Le Syndicat international des marins canadiens
(Demandeur)
c.
La Kent Line Limited et le procureur général du
Canada (Intimés)
et
La Kent Line Limited (Demanderesse)
c.
Le Syndicat international des marins canadiens et
le procureur général du Canada (Intimés)
Cour d'appel, les juges Thurlow, Cattanach et
Kerr—Montréal (P.Q.), le 28 mars 1972.
Relations ouvrières—Code canadien du travail—Examen
judiciaire d'une décision du Conseil des relations ouvrières—
Accréditation du syndicat à titre d'agent négociateur—Équi-
page du navire—Agent maritime employeur apparent—Con-
clusion du Conseil portant que l'agent n'est pas l'employeur
réel—Est-ce que la conclusion du Conseil est irrecevable—
Date de l'affiliation des employés au syndicat—Aucune
preuve de modification de l'affiliation entre la date de la
demande et celle de l'audience.
Le Conseil canadien des relations ouvrières a refusé
d'accréditer à titre d'agent négociateur, en vertu du Code
canadien du travail, un syndicat pour les membres d'équi-
page de cinq navires dont la Kent Line Limited était l'agent
maritime, au motif que les membres d'équipage de ces
navires n'étaient pas employés par cette dernière. La Irving
Oil Co. était l'armateur des navires ou elle les affrétait; elle
les exploitait et engageait les capitaines qui, à leur tour,
engageaient les équipages. La Kent Line Limited exerçait
certaines fonctions d'agent maritime pour la Irving Oil Co.,
mais, étant donné la façon dont elle exerçait ses fonctions,
les membres de l'équipage ne pouvaient qu'avoir l'impres-
sion d'être des employés de la Kent Line Limited.
Arrêt: (1) Rejet d'une demande, introduite en vertu de
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, visant à obtenir
l'annulation de la décision du Conseil:
1. La Kent Line Limited n'était pas l'employeur de
l'équipage, qu'on donne au mot «employeur» son sens
courant ou celui de l'article 107(1) du Code canadien du
travail.
2. Bien que la Kent Line Limited ait été l'employeur
apparent, le Conseil n'était pas tenu de conclure qu'elle
était en fait la propriétaire alors que les faits montraient le
contraire.
3. Il n'existait pas de fondement réel pour avancer que
la Kent Line Limited est irrecevable à nier qu'elle était
l'employeur.
(2) Il faut aussi rejeter une demande de la Kent Line
Limited visant à faire annuler l'accréditation, par le Conseil,
du syndicat à titre d'agent négociateur pour le compte des
membres de l'équipage d'un sixième navire dont la deman-
deresse était l'armateur et l'exploitant. Bien que l'accrédita-
tion se fonde sur la conclusion qu'une majorité des mem-
bres de l'équipage étaient membres du syndicat à la date de
dépôt de sa demande plutôt qu'à la date de l'audience, rien
dans la preuve n'indique de changement important dans le
personnel entre ces deux dates.
EXAMEN judiciaire.
Joseph Nuss pour le Syndicat international
des marins canadiens.
Neil McKelvey et Ronald G. Lister pour la
Kent Line Limited.
A. C. Pennington pour le procureur général
du Canada.
LE JUGE THURLOW—La première de ces
deux procédures instituées en vertu de l'article
28 de la Loi sur la Cour fédérale est une
demande d'examen et d'annulation d'une déci-
sion du Conseil canadien des relations ouvrières
refusant d'accréditer, en vertu du Code cana-
dien du travail, le Syndicat international des
marins canadiens (que j'appellerai le Syndicat) à
titre d'agent négociateur d'une unité formée des
employés de la Kent Line Limited, notamment
de tous les employés non brevetés travaillant à
bord des navires Irvingstream, Irving Ours
Polaire, Aimé Gaudreau, H-1060 et H-1070. Le
motif du refus d'accréditation était que les
membres d'équipage de ces navires n'étaient
pas des employés de la Kent Line Limited. Par
la même décision, le Conseil a accrédité le
syndicat comme agent négociateur d'une unité
formée d'employés de la Kent Line Limited,
comprenant le personnel non breveté employé
par la Kent Line Limited à bord de l'Irvingwood
et se répartissant comme suit: le maître d'équi-
page, le préposé aux pompes, le matelot 2 e
classe, le graisseur, le chef cuisinier, le garçon
de carré, l'aide garçon de carré.
