In re le Tribunal antidumping et le verre à vitre
transparent
Division de première instance; le juge Catta-
nach—Ottawa, les 4, 5, 6 et 7 juillet et le 4 août
1972.
Examen judiciaire—Certiorari—Tribunal antidumping—
Le président du tribunal était l'ancien conseiller d'une par-
tie—Le président ne participe pas aux audiences mais signe
la décision—Nulle partialité de fait—Vraisemblance de par-
tialité—La décision signée n'est pas transmise à la Cour—
Demande en certiorari rejetée—Loi sur la Cour fédérale,
article 18.
Libertés fondamentales — Preuve — Déclaration des
droits—Documents obtenus de certaines personnes au cours
d'une enquête menée en vertu de la Loi relative aux enquêtes
sur les coalitions—Admissibles en preuve dans des procès
civils.
Couronne—Certiorari—Droit du procureur général d'obte-
nir un bref de certiorari—Loi sur la Cour fédérale, article 18.
B a été nommé président du Tribunal antidumping le le ,
janvier 1969. Un vice-président et un autre membre ont
aussi été nommés à cette date. Avant sa nomination, B avait
travaillé pendant plusieurs années comme conseiller auprès
de producteurs canadiens de verre à vitre, au nom desquels
il avait fait des démarches auprès de certains fonctionnaires
du gouvernement relativement au prétendu dumping de
verre à vitre au Canada. B a cessé de travailler pour ses
deux clients lorsqu'il a été nommé président du Tribunal et,
bien qu'il n'ait fait aucune nouvelle démarche en leur nom,
il les a conseillés relativement à une plainte de dumping
qu'ils ont déposée. Le Tribunal a entendu la plainte en
février 1970. B a informé les autres membres du Tribunal
des rapports qu'il avait eus avec les deux compagnies cana-
diennes et, conformément à l'article 23(1)a) de la Loi anti-
dumping, S.R.C. 1970, c. A-15, il a désigné les deux autres
membres pour entendre la plainte. Les audiences ont eu lieu
en février 1970, �n l'absence de B. Le 13 mars 1970, les
deux autres membres ont ordonné qu'un droit antidumping
soit établi relativement au verre à vitre. A la demande du
vice-président, B a lu le texte final de la décision et y a
apporté trois modifications d'ordre grammatical qui n'alté-
raient en rien le sens du texte. B a signé la décision des
deux autres membres, croyant, à tort, que la signature des
trois membres était requise. La décision signée par les trois
membres a été transmise au sous-ministre (douanes et
accise) et une copie ne portant aucune signature a été
déposée dans le dossier du Tribunal (qui est une cour
d'archives). Le procureur général a déposé une requête en
certiorari en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour
fédérale aux fins de faire annuler la décision et cette Cour a
été saisie par voie d'évocation de la décision non signée.
Arrêt: (1) il y a lieu de rejeter la requête. Bien qu'il n'ait
pas été établi que B avait agi avec partialité, il n'était pas
apte à participer à l'élaboration de la décision du fait que
ses relations antérieures avec les plaignants faisaient croire
à une vraisemblance de partialité et parce qu'il n'avait pas
participé aux audiences. En signant la décision, il souscrit à
celle-ci et, par suite, elle doit être annulée. Toutefois, vu
que la décision dont la Cour a été saisie par voie d'évoca-
tion n'était pas signée, la requête en certiorari doit être
rejetée.
Arrêts cités: R. c. Sussex Justices [1924] 1 K.B. 256;
Ghirardosi c. Le min. de la Voirie (C. B.) [1966] R.C.S.
367; R. c. Huntingdon Confirming Authority [1929] 1
K.B. 698; Hughes c. Seafarers' International Union
(1962) 31 D.L.R. (2e) 441; arrêts suivis: R. c. Nat Bell
Liquors Ltd. [1922] 2 A.C. 128; R. c. Northumberland
Compensation Appeal Tribunal [1952] 1 K.B. 338.
(2) Nulle disposition de la Déclaration canadienne des
droits n'interdit d'admettre en preuve, dans la présente
affaire, des documents saisis par le procureur général du
Canada dans les locaux des deux producteurs canadiens
dans le cadre d'une enquête en vertu de la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions.
(3) Bien que l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale ne
donne pas expressément au procureur général le pouvoir
d'instituer des procédures en certiorari, il est néanmoins
toujours fondé, en vertu de la common law, à déposer une
requête en certiorari. Les brefs de certiorari sont accordés
sur demande au procureur général.
DEMANDE en certiorari en vertu de l'article
18 de la Loi sur la Cour fédérale visant à faire
annuler une décision du Tribunal antidumping.
C. R. O. Munro, c.r., D. H. Aylen, c.r., et
Robert Vincent pour le procureur général.
Gordon Henderson, c.r. pour William W.
Buchanan.
Gordon Killeen et J. Shields pour le Tribunal
antidumping.
R. A. Smith, c.r. pour la Canadian Pittsburgh
Industries Ltd.
H. Soloman, c.r. pour la Glassexport Ltd.
J. F. Howard et D. J. Brown pour la Pilking-
ton Bros. (Canada) Ltd.
LE JUGE CATTANACH—Par avis de requête
du 4 mai 1972, il a été demandé à la Cour, au
nom du procureur général du Canada, en appli
cation de l'article 18 de la Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970, c. 10 (2e Supp.) (1) de
rendre une ordonnance la saisissant, par voie
d'évocation, de la conclusion ou décision du
Tribunal antidumping prononcée le 13 mars
1970 relativement à du verre à vitre transparent
importé de Tchécoslovaquie, d'Allemagne de
l'Est, de Pologne, d'Union des Républiques
Socialistes Soviétiques et de Roumanie, de
toutes autres pièces et documents s'y rappor-
tant ou en étant la conséquence, de toutes
autres pièces et questions connexes et de toutes
choses y relatives se trouvant sous la garde de
celui-ci et (2) de rendre une ordonnance ou un
jugement annulant la conclusion ou décision du
Tribunal antidumping, aux motifs que
a) le président dudit Tribunal a participé à
l'élaboration de la décision, bien qu'il eût des
intérêts dans l'objet de celle-ci;
b) le président dudit Tribunal a participé à
l'élaboration de ladite décision bien qu'il ait
eu ou ait pu avoir tendance à favoriser les
compagnies canadiennes dont la plainte écrite
a abouti à l'institution de procédures en vertu
de la Loi antidumping, du fait de son associa
tion avec elles; et
c) le président dudit Tribunal a participé à
l'élaboration de la décision, bien qu'il n'ait
pas participé à l'audience au cours de laquelle
la preuve et les plaidoiries ont été présentées
au nom des parties en cause.
L'avis de requête était appuyé par des affida
vits de
(1) Robert Kerr Paterson, agent de la divi
sion des douanes et accise du ministère du
Revenu national. Il a déclaré sous serment ce
qui suit: il connaît William Buchanan, qui a
été nommé président du Tribunal antidum-
ping; lui-même, auteur de l'affidavit, a eu à
connaître d'une plainte de la Pilkington
Brothers (Canada) Ltd. et de la Canadian
Pittsburgh Industries Limited, relative au
dumping au Canada de verre à vitre importé
des pays communistes de l'Europe de l'Est;
cette plainte a été examinée et elle a abouti à
une détermination préliminaire de dumping
du sous-ministre, le 15 décembre 1969; à
plusieurs reprises, en 1969, il a discuté avec
William Buchanan de l'évaluation du verre
ainsi importé, mais il ne se souvient pas des
propos précis qu'ils ont échangés; il a égale-
ment oublié si M. Buchanan lui a rendu visite
en personne à son bureau ou s'il lui a parlé au
téléphone.
(2) Murray Joseph Patrick Collins, égale-
ment agent de la division des douanes et
accise du ministère du Revenu national. Il a
déclaré sous serment ce qui suit: à de nom-
tireuses reprises, en 1968 et au cours des
années antérieures, M. Buchanan a discuté
avec lui, au nom de ses clients, la Pilkington
Brothers (Canada) Ltd. et la Canadian Pitts-
burgh Industries Limited, des pénétrations
que les importations de verre à vitre des pays
communistes d'Europe de l'Est faisaient dans
le marché canadien; ces discussions avaient
pour but de convaincre le ministère de suivre,
dans la détermination de la valeur imposable
du produit importé, une méthode qui procure-
rait à ses clients une meilleure protection
douanière en augmentant la valeur imposable
de manière que les droits de douane ordinai-
res soient Iilus élevés et qu'un droit antidum-
ping soit exigible aux termes de la loi alors en
vigueur; une lettre du 21 février 1968, qu'a-
vait adressée M. Buchanan à l'auteur de l'af-
fidavit et faisant état de ces démarches, a été
jointe à l'affidavit;
(3) Charles Douglas Arthur, secrétaire du
Tribunal antidumping aux dates qui nous inté-
ressent; il a joint à son affidavit une [TRADUC-
TION] «copie Xerox conforme de la décision
du Tribunal antidumping», rendue dans l'en-
quête qui a porté sur la question de savoir s'il
y a eu un préjudice sensible aux termes de
l'article 16 de la Loi antidumping dans le cas
du verre transparent importé des pays d'Eu-
rope de l'Est, décision datée du 13 mars 1970
et signée de M. W. W. Buchanan, président,
J. P. C. Gauthier, membre, et B. G. Barrow,
membre; lesdites signatures sont attestées par
celle de l'auteur de l'affidavit; des audiences
publiques ont été tenues les 2, 3, 4, 5 et 6
février 1970 et M. Buchanan n'y était pas
présent;
(4) Ronald A. Davis, examinateur senior
sur place du ministère du Revenu national,
impôt. Il a déclaré sous serment ce qui suit: le
13 avril 1972, il a examiné les dossiers de
facturation de M. Buchanan [TRADUCTION]
«pour l'année 1969» et il y a découvert a) une
facture datée du 8 février 1969, adressée à la
Canadian Pittsburgh Industries et portant la
mention [TRADUCTION] «objet: Valeur impo-
sable du verre à vitre importé des pays situés
derrière le rideau de fer et d'Extrême-
Orient», relative à des honoraires de $375 et
à des dépenses de $19.75 et b) une facture
datée du ler mars 1969, adressée à la Pilking-
ton Brothers (Canada) Ltd., portant sur des
honoraires de $1325 et des dépenses de
$181.60; et
(5) Clary Gerald McMullen, employé du
ministère de la Consommation et des Corpo
rations. Il a déclaré sous serment ce qui suit:
le 24 septembre 1971, il s'est rendu au siège
de la Canadian Pittsburgh Industries Limited
et à celui de la Pilkington Brothers (Canada)
Ltd., où des dirigeants de ces deux compa-
gnies lui ont remis certains documents; il a
joint à son affidavit une liasse de documents
de 18 pages.
L'auteur de ce dernier affidavit a obtenu ces
documents d'un fonctionnaire qui avait procédé
à une perquisition dans le cadre d'une enquête
effectuée en vertu de la Loi relative aux enquê-
tes sur les coalitions. Il a agi comme messager,
c'est-à-dire qu'il a fait faire des photocopies des
documents qui lui ont été remis, et a ensuite, je
pense, rendu les originaux aux compagnies.
Tous ces documents portent une date ultérieure
au le r janvier 1969 et se rapportent à des con-
seils et à des propositions de M. Buchanan à ces
compagnies.
Par avis de requête du 5 mai 1972, il a été
demandé ex parte au nom du procureur général
des directives quant à la procédure à suivre
pour le premier avis de requête, daté du 4 mai
1972, et quant à la signification de cette
requête; on a également demandé la permission
de faire déposer des témoins en audience
publique.
Le juge Heald a entendu la requête du 5 mai
1972 et il a ordonné que l'avis de requête soit
signifié aux vingt-sept personnes dont les noms
y étaient inscrits. Le juge Heald a manifeste-
ment pris grand soin de faire en sorte que tous
les intéressés reçoivent signification. La requête
fait en sorte que tous les importateurs et expor-
tateurs de verre en plaque auxquels le sous-
ministre du Revenu national, douanes et accise,
a donné avis de l'enquête concernant le dum
ping, antérieurement à l'audience devant le Tri
bunal antidumping, y compris les plaignants en
la présente affaire, la Pilkington Brothers
(Canada) Ltd. et la Canadian Pittsburgh Indus
tries Limited, reçoivent signification. La
requête énonçait le mode de signification qui
devait être utilisé pour les particuliers et les
compagnies se trouvant au Canada et elle pré-
voyait que, dans le cas des compagnies qui ne
faisaient pas d'affaires au Canada, la significa
tion devait être faite à leurs mandataires. Plus
particulièrement, il était ordonné qu'une signifi
cation soit faite à M. Buchanan, président du
Tribunal antidumping, et à MM. Barrow et Gau-
thier, membres de ce Tribunal. Il y était égale-
ment ordonné qu'une signification soit faite au
secrétaire du Tribunal antidumping.
En outre, le juge Heald a accordé au procu-
reur général la permission de faire témoigner les
personnes suivantes en audience publique: Wil-
liam Wallace Buchanan, président du Tribunal
antidumping le 13 mars 1970, Lionel C. Bosan-
quet, Vernon C. German, J. Ray Faulds et
Frank J. Doyle, ces quatre dernières étant des
dirigeants de la Pilkington Brothers (Canada)
Ltd. et de la Canadian Pittsburgh Industries
Limited, auteurs des lettres et des notes jointes
comme pièces à l'affidavit de Clary Gerald
McMullen.
Il est important de remarquer que le juge
Heald a également ordonné que, puisqu'une
copie de la décision du Tribunal antidumping en
date du 13 mars 1970 avait été déposée, il
n'était pas nécessaire qu'à ce moment, le Tribu
nal antidumping transmette à la Cour les autres
documents mentionnés dans l'avis de requête
du 4 mai 1972.
L'avis de requête devant être signifié à un
grand nombre de personnes, le juge Heald a
ordonné que l'avis de requête du 4 mai 1972
soit rapporté le 8 juin 1972 et non le 25 mai
1972, comme il avait d'abord été demandé.
L'affaire est venue à l'audience devant moi le
8 juin 1972. A ce moment, M. Buchanan, la
Pilkington Brothers (Canada) Ltd. et la Canadi-
an Pittsburgh Industries Limited étaient repré-
sentés par un avocat, de même que la Glassex-
port Limited et la Mineralimportexport.
Conformément à l'ordonnance du juge Heald, la
signification à la Glassexport Limited avait été
faite à son mandataire, Peter Reiner, de la
Reiner Trading Company à Montréal (Québec),
de même que la signification à la Mineraléxport-
import avait été faite au premier délégué com-
mercial du Bureau commercial de Roumanie à
Montréal (Québec). De plus, le Tribunal anti-
dumping et son secrétaire étaient représentés
par des avocats.
L'avocat de William Wallace Buchanan a
demandé à ce moment la permission d'appeler
certains témoins désignés. Il avait antérieure-
ment donné avis d'une telle requête et j'ai
accordé cette permission.
L'avocat de M. Buchanan a demandé la per
mission de contre-interroger ceux qui avaient
déposé des affidavits à l'appui de l'avis de
requête du procureur général, daté du 4 mai
1972. Il a été appuyé dans sa requête par l'avo-
cat des personnes ayant des intérêts opposés à
ceux du procureur général. J'ai fait droit à cette
requête et le contre-interrogatoire sur les affida
vits a eu lieu le 12 juin 1972.
A cette dernière date, l'avocat de M. Bucha-
nan a demandé des détails quant au premier
argument qu'avait invoqué le procureur général
à l'appui de la demande en annulation des cons-
tatations du Tribunal antidumping. Pour des rai-
sons de commodité, je reprends ce motif, tel
qu'il apparaît à l'avis de requête du 4 mai 1972:
[TRADUCTION] Le président dudit Tribunal a participé à
l'élaboration de la décision, bien qu'il eût des intérêts dans
l'objet de celle-ci.
L'avocat de M. Buchanan a allégué avec
beaucoup d'insistance et de fermeté qu'il lui
était nécessaire d'obtenir des détails sur les
«intérêts» allégués pour être en mesure de
répondre. A mon avis, il était fondé à obtenir
ces détails. Le problème a été résolu pour un
amendement à l'avis de requête: l'avocat du
procureur général a ajouté le mot [TRADUCTION]
«pécuniaires» à la suite du mot [TRADUCTION]
«intérêts». En deux mots, à la suite de cet
amendement, le procureur général allègue que
M. Buchanan avait des «intérêts pécuniaires»
dans l'entreprise en question.
