Anglophoto Limited (Demanderesse)
c.
Le navire Ferncliff, la Fearnley & Eger, la D/S
I/S Garonne, la compagnie de chemin de fer
Canadien Pacifique, la Tacoma Stevedore & Ter
minal Co. et la Burlington Northern Inc.
(Défendeurs)
Division de première instance, le juge Collier—
Vancouver (C.-B.), le 19 juillet; Ottawa, le 11
octobre 1972.
Droit maritime—Compétence—Pratique—Marchandises
envoyées du Japon à Montréal—Navire dérouté vers
Tacoma en raison des grèves—Marchandises entreposées à
Tacoma—Marchandises manquantes à l'arrivée à Mon-
tréal—La cause d'action contre l'entreprise de déchargement
Tacoma relève-t-elle du droit maritime canadien—Annula-
tion de la signification en dehors du ressort—Loi sur la Cour
fédérale, art. 22.
Le connaissement couvrant une cargaison en provenance
du Japon prévoyait que le navire devait livrer les marchan-
dises à Vancouver (C.B.) où on les transborderait pour les
acheminer par rail à Montréal. En raison d'une grève de
débardeurs en Colombie-Britannique, le navire fut dérouté
vers Tacoma (Washington) où la compagnie T prit les mar-
chandises en dépôt. Par la suite, les marchandises passèrent
la frontière par rail et furent acheminées à Montréal par le
même moyen de transport. A l'arrivée, on constata que
certaines marchandises manquaient. La demanderesse
intenta une action en dommages-intérêts contre le navire,
ses armateurs, les deux compagnies de chemin de fer et la
compagnie T et obtint l'autorisation de signifier la déclara-
tion à la compagnie T en dehors du ressort.
Arrêt: L'ordonnance de signification en dehors du ressort
rendue contre la compagnie T est infirmée. La cause d'ac-
tion contre cette compagnie ne relève pas de la compétence
d'amirauté de la Cour prévue à l'article 22(1) de la Loi sur
la Cour fédérale. En particulier, le connaissement n'était pas
un connaissement direct au sens du paragraphe (2)f). Ce
n'est pas parce que l'action contre le navire et ses armateurs
relevait de la compétence de la Cour que cette dernière
devenait compétente dans l'action contre la compagnie T en
vertu de l'article 22(2). L'ordonnance no 11, règle 1g) de la
Cour suprême de la Colombie-Britannique, qui permettait la
signification en dehors du ressort, ne pouvait s'appliquer
par analogie pour accorder à cette Cour une compétence
que l'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale ne lui confère
pas.
REQUÊTE.
D. F. McEwen pour la demanderesse.
P. d'A. Collings pour la Tacoma Stevedore &
Terminal.
V. Hill, c.r., pour le Ferncliff.
B. Hoeschen pour le C.P.
LE JUGE COLLIER—La défenderesse Tacoma
Stevedore & Terminal Co., corporation de
l'État de Washington (ci-après désignée la
«Tacoma»), a présenté la présente requête en
vue de contester la compétence de cette Cour
pour connaître de la réclamation que la deman-
deresse a présentée en ce qui la concerne en
particulier. J'exposerai plus tard avec plus de
précision l'ordonnance recherchée et les motifs
invoqués, mais il est tout d'abord nécessaire de
décrire les faits qui nous intéressent.
La demanderesse est une compagnie de
Colombie-Britannique. En application d'un con-
naissement en date du 15 septembre 1969,
établi au Japon, 55 boîtes de carton contenant
des appareils photographiques et des documents
publicitaires ont été expédiées de Nagoya
(Japon) à bord du navire Ferncliff, appartenant
aux défenderesses Fearnley et Eger et D/S I/S
Garonne. Ce connaissement prévoyait que ce
navire devait livrer les marchandises à Vancou-
ver (Colombie-Britannique) où on les transbor-
derait pour les acheminer par rail à Montréal
(Québec). En raison d'une grève des débardeurs
en Colombie-Britannique, le navire a été
dérouté vers Tacoma (Washington). On s'est
entendu pour y faire décharger la cargaison du
navire et la Tacoma a convenu de la prendre en
dépôt en attendant d'autres instructions. Finale-
ment, la défenderesse Burlington Northern Inc.
a transporté certaines marchandises, dont celles
de la demanderesse, à Sumas (Colombie-Britan-
nique), ville proche de la frontière, où la compa-
gnie de chemin de fer Canadien Pacifique les a
prises en charge. Après que le wagon de mar-
chandises contenant ces boîtes eut fait le trajet
de Tacoma à Montréal et atteint en fin de
compte Montréal, on a constaté que sur les 55
boîtes, 3 étaient vides.