Pour attaquer le refus du Conseil relative-
ment à l'accréditation visant l'équipage des cinq
autres navires, on s'est fondé sur deux moyens.
On a d'abord allégué que, se fondant sur les
conclusions de fait du Conseil, la Kent Line
Limited était, en droit, l'employeur des person-
nes pour lesquelles l'accréditation était deman-
dée, et cela pour les cinq navires en cause,
sinon, tout au moins pour ceux du H-1060 et du
H-1070. En second lieu, on a soutenu que,
même si la Kent Line Limited n'était pas, en
fait, l'employeur des personnes en cause, elle
était irrecevable, par suite de ses actes, à établir
ce fait.
La preuve établit, et le Conseil l'a constaté,
que la Kent Line Limited exerce une activité
commerciale en qualité d'agent maritime agis-
sant pour différents exploitants de navires, ceux
que j'appellerai, pour abréger, le groupe Irving,
la Kent Line Limited étant elle aussi une com-
pagnie de ce groupe. La preuve établit aussi que
l'exploitation des six navires en cause est
menée comme une entreprise unique, la gérance
en incombant au directeur de l'approvisionne-
ment et du transport de la compagnie Irving Oil,
qui engage les capitaines et exerce, de l'avis du
Conseil, une autorité considérable à l'égard des
capitaines en général. La Kent Line Limited est
l'armateur et l'exploitant de l'Irvingwood et les
profits et pertes de son exploitation lui revien-
nent. La question de savoir qui est l'employeur
du personnel non breveté faisant partie de son
équipage ne se pose donc pas. Quant aux autres
navires, c'est la compagnie Irving Oil qui est
l'armateur et l'exploitante de l'Irvingstream.
Quant à l'Irving Ours Polaire et à l'Aimé Gau-
dreau, bien qu'ils appartiennent à diverses com-
pagnies du groupe Irving, dont la Kent Line
Limited, ils sont depuis un certain nombre d'an-
nées nolisés, selon une charte d'affrètement en
coque nue, à la compagnie Irving Oil, qui les
exploite pour son propre compte. Dans le cas de
chacun de ces navires, la Kent Line Limited
remplit à l'occasion des fonctions d'agent mari
time, mais la gestion des comptes d'exploitation
relève de la compagnie Irving Oil elle-même. Le
H-1060 et le H-1070 appartiennent à la Engi
neering Consultants Limited, une autre compa-
gnie du groupe Irving, et ils sont nolisés au
voyage à la compagnie Irving Oil qui les frète
parfois à des compagnies non-affiliées. Dans le
cas de ces deux navires, la Kent Line Limited
remplit les mêmes fonctions d'agent maritime,
mais elle gère de plus les comptes de la Engi
neering Consultants Limited.
Le Conseil a aussi conclu que, étant donné la
manière dont la Kent Line s'acquittait de ses
fonctions relativement aux six navires, les
employés en cause ne pouvaient qu'avoir une
impression générale, savoir qu'ils étaient les
employés de la Kent Line; mais le Conseil a
poursuivi en disant que, bien que les employés
aient pu croire cela et avoir l'impression que la
Kent Line exerçait ostensiblement une autorité
sur eux, cela n'était pas probant en l'occur-
rence. Le Conseil a alors mentionné que la
Irving Oil exerçait un contrôle étendu sur les
employés de tous les navires; que l'exploitation
des six navires était considérée comme une
entreprise unique; qu'aucune des autres compa-
gnies n'était représentée au cours des procédu-
res engagées devant le Conseil, et, de là, il en
est arrivé à la conclusion que la Kent Line
n'était pas l'employeur habile à négocier collec-
tivement pour les navires, sauf l'Irvingwood.