L'avocat du Tribunal antidumping et le vice-
président de celui-ci ont demandé des détails
quant aux circonstances démontrant que le pré-
sident du Tribunal aurait eu tendance à favori-
ser les deux compagnies canadiennes dont la
plainte a abouti à l'institution de procédures en
vertu de la Loi antidumping. La demande de
l'avocat a été appuyée par l'avocat des parties
ayant des intérêts opposés à ceux du procureur
général. Le procureur général fonde cette allé-
gation sur le second motif invoqué à l'appui de
la demande en annulation de la décision du
Tribunal antidumping. J'ai décidé que cette
requête était fondée et l'avocat du procureur
général a fourni, le 9 juin 1972, les détails
demandés, dans les termes suivants:
[TRADUCTION] L'association mentionnée est celle qui a
existé entre W. W. Buchanan, la Canadian Pittsburgh Indus
tries Limited et la Pilkington Brothers Canada Limited. Ces
compagnies ont retenu les services de M. Buchanan, avant
sa nomination au poste de président du Tribunal antidum-
ping, afin que ce dernier les conseille, les assiste et présente
des observations au gouvernement du Canada sur la ques
tion du préjudice qui était causé ou qui était susceptible
d'être causé à la production canadienne de verre à vitre et,
plus particulièrement, aux entreprises desdites compagnies,
du fait de l'importation d'Europe de verre à vitre à bas prix
et sur la question du désir de ces compagnies de voir le
gouvernement imposer des droits complémentaires sur le
verre à vitre sous-évalué importé d'Europe au Canada. M.
Buchanan a assisté et conseillé ces compagnies et a fait des
démarches en leur nom, tant avant qu'après sa nomination
au poste de président du Tribunal antidumping.
J'ai donc renvoyé la requête au 4 juillet 1972
pour permettre aux intéressés de se conformer
à mon ordonnance.
Le 4 juillet 1972, les personnes qui s'étaient
fait représenter par des avocats le 8 juin 1972
l'étaient encore, sauf la Mineralimportexport.
L'avocat de la Glassexport Limited était pré-
sent le 4 juillet 1972, mais il a été absent par la
suite.
M. Buchanan a fait une brillante carrière dans
la fonction publique du Canada. A l'origine, il
était cultivateur au Manitoba. Il a fréquenté à
cette époque l'Université du Manitoba où il a
obtenu un baccalauréat en économie. Il a
obtenu plus tard une maîtrise en économie de
l'Université de Toronto. Il n'a aucune formation
juridique. Il a été président-adjoint de la Com
mission du tarif de 1949 1959. Il a également
été nommé membre de la Commission royale
d'enquête sur les brevets, le droit d'auteur et les
dessins industriels. A la fin de sa carrière dans
la fonction publique, en 1959, il a fondé une
entreprise d'expert-conseil en matière de droits
d'auteur, brevets, dessins industriels, marques
de commerce, relations de travail et d'une
manière plus spéciale, je crois, en matière de
douanes et accise, domaines dans lesquels son
expérience est la plus grande. Son expérience et
sa connaissance approfondie des divers ministè-
res responsables de ces secteurs le désignaient
tout à fait pour entreprendre un pareil travail à
l'intention d'industriels. Son association avec la
Canadian Pittsburgh Industries Limited et avec
la Pilkington Brothers (Canada) Ltd. à titre de
clients a commencé en 1966. A compter de ce
moment, et surtout au cours des années 1968 et
1969, ces deux compagnies étaient les seuls
fabricants de verre à vitre du Canada. Depuis
1969, environ trois fabricants ont entrepris la
fabrication de verre à vitre au Canada. La Pilk-
ington Brothers (Canada) Ltd. a cessé son acti-
vité dans ce domaine après 1969.
A ce stade, il est utile de résumer les effets
des lois alors en vigueur et les questions sur
lesquelles M. Buchanan a fait des démarches
auprès de diverses autorités gouvernementales
au nom de ces clients, ainsi que les raisons
profondes et les buts de ces démarches.
L'article 6(1) du Tarif des douanes, S.R.C.
1952, c. 60, prévoit que dans le cas de marchan-
dises exportées au Canada, d'une classe ou
d'une espèce fabriquée ou produite au Canada,
si le prix d'exportation ou le prix réel de vente à
un importateur au Canada est inférieur à la
juste valeur marchande ou à la valeur imposable
des marchandises, établie sous le régime des
dispositions de la Loi sur les douanes, il doit, en
sus des droits autrement établis, être prélevé un
droit spécial ou antidumping égal à la différence
entre le prix de vente des marchandises pour
l'exportation et la valeur imposable.
L'article 6(2)b) prévoit que le droit spécial ou
antidumping ne doit jamais dépasser 50% ad
valorem et que certaines marchandises peuvent
en être déclarées exemptes en vertu d'un arrêté
ou d'un règlement qu'établit le gouverneur en
conseil.
En application de l'article 6(2)b) du Tarif des
douanes, le gouvernement en conseil, par l'ar-
rêté en conseil C.P. 4600 du 4 décembre 1952,
a ordonné que le verre à vitre soit déclaré
exempt du droit antidumping.
La Pilkington Brothers (Canada) Ltd. et la
Canadian Pittsburgh Industries Limited ont fait
appel aux services de M. Buchanan pour qu'il
les conseille et fasse des démarches en leur nom
auprès des autorités gouvernementales compé-
tentes en vue de faire supprimer cette exemp
tion, et c'est ce qu'a fait M. Buchanan. Il a
rencontré des fonctionnaires du gouvernement
à maintes reprises et ses démarches ont abouti à
sa lettre du 20 septembre 1966 (pièce 18) adres-
sée au sous-ministre adjoint des Finances, dans
laquelle il résumait les revendications de ses
clients. A compter de ce moment, M. Buchanan
est demeuré en permanence au service de ces
deux clients pour essayer de faire prendre des
mesures qui leur seraient favorables.
Les démarches qu'il a faites relativement à la
suppression de l'exemption du droit antidum-
ping sur le verre à vitre ont apparemment pro-
duit les résultats escomptés. Par l'arrêté en con-
seil C.P. 1967-1844 du 28 septembre 1967, le
gouverneur en conseil, sur recommandation du
ministre des Finances, a abrogé l'arrêté en con-
seil C.P. 4600, de sorte que le verre à vitre est
devenu assujetti à un droit antidumping.
Aux termes de l'article 6(1), il est évident
qu'il était de l'intérêt des producteurs canadiens
de verre à vitre que la valeur imposable soit
suffisamment élevée pour permettre à leurs pro-
duits de demeurer concurrentiels sur le marché
canadien.
Pendant toute l'année 1968, M. Buchanan a
travaillé à faire des démarches au nom de ses
deux clients relativement aux pénétrations que
les exportateurs de verre à vitre d'Europe de
l'Est faisaient dans le marché canadien et aux
effets néfastes de ce qui peut être appelé du
verre à vitre sous-évalué aux termes de l'article
6(1) du Tarif des douanes. D'une manière plus
particulière, il a fait des démarches auprès du
ministère du Revenu national quant aux métho-
des qu'il y aurait lieu d'employer dans l'estima-
tion de la valeur imposable du verre à vitre
importé des pays en cause.
Le 19 décembre 1968, la Loi antidumping,
S.R.C. 1970, c. A-15, a reçu l'assentiment royal
et elle est entrée en vigueur par proclamation, le
l ei janvier 1969.
Aux termes de l'article 8 de cette loi, des
marchandises sont considérées comme sous-
évaluées si la valeur normale de celles-ci excède
leur prix à l'exportation. Essentiellement, la
valeur normale de marchandises est le prix
auquel elles sont vendues aux consommateurs
dans le cours normal des affaires, dans des
conditions de concurrence. L'article 9 énonce
les règles à suivre pour déterminer la valeur
normale dans un certain nombre de cas, et, de
même, l'article 10 énonce les règles à suivre
dans la détermination du prix à l'exportation.
En vertu de l'article 3 de cette loi, l'imposi-
tion d'un droit antidumping est subordonnée à
l'existence de conditions préalables, savoir que
le dumping au Canada a causé, cause ou est
susceptible de causer un préjudice sensible à la
production de marchandises semblables au
Canada.
L'article 21 de cette loi crée le Tribunal anti-
dumping, lequel se compose d'un maximum de
cinq membres nommés par le gouverneur en
conseil. Le gouverneur nomme, parmi les mem-
bres, un président et un vice-président. L'article
21(6) stipule qu'en cas d'incapacité d'agir d'un
membre, un suppléant temporaire peut être
nommé. Le paragraphe (7) prévoit, pour sa part,
que les membres doivent consacrer tout leur
temps à l'exercice de leurs fonctions de mem-
bres du Tribunal et qu'ils ne doivent accepter ni
occuper aucun poste ou emploi incompatible
avec leurs attributions en vertu de la loi.
Les fonctions du président sont décrites à
l'article 23 et elles comprennent l'affectation
des membres aux auditions du Tribunal et à la
présidence de celles-ci.
L'article 27 prévoit que le Tribunal est une
cour d'archives et qu'elle doit avoir un sceau
officiel, que les tribunaux doivent admettre
d'office.
Aux termes de l'article 28, le président peut
ordonner que les témoignages relatifs à une
audition soient reçus par un membre du Tribu
nal et ce membre a tous les pouvoirs du Tribu
nal pour les fins de l'audition. Ce membre doit
ensuite faire rapport au Tribunal des témoigna-
ges reçus et une copie du rapport doit être
fournie à chacune des parties à l'audition.
La procédure à suivre dans l'imposition d'un
droit antidumping est décrite à la Partie II de la
loi.
Aux termes de l'article 13,1e sous-ministre du
Revenu national, douanes et accise, fait ouvrir
une enquête concernant le dumping de mar-
chandises, de sa propre initiative ou sur récep-
tion d'une plainte écrite portée par des produc-
teurs de marchandises semblables au Canada ou
en leur nom, s'il est d'avis qu'il y a des éléments
de preuve indiquant que des marchandises ont
été sous-évaluées et si lui-même est d'avis que
ce dumping cause un préjudice sensible à la
production canadienne, ou si le Tribunal lui fait
savoir qu'il est de cet avis. Lorsque le sous-
ministre décide de ne pas ouvrir une enquête du
seul fait qu'à son avis, il n'y a pas d'éléments de
preuve de l'existence d'un préjudice sensible,
celui-ci ou le plaignant peut soumettre au Tribu
nal la question de l'existence d'un tel préjudice.
D'après l'article 14, lorsque, à la suite de
l'enquête, le sous-ministre est convaincu que
des marchandises ont été sous-évaluées et que
la marge de dumping n'est pas négligeable, il
fait une détermination préliminaire de dumping.
Il doit ensuite faire déposer un avis de cette
détermination entre les mains du secrétaire du
Tribunal.
Dès la réception de cet avis, le Tribunal doit,
aux termes de l'article 16, faire enquête aux fins
de déterminer si le dumping des marchandises a
causé un préjudice sensible. Lorsque le Tribu
nal a rendu sa décision, le secrétaire doit, aux
termes du paragraphe (5), transmettre par cour-
rier recommandé une copie de celle-ci au sous-
ministre et aux parties intéressées.
Sur réception de l'ordonnance ou des conclu
sions du Tribunal, le sous-ministre fait une
détermination définitive de dumping en déci-
dant d'abord si les marchandises sont des mar-
chandises décrites dans l'ordonnance ou les
conclusions du Tribunal et en évaluant ensuite
la valeur normale et le prix normal à l'exporta-
tion des marchandises. La loi prévoit en outre
une nouvelle détermination de la valeur normale
et une nouvelle évaluation du prix à
l'exportation.
Lorsque ces procédures sont terminées, un
droit antidumping égal à la marge de dumping
est imposé sur les marchandises importées.
Il découle de ce qui précède que la fonction
du Tribunal ne consiste qu'à déterminer si le
dumping des marchandises a causé, cause, ou
est susceptible de causer un préjudice sensible à
la production canadienne de marchandises sem-
blables ou a sensiblement retardé ou retarde la
mise en production au Canada de marchandises
semblables.
Par l'arrêté en conseil C.P. 1969-1, daté du 3
janvier 1969, MM. W. W. Buchanan, J. P. C.
Gauthier et B. G. Barrow ont été nommés mem-
bres du Tribunal antidumping à compter du ler
janvier 1969, pour une durée de sept ans, et M.
Buchanan a été nommé président.
M. Buchanan a témoigné qu'au cours des
entretiens qui ont précédé sa nomination, il a
informé le ministre des Finances d'alors, le
ministre responsable, des rapports qu'il avait
avec la Pilkington Brothers (Canada) Ltd. et la
Canadian Pittsburgh Industries Limited. Il a
également fait savoir qu'il avait d'autres travaux
en cours, se rapportant pour la plupart à la taxe
de vente, et qu'il désirait s'acquitter de ces
tâches. En ce qui concerne ses deux clients
producteurs de verre à vitre, il a déclaré au
Ministre qu'il mettrait fin à ses engagements
sans délai, mais qu'il se sentirait moralement
obligé de les conseiller s'ils faisaient appel à lui,
tout en le faisant à titre gratuit. M. Buchanan a
témoigné, de plus, que le Ministre lui a donné
son accord sur cet arrangement.
Immédiatement après sa nomination au poste
de président du Tribunal, M. Buchanan a mis
fin aux engagements qu'il avait à titre de con-
seiller envers les deux clients en question. Il
travaillait seul, sans associés, de sorte que per-
sonne n'a pris la charge de l'entreprise. Il a
recommandé un autre conseiller à ses clients,
qui ont fait appel à celui-ci. Il semble avoir
déclaré à ses anciens clients qu'il pourrait
encore leur donner des conseils et leur faire des
suggestions sur des questions de forme et de
procédure s'ils le souhaitaient, en leur indiquant
clairement, toutefois, qu'il le ferait à titre gratuit
et qu'il ne pourrait pas faire de démarches acti
ves pour leur compte.
Le témoignage de M. Buchanan, selon lequel
il a mis fin à ses rapports avec ses deux clients
producteurs de verre à vitre au moment de sa
nomination et selon lequel il n'a reçu aucune
rémunération de ceux-ci est totalement corro-
boré par M. German, président de la Pilkington
Brothers (Canada) Ltd. et par M. Doyle, prési-
dent de la Canadian Pittsburgh Industries
Limited.
M. German a envoyé à M. Buchanan une
lettre datée du 7 janvier 1969 (pièce Dl), dans
laquelle il mentionne une conversation télépho-
nique que M. Buchanan avait eue avec le vice-
président de la compagnie, une semaine plus
tôt; il y exprime également les regrets qu'il a de
voir leurs relations d'affaires prendre fin, en
soulignant qu'il considère que c'est une lourde
perte pour la compagnie. Il exprime ensuite sa
satisfaction de constater que des personnes
compétentes comme M. Buchanan acceptent
des postes dans la fonction publique. Il termine
en félicitant M. Buchanan et en lui souhaitant
beaucoup de succès. Cette lettre établit claire-
ment que M. Buchanan a mis fin à ses relations
avec la Pilkington Brothers (Canada) Ltd. envi-
ron une semaine avant le 7 janvier 1969.
M. Buchanan a témoigné qu'après le ler jan-
vier 1969, il n'a rendu visite à aucun fonction-
naire du gouvernement pour présenter les vues
de ses anciens clients.
La seule affaire en cours était alors la ques
tion de la plainte relative au dumping qu'avaient
déposée chez le sous-ministre les producteurs
canadiens de verre à vitre. Toutes les démar-
ches que M. Buchanan a faites au nom de ses
clients l'ont été en 1968, avant sa nomination au
poste de président du Tribunal antidumping, et
lesdites démarches ne portaient que sur la
détermination de la valeur imposable. L'entrée
en vigueur de la Loi antidumping n'a pas néces-
sairement fait perdre toute utilité aux démar-
ches antérieures, car le sous-ministre devait
encore déterminer la valeur normale et le prix à
l'exportation des marchandises, lesquelles repo-
sent actuellement sur des critères différents de
ceux qui étaient antérieurement applicables à la
valeur imposable. M. Buchanan a témoigné n'a-
voir fait aucune démarche au nom de ses
anciens clients relativement à des questions se
rapportant à l'objet de la présente affaire. Il n'a
en aucune façon aidé ses anciens clients relati-
vement à des questions susceptibles d'être sou-
mises au Tribunal.
Ses anciens clients étaient alors aux prises
avec le problème de la détermination de la
valeur normale. A leur avis, les choses traî-
naient anormalement en longueur. M. Buchanan
a témoigné qu'il avait conservé un intérêt
«humanitaire» dans l'affaire et il n'a pas caché
avoir téléphoné quelques fois pour savoir où en
étaient les choses. Il a témoigné l'avoir fait pour
une double raison: (1) pour être en mesure de
renseigner ses anciens clients sur la situation
s'ils venaient à le consulter, comme ils l'ont
d'ailleurs fait, et (2) parce que le Tribunal venait
tout juste d'être constitué et qu'aucune affaire
ne lui avait été soumise, de sorte que les mem-
bres commençaient à s'inquiéter. Il avait hâte
de savoir quand il y aurait une audition pour les
occuper et il était conscient du fait que la déter-
mination d'un éventuel préjudice sensible résul-
tant du dumping de verre à vitre pouvait être
présentée au Tribunal.
