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T-2732-97

Gerle Gold Ltd. et SouthernEra Resources Limited (demanderesses)

c.

Golden Rule Resources Ltd. et Inukshuk Capital Ltd. (défenderesses)

Répertorié: Gerle Gold Ltd.c. Golden Rule Resources Ltd.(1re inst.)

Section de première instance, juge Evans"Calgary, 2 février; Toronto, 24 février 1999.

Droit administratifContrôle judiciaireCertiorariContrôle judiciaire de la décision du sous-ministre adjoint (SMA) annulant une décision par laquelle la registraire minière en chef a confirmé un avis de contestation de l'enregistrement de claims miniers au nom de Boyd WarnerAvant de rendre sa décision, le SMA a envoyé une lettre dans laquelle il indiquait que les documents joints constituaient tous les renseignementssur lesquels il s'était fondépour rendre sa décisionIl a conclu dans une lettre ultérieure:Je m'attends à rendre peu après une décision définitive dans cette affaire— — Le SMA a refusé d'autoriser les demanderesses à contre-interroger Warner sur sa déclaration solennelle dans laquelle il avait affirmé qu'il avait enregistré les claims au nom de Golden Rule, niant avoir dit à la registraire minière en chef (RMC) qu'il avait agi au nom de Tyler1) Le SMA n'était pas inhabile pour cause de crainte raisonnable de partialitéIl faut trancher la question de savoir s'il existe une crainte raisonnable de partialité en examinant la situation comme le ferait un observateur raisonnable, raisonnablement au courant des faits pertinents et ayant mûrement réfléchi à la questionIl s'agit de déterminer en l'espèce s'il faut attribuer à un observateur raisonnable la connaissance d'événements survenus après le fait qui peut avoir suscité une crainte raisonnable de partialité, mais avant que la décision ait été rendueIl est erroné d'exclure les faits qui surviennent avant que le décideur ait rendu la décision contestée puisqu'il s'agit de déterminer si le décideur a satisfait à la norme juridique de l'impartialité au moment où la décision a été rendueLorsqu'on les lit ensemble, la première lettre du SMA et celle qu'il a envoyée ultérieurement ne dénotent pas une partialité qui serait cause d'inhabilitéL'emploi des motssa décision définitiveà l'art. 84 donne à penser que le décideur peut rendre une décision non définitive au cours de la révision2) Le refus de donner la possibilité de contre-interroger constitue un manquement à l'obligation d'agir équitablementLe contre-interrogatoire relève du pouvoir discrétionnaire du décideurIl est probablement anormal d'inclure même un droit restreint de contre-interrogatoire dans un processus décisionnel confié à un ministreIl devrait s'agir d'une exception dans les révisions ministériellesLe SMA a indiqué qu'il ne pouvait jamais accéder à une demande de contre-interrogatoireCela permet de penser qu'il a omis à tort d'envisager la possibilité d'exercer son pouvoir discrétionnaireLe SMA a refusé de donner aux demanderesses une occasion équitable de participer de manière effective au processus décisionnel, en particulier si l'on tient compte de l'importance qu'il a attaché à la déclaration solennelle pour rendre cette décision3) Le SMA a commis une erreur de droit en négligeant de motiver convenablement sa décisionL'obligation légale de fournir des motifs inclut celle de tirer des conclusions de fait sur lesquelles la décision est fondée et d'indiquer pourquoi le décideur a rejeté les éléments de preuve les plus importants, y compris des conclusions relatives à la crédibilitéLes citoyens n'ont pas à accepter de confiance que des formules passe-partout indiquant que le SMA a pris en compte la totalité des observations et des pièces documentaires qu'il avait reçues suppléent à une démonstration que le décideur a pris en considération les principaux éléments de preuve soumisLa quantité et la force des éléments de preuve soumis par les demanderesses sont telles qu'elles nécessitent une analyse nettement plus approfondie que celle qu'en a faite le SMA dans ses motifs.

Interprétation des loisRèglement sur l'exploitation minière au CanadaL'art. 49(1) interdit pendant un an au détenteur d'un claim périmé a) de le relocaliser ou d'ydétenir un intérêt de quelque nature que ce soitou b) d'enregistrer le claim au nom d'une sociétécontrôléepar luiGolden Rule a cédé des claims miniers à TylerLes claims de Tyler sont devenus périmés parce qu'elle n'a pas fait les investissements nécessaires dans les travaux d'exploration relatifs aux claimsDix-huit jours plus tard, les claims ont chevauché les anciens claims de Tyler enregistrés au nom de WarnerLes demanderesses, qui voulaient enregistrer les claims chevauchant les claims de Warner, ont déposé des avis de contestation contre les claims de Warner, alléguant que Tyler en était le propriétaire bénéficiaireLa registraire minière en chef (RMC) a confirmé les avisLe sous-ministre adjoint (SMA) a annulé la décision de la RMC pour le motif que Warner détenait des claims en fiducie pour Golden Rule; la société était simplement une sociétécontrôléepar une personne détenant 50 p. 100 des actions, et Tyler ne détenait aucune action de Golden Rule; les motsun intérêt de quelque nature que ce soitsignifient un droit de propriétéDemande de contrôle judiciaire accueillie1) Si Golden Rule est le propriétaire bénéficiaire des claims miniers, il importe peu de savoir si TylercontrôlaitGolden Rule parce que l'art. 49(1)b) interdit seulement au détenteur d'un claim, lorsque ce claim est devenu périmé, defaire enregistrer ce claim ou une partie de claim [. . .] au nom d'une société contrôlée par TylerWarner était le détenteur enregistré des claimsIl ne s'agissait pas d'unesociété contrôlée parTylerL'art. 49(1)a) empêche un ancien détenteur de posséder un intérêt légal ou bénéficiaire à l'égard du claimIl ne signifie pas que lorsqu'un simple mandataire est le détenteur enregistré d'un claim, celui-ci est de ce fait enregistré au nom de la société qui détient la propriété bénéficiaire, même si le propriétaire bénéficiaire peut avoir le droit d'exiger le transfert du titre de propriété légal du claim à son nom2) Les motsun intérêt de quelque nature que ce soitne désignent pas exclusivement un intérêt propriétal reconnu par la loi ou en equityL'art. 49(1) vise à soutenir l'objectif législatif inhérent aux exigences destravaux obligatoires(c.-à-d. les investissements nécessaires dans les travaux d'exploration relatifs aux claims)L'art. 49(1)a) empêche de contourner la règle qui interdit d'accumuler les claims miniers inexplorés à l'exclusion d'autres entités disposées à faire l'investissement nécessaire pour exploiter les claimsSi une interprétation fondée sur l'objet visé amène à conclure qu'un même mot devrait être interprété différemment, la présomption de l'unicité de sens est réfutéeMême s'il est vrai que si le sens des motsun intérêt de quelque nature que ce soitne se limite pas aux intérêts reconnus par la loi ou par l'equity à l'égard d'un bien, il sera difficile de savoir faire la distinction dans la vaste gamme de sens que ces mots peuvent avoir, il ne faut pas que la certitude légale s'acquière au détriment d'une réglementation efficaceLe sens des motsun intérêt de quelque nature que ce soitdoit être appliqué au cas par cas.

Il s'agissait en l'espèce d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle le sous-ministre adjoint (SMA) du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a annulé une décision de la registraire minière en chef (RMC) confirmant un avis de contestation de la part des demanderesses à l'égard de claims miniers enregistrés au nom de Boyd Warner. Golden Rule, le propriétaire de claims miniers localisés dans les Territoires du Nord-Ouest, a cédé les claims MIR et KIM à Tyler Resources Inc. (Tyler). Dix-huit jours après la déchéance automatique du titre de propriété de Tyler conformément à l'alinéa 45(2)a) du Règlement sur l'exploitation minière au Canada parce qu'elle n'avait pas fait les investissements nécessaires qu'exigeait la Loi dans les travaux d'exploration relatifs à ces claims ("travaux obligatoires"), les claims qui chevauchaient les claims périmés"les claims MK-RIM"ont été enregistrés au nom de Boyd Warner. Warner était le détenteur légal des claims, mais il ne détenait aucun intérêt bénéficiaire à l'égard de ces derniers. Les demanderesses ont localisé les claims miniers qui chevauchaient les claims MK-RIM. Toutes deux ont demandé au registraire minier d'enregistrer leurs claims et ont déposé des avis de contestation à l'égard des claims enregistrés au nom de Boyd pour le motif que ces derniers avaient été enregistrés en violation de l'article 49 du Règlement puisque Tyler était le propriétaire bénéficiaire des claims MK-RIM enregistrés au nom de Warner. Le paragraphe 49(1) prévoit que, pendant une année à partir de la date à laquelle un claim devient périmé, l'entité qui détient le claim à l'époque où celui-ci devient périmé ne peut a) "relocaliser le claim ou une partie de ce claim ni y détenir un intérêt de quelque nature que ce soit" ou b) "faire enregistrer ce claim ou une partie de ce claim à son nom ou au nom d'une société contrôlée par [le détenteur]". Au cours d'une conversation téléphonique entre Warner et la RMC, Warner aurait dit qu'il ne détenait aucun intérêt à l'égard des claims miniers MK-RIM puisque ses services avaient été retenus à contrat en vue de jalonner le terrain en question pour Tyler. La RMC a exclu la déclaration de Warner de la preuve et a confirmé la contestation, concluant que Tyler détenait un intérêt bénéficiaire à l'égard des claims MK-RIM contrairement aux affirmations faites en son nom. La RMC a conclu subsidiairement que même si Tyler ne détenait aucun intérêt à l'égard du claim, ce dernier enfreignait les dispositions de l'alinéa 49(1)b ) parce que le propriétaire bénéficiaire, Golden Rule, était une société "contrôlée" par Tyler puisque ceux-ci partageaient les mêmes bureaux et le même numéro de télécopieur, et que la plupart de leurs administrateurs et dirigeants étaient les mêmes. Le SMA a révisé la décision de la RMC en application de l'article 84 qui prévoit que le ministre révise la question, communique au demandeur tout renseignement considéré au cours de la révision et, après un délai de trente jours accordé au demandeur pour réfuter tout renseignement ainsi communiqué, fait part de sa décision définitive, par écrit, au demandeur avec motifs à l'appui. La révision a été effectuée sur la foi des observations écrites et des documents transmis par les parties, y compris sur la foi de la déclaration solennelle dans laquelle M. Warner affirmait avoir localisé et enregistré les claims miniers MK-RIM pour le compte de Golden Rule et niait avoir dit à la RMC qu'il avait agi pour le compte de Tyler quand il avait acquis les claims. Dans une lettre du mois d'août 1997 adressée aux demanderesses, le SMA a dit que les documents joints comprenaient tous les renseignements "sur lesquels je me suis fondé pour rendre ma décision". Cependant, une lettre datée du 2 septembre 1997 se terminait ainsi: "Je m'attends à rendre peu après une décision définitive dans cette affaire". Le SMA a rejeté la demande des demanderesses qui voulaient contre-interroger Warner sur sa déclaration solennelle pour le motif que la demande aurait dû être présentée plus tôt et que, de toute façon, il n'était pas habilité à convoquer des témoins. Le SMA a annulé la décision de la RMC pour trois motifs: 1) Warner détenait les claims MK-RIM en fiducie pour Golden Rule, et non Tyler; 2) une société n'était "contrôlée" par la personne détenant le claim à la date d'échéance de ce dernier que si cette personne détenait plus de 50 p. 100 des actions de la société en question, et comme Tyler ne détenait aucune action de Golden Rule durant la période en cause, cette société n'était pas "contrôlée" par Tyler pour les fins de l'alinéa 49(1)b ); et 3) les mots "un intérêt de quelque nature que ce soit" à l'alinéa 49(1)a ) signifiaient "un droit de propriété", et comme Tyler n'avait aucun intérêt propriétal à l'égard du claim que détenait Warner en fiducie pour Golden Rule, elle n'enfreignait pas cette disposition.

Les points en litige étaient les suivants: 1) la lettre du SMA indiquant que les documents joints constituaient "tous les renseignements sur lesquels je me suis fondé pour rendre ma décision" donne-t-elle lieu à une crainte raisonnable de partialité? 2) le SMA a-t-il manqué à l'obligation d'agir équitablement lorsqu'il a refusé d'autoriser les demanderesses à contre-interroger Warner sur sa déclaration solennelle? 3) les motifs qu'a invoqués le SMA permettent-ils de conclure qu'il s'est acquitté de son obligation légale de "motiver sa décision"?; 4) le SMA a-t-il commis une erreur en concluant que Golden Rule n'avait pas acquis un intérêt bénéficiaire à l'égard des claims MK-RIM en violation de l'alinéa 49(1)b ) parce qu'elle était "contrôlée" par Tyler? et 5) le SMA a-t-il commis une erreur de droit en indiquant que les mots "un intérêt de quelque nature que ce soit" à l'alinéa 49(1)a ) désignent exclusivement un intérêt propriétal reconnu par la loi ou en equity à l'égard du claim ou d'une partie de ce dernier?