J'estime que dans cette affaire la conclusion
du Conseil selon laquelle la Kent Line Limited
n'est pas l'employeur du personnel de ces navi-
res, autre que celui de l'Irvingwood, est bien
fondée et je ne vois pas l'erreur de droit que le
Conseil aurait commise en arrivant à cette con
clusion, que le mot «employeur», au sens des
dispositions pertinentes du Code canadien du
travail, soit considéré comme ayant sa significa
tion courante ou comme ayant le sens utilisé à
l'article 107(1) de la loi, à savoir «une personne
employant un ou plusieurs travailleurs» ou
encore le sens de «l'employeur habile à négo-
cier collectivement», dont il est question dans
les motifs du Conseil, puisque, à mon avis, il n'y
a pas de différence entre ces trois interpréta-
tions quant aux questions qui nous intéressent.
A l'exception de l'Irvingwood, aucun de ces
navires n'était exploité par la Kent Line Limi
ted, ni pour son profit ou pour son compte;
leurs opérations n'étaient pas le fait de la Kent
Line et celle-ci n'avait aucun pouvoir sur les
personnes qui en dirigeaient les activités. Les
capitaines de ces navires n'étaient ni nommés ni
licenciés par la Kent Line, ni non plus soumis à
son autorité. Cette compagnie n'avait de même
aucun pouvoir disciplinaire à leur égard. En ce
qui concerne les membres de l'équipage, bien
que les membres éventuels aient été examinés à
l'avance par la Kent Line Limited, à titre d'a-
gent de l'exploitant, leur engagement effectif
n'était pas le fait de la Kent Line, mais bien
celui des capitaines qui, en cela, n'étaient pas
tenus de suivre les directives de la Kent Line et
d'embaucher les travailleurs qu'elle recomman-
lait. L'échelle des salaires à verser à ces
hommes d'équipage n'était pas non plus fixée
par la Kent Line. Celle-ci n'avait pas le pouvoir
de licencier ces hommes d'équipage. Bien que,
en sa qualité d'agent des exploitants, la Kent
Line avançait l'argent requis aux capitaines afin
de payer les hommes, ces derniers étaient payés
par les capitaines qui rendaient compte de la
manière dont l'argent avait été dépensé non pas
à la Kent Line, mais aux exploitants. Dans le
cas du H-1060 et du H-1070, ce compte rendu
était présenté à la Kent Line, mais en tant
qu'agent de l'exploitant et non en qualité d'ex-
ploitant pour son compte. La direction des tra-
vaux des hommes d'équipage n'était pas assu
mée par la Kent Line, mais par les capitaines
qui n'en étaient pas responsables auprès de
cette compagnie.
Selon moi, ces éléments, pris individuelle-
ment ou dans leur ensemble, tendent à démon-
trer que la Kent Line n'était pas l'employeur
des hommes en cause et, à mon avis, il n'y a
rien dans la preuve qui pourrait m'amener à la
conclusion contraire.
