Marjorie Hexter Stein, en son nom ainsi qu'en
qualité de veuve de feu Charles Simmon Stein et
de co-exécutrice de la succession de ce dernier,
Maurice Schwarz et William I. Stein, co-exécu-
teurs de ladite succession (Demandeurs)
c.
Les navires Kathy K (connu également sous le
nom de Storm Point) et S.N. N°11, l'Egmont
Towing & Sorting Ltd., la Shields Navigation
Ltd., Leonard David Helsing et James Iverson
(Défendeurs)
Division de première instance, le juge Heald—
Vancouver (C.-B.), les 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 et
12 avril; Ottawa, le 2 mai 1972.
Droit maritime—Limitation de la responsabilité du pro-
priétaire—Abordage de navires—Équipage insuffisant—
Aucune commande de sifflet—Le président directeur général
de la compagnie propriétaire connaissait ces faits—Loi sur
la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, c. S-9, art.
647.
M. Stein s'est noyé à la suite de l'abordage de son voilier
et d'une péniche sans équipage touée par un remorqueur
dans la baie English à Vancouver. La Egmont Towing Co.
possédait la péniche et le remorqueur et la Shields Naviga
tion Ltd. les gérait; M. Shields était président directeur
général des deux compagnies. Dans l'action en dommages
intentée par la veuve Stein, la Cour a établi qu'à la fois les
équipages du remorqueur et du voilier avaient été négligents
et a attribué 75% de la faute au remorqueur et 25% au
voilier. Les deux compagnies défenderesses ont présenté
une demande reconventionnelle pour limiter leur responsa-
bilité aux termes de l'article 647 de la Loi sur la marine
marchande du Canada au motif que l'abordage s'était pro-
duit sans qu'il y ait faute ou complicité réelle du propriétaire
du remorqueur. La Cour a établi que le propriétaire a été
négligent en permettant au remorqueur de naviguer avec un
équipage inférieur à l'équipage minimum fixé à trois mem-
bres et sans commande de sifflet et que sa négligence a
contribué à l'accident.
Arrêt: les deux compagnies défenderesses n'ont pas le
droit de limiter leur responsabilité.
ACTION et demande reconventionnelle.
J. Cunningham et P. Bernard pour les
demandeurs.
D. Brander Smith et J. A. Hargrave pour les
défendeurs.
LE JUGE HEALD—La présente action a été
intentée en vertu de la Partie XVII de la Loi sur
la marine marchande du Canada (S.R.C. 1970,
c. S-9), au nom de la veuve et des enfants de
feu Charles Simmon Stein, tué lors d'un abor-
dage entre un voilier et la péniche sans équipage
S.N. N° I que le remorqueur Storm Point tirait
le 27 juin 1970, dans les eaux de la baie English
à Vancouver.
Le défendeur, M. Helsing, agissait en qualité
de capitaine du remorqueur et était assisté par
un matelot de pont, James Iverson, qui, depuis
l'abordage, est mort des blessures subies dans
un accident d'automobile en novembre 1970.
La poursuite contre Iverson a été
abandonnée.
Le voilier était un 5-0-5 de 161 pieds de long
et, à toutes les époques en cause, le fils du
défunt, M. Ross Stein, en était le patron tandis
que le défunt agissait comme homme
d'équipage.
A toutes les époques en cause, le remorqueur
et la péniche appartenaient à la défenderesse
Egmont Towing and Sorting Ltd. et étaient
exploités par la défenderesse Shields Naviga
tion Ltd.
Les avocats de toutes les parties ont accepté
à l'instruction de limiter la preuve aux questions
portant sur (1) la responsabilité de l'abordage et
(2) le point de savoir si les défendeurs ont le
droit de limiter leur responsabilité en vertu de la
Loi sur la marine marchande du Canada. Les
avocats sont également convenus de reporter à
une audience ultérieure (1) la question de l'éva-
luation des dommages-intérêts auxquels les
demandeurs ont droit et, s'il est rendu une déci-
sion limitant la responsabilité, (2) celle de la
détermination de la valeur équivalente en mon-
naie canadienne du «franc or» défini dans la
Loi sur la marine marchande du Canada.
L'abordage s'est produit vers 3h35 (15h35)
un samedi après-midi, alors que la visibilité était
bonne et qu'il y avait de légers vents variables.
Le soleil brillait et l'atmosphère était pure. Le
document des défendeurs exposant les faits
indique une visibilité d'environ 10 milles.
C'était le jusant et le courant était faible, car
cela se passait une heure après la pleine mer. Le
capitaine Helsing a décrit la situation de- la
façon suivante: [TRADUCTION] Al y avait beau-
coup d'eau dans la baie English à ce
moment-là».
Le défunt et son fils, M. Ross Stein, avaient
quitté leur domicile de Beverly Hills (Califor-
nie) pour arriver à Vancouver le 26 juin 1970
afin de participer aux régates internationales
des 5-0-5 qui devaient commencer le 28 juin
1970. Ladite course était organisée par le Kitsi-
lano Yacht Club de Vancouver et devait avoir
lieu dans la baie English.
Le 27 juin, dans l'après-midi, les deux Stein
ont mis leur 5-0-5 l'eau et ont participé à une
course d'essai non officielle organisée par le
Yacht Club. Après ladite course, les Stein ont
continué à faire de la voile pour mieux connaî-
tre la baie English et c'est au cours de cet
exercice que la collision en question s'est
produite.
Le remorqueur Storm Point se trouvait,
depuis le 23 juin, près de la côte à quelque 100
milles au nord de Vancouver, et était engagé
dans une opération de pose de câbles. Le 27
juin, il revenait à Vancouver, entrait dans le
ruisseau False avec la péniche S.N. N° 1 char
gée et accostait près des entrepôts Johnston qui
sont situés sur la rive sud du ruisseau False
entre le pont de la rue Granville et celui de la
rue Cambie (immédiatement à l'ouest de ce
dernier).
Il accosta à 13h30. On déchargea alors la
cargaison de la péniche. Durant toute la période
où il s'est tenu près de la côte, le remorqueur
eut pour capitaine M. Greenfield. Pendant le
déchargement aux entrepôts Johnston, le capi-
taine Greenfield est entré en contact avec M.
Peter Shields, président de la défenderesse
Shields Navigation Ltd., et a obtenu l'autorisa-
tion de rester à terre et de laisser le remorqueur
et la péniche sous le commandement du défen-
deur M. Helsing et de feu le matelot Iverson qui
devaient prendre le remorqueur et la péniche
déchargée en remorque et leur faire franchir la
baie English, contourner le parc Stanley et tra-
verser le Premier Goulet pour les emmener au
chantier naval Bel-Aire à North Vancouver.