Jugement: la demande est accueillie.

1) Le SMA n'était pas inhabile pour cause de crainte raisonnable de partialité. Il faut trancher la question de savoir si des circonstances donnent lieu à une crainte raisonnable de partialité en examinant de quelle façon les considérerait un observateur raisonnable, raisonnablement au courant des faits pertinents et ayant mûrement réfléchi à la question. Le point que soulèvent les faits de l'espèce est celui de savoir s'il faut attribuer à cet observateur raisonnable la connaissance d'événements survenus après le fait qui peut avoir suscité une crainte raisonnable de partialité, mais avant que la décision ait été rendue. Il n'y a en principe aucune raison pour laquelle on ne devrait pas s'attendre à ce que l'observateur raisonnable soit informé par des faits subséquents. Et lorsque ces faits surviennent avant que le décideur ait rendu la décision contestée, ils ne devraient pas être exclus car la question est de savoir si le décideur a satisfait à la norme juridique de l'impartialité au moment où la décision a été rendue. Lorsqu'on les lit ensemble, la première lettre du SMA et celle du 2 septembre 1997 ne dénotent pas une partialité qui serait cause d'inhabilité.

L'argument des demanderesses que l'article 84 ne prévoyait pas que le ministre, ou un délégué, formule une "décision préliminaire" avant la communication de tout nouveau renseignement examiné lors de la révision et la réception des observations des demanderesses à cet égard devrait être rejeté. L'emploi des mots "sa décision définitive" à l'article 84 donne à penser que le décideur a peut-être déjà rendu une décision non définitive au cours de la révision. De plus, dans le contexte institutionnel où s'inscrit cette décision, à savoir celui d'un ministère, il est raisonnable d'interpréter l'obligation incombant au ministre, ou à un délégué, de "réviser la question" comme autorisant implicitement la formation d'une opinion provisoire qui sera vraisemblablement éclairée par l'analyse que fourniront les fonctionnaires du ministère.

2) Le SMA a manqué à l'obligation d'agir équitablement en refusant de permettre le contre-interrogatoire de M. Warner sur sa déclaration solennelle dans le but de vérifier sa crédibilité quant à savoir pour qui il avait agi en acquérant les claims miniers MK-RIM vu la déclaration contradictoire antérieure qu'il avait faite à la RMC. Le contre-interrogatoire relève du pouvoir discrétionnaire du décideur, encore que son degré de latitude à cet égard soit subordonné à l'ensemble des circonstances de l'espèce. La question est de savoir si le contre-interrogatoire est nécessaire pour donner à l'intéressé la possibilité entière et équitable de faire valoir sa cause ou de répliquer aux arguments d'une personne ayant un intérêt contraire. Le fait qu'une instance puisse généralement être menée correctement sur le fondement de documents n'exclut pas en soi la possibilité qu'en certaines circonstances, l'obligation d'agir équitablement exige que l'on permette le contre-interrogatoire d'une personne qui a fourni des preuves par écrit.

Les facteurs suivants ont été pris en compte: (i) un contre-interrogatoire permettrait-il de régler d'une manière plus sûre le point en litige?; (ii) l'importance de la déclaration solennelle pour la décision définitive; (iii) l'importance du préjudice que subiraient les demanderesses à la suite d'une issue négative, mais erronée, de la révision ministérielle; et (iv) les coûts probables pour les autres parties et pour l'intérêt public dans l'application efficace du régime réglementaire. (i) Comme le contre-interrogatoire est un moyen particulièrement efficace d'établir la vérité sur une question de crédibilité, il est rare que des observations écrites constituent un substitut convenable. (ii) La déclaration solennelle de Warner constituait le seul fondement explicitement déterminé de la conclusion du SMA portant que Warner détenait les claims MK-RIM en fiducie pour Golden Rule. (iii) Une décision rendue en vertu de l'article 84 n'est pas susceptible d'appel et la perte des claims que les demanderesses ont probablement surjalonnés peut être fort lourde sur le plan financier. (iv) Le Règlement n'autorise pas la personne qui procède à une révision ministérielle à citer des témoins. Même si l'absence d'un pouvoir coercitif fait peut-être en sorte qu'il est plus difficile de soumettre à un contre-interrogatoire une personne qui a fait une déclaration sous serment ou qui a produit des éléments de preuve sous forme écrite, l'équité requiert peut-être que, s'il est impossible de procéder à un contre-interrogatoire, l'on exclue la déclaration non vérifiée ou qu'on lui accorde fort peu de poids. On pourrait croire qu'il est anormal d'inclure même un droit restreint de contre-interrogatoire dans un processus décisionnel qu'une loi confie à un ministre. Le contre-interrogatoire est fortement associé au processus judiciaire ainsi qu'à d'autres types d'auditions orales d'une nature largement décisionnelle, voire inquisitoire. Il s'intègre nettement moins bien au modèle décisionnel bureaucratique qu'emploient les ministères, un modèle caractérisé par l'établissement du dossier sur lequel sera fondé la décision, la hiérarchie organisationnelle, la délégation et le travail d'équipe. Les problèmes d'ordre pratique qui surgissent dans le cadre d'un contre-interrogatoire indiquent qu'il faudrait considérer celui-ci comme une exception dans les révisions ministérielles. On peut se demander si le SMA savait qu'il avait un pouvoir discrétionnaire à exercer au sujet du contre-interrogatoire de Warner. Le fait qu'il ait dit qu'il n'était pas habilité à délivrer une citation à comparaître indiquait que le SMA croyait qu'il ne pouvait jamais accéder à une demande de contre-interrogatoire. Si telle était son opinion, le SMA a omis à tort d'envisager la possibilité d'exercer son pouvoir discrétionnaire. Si l'on voulait donner aux demanderesses une occasion équitable de participer de manière effective au processus décisionnel, comme le garantit l'obligation d'agir équitablement, on aurait dû leur donner l'occasion de contre-interroger Warner sur sa déclaration solennelle, en particulier en raison de l'importance capitale que lui a attachée le SMA afin de déterminer quel était le propriétaire bénéficiaire des claims MK-RIM.

3) Le SMA a commis une erreur de droit en négligeant de motiver convenablement sa décision. L'obligation légale de fournir des motifs inclut celle de tirer des conclusions de fait sur lesquelles la décision est fondée et d'indiquer pourquoi le décideur a rejeté les éléments les plus importants de la preuve qui se rapportent aux faits cruciaux en litige, y compris, s'il y a lieu, des conclusions relatives à la crédibilité. Les fonctions que remplit cette obligation légale visent notamment à assurer les parties qu'elles ont été "entendues" et que le décideur a compris leurs observations et y a été sensible, que des éléments de preuve importants n'ont pas été négligés, et que la décision n'a pas été prise sur la base d'une considération étrangère à l'affaire. Les citoyens n'ont pas à accepter de confiance que des formules passe-partout indiquant que le SMA a pris en compte la totalité des observations et des pièces documentaires qu'il avait reçues suppléent à une démonstration que le décideur a pris en considération les principaux éléments de preuve produits. La quantité et la force des éléments de preuve soumis par les demanderesses sont telles qu'elles nécessitent une analyse nettement plus approfondie que celle qu'en a faite le SMA dans ses motifs, en particulier parce que la seule preuve qui étaye la conclusion de fait cruciale du SMA est les affirmations des représentants de Golden Rule et de Tyler, les parties intéressées.

4) Si Golden Rule était le propriétaire bénéficiaire des claims miniers MK-RIM, le fait de savoir si Tyler "contrôlait" ou non Golden Rule importait peu parce que l'alinéa 49(1)b ) interdit seulement au détenteur d'un claim, lorsque ce claim est devenu périmé, de "faire enregistrer ce claim ou une partie de claim [. . .] au nom d'une société contrôlée par lui". Pendant toute la période en cause, Warner était le détenteur enregistré des claims et n'était pas une "société contrôlée" par Tyler. L'alinéa 49(1)a ) empêche un ancien détenteur de posséder un intérêt légal ou bénéficiaire à l'égard du claim. Cela ne signifie pas que lorsqu'un simple mandataire est le détenteur enregistré d'un claim, celui-ci est de ce fait enregistré au nom de la société qui détient la propriété bénéficiaire, et ce, même si le propriétaire bénéficiaire peut avoir le droit d'exiger le transfert du titre de propriété légale du claim et de le faire enregistrer à son nom.

5) Le SMA a commis une erreur de droit en assimilant le sens des mots "un intérêt de quelque nature que ce soit" à l'alinéa 49(1)a ) à des droits reconnus par la loi ou par l'equity qu'il est possible de faire valoir devant les tribunaux. L'objectif du paragraphe 49(1) est de soutenir l'objectif législatif inhérent aux exigences des "travaux obligatoires" qui sont le prix à payer pour conserver un claim minier. L'alinéa 49(1)a ) le fait en empêchant de contourner la règle qui interdit d'accumuler des claims miniers inexplorés à l'exclusion d'autres entités qui pourraient être disposées à faire l'investissement nécessaire pour exploiter le potentiel du claim, au profit de l'économie de la région et de l'intérêt supérieur du public. Les sociétés dotées de conseils d'administration à structure mixte et d'équipes de direction communes peuvent éviter assez facilement la dépense qu'occasionnent les fonds d'exploration en remaniant entre eux et leurs mandataires les intérêts légaux et bénéficiaires à l'égard des claims. Le sens qui a été attribué par le SMA aux mots "un intérêt de quelque nature que ce soit" ne favorisait pas cet objectif.

Le Règlement n'indique pas qu'il convient d'attribuer aux mots "un intérêt de quelque nature que ce soit" un sens plus restreint que celui auquel donne lieu une démarche interprétative fondée sur l'objet visé. Lorsqu'une interprétation fondée sur l'objet visé amène à conclure qu'un même mot devrait être interprété différemment selon le contexte dans lequel il est employé, et ce, même au sein de la même loi, la présomption de l'"unicité de sens" est réfutée. Étant donné qu'il ressort du contexte des dispositions dans lesquelles on trouve les mots "un intérêt de quelque nature que ce soit" sont employés veulent dire "intérêts propriétaux", la présomption selon laquelle ils sont destinés à avoir le même sens ailleurs dans le Règlement perd de sa force. Enfin, bien que le besoin de certitude en droit milite en faveur d'une interprétation des mots "un intérêt de quelque nature que ce soit" qui se limite aux intérêts reconnus par la loi ou par l'equity à l'égard d'un bien, la certitude légale ne devrait pas s'acquérir au détriment d'une réglementation efficace. Le sens des mots "un intérêt de quelque nature que ce soit" doit être interprété au cas par cas, en s'appuyant peut-être sur des directives publiées par le ministre, de manière à s'assurer le plus possible que les objectifs sous-jacents du texte législatif ne sont pas minés par des mécanismes commerciaux ou organisationnels imaginatifs, conçus pour amoindrir ou éviter les coûts d'investissement dans des travaux d'exploration prescrits par la loi comme prix à payer pour conserver un claim à l'exclusion d'autres prospecteurs.

lois et règlements

Business Corporations Act, S.A. 1981, ch. B-15.

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, art. 45.21 (édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 16).

