A-135-98
William Krause et Pierre Després en leur nom propre et en qualité de membres du Bureau de l'Association des employé(e)s en sciences sociales, Edward Halayko et Helen Rapp en leur nom propre et en qualité de membres du bureau de l'Association des pensionnés et rentiers militaires du Canada, Luc Pomerleau et Line Niquet en leur nom propre et en leur qualité de membres de l'exécutif du Syndicat canadien des employés professionnels et techniques, et Wayne C. Foy en son nom propre et en qualité de membre du bureau de l'Association du groupe de la navigation aérienne (appelants) (demandeurs)
c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada (intimée) (défenderesse)
Répertorié: Krausec. Canada (C.A.)
Cour d'appel, juges Stone, Linden et Sexton, J.C.A." Ottawa, 19 janvier et 8 février 1999.
Pratique — Prescription — Appel d'une ordonnance portant radiation de l'avis de requête introductif d'instance déposé en november 1997 et sollicitant une ordonnance de mandamus, une ordonnance de prohibition et un jugement déclaratoire concernant le maintien au crédit de fonds de pension de retraite de certains montants, ainsi que l'exige la loi — Les appelants prétendent que, dans chaque exercice financier depuis 1993-1994, et contrairement au devoir qui lui incombe en vertu de la Loi sur la pension de la fonction publique et de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, le ministre continue à amortir, irrégulièrement, une partie de l'excédent — La juge des requêtes a estimé que les pratiques comptables adoptées en 1993-1994 découlaient de la décision prise par l'intimée au cours de l'exercice 1989-1990 — Elle a estimé que la requête introductive d'instance a été déposée hors du délai de 30 jours que prescrit l'art. 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale, pour les demandes de contrôle judiciaire concernant une décision ou ordonnance d'un office fédéral — Le délai fixé par l'art. 18.1(2) n'empêche pas les appelants de solliciter de la Cour une ordonnance de mandamus, une ordonnance de prohibition et un jugement déclaratoire — L'art. 18.1(1) autorise toute personne directement touchée par l'objet de la demande de présenter une demande de contrôle judiciaire — Le concept d'—objet de la demande— embrasse toute question à l'égard de laquelle il est possible d'obtenir réparation en application de l'art. 18 — L'art. 18.1(3)a) et b) prévoit la possibilité d'une ordonnance de mandamus, d'une ordonnance de prohibition ou d'un jugement déclaratoire — L'exercice des pouvoirs prévus à l'art. 18 ne dépend pas de l'existence d'une —décision— ou —ordonnance— — Contestation des mesures prises par les ministres responsables pour la mise en œuvre de la décision — La décision de procéder conformément aux recommandations de 1988 n'entraîne aucune violation des devoirs prescrits par la loi.
Pratique — Parties — L'avis de requête introductif d'instance allègue que, dans chaque exercice financier depuis 1993-1994, et contrairement au devoir qui lui incombe en vertu de la Loi sur la pension de la fonction publique et de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, le ministre continue à amortir irrégulièrement une partie de l'excédent — Ce sont le président du Conseil du Trésor et le ministre des Finances qui auraient dû être cités en tant que défendeurs, et non pas Sa Majesté la Reine — Le vice entachant l'acte introductif d'instance peut être corrigé par une simple modification — L'intitulé de la cause est modifié en conséquence.
Pratique — Règles — Dispense de l'observation d'une règle — L'avis de requête introductif d'instance allègue que, dans chaque exercice financier depuis 1993-1994, et contrairement au devoir qui lui incombe en vertu de la Loi sur la pension de la fonction publique et de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, le ministre continue à amortir, irrégulièrement, une partie de l'excédent — Si tant est qu'il y ait eu inobservation d'obligations prescrites par la loi, celle-ci découle des mesures prises par les ministres responsables pour la mise en œuvre de la recommandation de 1988 concernant les procédures comptables, et non de la décision d'instaurer lesdites procédures — À l'époque où fut déposé l'acte introductif d'instance, la Règle 1602(4) des Règles de la Cour fédérale exigeait que la requête vise le contrôle judiciaire d'une seule ordonnance, décision ou autre question — Aux termes de l'ancienne Règle 6, la Cour pouvait, si des circonstances spéciales le justifiait, dispenser de l'observation d'une règle lorsque l'exigeait l'intérêt de la justice — Cette possibilité se retrouve dans la nouvelle règle 55 — Il convient, dans des circonstances particulières, de dispenser de l'observation de la règle en permettant d'invoquer diverses —questions— dans la même instance.
Compétence de la Cour fédérale — Section de première instance — Appel d'une ordonnance portant radiation de l'avis de requête introductif d'instance et sollicitant une ordonnance de mandamus, une ordonnance de prohibition et un jugement déclaratoire au motif que la requête est hors du délai prescrit à l'art. 18.1(2) pour les demandes de contrôle judiciaire visant une décision ou ordonnance d'un office fédéral — Les appelants prétendent que, dans chaque exercice financier depuis 1993-1994, et contrairement au devoir qui lui incombe en vertu de la Loi sur la pension de la fonction publique et de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, le ministre continue à amortir, irrégulièrement, une partie de l'excédent — L'appel est accueilli — L'art. 18.1(1) offre un recours en contrôle judiciaire à quiconque est directement touché par l'objet de la demande — L' —objet de la demande— embrasse toute question à l'égard de laquelle il est possible d'obtenir réparation en application de l'art. 18 — L'art. 18.1(3)a) et b) prévoit la possibilité d'une ordonnance de mandamus, d'un jugement déclaratoire et d'une ordonnance de prohibition — L'exercice du pouvoir que confère l'art. 18 ne dépend pas de l'existence d'une —décision— ou d'une —ordonnance—.