Avec à son bord M. Helsing en qualité de
capitaine et Iverson pour tout équipage, le
remorqueur tirant la péniche déchargée a quitté
les entrepôts Johnston à 15h15.
Le Storm Point était un remorqueur côtier, à
un pont, muni d'une seule hélice, il était cons-
truit en bois et avait 49 pieds de long. La
péniche S.N. N° 1 avait, à toutes les époques en
cause, environ 80 pieds de long et 40 pieds de
large. Le remorqueur avait approximativement
15 pieds de large et était propulsé par un
moteur de 300 à 350 h.p.
La preuve confirme que, lorsque le remor-
queur et sa remorque ont quitté les entrepôts
Johnston, la péniche était attachée à l'arrière du
remorqueur au plus près, c'est-à-dire que l'a-
vant de la péniche était à moins de 5 ou 6 pieds
de l'arrière du remorqueur. C'était la façon nor-
male de naviguer dans le ruisseau False. Le
remorqueur a quitté les entrepôts Johnston et
s'est mis en route à une vitesse réduite d'envi-
ron 3 à 4 noeuds.
En atteignant un point légèrement à l'ouest du
pont Burrard, Iverson, le matelot de pont, a, sur
les instructions du capitaine Helsing, laissé filer
le câble de remorque sur une longueur d'envi-
ron 150 pieds. Le matelot a terminé ce travail à
un endroit situé juste à l'ouest de la pointe de
Kitsilano, puis il a rejoint le capitaine Helsing à
la timonerie.
Selon la preuve, il est nécessaire d'augmenter
la vitesse lorsqu'on laisse filer le câble de
remorque, ce que M. Helsing a alors fait. M.
Helsing a également apporté la preuve qu'avant
le lâchage du câble de remorque, il allait à une
vitesse d'environ 4 noeuds. Il a également
déclaré dans sa déposition qu'entre le «pont
tournant» (figurant à la pièce 53 sous le nom de
«pont de chemin de fer de Kitsilano») sous
lequel il est passé avant d'emprunter le pont
Burrard et la «Pointe» (également indiquée à la
pièce 53), il y avait un grand nombre de petits
bâtiments dans le ruisseau False. Ils circulaient
dans tous les sens. M. Helsing a également
fourni la preuve (question n° 289 de l'interroga-
toire préalable) que, peu de temps après être
passé sous le pont Burrard, il a remarqué une
concentration de voiliers par tribord avant à
environ 5; ou 7 encablures.
M. Helsing a également déclaré qu'à la
pointe, le trafic était beaucoup moins dense,
qu'il n'y avait pas beaucoup de circulation sur
sa route et que celle-ci était très faible à bâbord
(question n° 331 de l'interrogatoire de M.
Helsing).
Il a déclaré que les voiliers se trouvaient à
environ 45 degrés par tribord avant entre le
moment où il les a vus et celui de l'abordage. Il
a dit que l'un des voiliers semblait dériver et
filer dans la même direction générale que lui
alors qu'il était à environ 4/10 de mille de lui.
Lorsque ce navire a été à environ 1,000 pieds
par tribord avant, il a modifié sa route de 15
degrés à bâbord. Ce changement n'a été nulle-
ment signalé.
Vers le même moment, M. Helsing s'est
inquiété de l'éventualité d'un abordage, il a aus-
sitôt quitté la timonerie et s'est rendu à la
passerelle haute où, dit-il, il avait un meilleur
point de vue sur la situation. Au même moment,
Iverson, suivant les ordres de M. Helsing, a
également quitté la timonerie et est retourné
auprès du treuil pour relâcher quelque peu le
câble de remorque. L'intention de M. Helsing
était de permettre au voilier de passer à l'arrière
du remorqueur entre celui-ci et la péniche et
d'atténuer l'impact en cas d'abordage. M. Hel -
sing a également réduit sa vitesse graduellement
à l'aide de la commande des gaz installée sur la
passerelle haute et il l'a fait graduellement pour
empêcher sa remorque de faire des embardées
ou d'échapper à son contrôle.
Lorsque les deux Stein ont vu le remorqueur
pour la première fois, ils étaient en train de
commencer à descendre le spinnaker. M. Ross
Stein a immédiatement changé de route sur la
gauche pour passer nettement à tribord du
remorqueur et, après avoir effectué ce change-
ment de direction, il s'est trouvé directement en
face de la péniche. M. Ross Stein, en godillant
avec le gouvernail, a essayé d'aller encore plus
sur la gauche afin d'éloigner le voilier de la
péniche, mais celle-ci avait encore de la vitesse
et elle a frappé fort le voilier. Ce dernier a été
frappé par l'avant de la péniche à un endroit
situé à tribord au centre.
L'abordage s'est produit vers 15h35. La
preuve établit qu'il a eu lieu à un endroit situé à
mi-chemin entre la piscine de Kitsilano et la
piscine Second Beach telles qu'elles figurent à
la pièce 53. En d'autres termes, on peut dire
que l'abordage s'est produit là où les expres
sions «secteur blanc, secteur rouge, secteur
vert» se trouvent sur la pièce 53. Avant l'abor-
dage, le voilier, le remorqueur et sa remorque
allaient vers cet endroit, le premier venant des
eaux situées au large de la Second Beach et les
seconds quittant l'embouchure du ruisseau
False.
Je vais maintenant énumérer les actes de
négligence qui, à mon avis, ont constitué les
facteurs déterminants de cet abordage.
FAUTES DU STORM POINT
1. Le capitaine Helsing a été négligent en
laissant trop filer le câble de remorque et trop
tôt, compte tenu des circonstances du moment
(grand encombrement de voiliers); ces deux
négligences ont contribué dans une large
mesure à l'abordage.
Le capitaine Greenfield a déclaré dans sa
déposition que les zones du ruisseau False et de
la baie English étaient très encombrées l'été en
fin de semaine. Le capitaine Helsing a égale-
ment reconnu qu'il n'était pas rare que, le
samedi après-midi en juin, il y ait un trafic
considérable de voiliers. Le capitaine Green-
field a déclaré: [TRADUCTION] «Cela peut deve-
nir assez effrayant». Il a ajouté que, lorsque la
circulation était vraiment embouteillée, sa tech
nique consistait à maintenir sa remorque au plus
près et à une faible vitesse d'environ 3 noeuds.
