T-667-99
Pfizer Inc. et Pfizer Canada Inc. (demanderesses)
c.
Sa Majesté la Reine, ministre de la Santé et Apotex Inc. (défenderesses)
et
Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques (intervenante)
Répertorié: Pfizer Inc.c. Canada(1re inst.)
Section de première instance, juge Lemieux"Ottawa, 25 juin et 9 juillet 1999.
Brevets — Durée — La Loi sur les brevets prévoit une période de protection de 17 ans pour les brevets — Les dispositions de l'Accord relatif aux aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent le commerce qui obligent les États membres à accorder une période minimale de protection de 20 ans aux brevets ne s'appliquent pas au Canada parce qu'elles n'ont pas été incorporées en droit interne canadien — En outre, les demanderesses sont irrecevables à introduire l'action parce qu'elles n'ont pas obtenu le consentement du procureur général exigé par les art. 5 et 6 de la Loi de mise en œuvre de l'Accord sur l'Organisation mondiale du commerce — Ces articles ne contreviennent ni à la Déclaration canadienne des droits ni au principe de la primauté du droit parce qu'ils ne constituent pas un refus d'accès aux tribunaux.
Droit international — Mise en œuvre des traités — Les dispositions de la Loi de mise en œuvre de l'Accord sur l'Organisation mondiale du commerce qui déclarent que l'Accord est approuvé (art. 8) et que la Loi a pour objet la mise en œuvre de l'Accord (art. 3) ne sont pas suffisantes pour établir que l'Accord sur l'OMC et les dispositions de l'Accord relatif aux aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent le commerce qui obligent les pays membres à accorder une protection minimale de 20 ans aux brevets ont été incorporés par voie législative au droit interne.
Pfizer Inc. était propriétaire d'un brevet canadien relatif au chlorhydrate de sertraline, brevet qu'elle avait demandé en octobre 1980 et qui lui a été délivré en août 1982. Pfizer Canada Inc. était titulaire au Canada d'une licence exclusive pour ce produit. La protection accordée aux brevets en vertu de l'article 45 de la Loi sur les brevets était de 17 ans à compter de la date de délivrance. Cependant, l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (l'ADPIC), qui est l'un des accords annexés à l'Accord sur l'Organisation mondiale du commerce, oblige les États membres à accorder une période minimale de protection de 20 ans à compter de la date du dépôt de la demande de brevet. Se fondant sur l'ADPIC qui, affirme-t-elle, a été mis en œuvre au Canada aux termes de la Loi de mise en œuvre de l'Accord sur l'Organisation mondiale du commerce (la Loi de mise en œuvre de l'Accord sur l'OMC), Pfizer Inc. sollicite le prononcé d'un jugement déclarant que son brevet n'expirera qu'en octobre 2000 et non en août 1999.
Sa Majesté présente une requête en radiation de la déclaration et en rejet de l'action. Elle invoque trois moyens au soutien de sa requête: les demanderesses sont irrecevables à introduire l'action sans le consentement du procureur général; les dispositions pertinentes n'ont pas été incorporées en droit interne canadien; la Cour n'est pas compétente en l'espèce pour rendre une injonction contre le ministre.
Jugement: la requête doit être accueillie et l'action doit être rejetée.
Pour obtenir gain de cause, les demanderesses devaient établir que l'Accord sur l'OMC, qui est annexé à l'ADPIC (et ses dispositions accordant une protection de 20 ans aux brevets), a été incorporé par voie législative au droit interne par l'adoption de la Loi de mise en œuvre de l'Accord sur l'OMC. Les dispositions de l'article 3 (la présente loi a pour objet la mise en œuvre de l'Accord) et de l'article 8 (l'Accord est approuvé) de la Loi de mise en œuvre de l'Accord sur l'OMC ne sont pas suffisantes pour établir que l'Accord sur l'OMC et l'ADPIC ont été incorporés par voie législative au droit interne. Le législateur fédéral a clairement formulé son intention quant à la façon dont il mettait en œuvre en tout ou en partie l'Accord sur l'OMC et l'ADPIC y annexé: il a donné juridiquement effet aux obligations qu'il avait contractées envers l'OCM en examinant attentivement la nature de ces obligations, en vérifiant l'état de la législation et de la réglementation fédérales existantes et en arrêtant ensuite les modifications précises qui devaient être apportées pour mettre en œuvre l'Accord sur l'OMC. Et comme le législateur fédéral n'a pas modifié les dispositions des articles 44 et 45 de la Loi sur les brevets pour prévoir ce que Pfizer réclame, les dispositions accordant une protection de 20 ans n'ont pas été adoptées et c'est la protection de 17 ans qui continue à s'appliquer. Il fallait modifier la Loi et le législateur ne l'a pas fait. La question de savoir si le législateur fédéral a ainsi manqué à ses obligations internationales n'est pas utile à la solution du présent litige. Pour ce motif, la requête en radiation devait être accueillie et l'action, rejetée.
Obiter. Les demanderesses étaient irrecevables à introduire la présente action aux termes des articles 5 et 6 de la Loi de mise en œuvre de l'Accord sur l'OMC qui exigent le consentement du procureur général. Le jugement déclaratoire que les demanderesses réclament aurait pour effet de faire reconnaître ou d'établir un droit ou une obligation qui découlent exclusivement de l'Accord sur l'OMC. Le législateur fédéral dit simplement aux articles 5 et 6 de la Loi que ces accords commerciaux internationaux sont des questions de droit public qui concernent des droits publics, et non des droits économiques ou commerciaux privés donnant ouverture à des droits d'action et à des poursuites en justice. Ces articles ne suppriment aucun droit privé. Ils n'éteignent aucun droit. Le législateur fédéral se contente de dire que ces droits ne peuvent être exercés. Il existe des mécanismes de règlement des différends et d'exécution des décisions administratives ou arbitrales. Le législateur fédéral ne voulait pas que de simples citoyens puissent, sauf lorsque les circonstances s'y prêtent, entamer des actions privées qui rompraient le rapport de forces convenu en matière de règlement des différends ou qui nuirait à cet équilibre. En ce sens, ces articles ne constituent pas un refus d'accès aux tribunaux. Le principe de la primauté du droit (qui exige que tout acte de l'Administration soit conforme à la Constitution) ne saurait être interprété comme un outil permettant d'invalider les articles 5 et 6 de la Loi de mise en œuvre de l'Accord de l'OMC (Bacon v. Saskatchewan Crop Insurance Corp., [1999] S.J. No. 302 (C.A.) (QL). L'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits ne confère pas le genre de droit substantiel qui est revendiqué en l'espèce.