Droit administratif — Contrôle judiciaire — Mandamus — Appel d'une ordonnance portant radiation de l'avis de requête introductif d'instance au motif que celle-ci a été déposée hors du délai prévu à l'art. 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale — Les appelants sollicitent de la Cour une ordonnance de mandamus, une ordonnance de prohibition et un jugement déclaratoire concernant les allégations que, dans chaque exercice financier depuis 1993-1994, et contrairement au devoir qu'il lui incombe en vertu de la Loi sur la pension de la fonction publique et de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, le ministre continue à amortir, irrégulièrement, une partie de l'excédent des comptes de pension de retraite de la Fonction publique et des Forces canadiennes — La —décision— initiale d'instaurer cette procédure comptable a été prise en 1989-1990 — Le délai imposé par l'art. 18.1(2) n'empêche pas les appelants de solliciter de la Cour une ordonnance de mandamus, une ordonnance de prohibition et un jugement déclaratoire — L'art. 18.1(1) offre à quiconque est directement touché par l'objet de la demande la possibilité de déposer une demande de contrôle judiciaire visant la décision ou l'ordonnance d'un office fédéral — Le concept d'—objet de la demande— embrasse toute question à l'égard de laquelle il est possible d'obtenir réparation en application de l'art. 18 — L'art. 18.1(3)a) et b) prévoit la possibilité d'ordonnances de mandamus, de prohibition ainsi que de jugements déclaratoires — L'exercice du pouvoir conféré par l'art. 18 ne dépend pas de l'existence d'une —décision— ou —ordonnance— — Contestation des mesures prises, par les ministres responsables, pour la mise en œuvre de la décision — L'obligation légale en question se fait jour au cours de chaque exercice.
Il s'agit d'un appel visant l'ordonnance par laquelle la Section de première instance a radié l'avis de requête introductif d'instance déposé en novembre 1997 et sollicitant réparation par voie d'ordonnance de mandamus, d'ordonnance de prohibition et de jugement déclaratoire, et rejeté la requête incidente en prorogation de délai. Le principal chef de plainte est qu'à partir de l'exercice 1993-1994, les ministres responsables ont omis de porter au crédit des comptes de pension de retraite de la fonction publique et des Forces canadiennes l'intégralité des sommes dont ces comptes doivent être crédités en application du paragraphe 44(1) de la Loi sur la pension de la fonction publique, et du paragraphe 55(1) de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes. Les appelants prétendent qu'au cours de ces exercices, une partie de l'excédent en cours de ces comptes a été irrégulièrement amortie et qu'il s'agit là d'une mesure continue qui va à l'encontre de l'obligation que les ministres tiennent de ces textes de loi. Un compte est excédentaire lorsque le solde est supérieur à l'obligation ou à l'engagement au titre des prestations de retraite futures, établi au moyen de calculs actuariels. La juge des requêtes a noté que les pratiques comptables appliquées par l'intimée au cours de l'exercice 1993-1994 avaient été recommandées en 1988 par l'Institut canadien des comptables agréés, et découlaient de la décision prise par l'intimée au cours de l'exercice 1989-1990 de mettre en application les recommandations de cet organisme. La juge des requêtes a estimé que la requête introductive d'instance avait été déposée après l'expiration du délai de trentaine prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale pour les demandes de contrôle judiciaire visant une décision ou ordonnance d'un office fédéral, la "décision" initiale d'amortir les excédents ayant été prise au cours de l'exercice 1989-1990. Même à supposer que la pratique consistant à amortir les excédents dans chaque exercice constitue effectivement une "décision", cette pratique a vu le jour au cours de l'exercice 1993-1994 et tout amortissement subséquent d'une fraction quelconque des excédents découlait de cette décision.
Les appelants soutenaient que le délai de 30 jours prévu au paragraphe 18.1(2) ne s'applique qu'au recours en contrôle judiciaire visant une "décision" ou "ordonnance". Les appelants soutenaient que les mesures visées par leur action en ordonnance de mandamus , ordonnance de prohibition et jugement déclaratoire ne sont pas des "décisions" au sens du paragraphe 18.1(2).
L'intimée faisait valoir que l'acte introductif d'instance était vicié parce qu'il citait à tort Sa Majesté en qualité de défenderesse et qu'il ne donnait ni la date ni les détails de la décision, ordonnance ou question spécifique que vise le recours.
Arrêt: il convient d'accueillir l'appel; et de modifier l'intitulé de la cause par la substitution à "Sa Majesté la Reine du chef du Canada" du "président du Conseil du Trésor" et du "ministre des Finances".
