Emile Couture (Requérant)
c.
La Reine (Intimée)
Division de première instance, le juge Pratte—
Montréal, le 1 e mai; Ottawa, le 18 mai 1972.
Pratique—Plaidoiries—Compétence—Jugement retardé de
30 jours après le procès pour permettre une demande d'a-
mendement de la pétition Prescription interrompue par
l'institution de l'action—Règles 424 et 496(2).
A la suite d'un procès sur une pétition de droit demandant
des dommages-intérêts à la Couronne, en invoquant la négli-
gence des employés du CRTC, le juge a décidé qu'on n'avait
pas démontré la négligence invoquée. Mais, au lieu de
rejeter la pétition, il a accordé trente jours au requérant
pour lui permettre de demander la permission d'amender sa
pétition en alléguant d'autres négligences que celles qu'il
avait déjà plaidées.
Arrêt: rejet d'une objection à la demande du requérant.
1. La Règle 496(2) de la Cour fédérale autorise l'ordon-
nance accordant au requérant la permission d'amender sa
plaidoirie.
2. La Règle 424 ne permet pas d'amendement qui fasse
naître une nouvelle cause d'action après l'expiration du
délai de prescription fixé par le droit québécois. Mais, en
l'espèce, l'institution de l'action avait interrompu la
prescription.
REQUÊTE.
William Hesler pour le requérant.
Paul Coderre, c.r., pour l'intimée.
LE JUGE PRATTE—Le requérant demande la
permission d'amender sa pétition de droit et la
réouverture de l'enquête dans une affaire qui a
été instruite devant moi au mois de décembre
dernier.
Par sa pétition de droit, le requérant deman-
dait à être indemnisé du préjudice que lui
auraient causé certains préposés de l'intimée en
lui représentant faussement qu'il possédait le
permis requis par la loi pour exploiter une sta
tion commerciale de réception de radio et de
télévision. Il y alléguait diverses communica
tions que lui avaient adressées des préposés de
l'intimée et il spécifiait que l'erreur dont il avait
été la victime résultait de la faute qu'auraient
commise des officiers du Conseil de la Radio-
Télévision canadienne (CRTC) en lui écrivant
une lettre datée du 7 mai 1968. Lors de l'en-
quête, toute la correspondance échangée entre
les parties fut versée au dossier, mais les avo-
cats des deux parties ont toujours pris pour
acquis que la seule faute reprochée à l'intimée
était celle qu'auraient commise ses préposés en
adressant au requérant la lettre du 7 mai.
Le 7 avril 1972, j'ai signé et déposé au greffe
des motifs d'un jugement où j'ai exprimé l'opi-
nion que l'erreur dont le requérant a été la
victime n'a pas été causée par la lettre que le
CRTC lui a adressée le 7 mai. Je n'ai pas alors,
comme j'aurais pu le faire, rejeté la pétition de
droit du requérant. Il m'était apparu qu'on pou-
vait raisonnablement soutenir que l'erreur du
requérant était attribuable à d'autres fautes de
préposés de l'intimée que celles qui étaient spé-
cifiquement alléguées dans les procédures. J'ai
donc conclu en disant que je ne rendrais pas
jugement avant trente jours afin que le requé-
rant puisse, s'il le jugeait opportun, demander la
permission d'amender sa pétition de droit et la
réouverture de l'enquête. C'est de cette faculté
que s'est prévalu le requérant en présentant la
requête dont je suis maintenant saisi.
Le procureur de l'intimée s'est opposé à la
requête. Il m'a d'abord soumis, si je l'ai bien
compris, que j'aurais excédé les pouvoirs que
m'accorde la Règle 496(2) en suggérant au
requérant de demander la permission de modi
fier ses procédures. A cet argument, il me suffit
de répondre que si je me suis exprimé comme je
l'ai fait dans les «motifs» que j'ai déposés au
greffe le 7 avril dernier, c'est que je croyais
alors, après réflexion, que la Règle 496(2) m'au-
torisait à agir de cette façon. Le procureur de
l'intimée ne m'a pas convaincu que je me sois
trompé.