lois et règlements |
Accord de Marrakech instituant l'Organisation mondiale du commerce, 15 avril 1994, Marrakech, 1867 N.U.R.T. 3, art. XVI(4). |
Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, 30 octobre 1947, [1948] R.T. Can. no 31. |
Accord sur l'agriculture, faisant partie de l'annexe 1A de l'Accord de Marrakech instituant l'Organisation mondiale du commerce, 15 avril 1994, Marrakech, 1867 N.U.R.T. 3, art. 5. |
Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, annexe 1C de l'Accord de Marrakech instituant l'Organisation mondiale du commerce, 15 avril 1994, Marrakech, 1867 N.U.R.T. 3, art. 33, 39(3). |
Accord sur les règles d'origine, faisant partie de l'annexe 1A de l'Accord de Marrakech instituant l'Organisation mondiale du commerce, 15 avril 1994, Marrakech, 1867 N.U.R.T. 3. |
Accord sur les sauvegardes, faisant partie de l'annexe 1A de l'Accord de Marrakech instituant l'Organisation mondiale du commerce, 15 avril 1994, Marrakech, 1867 N.U.R.T. 3., art. 6. |
Accord sur les subventions et les mesures compensatoires, faisant partie de l'annexe 1A de l'Accord de Marrakech instituant l'Organisation mondiale du commerce, 15 avril 1994, Marrakech, 1867 N.U.R.T. 3. |
Accord sur les textiles et les vêtements, faisant partie de l'annexe 1A de l'Accord de Marrakech instituant l'Organisation mondiale du commerce, 15 avril 1994, Marrakech, 1867 N.U.R.T. 3. |
Acte concernant le chemin de fer de l'Île de Vancouver, le bassin de radoub d'Esquimalt, et certaines terres de chemin de fer de la province de la Colombie-Britannique cédées au Canada, S.C. 1884, ch. 6, art. 2, annexe. |
Acte final reprenant les résultats des négociations commerciales multilatérales du Cycle d'Uruguay, faisant partie de l'Accord de Marrakech instituant l'Organisation mondiale du commerce, 15 avril 1994, Marrakech, 1867 N.U.R.T. 3, art. 2a). |
Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III, art. 2e). |
Farm Income Insurance Legislation Amendment Act, 1992 (The), S.S. 1992, ch. 51, art. 13.2(1). |
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.), (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 92. |
Loi de mise en œuvre de l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis, L.C. 1988, ch. 65, art. 5. |
Loi de mise en œuvre de l'Accord de libre-échange nord-américain, L.C. 1993, ch. 44, art. 6. |
Loi de mise en œuvre de l'Accord sur l'Organisation mondiale du commerce, L.C. 1994, ch. 47, préambule, art. 2 "Accord", 3, 5, 6, 8, 75(2), 81(5), 83, 95(1), 103(3), 115, 116, 117, 141, 142, 144(3). |
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18 (mod. par. L.C. 1990, ch. 8, art. 4), 18.1 (édicté, idem, art. 5). |
Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11. |
Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42. |
Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. (1985), ch. F-27. |
Loi sur les banques, L.R.C. (1985), ch. B-1. |
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 2 "pays" (mod. par L.C. 1994, ch. 47, art. 141), 19.1 (mod., idem , art. 142), 44 (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 42), 45 (mod., idem), 55.2(4) (édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4). |
Loi sur les engrais, L.R.C. (1985), ch. F-10. |
Loi sur les licences d'exportation et d'importation, L.R.C. (1985), ch. E-19. |
Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13. |
Loi sur les mesures spéciales d'importation, L.R.C. (1985), ch. S-15. |
Mémorandum d'accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends, annexe 2 de l'Accord de Marrakech instituant l'Organisation mondiale du commerce, 15 avril 1994, Marrakech, 1867 N.U.R.T. 3, art. 22. |
Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, art. 7 (mod. par DORS/98-166, art. 6). |
Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règle 221. |
Tarif des douanes, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 41. |
jurisprudence |
décisions appliquées: |
Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; (1980), 115 D.L.R. (3d) 1; 33 N.R. 304; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959; [1990] 6 W.W.R. 385; 49 B.C.L.R. (2d) 273; 4 C.C.L.T. (2d) 1; 43 C.P.C. (2d) 105; 117 N.R. 321; Re Colombie-Britannique (Procureur général) c. Canada (Procureur général); Acte concernant le chemin de fer de l'Île de Vancouver, [1994] 2 R.C.S. 41; (1994), 114 D.L.R. (4th) 193; [1994] 6 W.W.R. 1; 91 B.C.L.R. (2d) 1; 21 Admin. L.R. (2d) 1; 44 B.C.A.C. 1; 166 N.R. 81; 71 W.A.C. 1; Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217; (1998), 161 D.L.R. (4th) 385; 55 C.R.R. (2d) 1; 228 N.R. 203; Bacon v. Saskatchewan Crop Insurance Corp., [1999] S.J. no 302 (C.A.) (QL). |
décision examinée: |
UL Canada inc. c. Québec (Procureur général), [1999] J.Q. no 1540 (C.S.) (QL) |
décisions mentionnées: |
Waterside Ocean Navigation Co., Inc. c. International Navigation Ltd., [1977] 2 C.F. 257 (1re inst.); Capital Cities Communications Inc. et autre c. Conseil de la Radio-Télévision canadiennes, [1978] 2 R.C.S. 141; (1977), 81 D.L.R. (3d) 609; 36 C.P.R. (2d) 1; 18 N.R. 181; Reference re Weekly Rest in Industrial Undertaking Act, [1937] 1 D.L.R. 673; [1937] 1 W.W.R. 299; [1937] A.C. 326 (C.P.); Orelien c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 592; (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 1; 135 N.R. 50 (C.A.); Duke c. La Reine, [1972] R.C.S. 917; (1972), 28 D.L.R. (3d) 129; 7 C.C.C. (2d) 474; 18 C.R.N.S. 302. |
doctrine |
Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 4th ed. Scarborough, Ont.: Carswell, 1996. |
REQUÊTE en radiation de la déclaration et en rejet de l'action dans laquelle les demanderesses soutenaient que leur brevet (pour lequel la Loi sur les brevets prévoit une protection de 17 ans) avait droit à une protection de 20 ans en vertu de l'Accord sur l'Organisation mondiale du commerce, qui avait été incorporé par voie législative au droit interne par l'adoption de la Loi de mise en œuvre de l'Accord sur l'Organisation mondiale du commerce. La requête est accueillie et l'action est rejetée.