Le délai prévu au paragraphe 18.1(2) ne fait pas que les appelants soient irrecevables à agir en mandamus, en prohibition ou en jugement déclaratoire. Le paragraphe 18.1(1) autorise "quiconque est directement touché par l'objet de la demande" à déposer une demande de contrôle judiciaire. Le concept d'"objet de la demande" embrasse non seulement les "décisions" mais encore toute question à l'égard de laquelle il est possible d'obtenir réparation en application de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale . Aux termes de l'alinéa 18.1(3)a), la Cour peut ordonner à un office fédéral d'accomplir tout acte qu'il a illégalement omis ou refuser d'accomplir, ce qui semble prévoir la possibilité d'une ordonnance de mandamus. Il semble bien que le redressement par voie de jugement déclaratoire ou d'ordonnance de prohibition fait partie de moyens de droit prévus à l'alinéa 18.1(3)b) dans les cas où "toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte" de l'office fédéral est déclaré "nul ou illégal". La formulation de l'article 18.1 a été conçu de manière à embrasser le recours tendant au redressement spécifiquement prévu à l'article 18 ainsi que l'annulation ou le renvoi de toute "décision" ou "ordonnance". S'il est vrai qu'une décision a été prise d'adopter les recommandations de 1988, ce n'est pas cette décision-là, mais les actes accomplis par les ministres responsables pour mettre à exécution cette décision auxquels les appelants reprochent d'être invalides ou illégaux. L'obligation de se conformer aux paragraphes 44(1) de la LPFP et 55(1) de la LPRFC se faisait jour "au cours de chaque exercice".
L'exercice de la compétence prévu à l'article 18 n'est pas subordonné à l'existence d'une "décision" ou "ordonnance". La décision d'adopter les recommandations de 1988 n'a pas fait courir le délai de prescription du paragraphe 18.1(2). Cette décision n'est pas elle-même un manquement à quelque obligation légale que ce soit. S'il y a eu manquement, celui-ci tient aux actes accomplis par le ministre responsable en violation du texte de loi applicable.
Ce sont le "président du Conseil du Trésor" et le "ministre des Finances" qui auraient dû être cités comme défendeurs et non "Sa Majesté". L'acte introductif d'instance n'était pas à d'autres égards si vicié qu'il défie toute correction par simple modification. Au moment de son dépôt, l'ancienne Règle 1602(4) des Règles de la Cour fédérale prévoyait qu'il devait "porte[r] sur le contrôle judiciaire d'une seule décision, ordonnance ou autre question", prescription qui, depuis, a été modifiée par la nouvelle règle 302. L'ancienne Règle 6 investissait la Cour, dans les cas exceptionnels, du pouvoir de "dispenser de l'observation d'une règle lorsque cela s'avère nécessaire dans l'intérêt de la justice", pouvoir en grande partie maintenu par la nouvelle règle 55. Les circonstances de la cause justifiaient de dispenser de l'observation de cette condition en permettant d'invoquer les diverses "questions" dans la même instance. Les appelants ont présenté suffisamment de détails sur ces questions dans leur requête introductive d'instance.
lois et règlements
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4), 18.1 (édicté, idem, art. 5), 18.4 (édicté, idem).
Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, art. 64(2)d).
Loi sur la pension de la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-36, art. 44(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 46, art. 23).
Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, L.R.C. (1985), ch. C-17, art. 55(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 46, art. 50).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 6 (édictée par DORS/90-846, art. 1), 1602 (édictée par DORS/92-43, art. 19; 94-41, art. 14).
Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 55, 302.
jurisprudence
décisions appliquées:
Alberta Wilderness Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (1997), 26 C.E.L.R. (N.S.) 238; 146 F.T.R. 19 (C.F. 1re inst.); Alberta Wilderness Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1999] 1 C.F. 483 (C.A.).
décisions examinées:
Rex v. Barker (1762), 3 Burr. 1265; 97 E.R. 823; Rochester (Mayor of) v. Reg. (1858), El.Bl. & El. 1024; 113 R.R. 978; Reg. v. Inland Revenue Comrs., Ex parte National Federation of Self-Employed and Small Businesses Ltd., [1982] A.C. 617 (H.L.); Reg. v. Greater London Council, Ex parte Blackburn, [1976] 1 W.L.R. 550.
décisions citées:
Broughton v. Commissioner of Stamp Duties, [1899] A.C. 251 (P.C.); McCaffrey c. Canada, [1993] 1 C.T.C. 15; (1993), 93 DTC 5009; 59 F.T.R. 12 (C.F. 1re inst.); LeBlanc c. Banque nationale du Canada, [1994] 1 C.F. 81 (1re inst.); Atlantic Oil Workers Union c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Bureau de la politique de concurrence), [1996] 3 C.F. 539; (1996), 68 C.P.R. (3d) 344; 114 F.T.R. 161 (1re inst.).
doctrine
Brown, Donald J. M. and John M. Evans. Judicial Review of Administrative Action in Canada, Toronto: Canvasback Publishing, 1998.
MacKinnon, B. J. "Prohibition, Certiorari and Quo Warranto" in Special Lectures of the Law Society of Upper Canada , Toronto: Richard De Boo Ltd, 1961, 290.
Wade, William and Christopher Forsyth. Administrative Law, 7th ed. Oxford: Clarendon Press, 1994.
APPEL d'une ordonnance de la Section de première instance ((1998), 143 F.T.R. 143) portant radiation d'un avis de requête introductif d'instance sollicitant une ordonnance du mandamus, une ordonnance de prohibition et un jugement déclaratoire concernant certaines sommes à porter au crédit de deux fonds de pension, pour dépassement du délai de 30 jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale. Appel accueilli.
ont comparu:
Peter C. Englemann pour l'appelants (demandeurs).
Edward R. Sojonky, c.r. et Jan E. Brongers pour l'intimée (défenderesse).
avocats inscrits au dossier:
Caroline Englemann Gottheil, Ottawa, pour l'appelants (demandeurs).
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée (défenderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Stone, J.C.A.: Cet appel vise l'ordonnance en date du 25 février 1998 [(1998), 143 F.T.R. 143] par laquelle la Section de première instance a fait droit à la fin de non-recevoir opposée par l'intimée à l'avis de requête introductive d'instance des appelants, tout en rejetant la requête incidente de ces derniers en prorogation de délai.
