de prescription consiste à conférer une certaine certitude au droit et cela vaut tout particulièrement lorsque, comme en l'espèce, les personnes responsables de deux fonds doivent avoir l'assurance que la liste des créanciers est définitivement arrêtée avant de prélever des paiements proportionnels sur chaque fonds. Si l'interprétation de la demanderesse était retenue, il serait possible de présenter des demandes en recouvrement des frais et dépenses imputables à des mesures préventives pratiquement n'importe quand, des années, des décennies, voire des siècles après l'incident maritime à l'origine du risque de dommages par pollution. Il ne faut pas non plus sous-estimer l'impact de cette interprétation sur la capacité des propriétaires de navires d'obtenir une police d'assurance sur le marché de l'assurance maritime internationale et rappelons que ce problème est précisément l'une des raisons fondamentales pour lesquelles le Canada a décidé d'abandonner son régime antérieur de responsabilité et d'indemnisation établi par la partie XX.
Je conclus donc que, si on l'interprète en tenant compte du contexte plus large que j'ai mentionné, sans oublier les obligations internationales assumées par le Canada en vertu de la Convention sur la responsabilité civile et de la Convention sur le Fonds, ni les choix de politique qui sous-tendent l'édiction de la partie XVI et l'abrogation de l'ancienne partie XX, le libellé du paragraphe 677(10) mène inévitablement à la conclusion que la demande est prescrite.
Toutefois, même si je retenais les prétentions de la demanderesse quant au droit, ce qui n'est pas le cas, je suis convaincu que la preuve produite relativement à la requête est suffisante pour me permettre de conclure, quant aux faits, que le ministre a eu des motifs raisonnables de croire que la barge pouvait vraisemblablement causer des dommages par pollution bien avant le mois de décembre 1992, lorsqu'il a reçu le rapport d'expert sur lequel il s'appuie aujourd'hui. La preuve établit très clairement qu'immédiatement après le naufrage en 1970, on savait que des hydrocarbures seraient rejetés tôt ou tard et que ce rejet pourrait vraisemblablement causer des dommages par pollution. Les deux principales inconnues étaient le moment où la barge se romprait en raison de la corrosion et de sa détérioration et l'étendue des dommages qui seraient causés par le rejet des hydrocarbures3. La décision de laisser la barge là où elle avait coulé tenait uniquement à un jugement fondé sur une évaluation selon laquelle il était plus dangereux à court terme de tenter de la renflouer que de la laisser là où elle était, à long terme. L'existence de motifs raisonnables suppose toutefois l'application d'une norme objective fondée sur des faits vérifiables objectivement et, bien que l'évaluation du risque par le ministre ait pu changer entre 1970 et 1992, les faits à l'origine de cette évaluation n'ont pas changé. En fait, comme le démontre la preuve, le ministre a pris certaines mesures préventives au cours de ces années, en surveillant constamment le navire et en bloquant les tuyaux de mise à l'air libre et d'autres ouvertures par lesquelles des hydrocarbures étaient rejetés. Si un délai de prescription différent devait s'appliquer à chaque mesure préventive que le ministre décide de prendre, à son entière discrétion, il n'existerait de fait absolument aucun délai de prescription hormis celui qui dépendrait entièrement de la volonté du ministre. Le droit ne saurait admettre pareille solution. La bonne application du principe de la possibilité de découverte des dommages commande en l'espèce que le délai commence à courir au moment où le gouvernement a pris connaissance du fait que l'épave gisait au fond de la mer et que des hydrocarbures s'en étaient écoulés, s'en écoulaient encore et continueraient probablement de s'en écouler. Ce moment se situe en 1970.
La défenderesse J.D. Irving Ltd. est-elle dégagée de toute responsabilité délictuelle?
Par souci de commodité, je reproduis à nouveau l'article 681 de la Loi sur la marine marchande du Canada:
681. (1) La responsabilité du propriétaire d'un navire soumis à l'application de la Convention quant aux questions mentionnées au paragraphe 677(1) est limitée à celle que prévoit la présente partie.
(2) Ne peut être engagée la responsabilité des préposés ou mandataires du propriétaire d'un navire soumis à l'application de la Convention, ou celle des personnes effectuant des opérations de sauvetage avec le consentement du propriétaire, eu égard aux questions mentionnées au paragraphe 677(1).
Il ne fait aucun doute qu'au moment du naufrage, le Irving Whale était un "navire soumis à l'application de la Convention" au sens des définitions énoncées à l'article 673, et que son "propriétaire", toujours au sens de ces définitions, était la défenderesse J.D. Irving Ltd. Compte tenu du texte sans équivoque et de ces deux faits, cette défenderesse demande le rejet de l'action dirigée contre elle, tant en ce qui concerne les moyens d'origine législative que ceux qui procèdent du droit de la responsabilité délictuelle.
