Édouard Bourque et Paul Bourque (Appelants)
c.
La Commission de la Capitale nationale (Intimée)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett et les juges
suppléants Cameron et Sweet—Ottawa, le 25
avril 1972.
Pratique—Dépens—Compétence—Jugement de la Cour de
l'Échiquier—Taxation—Application des règles de la Cour
fédérale.
Le 9 juin 1970, la Cour de l'Échiquier a rendu un juge-
ment avec dépens au profit des défendeurs à une action en
expropriation. Le lcf juin 1971, la Loi sur la Cour fédérale
est entrée en vigueur. En août 1971, les défendeurs ont
demandé à la Division de première instance de la présente
Cour de rendre une ordonnance taxant les dépens d'après
l'échelle qui était en vigueur à la Cour de l'Échiquier. La
Division de première instance a rejeté la demande.
Arrêt: l'appel est rejeté. Il n'y a rien qui nous permet de
statuer sur cette requête avant la taxation des dépens.
Il semble qu'il n'y a pas de différence apparente entre
l'échelle des honoraires payables aux témoins experts en
vertu des règles de la Cour de l'Échiquier (Tarif A, article
42, al. 3) et celle établie par les règles de la Cour fédérale
(Tarif A, al. 4(2), et Tarif B, al. 2(2)).
Il semble également que les règles de la Cour fédérale qui
traitent des montants et de la procédure de taxation des
dépens sont rétroactives, car il s'agit de questions de
procédure.
Arrêt cité: Wright c. Hale (1860) 30 L.J.Ex. 40.
APPEL de la Division de première instance.
H. Soloway, c.r. pour les appelants.
George Ainslie, c.r. et Eileen Mitchell
Thomas, c.r. pour l'intimée.
Jugement de la Cour rendu par
LE JUGE EN CHEF JACKETT (oralement)—
Lors d'une affaire d'expropriation, la Cour de
l'Échiquier du Canada a rendu, le 9 juin 1970,
un jugement qui prévoyait, entre autres, que
«les défendeurs ont le droit de recouvrer leurs
frais après taxation». Les défendeurs à cette
action sont les appelants au présent appel. Lors-
que la Loi sur la Cour fédérale est entrée en
vigueur le l er juin 1971, ces frais n'avaient pas
été taxés. En août 1971, les appelants ont pré-
senté une requête devant la Division de pre-
mière instance en vue d'obtenir une ordonnance
donnant des instructions pour que l'état de frais
entre les parties défenderesses, y compris les
honoraires des témoins experts, soit taxé d'a-
près l'échelle des honoraires en vigueur à la
Cour de l'Échiquier du Canada le 9 juin 1970,
date à laquelle le jugement a été prononcé. La
Division de première instance, dans un juge-
ment rendu le 23 août 1971, a rejeté cette
requête [TRADUCTION] «tout en prévoyant le
renvoi de la question de la taxation aux fonc-
tionnaires désignés de la Cour ...». Le présent
appel porte sur ce jugement.
La requête présentée devant la Division de
première instance avait apparemment pour
objet de soulever et de faire trancher la ques
tion de droit portant sur le point de savoir si ce
sont les règles de la Cour adoptées en vertu de
la Loi sur la Cour fédérale ou celles qui étaient
antérieurement en vigueur qui s'appliquent à la
taxation des frais accordés par le jugement de
cette affaire d'expropriation. Il n'existe, selon
nous, rien qui puisse justifier une telle requête
et, pour ce seul motif, nous sommes d'avis que
la requête a été rejetée à bon droit.
Que ce soient les règles de la Cour de l'Échi-
quier ou celles de la Cour fédérale qui s'appli-
quent à la taxation des frais accordés aux appe-
lants, la procédure est essentiellement la même.
La partie ayant droit aux frais peut réclamer la
taxation de ses frais au fonctionnaire taxateur
et, si elle n'est pas satisfaite de cette taxation,
elle est fondée à la faire réviser par la Cour.
Cette procédure découle de la Règle 263 des
règles de la Cour de l'Échiquier, dont voici le
texte:
263. Tous les frais entre parties doivent être taxés con-
formément au tarif A contenu dans l'Annexe des présentes
règles. Ces frais sont taxés par le registraire ou le registraire
adjoint. Ces derniers sont les fonctionnaires taxateurs de la
Cour, exerçant une autorité exclusive à l'égard de cette
taxation, sous réserve de revision par la Cour.
et de la Règle 346(2) des règles de la Cour
fédérale, dont voici le texte:
Règle 346. (2) Les frais doivent être taxés par
a) un protonotaire, chaque protonotaire étant un officier
taxateur, ou
b) un officier du greffe désigné par ordonnance de la
Cour à titre d'officier taxateur,
sous réserve d'être révisés par la Cour sur demande d'une
partie insatisfaite de cette taxation.