ont comparu: |
Richard G. Dearden et Ronald D. Lunau pour les demanderesses. |
Frederick B. Woyiwada pour les défendeurs Sa Majesté la Reine et le ministre de la Santé. |
Harry B. Radomski et Daniela Bassan pour la défenderesse Apotex. |
Roger Bauman pour l'intervenante, l'Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques. |
avocats inscrits au dossier: |
Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour les demanderesses. |
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs Sa Majesté la Reine et le ministre de la Santé. |
Goodman Phillips & Vineberg, Toronto, pour la défenderesse Apotex Inc. |
Hazzard & Hore, Toronto, pour l'intervenante, l'Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques. |
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
Le juge Lemieux:
INTRODUCTION
[1]La Cour est saisie d'une requête présentée par les défendeurs, Sa Majesté la Reine et le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (les défendeurs), en vertu de la règle 221 des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106], en vue de faire radier une action introduite au moyen d'une déclaration déposée par Pfizer Inc. et Pfizer Canada Inc. (Pfizer).
[2]Pfizer Inc. est propriétaire du brevet canadien no 1 130 815 (le brevet N815). Pfizer Canada Inc. en est le licencié exclusif au Canada. Le brevet N815 se rapporte au chlorhydrate de sertraline. Pfizer Canada commercialise des produits composés de chlorhydrate de sertraline au Canada sous sa marque de commerce Zoloft.
[3]Pfizer Inc. a demandé le 30 octobre 1980 le brevet N815, qui lui a été délivré le 31 août 1982. Le 30 janvier 1992, Pfizer Canada a obtenu du ministre de la Santé nationale et du Bien-être social du Canada (le ministre) un avis de conformité qui lui a été délivré en vertu de la Loi sur les aliments et drogues [L.R.C. (1985), ch. F-27] fédérale et qui l'autorisait à commercialiser le Zoloft au Canada.
[4]L'article 45 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, modifiée en 1993 [L.C. 1993, ch. 15, art. 42], prévoit que lorsqu'une demande de brevet a été déposée avant le 31 octobre 1989, ce brevet expire 17 ans après la date de sa délivrance. Aux termes de l'article 45 de la Loi, le brevet N815 expire donc le 31 août 1999.
[5]L'article 45 de la Loi doit être rapproché de l'article 44 [mod., idem] de la même loi. L'article 44, qui a été modifié en 1993, prévoit que lorsqu'une demande a été déposée après le 1er octobre 1989, le brevet est valide pour 20 ans à compter de la date du dépôt de la demande.
[6]Dans la déclaration qu'elle a déposée devant la Cour le 15 avril 1999 Pfizer sollicite:
a) un jugement déclarant que la date d'expiration du brevet N815 est le 30 octobre 2000;
b) une injonction provisoire et une injonction interlocutoire interdisant au ministre, en attendant l'instruction de l'action, de délivrer, sans le consentement de Pfizer, un avis de conformité en vertu de la Loi sur les aliments et drogues et du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) [DORS/93-133] (le Règlement) à tout autre fabricant de médicaments;
c) une injonction permanente interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à tout autre fabricant avant la date d'expiration du brevet N815, en l'occurrence le 30 octobre 2000.
[7]Le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) a été édicté par le gouverneur en conseil le 12 mars 1993 en application du paragraphe 55.2(4) [édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4] de la Loi sur les brevets, qui avait été modifiée cette année-là. Ce règlement a été examiné à de nombreuses reprises par notre Cour et par la Cour d'appel fédérale. Le Règlement établit un lien entre la délivrance d'un avis de conformité en vertu de la Loi sur les aliments et drogues, une procédure d'homologation qui doit être suivie pour pouvoir commercialiser un médicament au Canada, et les brevets pharmaceutiques déjà délivrés qui figurent sur les listes de brevets dressées conformément au Règlement. L'article 7 [mod. par DORS/98-166, art. 6] du Règlement interdit au ministre de délivrer un avis de conformité dans certaines circonstances ayant trait aux brevets pharmaceutiques. Rien n'empêche toutefois le ministre de délivrer un avis de conformité si le brevet est expiré.
[8]À l'appui des réparations qu'elle réclame, Pfizer invoque l'article 33 de l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (l'ADPIC) qui oblige les États membres à accorder à tous les brevets une période minimale de protection de vingt ans à compter de la date du dépôt de la demande de brevet. Étant donné qu'elle a déposé sa demande pour le brevet N815 le 30 octobre 1980, Pfizer revendique en vertu de l'ADPIC la date d'expiration du 30 octobre 2000.
[9]L'ADPIC est l'un des accords annexés [Annexe 1C] à l'Accord de Marrakech instituant l'Organisation mondiale du commerce [15 avril 1994, Marrakech, 1867 N.U.R.T. 3] (Accord sur l'OMC). Pfizer affirme que, selon l'Acte final reprenant les résultats des négociations commerciales multilatérales du Cycle d'Uruguay [faisant partie de l'Accord sur l'OMC] (l'Acte final), le Canada a accepté, aux termes de l'alinéa 2a) de celui-ci, de soumettre l'Accord sur l'OMC à l'examen des autorités compétentes en vue d'obtenir la ratification de l'Accord sur l'OMC conformément à la procédure qui y est prévue. Pfizer invoque également les dispositions de l'Accord sur l'OMC, plus précisément son article XVI(4), qui dispose que: "[c]haque Membre assurera la conformité de ses lois, réglementations et procédures administratives avec ses obligations telles qu'elles sont énoncées dans les Accords figurant en annexe". Dans ce contexte, le législateur fédéral a édicté la Loi de mise en œuvre de l'Accord sur l'Organisation mondiale du commerce [L.C. 1994, ch. 47] (la Loi de mise en œuvre de l'Accord sur l'OMC) en 1994.