Règlement sur l'exploitation minière au Canada, C.R.C., ch. 1516, art. 8(4) (mod. par DORS/97-117, art. 1), 38 (mod. par DORS/79-234, art. 14; 88-9, art. 12), 45(1)b) (mod. par DORS/79-234, art. 17), (2)a), 49, 53 (mod. par DORS/88-9, art. 16), 62(2), (5) (mod., idem, art. 20), 84 (mod., idem, art. 26).

jurisprudence

décisions appliquées:

Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301; (1989), 96 A.R. 241; 57 D.L.R. (4th) 458; [1989] 3 W.W.R. 456; 65 Alta. L.R. (2d) 97; 35 Admin. L.R. 1; 93 N.R. 1; Armstrong c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [1994] 2 C.F. 356; (1994), 24 Admin. L.R. (2d) 1; 73 F.T.R. 81 (1re  inst.).

décisions examinées:

Dupont and MacLeod v. Inglis, Biron and Mann, [1958] R.C.S. 535; (1958), 14 D.L.R. (2d) 417; Parres and Roxmark Mines Ltd., Re (1987), 58 O.R. (2d) 661; 36 D.L.R. (4th) 453; 21 O.A.C. 286 (C. div.); Parres et al. and Baylore Resources Inc. and two other appeals, Re (1987), 58 O.R. (2d) 707; 36 D.L.R. (4th) 603; 21 O.A.C. 291 (C. div.).

décisions citées:

Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623; (1992), 95 Nfld. & P.E.I.R. 271; 4 Admin. L.R. (2d) 121; 134 N.R. 241; Lipkovits c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1983] 2 C.F. 321; (1982), 69 C.P.R. (2d) 105; 45 N.R. 383 (C.A.); MacInnis c. Canada (Procureur général), [1997] 1 C.F. 115; (1996), 139 D.L.R. (4th) 72; 41 Admin. L.R. (2d) 22; 109 C.C.C. (3d) 535; 1 C.R. (5th) 144; 39 C.R.R. (2d) 123 (C.A.); Gray Line of Victoria Ltd. and Chabot et al., Re (1981), 117 D.L.R. (3d) 89; [1981] 2 W.W.R. 636 (C.S. C.-B.); F.A.I. Insurances Ltd. v. Winneke (1982), 151 C.L.R. 342 (H.C. Aust.); Howard c. Établissement Stony Mountain, [1984] 2 C.F. 642; (1985), 19 D.L.R. (4th) 502; 11 Admin. L.R. 63; 19 C.C.C. (3d) 195; 45 C.R. (3d) 242; 17 C.R.R. 5; 57 N.R. 280 (C.A.); Prassad c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560; (1989), 57 D.L.R. (4th) 663; [1989] 3 W.W.R. 289; 36 Admin. L.R. 72; 7 Imm. L.R. (2d) 253; 93 N.R. 81; R. c. Hasselwander, [1993] 2 R.C.S. 398; (1993), 81 C.C.C. (3d) 471; 20 C.R. (4th) 277; 152 N.R. 247; 62 O.A.C. 285; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; (1997), 144 D.L.R. (4th) 1; 71 C.P.R. (3d) 417; 209 N.R. 20.

doctrine

Brown, D. J. M. et J. M. Evans. Judicial Review of Administrative Action in Canada. Toronto: Canvasback Publishing, 1998.

Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Toronto: Butterworths, 1994.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision du sous-ministre adjoint du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien d'annuler une décision par laquelle la registraire minière en chef a confirmé un avis de contestation de la part des demanderesses à l'égard de l'enregistrement de claims miniers. Demande accueillie.

ont comparu:

John J. Marshall, c.r., et Mary E. Comeau pour les demanderesses.

Lianne W. Potter pour les défenderesses.

avocats inscrits au dossier:

Macleod Dixon, Calgary, pour les demanderesses.

Brock & Potter, Vancouver, pour les défenderesses.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Evans:

A.  INTRODUCTION

Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5), par laquelle Gerle Gold Ltd. et SouthernEra Resources Ltd. (Gerle Gold, SouthernEra ou, collectivement, les demanderesses) demandent à la Cour de réviser et d'annuler une décision du sous-ministre adjoint du ministère des Affaires Indiennes et du Nord canadien (le SMA) en date du 20 novembre 1997. Cette décision a été rendue à la suite d'une révision ministérielle annulant une décision par laquelle la registraire minière en chef avait confirmé un avis de contestation de la part des demanderesses à l'égard de claims miniers enregistrés le 24 octobre 1994 au nom de Boyd Warner.

Les demanderesses allèguent qu'il convient d'annuler la décision du SMA pour un certain nombre de raisons: une crainte raisonnable de partialité; le refus de donner aux demanderesses la possibilité de contre-interroger M. Warner sur sa déclaration solennelle, ce qui constitue un manquement à l'obligation d'agir équitablement; le fait d'avoir tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte de la preuve et de n'avoir pas motivé convenablement la décision; enfin, une erreur de droit dans l'interprétation de dispositions pertinentes du Règlement sur l'exploitation minière au Canada, C.R.C., ch. 1516 (modifié) (le Règlement).

Dans la présente demande de contrôle judiciaire, les défenderesses sont Golden Rule Resources Ltd. (Golden Rule), société qui, d'après ce qu'a conclu le SMA, est le détenteur bénéficiaire des claims miniers enregistrés au nom de Boyd Warner, de même qu'Inukshuk Capital Ltd. (Inukshuk), société désireuse d'acheter les claims de Warner. Dans les présents motifs, je ferai référence à ces deux sociétés collectivement en les appelant "les défenderesses".

B.  LES FAITS

En 1993, Golden Rule était le détenteur enregistré de claims miniers qui avaient été localisés (c'est-à-dire délimités au sol) dans les Territoires du Nord-Ouest. Les claims en question, appelés MIR et KIM, étaient situés dans un secteur où l'on avait découvert des cheminées diamantifères. Au mois de mars de la même année, Golden Rule a cédé ces claims à Tyler Resources Inc. (Tyler) en contrepartie de la somme de 1 $.

Le 26 juillet 1994, le registraire minier a informé Tyler qu'elle avait négligé d'exécuter les "travaux obligatoires" qu'exigeait la loi, c'est-à-dire qu'elle n'avait pas fait les investissements nécessaires dans les travaux d'exploration relatifs aux claims au cours des deux années suivant la date d'enregistrement de ces derniers, ainsi que le prescrivait l'article 38 [mod. par DORS/79-234, art. 14; 88-9, art. 12] du Règlement. Étant donné que Tyler n'avait pas déposé auprès du registraire minier un état indiquant que les travaux requis avaient été exécutés dans les 60 jours suivant la date à laquelle elle avait reçu l'avis en vertu de l'alinéa 45(1)b ) [mod. par DORS/79-234, art. 17] du Règlement, les claims MIR et KIM de Tyler sont devenus automatiquement périmés le 26 septembre 1994, conformément aux dispositions de l'alinéa 45(2)a) dudit Règlement.

Aux termes de l'article 49 du Règlement, pendant une année à partir de la date à laquelle un claim devient périmé, l'entité qui détient le claim à l'époque où celui-ci devient périmé ne peut "relocaliser le claim ou une partie de ce claim ni y détenir un intérêt de quelque nature que ce soit" (alinéa 49(1)a )) ou "faire enregistrer ce claim ou une partie de ce claim à son nom ou au nom d'une société contrôlée par [le détenteur]" (alinéa 49(1)b )).

L'objectif qui sous-tend les articles 38, 45 et 49 semble être d'encourager l'exploitation des ressources minières en obligeant les détenteurs de claims à dépenser des fonds dans des travaux d'exploration. Aux termes du paragraphe 38(2) du Règlement, le détenteur doit dépenser 4 $ l'acre dans les deux années suivant la date d'enregistrement du claim, et 2 $ l'acre au cours de chaque année subséquente. C'est donc dire qu'une personne ne peut pas accumuler de claims qui ne font pas l'objet de travaux d'exploration, et empêcher ainsi d'autres personnes de les jalonner et de procéder à des travaux d'exploration.

Pour éviter que l'on contourne cet objectif, l'article 49 du Règlement interdit au détenteur d'un claim périmé de le relocaliser (c'est-à-dire, dans le présent contexte, de procéder à un nouveau jalonnement) ou d'y "détenir un intérêt de quelque nature que ce soit" pendant une année à partir de la date à laquelle le claim devient périmé. Et pour éviter que l'on contourne l'objectif par l'entremise de structures organisationnelles, l'article en question dispose aussi que, durant l'année de préclusion, le claim ne peut être enregistré au nom d'une société "contrôlée" par l'ancien détenteur du claim périmé.

L'article 49 semble également conçu pour protéger le détenteur d'un claim qui a vendu ce dernier moyennant une contrepartie en espèces et un pourcentage des revenus futurs du claim contre le risque d'être dupé par un acheteur qui négligerait d'exécuter les "travaux obligatoires", laisserait le claim devenir périmé et, ensuite, jalonnerait de nouveau le sol et enregistrerait un nouveau claim, sans obligation aucune envers l'ancier détenteur du claim périmé. L'article 49 empêche l'acheteur de procéder pendant un délai d'un an à un nouveau jalonnement du terrain visé par le claim périmé, permettant ainsi à d'autres, dont, bien sûr, le vendeur du claim, de le jalonner de nouveau.

En octobre 1994, des claims ont été enregistrés au nom de Boyd Warner (les claims MK-RIM); ils étaient situés sur une partie du terrain que couvraient auparavant les claims MIR et KIM périmés de Tyler. M. Warner les avait localisés 18 jours après la déchéance du titre de propriété de Tyler. Il est admis que, même si M. Warner était le détenteur légal de ces claims, il ne détenait à l'égard de ces derniers aucun intérêt bénéficiaire. La question au cœur du différend ayant donné lieu au présent litige est de savoir si M. Warner détenait le titre de propriété des claims de MK-RIM en fiducie pour Golden Rule ou pour Tyler. S'il s'agit de Tyler, cela voudrait dire qu'étant donné que cette dernière en serait le propriétaire bénéficiaire, elle détiendrait dans ce cas un intérêt à l'égard d'une partie de son ancien claim. Cela étant contraire à l'article 49 du Règlement, l'enregistrement des claims serait annulable.

En janvier 1995, la demanderesse Gerle Gold a localisé des claims miniers qui chevauchaient les claims MK-RIM. En outre, en mars 1995, la demanderesse SouthernEra a elle aussi localisé des claims miniers qui chevauchaient les claims MK-RIM. Toutes deux ont demandé au registraire minier d'enregistrer leurs claims et ont déposé des avis de contestation à l'égard des claims enregistrés au nom de Boyd Warner, au motif que ces derniers chevauchaient les anciens claims MIR et KIM de Tyler, et qu'étant donné que Tyler était le propriétaire bénéficiaire des claims MK-RIM enregistrés au nom de M. Warner, ces claims avaient été enregistrés en violation de l'article 49 du Règlement.

Le registraire minier a procédé à une enquête sur la contestation conformément à l'article 53 [mod par DORS/88-9, art. 16] du Règlement et, le 8 août 1995, il a remis un rapport aux parties et à la registraire minière en chef. Tout en concluant que Golden Rule avait retenu à contrat les services de M. Warner en vue du rejalonnement des claims, le registraire minier a déclaré aussi que Tyler semblait détenir un intérêt à l'égard des claims MK-RIM et que, comme ces derniers avaient été enregistrés moins d'un mois après la déchéance des anciens claims MIR et KIM de Tyler, cette dernière contrevenait à l'article 49.

Le paragraphe 53(6) du Règlement dispose que, après avoir examiné le rapport du registraire minier et "entendu les parties en cause et étudié les preuves qu'elles ont pu présenter", la registraire minier en chef (la RMC en l'espèce) doit rendre une décision sur le différend et en envoyer une copie aux parties. Des déclarations solennelles et des observations écrites ont été transmises à la RMC, Mme McRobert, pour le compte des demanderesses. Des copies de ces documents ont été envoyées aux parties en cause (y compris M. Warner), mais pas, semble-t-il, à Inukshuk, la société qui envisageait d'acheter de Tyler l'intérêt bénéficiaire de cette dernière à l'égard des claims MK-RIM.

C.  LA DÉCISION DE LA REGISTRAIRE MINIÈRE EN CHEF

N'ayant pas reçu d'observations de Golden Rule, Tyler ou Warner, la RMC leur a demandé par écrit, le 27 mars 1996, de fournir des observations sur les documents déposés au nom des demanderesses, et les a informés que [traduction] "si je n'ai pas reçu une réponse de votre part et vos observations d'ici [au 15 avril 1996] je rendrai ma décision en me fondant sur les renseignements dont je disposerai".

Cette lettre a eu l'effet voulu. Le 9 avril 1996, la RMC a reçu un appel téléphonique de M. Warner au cours duquel celui-ci a déclaré qu'il ne détenait aucun intérêt à l'égard des claims miniers MK-RIM. Selon une note que la RMC a écrite le lendemain de cette conversation, M. Warner a ajouté qu'il ne détenait aucun intérêt puisque ses services avaient été retenus à contrat en vue de jalonner le terrain en question pour Tyler. Dans ses motifs de décision, la RMC a déclaré qu'elle n'avait pas voulu se fier à cette dernière déclaration parce qu'elle n'avait pas été faite par écrit et que les autres parties n'avaient pas eu la possibilité de formuler des observations.

La RMC a également reçu des observations écrites formulées au nom de Golden Rule et de Tyler, indiquant que M. Warner détenait les claims MK-RIM en fiducie pour Golden Rule, et non pour Tyler. Dans une lettre écrite en sa qualité de président de Golden Rule, M. Harper a déclaré [traduction]: "nous les contrôlions [c'est-à-dire les claims] par l'entremise de Golden Rule".

La RMC a jugé inutile de tenir une audition orale, comme Gerle Gold l'avait demandé, et a fondé sa décision sur les observations écrites qu'elle avait reçues des parties. Tout en excluant de la preuve la déclaration de M. Warner selon laquelle il avait été engagé à contrat en vue de jalonner le terrain pour le compte de Tyler, la RMC a confirmé la contestation, annulé les claims MK-RIM enregistrés au nom de M. Warner et autorisé le traitement des claims que les demanderesses avaient jalonnés sur une partie des claims MK-RIM.