Non seulement nous ne connaissons dans
aucun des deux recueils de règles de disposi-
tions permettant de demander à la Cour de
trancher une question de principe avant de pro-
céder à la taxation, mais nous sommes d'avis
qu'une telle démarche n'est pas judicieuse. Ni
les parties ni la Cour ne doivent être contraintes
de subir la dépense et l'ennui d'avoir à décider
sur des questions de principe, à moins que cela
ne devienne nécessaire pour fixer les droits des
parties. Il n'est pas possible de savoir si une
question semblable présente quelque intérêt
pratique en l'espèce, avant la taxation des frais
des appelants par un fonctionnaire taxateur.
En l'espèce, l'avis de requête insiste particu-
lièrement sur les [TRADUCTION] «honoraires aux
témoins experts», apparemment en considérant
qu'à l'égard de ces honoraires, la taxation sera
moins élevée en vertu des nouvelles règles
qu'elle ne l'aurait été en vertu des règles de la
Cour de l'Échiquier. Il ne nous semble pas qu'il
en soit ainsi. La disposition applicable du tarif
A des règles de la Cour de l'Échiquier, pré-
voyant les honoraires à allouer «dans la taxa
tion des frais entre parties», semble être le
troisième alinéa de l'article 42, dont voici le
texte:
Dans les causes en expropriation, il peut être accordé aux
témoins appelés à exprimer leur avis sur les valeurs des
terrains expropriés, au lieu de l'indemnité per diem consen-
tie aux témoins sous le régime des articles 40, 41 et du
premier paragraphe de l'article 42, une indemnité per diem
spéciale pour leur présence devant le tribunal, plus un
montant pour le temps qu'ils ont nécessairement et utile-
ment consacré à visiter la propriété en question, pour les
recherches nécessaires aux bureaux d'enregistrement et
pour tout autre travail nécessaire qu'ils accomplissent en
vue d'établir leur estimation de la propriété expropriée,
lesdits montants devant être fixés par l'officier taxateur,
sous réserve de revision par la Cour.
En d'autres termes, cet alinéa accorde «une
indemnité per diem spéciale pour leur présence
devant le tribunal, plus un montant pour le
temps . nécessairement et utilement consacré
... en vue d'établir leur estimation ... lesdits
montants devant être fixés par l'officier taxa-
teur, sous réserve de révision par la Cour».
Dans les règles de la Cour fédérale, nous trou-
vons l'alinéa 4(2) du tarif A, qui prévoit ce qui
suit:
(2) Au lieu de faire un versement aux termes de l'article
3, la partie peut verser à un témoin qui comparaît pour
déposer en qualité d'expert une somme raisonnable en com
pensation de ce que le témoin a dû faire pour se préparer à
déposer et pour déposer.
Le tarif B, qui régit la question des sommes
pouvant être accordées pour les frais taxés
entre parties, prévoit, (alinéa 2(2)), ce qui suit:
2. (2) Débours
a) tous les débours visés au tarif A peuvent être accordés;
toutefois les paiements faits à un témoin aux termes du
paragraphe 4(2) ne peuvent être accordés que dans la
mesure où la Cour le permet en vertu de la Règle 344(7),
b) peuvent également être accordés les autres débours
qui, selon la conviction du fonctionnaire taxateur, étaient
essentiels à la conduite de l'action.
(Il est vrai que cette disposition prévoit que la
Cour donnera des instructions dans un délai qui
est expiré en l'espèce, mais nous ne doutons pas
que ce délai serait prolongé, dans les circons-
tances de l'espèce, aux termes de la Règle 3c).)
Il ne nous semble pas que les sommes qui
peuvent être accordées aux témoins experts
dans une action en expropriation sont plus ou
moins élevées en vertu des règles de la Cour
fédérale qu'elles ne l'auraient été en vertu des
règles de la Cour de l'Échiquier.