La raison de ceci, c'est qu'on peut arrêter la
péniche si elle est très proche et si elle a une
vitesse de 2 ou 3 noeuds. Il a déclaré: [TRADUC-
TION] «Avec 150 pieds de câble, il n'y a pas
moyen de l'arrêter».
Il semble exister trois façons de remorquer
une péniche. Il y a la méthode au plus près
selon laquelle on laisse environ 5 ou 6 pieds de
câble de remorque entre l'arrière du remorqueur
et la péniche. C'est la méthode que le capitaine
Greenfield déclare adopter généralement et
c'est celle que le capitaine Helsing a utilisée en
quittant les entrepôts Johnston. Il y a une autre
méthode utilisée parfois qui consiste à amarrer
la péniche le long du remorqueur. La troisième
méthode consiste à lâcher une certaine longueur
du câble de remorque. La preuve établit que la
plupart des remorqueurs passent de la première
méthode à la troisième une fois qu'ils ont quitté
les zones encombrées et qu'ils sont au large.
Toutefois, en l'espèce, M. Helsing savait qu'il
devait vraisemblablement y avoir un embouteil-
lage de voiliers dans la baie English et que
c'était la règle plutôt que l'exception; sachant
cela, il a néanmoins laissé filer 150 pieds du
câble de remorque avant de doubler la pointe.
On lui a demandé d'indiquer sur la pièce 52
l'endroit où le matelot de pont avait quitté le
treuil, ce qui était un indice que le câble de
remorque avait été lâché, et il a désigné cet
endroit comme se trouvant juste à l'ouest du
pont Burrard, bien avant la pointe. Le capitaine
Greenfield a déclaré que la façon d'agir normale
aurait été de lâcher les 150 pieds après avoir
doublé la pointe, et alors seulement, si les con
ditions du trafic le permettaient.
Si le capitaine Helsing s'était abstenu de
lâcher le câble de remorque avant de doubler la
pointe, comme il aurait dû le faire, il n'aurait
probablement jamais laissé filer le câble en
voyant, à ce moment-là, l'encombrement de voi-
liers par tribord avant. Selon la preuve, il a vu
les voiliers peu de temps après être passé sous
le pont Burrard et bien avant d'atteindre la
pointe.
Les assesseurs m'ont également informé que
150 pieds de câble de remorque même après la
pointe constituaient une longueur peu raisonna-
ble à cet endroit de la baie English, dans des
circonstances semblables, car il y avait un grand
trafic de voiliers, et que 40, 50 ou 60 pieds
auraient constitué une longueur plus raisonna-
ble. Plus on lâchait le câble de remorque, moins
on contrôlait la péniche. Avec un câble de
remorque de 150 pieds, M. Helsing augmentait
les risques pour les autres navires, puisqu'il ne
pouvait plus commander la péniche.
2. Le capitaine Helsing menait le remorqueur
et la remorque à une vitesse excessive, compte
tenu de toutes les circonstances, entre le
moment où il a lâché le câble de remorque et
celui de l'abordage.
Il existe un certain désaccord à propos de la
preuve concernant la vitesse. M. Ross Stein a
évalué la vitesse du Storm Point à environ 6 ou
8 noeuds. Il était habitué, a-t-il dit, à voir le
trafic maritime évoluer dans le port de Los
Angeles à la fois à 5 et à 8 noeuds, parce que ce
port comporte des zones où la vitesse est limi-
tée. En se fondant sur cette expérience, il a fait
l'évaluation mentionnée de la vitesse du Storm
Point. M. Helsing lui-même a estimé que la
vitesse du remorqueur ne dépassait pas 5
noeuds, mais il ne s'agit là que d'une estimation
approximative, car il ne connaissait pas le rap
port entre la vitesse et le nombre de tours par
minute, et il a simplement augmenté les gaz.
Considérant l'ensemble de la preuve, je pense
que l'estimation de M. Helsing est trop faible. Il
a déclaré dans sa déposition que sa vitesse était
de 4 noeuds avant le lâchage du câble de remor-
que. Il a également reconnu qu'il a accéléré en
lâchant ce câble. Entre les entrepôts Johnston
et le lieu de l'abordage, il y a une distance
d'environ 1.8 milles qu'il a franchie en 20 minu
tes. Cela représente une vitesse moyenne de 5.4
noeuds pour toute la distance. Quand on consi-
dère qu'entre les entrepôts Johnston et l'endroit
où le câble de remorque a été lâché, la vitesse
était de 3 à 4 noeuds, il est évident qu'entre ces
deux points, le remorqueur a dû augmenter con-
sidérablement sa vitesse pour réaliser une
moyenne proche de 51 noeuds sur tout le par-
cours. La preuve établit que le remorqueur
allait approximativement à une vitesse deux fois
plus élevée que celle du voilier entre le moment
où il l'a aperçu pour la première fois et celui de
l'abordage. On a fixé la vitesse du voilier de 3 à
31 noeuds.
Considérant l'ensemble de la preuve, je suis
d'avis que le remorqueur allait à une vitesse de
7 à 71 noeuds jusqu'à ce qu'il ralentisse juste
avant l'abordage. M. Helsing a accéléré trop tôt,
compte tenu en particulier de l'encombrement
de voiliers devant lui. Je cite le témoignage du
capitaine Greenfield qui, lorsque la circulation
était encombrée, avait pour principe de mainte-
nir la remorque au plus près et d'aller à une
vitesse de 3 noeuds. En allant à une vitesse de 7
ou de 7 4 noeuds dans des eaux encombrées, M.
Helsing filait à une allure excessive qui a contri-
bué à l'abordage puisqu'il n'a pu arrêter sa
remorque. Sa vitesse a influé sur celle à laquelle
la péniche a frappé le voilier, ce qui a donc
contribué à la gravité de l'accident.
3. Le capitaine Helsing a été négligent en ne
modifiant pas sa route à bâbord plus tôt et en
n'effectuant pas un changement nettement plus
important; cette négligence a contribué dans
une large mesure à l'accident.
La pièce 50 révèle que c'est vers le point qui
porte le n° 1 sur cette pièce et qui est situé par
le travers de la piscine Chrystal que M. Helsing
dit avoir vu pour la première fois les voiliers à
environ 5 à 7 encâblures de lui.