Dans l'affidavit qu'il a présenté à l'appui de
son avis de requête, M. Paterson a déclaré sous
serment qu'à plusieurs occasions, en 1969, il a
discuté avec M. Buchanan de l'évaluation du
verre à vitre importé des pays communistes
d'Europe, mais qu'il avait un souvenir confus
des propos qu'ils avaient échangés.
Je ne vois donc aucune raison valable de ne
pas accepter le témoignage de M. Buchanan sur
ces questions, et c'est pourquoi je l'accepte.
Il est bien établi en droit qu'un intérêt pécu-
niaire direct, quelque négligeable soit-il, rend
une personne inapte à juger. L'arrêt type en
matière d'intérêt pécuniaire est l'affaire Dimes
c. Grand Junction Canal Co. (1852) 3 H. of L.
759, dans laquelle le Lord chancelier a rendu
jugement alors qu'il possédait d'importants inté-
rêts à titre d'actionnaire dans la Canal Compa
ny. Il a été interjeté appel de sa décision devant
la Chambre des lords et il a été décidé que les
intérêts du Lord chancelier le rendaient inapte à
juger. Son jugement a été infirmé et Lord
Campbell a déclaré (aux pages 792-3):
[TRADUCTION] Personne ne peut insinuer que Lord Cotten-
ham ait pu être le moindrement influencé par les intérêts
qu'il avait dans cette entreprise; toutefois, mes Lords, il est
de la plus haute importance que la maxime suivant laquelle
personne ne peut être juge de sa propre cause conserve un
caractère sacré. Ce principe vaut non seulement pour les
cas où la personne en cause est partie, mais également pour
les cas où elle est intéressée. Depuis que j'ai l'honneur
d'être juge en chef de la Cour du Banc de la Reine, nous
avons à maintes reprises infirmé des décisions des tribu-
naux inférieurs dans des cas où un individu intéressé à une
affaire a participé à la décision. Il sera très salutaire pour
ces tribunaux d'apprendre que cette haute Cour de dernier
ressort, dans une affaire où le Lord chancelier d'Angleterre
était intéressé, a décidé que le jugement de celui-ci, en
raison des intérêts qu'il possédait, n'était pas conforme au
droit et a été infirmé. Cette décision constituera une leçon
pour tous les tribunaux inférieurs et leur enseignera que non
seulement ils doivent prendre garde que leurs décisions
soient influencées par leurs intérêts propres, mais encore
doivent-ils éviter de laisser croire qu'ils rendent des déci-
sions sous une telle influence.
Ainsi, lorsqu'un juge a un intérêt pécuniaire
dans le résultat d'une décision, il devient par le
fait même inapte à siéger à l'audition de l'affaire
en cause. En pareille circonstance, il est pré-
sumé d'une manière décisive que le juge est
partial. Toute ordonnance rendue pendant qu'il
siège en cette affaire ou par la suite est nulle.
On se souvient que le premier motif qu'a
allégué le procureur général à l'appui de sa
demande en annulation de l'ordonnance ou de la
conclusion du Tribunal antidumping est que le
président avait un intérêt pécuniaire. Cette allé-
gation est basée sur l'affidavit de Ronald A.
Davis, qui a déclaré sous serment, après avoir
examiné les dossiers de facturation de M.
Buchanan de l'année 1969 (M. Buchanan a été
nommé président du Tribunal le ler janvier
1969), qu'il a découvert une facture datée du 8
février 1969, adressée à la Canadian Pittsburgh
Industries Limited et une autre, datée du ler
mars 1969, adressée à la Pilkington Brothers
(Canada) Ltd.
Pendant la période au cours de laquelle l'au-
dience de l'avis de requête a été ajournée,
c'est-à-dire du 8 juin au 4 juillet 1972, l'avocat
du procureur général a reçu les originaux et des
copies des factures en question. M. Davis a
apparemment perdu de vue que la facture qu'il
a déclarée sous serment être datée du 8 février
1969 ne porte pas le chiffre 1969 et que la
facture du l er mars 1969 porte une annotation
indiquant clairement qu'elle se rapporte à des
services fournis en 1968. L'avocat du procureur
général a déclaré qu'il était convaincu que les
deux factures se rapportaient à des services que
M. Buchanan avait fournis à ses clients en 1968
et, par suite, il a déclaré qu'il ne s'appuierait pas
sur l'existence d'un intérêt pécuniaire. Il a donc
rétracté cette allégation, comme il se devait de
le faire.
Toutefois, cette rétractation ne résout pas
entièrement le problème. L'avocat de M.
Buchanan a déclaré qu'à son avis, la façon dont
le procureur général a obtenu les preuves dont il
disposait relativement à l'intérêt pécuniaire est
irrégulière, comme c'est d'ailleurs le cas des
autres preuves, et que, pour cette raison, il se
proposait de soutenir que les frais entre procu-
reur et client de son client devaient être accor
dés à ce dernier, contre le procureur général, au
cas où l'avis de requête serait rejeté. C'est
uniquement pour cette raison que j'ai accepté
que des preuves qui, autrement, n'auraient pas
été pertinentes, soient présentées sur cette
question.
L'allégation portant sur l'intérêt pécuniaire du
président ayant été rétractée, il reste les alléga-
tions suivantes:
(1) le président a participé à l'élaboration
de la décision du Tribunal bien qu'il ait été
partial en faveur de ses anciens clients du fait
de son association avec eux et
(2) il a participé à l'élaboration de la déci-
sion, bien qu'il ne fût pas présent aux
audiences.
L'avocat du procureur général a plaidé (1)
que M. Buchanan avait un parti-pris réel et (2)
que les circonstances étaient telles qu'un
homme raisonnable, considérant l'affaire de
l'extérieur, conclurait à l'existence probable de
partialité.
La preuve qu'invoque l'avocat du procureur
général se fonde principalement sur la corres-
pondance et la note annexée à l'affidavit de
Clary Gerald McMullen; toutes ces pièces por
tent une date postérieure au ler janvier 1969.
Ces documents ont été obtenus dans le cadre
d'une enquête tenue en 1971, relativement à la
production, la fabrication, la vente et la fourni-
ture de verre à vitre, en vertu de la Loi relative
aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, c.
C-23, au cours d'une perquisition dans les
locaux de la Canadian Pittsburgh Industries
Limited et de la Pilkington Brothers (Canada)
Ltd. Il est peut-être utile d'ajouter qu'une per-
quisition analogue a été effectuée chez M.
Buchanan.
On se souvient que, par ordonnance du 11
mai 1972, le juge Heald a accordé au procureur
général la permission de convoquer Lionel C.
Bosanquet, Vernon C. German, J. Ray Faulds et
Frank J. Doyle pour qu'ils témoignent de vive
voix. Ces personnes sont les auteurs des diver-
ses lettres. Le procureur général les a convo-
quées pour témoigner et il a cherché à déposer
en preuve la correspondance et la note interne
dont ils étaient les auteurs.
A ce point, l'avocat de la Pilkington Brothers
(Canada) Ltd. s'est opposé à l'admissibilité de
ces documents. L'avocat de la Canadian Pitts-
burgh Industries Limited et celui de M. Bucha-
nan se sont joints à cette objection. Ce dernier a
allégué en outre que les documents en question
n'ont rien à voir avec l'affaire.
L'objection fondée sur ce dernier point pro-
cédait du fait (1) que le procureur général a
admis que le président n'avait aucun intérêt
pécuniaire, (2) que le procureur général n'a pas
contesté l'exactitude de l'ordonnance ou de la
conclusion du Tribunal, ce qu'il interprète
comme un aveu du fait qu'il n'y a eu aucune
mauvaise administration de la justice et (3) que
le président n'a pas influencé la décision des
autres membres du Tribunal. Je retiens essen-
tiellement de ce motif d'opposition quant à l'ad-
missibilité de ces preuves que la seule question
à trancher est celle de savoir si le président a
participé ou non à l'élaboration de la décision.
Si nous répondons à cette question par l'affir-
mative, l'admissibilité des preuves relatives à la
partialité du président est importante. Le procu-
reur général n'a pas admis que le président
n'avait pas agi en fait avec partialité ni que
l'association du président aux deux producteurs
de verre à vitre, ses anciens clients, ne permet-
tait pas raisonnablement de faire craindre cette
partialité. J'ai donc rejeté l'objection selon
laquelle la preuve n'avait rien à voir avec l'af-
faire. Elle est, en effet, rattachée à la question
de savoir si le président a agi avec partialité et à
celle de la partialité résultant des relations entre
M. Buchanan et ses clients.
L'autre objection est fondée sur le fait que la
preuve a été portée à l'attention du procureur
général à la suite d'une enquête tenue en vertu
de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions.
Il a été plaidé que la loi déclare que les rensei-
gnements obtenus au cours des enquêtes doi-
vent être considérés comme confidentiels et que
les dirigeants des deux corporations en ont reçu
l'assurance de l'enquêteur. L'avocat a cité l'arti-
cle 10(1) de la loi, qui permet de rechercher les
éléments de preuve se rapportant à l'objet d'une
enquête et il a plaidé que la remise au procureur
général de tout document obtenu en vertu de
l'article 15 doit se rapporter exclusivement à
des questions relatives à une infraction que
prévoit la Loi relative aux enquêtes sur les coali
tions. Je remarque que l'article 27 prévoit que
toutes les enquêtes doivent être tenues à huis
clos, à moins que le président de la Commission
n'ordonne qu'elles soient publiques. Il a donc
été plaidé que les renseignements ont été obte-
nus à titre confidentiel et que ce secret ne peut
pas être rompu par l'utilisation de ces preuves
dans une affaire distincte, sans rapport avec la
Loi relative aux enquêtes sur les coalitions,
même si ce sont les auteurs mêmes des docu
ments qui les déposent.
J'ai fait observer à l'avocat que le fait que les
preuves ont été obtenues illégalement ou d'une
manière simplement déloyale ne constitue pas
un motif d'opposition valable à l'admissibilité
de ces preuves si elles sont pertinentes. L'avo-
cat a volontiers admis l'exactitude de cette pro
position, qui repose sur une jurisprudence abon-
dante, mais l'essentiel de son argumentation est
que la question à trancher est celle de savoir si
la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960,
c. 44, a modifié ce principe de common law,
relatif à l'admissibilité des preuves ainsi
obtenues.
L'article 1 a) de la Déclaration canadienne des
droits reconnaît et déclare que l'individu a un
droit fondamental «à la jouissance de ses
biens», et le droit «de ne s'en voir privé que par
l'application régulière de la loi».
L'article 2d) stipule que nulle loi du Canada
ne doit être interprétée comme supprimant, res-
treignant ou portant atteinte aux droits et liber-
tés énumérés à l'article 1 et ... comme d)
autorisant une Cour, un tribunal, une commis
sion, un office, un conseil ou une autre autorité
à contraindre une personne à témoigner si on lui
refuse le secours d'un avocat, la protection
contre son propre témoignage ou l'exercice de
toute garantie d'ordre constitutionnel.
Il faut donc se demander ce que comprend
l'expression «toute garantie d'ordre constitu-
tionnel». Je retiens de la position de l'avocat
que «toute garantie d'ordre constitutionnel»
comprend le droit de l'individu «à la jouissance
de ses biens» et que cela signifie clairement que
ces biens ne peuvent pas être présentés en
preuve et que l'individu ne peut pas être con-
traint de témoigner relativement à ceux-ci. Je
suis d'avis, et c'est l'opinion que j'ai exprimée
au moment où l'objection a été présentée, que
la Déclaration canadienne des droits ne modifie
pas le principe de common law relatif à l'admi-
nistration de la preuve dans les circonstances
que nous avons indiquées.
En premier lieu, je suis d'avis qu'aucun des
témoins n'a été privé de la jouissance de ses
biens et qu'aucune atteinte n'a été portée à des
droits d'ordre constitutionnel. Quoi qu'il en soit,
les témoins ont été requis de témoigner en vertu
d'une application régulière de la loi. On leur a
signifié un bref de subpoena duces tecum afin
qu'ils viennent témoigner sur des questions dont
ils avaient une connaissance personnelle. J'ai
donc permis que les preuves soient présentées.
Le procureur général a plaidé que le président
avait [TRADUCTION] «agi avec partialité». Pour
que ce motif soit retenu comme rendant une
personne inapte, il doit être établi qu'elle était
partiale et que sa partialité a eu effectivement
une influence sur la décision. A mon avis, la
preuve est loin de l'établir.
M. Buchanan a fait des démarches auprès
d'un certain nombre de fonctionnaires aux fins
d'obtenir l'abrogation de l'arrêté en conseil
exemptant le verre à vitre du droit antidumping,
d'obtenir que le verre «flotté» et le verre
«laminé» soient réputés être des catégories de
produits fabriqués au Canada et de faire suffi-
samment augmenter la valeur imposable fixée
pour qu'un droit antidumping plus élevé soit
exigé. Ces démarches ont été faites avant sa
nomination au poste de président du Tribunal,
le ler janvier 1969.
M. Buchanan a cependant témoigné qu'après
le l er janvier 1969, il n'a fait aucune démarche
auprès de fonctionnaires au nom de ses anciens
clients. J'ai accepté ce témoignage pour les rai-
sons que j'ai déjà indiquées.
Il a témoigné de plus qu'il n'a fait aucune
démarche auprès de quiconque au sujet de la
question du préjudice sensible qu'avait causé ce
produit aux producteurs de verre à vitre au
Canada, et cette question est celle que le Tribu
nal antidumping aurait pu être appelé à
trancher.
Par lettre commune du 17 février 1969,
adressée au sous-ministre du Revenu national,
douanes et accise, la Canadian Pittsburgh
Industries Limited et la Pilkington Brothers
(Canada) Ltd. ont déposé une plainte pour dum
ping (pièce 5). Dans une lettre du 7 février 1969
de V. C. German à F. J. Doyle (pièce 4), le
premier fait état d'une conversation téléphoni-
que avec M. Buchanan (on ne sait pas avec
certitude lequel des deux a téléphoné à l'autre),
au cours de laquelle ce dernier aurait offert
d'examiner la version finale de la plainte et de
faire des observations à son sujet avant qu'elle
ne soit déposée. M. Doyle a accepté cette pro
position. M. Buchanan a ensuite examiné la
lettre et proposé trois modifications, dans une
lettre du 13 février 1969 (pièce 20). Les trois
propositions de M. Buchanan, qui ont été rete-
nues, n'avaient trait qu'à la rédaction et ne
modifiaient en rien le fond de la lettre qui lui a
été soumise.
Dans une lettre du 12 mai 1969 (pièce 8), le
sous-ministre a informé M. German qu'une
enquête avait été ouverte en vertu de l'article
13(1) de la Loi antidumping. M. German a
immédiatement téléphoné à M. Buchanan et il a
noté ce fait sur cette lettre et l'essentiel de leur
conversation. Il y a noté que (1) M. Buchanan
était enchanté, (2) selon lui, le ministère en
cause devrait réviser et mettre à jour ses don-
nées de 1969, ce qui ne devrait pas être long,
(3) la valeur des marchandises dans un tiers-
pays serait établie, (4) une détermination préli-
minaire de dumping serait faite et (5) la ques
tion serait alors soumise au Tribunal aux fins de
décision quant au préjudice [TRADUCTION]
«pour régulariser toute l'affaire». Le choix des
mots était malheureux car les termes employés
impliquent de façon sinistre qu'il y avait conni-
vence pour régulariser un acte qui n'était pas
régulier. Les mots cités sont ceux de M.
German et il est plus qualifié pour fabriquer du
verre que pour faire un emploi rigoureux des
mots. Je ne pense pas que M. Buchanan aurait
employé ces termes. A mon avis, il ne s'agit là
que d'un plan et d'une prévision raisonnée de la
procédure et des événements qui devaient
suivre.
Il existe une note interne datée du 23 juillet
1969, qui se rapporte à une visite que M.
Buchanan et des [TRADUCTION] «collègues»,
lesquels étaient, d'après ce que j'ai pu vérifier,
les autres membres du Tribunal, ont faite aux
usines des deux fabricants. La visite a bien eu
lieu, mais M. Buchanan n'y a pas participé. M.
Gauthier a témoigné que le Tribunal visite tou-
jours les usines des fabricants canadiens dont
les marchandises font l'objet d'une enquête
concernant le dumping, pour que ses membres
se familiarisent avec l'industrie en cause.
D'autres notes se rapportent à des déjeûners
d'affaires de M. Buchanan, au cours desquels il
a informé les auteurs de celles-ci de l'état de
l'enquête qu'avait ouverte le sous-ministre.
