John A. MacDonald, Railquip Enterprises Ltd.
(Appelants)
c.
Vapor Canada Limited (Intimée)
et
Le procureur général du Canada, le procureur
général de la province de Québec (Intervenants)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge
Thurlow et le juge suppléant Choquette—Mon-
tréal, les 19, 20, 21 et 22 septembre 1972.
Droit constitutionnel—Trafic et commerce—Compéten-
ce—Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, c.
T-10—Cette législation est-elle intro vires—Méthode con-
traire aux honnêtes usages industriels ou commerciaux—Loi
sur les marques de commerce, art. 7—Existe-t-il une cause
d'action—Compétence de la Cour fédérale.
Lorsqu'il est entré au service de la Vapor Canada Ltd., M
a souscrit un engagement de ne pas divulguer de renseigne-
ments acquis du fait de son emploi. Au service de la
compagnie pendant près de dix ans, il en est devenu le
vice-président. Au cours des derniers mois où il a été
employé par l'intimée, il a participé à la préparation d'une
soumission présentée par cette dernière pour la fourniture
de 500 installations de chauffage de wagons de chemin de
fer au CN. En mai 1971, deux semaines après qu'il eut
quitté son emploi chez l'intimée, il a présenté une soumis-
sion, par l'entremise de la compagnie appelante, qu'il avait
fait constituer et qu'il contrôlait, pour la fourniture d'instal-
lations de chauffage de wagons de chemin de fer au CN, ce
qui lui a valu une commande de 150 de ces installations.
Pour préparer ladite soumission, M s'est servi des connais-
sances qu'il avait acquises à titre d'employé de l'intimée et
des chiffres sur lesquels se fondait la soumission de celle-ci.
Il a en outre employé d'autres renseignements confidentiels
acquis pendant qu'il était à l'emploi de l'intimée. De plus, il
s'est emparé d'un certain nombre de documents relatifs à
cette affaire que l'intimée avait en sa possession et qui lui
appartenaient. La Vapor Canada Ltd. a intenté une action
où elle réclamait des dommages-intérêts ainsi que la déli-
vrance d'une injonction; elle a obtenu une injonction inter-
locutoire jusqu'à ce que l'affaire soit tranchée au fond.
Arrêt: Il y a lieu de rejeter l'appel de M et de la compa-
gnie appelante.
1. Les appelants ont contrevenu aux dispositions de l'ar-
ticle 7e) de la Loi sur les marques de commerce, S.R.C.
1970, c. T-10, qui interdit tout acte ou méthode d'affaires
contraire aux honnêtes usages industriels ou commerciaux
ayant cours au Canada: la compagnie appelante, en se
servant de renseignements de nature commerciale obtenus
d'un ancien employé d'un concurrent, abusant ainsi de la
relation de confiance existant entre ledit employé et ce
concurrent, et M, lorsqu'à titre de dirigeant de la compagnie
appelante, il a amené cette dernière à contrevenir à l'article
7e). Arrêts mentionnés: Breeze Corp. c. Hamilton Clamp &
Stampings Ltd. (1962) 37 C.P.R. 1953; Clairol International
Corp. c. Thomas Supply and Equipment Co. [1968] 2
R.C.E. 552. En vertu de l'article 55 de la Loi sur les
marques de commerce, la Division de première instance a
compétence pour connaître d'une action en violation de
l'article 7.
2. La Loi sur les marques de commerce, qui est une loi
d'application générale réglementant les normes de la con-
duite des affaires ail Canada, relève de la compétence du
Parlement du Canada en vertu de l'article 91(2) de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique qui donne au Parlement le
pouvoir de légiférer en matière de trafic et de commerce;
La Compagnie d'assurance des citoyens c. Parsons (1881) 7
App. Cas. 96; La Commission fédérale du commerce et de
l'industrie [1937] A.C. 405; Reference re Alberta Statutes
[1938] R.C.S. 100; Renvoi sur la Commission de Commerce
[1922] 1 A.C. 191; Renvoi sur la Loi sur l'organisation du
marché des produits naturels, 1934 [1936] R.C.S. 398.
APPEL d'un jugement non publié du juge
Walsh accordant une injonction interlocutoire.
J. Nelson Landry et Malcolm E. McLeod
pour les appelants.
Redmond Quain, c.r., et H. C. Salman pour
l'intimée.
G. W. Ainslie, c.r., et A. P. Gauthier pour le
procureur général du Canada.
A. Geoffrion, c.r., pour le procureur général
de la province de Québec.
LE JUGE EN CHEF JACKETT—Le présent
appel est interjeté d'un jugement' de la Division
de première instance en date du 19 avril 1972
qui interdisait notamment aux appelants .. .
(2) [d']utiliser pour leur bénéfice personnel ou [de]
divulguer à toute personne non autorisée tout renseigne-
ment confidentiel ou toute connaissance acquis par eux
du fait que [l'appelant] MacDonald était au service de
[l'intimée], ou [de] présenter toute soumission pour la
fabrication ou la vente de produits à l'égard desquels ces
renseignements confidentiels acquis par MacDonald sont
utilisés ou utiles;
(3) [d']utiliser tous plans, mémoires descriptifs, expo-
sés, lettres ou autres documents appartenant à [l'intimée]
pour leurs propres fins ou s'assurer la complicité de tout
employé de [l'intimée] pour obtenir ces plans, mémoires
descriptifs, lettres ou autres documents; ...
et qui leur ordonnait de remettre immédiate-
ment à l'intimée tous plans, mémoires descrip-
tifs, exposés, lettres ou autres documents
appartenant à celle-ci, y compris toutes copies
ou reproductions de ces documents appartenant
à l'intimée, qui pouvaient être en leur
possession.