Le point n° 5 indique le lieu approximatif de
l'abordage. La distance entre le point n° 1 et le
point n° 5 est d'environ 4 encâblures. La carte
annotée de cette zone indique qu'il aurait dû
changer de route vers bâbord par 30 degrés au
point n° 1 et qu'il aurait même pu accentuer ce
changement au fur et à mesure qu'il s'éloignait.
Le fait est qu'il a attendu de se trouver à
environ mille pieds du voilier des Stein pour
modifier sa route, et il ne l'a alors changée que
de 15 degrés sur la gauche. Selon ses explica
tions, il n'a pas effectué un changement plus
grand, car il voulait être sûr de ne pas aller vers
de mauvais fonds. Je ne considère pas cette
explication raisonnable. Il aurait dû savoir, d'a-
près son expérience de la baie English, qu'un
changement beaucoup plus important était réali-
sable. S'il n'avait pas appris cela à l'aide de son
expérience passée, il aurait dû consulter ses
cartes qui lui auraient clairement indiqué qu'il
pouvait changer de route par au moins 30
degrés à tout moment après le point n° 1. La
preuve établit également qu'il n'y avait pas de
circulation à l'avant ni à bâbord (question n°
331 de l'interrogatoire). En conséquence, il a
été encore plus négligent en ne changeant pas
de route assez tôt. Il aurait dû en changer dès le
point n° 1. Il n'en a rien fait jusqu'au point n° 4.
La distance entre le point n° 1 et le point n° 4
est d'environ 21 encâblures, soit 1,500 pieds.
S'il avait changé de route à n'importe quel
moment entre le point n° 1 et le point n° 4, il
aurait pu en changer par 30 degrés ou plus et
aurait placé à la fois le remorqueur et la péniche
complètement à l'écart du voilier. En fait, au
point n° 4, les experts m'ont appris qu'il aurait
pu changer de route à bâbord par 90 degrés
sans mettre son navire en danger. Son navire
avait un tirant d'eau maximum de 7'6". On se
trouvait également au plus haut niveau de la
pleine mer, qui dépassait 11 pieds, ce qui lui
aurait permis de dériver davantage. A mon avis,
M. Helsing s'est rendu coupable de ne pas
suivre correctement les pratiques de la naviga
tion, ce qui a contribué d'une façon très directe
et déterminante à l'abordage. Il savait que les
voiliers étaient là. Par rapport à lui, ils se trou-
vaient à 45 degrés par tribord avant, de l'endroit
où il les a vus à celui de l'abordage. Le bateau
des Stein a conservé le même relèvement alors
qu'il arrivait vers lui (question nos 347 350 de
l'interrogatoire), et cependant il n'a absolument
rien fait, alors même qu'il risquait de l'aborder,
avant d'en être à environ 1,000 pieds. En consé-
quence, sa réaction a été nettement [TRADUC-
TION] «trop faible et trop tardive».
4. Le capitaine Helsing a été négligent en
n'observant pas la Règle 20a) des Règles pour
prévenir les abordages en mer (ci-après dési-
gnées les Règles sur les abordages)'. Les défen-
deurs ont soutenu que ce n'est pas la Règle 20a)
mais la Règle 20b) qui s'applique en l'espèce,
parce que l'abordage en question s'est produit
dans un «chenal étroit».
Voici l'extrait de la Règle 20 qui nous
intéresse:
a) Lorsque deux navires l'un à propulsion mécanique et
l'autre à voiles, courent de manière à risquer de se rencon-
trer, le navire à propulsion mécanique doit s'écarter de la
route du navire à voiles, sauf exceptions prévues aux Règles
24 et 26.
b) Cette règle ne donne pas à un navire à voiles le droit de
gêner le libre passage dans un chenal étroit d'un navire à
propulsion mécanique qui ne peut naviguer qu'à l'intérieur
d'un tel chenal.
En conséquence, il est nécessaire de détermi-
ner si le remorqueur Storm Point et la péniche
naviguaient dans un «chenal étroit» immédiate-
ment avant l'abordage et au moment de celui-ci.
La jurisprudence précise bien qu'un «chenal
étroit» correspond à ce que les marins, dans la
pratique, considèrent d'office comme un chenal
étroit, c'est-à-dire se définit en fonction de la
façon dont les marins en fait le traitent et s'y
comportent 2 .
Les avocats des deux parties ont reconnu que
j'avais le droit de demander et de suivre les
conseils des assesseurs en ce qui concerne cette
pratique. Les assesseurs m'ont indiqué que,
dans le cas présent, le ruisseau False est consi-
déré comme un chenal étroit, mais qu'à partir
d'un point situé par le travers de la piscine
Chrystal sur la pièce 50, cette étendue d'eau
n'est plus considérée comme un chenal étroit.
C'est-à-dire qu'à partir approximativement du
point n° 1 sur la pièce 50, le remorqueur n'était
plus dans un chenal étroit. M. Helsing a calculé
que le point n° 1 était à environ 5 4 encablures
des voiliers lorsqu'il les a vus pour la première
fois. Il est donc évident qu'en ces circonstan-
ces, les voiliers avaient le droit de passage aux
termes de la Règle 20 et que le remorqueur était
tenu de s'écarter de la route du voilier des
Stein, ce qu'il a omis de faire. Cette omission et
cette négligence de la part du remorqueur ont
nettement constitué l'une des causes de
l'abordage.
5. Le capitaine Helsing et le matelot de pont
Iverson ont négligé de mettre en oeuvre une
veille appropriée, contrairement aux disposi
tions de la Règle 29 des Règles sur les aborda-
ges, et la violation de cette règle est dans une
certaine mesure à l'origine de l'abordage.
Voici la Règle 29:
Négligence.
Rien de ce qui est prescrit dans les présentes Règles ne
doit exonérer un navire, ou son propriétaire, ou son capi-
taine, ou son équipage, des conséquences d'une négligence
quelconque, soit au sujet des feux ou des signaux, soit dans
la mise en oeuvre d'une veille appropriée, soit enfin au sujet
de toute précaution que commandent l'expérience ordinaire
du marin et les circonstances particulières dans lesquelles se
trouve le navire.
L'un des éléments troublants de l'espèce est
le fait que M. Helsing n'a pas manoeuvré plus
tôt. Il savait qu'il pouvait s'attendre à une con
centration de voiliers dans la baie English, il
savait qu'elle présenterait pour lui des risques et
il a vu une concentration de voiliers aussitôt
après être passé sous le pont Burrard, alors qu'il
s'en trouvait encore à plus d'un demi-mille.