LA REQUÊTE EN RADIATION
[10]Les défendeurs invoquent trois moyens au soutien de leur requête en radiation.
[11]En premier lieu, les défendeurs affirment, en invoquant les articles 5 et 6 de la Loi de mise en œuvre de l'Accord sur l'OMC"dont l'effet cumulatif est d'empêcher quiconque d'introduire tout type d'action en justice en vertu de la Loi elle-même ou de l'Accord sur l'OMC sous-jacent sans le consentement du procureur général"que l'action des demanderesses est irrecevable, étant donné que ce consentement n'a pas été donné en l'espèce.
[12]En deuxième lieu, les défendeurs soutiennent que les dispositions de tout accord conclu entre le Canada et tout État étranger ne sont incorporées en droit interne canadien que dans la mesure où elles sont expressément ratifiées par une loi dûment adoptée par le Parlement selon la procédure habituelle. Ils affirment en outre qu'il n'existe aucun texte législatif modifiant la Loi sur les brevets qui accorderait aux demanderesses la durée de validité de brevet qu'elles revendiquent dans leur déclaration.
[13]En troisième lieu, les défendeurs font valoir qu'aux termes de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4)], notre Cour est seulement compétente pour délivrer une injonction contre le ministre et ce, uniquement dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 18.1 [édicté, idem, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale.
[14]Les défendeurs affirment par conséquent que la déclaration dans son ensemble, ou du moins la partie de la déclaration concluant au prononcé d'une injonction contre le ministre, ne révèle aucune cause d'action et qu'elle est frivole et vexatoire ou qu'elle constitue autrement un abus de procédure et qu'elle devrait être radiée en tout ou en partie en vertu de la règle 221 des Règles de la Cour fédérale (1998).
[15]Pour ce qui est de la preuve documentaire, la requête des défendeurs est fondée sur les actes de procédure.
[16]En réponse à la requête en radiation, Pfizer a produit des affidavits. La défenderesse Apotex Inc. (dont la Cour a ordonné l'ajout à titre de partie à la présente action) conteste le droit de Pfizer de déposer des affidavits en preuve. Pour ce faire, Apotex Inc. invoque les dispositions du paragraphe 221(2) des Règles, qui prévoit qu'aucune preuve n'est admissible dans le cadre d'une requête fondée sur l'alinéa 221(1)a) des Règles. Cet alinéa ne vise toutefois que le cas où le moyen qui est invoqué au soutien d'une requête en radiation est que l'acte de procédure ne révèle aucune cause d'action valable. Or, dans la présente requête soumise à la Cour, les moyens invoqués par les défendeurs ne se limitent pas à celui qui est prévu à l'alinéa 221(1)a). La requête comporte d'autres moyens au sujet desquels des affidavits peuvent régulièrement être produits en preuve (voir la décision Waterside Ocean Navigation Co., Inc. c. International Navigation Ltd., [1977] 2 C.F. 257 (1re inst.)). Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis que la requête en radiation des défendeurs ne peut être tranchée qu'en vertu de l'alinéa 221(1)a) des Règles. Dans ces conditions, je n'étais pas tenu d'examiner les affidavits déposés en preuve par Pfizer et je ne l'ai pas fait.
CRITÈRE RÉGISSANT LES REQUÊTES FONDÉES SUR L'ALINÉA 221(1)(a)
[17]La Cour suprême du Canada a, à diverses reprises, énoncé le critère auquel le défendeur doit satisfaire dans le cas d'une requête fondée sur l'alinéa 221(1)a). Ainsi, dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735, le juge Estey énonce succinctement ce critère dans les termes suivants à la page 740:
Comme je l'ai dit, il faut tenir tous les faits allégués dans la déclaration pour avérés. Sur une requête comme celle-ci, un tribunal doit rejeter l'action ou radier une déclaration du demandeur seulement dans les cas évidents et lorsqu'il est convaincu qu'il s'agit d'un cas "au-delà de tout doute".
[18]Le juge Wilson a exprimé un point de vue semblable dans l'arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, où il a estimé que le pouvoir de radiation doit être exercé avec beaucoup de prudence et uniquement dans les cas où le demandeur ou le défendeur n'a aucune chance d'obtenir gain de cause.
ÉCONOMIE DE LA LOI SUR LA MISE EN ŒUVRE DE L'ACCORD SUR L'OMC
[19]La Loi de mise en œuvre de l'Accord sur l'OMC est au cœur du débat qui m'est soumis. Il est nécessaire d'en examiner en détail les dispositions. La Loi de mise en œuvre de l'Accord sur l'OMC comporte plusieurs parties, à savoir, un préambule, un article général renfermant des définitions, l'objet de la Loi et des restrictions au droit d'action. La partie I est intitulée "Mise en œuvre de l'Accord" et la partie II, "Modifications connexes". La partie III concerne l'entrée en vigueur de diverses dispositions de la Loi. La Loi renferme également plusieurs annexes.
a) Le préambule |
[20]Au premier attendu du préambule, il est expliqué que "le gouvernement du Canada conjointement avec les autres gouvernements et la Communauté européenne qui ont participé aux négociations commerciales multilatérales du cycle d'Uruguay menées sous l'égide d[e] [. . .]"Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce [[1948] R.T. Can. no 31] [. . .] ont conclu l'Accord instituant l'Organisation mondiale du commerce". Au sixième attendu du préambule, il est précisé "que l'Organisation mondiale du commerce [. . .] permettra la gestion intégrée du nouveau système renforcé de commerce multilatéral, notamment en ce qui a trait au règlement des différends commerciaux". Le huitième attendu est ainsi libellé:
qu'il est nécessaire, pour donner effet à l'Accord, d'apporter des modifications connexes à certaines lois,
b) Les dispositions générales |
[21]La partie introductive de la Loi de mise en œuvre de l'Accord sur l'OMC renferme certaines définitions, dont celle du terme "Accord", qui est ainsi libellée [article 2]:
2. (1) [. . .]