Les appelants ont interjeté appel et, pour que
la Cour rende une ordonnance les dispensant de
reproduire la preuve sur laquelle se fondait le
jugement porté en appel, ils ont donné l'assu-
rance à cette Cour qu'ils ne fonderaient leur
appel que sur les moyens suivants:
[TRADUCTION] 1. qu'il faut partiellement ou totalement
infirmer le jugement porté en appel au motif qu'il n'existe
aucune loi qui donne ou qui ait pour effet de donner à la
Cour fédérale du Canada compétence pour rendre ce
jugement; et
2. en ce qui concerne l'ensemble du jugement porté en
appel ou partie de ce dernier, s'il existe une loi qui donne
ou qui prétend donner à la Cour fédérale du Canada
compétence pour rendre ce jugement, les dispositions de
cette loi outrepassent, à cet égard, la compétence du
Parlement du Canada;
Dans leur exposé des faits et du droit, les
appelants attaquent la partie susmentionnée du
jugement porté en appel en invoquant les
moyens suivants:
1) qu'il y a lieu d'infirmer lesdites parties du jugement
porté en appel au motif qu'il n'existe aucune loi qui donne
ou qui prétend donner à la Cour fédérale du Canada
compétence pour rendre ce jugement; et
2) qu'en ce qui concerne lesdites parties du jugement
porté en appel, s'il existe une loi qui donne ou qui prétend
donner à la Cour fédérale du Canada compétence pour
rendre ce jugement, les dispositions de cette loi outrepas-
sent, à cet égard, la compétence du Parlement du Canada.
L'exposé des faits, tels qu'on doit les accep-
ter aux fins du présent appel, ne pose aucune
difficulté?
L'intimée fait depuis plusieurs années le com
merce de matériel de chauffage; l'appelant Mac-
Donald a été au service de l'intimée et d'une
compagnie remplacée par cette dernière pen
dant presque 10 ans et il est arrivé jusqu'au
poste de vice-président. Lorsqu'il est entré au
service de la compagnie remplacée par l'inti-
mée, MacDonald a souscrit un engagement dont
le préambule est rédigé en partie de la façon
suivante:
[TRADUCTION] ... me rendant compte que, grâce à mon dit
emploi, je serai en mesure d'acquérir, par mes observations
et par des communications qui me seront faites, des rensei-
gnements confidentiels et d'importance capitale relatifs aux
méthodes de construction et aux principes utilisés dans les
appareils et dispositifs fabriqués, vendus, mis au point ou
utilisés par la présente compagnie (et aux difficultés que
provoque leur production) dans le cours de ses affaires,
durant toute la période où je serai au service de la
compagnie;
La clause cinq dudit engagement est libellée de
la façon suivante:
[TRADUCTION] Je ne divulguerai à aucune personne non
autorisée quelque renseignement obtenu ou quelque con-
naissance acquise du fait de mon emploi par la compagnie.
Alors qu'il était encore employé par l'intimée,
MacDonald s'est occupé de la constitution en
corporation de l'appelante, la Railquip Enter
prises Ltd., dont il a toujours été l'actionnaire
majoritaire.
Au cours des derniers mois où il a été
employé par l'intimée, MacDonald a participé à
la préparation d'une soumission présentée par
cette dernière pour la fourniture de 500 installa
tions de chauffage de wagons de chemin de fer
au Canadien National. MacDonald a quitté son
emploi chez l'intimée le 15 avril 1971 et, le 1 er
mai 1971, il a présenté une soumission, proba-
blement au nom de la Railquip, pour la fourni-
ture d'installations de chauffage de wagons de
chemin de fer au Canadien National. Suite à
cette soumission, la Railquip a obtenu une corn-
mande de 150 installations de chauffage. Pour
préparer ladite soumission, MacDonald s'est
servi des connaissances qu'il avait acquises, à
titre d'employé de l'intimée, et des chiffres sur
lesquels se fondait la soumission de l'intimée.
La détermination de ces montants avait exigé
un travail considérable de la part des employés
de l'intimée. Pour permettre à la compagnie
dont il était l'actionnaire majoritaire de préparer
cette soumission, MacDonald a aussi employé
et dévoilé d'autres renseignements confidentiels
acquis pendant qu'il était employé par l'intimée.
En outre, il s'est emparé d'un certain nombre de
documents relatifs à cette affaire que l'intimée
avait en sa possession et qui lui appartenaient.
Se fondant sur les faits susmentionnés, qui ne
sont pas contestés au présent appel, le juge de
première instance a conclu que les appelants
avaient violé l'article 7e) de la Loi sur les mar-
ques de commerce, qui est rédigé de la façon
suivante:
7. Nul ne doit
e) faire un autre acte ou adopter une autre méthode
d'affaires contraire aux honnêtes usages industriels ou
commerciaux ayant cours au Canada.
Le juge de première instance a décidé qu'il
s'agissait d'un cas prévu à l'article 53 de la Loi
sur les marques de commerce, donnant ouver-
ture au redressement accordé par le jugement
porté en appel résumé plus haut. L'article susdit
est rédigé de la façon suivante:
53. Lorsqu'il est démontré à une cour compétente, qu'un
acte a été accompli contrairement à la présente loi, la cour
peut rendre l'ordonnance que les circonstances exigent, y
compris une stipulation portant un redressement par voie
d'injonction et le recouvrement de dommages-intérêts ou de
profits, et peut donner des instructions quant à la disposi
tion des marchandises, colis, étiquettes et matériel publici-
taire contrevenant à la présente loi et de toutes matrices
employées à leur égard.
C'est en vertu de l'article 55 de la Loi sur les
marques de commerce, modifié par l'article
64(2) de la Loi sur la Cour fédérale, lu en
corrélation avec l'article 26(1) de cette dernière,
que la Division de première instance a compé-
tence pour connaître d'une action fondée sur la
violation de l'article 7. Voici le texte des articles
55 et 26(1) susdits:
55. Toute action ou procédure en vue de l'application
d'une disposition de la présente loi ou d'un droit ou recours
conféré ou défini de la sorte est recevable par la Cour
fédérale du Canada.
26. (1) La Division de première instance a compétence
en première instance sur toute question pour laquelle une loi
du Parlement du Canada a donné compétence à la Cour
fédérale, désignée sous son nouveau ou sous son ancien
nom, à l'exception des questions expressément réservées à
la Cour d'appel.