Iverson et lui ont discuté de la présence des
voiliers, il les a vus se diriger vers lui selon une
route constante de 45 degrés, et cependant, il
n'a effectué aucune manoeuvre quelle qu'elle
soit jusqu'à ce que le voilier des Stein se trouve
de 900 à 1,000 pieds de lui. Cette absence de
manoeuvre nous permet certainement de con-
clure que M. Helsing et Iverson n'avaient pas
mis en oeuvre une veille appropriée, qu'ils ont
dû penser à autre chose et que cette négligence
évidente de leur part a été l'une des causes de
l'abordage.
6. Le Storm Point a violé la Règle sur les
abordages n° 28a) dont voici le texte:
a) Lorsque des navires sont en vue l'un de l'autre, un
navire à propulsion mécanique faisant route doit, en chan-
geant sa route conformément à l'autorisation ou aux pres
criptions des présentes Règles indiquer ce changement par
les signaux suivants émis au moyen de son sifflet:
Un son bref pour dire: «Je viens sur tribord»;
Deux sons brefs pour dire: «Je viens sur bâbord»;
Trois sons brefs pour dire: «Mes machines sont en
arrière».
Selon la preuve, M. Helsing a fait un change-
ment de 15 degrés sur la gauche alors qu'il se
trouvait de 900 à 1,000 pieds du bateau des
Stein et il ne l'a pas signalé à l'aide du sifflet ou
autrement. On peut discuter le fait de savoir si
cette violation, en soi, a été l'une des causes de
l'abordage, cependant elle est certainement
révélatrice de l'attitude imprévoyante de M.
Helsing face à la situation dans laquelle il s'est
trouvé. En fait, il a admis à la barre qu'il ne
savait pas où se trouvait le bouton du sifflet de
sorte qu'il n'aurait pas pu l'actionner s'il l'avait
voulu sans d'abord le chercher autour de lui et
le trouver. Il avait été pendant plusieurs jours
officier en second sur le remorqueur lorsque
celui-ci était engagé dans l'opération de pose de
câbles, au nord de Vancouver, et à cette occa
sion il en avait été le capitaine sur un trajet de
2h30 dans des eaux encombrées. Il est certain
qu'un minimum de prudence de sa part l'aurait
poussé à se familiariser avec toutes les com-
mandes et avec leur emplacement avant de
commencer le voyage.
Comment un capitaine raisonnablement pru
dent et raisonnablement compétent se serait-il
comporté après avoir aperçu les voiliers? Au
point n° 1 sur la pièce 50, il aurait fait un
changement de 30 degrés sur la gauche, il aurait
réduit sa vitesse et lancé deux sons brefs à
l'aide de son sifflet conformément à la Règle
28a). Il n'en a rien fait et cette omission consti-
tue certainement une des causes de l'abordage.
Alors, par la suite, après qu'il eut effectué le
changement de 15 degrés sur la gauche et que le
voilier des Stein eut changé de route également
sur la gauche et se fut mis approximativement
en parallèle et par le travers du remorqueur,
celui-ci n'étant que de 50à 100 pieds de lui, il
aurait dû lancer cinq sons brefs pour avertir le
voilier de la présence du remorqueur et de la
péniche. A cette courte distance, il aurait pu
également crier pour signaler au voilier la péni-
che en remorque. Il n'en a rien fait et s'est
rendu ainsi coupable d'une violation de la Règle
12 des Règles sur les abordages dont voici le
texte:
Tout navire ou hydravion amerri peut, pour appeler l'at-
tention et si nécessaire, montrer en plus des feux prescrits
par les présentes Règles, un «flare-up light» ou faire usage
de tout signal détonnant ou de tout autre signal sonore
efficace ne pouvant être confondu avec aucun autre signal
autorisé par ailleurs dans les présentes Règles.
Le Storm Point a également violé les autres
Règles sur les abordages que voici:
A. Partie D—Préliminaires.
1. Toute manoeuvre décidée en application ou par suite
de l'interprétation des présentes Règles doit être exécutée
franchement, largement à temps, et comme doit le faire un
bon marin.
2. Le risque de collision peut, quand les circonstances le
permettent, être constaté par l'observation attentive du relè-
vement au compas d'un navire qui s'approche. Si ce relève-
ment ne change pas d'une façon appréciable, on doit en
conclure que ce risque existe.
B. Règle 22.
Tout navire qui est tenu, d'après les présentes Règles, de
s'écarter de la route d'un autre navire, doit, autant que
possible, manoeuvrer de bonne heure et franchement pour
répondre à cette obligation et doit, si les circonstances le
permettent, éviter de couper la route de l'autre navire sur
l'avant de celui-ci.
C. Règle 23.
Tout navire à propulsion mécanique qui est tenu d'après
les présentes Règles de s'écarter de la route d'un autre
navire, doit, s'il s'approche de celui-ci, réduire au besoin sa
vitesse ou même stopper ou marcher en arrière si les
circonstances le rendent nécessaire.
M. Helsing a également violé les règles sui-
vantes des Règlements du Conseil des ports
nationaux 3 .
35. (1) Aucun navire ne peut marcher dans le port à une
allure susceptible de mettre en danger la vie humaine ou la
propriété.
37. (1) Tout navire qui en remorque un autre doit possé-
der une puissance suffisante pour lui permettre de bien
accomplir ce travail et doit, en tout temps, rester aussi
maître que possible du remorqué.
FAUTES DU VOILIER
1. L'équipage du voilier 5-0-5 des Stein a été
négligent dans la mesure où il a omis de mettre
en oeuvre une veille appropriée. Selon la preuve,
M. Ross Stein, le patron, et son père, son
homme d'équipage, s'appliquaient à aligner leur
voilier sur les deux autres qui naviguaient près
d'eux. Je pense qu'ils se préoccupaient trop de
la marche de leur voilier et pas assez du reste
de la circulation dans la baie. Ils avaient droit
de passage sur la circulation à propulsion méca-
nique dans la baie, mais cela ne leur donnait pas
le droit de ne tenir aucun compte de tout le
reste de la circulation. Ils auraient dû aperce-
voir le remorqueur plus tôt. Ce qui est encore
plus déconcertant, c'est qu'ils n'ont aperçu la
péniche que quelques secondes avant de la
heurter. Elle n'était qu'à 150 pieds derrière le
remorqueur. Il est certain qu'une veille raison-
nable leur aurait permis de repérer la péniche
plus tôt. A mon avis, le voilier a violé la Règle
sur les abordages n° 29 (précitée) qui impose à
tous les navires et à leur équipage l'obligation
de mettre en oeuvre une veille appropriée.