"Accord" L'Accord instituant l'Organisation mondiale du commerce"y compris les accords figurant à ses annexes 1A, 1B, 1C, 2 et 3, ainsi que, à l'annexe 4, les accords acceptés par le Canada"[. . .] |
[22]L'ADPIC se trouve à l'annexe 1C de l'Accord sur l'OMC.
[23]Le paragraphe 2(2) prévoit que l'Accord est publié dans le Recueil des traités du Canada.
[24]L'article 3 concerne l'objet de la Loi. Il dispose:
3. La présente loi a pour objet la mise en œuvre de l'Accord.
[25]Les articles 5 et 6, qui se trouvent sous la rubrique "Dispositions générales", contiennent les moyens d'irrecevabilité que les défendeurs invoquent en l'espèce. En voici le libellé:
5. Le droit de poursuite, relativement aux droits et obligations uniquement fondés sur la partie I ou ses décrets d'application, ne peut être exercé qu'avec le consentement du procureur général du Canada.
6. Le droit de poursuite, relativement aux droits et obligations uniquement fondés sur l'Accord, ne peut être exercé qu'avec le consentement du procureur général du Canada.
c) Partie I |
[26]Ainsi qu'il a déjà été souligné, la partie I s'intitule "Mise en œuvre de l'Accord". L'article 8 est intitulé "Approbation de l'Accord" et porte simplement ce qui suit:
8. L'Accord est approuvé.
[27]Parmi les autres dispositions de la partie I mentionnons celles qui confèrent au gouverneur en conseil le pouvoir de nommer un ministre pour l'application de toute disposition de la Loi, celles qui autorisent le gouverneur en conseil à nommer un ministre pour représenter le Canada à la conférence ministérielle établie par l'Accord sur l'OMC, celles qui autorisent le gouverneur en conseil à suspendre, conformément à l'Accord"aux termes de l'article 22 du Mémorandum d'accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends [annexe 2 de l'Accord sur l'OMC]", l'application à un membre de l'OMC de concessions ou d'obligations dont l'effet est équivalent, ainsi que celles qui autorisent pareillement le gouverneur en conseil à suspendre les droits et privilèges que le Canada a accordés à un pays qui n'est pas membre de l'OMC.
d) Partie II |
[28]La partie II, qui est intitulée "Modifications connexes", renferme des dispositions qui modifient un grand nombre de lois fédérales sur lesquelles le Parlement a une compétence constitutionnelle selon le partage des pouvoirs législatifs.
[29]Un examen attentif des dispositions modificatives spécifiques de la partie II de la Loi de mise en œuvre de l'Accord sur l'OMC est révélateur. Il ressort en effet de cet examen que le législateur fédéral n'a pas recouru à une seule méthode de mise en œuvre. La spécificité est la caractéristique principale de la partie II. La nature de l'intervention requise du législateur dépend des circonstances. Je songe à des facteurs comme la nature de l'obligation précise contractée par le Canada, les caractéristiques des exigences législatives ou réglementaires fédérales actuelles, le besoin de souplesse et la présence d'une autorité fédérale chargée de gérer au cas par cas les obligations contractées par le Canada (un bon exemple d'une telle autorité fédérale est le Tribunal canadien du commerce extérieur qui se prononce sur le terrain, pour ainsi dire, sur des questions de dumping, de subventions, etc.).
[30]Les méthodes de mise en œuvre retenues par le législateur fédéral sont variées:
a) modification ou abrogation de dispositions législa-tives (les modifications apportées à la Loi sur les banques [L.R.C. (1985), ch. B-1] en sont un exemple);
b) ajout de dispositions de fond créant de nouveaux droits (modification de la Loi sur le droit d'auteur [L.R.C. (1985), ch. C-42] en ce qui concerne les droits d'exécution);
c) autorisation de prendre des règlements (par exemple, le gouverneur en conseil est autorisé à prendre des règlements en vertu du Tarif des douanes [L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 41] "pour mettre en œuvre l'Accord sur les règles d'origine figurant à l'annexe 1A de l'Accord sur l'organisation mondiale du commerce" [paragraphe 75(2)];
d) en vertu du Tarif des douanes, le gouverneur en conseil est autorisé, "conformément à l'article 6 de l'Accord sur les sauvegardes figurant à l'annexe 1A de l'Accord sur l'Organisation mondiale du commerce, rembourser, par décret, la surtaxe" [paragraphe 81(5)];
e) en vertu du Tarif des douanes, le gouverneur en conseil est autorisé à imposer par décret une surtaxe sur certaines denrées agricoles à titre de mesure de sauvegarde spéciale et à préciser les conditions préalables à l'imposition de cette surtaxe. Avant de ce faire, "[l]e ministre des Finances [. . .] s'il estime, en se fondant sur un rapport du ministre de l'Agriculture, que sont remplis les conditions relatives à l'imposition d'un droit additionnel sur les produits agricoles désignés, que prévoit l'article 5 de l'Accord sur l'agriculture figurant à l'annexe 1A de l'Accord sur l'Organisation mondiale du commerce" [article 83];
f) en vertu du Tarif des douanes, le gouverneur en conseil est autorisé à modifier certaines annexes "du Tarif des douanes , s'il l'estime nécessaire en conséquence de la mise en œuvre au Canada de l'Accord sur l'Organisation mondiale du commerce" [paragraphe 95(1)];
g) en vertu de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation [L.R.C. (1985), ch. E-19], le gouverneur en conseil est autorisé à ajouter certains biens à la liste des marchandises d'importation contrôlée pour "éviter que ne soit contourné ou mis en échec l'Accord sur les textiles et vêtements figurant à l'annexe 1A de l'Accord sur l'Organisation mondiale du commerce" [paragraphe 103(3)];
h) en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques [L.R.C. (1985), ch. F-11], "le gouverneur en conseil peut [. . .] donner à une société d'État mère des instruction destinées à la mise en œuvre des dispositions de l'Accord sur l'OMC qui la concernent" [article 116];
i) la Loi sur les mesures spéciales d'importation [L.R.C. (1985), ch. S-15] a été modifiée par l'insertion d'une définition de l'expression "subventions ne donnant pas lieu à une action" qui renvoie expressément à l'Accord sur l'agriculture et à l'Accord sur les subventions et les mesures compensatoires, que l'on trouve à l'annexe 1A de l'Accord sur l'OMC [paragraphe 144(3)].