La RMC a conclu tout d'abord que, contrairement aux affirmations faites en son nom, Tyler détenait un intérêt bénéficiaire à l'égard des claims MK-RIM. Comme preuve, la RMC a invoqué le fait que Tyler était désignée comme le détenteur des claims MIR et KIM dans le Canadian Mines Hand-book pour 1994-1995 et 1995-1996, où le nom de Golden Rule n'apparaissait pas comme détenteur des claims pertinents. Il était également indiqué dans le rapport annuel de Tyler à ses actionnaires pour 1994 que la société exécutait des travaux de forage sur le terrain MIR en octobre 1994, soit un mois après la déchéance de son claim.

La RMC a aussi fait mention de négociations qui avaient eu lieu au début de 1995 entre Gerle Gold et M. Harper, le président-directeur général de Golden Rule et de Tyler. Dans l'une des lettres écrites par M. Harper sur le papier à en-tête de Handscrablle, société contrôlée par M. Harper et par l'entremise de laquelle celui-ci fournissait ses services à Golden Rule et à Tyler, M. Harper proposait la création d'une nouvelle société qui détiendrait à la fois les claims de Gerle Gold et les claims MK-RIM, et dont Gerle Gold et Tyler posséderaient chacune 50 p. 100 des actions. La RMC a conclu d'après cette lettre que M. Harper négociait manifestement l'intérêt de Tyler à l'égard des claims contestés, et que les négociations ne cadraient pas avec les observations selon lesquelles Tyler n'avait joué aucun rôle dans le secteur depuis la déchéance de ses claims MIR et KIM.

La RMC a conclu, subsidiairement, que même si Tyler ne détenait aucun intérêt à l'égard du claim, elle enfreignait les dispositions de l'alinéa 49(1)b) car le propriétaire bénéficiaire, Golden Rule, était une société "contrôlée" par Tyler. Pour arriver à cette conclusion, la RMC s'est fondée sur le lien [traduction ] "inextricable" entre Golden Rule et Tyler, qui partageaient les mêmes bureaux et le même numéro de télécopieur, et dont la plupart des administrateurs et des dirigeants étaient les mêmes. En outre, dans une observation écrite pour le compte de Golden Rule, M. Harper avait dit: [traduction ] "nous contrôlons" les claims par l'entremise de Golden Rule. Selon la RMC, "nous" voulait dire Tyler.

Comme l'a fait remarquer la RMC dans sa décision, même s'il s'agissait d'entités juridiques distinctes, Golden Rule et Tyler étaient à l'évidence très étroitement liées. Il n'y avait dans chacune que deux administrateurs ou dirigeants qui n'étaient ni administrateurs ni dirigeants de l'autre. M. Harper et M. Lahusen exerçaient, respectivement, les fonctions de président-directeur général et de vice-président des deux sociétés. Chacun des trois administrateurs qui siégeaient aux deux conseils détenait un nombre considérable d'actions de chaque société. Et, comme on peut le lire dans le rapport annuel de Tyler pour 1994, [traduction] "Golden Rule a fourni à Tyler, à des tarifs professionnels, des services de géologie, d'exploration et d'administration".

Par ailleurs, Golden Rule et Tyler sont des sociétés ouvertes bien établies, qui ont émis respectivement pour plus de 15 000 000 et de 20 000 000 d'actions. En outre, à aucun moment visé par le présent litige Tyler n'a détenu des actions de Golden Rule, et Golden Rule n'a pas détenu plus de 11 p. 100 des actions de Tyler.

D.  LA DÉCISION DU SOUS-MINISTRE ADJOINT

Le 28 mai 1996, les défenderesses ont demandé au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien de réviser la décision de la RMC en application de l'article 84 [mod. par DORS/88-9, art. 26] du Règlement, dont les dispositions les plus pertinentes sont les suivantes:

84. [. . .] [le ministre] révise alors la question, communique au demandeur tout renseignement considéré au cours de la révision de la question qui n'est pas du domaine public et qui peut être légalement communiqué et, après un délai de 30 jours accordé au demandeur pour réfuter tout renseignement ainsi communiqué, le ministre fait part de sa décision définitive, par écrit, au demandeur avec motifs à l'appui.

C'est M. Moore, sous-ministre adjoint (SMA) qui, à titre de délégué du ministre, a effectué la révision, sur la foi des observations écrites et des documents transmis par les parties, y compris les commentaires que chacune avait faits sur les observations des autres. En outre, en juin 1996, M. Warner a fait sous serment une déclaration solennelle dans laquelle il affirmait avoir localisé et enregistré les claims miniers MK-RIM pour le compte de Golden Rule, et niait catégoriquement avoir dit à la RMC qu'il agissait pour le compte de Tyler quand il a acquis les claims. En fait, M. Warner a déclaré que dès réception de la décision de la RMC, il avait appelé cette dernière pour dire qu'il n'avait pas jalonné le terrain pour le compte de Tyler et qu'il y avait eu manifestement des erreurs de communication entre eux sur ce point.

Dans sa déclaration solennelle, M. Warner a déclaré aussi qu'au cours de cette conversation, la RMC ne lui avait pas dit qu'elle rendrait une décision sur les avis de contestation des demanderesses. Il a conclu en disant:

[traduction] Si l'on m'avait dit au moment de la conversation téléphonique avec Mme McRobert [la RMC] que ce que je déclarais au cours de cette conversation serait enregistré en tout ou en partie en tant qu'élément de l'enquête menée sur les avis de contestation j'aurais insisté pour que ma position soit exposée par écrit de manière à éviter tout malentendu ou toute appréciation erronée des faits.

Étaient joints à la déclaration solennelle de M. Warner des factures, transmises par sa société à Golden Rule, concernant des frais engagés et des services professionnels fournis en rapport avec des claims miniers, ainsi que des chèques par lesquels Golden Rule avait acquitté ces factures.

Dans une lettre datée du 13 août 1997 et adressée à l'avocat des demanderesses, le SMA a dit qu'il joignait une note de synthèse et d'autres documents que ses collaborateurs avaient établis en rapport avec la révision ministérielle. Et, a-t-il ajouté:

[traduction] Avec la communication de cet ensemble de documents, comme l'exige l'article 84 du Règlement sur l'exploitation minière au Canada, vous disposerez de tous les renseignements sur lesquels je me suis fondé pour rendre ma décision. Vous avez trente jours à compter de la date de la présente lettre pour réfuter les renseignements qui figurent dans cet ensemble de documents. [Non souligné dans l'original.]

Le 12 septembre 1997, l'avocat des demanderesses, Me Marshall, a répondu, dans une longue lettre adressée au SMA, à la lettre d'accompagnement ainsi qu'à la note de synthèse, laquelle était nettement défavorable à la position de ses clientes. Alarmé par le fait que le SMA semblait déjà avoir pris une décision avant que les demanderesses aient eu la possibilité de répliquer à la note de synthèse, l'avocat a dit espérer que le SMA s'était mal exprimé et n'avait pas voulu dire ce qu'il avait clairement indiqué.

L'avocat a critiqué la note de synthèse pour deux raisons. Premièrement, cette dernière ne traitait pas convenablement de la preuve sur laquelle la RMC s'était fondée pour conclure que M. Warner avait acquis les claims pour Tyler. La note était plutôt basée dans une large mesure sur ce que M. Warner avait indiqué dans sa déclaration solennelle, à savoir que lorsqu'il avait acquis les claims MK-RIM, il agissait pour le compte de Golden Rule. La note de synthèse ne faisait pas référence au fait que, selon la RMC, M. Warner lui avait fait antérieurement une déclaration contradictoire sur cet aspect crucial. Compte tenu de cela, l'avocat a demandé de pouvoir contre-interroger M. Warner sur sa déclaration solennelle si le SMA décidait d'admettre celle-ci en preuve et de s'y fier.

L'avocat a critiqué aussi une bonne part de l'analyse juridique contenue dans la note de synthèse, et plus particulièrement les définitions étroites et formalistes qu'on semblait y donner aux mots "un intérêt de quelque nature que ce soit" à l'alinéa 49(1)a ) et "contrôlée" à l'alinéa 49(1)b ). Restreindre la première série de mots à [traduction] "un intérêt propriétal légal ou bénéficiaire" et donner au second le sens de [traduction ] "légalement contrôlée", selon la définition de la Business Corporations Act de l'Alberta [S.A. 1981, ch. B-15], visait selon lui à miner, et non à favoriser les objectifs qui sous-tendent le texte de la loi, c'est-à-dire encourager les travaux d'exploration sur des claims miniers et prévenir l'accumulation de claims inexploités empêchant ainsi d'autres parties d'entreprendre des travaux d'exploration sur le terrain que ces claims couvraient.

En revanche, Me Potter, l'avocate des défenderesses, a laissé entendre que s'il s'agissait là de l'objectif du Règlement, on aurait exigé que des travaux d'exploration soient exécutés avant même qu'il soit possible d'enregistrer un claim minier, plutôt que d'autoriser une personne à laisser un claim inexploré pendant deux ans avant qu'il devienne périmé. Cependant, le fait qu'un texte de loi ne mette pas en œuvre dans toute la mesure possible un objectif déterminé, mais l'équilibre par rapport à d'autres, ne veut pas dire que l'objectif en question ne sous-tende pas la loi. Le Règlement peut être considéré comme mettant en équilibre différentes stratégies de développement des ressources minières: d'une part, permettre d'accueillir des prospecteurs à peu de frais et, d'autre part, obliger les détenteurs de claims à investir des fonds dans des travaux d'exploration en échange de la conservation de leurs claims sur le terrain en question.

Dans les motifs de sa décision du 20 novembre 1997, le SMA a traité d'abord de trois questions préliminaires. Premièrement, contrairement aux observations faites pour le compte des demanderesses, il a conclu, à juste titre selon moi, qu'en procédant à la révision ministérielle visée à l'article 84, son rôle ne se limitait pas à exercer purement une juridiction d'appel. C'est-à-dire qu'il pouvait prendre en considération des éléments de preuve qui n'avaient pas été soumis à la RMC, et recevoir des observations et des preuves nouvelles, à la seule condition qu'avant de rendre sa décision définitive, il communique à la partie demanderesse "tout renseignement considéré au cours de la révision de la question qui n'est pas du domaine public" et qu'il accorde à cette partie un délai de 30 jours pour "réfuter tout renseignement ainsi communiqué". Il a fait remarquer également qu'en raison du caractère de novo de la révision, il n'était pas nécessaire qu'il examine les plaintes des défenderesses au sujet d'une inéquité procédurale dans la façon dont la RMC avait procédé à l'audition de l'affaire.

Deuxièmement, se reportant à la conversation téléphonique entre M. Warner et la RMC, ainsi qu'aux circonstances dans lesquelles celle-ci s'était déroulée, il a dit qu'il ne considérerait pas les déclarations faites à cette occasion comme des éléments de preuve dans le cadre de la révision.

Troisièmement, il a rejeté la demande des avocats des demanderesses qui voulaient contre-interroger M. Warner sur sa déclaration solennelle, ainsi que celle de l'avocat d'une autre société, Monopros Limited, qui souhaitait contre-interroger la RMC et les représentants des défenderesses. Les motifs du SMA semblent être que les avocats des demanderesses auraient dû présenter leur demande plus tôt et que, de toute façon, il n'était pas habilité à convoquer des témoins.

Il a ensuite traité des questions de fond et a basé sur trois motifs sa décision d'annuler la décision de la RMC. Premièrement, il a conclu que M. Warner détenait les claims MK-RIM en fiducie pour Golden Rule, et non Tyler. Cette conclusion reposait presque entièrement sur la déclaration solennelle de M. Warner, ainsi que sur les factures et les chèques qui y étaient joints.

Deuxièmement, il a conclu qu'une société n'était "contrôlée" par la personne détenant le claim à la date d'échéance de ce dernier que si cette personne détenait plus de 50 p. 100 des actions de la société en question. Autrement dit, il a interprété le mot "contrôlée" qui apparaît dans le Règlement comme ayant le sens donné à ce mot dans la Business Corporations Act de l'Alberta et, quant à cela, dans des lois analogues appliquées au sein d'autres administrations au Canada. Comme Tyler ne détenait aucune action de Golden Rule durant la période en cause, cette société n'était pas "contrôlée" par Tyler pour les fins de l'alinéa 49(1)b ).

En outre, le SMA a fait remarquer aussi que cette disposition interdit au détenteur du claim périmé d'enregistrer ce claim, ou une partie de ce dernier, à son nom ou au nom d'une société contrôlée par lui. Étant donné que, dans ce cas-ci, le claim était enregistré au nom de M. Warner et non de Golden Rule, Tyler ne pouvait pas avoir enfreint cette disposition.