Le motif principal du demandeur pour con-
tester cette conclusion était que toute activité
manifeste ou apparente relative aux relations de
travail sur tous les navires était le fait de la
Kent Line; que la Kent Line exerçait l'activité
propre à un employeur; et qu'aux yeux des
employés et de tous, la Kent Line faisait figure
d'employeur et était par conséquent l'em-
ployeur au sens des dispositions pertinentes du
Code canadien du travail. Considérant la
manière dont les membres d'équipage étaient
engagés par les capitaines, je ne suis pas con-
vaincu qu'on puisse affirmer avec raison que
toute activité apparente était véritablement
exercée par la Kent Line. Même en admettant
que les employés aient pu avoir cette impres
sion, il me semble que le demandeur n'est pas
fondé à déduire que cette activité apparente
doit, en droit, nous mener à ladite conclusion. Il
me semble que cela voudrait dire qu'en ce
domaine, les apparences doivent prendre le pas
sur la réalité. A mon avis, nonobstant les appa-
rences, les faits réels sont que les hommes
n'étaient pas engagés par la Kent Line mais par
le capitaine pour le compte de l'exploitant de
chaque navire en particulier, et que l'exploita-
tion des navires n'était pas non plus la respon-
sabilité de la Kent Line, mais celle du directeur
de l'approvisionnement et du transport de la
compagnie Irving Oil. De plus, le fait que les
compagnies Irving étaient toutes ouvertement,
associées et que l'exploitation des six navires
était administrée comme une entreprise unique
n'ajoute rien, à mon avis, aux moyens mis de
l'avant par le demandeur puisque la personne
qui dirigeait les exploitations n'était ni un cadre
ni un employé de la Kent Line, et que rien de ce
qu'il faisait relativement à l'exploitation de ces
navires, à l'exception de celle de l'Irvingwood,
ne peut à mon avis être considéré comme ayant
été fait au nom de la Kent Line. J'estime que
l'importance qu'on pouvait attribuer aux appa-
rences était une matière laissée à la discrétion
du Conseil; que celui-ci n'était pas obligé de ne
considérer que les apparences et de rejeter les
faits; et que le Conseil était fondé à tirer une
telle conclusion étant donné la preuve qui lui
était soumise. Par conséquent, je rejette les
prétentions du demandeur.
Abordant maintenant l'affirmation selon
laquelle la Kent Line est irrecevable à nier
qu'elle était l'employeur de ces hommes, je suis
porté à croire qu'une personne ne peut devenir
un employeur, au sens des dispositions perti-
nentes du Code canadien du travail, pour la
simple raison qu'elle serait irrecevable à le nier;
je crois aussi que, pour obtenir l'accréditation,
le syndicat qui a présenté une demande à cet
effet doit établir, à la satisfaction du Conseil,
les faits prouvant son droit à l'accréditation. Ce
serait pour le Conseil outrepasser sa compé-
tence que d'accorder une accréditation en se
fondant sur le seul motif, peu sérieux, que l'in-
timé à la demande serait, en quelque sorte,
irrecevable vis-à-vis le syndicat demandeur à
nier qu'il est l'employeur. Selon moi, cependant,
l'affaire présente n'appelle pas de prise de posi
tion définitive sur cette question puisque, à mon
avis, on n'a aucunement fait ressortir l'exis-
tence d'une fin de non-recevoir. Prenant pour
acquis, à cette fin, que la manière dont la Kent
Line gérait son entreprise ait pu faire croire
qu'elle était l'employeur des membres des équi-
pages en question, il n'existe à mon avis aucun
élément de preuve permettant de conclure que
le demandeur ait jamais traité avec le Syndicat
international des marins canadiens, ou qu'il lui
ait fait des représentations à cet effet, avec ou
sans le dessein de voir le Syndicat y donner
suite. Je ne suis pas non plus convaincu qu'on
peut faire état de quoi que ce soit qui aurait pu
modifier une position ou causer un préjudice, à
la suite de la confiance que l'on aurait placée
dans de telles apparences, soit du point de vue
du Syndicat, lequel veut maintenant faire valoir
l'irrecevabilité, soit du point de vue des mate-
lots en cause, pris individuellement ou en
groupe. On ne saurait donc selon moi soutenir
une telle affirmation.
A mon avis, la requête en révision n'est pas
fondée et doit être rejetée.
L'autre demande, celle de la Kent Line Limi
ted, a pour objet l'examen et l'annulation de
l'accréditation accordée par le Conseil au Syn-
dicat en qualité d'agent négociateur pour l'unité
d'employés de la Kent Line comprenant le per
sonnel non breveté travaillant à bord de 1'Irving-
wood. Cette demande se fonde sur la prétendue
erreur qu'aurait commise le Conseil en jugeant
que l'unité accréditée était formée d'une majo-
rité de membres en règle du Syndicat, cette
conclusion datant du 4 août 1971, date de la
demande du Syndicat, et non du moment de
l'audition, savoir les 18 et 19 octobre 1971.