Le procureur de l'intimée a soulevé, à l'en-
contre de la requête, un second moyen. Le
requérant, a-t-il affirmé, demande l'autorisation
de modifier sa pétition de droit en y ajoutant de
nouvelles causes d'action (savoir, des fautes qui
n'étaient pas spécifiquement alléguées dans la
pétition originaire). Or, cette autorisation ne
pourrait être accordée parce que le recours
résultant de ces faits nouveaux serait depuis
longtemps prescrit. En effet, il s'agirait ici d'une
procédure relative à une cause d'action ayant
pris naissance dans la province de Québec et où
la Cour devrait, suivant l'article 38 de la Loi sur
la Cour fédérale, appliquer les règles du droit
québécois sur la prescription. Or, suivant le
droit du Québec, il n'est pas contesté qu'une
action comme celle du requérant soit assujettie
à une courte prescription de deux ans, prescrip
tion qui, suivant l'Article 2267 du Code civil a
pour effet d'éteindre l'action de sorte que «nulle
action ne peut être reçue après l'expiration du
temps fixé pour la prescription». La Règle édic-
tant cette prescription n'étant pas une simple
règle de procédure, le procureur de l'intimée a
prétendu que la Cour ne pouvait s'autoriser ici
de la Règle 424 pour permettre un amendement
ajoutant une nouvelle cause d'action après l'ex-
piration du délai de prescription; car, a-t-il
soumis, il est impossible de soutenir que la Cour
puisse, par de simples règles de pratiques, modi
fier des règles de fond, comme celles relatives à
la prescription.
Avant d'aller plus loin, je veux formuler quel-
ques remarques sur la portée de la Règle 424.
Cette Règle se lit comme suit:
Règle 424. Lorsque permission de faire un amendement
mentionné aux Règles 425, 426 ou 427 est demandée à la
Cour après l'expiration de tout délai de prescription applica
ble mais qui courait à la date du début de l'action, la Cour
pourra néanmoins, accorder cette permission dans les cir-
constances mentionnées dans la Règle applicable s'il semble
juste de le faire.
La validité de cette Règle, dans la mesure où
elle permet à la Cour d'autoriser un amende-
ment après l'expiration d'une period of limita
tion, m'apparaît incontestable (Rodriguez c.
Parker [1967] 1 Q.B. 116). La Cour a, suivant
l'article 46 de sa loi constitutive, le pouvoir de
règlementer la pratique et la procédure et les
règles relatives à la limitation of actions sont,
en principe du moins, des règles de procédure.
Mais les règles du droit de Québec relatives aux
courtes prescriptions ne sont pas des règles
procédurales et, à cause de cela, lorsqu'elles
sont applicables en vertu de l'article 38 de la loi,
leur effet ne peut être modifié par la Règle de
pratique 424. D'ailleurs, le texte anglais de cette
règle réfère seulement aux amendements faits
après l'expiration d'une period of limitation, non
à ceux faits après que la prescription est
acquise. Je crois donc que la Cour ne peut, dans
une affaire où il y a lieu d'appliquer le droit
québécois, s'autoriser de la Règle 424 pour per-
mettre un amendement après que la prescription
est acquise.
Mais on ne peut, de cela, conclure que la
demande d'amendement qui m'est soumise
doive être rejetée. En effet, même si on sup
pose qu'il faille appliquer ici la loi du Québec
sur la prescription (ce dont on peut douter puis-
que la plupart des fautes reprochées aux prépo-
sés de l'intimée auraient été commises en Onta-
rio), cette loi, à mon avis, ne s'oppose pas à ce
que la requête soit accueillie.
Si le requérant n'avait pas poursuivi l'intimée
dans les deux ans suivant la date à laquelle le
CRTC a refusé de lui octroyer un permis, il
aurait alors, à cause de son inaction, perdu le
droit de demander d'être indemnisé du préju-
dice dont il prétend avoir été la victime. En
poursuivant, le requérant a interrompu la pres
cription en cours, c'est-à-dire qu'il a fait le
nécessaire pour préserver la créance dont, par
sa pétition de droit, il demande l'exécution. Le
requérant ne veut pas amender sa pétition de
droit de façon à réclamer un autre droit que
celui dont la prescription a été interrompue; il
veut seulement pouvoir alléguer de nouveaux
faits établissant l'existence de ce même droit.
Pour ces motifs, la requête sera accueillie. Le
requérant, cependant, devra en payer les frais
comme il devra, aussi, payer tous les frais
qu'occasionnera cet amendement.
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