La demanderesse a intenté à l'origine une
action contre le Ferncliff, ses propriétaires et la
compagnie de chemin de fer Canadien Pacifi-
que. Par la suite, a été rendue une ordonnance
modifiant la déclaration et appelant la Tacoma
et la Burlington Northern Inc. comme défende-
resses à l'action.
La demanderesse a alors obtenu une ordon-
nance ex parte l'autorisant à signifier à la
Tacoma un avis de la déclaration en dehors du
ressort de la compétence de la Cour. La
Tacoma a obtenu l'autorisation de déposer un
acte de comparution conditionnelle en vue de
présenter la présente requête.
Il ressort de la déclaration que la demande-
resse ne sait pas de façon certaine lequel des
défendeurs est responsable de la perte, ni si l'un
ou plusieurs d'entres eux le sont.
Dans la déclaration contre la Tacoma, il est
allégué qu'elle a été négligente et a failli à ses
obligations de dépositaire à titre onéreux.
L'avocat de la Tacoma soutient (1) que la
déclaration modifiée ne révèle contre la Tacoma
aucune cause d'action qui justifie la compé-
tence de cette Cour et (2) qu'il y a lieu de
rejeter la signification de l'avis de la déclaration
parce que le document présenté à l'appui de la
demande de signification en dehors du ressort
ne révèle aucune cause d'action entrant dans la
compétence de cette Cour.
L'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale,
S.R. 1970, c. 10 (2e Supp.), expose ce qu'il est
convenu d'appeler la compétence en amirauté
de la Cour.
M. Collings, pour le compte de la Tacoma, a
examiné les alinéas e), f), h) et i) du paragraphe
(2) 1 et a prétendu que les faits et les causes
d'actions allégués contre la Tacoma n'entrent
dans le cadre d'aucun de ces alinéas. Je souscris
à sa prétention.
En ce qui concerne l'alinéa (2)f), l'avocat de
la Tacoma et celui du navire ont soutenu que le
connaissement en l'espèce n'était pas un con-
naissement direct. Par ailleurs, l'avocat de la
demanderesse fonde la compétence de cette
Cour sur l'alinéa (2)f). A mon avis, d'après la
preuve et les documents qui me sont soumis, il
ne s'agit pas en l'espèce du connaissement
direct que décrit l'ouvrage Carriage by Sea de
Carver, 12e éd., 1971, par. 200 à 202.
M. McEwen, pour le compte de la demande-
resse, a en outre invoqué l'article 22(1) pour
étayer sa prétention selon laquelle cette Cour
est compétente à l'égard de l'action intentée
contre la Tacoma. L'article 22(1) se lit comme
suit:
22. (1) La Division de première instance a compétence
concurrente en première instance, tant entre sujets qu'autre-
ment, dans tous les cas où une demande de redressement
est faite en vertu du droit maritime canadien ou d'une autre
loi du Canada en matière de navigation ou de marine mar-
chande, sauf dans la mesure où cette compétence a par
ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale?
Voici ce qui me paraît ressortir de son argu
mentation. Si la Cour est compétente à l'égard
d'un défendeur comme le navire et ses proprié-
taires en l'espèce, elle est également compé-
tente, en vertu de l'article 22(1) et du droit
maritime canadien, pour connaître des deman-
des contre ceux qu'on appelle des défendeurs
«auxiliaires» .
Je ne peux accueillir cette argumentation.
Pour mettre en cause un étranger non résident
dans la présente action, je pense qu'il y a lieu
d'établir clairement la compétence. Par exem-
ple, si, en l'espèce présente, avant d'intenter la
poursuite, la demanderesse savait, d'après les
recherches qu'elle avait effectuées, que la perte
s'était probablement produite alors que les mar-
chandises étaient en possession de la Tacoma et
avait décidé, obéissant à des préoccupations de
dépens, de ne poursuivre que la Tacoma, la
présente Cour serait-elle compétente, le fait
dommageable s'étant produit ou le contrat de
dépôt ayant été conclu aux États-Unis? L'arti-
cle 22 de la loi, tel que je l'interprète, n'accorde
aucune compétence pour connaître de cette
demande. A mon avis, le fait qu'un défendeur
est appelé à bon droit devant la Cour ne donne
nullement à celle-ci compétence à l'égard d'une
personne non résidente qui a pu se trouver
d'une certaine façon en cause dans la perte des
marchandises.
La , Règle 307(1) des règles de cette Cour
dispose que l'avis d'une déclaration peut être
signifié à un défendeur qui se trouve en dehors
du ressort de la Cour, ce qui signifie, selon moi,
le ressort géographique. La Règle 307, contrai-
rement, aux règles de la plupart des cours supé-
rieures, des provinces ne contient aucune dispo
sition énonçant les genres d'actions ou de
demandes qui peuvent être signifiés en dehors
du ressort. La Règle 307, la différence des
règles de la plupart des cours supérieures pro-
vinciales, ne contient non plus aucune disposi
tion autorisant une signification en dehors du
ressort à une personne qui se trouve à l'exté-
rieur de ce ressort de la Cour et qui est néces-
sairement ou à juste titre partie à une action
intentée contre quelqu'autre personne à laquelle
la signification a été faite dans les limites du
ressort de la Cour.