Voici, à mon avis, la position des appelants
au présent appel: la Division de première ins
tance n'avait pas compétence pour rendre le
jugement porté en appel aux motifs que
a) l'article 7e) ne s'applique pas aux faits
établis par la Division de première instance,
et
b) subsidiairement, si l'article 7e) s'applique à
ces faits, il est ultra vires du Parlement du
Canada. 3
Je vais d'abord examiner, d'après les faits
établis par la Division de première instance, si
les appelants ont enfreint les dispositions de
l'article 7e). 3 A
L'article 7 se trouve dans une loi dont le titre
complet est le suivant: Loi concernant les mar-
ques de commerce et la concurrence déloyale; il
est placé dans la partie de la loi intitulée Con-
currence déloyale et marques interdites. A cet
égard, ledit article 7, après avoir énuméré cer-
taines catégories d'actes interdits, de toute évi-
dence, au titre de la «concurrence déloyale»,
interdit de faire «un autre acte ... contraire aux
honnêtes usages industriels ou commerciaux
ayant cours au Canada». Les parties au présent
appel ont convenu que, tant au Québec que
dans les provinces de common law et indépen-
damment de toute disposition législative, un
homme d'affaires est passible de dommages-
intérêts et s'expose à la délivrance d'une injonc-
tion à son égard s'il se met à se servir aux fins
de son entreprise de renseignements qu'il a
obtenus d'un employé d'un concurrent, en con
travention au contrat de travail conclu par cet
employé avec ce concurrent . 4 Puisqu'il en est
ainsi, j'estime qu'en l'absence de preuve du
contraire, il doit être «contraire aux honnêtes
usages industriels ou commerciaux ayant cours
au Canada» de se servir de cette façon de
renseignements ainsi obtenus et que, par consé-
quent, cet acte constitue une contravention à
l'article 7e) de la Loi sur les marques de
commerce . 5
Ce n'est pas là une façon nouvelle d'interpré-
ter l'article 7e). Déjà le juge Donnelly, dans
l'affaire Breeze Corp. c. Hamilton Clamp &
Stampings Ltd. (1962) 37 C.P.R. 153, avait
décidé que l'usage de renseignements de nature
confidentielle et technique à des fins autres que
celles pour lesquelles ces renseignements
avaient été révélés constitue un acte contraire
aux honnêtes usages industriels ou commer-
ciaux ayant cours au Canada, au sens de ces
mots à l'article 7e). Pour sa part, mon collègue
le juge Thurlow, en étudiant la portée de l'arti-
cle 7e) dans l'affaire Clairol International Corp.
c. Thomas Supply and Equipment Co. [1968] 2
R.C.E. 552, a déclaré: [TRADUCTION] «On peut
considérer à bon droit que des actes ou une
conduite frisant l'abus de confiance tombent
dans le champ d'application de cet article». En
outre, dans la troisième édition (1972) de l'ou-
vrage de Fox The Canadian Law of Trade
Marks and Unfair Competition, à la page 652,
on trouve l'affirmation suivante, après la cita
tion de l'article 7e):
[TRADUCTION] Cette prohibition vise évidemment la com
munication irrégulière de renseignements confidentiels et de
secrets commerciaux ...
En l'absence d'une argumentation convain-
cante ou de jurisprudence à l'effet contraire qui
fasse autorité, je suis d'avis que la compagnie
appelante a contrevenu aux dispositions de l'ar-
ticle 7e) lorsqu'elle s'est servie, aux fins de son
entreprise, de renseignements que lui avait four-
nis un ancien employé d'un concurrent, abusant
ainsi de la relation de confiance existant entre
ledit employé et ce concurrent 6' Je suis en outre
d'avis que l'appelant MacDonald a contrevenu
aux dispositions de l'article 7e) lorsque, à titre
de dirigeant de la compagnie appelante, il a
amené cette dernière à contrevenir audit
article :7
Relativement à cet aspect de l'affaire, il reste
à traiter de la question des documents. A mon
avis, l'article 7e) s'applique à l'obtention et à
l'usage de documents dérobés à un concurrent
exactement de la même façon qu'il s'applique à
l'obtention et à l'usage de renseignements confi-
dentiels. Le texte et l'esprit de l'article 7e) s'ap-
pliquent également aux deux cas.
C'est pourquoi je conclus que la Division de
première instance était fondée à décider que les
appelants avaient violé les dispositions de l'arti-
cle 7 e) tant en ce qui concerne les renseigne-
ments confidentiels que les documents.
J'en viens maintenant à la question de savoir
si le Parlement est compétent pour promulguer
l'article 7e).
La première question à se poser est celle de
savoir si l'ensemble de la Loi sur les marques de
commerce relève de la compétence du Parle-
ment du Canada. Si la réponse à cette question
est négative, la question suivante à se poser est
celle de savoir si l'article 7, ou son alinéa e), est
susceptible d'être séparé du reste de la loi et,
pris séparément, d'être considéré comme rele
vant de la compétence du Parlement du Canada.
Bien que d'autres questions aient été soule-
vées, je suis d'avis que la véritable question à
trancher en l'espèce est celle de savoir si la Loi
sur les marques de commerce est une «loi»
relative à une «matière» tombant dans la caté-
gorie de sujets figurant à l'article 91(2) de l'Acte
de l'Amérique du Nord britannique, 1867, «La
réglementation du trafic et du commerce»,
auquel cas cette loi relève de la compétence du
Parlement, ou s'il s'agit d'une «loi» relative à
une «matière» qui ne tombe pas dans cette
catégorie de sujets, auquel cas il s'agit d'une loi
relative à une «matière» tombant dans la caté-
gorie de sujets figurant à l'article 92(13) de
l'Acte «La propriété et les droits civils dans la
province», ou d'une loi relative à une matière
tombant dans la catégorie de sujets figurant à
l'article 92(16) «... les matières d'une nature
purement locale ou privée dans la province».
Voici le texte des dispositions susdites portant
sur la question à l'étude:
91. Il sera loisible à la Reine, de l'avis et du consentement
du Sénat et de la Chambre des Communes, de faire des lois
pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada,
relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les
catégories de sujets par le présent acte exclusivement assi
gnés aux législatures des provinces; mais, pour plus de
garantie, sans toutefois restreindre la généralité des termes
ci-haut employés dans le présent article, il est par le présent
déclaré que (nonobstant toute disposition contraire énoncée
dans le présent acte) l'autorité législative exclusive du parle-
ment du Canada s'étend à toutes les matières tombant dans
les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir:
2. La réglementation du trafic et du commerce.
Et aucune des matières énoncées dans les catégories de
sujets énumérés dans le présent article ne sera réputée
tomber dans la catégorie des matières d'une nature locale ou
privée comprises dans l'énumération des catégories de
sujets exclusivement assignés par le présent acte aux légis-
latures des provinces.