L'avis de requête introductive d'instance, déposé le 13 novembre 1997 sous le régime des articles 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4] et 18.1 [édicté, idem, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7], concluait à réparation par voie d'ordonnance de mandamus, d'ordonnance de prohibition et de jugement déclaratoire. L'objectif en était triple. Il tendait en premier lieu à forcer l'intimée à porter et à garder au crédit du fonds de pension de retraite de la fonction publique et du fonds de pension de retraite des Forces canadiennes, tels qu'ils sont respectivement maintenus en vigueur par la Loi sur la pension de la fonction publique1 (LPFP) et la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes2 (LPRFC), "les montants dont ces fonds doivent être crédités" conformément au paragraphe 44(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 46, art. 23] de la première, et au paragraphe 55(1) [mod., idem , art. 50] de la seconde loi. En deuxième lieu à interdire à l'intimée de débiter ces comptes et d'affecter une fraction quelconque des montants dont ces comptes ont été ou doivent être crédités, à d'autres dépenses budgétaires ou au service de la dette nationale, ou de réduire de quelque manière que ce soit les montants dont l'un et l'autre de ces comptes ont été ou doivent être crédités. En troisième lieu, à faire déclarer contraire au paragraphe 44(1) LPFP et au paragraphe 55(1) de la LPRFC, l'utilisation par l'intimée de la "provision pour redressement au titre des régimes de retraite" pour distraire ou réduire les montants dont l'un et l'autre comptes ont été ou doivent être crédités, ou encore pour en affecter une fraction quelconque à d'autres dépenses budgétaires ou au service de la dette nationale.
Voici ce que prévoient respectivement le paragraphe 44(1) de la LPFP et le paragraphe 55(1) de la LPRFC:
44. (1) Lors de chaque exercice, sont portés au crédit du compte de pension de retraite:
a) pour chaque mois, un montant égal à la somme des montants suivants:
(i) le montant correspondant à la somme globale que le ministre estime avoir été versée au compte au cours du mois sous la forme de contributions à l'égard du service en cours autre que le service en cours auprès d'un organisme de la fonction publique ou autre organisme défini à l'article 37,
(ii) le montant additionnel qui, selon le ministre, est nécessaire pour couvrir le coût des prestations acquises pour ce mois relativement au service en cours et qui deviendront imputables au compte;
b) pour chaque mois, le montant que le ministre détermine en fonction de la somme globale versée au compte pendant le mois précédent sous forme de contributions à l'égard d'un service passé;
c) le montant qui représente l'intérêt sur le solde figurant au crédit du compte, calculé de la manière et selon les taux et porté au crédit aux moments fixés par règlements. Toutefois, le taux applicable à un trimestre donné au cours d'un exercice doit être au moins égal à celui qui serait obtenu pour le même trimestre par la méthode de calcul prévue à l'article 46 du Règlement sur la pension de la fonction publique, dans sa version du 31 mars 1991.
[. . .]
55. (1) Lors de chaque exercice, sont portés au crédit du compte de pension de retraite:
a) pour chaque mois, le montant que le président du Conseil du Trésor estime nécessaire pour couvrir le coût des prestations acquises pour ce mois et qui deviendront imputables au compte;
b) le montant qui représente l'intérêt sur le solde figurant au crédit du compte, calculé de la manière et selon les taux et porté au crédit aux moments que peuvent fixer les règlements. Toutefois, le taux applicable à un trimestre donné au cours d'un exercice doit être au moins égal à celui qui serait obtenu pour le même trimestre par la méthode de calcul prévue à l'article 36 du Règlement sur la pension de retraite des Forces canadiennes, dans sa version du 31 mars 1991.
Les appelants agissant à titre personnel et en qualité de membres des associations appelantes sont soit cotisants soit bénéficiaires des régimes de pension de retraite créés et maintenus en vigueur par les deux lois ci-dessus.
Voici les motifs invoqués dans le recours en contrôle judiciaire3:
[traduction]
1. le paragraphe 44(1) et d'autres dispositions de la LPFP font à l'intimée obligation de porter et de garder certaines sommes d'argent au crédit du compte de pension de retraite de la fonction publique;
2. l'intimée a omis ou refusé de porter ou de garder ces sommes au crédit du compte de pension de retraite de la fonction publique, a affecté à d'autres dépenses budgétaires ou au service de la dette nationale, une partie des sommes qui ont été ou qui doivent être portées au crédit de ce compte, et/ou l'a débité ou réduit illégalement;
3. cela s'est fait au moyen de la "provision pour redressement au titre des régimes de retraite" ou d'autres comptes similaires pour débiter ou réduire le compte de pension de retraite de la fonction publique ou pour affecter à d'autres dépenses budgétaires ou au service de la dette nationale, une partie des sommes qui ont été ou doivent être portées au crédit de ce dernier;
4. le paragraphe 55(1) et d'autres dispositions de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes font à l'intimée obligation de porter et de garder certaines sommes d'argent au crédit du compte de pension de retraite des FC;
5. l'intimée a omis ou refusé de porter ou de garder ces sommes au crédit du compte de pension de retraite des FC, a affecté à d'autres dépenses budgétaires ou au service de la dette nationale, une partie des sommes qui ont été ou qui doivent être portées au crédit de ce compte, et/ou l'a débité ou réduit illégalement;
6. cela s'est fait au moyen de la "provision pour redressement au titre des régimes de retraite" ou d'autres comptes similaires pour débiter ou réduire le compte de pension de retraite des FC ou pour affecter à d'autres dépenses budgétaires ou au service de la dette nationale, une partie des sommes qui ont été ou doivent être portées au crédit de ce dernier.