Dans ces conditions, il est préférable de ne
pas formuler d'opinion sur la question de prin-
cipe qu'on a plaidée lors de la requête devant la
Division de première instance. Il convient de
laisser de côté cette question jusqu'à ce qu'elle
se pose dans un appel où elle ne sera pas
purement et simplement une question abstraite
et on la tranchera après avoir fourni aux parties
dont les droits seront en cause l'occasion d'être
entendues. Ce n'est pas une question sur
laquelle il est facile de conclure. Nous avons été
particulièrement frappés par un certain nombre
de décisions que les parties ont citées, comme
les arrêts: Delap c. Charlebois (1899) 18 P.R.
417; Earle c. Burland (1904) 8 O.L.R. 174; Des
Brisay c. Canadian Government Merchant
Marine Ltd. [1940] 4 D.L.R. 171; et Gar Wood
Industries c. Sicard Ltée [1950] R.C.E. 136. Par
ailleurs, le principe établi dès 1860 dans l'arrêt
Wright c. Hale 30 L.J.Ex. 40, n'a pas été dis-
cuté dans ces affaires et est encore considéré,
au moins par une autorité, comme valide. Voir
Maxwell on Interpretation of Statutes 12e éd., p.
224, où on lit que [TRADUCTION] «les lois relati
ves aux frais sont par nature des lois de procé-
dure aux fins des règles concernant la rétroacti-
vité». Dans l'arrêt Wright c. Hale, le juge
Pollock C.B. a déclaré à la page 42:
[TRADUCTION] J'ai toujours constaté qu'il existe une diffé-
rence considérable entre les lois qui concernent les droits et
les intérêts acquis des parties et celles qui concernent
purement et simplement la procédure des tribunaux,
comme, par exemple, le fait de déclarer ce qui sera réputé
être une signification valable, quel sera le critère du droit
aux frais, à combien s'élèveront les frais réclamés, la
manière selon laquelle les témoins seront payés, ou à quels
témoins les parties auront droit de faire appel et ainsi de
suite. Par exemple, si une loi du parlement devait déclarer
qu'en matière de pur et simple exposé des motifs et de
jugement, nul ne pourra citer plus de trois témoins, je pense
que cela s'appliquerait à toutes les actions, qu'elles soient
pendantes ou qu'elles doivent être intentées par la suite. Ce
serait une question fixant des règles de procédure; et je
crois qu'on ne pourrait dire avec justesse: «j'avais le droit
de citer autant de témoins que je le jugeais nécessaire pour
établir les faits et je souhaitais citer dix géomètres, dix
courtiers, dix capitaines d'armement et ainsi de suite». Je ne
pense pas qu'une chose de ce genre puisse être appelée un
droit, et je ne pense pas davantage que le titre à se voir
allouer les frais puisse être appelé un droit au sens où Lord
Coke dans ses Institutes, ou mon juge en chef Lord Truro
dans l'affaire que cite M. Chambers, a parlé de droits. Je
pense que, lorsqu'une loi du parlement modifie les procédu-
res qui doivent prévaloir dans l'administration de la justice
et lorsqu'elle ne prévoit pas spécialement que cela ne s'ap-
pliquera pas à toute action déjà intentée, mais lorsqu'elle en
fait cesser purement et simplement le fonctionnement pen
dant un certain temps et donne la possibilité aux parties de
retirer leur poursuite, cela s'applique aux actions déjà
intentées.
Nous pensons que tout au moins les parties
des nouvelles règles qui fixent la procédure de
taxation des frais sont rétroactives de par leur
nature et il semble difficile, dans de nombreux
cas, de séparer les règles qui servent à détermi-
ner les sommes de celles de la procédure. Ceci
est particulièrement vrai lorsqu'il y a un change-
ment dans le pouvoir discrétionnaire relatif aux
sommes qu'il appartenait aux fonctionnaires
taxateurs de fixer et qui passe à la Cour, ce qui
est l'un des plus importants changements résul-
tant du remplacement des règles de la Cour de
l'Échiquier par celles de la Cour fédérale. Alors
que l'affaire sera en définitive tranchée, il est
fort possible qu'on adopte la conclusion du juge
en chef adjoint selon laquelle la question est
réglée à l'article 62(6) de la Loi sur la Cour
fédérale. Il se peut également que certaines dis
positions de la Loi d'interprétation, comme les
articles 35, 36 et 37, aient une certaine
influence en ce domaine.
A notre avis, il y a lieu de rejeter l'appel,
mais, en l'absence d'opposition, sans frais.
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