Dans une note du 18 août 1969 (pièce 15),
qui résume l'essentiel des discussions qui ont
pris place entre L. C. Bosanquet et M. Bucha-
nan au cours d'un déjeûner d'affaires, le 14
août 1969, il est fait état de déclarations qui
m'ont donné à réfléchir. Selon la première, M.
Buchanan aurait dit être d'avis qu'il serait facile
de prouver l'existence d'un préjudice sensible.
Selon l'autre, il aurait déclaré qu'il devait se
rendre au ministère, ce jour-là, et qu'il dirait
deux mots aux fonctionnaires chargés de l'en-
quête en vue de leur expliquer en quoi consiste
l'industrie du verre, de manière qu'ils tirent les
conclusions qui convenaient en arrivant à leur
décision.
La question du préjudice sensible est la ques
tion même que le Tribunal allait être appelé à
trancher. Toutefois, aux termes de l'article 13
de la Loi antidumping, le sous-ministre doit être
d'avis qu'il existe des éléments de preuve d'un
préjudice sensible, s'il n'a pas antérieurement
soumis cette question au Tribunal, aux termes
du paragraphe (3) de l'article 13. Si le sous-
ministre fait une détermination préliminaire de
dumping, la question du préjudice sensible est
alors, en vertu de l'article 16, tranchée par le
Tribunal à la suite de la détermination prélimi-
naire du sous-ministre. Par conséquent, la
déclaration selon laquelle «il serait facile de
prouver l'existence d'un préjudice sensible» se
rapporterait aux éléments de preuve nécessaires
pour convaincre le sous-ministre de l'existence
de ce préjudice sensible, mais il est toutefois
possible d'interpréter cette déclaration comme
signifiant que M. Buchanan avait préjugé de la
question qu'il pouvait être appelé à trancher.
Quant à la seconde déclaration que M. Bosan-
quet attribue à M. Buchanan, selon laquelle il
ferait connaître aux fonctionnaires du ministère
les faits dominants «de manière qu'ils tirent les
conclusions qui convenaient en arrivant à leur
décision», elle est en contradiction avec le
témoignage de M. Buchanan selon lequel il n'a
fait aucune démarche auprès des fonctionnaires
du ministère. Encore une fois, les mots sont mal
choisis, mais ils ne sont pas de M. Buchanan.
Les mots ont été employés dans une conversa
tion privée, mais ils ont quand même une réson-
nance qui n'inspire rien qui vaille. D'autre part,
il est possible d'interpréter cette déclaration
comme signifiant que M. Buchanan allait parler
des facteurs qui devaient être utilisés dans la
détermination de la «valeur imposable normale»
mais il n'existe aucune preuve que M. Bucha-
nan a réellement parlé à ces fonctionnaires.
A ce stade, je tiens à indiquer qu'à mon avis,
il y a une distinction à faire entre «agir avec
partialité», qui signifie, selon mon interpréta-
tion, une conduite partiale parce que le juge a
préjugé le résultat, et «être partial par suite d'un
intérêt», qui signifie, selon mon interprétation,
une association avec l'une des parties au litige.
Dans l'un et l'autre cas, pour que le juge soit
inapte à juger pour ce motif, il est nécessaire
qu'il soit «réellement probable» ou qu'il soit
«raisonnable de croire» que le juge n'agira pas
avec impartialité.
Il est de jurisprudence constante qu'un simple
soupçon de partialité n'est pas suffisant. Le
juge Denning, maître des rôles, a déclaré dans
l'affaire Metropolitan Properties Co. (F.G.C.),
Ltd. c. Lannon [1968] 3 All E.R. 304 la page
310:
[TRADUCTION] Néanmoins, l'existence de partialité doit
être réellement probable. Un doute ou une supposition ne
suffit pas.
Ces critères sont fondés sur les apparences
plutôt que sur l'existence réelle de partialité.
Les apparences sont le facteur déterminant,
qu'elles résultent d'une relation entre le juge et
une partie au procès dont celui-ci est saisi, par
exemple un lien de parenté, des déclarations ou
la conduite du juge ou d'autres causes.
Le juge Dysart a résumé le droit sur cette
question dans l'affaire Nichols c. Graham
[1937] 3 D.L.R. 795 la p. 799:
[TRADUCTION] Il est nettement établi en droit que nul ne
peut exercer les fonctions de juge dans une cause dans
laquelle il poursuit ou accuse, ou dans laquelle il a ou dans
laquelle il est raisonnable de croire qu'il a, un intérêt ou une
partialité en faveur d'une partie ou contre une partie à
celle-ci. Il ne s'agit pas d'une simple question de convenan-
ces: le principe vise sa capacité même d'agir, de sorte que
s'il prétend agir, son jugement sera frappé de nullité. Ce
grand principe de notre droit s'applique à toutes les causes
sans exception dans lesquelles une personne est appelée à
agir de façon judiciaire, et s'étend également à tout membre
d'un tribunal judiciaire, à tout acte judiciaire.
Il a été décidé dans l'affaire Re R. c. Jackson
125 C.C.C. 205 qu'un juge ne devient pas
inapte [TRADUCTION] «du seul fait qu'il a une
opinion provisoire».
Dans l'affaire Ex. p. Wilder (1902) 66 J.P.
761, il a été décidé qu'un juge n'était pas inapte
à juger d'une affaire portant sur un véhicule
automobile, même s'il était notoire qu'il avait
des préjugés contre les automobiles.
Dans l'affaire Re Doherty et Stewart 86
C.C.C. 253; [1946] O.W.N. 752, il a été décidé
que le magistrat n'était pas inapte du fait qu'il
avait, dans d'autres procédures qu'il avait été
appelé à juger, exprimé des vues arrêtées sur
une question connexe à l'accusation à raison de
laquelle l'accusé, qui avait demandé un bref de
prohibition, comparaissait devant lui.
Dans l'affaire Regina c. Pickersgill (1971) 14
D.L.R. (3 e ) 717, le juge Wilson, après une étude
approfondie de la jurisprudence, a tiré une con
clusion de fait selon laquelle l'existence de par-
tialité de la part du président du comité du
transport ferroviaire de la Commission cana-
dienne des transports n'était pas réellement pro
bable, même si, quelque deux mois avant l'au-
dience relative à une demande présentée aux
fins de cessation du service d'un train destiné
au transport des voyageurs, il avait fait une
déclaration largement diffusée dans laquelle il
avait exprimé l'avis que les nouveaux principes
directeurs du Canada, en matière de transports,
exprimés dans la Loi nationale sur les trans
ports, allaient permettre une exploitation renta-
ble et efficace des chemins de fer en suppri-
mant des services déficitaires qui ne
répondaient plus à l'intérêt public. Après une
analyse minutieuse de cette déclaration, le juge
Wilson a décidé que des personnes raisonnables
ne concluraient pas de cette déclaration que son
auteur avait préjugé de l'issue du service de
voyageurs qui faisait l'objet de la demande dont
le comité était saisi, et il a refusé d'accorder un
bref de prohibition.
Dans les quatre derniers arrêts que nous
avons cités, le ratio est que, malgré les déclara-
tions générales d'un juge, il doit être présumé
que celui-ci admettra que, pour exécuter ses
fonctions comme il se doit de le faire, [TRADUC-
TION] «il doit constamment garder ses fonctions
judiciaires présentes à l'esprit et ne pas se lais-
ser influencer par ses idées préconçues, ni s'ar-
rêter à ses premières impressions sans les avoir
examinées et éprouvées» (le juge d'appel Freed
man, dans l'affaire Re Golliah et le ministre de
la Citoyenneté et de l'Immigration (1967) 63
D.L.R. (2 e ) 224). En résumé, le juge n'est pas
empêché de statuer sur les faits et les questions
litigieuses d'une manière impartiale et judi-
ciaire, en faisant abstraction des opinions qu'il a
exprimées.
J'applique donc ce critère à M. Buchanan. Il a
fait valoir les idées de ses clients sur des ques
tions susceptibles d'influer sur leurs intérêts.
Cela ne signifie pas nécessairement qu'il fait
siennes les idées de ses clients, ni, nécessaire-
ment, qu'il a reconnu que ces idées étaient
valables. Après un examen très attentif de la
présente affaire, je suis arrivé à la conclusion
que, pour les motifs que j'ai déjà indiqués, M.
Buchanan n'avait pas «agi avec partialité», au
sens que j'ai donné à cette expression.
D'autre part, je suis arrivé à la conclusion
contraire quant à la question de savoir si M.
Buchanan avait un intérêt dans l'affaire en
raison des relations qu'il avait eues avec ses
anciens clients, au motif que ces relations per-
mettent logiquement de conclure qu'il était par
tial en faveur de ceux-ci.
Je n'accepte pas l'argument de l'avocat de M.
Buchanan selon lequel les relations entre
celui-ci et ses anciens clients se rapportaient à
une question différente de celle que le Tribunal
allait être appelé à trancher.
En 1967, M. Buchanan a fait des démarches
au nom de ses clients en vue d'obtenir que le
verre à vitre, qui était exempté du droit anti-
dumping, y soit assujetti. Il a parlé des pénétra-
tions que les importateurs étrangers faisaient
dans le marché canadien, au détriment de ses
clients. Ces démarches impliquent donc que ses
clients subissaient un préjudice sensible. Lors-
que l'exemption a été supprimée, M. Buchanan
a continué à faire des démarches au nom de ses
clients, pendant toute l'année 1968, aux fins de
faire attribuer aux marchandises importées une
valeur imposable suffisamment élevée, aux
termes du Tarif des douanes, pour permettre à
ses clients de concurrencer avec succès les
importateurs étrangers sur le marché canadien.
Encore une fois, cela implique que la concur
rence de ces importateurs nuisait aux fabricants
canadiens, ce qui est en soi un préjudice
sensible.
Il est vrai que si, aux termes du Tarif des
douanes, il est établi que le prix à l'exportation
ou le prix de vente réel par rapport à l'importa-
teur canadien est inférieur à la juste valeur
marchande ou à la valeur imposable, les mar-
chandises doivent être frappées d'un droit anti-
dumping. Aucune disposition n'exige qu'il y ait
une conclusion expresse selon laquelle les pro-
ducteurs canadiens de marchandises semblables
ont subi un préjudice sensible.
Le but de la loi est manifestement de protéger
les producteurs canadiens de la concurrence
étrangère injuste résultant de la vente de mar-
chandises au Canada à un prix inférieur à celui
auquel elles se vendent dans le pays d'origine. Il
faut logiquement conclure que les producteurs
canadiens subissent un préjudice sensible du
fait que les manoeuvres de dumping des produc-
teurs étrangers les privent d'une partie du
marché canadien. L'objet évident de l'imposi-
tion d'un droit antidumping est de remédier à
cette situation, de manière à permettre aux pro-
ducteurs canadiens de lutter sur un pied d'éga-
lité avec la concurrence sur le marché canadien.
Le but fondamental de toutes les démarches
que M. Buchanan a faites au nom de ses clients
était finalement de voir imposer un droit anti-
dumping élevé sur le verre à vitre des produc-
teurs étrangers.
L'entrée en vigueur de la Loi antidumping n'a
apporté aucun changement réel au but initial.
Les changements apportés sont de nature pro-
cédurale. Il y a dumping si la valeur normale
des marchandises dépasse leur prix à l'exporta-
tion. La loi énonce les règles à suivre dans le
calcul de la valeur normale. Le producteur
canadien a toujours avantage à faire établir une
valeur normale élevée, de manière que le droit
antidumping soit, lui aussi, élevé. D'après l'an-
notation inscrite sur la pièce 8, et comme M.
Buchanan l'a fait observer à ses clients, le
ministère n'avait qu'à réviser et mettre à jour
les données dont il disposait en 1969. Il y avait,
de plus, une condition préalable à l'imposition
d'un droit antidumping, savoir que le Tribunal
devait constater que le dumping de marchandi-
ses a causé, cause ou est susceptible de causer
un préjudice sensible aux producteurs cana-
diens de marchandises semblables ou a retardé
ou retarde sensiblement la mise en production
au Canada de marchandises semblables. Alors
que ce fait était nécessairement présumé résul-
ter du dumping aux termes de la loi antérieure,
la loi actuelle prévoit que le Tribunal doit cons-
tater son existence. Le but fondamental reste
toutefois le même. Le résultat final est qu'un
droit antidumping est imposé. Le but initial des
clients de M. Buchanan était d'obtenir l'imposi-
tion d'un droit antidumping sur le verre à vitre
en vertu de la loi antérieure et ce but est
demeuré leur objectif fondamental sous l'em-
pire de la nouvelle loi. Toutes les démarches
faites pendant que l'ancienne loi était en
vigueur et après l'entrée en vigueur de la nou-
velle loi visaient à atteindre ce but.
Toutes les démarches tendent tellement vers
une même fin que je ne comprends pas com
ment on peut dire que les démarches qu'a faites
M. Buchanan au nom de ses clients se rappor-
taient à des objets différents, eu égard au fait
qu'elles ont été entreprises en vue d'obtenir
l'imposition d'un droit antidumping élevé.
Pour ces motifs, j'ai rejeté l'argument de l'a-
vocat de M. Buchanan sur ce point.
A l'appui de la conclusion que j'ai tirée selon
laquelle il serait véritablement probable, selon
le critère de l'homme raisonnable, que M.
Buchanan a été partial en faveur de ses anciens
clients, en raison des relations qu'il avait eues
avec ceux-ci, je vais citer des arrêts qui illus-
trent la nature et l'importance des relations per-
sonnelles et des relations d'affaires ainsi que le
genre de faits qui ont fait mettre en doute
l'impartialité d'un membre d'un tribunal appelé
à rendre une décision.
Je citerai d'abord une affaire bien connue,
l'arrêt Rex c. Sussex Justices [1924] 1 K.B. 256.
Dans cette affaires, les juges ont connu d'une
sommation délivrée contre un conducteur de
motocyclette accusé de conduite dangereuse.
Le greffier adjoint était le frère et l'associé d'un
avocat qui représentait une partie dans une
action civile en dommages-intérêts, intentée
contre le conducteur de la motocyclette. A la
fin des témoignages, les juges se sont retirés
(manifestement pour examiner l'affaire en déli-
béré), accompagnés du greffier adjoint, comme
c'était la coutume, qui emportait ses notes rela
tives à la preuve, au cas où les juges auraient
voulu lui demander son avis sur une question de
droit. En fait, les juges sont arrivés à la conclu
sion qu'il y avait lieu de prononcer une déclara-
tion de culpabilité, sans avoir consulté le gref-
fier adjoint. Le juge en chef, Lord Hewart, a
déclaré que la question était de savoir si le
greffier adjoint était tellement lié à l'aspect civil
de l'affaire qu'il était inapte à agir comme gref-
fier au procès criminel. Il a été décidé que tel
était le cas et Lord Hewart a alors prononcé
cette phrase célèbre [TRADUCTION] «il est tout à
fait primordial, et non simplement important,
que non seulement justice soit rendue mais que,
dans l'esprit des gens, il soit manifeste et indu
bitable que justice est rendue».
Dans l'arrêt Ghirardosi c. Le ministre de la
Voirie de la Colombie-Britannique [1966]
R.C.S. 367, il a été décidé que des relations
d'avocats à client, présentes ou antérieures,
entre un membre d'un tribunal et une partie
comparaissant devant lui justifient de conclure
à l'existence possible de partialité.
Dans cette dernière affaire, un arbitre en
matière d'expropriation a été retenu comme
avocat du ministère dans une affaire d'expro-
priation portant sur des terrains situés à quelque
250 milles de l'endroit où étaient situés les
terrains sur lesquels portait l'arbitrage. Le juge
Cartwright (juge puîné à l'époque) a déclaré à la
page 371:
[TRADUCTION] ... mais l'inaptitude découle du fait que,
... des relations confidentielles entre avocat et client, pro-
fitables à l'un et l'autre, ont existé à toutes les époques qui
nous intéressent ...
Dans l'arrêt McKay c. Campbell 36 N.S.R.
522, il a été décidé qu'un enquêteur nommé en
vertu du Collections Act (loi sur le recouvre-
ment des créances) ne pouvait pas interroger un
débiteur, parce qu'il était l'avocat d'un autre
créancier, au motif que l'enquêteur pouvait
avoir un intérêt tel dans le résultat de l'interro-
gatoire qu'il n'était pas entièrement dégagé de
tout soupçon de partialité ou d'intérêt.
Dans l'arrêt Re Public Schools Act (1962) 38
W.W.R. 106, un avocat avait représenté un
professeur dans un litige l'opposant à la com
mission scolaire, devant un comité d'enquête. Il
a été jugé inapte à siéger comme arbitre dans un
arbitrage ultérieur, à cause de la connaissance
qu'il avait acquise en sa qualité d'avocat dans le
litige antérieur et parce qu'il était possible qu'il
ne puisse pas dégager son esprit de la partialité
inévitable d'un avocat.
Dans l'arrêt Sims c. Seller [1927] 2 D.L.R.