92. Dans chaque province la législature pourra exclusive-
ment faire des lois relatives aux matières tombant dans les
catégories de sujets ci-dessous énumérés, -avoir:
13. La propriété et les droits civils dans la province;
16. Généralement toutes les matières d'une nature pure-
ment locale ou privée dans la province.
Conformément aux principes bien établis
d'interprétation des articles 91 et 92, même si la
Loi sur les marques de commerce est, à d'autres
égards, une «loi» relative à une «matière» tom-
bant dans le champ d'application de l'article
92(1'3) ou de l'article 92(16), si c'est une «loi»
relative à une «matière» tombant dans le champ
d'application de l'article 91(2), il faut considérer
que cette «matière» ne tombe ni dans le champ
d'application de l'article 92(13) ni dans celui de
l'article 92(16). (Voir Reference re Alberta Sta
tutes [1938] R.C.S. 100, par le juge en chef du
Canada Duff, à la page 115.)
Pour décider si, de par son «essence et sub
stance», la «matière» d'une «loi» est une matière
tombant dans le champ d'application de l'article
91(2), il faut faire une étude chronologique des
arrêts les plus importants dans ce domaine,
même si, en fin de compte, seuls quelques-uns
d'entre eux seront utiles lorsqu'il s'agira de
trancher la question. J'ai donc préparé une
pareille étude: elle m'a servi de guide pour
examiner la question de savoir si la Loi sur les
marques de commerce est une loi relative à une
«matière» tombant dans le champ d'application
de l'article 91(2). Je me propose de joindre un
exemplaire de cette étude aux présents motifs
en les déposant au greffe, pour qu'elle puisse
servir, le cas échéant, à une meilleure compré-
hension de mon raisonnement sur cet aspect de
l'appel.
Avant d'examiner la Loi sur les marques de
commerce en vue d'établir son «essence et
substance», il est important, selon moi, de rete-
nir qu'en common law, la réglementation des
marques de commerce tire son origine du délit
de concurrence déloyale, qui existait avant
d'être mentionné dans un texte de loi. La règle
de base consistait à interdire à toute personne
d'offrir en vente ses marchandises en les faisant
passer pour les marchandises d'un concurrent.
Se servir des marques de commerce que ledit
concurrent utilisait pour distinguer ses mar-
chandises de celles des autres commerçants aux
yeux des consommateurs était une façon de
commettre le délit de concurrence déloyale. Peu
à peu, par le biais de la protection accordée à
l'utilisateur d'une marque de commerce par la
répression de ce délit, on est venu à reconnaître
un droit de propriété dans la marque de com
merce au commerçant qui s'en servait de façon
telle que, dans l'esprit des consommateurs, elle
différenciât les marchandises auxquelles elle
était apposée des autres. (The Leather Cloth Co.
c. American Leather Cloth Co. (1863) 4 DeG.J.
& S. 136, par le Lord chancelier Westbury, et
(1865) 11 H.L.C. 523 (H.L.); Singer Manufac
turing Co. c. Loog (1882) 8 App. Cas. 15, par le
Lord Blackburn, aux pages 29 et suiv.; Somer-
ville c. Schembri (1887) 12 App. Cas. 453.) La
règle générale interdisant la «concurrence
déloyale» a causé certaines difficultés; pour y
pallier, on a promulgué des lois créant des sys-
tèmes d'enregistrement et apportant des modifi
cations aux droits réels découlant de ladite
règle.
Si nous examinons la Loi sur les marques de
commerce à la lumière de ce qui précède, nous
pouvons voir que, les dispositions portant sur
l'«Interprétation» (articles 1 à 6) mises à part,
elle consiste en
a) certaines règles générales intitulées «Con-
currence déloyale et marques interdites»
(articles 7 à 11);
b) un système d'enregistrement des marques
de commerce (articles 12 à 46) et un système
connexe d'usagers inscrits (article 49);
c) certaines modifications au droit commun
relatif aux marques de commerce (articles 47,
48, 50 et 51);
d) des dispositions accessoires (procédures
judiciaires, etc.).
Il s'agit donc d'une loi dont «l'essence et la
substance» est de créer
a) un ensemble de règles générales applica-
bles à tout le trafic et à tout le commerce au
Canada, y compris une version statutaire de
la règle de common. law interdisant la concur
rence déloyale, et
b) un système d'enregistrement des marques
de commerce.
Les autres dispositions de la loi sont toutes
accessoires aux parties principales susmention-
nées.
La question à trancher dans la présente partie
de l'appel est de savoir si le Parlement pouvait
édicter ces règles générales visant à réglementer
le trafic et le commerce au Canada. Lesdites
règles se trouvent dans la partie suivante de la
loi:
CONCURRENCE DÉLOYALE ET MARQUES INTERDITES
7. Nul de doit
a) faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à
discréditer l'entreprise, les marchandises ou les services
d'un concurrent;
b) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses
services ou son entreprise de manière à causer ou à
vraisemblablement causer de la confusion au Canada,
lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre
ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux
d'un autre;
c) faire passer d'autres marchandises ou services pour
ceux qui sont commandés ou demandés;
d) utiliser, en liaison avec des marchandises ou services,
une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et
de nature à tromper le public en ce qui regarde
(i) les caractéristiques, la qualité, la quantité ou la
composition,
(ii) l'origine géographique, ou
(iii) le mode de fabrication, de production ou
d'exécution
de ces marchandises ou services; ni
e) faire un autre acte ou adopter une autre méthode
d'affaires contraire aux honnêtes usages industriels ou
commerciaux ayant cours au Canada.
8. Quiconque, dans la pratique du commerce, transfère la
propriété ou la possession de marchandises portant une
marque de commerce ou un nom commercial, ou dans des
colis portant une telle marque ou un nom de ce genre, est
censé, à moins d'avoir, par écrit, expressément déclaré le
contraire avant le transfert, garantir à la personne à qui la
propriété ou la possession est transférée que cette marque
de fabrique ou de commerce ou ce nom commercial a été et
peut être licitement employé à l'égard de ces marchandises.