Les règles d'amirauté de la Cour de l'Échi-
quier du Canada contenaient une disposition
semblable, la Règle 20d). Ces règles ont été
abrogées le ler juin 1971.
M. McEwen invoque, pour le compte de la
demanderesse, la Règle 5 des règles de cette
Cour, dont voici le texte:
Règle 5. Dans toute procédure devant la Cour, lorsque se
pose une question non autrement visée par une disposition
d'une loi du Parlement du Canada ni par une règle ou
ordonnance générale de la Cour (hormis la présente règle),
la Cour déterminera (soit sur requête préliminaire sollicitant
des instructions, soit après la survenance de l'événement si
aucune requête de ce genre n'a été formulée) la pratique et
la procédure à suivre pour cette question par analogie
a) avec les autres dispositions des présentes Règles, ou
b) avec la pratique et la procédure en vigueur pour des
procédures semblables devant les tribunaux de la pro
vince à laquelle se rapporte plus particulièrement l'objet
des procédures.
selon ce qui, de l'avis de la Cour, convient le mieux en
l'espèce.
Il insiste surtout sur le sous-alinéa b) et prétend
qu'en l'espèce présente, puisque les règles de la
Cour fédérale ne contiennent aucune disposi
tion concernant la signification à une partie
dans des circonstances semblables à celles que
prévoyait l'ancienne Règle 20c1) d'amirauté, la
présente Cour doit rechercher si elle peut appli-
quer la pratique et la procédure de la province
de Colombie-Britannique. L'ordonnance no 11,
Règle 1g) des règles de la Cour suprême de
Colombie-Britannique, est sensiblement identi-
que à l'ancienne Règle d'amirauté 20d).
A mon avis, on ne peut en l'espèce appliquer
la Règle 5. La Cour fédérale est une Cour dont
la loi restreint la compétence, à la différence
des cours supérieures provinciales qui ont une
compétence générale. Comme je l'ai déjà dit, il
convient d'examiner les dispositions de la loi
pour savoir si elle donne compétence à l'égard
d'une demande particulière. Appliquer la règle
de la Colombie-Britannique pour conférer à
cette Cour compétence à l'égard de la Tacoma
en cette espèce serait, selon moi, étendre cette
compétence au-delà des limites que fixe l'article
22.
Pour ces motifs, l'ordonnance de signification
en dehors du ressort rendue contre la Tacoma
est infirmée; à toutes fins utiles, l'action contre
la Tacoma est terminée et sera rejetée. La
demanderesse devra verser à la Tacoma les
dépens des diverses procédures auxquelles la
Tacoma s'est trouvée mêlée jusqu'à ce jour. 3
1 22. (2) Sans restreindre la portée générale du paragra-
phe (1), il est déclaré pour plus de certitude que la Division
de première instance a compétence relativement à toute
demande ou à tout litige de la nature de ceux qui sont
ci-après mentionnés:
e) toute demande pour l'avarie ou la perte d'un navire, et
notamment, sans restreindre la portée générale de ce qui
précède, l'avarie ou la perte de la cargaison ou de l'équi-
pement d'un navire ou de tout bien à bord d'un navire ou
en train d'y être chargé ou d'en être déchargé;
f) toute demande née d'une convention relative au trans
port à bord d'un navire de marchandises couvertes par un
connaissement direct ou pour lesquelles on a l'intention
d'établir un connaissement direct, pour la perte ou l'ava-
rie de marchandises survenue à quelque moment ou en
quelque lieu en cours de route;
h) toute demande pour la perte ou l'avarie de marchandi-
ses transportées à bord d'un navire, et notamment, sans
restreindre la portée générale de ce qui précède, la perte
ou l'avarie des bagages ou effets personnels des
passagers;
i) toute demande née d'une convention relative au trans
port de marchandises à bord d'un navire, à l'utilisation ou
au louage d'un navire soit par charte-partie, soit
autrement;
2 Le droit maritime canadien est défini à l'article 2 de la
Loi sur la Cour fédérale.
3 J'ai pris en considération l'affaire Sparrows Point [1951]
R.C.S. 396, bien qu'on ne l'ait pas citée. Je pense qu'on peut
la distinguer de celle-ci non seulement à cause des faits,
mais aussi parce que la question soulevée quant à lâ compé-
tence ne concernait pas un non-résident.
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