251, il est déclaré qu'une personne qui a pris
une part active dans un litige antérieur entre les
parties ne doit pas être nommée arbitre.
Dans l'arrêt Cormee c. C.P.R. (1888) 16 O.R.
639, le fait que pendant l'instance, dans une
affaire de renvoi, et avant que la décision ne
soit rendue, un membre d'une Commission a été
informé qu'il recevrait une offre de services
comme avocat de la compagnie défenderesse et
que, après la décision, cette offre lui a été faite
et qu'il l'a acceptée, a entraîné la nullité de la
décision. On a déclaré: [TRADUCTION] «Dans
des situations aussi délicates, même l'apparence
d'illégalité doit être évitée».
Dans l'arrêt Flin Flon Division Association c.
Flin Flon School Division (1964) 49 W.W.R.
426, il a été décidé que des relations entre un
vérificateur et une partie étaient constitutives
de partialité.
Dans l'affaire Szilow c. Szaze [1955] R.C.S.
3, un arbitre avait, dans une opération immobi-
lière, été associé à une partie à un arbitrage,
quelque six mois avant l'arbitrage (lequel, du
fait qu'il s'étendait sur une certaine période,
nécessitait l'établissement de relations de ges-
tion et de consultation) et il a été décidé que
l'association, du fait qu'elle entraînait inévita-
blement des relations personnelles et profitables
aux deux parties, suffisait à rendre l'arbitre
inapte pour cause de partialité.
Dans diverses lois qui m'ont été citées, il est
stipulé que l'écoulement d'un certain temps
entre la fin de relations et le moment où une
partie à ces relations participe à une décision
qui concerne l'autre partie auxdites relations
fait disparaître l'inaptitude.
Les délais varient entre six mois et deux ans.
Il en résulte que le temps efface tout soupçon
raisonnable de partialité. Toutefois, M. Bucha-
nan, après avoir mis fin à ses relations officiel-
les avec ses clients, est demeuré à leur disposi
tion et les a fait profiter de ses conseils, bien
que ce fût à titre gratuit, pendant toute l'année
1969, après avoir été nommé président du Tri
bunal antidumping le ler janvier 1969, et même
en 1970, de sorte que des relations de conseiller
à client à titre gratuit ont continué d'exister,
étant toutefois entendu que M. Buchanan ne
ferait pas de démarches en leur nom.
De plus, M. Buchanan a lui-même admis qu'il
était inapte à siéger aux audiences que devait
tenir le Tribunal bien avant qu'elles n'aient lieu,
et même avant qu'il ne devienne certain que les
questions en cause seraient soumises au Tribu-
nal. Le sous-ministre a fait la détermination
préliminaire de dumping le 15 décembre 1969.
M. German a eu une conversation avec M.
Buchanan et il en a consigné le contenu dans
une note datée du 27 octobre 1969 (pièce 11),
dans les termes suivants:
[TRADUCTION] Il a longuement parlé de la question de
savoir s'il était opportun qu'il participe aux audiences et il a
finalement déclaré qu'il n'y serait certainement pas présent,
et que, en fait, il se proposait d'aller en vacances quelque
part dans les Caraïbes. Il estimait que c'était notre meilleur
intérêt, car il serait très dommageable que ses relations
antérieures avec notre entreprise soient mises à jour devant
le Tribunal.
M. Buchanan a fait connaître aux autres
membres du Tribunal les relations qu'il avait
eues avec la Canadian Pittsburgh Industries
Limited et la Pilkington Brothers (Canada),
Ltd., les compagnies qui ont déposé la plainte
de dumping relative au verre à vitre qui a abouti
à l'ouverture de l'enquête par le sous-ministre,
et finalement au renvoi de l'affaire devant le
Tribunal. Il n'a pas cherche] à cacher l'exist-
ence desdites relations. Il a déclaré aux autres
membres qu'il était inapte à siéger aux audi
ences du Tribunal tenues du 2 au 6 février
1970, et il n'y a pas participé.
Pour ces motifs, j'ai conclu que M. Bucha-
nan, en raison de ses relations antérieures avec
ses clients, avait, dans les procédures, un intérêt
personnel de nature à faire naître des soupçons
raisonnables de partialité en leur faveur. Quels
que soient les efforts que M. Buchanan eût pu
déployer pour être un président impartial, s'il
avait participé à l'audience du Tribunal, je ne
vois pas comment une partie aux procédures
aurait pu ne pas raisonnablement le soupçonner
d'être partial, en raison de la connaissance qu'il
avait acquise par suite de ses relations antéri-
eures avec ses clients et, de ce fait, comment
elle aurait pu ne pas conclure à l'existence de
favoritisme.
L'autre motif sur lequel se fonde le procureur
général pour mettre en doute la validité de la
conclusion ou de l'ordonnance du Tribunal est
que M. Buchanan a participé à l'élaboration de
la décision bien qu'il n'ait pas été, selon ce qui
est admis et clairement établi, présent aux audi
ences du Tribunal tenues du 2 au 6 février
1970, audiences au cours desquelles des
preuves et des arguments ont été présentés au
nom des parties intéressées.
Il me semble évident qu'une personne ne peut
pas rendre une décision dans une affaire dans
laquelle elle n'a pas entendu la preuve s'y rap-
portant ni les arguments des parties sur l'objet
du litige et le sens de la preuve, et qu'une
pareille décision est nulle.
On peut trouver des arguments à l'appui de ce
principe, à supposer que ce soit nécessaire,
dans l'arrêt Rex c. Huntingdon Confirming
Authority [1929] 1 K.B. 698.
Dans cette affaire, les membres d'une Com
mission de contrôle qui ont entendu la preuve à
une première audience n'étaient pas les mêmes
que ceux qui ont siégé à une seconde audience,
au cours de laquelle une décision sur le main-
tien d'un permis a été rendue, puisque des mem-
bres qui n'avaient pas entendu la preuve à la
première audience étaient présents à la seconde
audience et ont participé à la décision.
Lord Hanworth a déclaré (page 714):
[TRADUCTION] Il me reste à traiter la question des juges
qui n'étaient pas présents lorsque la preuve a été présentée,
le 25 avril, mais qui l'étaient à l'audience du 16 mai. Nous
pensons que la commission de contrôle aurait dû se compo
ser des mêmes personnes, à ces deux occasions, savoir que
les juges qui n'avaient pas entendu la preuve ne devaient
pas siéger. Il est très possible que tous les juges qui ont
entendu la cause et la preuve le 25 avril n'aient pas pu
assister aux autres audiences, mais, quoi qu'il en soit, les
juges qui n'ont pas entendu l'affaire ne doivent pas se
joindre à ceux qui l'ont entendue aux fins d'arriver à une
décision sur la question du maintien du permis.
Le juge Romer a souscrit aux motifs de Lord
Hanworth et il a déclaré (page 717):
[TRADUCTION] ... De plus, je voudrais simplement souligner
le fait qu'à l'audience du 16 mai, trois des juges présents
n'avaient jamais entendu la preuve déposée sous serment le
25 avril. Les avis étaient partagés. La résolution en faveur
du maintien du permis a été adoptée par huit voix contre
deux, et, à tout le moins, il est possible que les membres qui
n'étaient pas présents le 25 avril, ceux qui n'avaient aucune
connaissance des faits, aient convaincu la majorité de voter
comme elle l'a fait.
Le juge Cartwright a repris les deux citations
qui précèdent, en les faisant siennes, dans l'ar-
rêt Mehr c. Law Society of Upper Canada
[1955] R.C.S. 344. Dans cette affaire, à une
audience devant le comité de discipline de la
Law Society, tenue le 18 septembre, six mem-
bres étaient présents. Ces six membres et deux
autres membres étaient présents à une audience
du 2 octobre. A une audience tenue le 19
novembre, les huit membres du 2 octobre et un
autre membre étaient présents. Rien n'indiquait
que certains des neuf membres en tout n'a-
vaient pas participé à la décision relative au
rapport que le comité devait présenter. Six
membres seulement étaient présents aux trois
séances. Deux autres membres étaient présents
à deux audiences après avoir été absents de la
première et l'un des membres n'était présent
qu'à l'une des audiences après avoir été absent
des deux premières.
Le juge Cartwright a déclaré (page 351):
[TRADUCTION] Bien qu'il ne soit pas nécessaire de trancher
la question de savoir si cela entache le rapport de nullité, je
suis très intéressé par le raisonnement de Lord Hanworth et
du juge Romer dans l'affaire Rex c. Huntingdon Confirming
Authority.
II a ensuite cité les passages que j'ai moi-même
cités plus haut.
Dans l'affaire Re Ramm (1957) 7 D.L.R. (2e)
378, le juge d'appel MacKay a cité les passages
ci-dessus de l'affaire Huntingdon (précitée) et
de l'affaire Mehr (précitée) et il a déclaré (page
382):
[TRADUCTION] Ce qui est critiquable, c'est leur présence
pendant la période de discussion, situation qui ne leur
permettait pas d'examiner, d'une manière judiciaire, la
preuve présentée sous serment plusieurs jours avant, en
leur absence, sur laquelle une décision devait être rendue.
Le juge Verchere a fait une déclaration sem-
blable dans l'arrêt Hughes c. Seafarers' Interna
tional Union (1962) 31 D.L.R. (2e) 441.
L'article 28 de la Loi antidumping prévoit
que le président du Tribunal peut ordonner que
les témoignages relatifs à une audition devant le
Tribunal soient reçus, en tout ou en partie, par
un membre du Tribunal, mais il est également
prévu qu'en pareil cas, le membre qui reçoit les
témoignages doit en faire rapport au Tribunal.
Cet article ne déroge pas à la règle selon
laquelle la personne appelée à rendre une déci-
sion doit avoir été présente aux audiences s'y
rapportant. Cependant, cet article permet à un
membre de recevoir des témoignages au nom de
tous les membres, mais ces derniers sont infor-
més du contenu de ces témoignages par le rap
port que doit leur présenter celui qui les reçoit.
Ce n'est toutefois pas la procédure qu'a
suivie le président du Tribunal. Il a désigné le
président adjoint, M. Gauthier, et l'autre
membre, M. Barrow, pour tenir des audiences
que M. Gauthier a présidées. Le président avait
le pouvoir de le faire en vertu de l'article
23(1)a) de la Loi antidumping, qui prévoit que
le président «assume la surveillance et la direc
tion des travaux du Tribunal, notamment a) la
répartition des travaux entre les membres du
Tribunal et l'affectation des membres aux audi
tions du Tribunal et à la présidence de ces
auditions, ...».
A mon avis, par conséquent, M. Buchanan
était inapte à participer à l'élaboration de la
décision du Tribunal en raison du fait qu'il
n'était pas présent aux audiences.
Par suite, je constate que le président était
inapte à participer à l'élaboration de la décision
du Tribunal pour une double raison, savoir
(1) que ses relations avec les deux compa-
gnies canadiennes, dont la plainte écrite a
abouti à l'institution des procédures que pré-
voit la Loi antidumping, permettaient de con-
clure à l'existence probable de partialité en
leur faveur, et
(2) qu'il n'était pas présent aux audiences.
Ces constatations ne résolvent pas complète-
ment le litige. Il reste à trancher la question que
je considère comme cruciale.
Cette question est la suivante: le président
a-t-il participé à l'élaboration de la décision du
Tribunal? Dans l'affirmative, il s'ensuit qu'en
raison de la constatation que j'ai faite quant à la
double inaptitude du président, la décision du
Tribunal doit être annulée. Le vicomte Cave a
déclaré, dans l'affaire Frome United Breweries
Co. c. Bath Justices [1926] A.C. 586 à la p. 590:
[TRADUCTION] ... et il est de jurisprudence constante que si
un membre d'un tel organisme est partial, par suite d'un
intérêt pécuniaire ou autre, en faveur de l'une ou l'autre
partie ou contre l'une de celles-ci, ou est dans une situation
telle qu'il y a lieu de conclure à l'existence de partialité, il ne
doit pas participer à la décision ni même siéger au Tribunal.
Il est également évident que si un membre
d'un tribunal est partial, la compétence du tribu
nal lui-même est viciée, même si les autres
membres sont impartiaux. (Voir La Reine c.
Meyer (1875) 1 Q.B.D. 173, et Frome United
Breweries Co. c. Bath Justices (précité), arrêts
cités dans l'affaire Ex parte Hall [1963] 2 O.R.
239.)
Il nous faut donc maintenant rechercher si la
loi qui a créé le tribunal prévoit ou, à défaut, s'il
découle nécessairement de son interprétation,
qu'un membre, inapte à siéger au tribunal et à
participer à sa décision en common law pour
motif de partialité, peut ou doit siéger au tribu
nal et, en pareil cas, si cette personne est apte à
siéger malgré sa partialité pourvu que celle-ci
soit du genre qu'envisage la loi. Lord Sumner a
déclaré (page 616), dans l'affaire Frome United
Breweries Co. c. Bath Justices (précitée):
[TRADUCTION] S'il était impossible d'éviter la partialité
dans une telle affaire, il est clair que la loi, en les instituant
(certains juges ayant un intérêt dans l'affaire) membres de
la commission de contrôle, aurait rendu cette commission
partiale pro tanto et que les décisions de celle-ci ne pour-
raient pas être attaquées pour ce motif.
Le principe qui précède est très voisin de la
doctrine de l'ex necessitate. Un membre d'un
tribunal pouvant être inapte en common law
[TRADUCTION] «peut être requis de siéger s'il
n'existe aucun autre tribunal compétent, ou s'il
est impossible d'atteindre le quorum sans lui.
En pareil cas, la doctrine de la nécessité supplée
à une carence du système judiciaire».
Dans l'arrêt Les juges c. Le procureur général
de la Saskatchewan [1937] 2 D.L.R. 209, les
juges de la Saskatchewan ont été appelés à se
prononcer sur la constitutionnalité d'une loi les
obligeant à payer des impôts sur le revenu tiré
de leur traitement. De même, mon collègue
Noël a été appelé, dans l'affaire Martel c.
M.R.N. [1970] R.C.E. 68, à décider si le traite-
ment supplémentaire versé aux juges pour ser
vices extrajudiciaires qu'on leur demandait et
certains frais accessoires que peut nécessiter la
bonne exécution des fonctions de juge sont
exempts d'impôt sur le revenu. Il a été répondu
par la négative. Dans ces affaires, il n'existait
aucune autorité compétente pour trancher les
questions en cause.
Avec ces considérations présentes à l'esprit,
j'ai analysé la Loi antidumping aux fins de
vérifier si ses dispositions exigent que le prési-
dent participe à la décision, soit en vertu de ses
fonctions propres, soit pour constituer le
quorum.
M. Buchanan pensait apparemment, le 27
octobre 1969, qu'il était obligé de le faire, puis-
que M. German, dans sa note de la même date
(pièce 11), a résumé comme suit une conversa
tion téléphonique qu'il avait eue avec M.
Buchanan:
[TRADUCTION] Il a également déclaré qu'il serait de retour
de vacances assez tôt pour participer aux délibérations et à
la décision, après les audiences. On ne semble généralement
pas se rendre compte qu'on n'évite pas de participer à
l'élaboration d'une décision en évitant de participer aux
audiences.
L'étude que j'ai faite de la loi ne me semble pas
justifier cette conclusion.
L'article 23(1)a) permet d'affecter des mem-
bres aux auditions du Tribunal et à la prési-
dence de ces auditions.
Le Tribunal se composait de trois membres
au moment de sa création.
La loi est muette sur la question du quorum,
mais l'article 21(2) de la Loi d'interprétation,
S.R.C. 1970, c. I-23, prévoit que lorsqu'un texte
législatif établit un conseil, une cour ou un autre
tribunal composé de trois membres ou plus, la
moitié au moins du nombre des membres prévu
par le texte législatif, si ce nombre est fixe, ou,
si le nombre de membres prévu par le texte
législatif n'est pas fixe mais est compris dans
des limites comportant un maximum ou un
minimum, la moitié au moins du nombre de
membres en fonction, si ce nombre est compris
dans ces limites, constitue le quorum.
L'article 21(1) de la Loi antidumping crée un
Tribunal devant se composer d'un maximum de
cinq membres. Trois membres ont été nommés
par l'arrêté en conseil C.P. 1969-1 en date du 3
janvier 1969 (pièce 3). Par conséquent, aux
termes de l'article 21 de la Loi d'interprétation,
le quorum du Tribunal est de deux membres.
De toute manière, si aucun quorum n'avait
été fixé, l'article 21(6) de la Loi antidumping
prévoit qu'en cas d'absence ou d'incapacité
d'agir d'un membre, le gouverneur en conseil
peut nommer un suppléant temporaire. S'il avait
été estimé nécessaire que trois membres du
Tribunal participent à la décision, le problème
de l'inaptitude du président pour raison de par-
tialité aurait pu être résolu en ayant recours à
l'article 21(6) et un suppléant temporaire aurait
pu être nommé, comme cela s'est fait dans une
affaire qu'a citée M. Frank, dans un article sur
l'inaptitude des juges publié en 1947, au
numéro 56 du Harvard Law Review. La Cour
suprême du Texas a été saisie d'une affaire
concernant une association de personnes du
sexe masculin de laquelle tous les juges de la
cour faisaient partie. Le gouverneur a réglé le
problème en constituant un tribunal ad hoc
composé de trois personnes du sexe féminin.