Au cours des débats plusieurs dates furent
mises de l'avant, chacune étant présentée
comme celle où il serait pertinent, eu égard aux
circonstances, de trancher la question, mais je
ne pense pas qu'il ait été suggéré au nom du
demandeur qu'il incombât au Conseil d'étudier
la question postérieurement à l'audition des 18
et 19 octobre 1971; un autre point a été sou-
levé, savoir si c'était bien cette date qui avait
été retenue par le Conseil en rendant sa déci-
sion. Les avocats de la demanderesse ont d'a-
bord soutenu qu'on pouvait présumer que le
Conseil a appliqué la Règle 15 des Règles de
procédure du Conseil canadien des relations
ouvrières et qu'il n'a donc pas jugé nécessaire
d'étudier les faits ultérieurs à la date de la
demande d'accréditation; ils ont ensuite pré-
tendu que cette règle était ultra vires. Ladite
règle se lit comme suit:
15. Aux fins de l'article 7 de la Loi, le Conseil reconnaî-
tra comme membre en règle d'un syndicat ouvrier quicon-
que, selon le Conseil, est, à la date de la demande
d'accréditation
a) membre du syndicat; et
b) a versé, en son propre nom, la cotisation syndicale d'au
moins un mois pour ou dans la période commençant le
premier jour du troisième mois qui précède le mois civil
dans lequel la demande est faite et se terminant à la date
de la demande; ou
c) lorsqu'il est devenu membre du syndicat dans la
période mentionnée à l'alinéa b), a versé, en son propre
nom, une cotisation d'admission au syndicat dont la
somme est au moins égale à la cotisation syndicale
mensuelle.
On notera que, selon les termes utilisés, cette
règle ne s'applique que dans les cas où le texte
de loi en cause est l'article 7 de l'ancienne Loi
sur les relations industrielles et sur les enquêtes
visant les différends du travail, maintenant l'arti-
cle 113 du Code canadien du travail. Que la
règle soit ultra vires ou non, il me semble n'y
avoir aucune raison de croire que le Conseil l'ait
appliquée en prenant sa décision en vertu de
l'article 115.
En second lieu, on a prétendu que la seule
preuve relative à la constitution de l'équipage
de l'Irvingwood présentée devant le Conseil,
soit la pièce 29, était un décompte du capitaine
indiquant les noms des membres de l'équipage
de l'Irvingwood au 4 août 1971, et que cela ne
saurait suffire à établir la constitution de l'équi-
page au moment de l'audition. Cependant, la
pièce en question fournit une liste exacte à la
fin d'août, soit à peu près 7 semaines avant
l'audition. Les déclarations suivantes sont rela
tées dans la transcription; elles ont été faites au
début de l'audition par le président:
[TRADUCTION] La compagnie soutient aussi qu'une majo-
rité des employés de l'unité de négociation, et plus particu-
lièrement une majorité des employés travaillant à bord de
l'Irvingwood ne sont pas membres en règle du syndicat
demandeur; et même si l'enquête révélait une majorité
prima facie, elle demande quand même un vote secret.
Actuellement, le Conseil ne dispose pas de renseigne-
ments relatifs aux autres faits, qui lui permettraient de
connaître exactement la situation; le Conseil devra donc se
prononcer sur cette question après l'audition de la preuve.
En ce qui concerne l'Irvingwood, il existe une majorité
prima facie et une décision devra être prise à ce sujet après
l'audition de la preuve.
Bien que plusieurs occasions aient été offer-
tes aux avocats représentant la Kent Line, à
l'exception de la pièce 29 aucune preuve rela
tive à cette question, qui aurait pu indiquer un
changement survenu après la fin d'août, n'a été
présentée.
Dans son jugement rendu le 18 janvier 1972,
le Conseil déclare, à la page 352:
Le Conseil conclut qu'une unité d'employés de l'intimée à
bord de ce navire est habile à négocier collectivement; ce
groupe d'employés non brevetés comprend le maître d'équi-
page, le préposé aux pompes, le matelot 2e classe, le grais-
seur, le chef cuisinier, le garçon de carré, l'aide garçon de
carré. Une ordonnance sera émise, accréditant le deman-
deur agent négociateur de l'unité d'employés de la répon-
dante décrite ci-dessus qui travaillent à bord du navire
drvingwood.