Troisièmement, il a conclu que les mots "un intérêt de quelque nature que ce soit", à l'alinéa 49(1)a ), pouvaient avoir toutes sortes de sens, mais que, dans ce contexte-ci, ils signifiaient [traduction] "un droit de propriété". Et comme Tyler n'avait aucun intérêt propriétal à l'égard du claim que détenait M. Warner en fiducie pour Golden Rule, elle n'enfreignait pas cette disposition. Il a fait remarquer aussi que M. Warner n'avait jalonné les claims MK-RIM que 18 jours après l'échéance des claims MIR et KIM de Tyler. Le paragraphe 49(2) du Règlement dispose qu'un terrain antérieurement visé par un claim devenu périmé peut être relocalisé, ou rejalonné, par quiconque le lendemain du premier jour ouvrable qui suit la date de l'échéance. Le SMA en a déduit que [traduction ] "les faits ne sont pas liés et ne font pas partie d'un stratagème visant à transgresser l'article 49 du Règlement sur l'exploitation minière au Canada".

E.  LE CADRE LÉGISLATIF

Je me suis reporté à certaines dispositions du Règlement, et je ferai référence à d'autres plus loin dans les présents motifs. Cependant, il est nécessaire de citer intégralement que le texte des dispositions qui sont au cœur de la présente demande de contrôle judiciaire et dont l'interprétation a été vivement contestée.

Règlement sur l'exploitation minière au Canada, C.R.C., ch. 1516 (modifié):

49. (1) Sous réserve de l'article 50, lorsqu'un claim enregistré devient périmé ou est annulé, le détenteur du claim ne peut

a) relocaliser le claim ou une partie de ce claim ni y détenir un intérêt de quelque nature que ce soit, ni

b) faire enregistrer ce claim ou une partie de ce claim à son nom ou au nom d'une société contrôlée par lui,

pendant une année à partir de la date à laquelle le claim devient périmé ou est annulé.

(2) Sauf dispositions contraires du présent règlement, lorsqu'un claim enregistré devient périmé ou est annulé, le claim ou toute partie de ce claim peut être relocalisé en vertu du présent règlement après midi le lendemain du premier jour ouvrable qui suit la date de cette déchéance ou annulation.

[. . .]

84. Quiconque est mécontent d'une ordonnance, décision, directive ou autre action prise ou omise en vertu du présent règlement par le registraire minier en chef, le registraire minier, le chef ou l'ingénieur des mines peut, dans les 30 jours suivant la mesure ou l'omission en question, en appeler au ministre, par écrit, pour lui demander de réviser la question, et celui-ci révise alors la question, communique au demandeur tout renseignement considéré au cours de la révision de la question qui n'est pas du domaine public et qui peut être légalement communiqué et, après un délai de 30 jours accordé au demandeur pour réfuter tout renseignement ainsi communiqué, le ministre fait part de sa décision définitive, par écrit, au demandeur avec motifs à l'appui.

F.  POINTS EN LITIGE ET ANALYSE

Comme je l'ai déjà mentionné, les demanderesses contestent la décision du SMA pour cause d'inéquité procédurale et d'erreur de droit. Plutôt que d'exposer en bloc tous les points qui sont en litige, je vais les relever et les analyser un à la fois, dans l'ordre où les avocats des demanderesses les ont présentés dans leur plaidoirie.

Point no 1:

La lettre du SMA datée du 13 août 1997, où il est indiqué que les documents joints constituent [traduction] "tous les renseignements sur lesquels je me suis fondé pour rendre ma décision" [non souligné dans l'original], donne-t-elle lieu à une crainte raisonnable de partialité et rend-elle donc le SMA inhabile à rendre la décision?

clientes aient reçu copie de la note de synthèse et exercé leur droit de réplique. En outre, ont-ils fait remarquer, le SMA n'a pas répondu à la préoccupation exprimée dans une lettre de Me Marshall au sujet de ce jugement manifestement anticipé. Les avocats ont également souligné que les motifs de la "décision définitive" du SMA reposaient dans une large mesure sur la note de synthèse et ne traitaient pas des points de fond soulevés par les demanderesses dans leur réfutation.

Au vu de ces faits, ont fait valoir les avocats, une personne raisonnable conclurait que le SMA avait pris sa décision avant que les demanderesses aient exercé leur droit de présenter d'autres observations, suscitant ainsi une crainte raisonnable de partialité. Les demanderesses ont également soutenu que la norme d'impartialité qui s'applique en l'espèce se situe à l'extrémité supérieure de la gamme évoquée par le juge Cory dans l'arrêt Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, à la page 638. La décision que devait rendre le SMA en vertu de l'article 84 était de nature judiciaire, en ce sens qu'il s'agissait d'une détermination définitive des droits juridiques des parties, qu'il fallait rendre en fonction des preuves relatives à la conduite des parties et à leurs opérations, ainsi que de l'interprétation de normes juridiques objectives et de leur application aux faits. C'est-à-dire que la décision du SMA n'était ni une étape préliminaire du processus décisionnel, ni fondée sur un objectif particulier.

L'avocate des demanderesses, Me Potter, a répondu de deux façons à cet argument. Premièrement, a-t-elle dit, ce que le SMA avait déclaré dans sa lettre du 13 août 1997 devait être lu de pair avec sa lettre du 2 septembre 1997, adressée elle aussi à Me Marshall et qui se terminait par la phrase suivante: [traduction] "Je m'attends à rendre peu après une décision définitive dans cette affaire". Par "peu après" le SMA voulait clairement dire "après l'expiration du délai de 30 jours qu'avaient les demanderesses pour réfuter les renseignements que le SMA leur avait fournis".

Deuxièmement, a-t-elle fait valoir, il ressort clairement du texte de l'article 84 ainsi que des lettres du SMA que ce dernier peut, au cours de la révision de l'affaire et avant d'envoyer les renseignements non encore communiqués, rendre une décision provisoire ou préliminaire en attendant d'avoir reçu la réfutation des parties demanderesses. Et c'est ce que le SMA a dû faire en l'espèce. S'il a parlé de "la décision" qu'il avait rendue, il faut comprendre qu'il s'agissait d'une décision provisoire, car, sans cela, il aurait été illogique d'informer les demanderesses qu'elles avaient 30 jours pour répondre.

En ce qui concerne le premier point soulevé par Me Potter, il importe de rappeler qu'il faut trancher la question de savoir si des circonstances donnent lieu à une crainte raisonnable de partialité en examinant de quelle façon les considérerait un observateur raisonnable, raisonnablement au courant des faits pertinents et ayant mûrement réfléchi à la question. Le point que soulèvent les faits de l'espèce est celui de savoir s'il faut attribuer à cet observateur raisonnable la connaissance d'événements survenus après le fait qui peut avoir suscité une crainte raisonnable de partialité, mais avant que la décision ait été rendue.

À mon avis, il n'y a en principe aucune raison pour laquelle on ne devrait pas s'attendre à ce que l'observateur raisonnable soit informé par des faits subséquents. Et lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, ces faits surviennent avant que le décideur ait rendu la décision contestée, il serait certainement erroné de les exclure car la question importante est de savoir si le décideur a satisfait à la norme juridique de l'impartialité au moment où la décision a été rendue.

Selon moi, lorsqu'on les lit ensemble, les deux lettres du SMA ne dénotent pas une partialité qui serait cause d'inhabilité. Je ne crois pas non plus que le fait que le SMA n'ait pas répondu à la lettre du 13 août de Me Marshall change grand chose à la situation. En outre, vu le contexte institutionnel dans lequel devrait être menée la révision ministérielle, il m'est impossible de donner une connotation défavorable au fait que les motifs du SMA s'inspiraient dans une large mesure du texte et de l'analyse de la note de synthèse que le personnel du Ministère avait préparée.

La réponse de Me Comeau au second point que Me Potter a soulevé était que l'article 84 ne prévoyait tout simplement pas que le ministre, ou un délégué, formule une "décision préliminaire" avant la communication de tout nouveau renseignement examiné lors de la révision et la réception des observations des demanderesses à cet égard. En l'absence d'autorisation légale pour cette étape du processus, le SMA ne pouvait justifier sa conduite en s'y reportant.

Cet argument ne m'apparaît pas convaincant. Premièrement, l'emploi des mots "sa décision définitive" [non souligné dans l'original] à l'article 84 donne à penser que le décideur a peut-être déjà rendu une décision non définitive au cours de la révision. C'est là, me semble-t-il, une interprétation plus naturelle que celle que suggère Me Marshall, à savoir que la "décision définitive" ne donne pas lieu à un autre droit d'appel.

Deuxièmement, dans le contexte institutionnel où s'inscrit cette décision, à savoir celui d'un ministère, il est sûrement raisonnable d'interpréter l'obligation incombant au ministre, ou à un délégué, de "réviser la question" comme autorisant implicitement la formation d'une opinion provisoire qui sera vraisemblablement éclairée par l'analyse que fourniront les fonctionnaires du ministère.

L'arrêt Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301, constitue une analogie utile à l'appui de ce dernier point. Dans cet arrêt, on a conclu que le président de la Commission n'était pas inhabile pour cause de partialité à procéder à une instruction décisionnelle des plaintes déposées contre l'appelant du fait qu'il avait auparavant pris part à une enquête non officielle sur les activités de l'appelant. Même si la loi habilitante ne conférait pas expressément le pouvoir de mener une telle enquête, la Cour l'a sous-entendu en examinant la nature de la Commission ainsi que l'application effective du texte réglementaire. De ce fait, la Cour a conclu qu'étant donné que la loi autorisait implicitement ce genre de participation préalable du président à l'affaire, toute crainte de partialité que suscitait la conduite de ce dernier ne le rendait pas inhabile à participer à l'étape décisionnelle du processus administratif.

Je conclus donc que les demanderesses n'ont pas établi que le SMA était inhabile pour cause de crainte raisonnable de partialité.

Point no 2:

Le SMA a-t-il manqué à l'obligation d'agir équitablement lorsqu'il a rejeté la demande des avocats des demanderesses de contre-interroger M. Boyd Warner sur sa déclaration solennelle?

En l'absence de dispositions procédurales légales sur la question, l'obligation d'agir équitablement n'exige pas toujours que l'on accorde aux personnes qui courent le risque d'être touchées négativement par une décision administrative la possibilité de contre-interroger ceux qui ont fourni des éléments de preuves au décideur. Le contre-interrogatoire relève plutôt du pouvoir discrétionnaire de ce dernier, encore que son degré de latitude à cet égard soit subordonné à l'ensemble des circonstances de l'espèce: voir, par exemple, Lipkovits c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1983] 2 C.F. 321 (C.A.), à la page 331.

La question est de savoir s'il était nécessaire de procéder à un contre-interrogatoire pour donner à l'intéressé la possibilité entière et équitable de faire valoir sa cause, ou de répliquer aux arguments d'une personne ayant un intérêt contraire. Une variation sur ce thème consiste à se demander si les avantages qu'offre le contre-interrogatoire pour ce qui est d'aider le décideur à parvenir à un résultat exact, et d'éviter ainsi de causer un préjudice à l'intéressé et au public en rendant une décision erronée, cèdent devant les coûts découlant, par exemple, d'une formalisation excessive du processus ainsi que des délais en cause: voir l'arrêt MacInnis c. Canada (Procureur général), [1997] 1 C.F. 115 (C.A.), aux pages 126 et 127.

Il est pertinent aussi de signaler que l'article 84 ne prévoit pas que le processus de révision ministérielle se déroule dans le cadre d'une audition orale. De fait, en l'espèce, il n'y a pas eu d'audition de ce genre, et l'affaire a été réglée sur le fondement des observations écrites et des déclarations solennelles. La question de savoir s'il est possible de procéder à un contre-interrogatoire ne se pose, bien sûr, que dans le contexte d'une audition orale. Toutefois, cela n'exclut pas forcément que, même dans le contexte d'une instruction dite "sur papier", l'équité puisse parfois exiger qu'un participant soit autorisé à contre-interroger une personne particulière sur une question déterminée parce que, sans cela, on le priverait d'une possibilité équitable de faire un exposé convaincant sur cette question, ou au sujet de la preuve de cette personne.

La question s'est posée dans l'affaire Armstrong c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [1994] 2 C.F. 356 (1re inst.), où la requérante contestait l'équité procédurale d'une instance devant la Commission de licenciement et de rétrogradation de la GRC, au motif qu'on lui avait refusé la permission de contre-interroger un témoin qui avait fourni des preuves écrites à la Commission. Le juge Rothstein (tel était alors son titre) a conclu que la procédure prévue par la loi permettait que les instances devant le Conseil soient fondées sur une "instruction sur papier". Il a néanmoins conclu ce qui suit (à la page 369):

[. . .] la commission risquerait fort de contrevenir aux règles de justice naturelle si elle refusait d'accorder cette permission au membre qui est en mesure de démontrer la nécessité de contredire le contenu d'un document et qui propose de le faire au moyen d'un contre-interrogatoire.