[31]L'ADPIC est mentionné dans diverses dispositions de la partie II de la Loi de mise en œuvre de l'Accord sur l'OMC. En voici quelques exemples:
a) la Loi sur les engrais [L.R.C. (1985), ch. F-10] est modifiée pour conférer au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements "concernant les engrais ou les suppléments [. . .] pour la mise en œuvre [. . .] du paragraphe 3 de l'article 39 de l'ADPIC" [article 115];
b) la Loi sur les aliments et drogues a été modifiée en vue de conférer au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre "concernant les drogues, les règlements qu'il estime nécessaires pour la mise en œuvre [. . .] du paragraphe de l'article 39 de l'ADPIC figurant à l'annexe IC de l'Accord sur l'OMC" [article 117];
[32]Fait intéressant à signaler, la Loi sur les brevets a été modifiée à la partie II. Les articles 44 et 45 actuels qui avaient déjà été modifiés en 1993 n'ont pas été modifiés de nouveau. Seulement deux modifications ont été apportées à la Loi sur les brevets. La définition du mot "pays" a été modifiée [à l'article 141] pour englober les États membres de l'OMC. L'article 19.1 de la Loi a été modifié [à l'article 142] pour prévoir que le "commissaire ne peut s'appuyer sur l'article 19 pour autoriser l'usage de la technologie des semi-conducteurs, sauf dans les cas où l'autorisation est demandée à des fins publiques non commerciales".
[33]Pour ce qui est de la propriété intellectuelle, je constate que la Loi sur les marques de commerce [L.R.C. (1985), ch. T-13] a été modifiée en profondeur et que des renvois y sont faits à l'ADPIC.
ANALYSE
a) L'Accord sur l'OMC a-t-il été incorporé au droit interne? |
[34]Pour obtenir gain de cause sur leur requête en jugement déclaratoire portant que la date d'expiration du brevet N815 est le 20 octobre 2000, les demanderesses doivent établir que l'Accord sur l'OMC qui annexe l'ADPIC a été incorporé par voie législative au droit interne par l'adoption de la Loi de mise en œuvre de l'Accord sur l'OMC. Pfizer affirme qu'il résulte du rapprochement de la disposition de cette Loi où il est précisé que l'objet de celle-ci est de mettre en œuvre l'Accord sur l'OMC, de l'article d'approbation par lequel l'Accord sur l'OMC est approuvé et des engagements pris par le Canada aux termes de l'Acte final et de l'Accord sur l'OMC que l'Accord a effectivement été incorporé au droit interne canadien.
[35]Pfizer semble ainsi accepter la distinction qui existe entre la conclusion d'un traité et la mise en œuvre d'un traité. Pfizer accepte aussi la proposition que bon nombre de traités ne peuvent être mis en œuvre sans modifier le droit interne canadien, ce qui ne peut se faire que par l'adoption d'une loi modifiant le droit interne en question (voir, à cet égard, Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 4e éd., aux pages 293 et 294 et l'arrêt Capital Cities Communications Inc. et autre c. Conseil de la Radio-Télévision canadienne, [1978] 2 R.C.S. 141, à la page 173, où le juge en chef Laskin déclare ce qui suit:
En fait, si la prétention des appelantes avait une valeur quelconque en ce qui concerne le premier argument, ce ne pourrait être qu'en rapport avec les obligations du Canada, en vertu de la Convention, à l'égard des autres signataires. Les seules conséquences intérieures ou internes possibles viendraient de l'application d'une législation donnant à la Convention un effet juridique au Canada.
[36]L'Accord sur l'OMC est un accord international auquel seuls des États souverains sont parties. La question centrale qui se pose en l'espèce est celle de savoir si, en édictant la Loi de mise en œuvre de l'Accord sur l'OMC, le législateur fédéral a donné un effet juridique à tout cet accord ou l'a incorporé au droit interne, en particulier l'ADPIC qui y est annexé ou l'article 33 de celui-ci.
[37]Les défendeurs citent plusieurs décisions, dont Reference re Weekly Rest in Industrial Undertaking Act, [1937] 1 D.L.R. 673 (C.P.) et une décision récente citée par le juge Guthrie dans l'affaire UL Canada inc. c. Québec (Procureur général), [1999] J.Q. no 1540 (C.S.) (QL), à l'appui de la proposition qu'une simple approbation parlementaire d'un accord international n'a pas pour effet de l'incorporer en droit interne. Dans l'affaire UL Canada inc., le juge Guthrie s'est demandé si la Loi de mise en œuvre de l'Accord de libre-échange nord-américain [L.C. 1993, ch. 44] et la Loi de mise en œuvre de l'Accord sur l'OMC avaient pour effet d'incorporer les accords internationaux en question en droit interne, qu'il s'agisse du droit fédéral ou du droit provincial. Au paragraphe 86 de cette décision, le juge Guthrie déclare ce qui suit:
La Loi concernant la mise en œuvre des accords de commerce international, qui est la loi québécoise de mise en œuvre de l'ALÉNA, ne modifie ni la Loi ni le Règlement sur les succédanés de produits laitiers, dont l'alinéa 40(1)c) fait partie. En effet, cette loi de mise en œuvre déclare tout simplement à son article 2 que l'ALÉNA est "approuvée" par l'Assemblée nationale. Or, la jurisprudence et la doctrine ont jugé qu'une simple approbation parlementaire d'un traité n'a pas pour effet de l'incorporer en droit interne.
[38]Le juge Guthrie a, au paragraphe 95, appliqué le même raisonnement à la Loi de mise en œuvre de l'Accord sur l'OMC en déclarant que l'Accord sur l'OMC n'avait pas été incorporé au droit fédéral.
[39]Pfizer réplique en invoquant surtout l'arrêt Orelien c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 592 (C.A.). Dans cet arrêt, le juge Mahoney examine, aux pages 607 et 608, les accords internationaux relatifs à la Quatrième Convention de Genève.
[40]On trouve à mon avis dans l'arrêt récent Re Colombie-Britannique (Procureur général) c. Canada (Procureur général); Acte concernant le chemin de fer de l'Île de Vancouver, [1994] 2 R.C.S. 41, des lumières utiles qui permettent de répondre à la question centrale à l'examen en l'espèce.