9. (1) Nul ne doit adopter à l'égard d'une entreprise,
comme marque de commerce ou autrement, une marque
composée de ce qui suit, ou dont la ressemblance est telle
qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec ce qui
suit:
a) les armoiries, l'écusson ou le drapeau de Sa Majesté;
b) les armoiries ou l'écusson d'un membre de la famille
royale;
c) le drapeau, les armoiries ou l'écusson de Son Excel
lence le gouverneur général;
d) un mot ou symbole susceptible de porter à croire que
les marchandises ou services en liaison avec lesquels il
est employé ont reçu l'approbation royale, vice-royale ou
gouvernementale, ou sont produits, vendus ou exécutés
sous le patronage ou sur l'autorité royale, vice-royale ou
gouvernementale;
e) les armoiries, l'écusson ou le drapeau adoptés et
employés à quelque époque par le Canada ou par une
province ou corporation municipale au Canada, à l'égard
desquels le registraire, sur la demande du gouvernement
du Canada ou de la province ou corporation municipale
intéressée, a notifié au public leur adoption et leur
emploi;
f) l'emblème héraldique de la Croix-Rouge sur fond
blanc, formé en transposant les couleurs fédérales de la
Suisse et retenu par la Convention de Genève pour la
protection des victimes de guerre de 1949, comme
emblème et signe distinctif du service médical des forces
armées et utilisé par la Société de la Croix-Rouge Cana-
dienne; ou l'expression «Croix-Rouge» ou «Croix de
Genève»;
g) l'emblème héraldique du Croissant rouge sur fond
blanc, adopté aux mêmes fins que celles dont l'alinéa j)
fait mention, par un certain nombre de pays musulmans;
h) le signe équivalent des Lion et Soleil rouges employés
par l'Iran pour le même objet que celui dont l'alinéa j) fait
mention;
i) les drapeaux, armoiries, écussons ou emblèmes natio-
naux, territoriaux ou civiques, ou tout signe ou timbre de
contrôle et garantie officiels, dont l'emploi comme devise
commerciale a été l'objet d'un avis d'opposition reçu en
conformité des stipulations de la Convention et publique-
ment donné par le registraire;
j) une devise ou un mot scandaleux, obscène ou immoral;
k) toute matière qui peut faussement suggérer un rapport
avec un particulier vivant;
t) le portrait ou la signature d'un particulier vivant ou qui
est décédé dans les trente années précédentes;
m) les mots «Nations Unies» (United Nations), ou le
sceau ou emblème officiel des Nations Unies;
n) tout insigne, écusson, marque ou emblème
(i) adopté ou employé par l'une quelconque des forces
de Sa Majesté telles que les définit la Loi sur la défense
nationale,
(ii) d'une université, ou
(iii) adopté et employé par une autorité publique au
Canada comme marque officielle pour des marchandi-
ses ou services,
à l'égard desquels le registraire, sur la demande de Sa
Majesté ou de l'université ou autorité publique, selon le
cas, a donné un avis public d'adoption et emploi; ou
o) le nom «Gendarmerie royale du Canada» (Royal
Canadian Mounted Police) ou «R.C.M.P.», ou toute autre
combinaison de lettres se rattachant à la Gendarmerie
royale du Canada, ou toute représentation illustrée d'un
membre de ce corps en uniforme.
(2) Rien au présent article n'empêche l'emploi, comme
marque de commerce ou autrement, quant à une entreprise,
de quelque marque décrite au paragraphe (1) avec le con-
sentement de Sa Majesté ou de telle autre personne, société,
autorité ou organisation que le présent article est censé
avoir voulu protéger.
10. Si une marque, en raison d'une pratique commerciale
ordinaire et authentique, devient reconnue au Canada
comme désignant le genre, la qualité, la quantité, la destina
tion, la valeur, le lieu d'origine ou la date de production de
marchandises ou services, nul ne doit l'adopter comme
marque de commerce en liaison avec ces marchandises ou
services ou autres de la même catégorie générale, ou l'em-
ployer d'une manière susceptible d'induire en erreur, et nul
ne doit ainsi adopter ou employer une marque dont la
ressemblance avec la marque en question est telle qu'on
pourrait vraisemblablement les confondre.
11. Aucune personne ne doit employer relativement à une
entreprise, comme marque de commerce ou autrement, une
marque quelconque adoptée contrairement à l'article 9 ou
10 de la présente loi ou contrairement à l'article 13 ou 14 de
la Loi sur la concurrence déloyale, chapitre 274 des Statuts
revisés du Canada de 1952.
La partie précitée de la Loi sur les marques
de commerce est certainement une loi qui régle-
mente le commerce et c'est donc une loi relative
à une matière tombant dans le champ d'applica-
tion des dispositions de l'article 91(2) de l'Acte
de l'Amérique du Nord britannique, soit «La
réglementation du trafic et du commerce», si
l'on donne à ces mots un sens large indépen-
damment du contexte et des autres parties de
l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. (Voir
La Compagnie d'assurance des citoyens c. Par
sons (1881) 7 App. Cas. 96, par Sir Montague
Smith, à la page 112.) Il a toutefois été établi
que les mots «réglementation du trafic et du
commerce» n'ont pas été employés dans un
sens aussi large parce que, a-t-on dit,
a) le fait que l'article 91(2) fasse partie d'une
énumération de catégories de sujets d'intérêt
national et général est une indication qu'il
vise à établir une réglementation relative au
trafic et au commerce en général, et
b) si l'on avait voulu donner à ces mots leur
pleine portée, la mention expresse des sujets
tels que les banques, les poids et mesures, les
lettres de change et les billets à ordre, l'inté-
rêt de l'argent, la faillite et l'insolvabilité
aurait été inutile.
Cette interprétation a été formulée dans l'arrêt
La Compagnie d'assurance des citoyens du
Canada c. Parsons (1881) 7 App. Cas. 96, aux
pages 112 et suiv., et elle a toujours été suivie
depuis. On n'a jamais mis en doute que l'article
91(2) comprend la réglementation du commerce
international et interprovincial. (Voir Murphy c.
C.P.R. [1958] R.C.S. 626, Caloil Inc. c. Le
procureur général du Canada [1971] R.C.S. 543
et Le procureur général du Manitoba c. Manito-
ba Egg and Poultry Association [1971] R.C.S.