Le principal chef de plainte est qu'à partir de l'exercice 1993-1994, les ministres responsables ont omis de porter au crédit des comptes de pension de retraite en question l'intégralité des sommes dont ils doivent être crédités au cours de chaque exercice, en application des paragraphes 44(1) de la LPFP et 55(1) de la LPRFC respectivement. Les appelants prétendent qu'au cours de ces exercices, une partie de l'excédent en cours de ces comptes a été irrégulièrement amortie sur plusieurs années sous forme de provision pour redressement au titre des régimes de pension, et qu'il s'agit là d'une mesure continue qui va à l'encontre de l'obligation que les ministres tiennent de ces textes de loi.
La juge des requêtes a noté en page 148 des motifs de son ordonnance qu'un compte est "excédentaire lorsque le solde est supérieur à l'obligation ou à l'engagement au titre des prestations de retraite futures, établi au moyen de calculs actuariels". Elle a noté en outre que les pratiques comptables appliquées par l'intimée au cours de l'exercice 1993-1994 avaient été recommandées en 1988 par l'Institut canadien des comptables agréés, et découlaient de la décision prise par l'intimée au cours de l'exercice 1989-1990 de mettre en application les recommandations de cet organisme et d'instituer la provision pour redressement en application de l'alinéa 64(2)d ) de la Loi sur la gestion des finances publiques4. Il est constant que c'est au cours de l'exercice 1993-1994 qu'une partie des excédents dans les deux comptes de pension de retraite a été amortie pour la première fois de cette façon.
Le ministre responsable a été saisi en 1995 de la contestation du traitement comptable des sommes devant être portées au crédit des comptes en question pour l'exercice 1993-1994, à la suite de la correspondance échangée entre l'appelant Krause et le président du Conseil du Trésor. Par lettre en date du 18 mai 1995 à M. Krause, le ministre l'a informé de ce qui suit (aux pages 1 et 2)5:
[traduction] J'aimerais attirer votre attention sur deux points dans les recommandations de traitement comptable. En premier lieu, les régimes de retraite définis sont tenus d'appliquer la "meilleure estimation gouvernementale" aux hypothèses économiques et démographiques utilisées pour fixer les engagements en matière de pension et, partant, la position financière de ces régimes, c'est-à-dire la différence entre l'actif et le passif. En second lieu, toute fluctuation d'année en année dans la position financière des régimes de pension du gouvernement doit être amortie sur la durée moyenne estimative des années de service restantes des employés (DMEASR). La position excédentaire d'un régime est amortie à titre de réduction des dépenses du gouvernement, alors que la position déficitaire est amortie à titre d'augmentation des dépenses gouvernementales.
Il y a lieu de noter que cet amortissement ne change pas les montants effectivement inscrits dans un compte de pension de retraite. Les normes comptables ont plutôt pour but de rendre compte de façon réaliste des engagements d'un régime de retraite en fonction des stipulations en vigueur, et d'atténuer l'effet des fluctuations annuelles dans la position financière du régime sur les états financiers du gouvernement, c'est-à-dire les effets sur ses dépenses. En outre, l'engagement en matière de prestations futures, inscrit dans les états financiers du gouvernement, doit être progressivement aligné sur les engagements actuariels estimatifs en la matière.
La fin de non-recevoir introduite le 23 décembre 1997 par l'intimée tire principalement argument du fait que l'avis de requête introductive d'instance avait été déposé après l'expiration du délai de trente jours que prévoit le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale. D'autres vices de procédure ont été également invoqués, dont le défaut de préciser la date et les particularités de la décision, de l'ordonnance ou de la question visée par le recours en contrôle judiciaire, ainsi que le prescrit l'ancienne Règle 1602 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663 (édictée par DORS/92-43, art. 19; 94-41, art. 14)], et le fait de citer à tort des personnes en qualité d'intimées. En réponse, les appelants ont déposé une requête incidente concluant entre autres à la permission d'introduire le recours en contrôle judiciaire après l'expiration du délai prévu au paragraphe 18.1(2), de poursuivre l'instance à titre d'action sous le régime du paragraphe 18.4(2) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] et de modifier l'intitulé de cause de façon à nommer le président du Conseil du Trésor et le ministre des Finances en qualité d'intimés.
La juge des requêtes a rejeté l'argument avancé par les appelants que l'avis de requête introductive d'instance avait été déposé dans les délais. Elle a conclu que la "décision" initiale d'amortir les excédents fut prise au cours de l'exercice 1989-1990, et qu'à supposer que la pratique consistant à amortir les excédents dans chaque exercice constitue une "décision", cette pratique a vu le jour au cours de l'exercice 1993-1994 et tout amortissement subséquent d'une fraction quelconque des excédents découlait de cette décision. De cette analyse, elle a conclu que l'avis de requête introductive d'instance fut déposé longtemps après l'expiration du délai de trente jours prévu au paragraphe 18.1(2). Les appelants contestent cette conclusion.
Ils soutiennent que les mesures visées par leur action en ordonnance de mandamus, ordonnance de prohibition et jugement déclaratoire ne sont pas des "décisions" au sens du paragraphe 18.1(2). Et qu'au cas où cette disposition s'appliquerait, il n'y a pas eu une décision isolée mais une suite de décisions annuelles qui traduisent la politique ou pratique continue dans le temps de l'intimée. Et enfin que de toute façon, les décisions portant amortissement d'une fraction des excédents au cours de l'exercice 1996-1997 ont été contestées dans les délais.