La question de savoir quels membres
devaient signer la décision du Tribunal a causé
un problème à MM. Gauthier et Barrow, dès la
fin de l'audience, le 6 février 1970.
Par suite, le secrétaire du Tribunal, dans une
lettre du 11 février 1970 (pièce B1), a demandé
l'opinion de M. J. T. Gray, avocat du ministère
des finances et du conseil du Trésor, sur cette
question. Il a exposé le problème en ces termes:
[TRADUCTION] Le président a procédé à l'affectation de
deux membres «aux auditions du Tribunal et à la présidence
de ces auditions» en vertu de l'article 23(1)a). La question
se pose de savoir si les dispositions de l'article 28 s'appli-
quent en pareille circonstance, bien que l'article en question
vise le rapport présenté par le membre du Tribunal qui a
reçu les témoignages.
A votre avis, les deux membres doivent-ils présenter un
rapport écrit au président et à chacune des parties (article
28, paragraphe (2))? A notre avis, il n'est pas certain que
cette disposition s'applique dans les conditions énoncées à
l'article 23(1)a).
M. Gray a répondu comme suit, par lettre du
12 février 1970 (pièce B2):
[TRADUCTION] Comme suite à votre demande, j'ai étudié
les dispositions de la Loi antidumping et les règlements
relatifs à celle-ci. A mon avis, l'article 28 ne s'applique pas
dans les conditions que vous avez énoncées dans votre
note. Je crois comprendre que, dans le cas qui vous inté-
resse, deux membres du Tribunal ont tenu audience et ont
reçu des témoignages. A mon avis, l'article 28 ne s'applique
que lorsqu'un seul membre est désigné pour recevoir des
témoignages.
J'ai été étonné de constater que la loi est muette sur la
question du quorum du Tribunal. L'article de la loi qui
autorise le président à désigner des membres pour qu'ils
tiennent des audiences et exécutent d'autres fonctions porte
à conclure qu'il n'est pas nécessaire que tous les membres
soient présents pour agir valablement au nom du Tribunal.
D'autre part, le fait que la loi ne prévoit aucun quorum jette
quelque doute sur la validité d'une décision du Tribunal à
laquelle tous les membres n'auraient pas participé. Il serait
peut-être plus prudent, à mon avis, que tous les membres
signent le document officiel qui constatera la décision.
Naturellement, la décision doit également faire état des
dissidences éventuelles. Je constate que la loi donne au
Tribunal le pouvoir d'adopter des règles de procédure, mais
je doute que ce pouvoir permette au Tribunal de fixer son
propre quorum. Il est assez inusité qu'une loi crée un tel
tribunal sans en fixer le quorum et il me semble que la
chose pourrait être prise en considération dès que des
amendements seront proposés à la loi.
Je partage l'avis de M. Gray et je ne crois pas
que l'article 28 s'applique dans les circonstan-
ces de la présente affaire, ainsi que l'a indiqué
M. Gray. Le président a effectivement désigné
les deux membres pour tenir l'audience, en
vertu du pouvoir que lui confère l'article 23. Il
n'a pas eu recours à l'article 28 car la réception
du rapport du membre qu'il aurait désigné aurait
équivalu pour lui à participer à l'audience. M.
Buchanan était convaincu qu'il ne devait pas
être présent aux audiences, à cause des rela
tions qu'il avait eues, à titre de conseiller, avec
les plaignants. Sur ce point, je loué la sagesse
de M. Buchanan. La Loi d'interprétation prévoit
que le singulier comprend le pluriel, à moins
que le contexte ne révèle une intention con-
traire. Aux termes de l'article 28, il est clair
qu'un seul membre peut être désigné pour rece-
voir des témoignages, et non deux.
M. Gray s'est ensuite penché sur la question
du quorum. Il est arrivé à la conclusion que le
mutisme de la loi sur la question du quorum
jetait un doute sur la validité d'une décision du
Tribunal à laquelle tous les membres n'auraient
pas participé. Il s'est ensuite dit d'avis qu'il
serait «plus prudent que tous les membres
signent le document officiel qui constatera la
décision».
Je ne partage pas l'opinion de M. Gray sur ce
point. Si la signature du document officiel cons-
tatant la décision constitue une participation à
cette décision (la jurisprudence indique que
cette hypothèse correspond à la réalité et nous
analyserons plus loin ce qui justifie cette con
clusion), l'opinion selon laquelle un membre qui
n'a pas entendu les témoignages, fait porté à la
connaissance de M. Gray dans la lettre du
secrétaire lui demandant son avis, doit signer la
décision est contraire au principe énoncé dans
l'arrêt Rex c. Huntingdon Confirming Authority
(précité), aux termes duquel ceux qui n'ont pas
entendu la preuve ne doivent pas participer à la
décision. Il est possible que M. Gray ait été
d'avis que le fait de «signer le document officiel
constatant la décision» n'équivalait pas à parti-
ciper à la décision, mais il ne l'a pas dit.
Pour être juste envers M. Gray, je dois souli-
gner que le secrétaire ne lui a pas indiqué que le
président s'est abstenu de participer aux audien
ces à cause de l'intérêt qu'il avait dans l'affaire.
Le secrétaire connaissait l'existence de ce fait,
mais il n'est pas un juriste et il est possible qu'il
en ait sous-estimé l'importance. Si ce fait avait
été porté à l'attention de M. Gray, et je crois
qu'on aurait dû le faire, il se serait penché sur le
problème qu'il soulève.
M. Gray a rétracté l'opinion qu'il a exprimée
dans sa lettre du 12 février 1970, dans une
lettre du 18 février 1970 (pièce B3), qui se lit
comme suit:
[TRADUCTION] La présente confirme notre conversation
téléphonique relative à l'opinion que je vous ai donnée le 12
février. En donnant l'opinion énoncée au second paragra-
phe, je n'ai pas tenu compte de l'article 21 de la Loi
d'interprétation, qui fixe le quorum dans le cas de conseils,
offices, cours, commissions ou autres organismes lorsque la
loi qui les crée n'en prévoit pas. La règle générale est que le
quorum est au moins la moitié des membres en fonction.
Dans le cas du Tribunal antidumping, cette règle fixerait le
quorum à deux membres. Si le nombre des membres du
Tribunal devait être porté à cinq, le quorum serait de trois
membres. Dans le cas que vous me présentez, les deux
membres qui ont reçu les témoignages peuvent rendre une
décision au nom du Tribunal.
Sa conclusion est donc «les deux membres qui
ont reçu les témoignages peuvent rendre une
décision au nom du Tribunal».
J'ai lu attentivement les deux lettres de M.
Gray et je conclus que dans la deuxième, il
rétracte l'opinion qu'il a exprimée dans la pre-
mière, mais je ne suis arrivé à cette conclusion
qu'après avoir analysé les termes de chaque
lettre avec beaucoup d'attention. Compte tenu
du fait que le destinataire des deux lettres n'é-
tait pas un juriste, contrairement aux personnes
pour le compte desquelles l'opinion en question
a été demandée, je crois que, dans sa deuxième
lettre, M. Gray aurait dû s'exprimer en termes
clairs, précis et non équivoques. Il aurait dû
déclarer que les deux membres qui ont reçu les
témoignages devaient rendre la décision, à l'ex-
clusion du président, et non au nom du Tribu
nal, parce qu'ils constituaient ce Tribunal, et
qu'eux seuls devaient signer le document offi-
ciel constatant la décision. Il faut nécessaire-
ment conclure, par déduction, que M. Gray
avait voulu rétracter l'opinion qu'il avait émise
précédemment, selon laquelle il serait «plus
prudent que tous les membres signent le docu
ment officiel qui constatera la décision», mais il
ne l'a pas dit en termes précis. Par conséquent,
il était possible qu'un non-juriste interprète les
lettres comme signifiant que l'opinion relative à
la signature du document officiel était toujours
valable. En fait, il s'agit là de l'interprétation
que les trois membres du Tribunal ont donnée à
ces lettres. Toutefois, je désire souligner encore
une fois que le secrétaire n'a demandé l'opinion
de M. Gray que sur l'applicabilité des articles
23 et 28 de la loi, et qu'il n'avait pas connais-
sance du véritable problème qui se posait aux
membres du Tribunal, savoir que M. Buchanan
ne pouvait participer aux audiences et à la déci-
sion pour les motifs que j'ai indiqués, problème
dont ils auraient dû connaître ou au moins soup-
çonner l'existence. Ils auraient dû demander
conseil sur ce problème précis et non demander
une opinion en termes généraux et peu précis.
Rien n'indiquait à M. Gray qu'il devait pousser
ses recherches plus loin. Il n'a donné son avis
que sur ce qui lui était demandé.
M. Buchanan était en vacances pendant les
audiences qu'ont tenues les autres membres du
Tribunal, mais il est revenu avant qu'une ordon-
nance ou une décision ne soit rendue.
Il est admis qu'il n'a pas influencé la décision
des autres membres et qu'il n'a pas tenté de le
faire. Cette affirmation est en contradiction
avec ce que sous-entendent les termes que M.
German a employés dans sa note du 27 octobre
1969 (pièce 11), dans laquelle il déclare: [TRA-
DUCTION] «Il a nettement indiqué que ses collè-
gues avaient été bien préparés à entendre
l'affaire.»
MM. Gauthier et Barrow ont rédigé leur con
clusion ou ordonnance en commun. Elle est le
fruit de leur travail collectif et M. Buchanan n'a
pas été consulté. Ils ont rédigé cinq brouillons
et le dernier a été retenu comme texte final.
M. Gauthier en était venu à admirer la facilité
avec laquelle M. Buchanan pouvait rédiger en
langue anglaise et il a demandé à celui-ci de lire
le dernier brouillon et de faire des propositions
pour en améliorer la forme, mais il ne lui a pas
demandé de faire des observations sur le fond.
M. Buchanan a fait ce qu'on lui demandait et il
s'est abstenu de faire des observations sur le
fond. On a comparé le brouillon et le texte final
de l'ordonnance et M. Buchanan a reconnu être
l'auteur de trois modifications très peu impor-
tantes ayant trait au vocabulaire, à la grammaire
ou à la construction. Par exemple, il a proposé
de remplacer le mot [TRADUCTION] «dilemme»
par le mot «difficultés», ce qui était manifeste-
ment une amélioration, et cette proposition a
été retenue. Il a également relevé un endroit où
le pluriel avait été substitué à tort au singulier,
ce qui a été corrigé, et il a aussi corrigé un
infinitif qui avait été mal séparé.
A l'avant-dernier paragraphe de la décision
du Tribunal, il est écrit [TRADUCTION] «En con-
séquence, le Tribunal ordonne que les droits
antidumping soient prélevés sur les importa
tions à des prix sous-évalués de verre à vitre
transparent ... au Canada le 15 mars 1970 ou
après».
M. Buchanan était d'avis qu'aux termes de
l'article 16 de la Loi antidumping, la compé-
tence du Tribunal se limite à la question de
savoir si un préjudice sensible a été causé ou
non aux producteurs canadiens. Si le Tribunal
répond par l'affirmative, c'est le sous-ministre
qui impose le droit antidumping. Il croyait par
conséquent, avec raison, que le Tribunal n'avait
pas la compétence d'«ordonner» l'imposition
d'un droit antidumping. Bien qu'il fût de cet
avis, il n'a pas proposé que le paragraphe soit
retranché, ni que le texte soit modifié de la
façon appropriée. Il n'a même pas fait connaître
aux autres membres les réserves qu'il avait à
formuler sur le bien-fondé de ce paragraphe
parce que, comme il l'a déclaré, il se serait agi
d'une modification quant au fond et [TRADUC-
TION] «c'est à eux qu'il appartenait de rendre la
décision».
Lorsque le cinquième brouillon a été revu et
rédigé en sa forme définitive le 13 mars 1970, il
lui a été présenté pour signature. Les témoins
n'avaient que de vagues souvenirs quant à l'i-
dentité de la personne qui a présenté le docu
ment à la signature de M. Buchanan. Il est
possible que ce soit le secrétaire ou M. Gau-
thier, ou que le texte lui ait été expédié.
Quelle que soit la personne qui lui a présenté
le document pour signature ou qui a fait en
sorte que le document lui parvienne, que ce soit
le secrétaire ou M. Gauthier, il n'en reste pas
moins que ce document lui a été présenté en
raison du fait que l'opinion de M. Gray, expri-
mée dans sa lettre du 12 février 1970, selon
laquelle «il serait plus prudent que tous les
membres signent le document officiel qui cons-
tatera la décision», a été retenue.
M. Buchanan avait également lu les lettres de
M. Gray. Il ne fait pas de doute que les trois
membres du Tribunal, ainsi que le secrétaire,
pensaient que M. Gray avait conseillé que les
trois membres du Tribunal signent le document,
même si l'un ou l'autre d'entre eux n'avait parti-
cipé ni aux audiences ni à la décision.
C'était la première fois que le problème se
posait, puisque dans tous les cas antérieurs, les
trois membres avaient participé aux audiences
et aux décisions.
Il est possible que le conseil de M. Gray ait
coïncidé dans le temps avec une opinion que M.
Buchanan a exprimée dès le 27 octobre 1969,
parce que M. German a indiqué dans sa note de
cette date (pièce 11), que M. Buchanan l'avait
informé qu' [TRADUCTION] «on ne semble géné-
ralement pas se rendre compte qu'on n'évite pas
de participer à l'élaboration d'une décision en
évitant de participer aux audiences».
M. Buchanan a donc signé le document daté
du 13 mars 1970, qui lui a été présenté à cette
fin.
D'après la preuve, je suis convaincu que la
participation de M. Buchanan à la décision du
Tribunal se limite à la signature qu'il a apposée
sur le document qu'on lui a présenté.
La deuxième page de la conclusion contient
la liste des membres du Tribunal. Le président
et les deux autres membres y sont nommément
désignés, et le nom du secrétaire et directeur
des enquêtes est inscrit sous le titre «Tribunal
antidumping». Nous pouvons également lire, au
bas de la page, [TRADUCTION] «Toute corres-
pondance doit être adressée au secrétaire du
Tribunal antidumping, Édifice de la Justice,
Ottawa, Canada». La troisième page commence
par les mots: [TRADUCTION] «Décision du Tri
bunal antidumping», mais il n'est fait aucune
mention des membres du Tribunal qui ont rendu
la décision.
La deuxième page, considérée en elle-même,
peut être interprétée comme un simple docu
ment d'information. Elle indique les noms des
membres du Tribunal tel que l'avait constitué
l'arrêté en conseil. Elle contient également le
nom du secrétaire, qui n'est pas membre du
Tribunal mais officier de celui-ci. Voilà ce qui
semble être l'objet de la deuxième page. Il
existe cependant une autre interprétation possi
ble, savoir qu'elle identifie les membres du Tri
bunal qui ont participé aux audiences et à la
décision, ce qui est d'autant plus possible que
les membres qui ont effectivement rendu la
décision ne sont identifiés nulle part ailleurs et
que la décision est présentée comme étant celle
du Tribunal. Le fait que le nom du secrétaire est
indiqué d'une manière qui laisse croire qu'il fait
partie du Tribunal va, en quelque sorte, à l'en-
contre de cette interprétation.
Au cours de l'audience consécutive à l'avis de
requête, j'ai exprimé l'opinion que cette
deuxième page est peu heureuse quant à sa
forme et à sa présentation. Avec un peu de
recul, je demeure de cet avis, notamment parce
que le texte de la conclusion n'identifie pas les
membres qui l'ont rendue. Toutefois, j'ai conclu
que, dans l'ensemble, elle est peu importante.
La question qui se pose est donc la suivante:
M. Buchanan a-t-il participé à la décision du fait
qu'il a signé le document qui lui a été présenté?
Dans l'affaire Hughes c. Seafarers' Interna
tional Union (précitée), le juge Verchere a dû se
pencher sur la question de l'inaptitude d'un
membre d'un comité ayant signé un rapport.
Les faits relatifs à cette question sont expo-
sés comme suit au premier paragraphe du
sommaire:
[TRADUCTION] Le demandeur était accusé d'avoir violé les
règlements du syndicat ouvrier défendeur et un comité
d'enquête dont les membres ont été élus à une réunion du
syndicat a tenu une audience. Après deux audiences de ce
comité, l'un de ses membres ne pouvait continuer à y
assister et, bien que les règlements du syndicat eussent
prévu que la majorité des membres du comité constituait le
quorum, et bien qu'il n'existât aucune disposition permet-
tant de remplacer un membre après le début d'une procé-
dure, un remplaçant a été élu à une réunion spéciale du
syndicat. Les procès-verbaux des deux premières séances
ont été portés à la connaissance du nouveau membre, et
celui-ci a ensuite participé aux audiences du comité, a
examiné les accusations portées et a signé le rapport de la
majorité recommandant que le demandeur soit expulsé du
syndicat.