Cependant, les faits examinés dans Armstrong peuvent être distingués, à deux égards importants, de ceux dont il est question en l'espèce. Premièrement, le juge Rothstein a trouvé un fondement législatif au droit de convoquer l'auteur d'un document à un contre-interrogatoire dans une disposition de la loi portant qu'un agent peut, avec la permission de la Commission, assigner des témoins. Deuxièmement, bien que le juge Rothstein n'en ait pas fait mention, la Commission était également habilitée par la loi à assigner des témoins: Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, article 45.21 [édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 16].

Néanmoins, l'arrêt Armstrong fait autorité, selon moi, pour ce qui est de la thèse voulant que le fait qu'une instance puisse généralement être menée correctement sur le fondement de documents n'exclut pas en soi la possibilité qu'en certaines circonstances l'obligation d'agir équitablement exige que l'on permette le contre-interrogatoire d'une personne qui a fourni des preuves par écrit.

Je me suis posé les questions suivantes en cherchant à savoir si le SMA avait manqué à l'obligation d'agir équitablement en refusant d'accéder à la demande de Me Marshall de contre-interroger M. Warner sur sa déclaration solennelle. Premièrement, y avait-il une chance que le point en litige soit réglé de manière plus sûre si l'on autorisait un contre-interrogatoire? En l'espèce, le sujet de préoccupation particulier était la déclaration solennelle dans laquelle M. Warner affirmait qu'en acquérant et en enregistrant à son nom les claims miniers MK-RIM, il agissait pour Golden Rule, et non pour Tyler. Les avocats souhaitaient mettre à l'épreuve la crédibilité de M. Warner sur cet aspect au vu de la déclaration contradictoire antérieure que, d'après la RMC, il lui avait faite lors de la conversation téléphonique qu'ils avaient eue avant qu'elle rende sa décision.

À mon avis, comme le contre-interrogatoire est un moyen particulièrement efficace d'établir la vérité sur une question de crédibilité de cette nature, il est rare que des observations écrites constituent un substitut convenable. Contrairement à l'argument de Me Potter, le fait que la conversation entre M. Warner et la RMC était irrégulière d'un point de vue procédural n'annule pas le fait que M. Warner aurait dit à un agent public digne de foi qu'il avait jalonné les claims pour le compte de Tyler. Certes, on ne saurait dire que les demanderesses tentent d'une certaine façon de tirer avantage d'une irrégularité dont elles sont responsables de quelque manière.

Deuxièmement, quelle était l'importance, pour la décision définitive, de l'élément de preuve sur lequel les demanderesses ont tenté d'obtenir un contre-interrogatoire? La déclaration que M. Warner a faite sous serment en vue de la révision ministérielle s'est avérée être d'une importance capitale pour la décision du SMA. Comme je l'ai déjà fait remarquer, l'affirmation qu'y fait M. Warner, c'est-à-dire qu'il travaillait à contrat pour Golden Rule, ainsi que les chèques et les factures qui y étaient joints, constituaient le seul fondement explicitement déterminé de la conclusion du SMA portant que M. Warner détenait les claims MK-RIM en fiducie pour Golden Rule et non pour Tyler.

Troisièmement, quelle est l'importance du préjudice que subiraient vraisemblablement les demanderesses à la suite d'une issue négative, mais erronée, de la révision ministérielle? Une décision rendue en vertu de l'article 84 n'est pas susceptible d'appel, et la perte des claims que les demanderesses ont "surjalonnés" sur les claims MK-RIM peut être fort lourde sur le plan financier.

Quatrièmement, quels seraient les coûts probables, pour les autres parties et pour l'intérêt public dans l'application efficace du régime créé par le Règlement sur l'exploitation minière au Canada si l'on autorisait les demanderesses à contre-interroger M. Warner? À l'évidence, il est hautement souhaitable d'éviter d'imposer des procédures qui, vraisemblablement, retarderont inutilement la conduite d'une révision ministérielle. L'affaire dont il est question en l'espèce a été l'objet d'une révision ministérielle qui a duré 18 mois, et qui remonte aux avis de contestation déposés par les demanderesses à l'encontre des claims MK-RIM en juin 1995. En revanche, on ne m'a pas fait sentir non plus qu'il y avait urgence.

Dans ses motifs, le SMA fait remarquer que les demanderesses, qui sont représentées depuis le début par des avocats compétents et chevronnés, auraient pu et dû solliciter un contre-interrogatoire dès qu'elles ont pris connaissance de la déclaration solennelle de M. Warner, et ce commentaire a un poids considérable. Au lieu de cela, comme l'a fait remarquer Me Potter, la démarche initiale des demanderesses à l'égard de la limitation des dommages a consisté à tenter de faire exclure la déclaration solennelle du cadre de la révision ministérielle et à en amoindrir la valeur probante. Ce n'est qu'après avoir appris que le SMA avait admis en preuve ladite déclaration et que la note de synthèse y attachait manifestement un poids considérable que les demanderesses ont opéré un changement tactique et fait valoir que la déclaration solennelle était à ce point importante pour la décision qu'elle justifiait la tenue d'un contre-interrogatoire.

Me Potter a également soutenu que le contre-interrogatoire pourrait ne pas se limiter à M. Warner. Des demandes ont été faites aussi en vue de contre-interroger la RMC, ainsi que les représentants de Golden Rule et de Tyler. Chaque demande pourrait être contestée, et qu'elle soit accueillie ou non en fin de compte, cela prolongerait forcément tout le processus.

C'est à ce stade-ci que je me dois aussi d'examiner si le contexte"pour employer un mot délibérément vague"dans lequel peut être exercé le pouvoir décisionnel que confère l'article 84 dénote qu'un contre-interrogatoire n'est habituellement pas approprié. Trois questions m'apparaissent pertinentes en l'espèce.

Premièrement, on associe généralement un contre-interrogatoire au processus accusatoire, encore qu'on s'en serve aussi, bien sûr, dans les commissions d'enquête, et il n'est pas sûr, d'après la jurisprudence, si la révision ministérielle doit être considérée comme un litige opposant des parties. En revanche, dans l'arrêt Dupont and MacLeod v. Inglis, Biron and Mann, [1958] R.C.S. 535, aux pages 544 et 545, le juge Rand a dit que les différends qui concernent les jalonnements miniers opposent la Couronne et le titulaire de permis, et non les titulaires de permis rivaux. Cependant, dans Parres and Roxmark Mines Ltd., Re (1987), 58 O.R. (2d) 661 (C. div.), aux pages 666 et 667 et Re Parres et al. and Baylore Resources Inc. and two other appeals (1987), 58 O.R. (2d) 707 (C. div.), aux pages 710 et 711, on a conclu que les différends qui opposent des actionnaires constituent des litiges entre des parties.

Pour les besoins des présents motifs, il n'est pas nécessaire que je décide si ces décisions s'appliquent en l'espèce car, selon moi, il suffit que les demanderesses et les défenderesses aient bel et bien un intérêt opposé dans cette affaire. En outre, pour déterminer si l'équité procédurale exige que l'on donne à une personne la possibilité de procéder à un contre-interrogatoire, j'attache davantage d'importance à des facteurs autres que la caractérisation conceptuelle du processus décisionnel dans lequel la question est soulevée, comme la nature de la question litigieuse pour laquelle on tente d'obtenir un contre-interrogatoire, et l'importance de la preuve contestée pour la décision définitive.

Deuxièmement, comme l'a fait remarquer le SMA dans ses motifs, le Règlement n'autorise pas la personne qui procède à une révision ministérielle à citer des témoins. L'absence de ce pouvoir, indique-t-il, dénote que le rédacteur n'a pas envisagé que le contre-interrogatoire fasse partie du processus de révision. Certes, l'absence d'un pouvoir coercitif fait peut-être en sorte qu'il est plus difficile de soumettre à un contre-interrogatoire une personnne qui a fait une déclaration sous serment ou qui a produit des éléments de preuve sous forme écrite. Cependant, comme l'a fait remarquer Me Marshall, l'équité requiert peut-être que, s'il est impossible de procéder à un contre-interrogatoire, l'on exclue la déclaration non vérifiée ou qu'on lui accorde fort peu de poids. Subsidiairement, si la personne a refusé de répondre à des questions pertinentes, il faudrait alors que le décideur en tienne compte au moment d'évaluer la preuve ou de décider si celle-ci était suffisamment digne de foi pour que l'on puisse s'y fier.

Bien sûr, cela ne veut pas dire qu'il est toujours contraire à l'obligation d'agir équitablement qu'un décideur accueille des éléments de preuve qui n'ont pas fait l'objet d'un contre-interrogatoire ou qu'il s'y fie. Loin de là. Cependant, une abondante jurisprudence étaye la thèse voulant qu'un décideur commet peut-être une entorse à l'obligation d'agir équitablement lorsqu'il fonde une décision essentiellement sur du ouï-dire ou sur d'autres preuves qui ne peuvent faire l'objet d'un contre-interrogatoire véritable ou, comme c'est le cas en l'espèce, de quelque nature que ce soit, surtout lorsqu'il existe des preuves importantes qui mènent à la conclusion contraire: voir Brown et Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (Canvasback Publishing, Toronto, 1998), aux paragraphes 10:5420 et 10:6200.

Troisièmement, on pourrait croire qu'il est anormal d'inclure même un droit restreint de contre-interrogatoire dans un processus décisionnel qu'une loi confie à un ministre. Le contre-interrogatoire est fortement associé au processus judiciaire ainsi qu'à d'autres types d'auditions orales d'une nature largement décisionnelle, voire inquisitoire. Il s'intègre nettement moins bien au modèle décisionnel bureaucratique qu'emploient les ministères, un modèle caractérisé par l'établissement du dossier sur lequel sera fondée la décision, la hiérarchie organisationnelle, la délégation et le travail d'équipe.

Ainsi, on ne sait pas si le contre-interrogatoire du déclarant se ferait en présence du ministre ou du décideur délégué, ou d'un autre fonctionnaire du ministère dont le compte rendu écrit serait versé au dossier pour que le ministre ou le décideur désigné l'examine. Le contre-interrogatoire pourrait aussi se dérouler en l'absence de tout fonctionnaire du ministère, et l'on en verserait simplement une transcription au dossier.

À mon avis, ces questions ne sont pas déterminantes. Les problèmes d'ordre pratique qui surgissent inévitablement chaque fois qu'on introduit une technique procédurale dans un processus décisionnel où elle n'a pas été utilisée antérieurement ne sont pas insurmontables, comme l'ont fait remarquer les tribunaux au moment de greffer l'obligation d'agir équitablement à certains exercices de pouvoirs d'origine législative par des cabinets: voir, par exemple, Re Gray Line of Victoria Ltd. and Chabot et al. (1981), 117 D.L.R. (3d) 89 (C.S.C.-B.); F.A.I. Insurances Ltd. v. Winneke (1982), 151 C.L.R. 342 (H.C. Aust.). Quoi qu'il en soit, je suis effectivement d'avis que ces facteurs institutionnels et procéduraux indiquent qu'il faudrait considérer le contre-interrogatoire comme une exception, et non la règle, dans les révisions ministérielles.

Cela m'amène à la tâche ardue de trouver un juste équilibre entre des considérations opposées qui, inévitablement, déterminent la teneur de l'obligation d'agir équitablement dans n'importe quelle situation donnée. Comme je l'ai signalé, lorsqu'il n'existe aucune disposition législative sur le sujet, et que la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] n'est pas mise en cause, la question de savoir s'il est permis de procéder à un contre-interrogatoire relève, en premier lieu, de la discrétion du décideur, à qui doit incomber au premier chef la responsabilité de régler des questions d'ordre procédural: Howard c. Établissement Stony Mountain, [1984] 2 C.F. 642 (C.A.); Prassad c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560.

Il va sans dire que l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire est sujet au contrôle judiciaire pour les motifs habituels: le défaut illicite de l'exercer, l'exercice qui repose sur des questions non pertinentes ou qui a fait abstraction des questions qu'il était nécessaire de prendre en compte, ou encore qui a si mal évalué les facteurs pertinents que le résultat obtenu est manifestement inéquitable.