2. L'équipage du voilier des Stein n'avait
jamais navigué dans les eaux de la baie English
avant le jour de l'abordage. Ils étaient de Cali-
fornie. Ils n'étaient pas accoutumés à la circula
tion à laquelle on pouvait raisonnablement s'at-
tendre dans la baie English ni aux habitudes des
marins dans ces eaux. Il leur incombait de se
familiariser avec les règles et les usages locaux.
Ils n'en ont rien fait et ne se sont pas donnés la
peine d'observer la circulation dans la baie
English. S'ils l'avaient fait pendant une période
raisonnable de temps, ils auraient, selon toute
vraisemblance, observé des remorqueurs tirant
des péniches à l'aide de câbles de longueurs
diverses. Selon la preuve, dans les ports de
Californie où ils avaient l'habitude de naviguer,
les remorqueurs ne tirent pas les péniches de
cette façon. En conséquence, ils ne s'atten-
daient pas à voir une péniche derrière le remor-
queur et cela peut, dans une certaine mesure,
expliquer le fait qu'ils ne l'ont pas vue plus tôt.
Toutefois, cela ne les excuse pas. Ils navi-
guaient dans un endroit qui était nouveau pour
eux. Ils auraient dû connaître la réglementation
et les usages locaux et ne pas en avoir pris
connaissance constituait une négligence de leur
part.
Les principes juridiques à suivre dans des cas
de ce genre sont exposés dans Marsden's Bri-
tish Shipping Laws, Volume 4, Collisions at
Sea, aux pages 2 et 3, dont voici le texte:
[TRADUCTION] En 1823, dans l'arrêt The Dundee, ((1823) 1
Hag.Ad. 109 à la p. 120) qui traite d'un abordage entre deux
navires, Lord Stowell a déclaré que les éléments essentiels
d'une négligence qu'on peut poursuivre en justice corres-
pondaient à «ce manque d'attention et de vigilance requises
pour la sécurité des autres navires naviguant dans les
mêmes eaux que, dans la mesure où cette négligence va
jusqu'à causer, même involontairement, des dommages de
quelque importance à d'autres navires, le droit maritime
considère comme un manquement à un devoir impérieux, ce
qui permet à la victime de recevoir une réparation sous
forme de dommages-intérêts».
Les marins doivent prendre des précautions raisonnables
et faire preuve d'une compétence raisonnable pour empê-
cher le navire de causer des préjudices (voir l'arrêt The
Voorwaarts and the Khedive (1880) 5 App. Cas. 876, à la p.
890, rendu par Lord Blackburn); il faut alors déterminer ce
qui est raisonnable d'après les circonstances de chaque
espèce....
La négligence généralement invoquée correspond au
manque d'habileté, d'attention et de sang-froid dont fait
habituellement preuve un marin compétent, ce qui équivaut
à un manquement aux obligations de bon marin ou à une
violation des règles internationales ou locales de prévention
des abordages. Le D , Lushington a déclaré dans l'arrêt The
Thomas Powell and the Cuba (1866) 14 L.T. 603: «Nous
exigeons non pas une habileté ou une diligence extraordi-
naire, mais le degré d'habileté et de diligence qu'on trouve
généralement chez ceux qui accomplissent leur devoir».
Dans l'arrêt The Billings Victory (1949) 82
Ll. L. Rep. 877, la p. 883, le juge Willmer a
déclaré:
[TRADUCTION] ... Il me semble que la chose la plus impor-
tante à prendre en considération pour juger de la gravité des
fautes est la question de savoir lequel des deux navires a
créé la situation dangereuse.
La «situation dangereuse» dans l'espèce pré-
sente a été, dans une large mesure, créée par le
remorqueur et par les actes de négligence de
son équipage énumérés précédemment.
L'équipage du voilier a été négligent en ne
mettant pas en oeuvre une veille appropriée et
en ne remarquant pas plus tôt le remorqueur et
la péniche. Cette négligence a été l'une des
causes de l'abordage, mais à un degré moindre
que ne l'a été celle de l'équipage du
remorqueur.
En conséquence, j'ai conclu qu'il y a lieu de
partager la responsabilité en en attribuant 75%
au remorqueur Storm Point et 25% au voilier
5-0-5 commandé par M. Ross Stein.
LIMITATION DE RESPONSABILITÉ
Dans cette action, les défendeurs ont déposé
une demande reconventionnelle afin d'obtenir le
droit de limiter leur responsabilité conformé-
ment aux dispositions de l'article 647 de la Loi
sur la marine marchande du Canada, S.R.C.
1970, c. S-9.
Les parties de ladite loi qui nous intéressent
sont les suivantes:
647. (2) Le propriétaire d'un navire, immatriculé ou non
au Canada, n'est pas, lorsque l'un quelconque des événe-
ments suivants se produit sans qu'il y ait faute ou complicité
réelle de sa part, savoir:
c) mort ou blessures occasionnées à une personne qui
n'est pas à bord de ce navire
(ii) par quelque autre acte ou omission de la part d'une
personne à bord du navire; .. .
Ledit article 647 prévoit en outre que, dans
un cas semblable, la responsabilité pour mort ou
blessures corporelles, qu'elles soient considé-
rées seules ou avec toute avarie, perte de biens
ou toute violation de droits est limitée à 3,100
francs-or pour chaque tonneau de jauge du
navire; on doit accorder les vingt et un trente et
unièmes de cette somme au réclamant pour
mort ou pour blessures corporelles et affecter
les dix trente et unièmes restants au paiement
des réclamations relatives aux avaries ou à la
violation de droits. En l'espèce, on n'a fait
aucune réclamation relative en matière d'ava-
ries. En conséquence, la répartition légale préci-
tée ne s'applique pas.
Il incombait au propriétaire du navire d'éta-
blir que l'article précité de la Loi lui est applica
ble. Le véritable problème porte sur les mots
«sans qu'il y ait faute ou complicité réelle de sa
part» qui figurent à l'article 647(2) (précité).
(The Chugaway [1969] 2 LI. L. Rep. 526, le
juge Sheppard, juge suppléant.)
Les mots «faute ou complicité réelle de sa
part» impliquent un comportement personnel du
propriétaire, un comportement blâmable, par
opposition à la faute ou complicité implicite, par
exemple la faute ou complicité de ses préposés
ou agents (Lord Buckley—Asiatic Petroleum
Co. c. Lennard's Carrying Co. [1914] 1 K.B.