[41]La question qui était soumise à la Cour était celle de savoir si une loi fédérale avait conféré force de loi à la Convention de Dunsmuir [annexe de l'Acte concernant le chemin de fer de l'Île de Vancouver, le bassin de radoub d'Esquimalt, et certaines terres de chemin de fer de la province de la Colombie-Britannique cédées au Canada, S.C. 1884, ch. 6] de sorte que les dispositions de cet accord constituaient effectivement des dispositions de la loi fédérale elle-même.
[42]La Convention de Dunsmuir était une annexe d'une loi fédérale. L'article 2 de la loi fédérale relative à la Convention de Dunsmuir portait:
2. La convention [. . .] est par le présent approuvée et ratifiée, et le Gouverneur en conseil est autorisé à en mettre les stipulations à effet suivant leur teneur.
[43]Le juge Iacobucci a prononcé les motifs du jugement au nom de sept des juges de la Cour. La Cour a statué que la Convention de Dunsmuir n'avait pas été incorporée au droit interne par voie législative, c'est-à-dire qu'on ne lui avait pas conféré force de loi. À mon sens, la Cour suprême du Canada a posé les principes suivants pour en arriver à cette conclusion:
a) pour déterminer si une convention a été incorporée dans une loi déterminée de manière à se voir conférer force de loi, il faut découvrir l'intention du législateur;
b) on peut utiliser tous les outils d'interprétation législative pour déterminer si l'on a voulu incorporer une entente donnée dans une loi; (voir page 110);
c) Le juge Iacobucci a déclaré ce qui suit, à la page 110:
Je crois, cependant, que la simple "ratification" ou "confirmation" d'une entente annexée, sans plus, est équivoque pour ce qui est de déceler l'intention requise du législateur.
d) pour découvrir l'intention du législateur, le juge Iacobucci a tenu compte du fait que la loi fédérale reprenait des passages de la Convention de Dunsmuir. Il a fait observer à la page 111:
La Loi fédérale ne fait que confirmer et ratifier la convention Dunsmuir; elle autorise le gouverneur en conseil à exécuter le contrat et reprend spécifiquement, dans plusieurs de ses dispositions, des clauses de ce contrat (art. 4, 5, 6, 8 et 9). Si on avait voulu que la convention Dunsmuir ait force de loi, je jugerais inexplicable cette répétition de dispositions du contrat dans la Loi fédérale.
[44]J'en suis arrivé à la conclusion que, de toute évidence, le législateur fédérale n'a pas incorporé l'Accord sur l'OMC au droit fédéral interne, notamment l'article 33 de l'ADPIC, qui est essentiel au succès de la thèse soutenue par Pfizer à l'appui de sa requête en jugement déclaratoire.
[45]À mon avis, le législateur fédéral a clairement formulé son intention quant à la façon dont il mettait en œuvre en tout ou en partie l'Accord sur l'OMC et l'ADPIC y annexé. Le législateur a donné juridiquement effet aux obligations qu'il avait contractées envers l'OMC en examinant attentivement la nature de ces obligations, en vérifiant l'état de la législation et de la réglementation fédérales existantes et en arrêtant ensuite les modifications précises qui devaient être apportées pour mettre en œuvre l'Accord sur l'OMC.
[46]La durée de validité des brevets est une question qui relève de la Loi sur les brevets. Le législateur fédéral n'a pas modifié les dispositions des articles 44 et 45 de cette Loi pour prévoir ce que Pfizer réclame. Il fallait modifier la loi et le législateur ne l'a pas fait. La question de savoir si le législateur fédéral a ainsi manqué à ses obligations internationales n'est pas utile à la solution du présent litige. L'Accord sur l'OMC prévoit des mécanismes intergouvernementaux qui permettent de répondre à une telle question.
[47]Retenir l'argument de Pfizer aurait, à mon avis, pour effet de rendre superflues et d'anéantir toute l'économie générale et l'approche retenues par le législateur fédéral pour donner suite aux obligations contractées par le Canada envers l'OMC par le biais de la Loi de mise en œuvre de l'Accord sur l'OMC. Pour faire une analogie avec les propos que le juge Iacobucci a tenus dans l'arrêt Re Colombie-Britannique précité, je dirais que, si le législateur fédéral avait voulu que l'Accord sur l'OMC ait force de loi, il n'aurait pas édicté la partie II de la Loi de mise en œuvre de l'Accord sur l'OMC avec autant de soin et de précision.
[48]Bref, les moyens invoqués par Pfizer sont mal fondés. Lorsqu'il a déclaré, à l'article 3 de la Loi de mise en œuvre de l'Accord sur l'OMC, que l'objet de la Loi était de mettre en œuvre l'Accord, le législateur fédéral disait simplement quelque chose d'évident: il prévoyait la mise en œuvre de l'Accord sur l'OMC selon les modalités d'application de l'ensemble de la Loi, et notamment de celles qui se trouvent à la partie II, qui porte sur des modifications législatives précises. Lorsqu'il déclare à l'article 8 de la Loi de mise en œuvre de l'Accord sur l'OMC qu'il approuve l'Accord sur l'OMC, le législateur fédéral n'incorpore pas l'Accord sur l'OMC en droit fédéral. D'ailleurs, il ne pouvait pas le faire, parce que certains aspects de l'Accord sur l'OMC ne pouvaient être mis en œuvre que par les provinces en vertu des pouvoirs législatifs constitutionnels qui leur sont conférés par l'article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]]. En approuvant l'Accord, le législateur fédéral a réaffirmé l'importance de l'Accord comme base de sa participation à l'Organisation mondiale du commerce et a affirmé l'adhésion du Canada aux mécanismes de l'OMC tels que le règlement des différends et les modalités de mise en œuvre dans les cas où il est nécessaire de les adapter par voie réglementaire ou juridictionnelle.