689.) D'autre part, il a été établi que l'article
91(2) ne vise pas la réglementation des contrats
d'un commerce donné dans une province, ni la
réglementation, par un système de permis ou
autrement, de l'exercice d'un commerce donné
dans une province, ni la réglementation des
relations entre employeurs et employés. (Voir
l'étude des arrêts faite par le juge en chef du
Canada Duff dans Reference re Alberta Stat
utes [1938] R.C.S. 100, aux pages 118 et 119,
et le Renvoi sur la validité de l'article 5a) de la
Loi de l'industrie laitière [1949] R.C.S. 1;
[1951] A.C. 179.) En outre, on peut dire que,
chaque fois que la portée de l'article 91(2) a été
étudiée dans son ensemble, il a été admis que
cet article autorisait, le cas échéant, le Parle-
ment à légiférer relativement à la réglementa-
tion générale du commerce à l'échelle
nationale . 8
C'est ce dernier aspect de l'article 91(2) qu'il
faut étudier en ce qui a trait à la Loi sur les
marques de commerce. La question soulevée
par le présent appel ne peut être tranchée sans
que l'on essaie de déterminer l'étendue des pou-
voirs du Parlement de légiférer relativement à la
réglementation générale du commerce à l'é-
chelle nationale.
En premier lieu, les décisions rendues dans le
passé nous éclairent peu sur la question. 9 L'é-
tendue du pouvoir accordé au Parlement par
l'article 91(2) de légiférer relativement à la
réglementation générale du commerce à l'é-
chelle nationale n'a pas, à ma connaissance, fait
l'objet de décisions sauf: la décision du Conseil
privé dans le Renvoi sur la Commission fédérale
du commerce et de l'industrie (Attorney -General
for Ontario v. Attorney -General for Canada)
[1937] A.C. 405, où il a été jugé que le Parle-
ment avait compétence en vertu de l'article
91(2) pour créer une marque de commerce
d'État connue sous le nom de «Canada Stan
dard», et la décision de la Cour suprême du
Canada, à l'occasion du même avis consultatif
([1936] R.C.S. 379), où l'on a rapproché la
compétence du Parlement du Canada en matière
d'échanges et de commerce et sa compétence
en matière de droit criminel pour juger qu'il
pouvait promulguer des dispositions législatives
relatives aux enquêtes portant sur les normes
auxquelles doivent se conformer les produits.
D'autre part, autant que je sache, il n'existe
aucune décision portant qu'il est exorbitant de
la compétence du Parlement de légiférer relati-
vement au trafic et au commerce, sauf lorsque
les lois en cause prétendaient réglementer le
commerce local à l'intérieur d'une province ou
les relations entre employeurs et employés.
En examinant les arrêts, je n'ai trouvé aucune
décision de principes susceptible de s'appliquer
au problème soulevé en l'espèce. On trouve
toutefois dans la jurisprudence deux opinions
très importantes sur la question. La première se
trouve dans l'arrêt Reference re Alberta Statutes
[1938] R.C.S. 100, où le juge en chef du Canada
Duff et le juge Davis ont déclaré qu'une loi
créant un nouveau système de «crédit» destiné
à servir de moyen d'échange à la place du crédit
bancaire est une loi relative au trafic et au
commerce. La seconde opinion à laquelle je me
réfère est le Renvoi sur la Commission fédérale
du commerce et de l'industrie [1937] A.C. 405,
où le Lord Atkin, parlant au nom du Conseil
privé, a déclaré que l'article 91(2) permet mani-
festement au Parlement de promulguer la Loi
des marques de commerce et dessins de fabri-
que, S.R.C. 1927, chapitre 201. Vu l'importance
de cette opinion aux fins des présentes, nous en
citerons le passage suivant:
[TRADUCTION] Il existe au Canada un code bien établi
relatif aux marques de commerce créé par les lois fédérales.
On le retrouve maintenant dans la Loi des marques de
commerce et dessins de fabrique, S.R.C. 1927, c. 201,
modifiée par S.C. 1928, c. 10. Ces dispositions donnent au
propriétaire d'une marque de commerce déposée le droit
exclusif de se servir de cette marque de commerce pour
désigner les articles qu'il fabrique ou qu'il vend. Ces dispo
sitions créent donc une forme de propriété dans chaque
province avec tous les droits qui en découlent. Personne n'a
contesté la compétence du Dominion à cet égard. En cas de
contestation de cette dernière, on invoquerait sans doute, à
l'appui de la compétence du Parlement, la catégorie de
sujets énumérée à l'article 91(2) et mentionnée par le juge
en chef, savoir la réglementation du trafic et du commerce.
Il pourrait difficilement y avoir une forme plus appropriée
d'exercice de cette compétence que la création et l'applica-
tion d'une loi uniforme sur les marques de commerce. [Page
417]
De plus, dans l'arrêt La Commission de com
merce ([1922] 1 A.C. 191, aux pages 200 et
201), la Cour a laissé entendre que le Parlement
peut légiférer relativement à la compilation de
données statistiques.
En outre, je trouve dans le jugement du juge
en chef du Canada Duff sur le Renvoi sur la Loi
sur l'organisation du marché des produits natu-
rels, 1934, [1936] R.C.S. 398, un appui de
caractère plus général. Après avoir déclaré que
les dispositions législatives en cause dans cette
affaire n'étaient pas valides parce qu'elles
visaient [TRADUCTION] «la réglementation du
commerce purement local et de l'activité des
commerçants et des producteurs exerçant un
commerce purement local», il a poursuivi à la
page 412 en ces termes:
[TRADUCTION] Il y a aussi lieu de noter que ces disposi
tions visent à réglementer des opérations relatives à des
produits ou à des catégories de produits donnés. La régle-
mentation envisagée n'est pas une réglementation générale
de l'ensemble du commerce ni une réglementation du trafic
et du commerce au niveau national au sens donné à ces
expressions dans l'arrêt Parsons.
Pour résumer mon analyse de cette jurispru
dence, on peut dire que sont exclues, prima
facie, du domaine de la «Réglementation du
trafic et du commerce» accordé au Parlement
par l'article 91(2)
a) la réglementation du commerce local de
produits ou de catégories de produits donnés
à l'intérieur d'une province,
b) la réglementation des contrats d'un com
merce local dans une province, et
c) la réglementation des relations employeur-
employé dans le cadre du commerce local à
l'intérieur d'une province
Il semblerait d'autre part que la compétence
laissée au Parlement en matière de réglementa-
tion du commerce (outre le commerce interna
tional et interprovincial), à titre de réglementa-
tion générale de l'ensemble du commerce ou de
réglementation du trafic et du commerce au
niveau national, comprend
a) la création d'une marque nationale à utili-
ser en matière commerciale pour indiquer les
normes, ainsi que le contrôle et l'utilisation de
cette marque,
b) un système de marques de commerce,
c) un système de crédit à utiliser au lieu du
crédit bancaire,
d) les normes auxquelles doivent se confor-
mer les produits, et
e) les données statistiques.