419, la p. 432.)
Ainsi, dans le cas d'une compagnie, «... Il
doit s'agir ... de la faute ou de la complicité,
non seulement d'un préposé ou d'un agent dont
la compagnie est responsable à titre de maître
ou de commettant, mais d'une personne qui
engage la responsabilité de la compagnie parce
que son acte est l'acte de la compagnie elle-
même. ...» (Le Lord-Chancelier Haldane—
Lennard's Carrying Co. c. Asiatic Petroleum
Co. [1915] A.C. 705, la p. 713.)
Un certain nombre d'affaires ont traité au
cours des années des obligations du proprié-
taire. Ainsi l'arrêt Northern Fishing Co. c.
Eddom (The Norman) [1960] 1 LI. L. Rep. 1, a
décidé que l'une des obligations les plus éviden-
tes du propriétaire consiste à équiper le navire
d'instruments de navigation appropriés et con-
venables, en fonction de la nature et des fins du
voyage, et que des cartes marines récentes
constituaient l'un des plus indispensables de ces
instruments.
Dans l'arrêt Lady Gwendolen [1965] 1 LI. L.
Rep. 335 la p. 339, Lord Sellers a déclaré:
En leur qualité de propriétaires de navires, ils doivent être
jugés en fonction du comportement d'un armateur moyen
raisonnable dans la direction et la surveillance d'un navire
ou d'une flotte de navires. La sécurité des vies en mer doit
être l'un des premiers soucis d'un armateur. Cette sécurité
exige un navire en bon état de navigabilité, un équipage
convenable, mais aussi une navigation prudente.»
Dans l'affaire The Anonity [1961] 1 LI. L.
Rep. 203, la question en litige était de savoir si
les propriétaires avaient donné à leurs préposés
des instructions appropriées pour éteindre les
feux de coquerie lorsque le navire accostait à
un quai pétrolier. La Cour a décidé que les
propriétaires n'avaient pas donné d'instructions
appropriées, et qu'en conséquence, le feu et les
dommages qui se sont produits ne sont pas
survenus sans la faute ou la complicité réelles
du propriétaire; on a donc refusé de limiter la
responsabilité.
Pour résumer la jurisprudence, il incombe au
défendeur en l'espèce (le demandeur reconven-
tionnel) de prouver les faits suivants:
(1) L'identité de la personne dont les actes
s'identifiaient aux actes de la compagnie.
(2) Cette personne n'est coupable ni de faute
ni de complicité, au sens qu'il faut donner à
ces mots, tel qu'on l'a établi plus haut.
(3) S'il y a eu faute, elle n'a pas contribué à
l'accident.
Il est donc nécessaire d'examiner les faits
pertinents de l'espèce à la lumière de ces
principes.
M. Peter Shields est président, administrateur
et gérant à la fois de la défenderesse Egmont
Towing et de la défenderesse Shields Naviga
tion. M. Shields est titulaire d'un diplôme en
génie civil. Après la remise de son diplôme
universitaire, il a travaillé pendant sept ans dans
la construction. Il travaille dans le domaine du
remorquage depuis 1966, mais reconnaît ne pas
être «un expert en remorquage». A toutes les
époques en cause, le remorqueur Storm Point
appartenait à la défenderesse Egmont Towing et
était exploité par la défenderesse Shields Navi
gation en vertu d'une charte-partie verbale. La
Shields Navigation gérait et exploitait ledit
remorqueur pour le compte de l'Egmont
Towing.
La preuve révèle que l'exploitation de cette
entreprise de remorquage se faisait, pour ne pas
dire plus, d'une façon décousue et quelque peu
désordonnée. Il n'y avait aucune réunion de
capitaines; on n'avait pas discuté la question de
la longueur des câbles de remorque à utiliser
dans le port de Vancouver; il n'y avait aucun
règlement à l'usage des capitaines. Même la
présence d'exemplaires des Règles sur les abor-
dages ou des Règlements du Conseil des ports
nationaux à bord du navire n'a pas été établie
dans la preuve. En fait, le capitaine Greenfield a
déclaré que la Shields Navigation n'a même pas,
à sa connaissance, fait mettre dans son bureau
l'exemplaire à jour des Règlements du Conseil
des ports nationaux.
La preuve établit que le Storm Point exigeait
un équipage composé d'au moins trois person-
nes. On a reçu en preuve sous la cote 64 une
copie du dernier certificat d'inspection délivré
au Storm Point. Ce certificat, en date du 19
décembre 1968, est valide jusqu'au 3 septembre
1972. Les parties en cause dudit certificat sont
les suivantes:
[TRADUCTION] Il est certifié que:
1. Le navire précité a été dûment inspecté conformément
aux dispositions de la Loi sur la marine marchande du
Canada, il a été satisfait aux dispositions de cette loi
concernant l'inspection des navires à moteur qui s'appli-
quent à un tel navire et ce navire est, sous réserve des
limites qui peuvent être précisées aux présentes, apte à
servir de remorqueur. Le nombre de personnes, y compris
le capitaine et l'équipage, s'élève.... «à trois personnes
pour des périodes qui ne dépassent pas 12 heures de service
au cours d'une période de 24 heures et à 4 personnes pour
les périodes de service qui dépassent 12 heures.
Ainsi ledit certificat indique que le Storm
Point devait avoir un équipage d'au moins trois
personnes, toutefois, lorsque le remorqueur et
la péniche ont quitté les entrepôts Johnston
pour le chantier naval.Bel-Aire à North Van-
couver le jour de l'accident, l'équipage ne
comptait en tout que deux personnes, M. Hel -
sing en qualité de capitaine et le matelot de pont
Iverson, en qualité d'homme d'équipage. M.
Peter Shields a admis dans sa déposition qu'il
avait la responsabilité de la taille de l'équipage
et qu'il avait décidé du nombre d'hommes à
affecter sur le remorqueur pour cette partie du
voyage. Lorsque le Storm Point a accosté près
des entrepôts Johnston et lorsque l'on a com-
mencé à décharger la péniche, le capitaine
Greenfield est descendu à terre pour téléphoner
à M. Peter Shields qui se trouvait à ce
moment-là dans l'île de Vancouver. M. Peter
Shields a alors autorisé MM. Helsing et Iverson
à continuer le voyage, ce qui faisait un équipage
total de deux personnes.
En prenant une telle mesure, M. Peter Shields
s'est rendu, à mon avis, coupable de négligence.