Si je me reporte aux éléments qui m'ont été soumis, il subsiste toutefois un doute quant à la question de savoir si le Irving Whale demeure un "navire soumis à l'application de la Convention" et si la défenderesse J.D. Irving Ltd. peut continuer de se prévaloir de l'article 681. Premièrement, la défenderesse laisse entendre qu'elle a abandonné le navire après son naufrage. Aucun élément de preuve n'indique quand et comment cet abandon serait survenu et il est évidemment clair que, le cas échéant, l'abandon ne pouvait avoir d'effet direct sur la responsabilité délictuelle de la défenderesse: on peut renoncer à ses droits, mais on ne peut renoncer à ses obligations. La question de savoir comment la défenderesse peut se prévaloir de l'article 681, édicté expressément en faveur du "propriétaire", tout en affirmant ne plus avoir cette qualité n'est cependant pas claire. Un autre aspect est encore plus problématique, soit celui de la preuve établissant si le Irving Whale a cessé d'être un "navire soumis à l'application de la Convention" au sens de la partie XVI et, le cas échéant, à quel moment. La mention suivante figure sur le certificat d'immatriculation: [traduction ] "Clôture de l'immatriculation le 15 octobre 1970, sauf en ce qui concerne les hypothèques B et C". Si cela signifie que le navire n'était plus immatriculé à compter du 15 octobre 1970, il a également perdu sa qualité de "navire soumis à l'application de la Convention" ce jour-là et son propriétaire, J.D. Irving Ltd., ne pouvait plus se prévaloir de l'article 681.
Les délits de négligence et de nuisance allégués contre les défenderesses peuvent tous les deux être de nature continue. Les omissions commises par négligence et les conditions constitutives d'une nuisance peuvent durer très longtemps. Or, absolument aucune preuve n'établit les délits allégués et le moment précis où ils se seraient produits.
Par conséquent, dans l'état actuel du dossier, je ne suis pas en mesure de tirer des conclusions sur les faits essentiels qui me permettraient de dégager la défenderesse J.D. Irving Ltd. de toute demande fondée sur sa responsabilité délictuelle non visée par le paragraphe 677(1).
La responsabilité des défendeurs autres que J.D. Irving Ltd en vertu de la partie XVI
Compte tenu de ma conclusion portant que l'action introduite sous le régime de la partie XVI est de toute façon prescrite, je ne suis pas vraiment tenu de trancher la question de la responsabilité de ces défendeurs. Toutefois, au cas où il serait décidé que ma conclusion concernant la prescription est erronée, et comme je suis en mesure de tirer les conclusions de fait requises, je me prononcerai.
La responsabilité prévue par la partie XVI se limite au propriétaire du navire. Bien que la portée de la définition du terme "propriétaire" soit étendue dans le cas d'un "navire soumis à la Convention" et qu'elle englobe l'affréteur, la preuve produite en l'espèce établit que l'affrètement coque-nue en faveur de la société Atlantic Towing Ltd. a pris fin sans préavis par application de ses propres modalités lorsque le navire a sombré. La demanderesse n'a pas pu contester cette preuve, ni produire d'autres éléments pour démontrer que des défendeurs autres que J.D. Irving Ltd. pouvaient être propriétaires de la barge. Par conséquent, l'action introduite sous le régime de la partie XVI doit également être rejetée contre eux pour ce motif.
LA REQUÊTE DE LA CAISSE
Does Part XVI have retroactive effect?
Although counsel for the SOPF originally took the position that notwithstanding the apparently clear terms of section 88 of the implementing statute, Part XVI did not have a retroactive effect, he conceded at the hearing that it did have "limited" retroactivity at least to the extent of the statutory limitation periods. In my view, subsection 88(1) does indeed clearly manifest a Parliamentary intent that Part XVI should apply to claims for expenses incurred after the date of its coming into force "regardless of the time of the occurrence that gave rise to the damage, loss, costs or expenses". Taken in their context, those words can only mean that an event (occurrence) which took place prior to April 24, 1989, when Part XVI was not in force may nonetheless produce legal effects and give rise to a claim thereunder after such time. Since the claim against the SOPF arises entirely under the statute and is not dependent upon any external factor such as a treaty, the provision must be given its full force and effect; the presumption against retroactivity is displaced.
Is the claim against the SOPF time-barred?
The limitation period for claims against the SOPF is found in subsection 710(1) of Part XVI. Apart from the time periods involved (two and five years instead of three and six), the relevant words are identical in every respect to the corresponding words in subsection 677(10). I have already found that the latter provision results in the claim against the defendants being timed-barred and the same result must inevitably flow for the claim against the SOPF.