A la lumière de cette jurisprudence, je con-
clus qu'une loi établissant un ensemble de
règles générales visant la conduite des hommes
d'affaires au Canada dans le cadre d'activités
concurrentielles est une loi promulguant [TRA-
DUCTION] «des réglementations de l'ensemble
du commerce ou des réglementations du trafic
et du commerce au niveau national au sens
donné à ces expressions dans l'arrêt Parsons».
A cet égard, il n'y a, à mon avis, aucune diffé-
rence entre la réglementation des normes aux-
quelles doivent se conformer les produits et une
loi réglementant les normes à respecter dans la
conduite des affaires; selon moi, s'il existe une
notion telle que la réglementation générale de
l'ensemble du commerce, elle doit inclure une
loi d'application générale qui réglemente soit les
normes des produits soit les normes de la con-
duite des affaires.
A mon avis, la Loi sur les marques de com
merce, dans son ensemble, est une loi d'applica-
tion générale réglementant les normes de la
conduite des affaires au Canada; elle relève
donc de la compétence conférée au Parlement
par l'article 910) de l'Acte de l'Amérique du
Nord britannique, 1867. Il ne m'est donc pas
nécessaire d'examiner les autres moyens invo-
qués à l'appui de la validité de l'article 7e).
C'est pourquoi je suis d'avis que la Division
de première instance avait compétence pour
accorder le redressement qu'elle avait l'inten-
tion d'accorder, tel qu'il ressort à la lecture des
motifs du jugement prononcé par le juge Walsh.
Toutefois, compte tenu de la lumière nouvelle
jetée sur la portée de l'article 7e) à la suite de la
contestation quelque peu tardive de sa validité,
je suis d'avis qu'il y a lieu d'apporter certaines
modifications au texte du jugement porté en
appel pour s'assurer que ce dernier n'est pas
exorbitant de l'article 7e). A mon avis, il y a
donc lieu d'accueillir l'appel et de modifier le
jugement
(1) en supprimant le paragraphe 2 dudit juge-
ment et en y substituant le paragraphe suivant:
2. utiliser aux fins de l'entreprise de la Railquip Enter
prises Ltd., ou de toute autre entreprise à laquelle l'un ou
l'autre des défendeurs peut être d'une façon ou d'une
autre associé ou intéressé, soit par communication à des
tiers ou autrement, tout renseignement ou connaissance
de nature confidentielle acquis par eux du fait que le
défendeur MacDonald était au service de la demande-
resse, ou présenter toute soumission pour la fabrication
ou la vente de produits à l'égard desquels ces renseigne-
ments confidentiels acquis par MacDonald sont utilisés
ou utiles;
(2) en supprimant le paragraphe 3 dudit juge-
ment et en y substituant le paragraphe suivant:
3. utiliser aux fins de l'entreprise de la Railquip Enter
prises Ltd., ou de toute autre entreprise à laquelle l'un ou
l'autre des défendeurs peut être d'une façon ou d'une
autre associé ou intéressé, tous plans, mémoires descrip-
tifs, exposés, lettres ou autres documents appartenant à la
demanderesse acquis par eux du fait que le défendeur
MacDonald était au service de la demanderesse ou s'assu-
rer la complicité de tout employé de la demanderesse
pour obtenir ces plans, mémoires descriptifs, lettres ou
autres documents;
et
(3) en supprimant le paragraphe non numé-
roté qui suit immédiatement le paragraphe 4 et
en y substituant le paragraphe suivant:
Il est par les présentes ordonné aux défendeurs John A.
MacDonald et la Railquip Enterprises Ltd. de remettre
immédiatement à la demanderesse tous plans, mémoires
descriptifs, exposés, lettres ou autres documents lui
appartenant, y compris toutes copies ou reproductions de
ces documents, qui sont en leur possession et qui ont été
acquis pour être utilisés aux fins de l'entreprise de la
Railquip Enterprises Ltd. du fait que le défendeur Mac-
Donald était au service de la demanderesse.
Compte tenu de toutes les circonstances, je
suis d'avis que les dépens du présent appel
doivent suivre l'action.
* * *
LE JUGE THURLOW—Je souscris à l'avis.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT CHOQUETTE—Je sous-
cris à l'avis.
I Le jugement en cause était intitulé «ordonnance» mais,
en vertu de la Loi sur la Cour fédérale, il est plus exact
d'employer le mot «jugement». Voir, par exemple, l'article
27 de ladite loi.
2' Ce n'est qu'aux fins du présent appel que j'énonce les
faits de manière catégorique. A ce stade de la procédure,
personne n'a attaqué les conclusions de fait de la Division
de première instance. A l'audience, le cas échéant, il y aura
détermination des faits fondée sur la preuve qui sera alors
présentée.
3 Dans le présent appel, on n'a pas soulevé la question de
savoir si, une fois admise la compétence de la Cour en la
matière, l'article 53 autorise le redressement accordé. Je
n'exprime aucune opinion à ce sujet.
3 A A mon avis, il n'est pas nécessaire en l'espèce de faire
appel à la règle voulant qu'une loi ambiguë s'interprète
comme relevant de la compétence du Parlement, si le texte
de cette loi est susceptible d'une telle interprétation.
4 Voir la jurisprudence citée au chapitre XIII de l'ouvrage
de Fox intitulé The Canadian Law of Trade Marks and
Unfair Competition, 3e édition, aux pages 652 et suiv.
5 Bien que je sois convaincu que l'article 7e) s'applique en
l'espèce, je trouve son texte difficile à analyser. Ce qui suit
dans la présente référence est une opinion que je formule à
titre provisoire et que j'expose en me rendant très bien
compte qu'une conclusion différente s'imposera peut-être à
la suite d'une étude plus approfondie de la question.
Voici ce qui ressort de la lecture du texte de la prohibition
contenue à l'article 7e):
Nul ne doit . .. faire un ... acte ou adopter une ...
méthode d'affaires contraire aux honnêtes usages indus-
triels ou commerciaux ayant cours au Canada.