J'examinerai ces divers arguments ensemble.
Au cas où les appelants auraient raison de soutenir que les mesures visées par leur avis de requête introductive d'instance ne sont pas des "décisions", cet avis n'aura pas été déposé après l'expiration du délai imparti. Il convient à ce propos de revenir sur l'article 18 et les paragraphes 18.1(1) à (3) de la Loi sur la Cour fédérale , que voici:
18. (1) Sous réserve de l'article 28, la Section de première instance a compétence exclusive, en première instance, pour:
a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;
b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l'alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d'obtenir réparation de la part d'un office fédéral.
(2) La Section de première instance a compétence exclusive, en première instance, dans le cas des demandes suivantes visant un membre des Forces canadiennes en poste à l'étranger: bref d'habeas corpus ad subjiciendum, de certiorari, de prohibition ou de mandamus.
(3) Les recours prévus aux paragraphes (1) ou (2) sont exercés par présentation d'une demande de contrôle judiciaire.
18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l'objet de la demande.
(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l'office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau de sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu'un juge de la Section de première instance peut, avant ou après l'expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.
(3) Sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Section de première instance peut:
a) ordonner à l'office fédéral en cause d'accomplir tout acte qu'il a illégalement omis ou refusé d'accomplir ou dont il a retardé l'exécution de manière déraisonnable;
b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu'elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l'office fédéral.
Je commencerai par l'argument proposé par les appelants que, vu la réparation à laquelle ils concluent dans l'acte introductif d'instance, le délai de prescription prévu au paragraphe 18.1(2) ne s'applique pas, bien que le ministre ait pu décider dès l'exercice 1989-1990 de comptabiliser tout excédent futur des deux comptes de pension de retraite de la façon recommandée en 1988 par l'Institut canadien des comptables agréés.
Avant d'examiner cet argument des appelants que le délai de prescription prévu au paragraphe 18.1(2) n'a pas application en l'espèce, je tiens à faire quelques observations sur la fonction qu'assuraient par le passé les mesures de redressement extraordinaire reprises à l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale.
Les juridictions de common law en sont venues à concevoir les brefs historiques de mandamus, de certiorari et de prohibition pour combattre l'abus de pouvoir. Dès 1762, lord Mansfield était d'avis qu'il fallait employer le bref de mandamus [traduction] "dans tous les cas où il n'y a aucun remède spécifique en droit et où il devrait y en avoir un au nom de la justice et du bon gouvernement"6. Près de 100 ans après, le baron Martin considérait que le juge était tenu à l'obligation de [traduction] "veiller diligemment" à rendre justice par voie de mandamus "dans tous les cas où, par interprétation raisonnable, il y a lieu d'y recourir"7. De nos jours, ce moyen de droit sert couramment à forcer les autorités publiques de toutes sortes à remplir leurs obligations publiques8. Tout récemment, dans Reg. v. Inland Revenue Comrs., Ex parte National Federation of Self-Employed and Small Businesses Ltd.9, lord Diplock a évoqué en ces termes la décision rendue par lord Denning, M.R., dans Reg. v. Greater London Council, Ex parte Blackburn [[1976] 1 W.L.R. 550, à la page 559]:
[traduction] Je partage, quant au fond, cette conclusion tirée par lord Denning, M.R., en page 559, encore qu'il l'ait exprimée en termes plus éloquents que je ne le fais d'habitude:
"À mon avis, il est de principe constitutionnel du plus haut degré que dans les cas où il y a lieu de croire qu'un département gouvernemental ou une autorité publique contrevient ou est sur le point de contrevenir à la loi, de façon à offenser ou à léser des milliers de sujets de Sa Majesté, n'importe laquelle de ces personnes offensées ou lésées peut en saisir les tribunaux judiciaires en vue de l'application de la loi, et ceux-ci ont le pouvoir discrétionnaire d'accorder toute réparation qui s'impose." (Italiques ajoutés.)
Ce passage vise les violations flagrantes et graves de la loi que continuent à commettre sans restriction des personnes ou autorités exerçant des fonctions gouvernementales.
Par contre, le bref de prohibition a une fonction préventive et non corrective10. Il permet aux tribunaux judiciaires d'exercer un certain contrôle non seulement sur les tribunaux administratifs inférieurs, mais encore sur les autorités administratives en général. Spécifiquement, il peut être invoqué pour [traduction] "interdire aux autorités administratives d'excéder leurs pouvoirs ou d'en abuser"11. En effet, l'ordonnance de prohibition a servi à contrôler l'exercice par ces autorités des pouvoirs qu'elles tiennent de la loi, ce qui embrasse tout simple acte qui n'est pas une décision juridique, et même toute décision préliminaire conduisant à une décision qui affecte des droits, bien que la décision préliminaire ne porte pas directement atteinte à ces droits12.
Le jugement déclaratoire sert entre autres à déterminer si une loi s'applique dans un cas donné. Il a été défini en ces termes13:
[traduction] En droit administratif, le grand mérite du jugement déclaratoire tient à ce qu'il s'agit là d'un moyen efficace contre l'action illégale des autorités gouvernementales de toutes sortes, y compris les ministres et les fonctionnaires et, au dernier stade de son évolution, l'État lui-même. Si le juge déclare illégale une action déjà prise ou envisagée, cela tranche le point litigieux entre le demandeur et l'autorité. Si l'autorité a pris un bien du demandeur, celui-ci a maintenant à sa disposition les voies de droit ordinaires; si un arrêté a été pris à son détriment, il peut l'ignorer avec impunité; s'il a été renvoyé d'un poste, il peut soutenir qu'il en est toujours titulaire. Tous ces résultats découlent du simple fait que les droits des parties ont été déclarés. Il s'agit là d'un moyen très approprié de résoudre des différends avec les autorités gouvernementales, puisqu'il ne comporte aucune menace immédiate de contrainte, tout en étant efficace.