[49]Pour ce motif, la requête en radiation des défendeurs est accueillie, la déclaration que Pfizer a déposée dans la présente action est radiée et son action est rejetée avec dépens.
b) Moyens d'irrecevabilité prévus par la loi |
[50]Bien qu'il ne soit pas nécessaire que je le fasse, je vais examiner très brièvement les points soulevés par les défendeurs et par Pfizer au sujet des moyens d'irrecevabilité que l'on trouverait aux articles 5 et 6 de la Loi de mise en œuvre de l'Accord sur l'OMC. Malgré les arguments habiles de l'avocat de Pfizer, il n'y a aucun doute dans mon esprit que le jugement déclaratoire que Pfizer réclame de façon claire et précise aurait pour effet de faire reconnaître ou d'établir un droit ou une obligation qui découlent exclusivement de l'Accord sur l'OMC. En termes simples, Pfizer cherche à faire reconnaître ce qu'elle prétend être son droit à bénéficier d'un brevet d'une durée de validité de 20 ans commençant à courir à compter de la date de sa demande relative au brevet N815, droit qui découlerait de l'ADPIC, lequel fait partie de l'Accord sur l'OMC. Pfizer soutient que le jugement déclaratoire réclamé découle de la Loi de mise en œuvre de l'Accord sur l'OMC elle-même et non de l'Accord. Cet argument est mal fondé.
[51]Par suite de la modification qu'elle a apportée à sa déclaration, Pfizer affirme que les articles en question sont inconstitutionnels et que, pour cette raison, ils sont invalides, inopérants et inapplicables en raison du principe de la primauté du droit et des dispositions de l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits [L.R.C. (1985), appendice III].
[52]On trouve des dispositions analogues aux articles 5 et 6 de la Loi de mise en œuvre de l'Accord sur l'OMC dans d'autres lois fédérales de mise en œuvre d'ententes commerciales internationales. Il y a lieu de citer quelques exemples.
[53]La Loi de mise en œuvre de l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis, L.C. 1988, ch. 65, art. 5 prévoit ce qui suit sous la note marginale "Restriction du droit d'action":
5. Le droit de poursuite, relativement aux droits ou obligations uniquement fondés sur la partie I, ses règlements d'application ou l'Accord, ne peut être exercé par quiconque sans le consentement du procureur général du Canada.
[54]La Loi de mise en œuvre de l'Accord de libre-échange nord-américain, L.C. 1993, ch. 44, prévoit pour sa part ce qui suit, à l'article 6:
6. (1) Le droit de poursuite, relativement aux droits et obligations uniquement fondés sur la partie I ou ses règlements ou décrets d'application, ne peut être exercé qu'avec le consentement du procureur général du Canada.
(2) Sauf cas prévus à la section B du chapitre 11 de l'Accord, le droit de poursuite, relativement aux droits et obligations uniquement fondés sur l'Accord, ne peut être exercé qu'avec le consentement du procureur général du Canada.
[55]L'objet véritable des articles 5 et 6 de la Loi de mise en œuvre de l'OMC est évident, tout comme celui de dispositions analogues des autres lois de mise en œuvre précitées. Ce que le législateur fédéral dit, c'est que ces accords commerciaux internationaux sont des questions de droit public qui concernent des droits publics, droits qui touchent le Canada en tant qu'État souverain. Ce ne sont pas des questions de droits économiques ou commerciaux privés donnant ouverture à des droits d'action et à des poursuites en justice. Ces articles ne suppriment aucun droit privé. Ils n'éteignent pas des droits. Le législateur fédéral se contente de dire que ces droits ne peuvent être exercés.
[56]Ce qui intéresse le législateur fédéral, c'est la nature même des ententes commerciales internationales conclues entre des États souverains et les mécanismes de règlement des différends et l'exécution des décisions administratives ou arbitrales.
[57]Ces mécanismes sont prévus dans l'Accord sur l'OMC. Le législateur fédéral ne voulait pas que de simples citoyens puissent, sauf lorsque les circonstances s'y prêtent, entamer des actions privées qui rompraient le rapport de forces convenu en matière de règlement des différends ou qui nuirait à cet équilibre.
[58]En ce sens, ces articles ne constituaient pas un refus d'accès aux tribunaux.
c) Le principe de la primauté du droit |
[59]Dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, aux pages 257 à 261, la Cour suprême du Canada explique en termes éloquents le sens du principe de la primauté du droit dans notre régime constitutionnel. La primauté du droit exige que tout acte de l'Administration soit conforme à la Constitution.
[60]Dans l'affaire Bacon v. Saskatchewan Crop Insurance Corp., [1999] S.J. no 302 (QL), la Cour d'appel de la Saskatchewan a eu l'occasion de se pencher sur le principe de la primauté du droit dans le contexte d'une disposition législative [The Farm Income Insurance Legislation Amendment Act, 1992, S.S. 1992, ch. 51, art. 13.2(1)] qui prévoyait que [traduction] "Sa Majesté et tout mandataire de Sa Majesté ne peuvent être poursuivis sur le fondement d'un droit d'action découlant de".
[61]Bacon affirmait que cette disposition législative portait atteinte au principe de la primauté du droit parce qu'elle mettait le gouvernement à l'abri de toute poursuite. Le juge d'appel Wakeling a attentivement analysé la portée du principe de la primauté du droit et a conclu qu'il ne visait pas à restreindre la capacité du législateur de la Saskatchewan d'édicter la disposition législative en question. Je souscris au raisonnement suivi par la Cour d'appel de la Saskatchewan. Le noble principe de la primauté du droit ne saurait être interprété comme un outil permettant d'invalider les articles 5 et 6 de la Loi de mise en œuvre de l'Accord de l'OMC.
d) Alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits |
[62]Je ne vois pas comment l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits pourrait s'appliquer en l'espèce. L'alinéa 2e) prévoit que "nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme [. . .] privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations". Je suis d'accord avec les défendeurs pour dire que l'alinéa 2e ) ne confère pas le genre de droit substantiel qui est revendiqué en l'espèce (voir l'arrêt Duke c. La Reine, [1972] R.C.S. 917, à la page 923).
c) L'injonction |
[63]La conclusion à laquelle j'en suis arrivé en l'espèce me dispense de la nécessité de traiter du moyen invoqué par les défendeurs selon lequel la Cour a compétence pour prononcer une injonction contre le ministre uniquement dans le cadre d'un contrôle judiciaire.
DISPOSITIF
[64]La déclaration que les demanderesses ont déposée le 15 avril 1999 et qu'elles ont modifiée le 16 juin 1999 est radiée en entier et l'action est rejetée avec dépens.