Si je me fie aux motifs sur lesquels s'appuie sa décision, je me demande si le SMA savait qu'il avait un pouvoir discrétionnaire à exercer au sujet du contre-interrogatoire de M. Warner. D'une part, il a fondé son refus sur la tardiveté de la demande de contre-interrogatoire, ce qui donne donc à penser qu'il a bel et bien considéré que la question relevait de son pouvoir discrétionnaire. D'autre part, il a fait remarquer aussi qu'il n'était pas habilité à délivrer une citation à comparaître à l'endroit d'une personne que l'on voulait contre-interroger. Cela indique que le SMA croyait qu'il ne pouvait jamais accéder à une demande de contre-interrogatoire. Si telle était son opinion, je suis d'avis que le SMA a omis à tort d'envisager la possibilité d'exercer son pouvoir discrétionnaire.

Par ailleurs, étant donné que le SMA n'a pas eu le bénéfice d'observations détaillées sur la question, et que les motifs qu'il a invoqués pour rejeter la demande étaient laconiques et, en partie, d'une exactitude douteuse en droit, je ne suis pas disposé à faire preuve d'une grande déférence à l'égard de sa décision sur la question. Il me faut donc décider par moi-même si, eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce, le SMA a manqué à l'obligation d'agir équitablement en refusant un contre-interrogatoire. Il ne conviendrait pas, selon moi, de renvoyer cette seule question au SMA pour nouvel examen.

J'ai conclu que si l'on voulait donner aux demanderesses une occasion équitable de participer de manière effective au processus décisionnel, comme le garantit l'obligation d'agir équitablement, on aurait dû leur donner l'occasion de contre-interroger M. Warner sur sa déclaration solennelle. Comme je l'ai déjà signalé, un contre-interrogatoire est généralement considéré comme un instrument particulièrement puissant pour vérifier la crédibilité, surtout lorsqu'il y a lieu de croire que l'intéressé a tenu antérieurement des propos incompatibles. En fait, la démarche manifestement non critique qu'a adoptée le SMA vis-à-vis de la déclaration solennelle de M. Warner (qui, comme l'ont fait remarquer les avocats, n'est pas dénuée d'autres lacunes) indique que des observations écrites n'étaient pas un substitut convenable à un contre-interrogatoire pour ce qui était d'obtenir la vérité. L'importance capitale qu'attache le SMA à la déclaration solennelle afin de déterminer si le propriétaire bénéficiaire des claims MK-RIM était Golden Rule ou Tyler milite aussi fortement en faveur de l'autorisation du contre-interrogatoire de M. Warner sur cette déclaration.

Les délais sont, bien sûr, toujours préoccupants, encore que, vu le temps qu'a déjà pris ce litige, je ne crois pas que le délai supplémentaire qui pourrait s'avérer nécessaire pour le "mener à bien" soit d'une importance capitale. J'ajouterais aussi qu'étant donné que toutes les parties sont représentées par avocats, le fait d'exiger un contre-interrogatoire n'avantagerait ou ne désavantagerait pas indûment l'une ou l'autre partie, ou n'introduirait pas dans le processus un élément déraisonnablement contradictoire ou officiel.

Quant à la possibilité que d'autres demandes de contre-interrogatoire soient formulées, il faudra qu'elles soient évaluées au fond. La prise de mesures proactives par la personne qui procède à la révision pour cerner les questions soumises au contre-interrogatoire, de même que l'établissement d'un calendrier d'exécution strict, devraient éviter de prolonger indûment le processus. Selon moi, il n'y a pas lieu de douter que, malgré l'antagonisme qui s'est apparemment développé entre les parties à mesure que le litige se prolongeait, le bon sens et un peu d'ingéniosité de la part de tous les intéressés, y compris le ministre et ses fonctionnaires supérieurs, permettront de surmonter avantageusement tout problème opérationnel que pourrait occasionner l'introduction, dans un processus décisionnel auparavant bureaucratique, de possibilités restreintes de contre-interrogatoire.

Comme je suis convaincu que le SMA a manqué à l'obligation d'agir équitablement en refusant de permettre aux avocats des demanderesses de contre-interroger M. Warner sur sa déclaration solennelle dans le but de vérifier sa crédibilité et d'évaluer l'importance à accorder aux autres éléments que contient cette déclaration, il n'est pas strictement nécessaire que j'examine les autres motifs de contrôle au sujet desquels des arguments m'ont été soumis. Toutefois, au cas où je me serais trompé sur cette question, et étant donné que les avocats ont minutieusement analysés ces motifs, je vais exprimer mon point de vue sur ces derniers.

Point no 3:

Les motifs qu'a invoqués le SMA permettent-ils de conclure qu'il s'est acquitté de son obligation légale de "motiver la décision"?

Au dire des demanderesses, le SMA a commis une erreur de droit en omettant, dans ses motifs de décision, de traiter et d'évaluer explicitement la preuve documentaire qu'elles avaient soumise afin d'établir que Tyler, et non Golden Rule, était le détenteur bénéficiaire des claims MK-RIM. Cette erreur pourrait être décrite de deux manières.

Premièrement, on pourrait dire que le SMA a enfreint l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale en fondant sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait. L'argument serait le suivant: le SMA a commis une erreur de fait en inférant de la preuve que M. Warner avait signé un contrat avec Golden Rule pour jalonner les claims et qu'il détenait de ce fait l'intérêt bénéficiaire.

En outre, il peut être inféré de l'omission du SMA de traiter des éléments de preuve menant à la conclusion contraire que ce dernier a tiré sa conclusion de fait sans tenir compte des éléments dont il disposait. Subsidiairement, la preuve qui étaye la conclusion est peut-être si mince, et la preuve contraire si prépondérante, que l'on pourrait dire que cette conclusion a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont disposait le décideur.

Deuxièmement, il a aussi été invoqué que les motifs avancés par le SMA ne permettaient pas à ce dernier de s'acquitter de son obligation légale de motiver sa décision parce qu'ils n'expliquaient pas pourquoi la preuve d'une personne avait été jugée digne de foi, contrairement à celle d'autres personnes, et que le SMA n'avait pas analysé une grande quantité de preuves documentaires que la RMC avait jugées "convaincantes". D'où l'erreur de droit commise par le SMA, ce qui constitue un motif de contrôle selon l'alinéa 18.1(4)c ) de la Loi sur la Cour fédérale.

À mon avis, la manière la moins complexe d'aborder cette question est d'examiner si les motifs du SMA étaient suffisants en droit pour lui permettre de s'acquitter de l'obligation légale de fournir des "motifs" avec la décision; dans la négative, le SMA aura commis une erreur de droit.

Aucun tribunal administratif n'est tenu de traiter dans ses motifs de tous les points ou faits contestés, ni d'expliquer pourquoi il a rejeté"ou admis"tous les éléments de preuve qui lui ont été soumis. Cependant, l'obligation légale de fournir des motifs inclut bel et bien celle de tirer des conclusions de fait sur laquelle la décision est fondée et d'indiquer pourquoi le décideur a rejeté les éléments les plus importants qui se rapportent aux faits cruciaux en litige, y compris, s'il y a lieu, des conclusions relatives à la crédibilité: voir Brown et Evans, op. cit., aux paragraphes 12:5212 et 12:5310.

Il est impossible de formuler avec quelque précision la mesure dans laquelle la preuve exigée d'un décideur soumis à une obligation légale de fournir des motifs doit être traitée de manière détaillée et exhaustive. Comme c'est si souvent le cas en droit administratif, bien des choses dépendent des circonstances de l'affaire.

Si des formules verbales générales aident quelque peu à déterminer la teneur de l'obligation de motiver sa décision, il est possible d'en obtenir une indication plus sûre en examinant les fonctions que remplit cette obligation légale. Celles-ci visent notamment à assurer les parties qu'elles ont bel et bien été "entendues" et que le décideur a compris leurs observations et y a été sensible, que des éléments de preuve importants n'ont pas été négligés, et que la décision n'a pas été prise sur la base d'une considération étrangère à l'affaire.

En l'espèce, la conclusion de fait primordiale était la conclusion du SMA que M. Warner avait jalonné, et enregistré à son nom, les claims MK-RIM à la demande et pour le compte de Golden Rule, et que cette dernière"et non Tyler"était donc le propriétaire bénéficiaire des claims. Le SMA a fondé très largement cette conclusion sur les affirmations en ce sens que M. Warner avait faites dans sa déclaration solennelle, de même que sur les factures et les chèques qu'il y avait joints et montrant que Golden Rule avait effectué des paiements à lui ou à sa société à l'égard de frais engagés et d'honoraires de services professionnels fournis en rapport avec des claims miniers.

Dans le même paragraphe, le SMA a ajouté que [traduction] "les documents dont j'ai été saisi" ne montrent l'existence d'aucun lien contractuel entre M. Warner et Tyler, et que [traduction ] "les documents indiquent de manière très convaincante l'existence d'un lien contractuel entre M. Warner et Golden Rule". Je ne suis pas tout à fait sûr si, par "les documents", le SMA voulait dire la déclaration solennelle et les pièces qui y étaient jointes, ou l'ensemble de la preuve documentaire qui lui avait été soumise. Compte tenu du contexte dans lequel s'inscrit le paragraphe en question, je penche en faveur de la première interprétation.

Les seules autres références que fait le SMA à la preuve figurent au début et à la fin des motifs de sa décision, qui, sinon, est axée bien davantage sur l'interprétation des alinéas 49(1)a) et b).

Le texte qui suit figure au début des motifs du SMA:

[traduction] L'ensemble des lettres, arguments juridiques, réfutations, observations, documents et dispositions législatives pertinentes qui se rapportent à la question de l'annulation des claims susmentionnés ont été transmis à toutes les parties intéressés. Aucune d'elles n'a contesté la chronologie des faits. Il s'agit là des faits sur lesquels repose ma décision.

Au vu du contenu de cette chronologie, les propos qui précèdent signifient, selon moi, que le SMA a pris en compte la totalité des observations et des pièces documentaires qu'il avait reçues.

À mon avis toutefois, il est peu probable que les parties trouvent très rassurantes les garanties générales de cette nature, et je leur accorde peu de poids pour ce qui est de déterminer si les motifs du SMA sont suffisants en droit pour qu'il s'acquitte de son obligation légale. Je m'empresse d'ajouter que ce n'est pas parce que j'entretiens un doute quelconque à propos de l'intégrité du décideur, mais simplement parce que les citoyens n'ont pas à accepter de confiance que des formules passe-partout de ce genre suppléent à une démonstration que le décideur a bel et bien pris en considération les principaux éléments de preuve soumis.

À la fin de ses motifs, le SMA traite de nouveau de la preuve en déclarant que, comme l'ensemble de cette dernière se présente sous forme documentaire, il est aussi bien placé que la RMC pour l'interpréter. Il ajoute que la RMC a interprété "les documents" (et il entend clairement par là tous les éléments documentaires de l'affaire) pour conclure qu'il y avait eu infraction à l'article 49, tandis qu'en ce qui le concerne [traduction ] "[s]on interprétation des documents est différente".

Selon moi, la pertinence de l'analyse que le SMA a faite de la preuve soumise par les demanderesses dépend dans une large mesure des déclarations que j'ai exposées au paragraphe qui précède, ainsi que de la force de cette preuve. C'est la raison pour laquelle tant Me Marshall que Me Potter m'ont soigneusement exposé la preuve, qui, selon Me Marshal, comportait des aveux de Tyler qu'elle était le propriétaire bénéficiaire des claims MK-RIM, et qui, d'après Me Potter, était [traduction] "soumis à interprétation", ambigus et simplement circonstanciels.

Point n'est besoin de passer en revue cette preuve et de l'évaluer en détail pour les fins des présents motifs. Je dirai toutefois que même si l'on est loin de la série d'aveux non équivoques dont parle Me Marshall, la quantité et la force des éléments de preuve soumis par les demanderesses sont telles qu'elles nécessitent une analyse nettement plus approfondie que celle qu'en fait le SMA dans ses motifs. En effet, si l'on excepte la déclaration solennelle de M. Warner, la seule preuve qui étaye la conclusion de fait cruciale du SMA ce sont les affirmations des représentants de Golden Rule et de Tyler, les parties intéressées.

Je ne crois pas non plus que l'on puisse dispenser le SMA d'avoir à traiter plus explicitement des preuves contradictoires parce que Me Marshall et Me Comeau, qui représentent les demanderesses, et Me Potter, qui représente les défenderesses, ont formulé des observations écrites où ils exposent l'interprétation qu'ils font des documents pertinents. Les demanderesses ont droit, par souci d'équité, à ce qu'on leur dise davantage que simplement: [traduction] "j'ai préféré l'interprétation des défenderesses à la vôtre".

En outre, vu les ressources institutionnelles dont dispose le ministre, ou le décideur désigné, et la rareté relative des révisions effectuées en vertu de l'article 84, on ne saurait sérieusement prétendre qu'exiger des motifs plus détaillés que ceux qui ont été fournis en l'espèce imposerait au décideur un fardeau excessif ou occasionnerait des délais intolérables.