Tous ces moyens de droit relèvent, bien entendu, du pouvoir discrétionnaire de la juridiction compétente. Ils seront refusés par exemple, en cas de retard déraisonnable14. En outre, le requérant doit avoir un intérêt suffisant dans l'objet du litige afin de ne pas être considéré comme un simple importun.
J'en viens maintenant au principal argument des appelants. Ils soutiennent que bien que par application du paragraphe 18(3) de la Loi sur la Cour fédérale, les recours extraordinaires visés aux paragraphes 18(1) et (2) s'exercent "par présentation d'une demande de contrôle judiciaire", leur demande est toujours recevable après l'expiration du délai de trente jours prévu au paragraphe 18.1(2), pour la simple raison que ce délai de prescription ne s'applique qu'au recours en contrôle judiciaire contre une "décision" ou "ordonnance". Les appelants font valoir que nulle part dans l'acte introductif d'instance ils ne cherchent à attaquer une "décision" quelconque des ministres respectifs, mais qu'ils cherchent à forcer l'accomplissement d'obligations publiques, à prévenir le défaut continu d'accomplir ces obligations et à faire déclarer que le recours à la provision pour redressement au titre des régimes de pension va à l'encontre du paragraphe 44(1) de la LPFP et du paragraphe 55(1) de la LPRFC.
Ils font observer que la formulation de l'article 18.1 est telle que celui-ci embrasse le recours tendant au redressement spécifiquement prévu à l'article 18 et tout autre redressement que prévoit le paragraphe 18.1(3). Tel est le sens du membre de phrase "quiconque est directement touché par l'objet de la demande" qui figure au paragraphe 18.1(1). Selon la juge des requêtes [à la page 150], le concept d'"objet de la demande", tel qu'il se retrouve dans l'ancienne Règle 1602, exprime "la nécessité de trouver des mots pour désigner diverses mesures administratives". J'en conviens. Le même avis a été exprimé après l'adoption mais avant l'entrée en vigueur de la loi C-38, qui opérait cette modification15 . En effet, il me semble que le concept d'"objet de la demande" embrasse non seulement les "décisions" mais encore toute question à l'égard de laquelle il est possible d'obtenir une réparation en application de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale .
Les appelants font encore valoir que les termes du paragraphe 18.1(3) indiquent eux aussi que cette disposition a été formulée de façon à permettre d'accorder la réparation prévue à l'article 18 en sus de l'annulation ou du renvoi de la "décision". Il appert que l'ordonnance de mandamus est ce que prévoit l'alinéa 18.1(3)a) aux termes duquel la Cour peut ordonner à l'office fédéral concerné "d'accomplir tout acte qu'il a illégalement omis ou refusé d'accomplir" et que le redressement par voie de jugement déclaratoire ou d'ordonnance de prohibition fait partie des moyens de droit prévus à l'alinéa 18.1(3)b ) dans les cas où "toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte" [soulignement ajouté] de l'office fédéral est déclaré "nul ou illégal"16.
J'accepte ces arguments. À mon avis, le délai prévu au paragraphe 18.1(2) ne fait pas que les appelants soient irrecevables à agir en mandamus, en prohibition ou en jugement déclaratoire. Il est vrai qu'à un moment donné, il y a eu décision interne au sein du ministère d'adopter les recommandations de l'Institut canadien des comptables agréés et de les mettre en application au cours des exercices subséquents. Ce n'est cependant pas cette décision générale que vise le recours des appelants, mais les actes accomplis par les ministres responsables pour mettre à exécution cette décision et auxquels les appelants reprochent d'être invalides ou illégaux. L'obligation de se conformer aux paragraphes 44(1) de la LPFP et 55(1) de la LPRFC se faisait jour "au cours de chaque exercice". Ce que reprochent les appelants aux ministres responsables c'est qu'en faisant ce qu'ils ont fait au cours de l'exercice 1993-1994 et des exercices subséquents, ils ont contrevenu aux dispositions applicables de ces deux lois et n'ont donc pas rempli leurs obligations en la matière, et que ces agissements se poursuivront si la Cour n'intervient pas pour faire respecter l'état de droit. Ce n'est qu'après que la Section de première instance aura entendu le recours en contrôle judiciaire qu'on pourra savoir si cette prétention est fondée ou non.
L'exercice de la compétence prévue à l'article 18 n'est pas subordonné à l'existence d'une "décision ou ordonnance". Dans Alberta Wilderness Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans)17 , le juge Hugessen a fait observer que le recours prévu par cette disposition "ne dépend pas de l'existence préalable d'une décision ni d'une ordonnance". En l'espèce, l'existence d'une décision générale d'adopter les recommandations de l'Institut canadien des comptables agréés ne fait pas courir le délai de prescription du paragraphe 18.1(2) de façon à rendre les appelants irrecevables à agir en mandamus , prohibition ou jugement déclaratoire. Autrement, quelqu'un qui serait dans le même cas n'aurait jamais la possibilité de demander justice sous le régime de l'article 18 du seul fait que le supposé acte invalide ou illégal découle d'une décision antérieurement prise en la matière. Cette dernière décision n'est pas elle-même un manquement à quelque obligation légale que ce soit. S'il y a eu manquement, celui-ci tient aux actes accomplis par le ministre responsable en violation du texte de loi applicable.