Et l'ordonnance émise par le Conseil le 8
février 1972 énonce que:
ET ATTENDU QUE, après enquête et étude de la
demande ainsi que des observations des parties en cause, le
Conseil a constaté que le demandeur est un syndicat ouvrier
au sens où l'entend ledit Code et a jugé que l'unité décrite
ci-après est habile à négocier collectivement et s'est assuré
qu'une majorité des employés dudit employeur, faisant
partie de l'unité en question, sont membres en règle du
syndicat demandeur; ...
On notera que, tant dans le jugement que
dans l'ordonnance, on emploie le temps présent
lorsqu'on veut parler de la conviction du Con-
seil qu'une majorité du personnel de l'unité était
formée de membres du syndicat.
Si l'on considère que la déclaration du prési-
dent du Conseil au début de l'audition se rap-
porte à la situation prévalant au 4 août 1971,
comme l'ont suggéré les avocats représentant la
Kent Line, et compte tenu de ce que nous
apprend la pièce 29 relativement à la situation
prévalant à la fin d'août 1971, ainsi que des
occasions offertes aux parties de démontrer que
des changements importants s'étaient produits
avant l'audition et du défaut des parties dans
l'intérêt desquelles il aurait fallu établir l'exis-
tence de tels changements, s'ils se sont effecti-
vement produits, il ne me semble pas qu'on
puisse prétendre que le Conseil n'avait pas en
mains les éléments de preuve lui permettant de
conclure qu'aucun changement significatif n'é-
tait survenu relativement au personnel de l'unité
de négociation entre le 4 août et la date de
l'audition. Je crois que le Conseil était en droit
de présumer que la situation n'avait pas changé,
puisque les parties ayant des intérêts à protéger
n'avaient pas présenté de preuve d'un change-
ment important. D'après les documents déposés
devant la Cour, je ne vois pas non plus de
raison de croire que le Conseil n'a pas effective-
ment étudié la situation tant au moment de la
demande et de l'audition que pendant l'inter-
valle. Lors de l'audition devant le Conseil, les
deux parties ont déclaré que la date de la
demande était la seule date pertinente. Mais
même cela ne me convainc pas que le Conseil
ne s'est pas interrogé sur la situation qui préva-
lait entre ce moment-là et celui de l'audition,
aussi bien que sur celle qui prévalait au moment
de l'audition elle-même.
Pour ces motifs, la requête de la demande-
resse n'est pas justifiée.
Je suis d'avis de rejeter la demande.
* * *
LE JUGE CATTANACH—Je fais miens les
motifs retenus par mon collègue pour rejeter la
demande en révision concernant la conclusion
du Conseil portant que la Kent Line Limited
n'est pas l'employeur, sauf à bord du navire
Irvingwood. J'ai peu de chose à ajouter à ces
motifs, sinon que j'accepte au départ que le
devoir du Conseil est de déterminer qui est
l'employeur véritable aux fins de la négociation
collective.
Il est clair que le Conseil s'est posé la ques
tion à savoir si la Kent Line Limited était cet
employeur et qu'il y a répondu par la négative.
A mon avis, il y avait suffisamment d'élé-
ments de preuve soumis au Conseil pour lui
permettre d'arriver à une telle conclusion sur
cette question de fait. De même, à mon avis, le
Conseil ne s'est pas trompé en évaluant la ques
tion de droit portant sur les relations entre le
commettant et préposé.
Je crois aussi qu'on ne peut plaider une fin de
non-recevoir étant donné les circonstances par-
ticulières entourant cette demande en révision,
à partir du fait, que je prends comme point de
départ, que le devoir du Conseil est d'identifier
l'employeur véritable. C'est, à mon avis, l'inten-
tion du Code canadien du travail, d'où il ressort
que tel est le devoir que la loi impose au Con-
seil. On ne saurait se prévaloir d'une fin de
non-recevoir pour écarter un devoir statutaire.