La déclaration correspondante du juge Ver-
chere se trouve à la page 446:
[TRADUCTION] ... Dans le cas présent, il est évident que M.
Clarke a signé le rapport et je pense qu'il faut en conclure
qu'il a participé aux délibérations finales du comité.
Je ne vois pas comment on peut dire qu'un
membre ne fait pas sienne la conclusion du
Tribunal lorsqu'il signe celle-ci. Par conséquent,
si une décision est portée à la connaissance d'un
intéressé dans le cours ordinaire de la procé-
dure, et que la signature d'un membre y appa-
raît ou qu'il apparaît clairement que celle-ci y a
été apposée, cette personne est en droit de
croire que le membre en question a participé à
l'élaboration de la décision.
L'avocat de la Pilkington Brothers (Canada)
Ltd. a soutenu que le procureur général n'avait
pas le pouvoir de présenter la présente
demande. Il fonde sa prétention sur une compa-
raison des articles 18 et 28 de la Loi sur la Cour
fédérale.
L'article 18 se lit comme suit:
18. La Division de première instance a compétence
exclusive en première instance
a) pour émettre une injonction, un bref de certiorari, un
bref de mandamus, un bref de prohibition ou un bref de
quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire,
contre tout office, toute commission ou tout autre tribu
nal fédéral; et
b) pour entendre et juger toute demande de redressement
de la nature de celui qu'envisage l'alinéa a), et notamment
toute procédure engagée contre le procureur général du
Canada aux fins d'obtenir le redressement contre un
office, une commission ou à un autre tribunal fédéral.
L'article 28 se lit comme suit:
28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de
toute autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre
et juger une demande d'examen et d'annulation d'une déci-
sion ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance
de nature administrative qui n'est pas légalement soumise à
un processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un
office, une commission ou un autre tribunal fédéral ou à
l'occasion de procédures devant un office, une commission
ou un autre tribunal fédéral, au motif que l'office, la com
mission ou le tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a
autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée
d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la
lecture du dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclu
sion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire
ou sans tenir compte des éléments portés à sa
connaissance.
L'avocat a fait observer que l'article 28(2)
donne au procureur général un pouvoir spécial
qui lui permet de faire une demande dans les
cas que vise l'article 28(1), qui précise que la
Cour d'appel a compétence pour entendre et
juger une demande d'examen et d'annulation
d'une décision ou ordonnance au motif que le
tribunal n'a pas observé les principes de justice
naturelle, a excédé sa compétence, a rendu une
décision entachée d'une erreur de droit ou a
fondé sa décision sur une conclusion de fait
erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire.
Les avocats de toutes les parties représentées
ont admis que la présente demande est de la
nature du certiorari.
Aux termes de l'article 18, la division de
première instance a compétence exclusive pour
entendre et juger ces questions. L'ordonnance
ou conclusion en cause a été rendue avant le le r
juin 1971.
Toutefois, l'avocat a fait observer que l'arti-
cle 18(2) prévoit expressément, en raison des
termes «notamment toute procédure engagée
contre le procureur général du Canada», qu'une
action peut être intentée contre le procureur
général, mais qu'il n'existe aucune disposition
équivalente permettant au procureur général
d'intenter une action.
Cet argument est essentiellement basé sur la
maxime expressio unius est exclusio alterius.
La Couronne ne peut pas être poursuivie sur
bref de prérogative. Pour cette raison, l'article
18(2) dirige les procédures de ce genre contre le
procureur général.
En common law, il ne fait pas de doute que le
procureur général peut instituer des procédures
par voie de brefs de prérogative. Par consé-
quent, il n'était pas nécessaire d'attribuer
expressément ce pouvoir à l'article 18. Il suffit
de prévoir le cas contraire.
De plus, la compétence de la Cour d'appel est
exclusivement statutaire. Pour cette raison, la
loi prévoit que le procureur général peut présen-
ter une demande en vertu de l'article 28.
Pour ces motifs, je rejette l'argument de l'a-
vocat de la Pilkington Brothers (Canada) Ltd.,
selon lequel le procureur général n'a pas le
pouvoir de présenter la présente demande et, au
contraire, je pense que le procureur général a le
pouvoir de présenter une telle demande.
Le bref de certiorari est un bref de préroga-
tive qu'accorde un tribunal supérieur et qui peut
être utilisé pour contrôler l'activité des tribu-
naux inférieurs.
Le fondement théorique de ce recours est le
suivant: un sujet se plaint à son Souverain de
l'injustice que lui a faite un tribunal inférieur.
Le Souverain déclare ensuite qu'il désire être
mis au courant de l'affaire (le mot certiorari, en
langue latine juridique, signifie [TRADUCTION]
«J'informe, je renseigne, j'expose») et il
ordonne que le dossier soit transmis à un tribu
nal dont il fait partie.
Il s'agit d'un recours extraordinaire dont l'uti-
lisation est limitée aux actes judiciaires, à l'ex-
clusion des actes administratifs, et un tel
recours n'est pas normalement accordé lorsqu'il
existe un droit d'appel. Ce recours est différent
d'un appel. L'appel n'est pas un droit, une loi
doit l'accorder. Par contre, le certiorari est un
recours de common law qui donne le pouvoir de
contrôler les actes judiciaires d'un tribunal infé-
rieur et qui ne peut être supprimé qu'aux termes
exprès d'une loi.
Il existe en common law un pouvoir discré-
tionnaire d'accorder ou de refuser un bref de
certiorari et ce pouvoir s'exerce selon des prin-
cipes bien établis en common law. Si le recours
en certiorari découle d'une loi, il faut recher-
cher les conditions d'exercice de ce pouvoir
dans la loi en cause.
Gardant présente à l'esprit la théorie qui
sous-entend le recours en certiorari, il n'est pas
étonnant de constater qu'une jurisprudence de
longue date établit qu'un bref de certiorari est
accordé sur demande au procureur général,
agissant au nom du Souverain, toutes les fois
que la cour est compétente en la matière qui
constitue l'objet des procédures devant le tribu
nal inférieur. Le simple fait que le bref est
accordé au procureur général ex debito justitiae
ne signifie pas que l'affaire ne sera pas jugée au
fond. Pour cette raison, j'ai décidé que je n'ai
pas le pouvoir discrétionnaire de refuser d'an-
nuler la décision du Tribunal antidumping pour
des considérations étrangères et qu'au con-
traire, l'ordonnance doit être déclarée nulle ou
valide en statuant sur le fond de l'affaire à la
lumière de la preuve quant au fond qui m'est
présentée.
Je n'oublie pas la déclaration de S. A. de
Smith dans son remarquable ouvrage «Judicial
Review of Administrative Action» (page 432):
[TRADUCTION] Il a été décidé dans un certain nombre de
cas que le bref de certiorari est accordé sur demande au
procureur général agissant au nom de la Couronne. Le
principe est parfois étendu à toute demande en certiorari
faite de cette manière. Cette interprétation est inacceptable
puisque, si tel était le cas, la Couronne aurait en fait un droit
de veto sur les décisions de tous les tribunaux statutaires
inférieurs, civils et criminels, et elle pourrait, à n'importe
quel moment, dicter légalement à son gré la conduite à
suivre à ceux qui sont chargés de l'administration de la
justice.
Dans l'extrait qui précède, le savant profes-
seur n'expose pas le droit tel qu'il existe mais
tel qu'il aimerait le voir exister.
D'après la doctrine et la jurisprudence, le bref
de certiorari est accordé sur demande au procu-
reur général. Je ne pense pas que les inquiétu-
des du professeur sont justifiées, car même si le
bref est accordé sur demande, il n'en reste pas
moins, comme je l'ai déjà indiqué, qu'il appar-
tiendra toujours à la Cour de décider s'il y a lieu
d'annuler la décision du tribunal inférieur en
statuant sur le fond, après une audition com-
plète de la preuve.
Dans un jugement daté du 11 mai 1972, le
juge Heald a décidé:
[TRADUCTION] qu'une copie de la décision du Tribunal anti-
dumping en date du 13 mars 1970 ayant été déposée, il n'est
pas nécessaire, à ce stade, que le Tribunal produise d'autres
documents.
Parmi les documents soumis au juge Heald,
au moment où il a rendu cette ordonnance, il y
avait un affidavit de Charles Douglas Arthur,
qui était secrétaire du Tribunal antidumping le
13 mars 1970. Il était joint à l'affidavit, comme
pièce A, «une copie Xerox conforme de la
décision du Tribunal antidumping», datée du 13
mars 1970. Il est important de remarquer que le
secrétaire n'a pas déclaré sous serment que la
pièce A, jointe à son affidavit, constituait une
copie conforme de l'original de la décision origi-
nale qui fait partie des archives du Tribunal. A
la dernière page de la version anglaise, la page
12, nous voyons la signature de M. Buchanan
comme président, suivie des signatures de MM.
J. P. C. Gauthier et B. G. Barrow comme mem-
bres, et de celle de M. C. D. Arthur, le secré-
taire, comme témoin.
Le procureur général a déposé en preuve
devant moi ce qu'il prétend être une copie de la
décision du Tribunal, copie certifiée conforme
par le secrétaire actuel, M. D. M. Allan, portant
le sceau officiel du Tribunal, que je peux
admettre d'office en vertu de l'article 27 de la
Loi antidumping. Encore une fois, il est impor
tant de remarquer que M. Allan a simplement
certifié «qu'il s'agit d'une copie conforme» et
qu'il n'a pas certifié qu'il s'agit d'une copie
conforme de l'original déposé aux archives du
Tribunal.
Aux termes de l'article 27 (précité), égale-
ment, le Tribunal est une cour d'archives.
Dans l'ouvrage Wharton's Law Lexicon 14e
éd., page 846, on définit comme suit une «court
of record» (cour d'archives):
[TRADUCTION] ... Cour dont les actes judiciaires et les
actes de procédure sont consignés sur parchemin, pour
perpétuelle mémoire et attestation, lesquels sont appelés les
archives de la Cour et font foi de leur contenu au point que
l'exactitude de leur contenu ne peut pas être contestée.
Il a été établi d'une manière certaine devant
moi que le président et les autres membres du
Tribunal ont signé deux documents seulement,
le texte anglais de la décision et la version
française de celle-ci. Le secrétaire a expédié ces
deux documents par la poste au sous-ministre
du Revenu national, douanes et accise, dès
qu'ils ont été terminés.
Le secrétaire a certainement mis ces docu
ments à la poste pour se conformer à l'article
16(5) de la Loi antidumping, qui se lit comme
suit:
(5) Le secrétaire transmet, par courrier recommandé, une
copie de toute ordonnance ou de toutes conclusions au
sous-ministre, à l'importateur, à l'exportateur et aux autres
personnes que peuvent spécifier les règles du Tribunal.
Ce paragraphe prévoit qu'une copie de l'or-
donnance ou de la conclusion doit être expédiée
au sous-ministre et aux autres personnes qu'il
désigne. Il ne prévoit pas que l'original du docu
ment signé des membres doit être transmis au
sous-ministre. Il est quelque peu bizarre qu'un
document portant les signatures originales n'ait
pas été également expédié à l'importateur, à
l'exportateur et aux autres personnes fondées à
recevoir une copie, bien que ce soit le sous-
ministre, sur réception de la conclusion, qui
doive y donner suite, mais ce paragraphe pré-
voit clairement que c'est une copie qu'il faut
expédier au sous-ministre. La loi ne permet en
rien d'expédier l'original au sous-ministre.
M. Gauthier a témoigné que, dans la présente
affaire, la procédure habituelle du Tribunal a
été suivie.
M. Doyle, président de la Canadian Pitts-
burgh Industries Limited, a témoigné que la
conclusion expédiée à cette compagnie ne por-
tait pas la signature du président ni celle des
membres, ni même celle du secrétaire, ni repro
ductions de ces signatures, ni d'indications per-
mettant de savoir qui l'avait signée. La dernière
page de la version anglaise, la page 12, était
vierge à partir de la fin du dernier paragraphe
de la décision. Il a également témoigné qu'il a
demandé et reçu 12 copies supplémentaires et
qu'elles étaient toutes identiques à celle que la
compagnie avait reçue, c'est-à-dire sans signatu
res ni reproductions de celles-ci.
De plus, il a été révélé que, lorsque le procu-
reur général a demandé une copie de la déci-
sion, certifiée par le secrétaire et portant le
sceau du Tribunal, aux fins de l'utiliser dans les
présentes procédures, la dernière page du docu-
ment expédié au sous-ministre a été obtenue de
celui-ci et jointe à la copie certifiée qui a été
produite en preuve sous la cote 4. La même
chose vaut pour la copie de la décision (pièce
A) jointe à l'affidavit de C. D. Arthur.
Un examen visuel attentif du coin supérieur
gauche de la page 12 de la pièce 4 (version
anglaise) permet de constater que la feuille a été
percée à l'aide d'un poinçon de manière à pou-
voir la placer plus facilement sur un piquet de
classement. Les pages qui précèdent n'ont pas
été ainsi poinçonnées. Par conséquent, la pièce
4 est un document composé, les onze premières
pages provenant d'une source et la douzième
d'une autre. Cette constatation confirme les
témoignages que j'ai indiqués sur ce point.
Il est donc facile de constater que ni la pièce
4, ni la pièce A annexée à l'affidavit de C. D.
Arthur, ne sont des copies conformes d'un ori
ginal déposé aux archives du Tribunal. Les ori-
ginaux étaient en la possession du sous-minis-
tre.
Dans l'affaire Rex c. Nat Bell Liquors [1922]
2 A.C. 128, Lord Sumner, en conseillant Sa
Majesté au nom du Comité judiciaire du Conseil
privé, a cité des paroles de Lord Cairns, traitant
du certiorari d'une manière générale:
[TRADUCTION] ... Si l'ordonnance de la Cour des sessions
de la paix est entachée d'une erreur quelconque apparente à
la lecture, il est possible de demander à la Cour du Banc de
la Reine de se saisir de l'ordonnance, de l'examiner et de
l'évaluer sur son apparence même, et si la Cour est d'avis
qu'elle contient une erreur apparente à la lecture de l'ordon-
nance, elle peut mettre fin à son existence en l'annulant.
Lord Cairns a ensuite déclaré que l'ordonnance
de la Cour des sessions de la paix est une
ordonnance motivée et par conséquent une
ordonnance qui peut être contestée par voie de
certiorari, puisqu'elle contient sa propre expli
cation et qu'elle peut par conséquent être annu-
lée au motif qu'elle est erronée.
Lord Sumner a ensuite déclaré, aux pages
155 et 156:
[TRADUCTION] En ce qui concerne cet extrait, il convient
de remarquer que la clef de la question est de savoir ce qui
est ou ce qui sera porté au dossier qui doit être transmis au
tribunal supérieur. Si les juges en disent plus qu'il n'est
nécessaire, on peut, pour ainsi dire, l'utiliser contre eux, et
ils peuvent devenir les auteurs de leur propre condamna-
tion, mais il ne fait pas de doute que, mises à part les
questions de compétence, une partie peut saisir la Cour de
questions nouvelles, en produisant de nouveaux affidavits
ou des documents ou pièces quelconques ne faisant pas déjà
partie du dossier. Ce principe a été appliqué à la lettre, au
point qu'un tribunal supérieur a refusé de prendre en consi-
dération des documents, par exemple l'information, qu'un
tribunal inférieur lui avait transmis avec son dossier. Le
tribunal est lié par le dossier en raison de la nature même de
ces procédures. Sa compétence consiste à s'assurer que le
tribunal inférieur n'a pas excédé la sienne et c'est précisé-
ment pour cette raison qu'il ne peut pas intervenir relative-
ment aux actes accomplis dans les limites de la compétence
car, dans le cas contraire, il dépasserait lui-même les limites
à l'intérieur desquelles il peut exercer son pouvoir de con-
trôle de la légalité, non de l'opportunité. Le pouvoir de
contrôle de la légalité a un objet double: il vise d'abord la
sphère de compétence du tribunal inférieur, ainsi que les
limitations et les conditions qui régissent son exercice; il
vise ensuite l'observation de la loi dans le cours de l'exer-
cice de cette compétence.
L'arrêt Nat Bell Liquors est l'arrêt dominant
en la matière et il pose en principe que la
demande en certiorari ne peut être fondée sur
une erreur de droit que lorsqu'elle est apparente
à la lecture du dossier, de sorte que, pour
découvrir ces erreurs, le demandeur ne peut pas
se baser sur des documents qui ne font pas
partie du dossier.