Étant donné la conclusion ci-dessus, il n'est pas nécessaire d'examiner les arguments subsidiaires des appelants, dont l'argument que quand bien même le paragraphe 18.1(2) s'appliquerait, le recours en contrôle judiciaire a été introduit dans les délais, et l'argument que la juge des requêtes a commis une erreur faute d'avoir accordé la prorogation du délai ou faute d'avoir autorisé la poursuite du recours sous forme d'action.
Il est cependant nécessaire d'examiner l'argument proposé par l'intimée dans sa fin de non-recevoir, savoir que l'acte introductif d'instance est vicié par ce motif qu'il n'indiquait pas l'office fédéral en cause, qu'il citait à tort Sa Majesté en qualité de défenderesse, et qu'il ne donnait ni la date ni les détails de la décision, ordonnance ou question spécifique que vise le recours.
Par requête incidente, les appelants demandent l'autorisation de modifier l'acte introductif d'instance en substituant à Sa Majesté le "président du Conseil du Trésor" et le "ministre des Finances" en qualité de défendeurs.
Je conviens avec l'intimée qu'il y a une erreur dans l'intitulé de la cause. C'est le "président du Conseil du Trésor" et le "ministre des Finances" qui auraient dû être cités comme défendeurs à la place de "Sa Majesté"18.
Je ne suis pas convaincu que l'acte introductif d'instance soit à d'autres égards si vicié qu'il défie toute correction par simple modification. Au moment de son dépôt, l'ancien paragraphe 1602(4) des Règles prévoyait qu'il devait porter sur "une seule décision, ordonnance ou autre question", mais cette prescription a été modifiée par la nouvelle règle 302 [Règles de la Cour fédérale (1998) , DORS/98-106]. L'ancienne Règle 6 [édictée par DORS/90-846, art. 2] investissait la Cour, dans les cas exceptionnels, du pouvoir de "dispenser de l'observation d'une règle lorsque cela s'avère nécessaire dans l'intérêt de la justice", et ce pouvoir est maintenu dans une grande mesure par la nouvelle règle 55. À mon avis, les circonstances de la cause justifient de dispenser de l'observation de la condition susmentionnée en permettant d'invoquer les diverses "questions" dans la même instance. Je constate aussi que les appelants ont présenté suffisamment de détails sur ces questions dans leur requête introductive d'instance.
Je me prononce pour l'accueil de l'appel avec dépens, l'annulation de l'ordonnance de la Section de première instance et le rejet de la fin de non-recevoir. Je me prononce aussi pour la modification de l'intitulé de la cause par la substitution à "Sa Majesté la Reine du chef du Canada", du "président du Conseil du Trésor" et du "ministre des Finances" en qualité de défendeurs.
Le juge Linden, J.C.A.: Je souscris aux motifs ci-dessus.
Le juge Sexton, J.C.A.: Je souscris aux motifs ci-dessus.
1 L.R.C. (1985), ch. P-36.
2 L.R.C. (1985), ch. C-17.
3 Dossier d'appel, vol. 1, aux p. 34 et 35.
4 L.R.C. (1985), ch. F-11.
5 Dossier d'appel, vol. 1, aux p. 264 et 265.
6 Rex v. Barker (1762), 3 Burr. 1265, à la p. 1267; 97 E.R. 823, à la p. 825.
7 Mayor of Rochester v. Reg. (1858), El. Bl. & El. 1024, à la p. 1033; 113 R.R. 978, à la p. 983.
8 W. Wade & C. Forsyth, Administrative Law, 7e éd. (Oxford: Clarendon Press, 1994), à la p. 643.
9 [1982] A.C. 617 (H.L.), at p. 641.
10 B. J. MacKinnon, "Prohibition, Certiorari and Quo Warranto", in Law Society of Upper Canada Special Lectures Toronto: Richard De Boo Ltd., 1961, à la p. 290.
11 W. Wade & C. Forsyth, supra, note 8, à la p. 626.
12 Id., aux p. 633 et 634.
13 Id., à la p. 593.
14 Voir par ex. Broughton v. Commissioner of Stamp Duties, [1899] A.C. 251 (P.C.).
15 I. G. Whitehall et J. H. Smellie, "Judicial Review and Administrative Appeals"A Substantive and Procedural Overview", Colloque de l'Association du Barreau canadien sur la loi C-38, Toronto (25 janvier 1991) et Vancouver (1er février 1991), à la p. 14. La loi modificatrice (L.C. 1990, ch. 8) a été sanctionnée le 29 mars 1990, et est entrée en vigueur le 1er février 1992.
16 Voir Brown D. and Evans, J. M. Judicial Review of Administrative Action in Canada (Toronto: Canvasback Publishing, 1998), à la p. 2:4410, où il est question à l'art. 18.1(3).
17 (1997), 26 C.E.L.R. (N.S.) 238 (C.F. 1re inst.) aux p. 241 et 242; infirmé par d'autres motifs; Alberta Wilderness Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1999] 1 C.F. 483 (C.A.).
18 McCaffrey c. Canada, [1993] 1 C.T.C. 15 (C.F. 1re inst.). Voir aussi LeBlanc c. Banque nationale du Canada, [1994] 1 C.F. 81 (1re inst.); Atlantic Oil Workers Union c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Bureau de la politique de concurrence), [1996] 3 C.F. 539 (1re inst.).