Examinons d'abord la dernière partie du texte précité. Il
semblerait que les mots «honnêtes usages industriels ou
commerciaux ayant cours au Canada» doivent désigner ce
que les honnêtes hommes d'affaires canadiens font ordinai-
rement dans l'exercice de leur activité industrielle ou com-
merciale. Si telle est l'interprétation correcte à donner à
cette partie du texte précité, il en découle que l'ensemble de
l'alinéa signifie que nul ne doit faire un acte ou adopter une
méthode d'affaires dans l'exercice de son activité indus-
trielle ou commerciale qui soit «contraire à» la conduite
ordinaire des honnêtes hommes d'affaires canadiens. En
d'autres termes, un acte ou une méthode adopté dans l'exer-
cice d'une activité industrielle ou commerciale est interdit
s'il semble inacceptable aux yeux d'un honnête homme
d'affaires canadien. Selon cette interprétation, l'article 7e)
interdit, sauf dans des cas tout à fait spéciaux, tout acte ou
toute méthode d'affaires, dans l'exercice d'une activité
industrielle ou commerciale, qui constitue une violation du
droit civil ou pénal, puisque tout acte ou toute méthode
d'affaires de ce genre serait, me semble-t-il, inacceptable
aux yeux d'un honnête homme d'affaires canadien. (La
conduite que l'on reproche aux appelants en l'espèce tombe
dans cette catégorie d'actes ou de méthodes d'affaires.)
Selon cette interprétation, le champ d'application de l'article
7e) s'étendrait aussi aux actes ou aux méthodes d'affaires
qui autrement ne seraient pas entachés d'illégalité dès lors
qu'ils seraient inacceptables aux yeux des honnêtes hommes
d'affaires canadiens. (Un exemple de cela est la conduite
malhonnête en cause dans l'affaire Therapeutic Research c.
Life Aid (1969) 56 C.P.R. 149, tranchée par le juge Noël,
maintenant juge en chef adjoint.)
Si nous examinons l'article 7 à la lumière de la règle
ejusdem generis, il me semble que le Parlement a rédigé son
alinéa e) de façon à définir explicitement la catégorie géné-
rale dans laquelle tombent tous les alinéas de l'article 7.
Tous les actes et toutes les méthodes d'affaires qu'interdit
l'article 7 sont des actes ou des méthodes d'affaires qui sont
«contraires aux honnêtes usages industriels ou commer-
ciaux ayant cours au Canada». Étant donné la mention
expresse de cette catégorie générale, il ne me semble pas
que l'on puisse donner à l'article 7 une interprétation qui ait
pour effet de créer une nouvelle catégorie d'une nature plus
restreinte pour limiter ainsi la portée de son alinéa e). De
plus, je ne crois pas que ce point de vue diffère en sub
stance de celui adopté par le juge d'appel Schroeder dans
l'affaire Eldon Industries c. Reliable Toy Co. (1967) 48
C.P.R. 109. Quoi qu'il en soit, il me semble que, dans cette
affaire, le résultat aurait été le même, car, en l'absence de
preuve d'un «usage» contraire, il ne semble rien y avoir qui
défende à un honnête homme d'affaires de tirer profit d'une
invention ou d'un dessin connu du public lorsque, compte
tenu des conditions prescrites par le Parlement en matière
de droits de monopole, ce dessin ou cette invention fait
partie du domaine public. Autant que je sache, notre droit
favorise encore la concurrence.
Il a été décidé dans l'affaire S. & S. Industries Inc. c.
Rowell [1966] R.C.S. 419, que l'article 7 ne se limitait pas à
interdire de faire des choses qui sont par ailleurs illégales.
Il me semble que le sens véritable du mot «usage»
(usages) figurant à l'article 7e) est son sens premier dans le
Shorter Oxford English Dictionary: [TRADUCTION] «Usage
habituel, pratique établie, manière habituelle d'agir d'un
certain nombre de personnes».
6 L'expérience permettra probablement de délimiter la
prohibition contenue à l'article 7e). Par exemple, cette pro
hibition sera probablement interprétée comme une régle-
mentation des «affaires» en tant qu'«affaires» et non
comme une «réglementation des contrats». (Comparer avec
l'opinion du juge en chef du Canada Kerwin dans l'arrêt
Reference re Ontario Farm Products Marketing Act [1957]
R.C.S. 198, aux pages 204 et 205.)
7 II importe de faire ici une distinction entre cette règle
relative à la concurrence déloyale, qui vise les actes de
l'homme d'affaires dans l'exercice de son activité commer-
ciale, et la relation contractuelle qui existe entre le concur
rent et l'employé déloyal. A mon avis, l'article 7e) s'appli-
que à la concurrence déloyale et vise aussi bien la
compagnie qui la pratique dans l'exercice de son activité
que la personne (le dirigeant ou l'actionnaire) qui est l'insti-
gateur de l'acte interdit commis par la compagnie. Mais,
selon moi, l'article 7e) ne s'applique pas à la conduite de
l'employé déloyal en tant que tel. C'est ainsi que si un
employé divulguait des renseignements confidentiels à un
concurrent de son employeur mais ne prenait en aucune
façon part à l'activité commerciale dudit concurrent, l'em-
ployeur ne pourrait pas, selon moi, invoquer l'article 7e)
contre cet employé. La portée de l'alinéa e), tout comme
celle des autres alinéas dudit article 7, est restreinte aux
actes constituant de la concurrence déloyale; il ne régit pas
les relations employeur-employé.
$ Il y a lieu de restreindre cette affirmation en rappelant
les décisions qui ont mis en doute le principe voulant que
l'article 91(2) autorise, de par son seul effet, l'adoption de
lois qui pourraient autrement relever du domaine de l'article
92(13) ou 92(16). Les décisions subséquentes semblent
avoir dissipé ce doute. Voir Proprietary Articles Trade
Association c. Le procureur général du Canada [1931] A.C.
310, par le Lord Atkin, à la page 326; Reference re Alberta
Statutes [1938] R.C.S. 100, par le juge en chef du Canada
Duff, aux pages 120 et 121; et Reference re Ontario Farm
Products Marketing Act [1957] R.C.S. 198, par le juge en
chef du Canada Kerwin, aux pages 204 et 205.
9 J'emploie le mot «décisions» en incluant sous ce vocable
les avis consultatifs donnés par un tribunal à la suite de
questions à lui soumises en vertu d'une loi.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.