De plus, les éléments essentiels pour plaider
la fin de non-recevoir n'existent pas ici. Aucune
prétention n'a été adressée au Syndicat interna
tional des marins canadiens quant à la qualité
d'employeur de la Kent Line. Il est contestable
qu'on l'ait prétendu aux matelots pris indivi-
duellement' et, même si l'on tient cela pour
acquis, ces derniers n'ont pas eu à en souffrir
du point de vue financier, pas plus que cela n'a
entraîné de préjudice susceptible d'être évalué
en argent.
C'est pour ces motifs, brièvement exprimés,
que je souscris au rejet de la demande.
Quant à la demande présentée par la Kent
Line Limited pour faire annuler la conclusion
du Conseil selon laquelle une majorité du per
sonnel non breveté à bord de l'Irvingwood était
à l'emploi de la Kent Line Limited, au motif
que le Conseil aurait commis une erreur de droit
en concluant qu'une telle majorité existait à la
date de présentation de la demande d'accrédita-
tion, plutôt qu'à la date de l'audition de la
demande, je souscris également à son rejet.
Au début de l'audition, le président du Con-
seil a déclaré que, prima facie, une telle majo-
rité existait à la date de la demande et qu'il
prendrait en considération tout élément de
preuve au contraire.
Il était loisible à la demanderesse de faire une
telle preuve.
Si je me rappelle bien la transcription des
témoignages présentés devant le Conseil, la
demanderesse n'a pas profité de l'occasion qui
lui était offerte de faire la preuve d'une situa
tion différente à la date de l'audition.
A mon avis, il faut convenir non seulement
que le Conseil a jugé que la preuve prima facie
portant que, à la date de la demande, il existait
une majorité, n'a pas été réfutée, mais encore
que, dans ce cas particulier, la situation tou-
chant les employés n'a pas fait l'objet de chan-
gements importants jusqu'à la date de l'audi-
tion, puisque l'on doit présumer que le Conseil,
en rendant son jugement, a agi en conformité
des principes applicables et a examiné tout ce
qu'il était tenu d'examiner.
C'est pour ces motifs, brièvement exprimés
aussi, que je conclus de même au rejet de cette
demande.
* * *
LE JUGE KERR—J'estime qu'il n'a pas été
démontré qu'en établissant que la Kent Line
Limited n'était pas l'employeur du personnel
non breveté travaillant à bord des cinq navires
Irvingstream, Irving Ours Polaire, Aimé Gau-
dreau, H-1060 et H-1070, le Conseil aurait fait
une mauvaise appréciation de la preuve, ou
commis une erreur de droit ou autre. Il me
semble que le Conseil a utilisé tous les critères
applicables pour déterminer s'il existait un rap
port employeur-employé entre la Kent Line
Limited et les employés intéressés à bord de ces
navires; je crois aussi que le Conseil a pris
bonne note de la signification et du sens général
du mot «employeur», utilisé dans la Partie V du
Code canadien du travail, et qu'il existait une
preuve suffisante à étayer la décision du
Conseil.
Je suis aussi d'avis que la Kent Line Limited
n'était pas irrecevable à soutenir devant le Con-
seil qu'elle n'était pas l'employeur desdits
employés, ou à présenter la preuve de cette
allégation, et que le Conseil était fondé à retenir
cette preuve. Il me semble que les fins de
non-recevoir ne devraient pas s'appliquer quand
leur utilisation pourrait amener le Conseil à
conclure que la Kent Line Limited était l'em-
ployeur, si en fait elle ne l'était pas, et la preuve
présentée tendait à démontrer que tel était le
cas, car une application des fins de non-recevoir
ayant un tel résultat pourrait entraver considé-
rablement la réalisation des objectifs visés par
les dispositions du Code canadien du travail
concernant la négociation collective.
D'après les éléments qui ont été présentés
devant cette Cour, je ne puis trouver aucun
motif sur lequel la Cour pourrait se fonder pour
écarter ladite conclusion du Conseil. La
demande doit donc être rejetée.
Je souscris aussi au rejet de la demande de la
Kent Line Limited.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.