Cela étant dit, je conclus que le SMA a commis une erreur de droit en négligeant de motiver convenablement sa décision.

Les questions d'interprétation législative

Au cas où je me serais trompé dans la conclusion que j'ai tirée sur les questions que j'ai déjà analysées, je traiterai également des prétentions des demanderesses selon lesquelles le SMA a commis une erreur de droit en fondant sa décision sur une interprétation erronée des mots "un intérêt de quelque nature que ce soit", à l'alinéa 49(1)a ), et "contrôlée", à l'alinéa 49(1)b ) du Règlement.

Point no 4:

Le SMA a-t-il commis une erreur en concluant que Golden Rule n'avait pas acquis un intérêt bénéficiaire à l'égard des claims MK-RIM en violation de l'alinéa 49(1)b) parce qu'elle était "contrôlée" par Tyler?

Voilà une question à laquelle il est possible de répondre succinctement. Je souscris à la conclusion du SMA selon laquelle si, comme il l'a conclu, Golden Rule est le propriétaire bénéficiaire des claims miniers MK-RIM, le fait de savoir si Tyler "contrôlait" ou non Golden Rule importe peu pour ce qui est de déterminer si les claims ont été enregistrés en violation de l'alinéa 49(1)b ) du Règlement. En effet, comme l'a fait remarquer le SMA, cettte disposition interdit seulement au détenteur d'un claim, lorsque ce claim est devenu périmé, de "faire enregistrer ce claim ou une partie de claim [. . .] au nom d'une société contrôlée par lui". Pendant toute la période en cause, M. Warner était le détenteur enregistré des claims, et n'était pas une "société contrôlée" par Tyler.

C'est peut-être par mégarde que les rédacteurs du Règlement n'interdisent pas à l'ancien détenteur d'un claim périmé de faire en sorte que la propriété bénéficiaire des claims rejalonnés soit dévolue à une société contrôlée par lui. Toutefois, étant donné que l'alinéa 49(1)a) empêche un ancien détenteur de posséder un intérêt légal ou bénéficiaire à l'égard du claim, je ne suis pas disposé à dire que lorsqu'un simple mandataire est le détenteur enregistré d'un claim, celui-ci est de ce fait enregistré au nom de la société qui détient la propriété bénéficiaire, et ce, même si le propriétaire bénéficiaire peut avoir le droit d'exiger le transfert du titre de propriété légal du claim et de le faire enregistrer à son nom.

Compte tenu de ce que j'ai conclu sur cette question, je n'examinerai pas la question de savoir si le SMA a eu raison en droit de définir le "contrôle" comme étant seulement le contrôle légal d'une société.

Point no 5:

Le SMA a-t-il commis une erreur de droit en indiquant que les mots "un intérêt de quelque nature que ce soit", à l'alinéa 49(1)a ), désignent exclusivement un intérêt propriétal reconnu par la loi ou en equity à l'égard du claim ou d'une partie de ce dernier?

Les avocats m'ont renvoyé à plusieurs sources où l'on traite des démarches générales qu'ont adoptées les tribunaux à l'égard de l'interprétation de la loi. Je tiens à dire au départ que dans la plupart des contextes législatifs, y compris les régimes réglementaires comme celui dont il est question en l'espèce, une démarche fondée sur l'objet visé ou fonctionnelle constitue à l'heure actuelle l'approche dominante en matière d'interprétation législative. C'est-à-dire qu'au moment de faire un choix entre deux interprétations contradictoires d'un mot ou d'une expression, le tribunal doit envisager les conséquences qu'il peut y avoir à opter pour une interprétation plutôt que pour l'autre, et se demander laquelle a le plus de chances de favoriser les objets du texte législatif.

Il convient de tempérer l'approche dite fondée sur l'objet visé ou "pragmatique et fonctionnelle" en interprétant les mots en cause dans le contexte de la loi dans son ensemble, ainsi que des structures grammaticales et syntaxiques, en n'attribuant pas à des mots ou à des expressions des sens qui débordent le cadre de ceux qu'ils ont en général, ainsi qu'en s'assurant que des droits individuels auxquels la loi a toujours accordé une grande importance, même s'ils ne sont pas inclus dans la Charte canadienne des droits et libertés , ne sont pas restreints ou exclus sans qu'il existe des dispositions législatives qui envisagent clairement cette éventualité.

C'est dans ce contexte interprétatif que j'aborde l'alinéa 49(1)a). Selon moi, le SMA était sur la bonne voie lorsqu'il a commencé à formuler comme suit sa réponse à la question de savoir si Tyler détenait "un intérêt de quelque nature que ce soit" à l'égard des claims MK-RIM:

[traduction] Pour répondre à cette question, je dois déterminer ce qui constitue un intérêt de quelque nature que ce soit. Le concept est fort vaste. L'intérêt peut être aussi important que la propriété du claim ou aussi négligeable que l'expression d'un intérêt à l'égard de ce dernier. Le premier tombe certainement sous le coup de l'alinéa 49(1)a), le second manifestement pas. Le problème est de savoir où faire la distinction.

Cependant, sans se reporter au régime réglementaire dont l'alinéa 49(1)a) constitue un élément important, mais après avoir cité le Concise Oxford Dictionary et le Black's Law Dictionary, il a conclu ce qui suit:

[traduction] Dans cette situation de fait, l'interprétation juste du mot "intérêt" est celle qui dénote l'existence d'un droit de propriété. Cela signifie que Tyler a dû détenir un droit reconnu par la loi ou en equity à l'égard des claims miniers, un droit que l'on pourrait faire valoir dans une cour de justice.

À mon avis, c'était une erreur de droit que de limiter de la sorte les mots "un intérêt de quelque nature que ce soit". Je ne vois pas comment le fait de choisir ce sens-là parmi toute la gamme de sens possibles favorise l'objectif du paragraphe 49(1). Ce dernier vise à soutenir l'objectif législatif inhérent aux exigences des "travaux obligatoires", qui sont le prix à payer pour conserver un claim minier. L'alinéa 49(1)a ) le fait en empêchant de contourner la règle qui interdit d'accumuler des claims miniers inexplorés à l'exclusion d'autres entités qui pourraient être disposées à faire l'investissement nécessaire pour exploiter le potentiel, quel qu'il soit, du claim en question, au profit de l'économie de la région et de l'intérêt supérieur du public.

Les sociétés dotées de conseils d'administration à structure mixte et d'équipes de direction communes peuvent éviter assez facilement la dépense qu'occasionnent les fonds d'exploration en remaniant entre eux et leurs mandataires les intérêts légaux et bénéficiaires à l'égard des claims. Une interprétation plus large des mots "un intérêt de quelque nature que ce soit", qui serait éclairée à la fois par l'objectif sous-jacent et les réalités commerciales, contribuerait dans une large mesure à faire disparaître la limite de portée de l'alinéa 49(1)b ) que le SMA a signalée dans ses motifs de décision.

Enfin, il me faut examiner si le texte du Règlement, ou d'autres considérations, indiquent qu'il convient d'attribuer aux mots "un intérêt de quelque nature que ce soit" un sens plus restreint que celui auquel donne lieu une démarche interprétative fondée sur l'objet visé.

Me Potter a fait valoir qu'étant donné que le défaut de se conformer à l'article 49 entraînerait l'annulation d'un claim, c'est-à-dire la perte d'un droit propriétal, il s'agit d'une disposition de nature pénale, et toute ambiguïté quant à son sens devrait donc être tranchée en faveur de l'individu.

La réponse toute simple à cet argument est que l'article 49 n'est pas de nature pénale: ceux qui y contreviennent ne perdent pas leur claim en guise de punition pour s'être conduits de manière répréhensible. L'article 49 fait plutôt partie d'un régime réglementaire conçu pour encourager l'exploitation de ressources minières afin que ces dernières puissent procurer des emplois et ainsi enrichir la région et l'économie canadienne. En outre, comme l'a fait remarquer Me Marshall, même les dispositions législatives de nature pénale sont de nos jours interprétées en tenant compte de leur objet, et ce n'est que dans les cas où cette démarche ne règle pas les ambiguïtés qu'il faut les interpréter de manière restrictive: voir, par exemple, R. c. Hasselwander, [1993] 2 R.C.S. 398, aux pages 411 à 415.

Me Potter a fait valoir aussi qu'il existe une présomption selon laquelle chaque fois qu'on utilise un mot à plus d'un endroit dans la même loi, c'est le même sens qu'il faut lui donner. Elle a attiré mon attention sur l'aspect du mot "intérêt" au paragraphe 8(4) [mod par DORS/97-117, art. 1] et aux paragraphes 62(2) et (5) [mod. par DORS/88-9, art. 20] du Règlement où, dit-elle, il est bien évident qu'il se rapporte à des intérêts propriétaux. En fait, comme ces dispositions sont liées au transfert d'un claim ou d'un intérêt quelconque à l'égard de ce dernier, il est fort possible qu'elle ait raison.

Cependant, cette présomption de l'"unicité de sens" ne l'emporte pas sur toutes les autres considérations. C'est donc dire que lorsqu'une interprétation pragmatique et fonctionnelle, ou fondée sur l'objet visé, amène à conclure qu'un même mot devrait être interprété différemment selon le contexte dans lequel il est employé, et ce, même au sein de la même loi, la présomption de l'"unicité de sens" est certainement réfutée.

En outre, étant donné qu'il ressort clairement du contexte des paragraphes 8(4) et 62(2) et (5) que les mots veulent dire "intérêts propriétaux", la présomption selon laquelle ils sont destinés à avoir le même sens ailleurs dans le Règlement perd nettement de sa force. Voir, de façon générale, l'exposé fait dans Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd. (Butterworths, 1994), aux pages 163 à 168, et surtout 167 et 168.

Enfin, peut-on dire, le besoin de certitude en droit milite en faveur d'une interprétation des mots "un intérêt de quelque nature que ce soit" qui permette aux intéressés de planifier des transactions en sachant précisément quels types d'intérêt les exclura, et non, en vertu de l'alinéa 49(1)a ).

Il est vrai, comme le fait remarquer le SMA dans ses motifs, que si le sens des mots "un intérêt de quelque nature que ce soit" ne se limite pas aux intérêts reconnus par la loi ou par l'equity à l'égard d'un bien, il sera dans ce cas difficile de savoir où faire la distinction dans la vaste gamme de sens que ces mots peuvent avoir raisonnablement. Il s'agit là d'une tâche qu'il convient de laisser principalement au soin des agents administratifs qui réglementent le secteur minier par l'entremise du Règlement sur l'exploitation minière au Canada; le rôle de la cour consiste à s'assurer que les mots ne sont pas mal interprétés, ou appliqués de manière déraisonnable: Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748.

Dans le contexte de ce système, il me semble qu'il ne faut pas que la certitude légale s'acquière au détriment d'une réglementation efficace, et c'est certainement ce qui arriverait si l'on restreignait les mots comme le propose le SMA. Dans une demande de contrôle judiciaire, il ne serait pas fructueux que je tente de définir de manière exhaustive le sens des mots "un intérêt de quelque nature que ce soit". Je peux cependant dire qu'il faut les appliquer au cas par cas, en s'appuyant peut-être sur des directives publiées par le ministre, de manière à s'assurer le plus possible que les objectifs sous-jacents du texte législatif ne sont pas minés par des mécanismes commerciaux ou organisationnels imaginatifs, conçus pour amoindrir ou éviter les coûts d'investissement dans des travaux d'exploration prescrits par la loi comme prix à payer pour conserver un claim à l'exclusion d'autres prospecteurs.

Cela étant dit, je conclus que le SMA a commis une erreur de droit en assimilant le sens des mots "un intérêt de quelque nature que ce soit" à des droits reconnus par la loi ou par l'equity qu'il est possible de faire valoir devant les tribunaux. Les avocats n'ont pas suggéré que j'examine l'interprétation du SMA en fonction d'un critère autre que celui de l'exactitude.

G.  MESURE DE REDRESSEMENT

Les avocats m'ont demandé de fournir, dans la mesure de redressement que j'accorderais, le plus de conseils possibles, sans usurper les attributions et le pouvoir décisionnel conférés à la personne chargée de procéder à la révision prévue à l'article 84.

Compte tenu de ces faits, j'accorde la mesure de redressement qui suit:

i) la décision du sous-ministre adjoint datée du 20 novembre 1997 est annulée, et celle du registraire minier en chef datée du 10 mai 1997 est rétablie, à moins ou jusqu'à ce qu'elle soit annulée à la suite d'une autre révision ministérielle;

nvoyée pour qu'une nouvelle décision soit rendue par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien ou son délégué, à l'exception de M. James Moore, le sous-ministre adjoint qui a procédé à la révision sur laquelle portait la présente demande;

iii) il doit être procéder à la révision et à l'interprétation du Règlement en accord avec les motifs qui étayent ma décision.

Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

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