Dans la présente affaire, il nous faut détermi-
ner ce qui constitue le dossier, quel genre de
vice constitue une erreur apparente à la lecture
du dossier et quelles sont les erreurs de droit
qui ne sont pas sujettes à révision de la part
d'un tribunal supérieur.
Il est bien établi en droit qu'il est possible de
demander, par voie de certiorari, l'annulation
d'une décision lorsque le dossier contient une
erreur apparente à la lecture de celui-ci, lorsque
la décision a été rendue sans compétence, lors-
qu'elle n'est pas impartiale ou lorsqu'elle résulte
d'une fraude.
Dans la présente affaire, le Tribunal antidum-
ping a agi sans compétence si un membre inapte
a participé à la décision. Pour les raisons que
j'ai indiquées, M. Buchanan était inapte à parti-
ciper à la décision parce qu'il était partial et
parce qu'il n'avait pas entendu la preuve. Toute-
fois, comme je l'ai également indiqué, sa partici
pation à la décision découle du fait qu'il a signé
la décision.
Comme je l'ai déjà indiqué, mon collègue
Heald, dans une ordonnance du 11 mai 1972, a
décidé qu'une copie de la décision du Tribunal
antidumping ayant été déposée, il n'était pas
nécessaire, à ce stade, que le Tribunal produise
d'autres documents.
Je suis tout à fait d'accord avec la conclusion
du juge Heald sur ce point, mais le juge Heald
n'avait aucun motif de croire que le document
qui avait été produit devant lui n'était pas une
copie de l'original conservé dans les archives du
Tribunal antidumping, mais un document hété-
rogène qu'avait conservé le Tribunal et qui avait
été envoyé au sous-ministre du Revenu national
(douanes et accise).
L'avocat du procureur général a fait observer
que le document produit semble être, sur son
apparence même, une copie conforme de la
décision du Tribunal. Le corollaire de cet argu
ment est que je dois me limiter à ce document.
Cependant, la preuve qui m'a été présentée
établit de façon décisive qu'il ne s'agit pas là de
la décision qu'a conservée le Tribunal et que ce
dernier document ne porte la signature d'aucun
membre du Tribunal. A mon avis, je peux rece-
voir cette preuve et en tenir compte dans mon
jugement. Dans le cas présent, la demande en
certiorari est fondée sur un motif de partialité.
La preuve relative à cette question est admissi
ble. Le problème que je dois résoudre est celui
de savoir si un membre du tribunal a participé à
la décision alors qu'il était partial.
Dans l'arrêt Rex c. Northumberland Compen
sation Appeal Tribunal [1952] 1 K.B. 338, Lord
Denning a déclaré (page 351):
[TRADUCTION] On remarque que dans tous ces arrêts, un
principe directeur est appliqué: la demande en certiorari ne
peut être fondée sur une erreur de droit que si celle-ci est
apparente à la lecture du dossier.
Le savant juge s'est ensuite demandé (page
352): [TRADUCTION] «Que comprend donc le
dossier?» et il a répondu comme suit:
[TRADUCTION] On a déjà dit que le dossier comprend tous les
documents qu'a conservés le tribunal pour perpétuelle
mémoire et attestation: voir Blackstone's Commentaries,
Vol. III, à la p. 24. ... Il semble que la Cour du Banc de la
Reine a toujours insisté sur le fait que le dossier doit
contenir ou faire état des documents ou des renseignements
qui ont donné lieu aux procédures, c'est-à-dire de ceux qui
ont donné compétence au tribunal et, également, du docu-
ment qui énonce la décision qui y a fait suite. Par consé-
quent, le dossier jadis transmis au tribunal supérieur devait,
dans le cas d'une condamnation, énoncer l'information dans
tous ses détails; dans le cas d'une ordonnance rendue par la
Cour des sessions de la paix siégeant en appel, le dossier
devait faire état de l'ordonnance dont appel: voir Anon. Le
dossier devait également énoncer la décision, mais il n'était
jamais nécessaire d'exposer ni les motifs (voir South Cad-
bury (Inhabitants) c. Braddon, Somerset (Inhabitants)), ni la
preuve, sauf dans le cas d'un jugement emportant condam-
nation. D'après cette jurisprudence, je pense que le dossier
doit contenir au moins le document qui a donné lieu aux
procédures, les plaidoiries, le cas échéant, et la décision,
mais il ne doit contenir ni les motifs, ni la preuve, à moins
que le tribunal ne décide de les y joindre. Si le tribunal
donne les motifs de sa décision et que ceux-ci ne sont pas
fondés en droit, il est possible de faire annuler la décision
par voie de certiorari.
Les observations qui précèdent sont des
dicta, parce que l'avocat avait admis qu'il exis-
tait une erreur de droit apparente à la lecture du
dossier et que cet aveu le liait. Le Lord juge
Singleton et le Lord juge Morris ne se sont pas
associés aux observations de Lord Denning
parce qu'ils considéraient que l'aveu rendait
celles-ci inutiles, mais ils se sont associés à lui
pour dire qu'une demande en certiorari peut
être fondée sur une erreur de droit apparente à
la lecture du dossier.
Il ne fait pas de doute que la décision offi-
cielle fait partie du «dossier». Il est tellement
évident que la décision elle-même fait partie du
dossier que cela n'a jamais été contesté. Tous
les tribunaux prennent la chose pour acquise,
sans le déclarer expressément, bien qu'ils souli-
gnent que la question de savoir si la révision
doit se borner à l'examen de la décision n'a pas
encore été tranchée.
Lord Goddard a déclaré, dans l'arrêt Rex c.
Northumberland Compensation Tribunal Ex
parte Shaw [1951] 1 K.B. 711 à la p. 718, que
sont sujets à révision tous les éléments men-
tionnés dans le document désigné comme la
décision que vise la demande en certiorari.
Il est absolument certain que M. Buchanan a
signé un document qu'il croyait être la décision
du Tribunal. Il est également certain, pour les
raisons que j'ai déjà indiquées, que le dossier du
Tribunal ne contient aucune décision signée de
M. Buchanan. Le document qu'il a signé et
qu'ont signé les autres membres, ainsi que le
secrétaire à titre de témoin, a été expédié au
sous-ministre. Ce document que le sous-minis-
tre a en sa possession n'est pas une copie du
document qui fait partie des archives du Tribu
nal, parce qu'il porte la signature de tous les
membres du Tribunal et celle du secrétaire,
alors que le document qui fait partie des archi
ves du Tribunal ne porte aucune de ces signatu
res. Bien qu'il ne soit pas nécessaire que je
tranche cette question, je pense que le sous-
ministre pouvait agir sur le document qu'il avait
en sa possession, le cas échéant, parce qu'il
portait manifestement le sceau officiel du Tri
bunal et que, pour lui, le document était régulier
sur son apparence même, bien qu'il ait dû cons-
tater qu'il s'agissait de l'original et non d'une
simple copie.
Pour les raisons que j'ai déjà indiquées, et
que je vais reprendre pour des motifs de com-
modité, le président ne pouvait pas participer à
la décision du Tribunal au motif qu'il est raison-
nable de conclure qu'il était partial en faveur de
ses anciens clients en raison de ses relations
antérieures avec eux et au motif qu'il n'a pas
entendu la preuve. Il s'ensuit que si M. Bucha-
nan a participé à la décision du Tribunal, cel-
le-ci doit être annulée.
Pour les raisons que j'ai déjà indiquées et que
je vais reprendre pour plus de commodité, si M.
Buchanan a signé la décision du Tribunal, il
s'est associé à la décision des autres membres,
et il faut en conclure qu'il la partageait. Le fait
qu'il a signé la décision constitue une participa
tion à l'élaboration de la décision.
La question est de savoir si les preuves qui
m'ont été soumises établissent que M. Bucha-
nan a signé la décision.
A mon avis, la jurisprudence dominante, par
laquelle je suis lié, indique que je dois statuer
sur la demande en nullité par voie de certiorari
en considérant le dossier du Tribunal sur son
apparence même.
Je suis d'avis que le seul document qui fait
partie du dossier du Tribunal à cette fin est la
décision du Tribunal. Il est certain que cette
décision fait partie du dossier. Le document que
le Tribunal a transmis au sous-ministre ne fait
pas partie du dossier et ne constitue pas une
copie de ce dossier.
Je suis d'avis que M. Buchanan était inapte à
participer à la décision. De nombreuses preuves
le démontrent. Les preuves relatives à sa partia-
lité sont pertinentes. Sa participation aurait con
sisté à signer la décision. Il a été établi que le
dossier du Tribunal ne contient pas de décision
signée de M. Buchanan. Il s'ensuit qu'il n'a pas
participé à la décision.
Je rejette donc la demande du procureur
général tendant à l'annulation de la décision du
Tribunal antidumping du 13 mars 1970 dans
cette affaire.
J'estime nécessaire d'indiquer que le Tribunal
antidumping étant une cour d'archives en vertu
de l'article 27 de la Loi antidumping, doit agir
comme une cour d'archives et conserver ses
dossiers comme le fait une cour d'archives. En
premier lieu, le document original constatant
l'ordonnance ou conclusion du Tribunal signée
des membres du Tribunal qui l'ont rendue doit
constituer l'élément fondamental du dossier.
Cela est évident. En second lieu, l'ordonnance
ou conclusion doit identifier les membres du
Tribunal qui l'ont rendue. Elle ne doit pas sim-
plement énoncer que le Tribunal a rendu la
décision, surtout lorsqu'un quorum des mem-
bres peut rendre une décision au nom du Tribu
nal. En troisième lieu, la décision ne doit pas
comprendre une page supplémentaire donnant
certains renseignements et indiquant le nom des
membres qui composent le Tribunal en vertu de
l'arrêté en conseil. Il incombait aux officiers du
Tribunal de se renseigner sur la façon de consti-
tuer un dossier s'il ne savaient pas le faire,
comme c'est manifestement le cas.
Je vais maintenant traiter de la question des
frais. Les dépens et autres frais de toutes les
procédures sont laissés à la discrétion de la
Cour et suivent le sort de la cause, sauf ordon-
nance contraire. (Voir la Règle 344.)
L'avocat du Tribunal antidumping, qui repré-
sentait également M. Gauthier, a demandé que
les dépens soient adjugés à ses deux clients par
répartition entre le conseil et le client.
Dans l'exercice de mon pouvoir discrétion-
naire, je n'accorde pas de frais au Tribunal
antidumping. J'admets qu'une cour d'archives
n'est pas nécessairement identique aux tribu-
naux qu'on appelle quelquefois les cours de
justice. Aux fins seulement de l'article 172 de la
Loi sur les douanes, le Tribunal est réputé, aux
termes de l'article 27(3) de la Loi antidumping,
être une cour de justice. Il est inhabituel qu'une
cour soit appelée à défendre sa propre décision
car ce n'est pas le propre des cours de justice
de le faire, bien que je sois parfaitement au
courant de cas où un tribunal administratif exer-
çant des fonctions quasi judiciaires a été consti-
tué partie à une action dirigée contre lui. Ce
n'est toutefois pas le cas dans la présente
affaire. J'ai tenu compte du fait que le juge
Heald, dans l'ordonnance qu'il a rendue le 11
mai 1972, a ordonné que la signification soit
faite au secrétaire du Tribunal antidumping. Il
n'a pas ordonné que la signification soit faite au
secrétaire en son nom personnel, mais au con-
traire ès qualité. C'est pour cette raison que j'ai
entendu les arguments de l'avocat du Tribunal.
Toutefois, cela ne change rien à la décision que
j'ai prise de ne pas adjuger de dépens au
Tribunal.
Il existe un autre motif pour lequel il n'y a
pas lieu d'adjuger de dépens au Tribunal. C'est
le fait que le Tribunal n'a pas établi des dossiers
en bonne et due forme, ce qui a abouti au rejet
de la demande d'annulation de la décision de ce
Tribunal. Puisque la décision du Tribunal a été
maintenue en raison du fait qu'il a omis d'établir
des dossiers en bonne et due forme, il serait
déplacé de récompenser son erreur en lui adju-
geant des dépens.
La Glassexport Limited s'est fait représenter
par un avocat à l'audience consécutive à l'avis
de requête, tenue le 8 juin 1972, et le premier
jour de l'audience tenue du 4 juillet au 7 juillet
1972. L'intérêt de la Glassexport Limited con-
sistait à appuyer la demande en annulation de la
décision du Tribunal que présentait le procureur
général. Par suite, nuls dépens ne seront adju-
gés à la Glassexport Limited.
L'intérêt de la Mineralimportexport était
identique à celui de la Glassexport Limited.
L'avocat de la Mineralimportexport était pré-
sent à l'audience du 8 juin 1972, mais il ne s'est
pas présenté par la suite. Par suite, la Mineral-
importexport doit supporter ses propres frais.
L'avocat de M. Buchanan a plaidé que son
client devrait avoir droit à ses frais entre conseil
et client. Les avocats de la Pilkington Brothers
(Canada) Ltd., de la Canadian Pittsburgh Indus
tries Limited et de M. Gauthier se sont joints à
lui sur ce point.
On me demande d'exercer le pouvoir discré-
tionnaire inhérent à ma charge d'une manière
disciplinaire contre le procureur général, en
raison de ses prétendues erreurs, omissions ou
négligences en accordant des dépens entre con-
seil et client, c'est-à-dire à un taux plus élevé
que celui qui est utilisé entre parties.
Cet argument, présenté au nom de M. Bucha-
nan, est fondé sur le fait que le procureur
général a prétendu que M. Buchanan avait un
intérêt pécuniaire dans l'affaire alors que, s'il
avait fait diligence, il aurait pu constater que ce
n'était pas le cas. Entre le 8 juin 1972 et le 4
juillet 1972, le procureur général a été informé
que M. Buchanan n'avait aucun intérêt pécu-
niaire et il a retiré cet argument. Au moment où
le procureur général a allégué que M. Buchanan
avait un intérêt pécuniaire, il était en possession
de preuves qui lui permettaient de croire, avec
raison, que M. Buchanan avait un intérêt pécu-
niaire. Je m'attache ici au défaut du procureur
général de faire diligence, et non aux moyens
qu'il a utilisés pour obtenir les renseignements
qu'il possédait. Par conséquent, je ne considère
pas que le motif avancé justifie que j'exerce
mon pouvoir discrétionnaire comme on me
demande de le faire.
L'avocat de M. Buchanan a également pré-
senté un autre argument. Selon celui-ci, les ren-
seignements qu'a obtenus le procureur général
ont été tirés de documents confidentiels obte-
nus en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Dans les circonstances particulières à la pré-
sente affaire, il ne m'appartient pas de trancher
la question de savoir si le procureur général ne
pouvait pas utiliser des renseignements fournis
en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu,
portés à sa connaissance, pour des objets étran-
gers à cette loi. Ces renseignements ont servi à
fonder la prétention selon laquelle M. Buchanan
avait un intérêt pécuniaire. Cet argument a été
retiré et, par conséquent, il n'est pas en litige. Je
m'abstiens donc de faire des observations sur
une question que je ne suis pas obligé de
trancher.
L'avocat de la Pilkington Brothers (Canada)
Ltd. et celui de la Canadian Pittsburgh Indus
tries Limited ont allégué un motif semblable.
Les renseignements qu'a obtenus le procureur
général ont été tirés de documents obtenus dans
le cadre d'une enquête effectuée en vertu de la
Loi relative aux enquêtes sur les coalitions,
documents qui ont été communiqués à titre
confidentiel. Les trois avocats ont allégué qu'il
s'agissait là de subterfuges. Dans les circonstan-
ces de la présente affaire, je n'ai pas le pouvoir
de présumer que ces enquêtes n'ont pas été
faites dans le but pour lequel elles sont censées
être faites. Il n'est pas nécessaire, non plus, que
je décide si le procureur général a obtenu ces
renseignements d'une manière irrégulière ou
non.
J'ai décidé que la preuve qu'a présentée le
procureur général était régulièrement admissi
ble. A mon avis, cette conclusion suffit.
Par conséquent, la Canadian Pittsburgh
Industries Limited et la Pilkington Brothers
(Canada) Ltd., sont fondées à obtenir leurs frais
taxables entre les parties.
M. Buchanan est également fondé à se voir
allouer ses frais taxables entre les parties. J'a-
jouterai que M. Buchanan n'est pas exempt de
reproches à tous égards, en ce sens que sa
conduite, bien qu'elle s'explique en majeure
partie, a manqué du discernement qui est de
rigueur dans l'exercice de fonctions quasi
judiciaires.
L'argument invoqué au nom de M. Buchanan
et des deux compagnies en faveur de l'alloca-
tion des frais taxables entre conseil et client n'a
pas la même valeur, à mon avis, dans le cas de
M. Gauthier. M. Gauthier est donc fondé à se
voir allouer ses frais taxables entre les parties.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.