THE MOTION OF THE IOPC FUND
FONDS INTERNATIONAL
La responsabilité éventuelle du Fonds international relativement aux événements survenus avant l'entrée en vigueur de la Convention sur le Fonds
À l'audition de la requête sollicitant un jugement sommaire, l'avocat de la demanderesse a admis dans sa plaidoirie que la responsabilité du Fonds international n'était pas engagée. Il ressort clairement du libellé de l'article 699 que la responsabilité du Fonds international sous le régime de la partie XVI est liée à sa responsabilité en vertu de la Convention sur le Fonds. La Convention sur le Fonds est entrée en vigueur le 16 octobre 1978 et le Canada y a adhéré plus de 10 ans plus tard. Voici l'article 40 de la Convention sur le Fonds:
Article 40
1. La présente Convention entre en vigueur le quatre-vingt-dixième jour après la date à laquelle les conditions suivantes sont remplies:
a) Au moins huit États ont déposé un instrument de ratification, d'acceptation, d'approbation ou d'adhésion auprès du Secrétaire général de l'Organisation, et
b) Le Secrétaire général de l'Organisation a été informé conformément à l'article 39, que les personnes qui seraient tenues, dans ces États, de contribuer au Fonds en application de l'article 10, ont reçu, au cours de l'année civile précédente, au moins 750 millions de tonnes d'hydrocarbures donnant lieu à contribution.
2. Toutefois, la présente Convention ne peut entrer en vigueur avant l'entrée en vigueur de la Convention sur la responsabilité.
3. Pour chacun des États qui ratifient, acceptent, approuvent la Convention ou y adhèrent ultérieurement, elle entre en vigueur le quatre-vingt-dixième jour après le dépôt par cet État de l'instrument approprié. [Soulignement ajouté.]
Rien n'indique dans la Convention sur le Fonds qu'elle doit avoir un effet rétroactif. La présomption d'absence d'effet rétroactif doit donc s'appliquer pleinement. En conséquence, l'aveu fait par l'avocat de la demanderesse, bien que tardif, est conforme à l'état du droit.
La demande dirigée contre le Fonds international est-elle prescrite?
Bien qu'il ne soit pas vraiment nécessaire de trancher cette question, le libellé de la Convention sur le Fonds reproduit plus haut dans le cadre de l'examen de l'interprétation juste du paragraphe 677(10) est sans équivoque. Cette demande est prescrite par application de la Convention.
DISPOSITIF
Une ordonnance sera prononcée afin de:
a) rejeter l'action dirigée contre les défendeurs dans la mesure où elle est fondée sur la partie XVI de la Loi sur la marine marchande du Canada; l'action dirigée contre tous les défendeurs suivra son cours en ce qui a trait aux moyens fondés sur le droit de la responsabilité délictuelle;
b) rejeter la demande dirigée contre la Caisse d'indemnisation, défenderesse par application de la loi, accueillir la demande reconventionnelle formulée par cette dernière et déclarer que les demandes dirigées contre la Caisse d'indemnisation relativement au naufrage du Irving Whale sont prescrites;
c) rejeter la demande dirigée contre le Fonds international, défendeur par application de la loi, et déclarer que le Fonds n'a aucune obligation envers la demanderesse relativement au naufrage du Irving Whale.
LES DÉPENS
Comme l'action contre tous les défendeurs se poursuivra, ceux-ci n'auront droit aux dépens relatifs à la présente requête qu'à la fin de l'instance. Je taxerai néanmoins ces dépens au montant de 4 000 $, plus les débours admissibles.
La Caisse d'indemnisation est pour sa part entièrement libérée de l'action; la demande dirigée contre elle est rejetée, sa demande reconventionnelle est accueillie et un jugement déclaratoire est rendu en sa faveur. Elle a droit à ses dépens relativement à l'action (un seul mémoire de dépens). Je taxe ces dépens au montant de 10 000 $, plus les débours admissibles.
Enfin, en ce qui concerne le Fonds international, il est maintenant clair que la demanderesse n'a jamais eu de droits opposables au Fonds et qu'elle n'aurait pas dû donner avis de l'action au Fonds. La demanderesse a eu amplement l'occasion de réfléchir aux arguments du Fonds, qui lui ont été communiqués dès le début, mais elle a persisté à garder le Fonds engagé dans le litige pour faire valoir éventuellement une demande contre lui. La présentation d'une requête par le Fonds en vue d'obtenir un jugement sommaire n'aurait jamais dû être nécessaire et n'aurait certainement jamais dû être contestée. Selon moi, il convient d'accorder au Fonds des dépens plus élevés que dans les cas habituels. Je taxe donc ces dépens au montant de 17 500 $, plus les débours admissibles.
1 L.R.C. (1985), ch. S-9 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 6, art. 84].
2 L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 6.
3 Voir les questions 34 à 38 du contre-interrogatoire de Hamilton.