Il savait ou aurait dû savoir que M. Helsing
n'avait jamais auparavant sorti un remorqueur
et sa remorque du ruisseau False en qualité de
capitaine. Il savait ou aurait dû savoir que M.
Helsing avait navigué avec le titre de capitaine
du Storm Point seulement une fois auparavant
et que c'était le 23 juin 1970, date à laquelle il a
amené le remorqueur et la remorque de Sidney,
soit de l'île de Vancouver. Il savait qu'il y aurait
une circulation maritime intense dans la baie
English; il était lui-même un fervent de la voile.
Il admet qu'il savait ne pas avoir l'autorisation
légale d'exploiter le Storm Point avec un équi-
page de deux personnes et que ce manque d'au-
torisation légale lui est venu à l'esprit; il recon-
naît maintenant qu'il mettait probablement M.
Helsing, capitaine inexpérimenté, dans une
situation éventuellement difficile. Voici ses
mots exacts: [TRADUCTION] «Vous devez être
prêt à tout dans la baie English».
Je suis convaincu que la négligence de M.
Shields exposée précédemment a contribué à
l'accident. M. Peter Shields a expliqué sa déci-
sion en disant que le voyage à North Vancouver
ne durait que deux heures et que, puisque le
capitaine Greenfield n'était pas de quart, il dor-
mirait de toute façon et il n'avait donc pas
accordé beaucoup d'importance au fait qu'il
reste à bord. Toutefois, le capitaine Greenfield
a déclaré lors de sa déposition qu'une fois dans
la direction du pont Burrard (les italiques sont
de moi), il aurait fait un petit somme. Le détail
important en l'espèce, c'est que la négligence de
M. Helsing dans la manoeuvre du remorqueur et
de sa remorque a commencé avant d'arriver au
pont Burrard. J'ai conclu précédemment que M.
Helsing a été négligent en lâchant son câble de
remorque trop tôt et qu'il a achevé cette opéra-
tion au moment où le remorqueur était juste à
l'ouest du pont Burrard. J'ai également conclu
précédemment que M. Helsing a été négligent
en allant à une vitesse excessive. Il s'est égale-
ment mis à agir ainsi au pont Burrard ou pres-
que immédiatement après celui-ci. Selon moi, il
est vraisemblable que, si le capitaine Greenfield
avait été à bord, cet abordage ne se serait pas
produit. Il aurait été en état de conseiller M.
Helsing sur les méthodes régulières et appro-
priées de navigation avant d'aller dormir et cela
aurait probablement empêché l'accident.
M. Peter Shields, en qualité de président et
d'administrateur des deux corporations défen-
deresses, s'est rendu coupable d'une plus
grande négligence en permettant au Storm Point
de naviguer sans aucune commande de sifflet
sur la passerelle haute. Selon la preuve, la pas-
serelle haute a pour fonction de pouvoir être
utilisée par le capitaine dans les situations très
rapprochées, à l'accostage et au chargement,
etc., en raison de la possibilité qu'elle offre de
mieux voir dans toutes les directions, en compa-
raison avec la timonerie où la visibilité est dans
une certaine mesure réduite. Toujours selon la
preuve, il n'est généralement pas prévu d'utili-
ser la passerelle haute dans les eaux extérieu-
res. Toutefois, M. Peter Shields a reconnu qu'il
pouvait arriver que, le capitaine étant sur la
passerelle haute lors de la sortie du ruisseau
False, il faille actionner le sifflet de cette passe-
relle. Les seules commandes qui existaient sur
la passerelle haute étaient celles des gaz, des
machines et du gouvernail.
M. Helsing a déclaré dans sa déposition qu'il
avait été sur la passerelle haute pendant un
certain temps après avoir quitté les entrepôts
Johnston, mais qu'il était dans la timonerie et
qu'il parlait avec le matelot Iverson lorsqu'ils
ont quitté le ruisseau False et se sont engagés
dans la baie English. Lorsqu'ils se sont trouvés
de 900 1,000 pieds du voilier des Stein, il a
commencé à craindre un abordage et est alors
monté sur la passerelle haute. Même à ce
moment tardif, une commande de sifflet sur la
passerelle haute aurait été utile. Les assesseurs
m'ont appris qu'il est normal d'avoir le double
des commandes sur la passerelle haute, c'est-à-
dire, les mêmes commandes que dans la timone-
rie, et cela comprend une commande de sifflet.
Dans une certaine mesure, l'affidavit de M.
Robert K. Dalgleish, directeur maritime de la
Georgia Towing Company, vient confirmer
cette opinion; il a déclaré en effet que sa com-
pagnie avait, en 1970, 14 remorqueurs munis de
passerelles hautes et que celles-ci étaient toutes
équipées de commandes de sifflet.
Je suis d'avis que ce défaut d'équiper la pas-
serelle haute d'une commande de sifflet a été
dans une certaine mesure la cause de
l'abordage.
M. Helsing a déclaré qu'il a quitté la timone-
rie pour aller sur la passerelle haute parce qu'il
craignait un abordage éventuel. Il a également
admis qu'il n'avait aucune possibilité de savoir à
ce moment-là si les gens du voilier avaient
conscience de l'existence de la péniche (ques-
tions nos 426 428 incluse de l'interrogatoire).
S'il avait pu actionner le sifflet de la passerelle
haute, il lui aurait été possible d'utiliser ce
moyen pour avertir le voilier. Il aurait dû
actionner plus tôt le sifflet de la timonerie, mais
même par la suite, tout signal d'alarme ou d'a-
lerte, émis de la passerelle haute, aurait pu être
efficace.
Les administrateurs ont été coupables d'une
négligence plus grande en ne prévoyant pas
d'autre moyen d'actionner le sifflet, c'est-à-dire
un moyen autre que le bouton électrique de la
timonerie. Sur ce navire, si l'installation électri-
que avait fait défaut, il n'y aurait eu aucun
moyen manuel ou mécanique d'actionner le sif-
flet. L'un des assesseurs m'a dit que pendant
toutes ses années d'expérience, il n'avait jamais
été sur un navire où il n'y avait pas de moyen
de remplacement pour actionner le sifflet. D'a-
près son expérience, il y avait généralement un
moyen manuel ainsi qu'un moyen mécanique ou
électrique. L'expérience du second assesseur
était identique, toutefois il avait navigué sur des
navires où n'existaient pas les deux moyens
d'actionner le sifflet, mais sur tous ces navires
le procédé était manuel. Cela élimine le danger
de ne pouvoir actionner le sifflet en cas de
défaillance électrique ou mécanique. