In re John Berry Schmitz (Appelant)
Cour d'appel de la citoyenneté, le juge Collier—
Quesnel (C.-B.), le 20 octobre; Ottawa, le 27
octobre 1972.
Droits civils—Citoyenneté—Les exigences de résidence
pour l'épouse d'un citoyen canadien sont moins sévères que
pour une personne du sexe masculin—Y a-t-il discrimination
en raison du sexe—Déclaration des droits.
La Cour de la citoyenneté a rejeté une demande de
citoyenneté canadienne parce que le demandeur n'avait pas
résidé au Canada pendant 5 des 8 dernières années précé-
dant sa demande, ainsi que l'exige l'article 10(1)c)(i) de la
Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1970, c. C-19. Le
demandeur a interjeté appel au motif que l'exigence de
résidence crée une discrimination en raison du sexe puisque
l'article 10(1)c)(iii) établit des exigences de résidence diffé-
rentes pour l'épouse d'un citoyen canadien.
Arrêt: l'appel est rejeté. L'article 10 ne crée pas de
discrimination en raison du sexe, mais établit simplement
une distinction entre une femme mariée et une célibataire.
En outre, même si le texte législatif en cause était discrimi-
natoire, la Cour pourrait tout au plus le déclarer inopérant.
Arrêt mentionné: R. c. Drybones [1970] R.C.S. 282.
APPEL d'une décision de la Cour d'appel de
la citoyenneté.
Alex M. Shkuratoff amicus curiae.
LE JUGE COLLIER—L'appelant, de nationalité
américaine, est entré au Canada en bénéficiant
du statut d'immigrant reçu le 1e1 juin 1968. Il a
fait des études de droit à l'Université de Colom-
bie-Britannique, dont il a reçu le diplôme en
1971. La même année, il a épousé une
citoyenne canadienne de Kamloops (C.-B.). Il
fait actuellement sa cléricature à Quesnel
(C.-B.), où l'appel a été entendu. Il ne peut être
admis au barreau de la Colombie-Britannique
tant qu'il n'a pas acquis la citoyenneté
canadienne.
Il a demandé la citoyenneté canadienne le 7
décembre 1971. La Cour de la citoyenneté a
rendu le 31 mai 1972 un avis défavorable à sa
demande, au motif que l'appelant ne pouvait
justifier de cinq ans de résidence au Canada sur
les huit années précédant sa demande, comme il
est prévu par l'article 10(1)c)(i) de la Loi sur la
citoyenneté canadienne, S.R.C. 1970, c. C-19.
Les passages pertinents de l'article 10 sont les
suivants:
10. (1) Le Ministre peut, à sa discrétion, accorder un
certificat de citoyenneté à toute personne qui n'est pas un
citoyen canadien, qui en fait la demande et démontre à la
satisfaction du tribunal:
a) qu'elle a atteint l'âge de vingt et un ans, ou qu'elle est
le conjoint d'un citoyen canadien et réside avec lui au
Canada;
b) qu'elle a résidé au Canada pendant au moins douze des
dix-huit mois qui précèdent immédiatement la date de sa
demande;
c) que le demandeur ou la demanderesse
(i) a été licitement admis au Canada pour y résider en
permanence et a, depuis cette admission, résidé au
Canada pendant au moins cinq des huit années qui
précèdent immédiatement la date de sa demande; toute-
fois, aux fins du présent sous-alinéa, chaque année
entière passée au Canada par l'auteur de la demande
avant son admission licite au Canada pour y résider en
permanence est censée être une demi-année de rési-
dence au Canada comprise dans la période de huit ans
visée au présent sous-alinéa,
(ii) a servi hors du Canada dans les forces armées du
Canada au cours d'une guerre dans laquelle le Canada
était ou est engagé ou relativement à toute action
exercée par le Canada aux termes de la Charte des
Nations Unies, du Traité de l'Atlantique-Nord ou d'un
autre instrument similaire de défense collective dont le
Canada peut être signataire,
(iii) a été légalement admise au Canada pour y résider
en permanence et est l'épouse d'un citoyen canadien,
ou
(iv) a lieu de domicile au Canada depuis au moins vingt
ans immédiatement avant le ler janvier 1947 et n'était
pas, à cette date, sous le coup d'une ordonnance
d'expulsion;
Il est évident que la demande de l'appelant
n'est pas recevable si on lui applique la disposi
tion de l'art. 10(1)c)(i) prévoyant cinq ans de
résidence. L'appelant invoque cependant la
Déclaration canadienne des droits. Il soutient
qu'il s'agit d'un cas de discrimination fondée sur
le sexe, et met en cause le paragraphe (1)c)(iii)
de l'article 10 de la Loi sur la citoyenneté cana-
dienne. Compte tenu de l'article 10(1)b), il
semble évident qu'une ressortissante étrangère
qui épouse un citoyen canadien n'a qu'à résider
un an au Canada pour pouvoir présenter sa
demande de citoyenneté.
Je doute qu'il s'agisse là d'une discrimination
fondée sur le sexe et entraînant une inégalité
devant la loi. Il me semble que l'article 10 de la
Loi sur la citoyenneté canadienne établit une
certaine distinction, opère une certaine classifi
cation, quant au régime applicable aux person-
nes de sexe féminin. La ressortissante étrangère
qui a épousé ou qui épouse un citoyen canadien
se voit accorder un régime distinct en matière
de citoyenneté; ceci me semble résulter à la fois
d'un processus historique et de la conception
classique selon laquelle l'épouse est censée
prendre la citoyenneté et le domicile de son
mari. Cette situation me paraît conforme à la
théorie, historiquement valable même si elle est
contestée aujourd'hui par les femmes, voulant
que le mari soit le chef de famille.
Je ne vois rien dans la Déclaration des droits
qui interdise d'appliquer un régime différent à la
femme mariée et à la femme célibataire dans le
cadre de la Loi sur la citoyenneté canadienne.
Même s'il s'agissait, comme le soutient l'ap-
pelant, d'un cas de discrimination fondée sur le
sexe, je vois difficilement ce que la Cour pour-
rait faire dans ce cas précis. Il semble ressortir
clairement du jugement rendu par la majorité de
la Cour suprême dans l'affaire R. c. Drybones
[1970] R.C.S. 282 que si un texte législatif
présente un aspect discriminatoire, la partie de
ce texte qui contrevient à la Déclaration des
droits doit être déclarée inopérante. Dans la
présente affaire, la thèse de l'appelant ne con-
siste pas à attaquer le principe même de la
période obligatoire de résidence au Canada; il
demande simplement que cette période soit la
même pour le conjoint de sexe masculin que
pour le conjoint de sexe féminin, c'est-à-dire
une année. A mon avis, si je faisais une déclara-
tion en ce sens, cela reviendrait, pour le moins,
à amender par décision judiciaire un texte
adopté par le Parlement et non pas simplement
à le déclarer inopérant.
J'y vois une autre difficulté (en supposant
toujours qu'il s'agisse d'un cas de discrimina
tion): quelle partie de l'article 10 faudrait-il
déclarer discriminatoire; la clause de résidence
d'un an pour l'épouse ou la clause de résidence
de cinq ans pour la plupart des autres person-
nes? Dans un cas comme dans l'autre, cela
revient selon moi à amender la loi, ce qui n'est
pas conforme aux fins de la Déclaration des
droits.
L'appel est rejeté.
Ainsi que le prévoit la Règle 917 des règles
de la Cour fédérale du Canada, il ne sera pas
adjugé de dépens.
Je suis personnellement assez favorable à la
cause de l'appelant. Il a plaidé lui-même et à ce
qu'il me semble, il satisfait sous tous les rap
ports, sauf celui de la résidence, aux exigences
de la citoyenneté canadienne. Je pense qu'il
serait un bon citoyen. Il a soulevé un point de
droit assez original devant la Cour de la
citoyenneté, en ignorant cependant, avant que
la Cour ne rende sa décision, que l'article 14 de
la Loi sur la citoyenneté canadienne dispose
que, lorsque la Cour rejette une demande, l'au-
teur de cette demande doit attendre deux ans à
compter de la date de cette décision avant d'en
présenter une autre. Je souligne cet aspect afin
de faire remarquer que l'appelant a institué son
action en toute bonne foi, mais que, malheureu-
sement, il a en fait prolongé le délai pendant
lequel il devra résider au Canada avant de pou-
voir en devenir un citoyen.
Je m'abstiendrai démettre une opinion sur le
point de savoir si le Ministre peut, à sa discré-
tion, abréger le délai prévu par l'article 14.
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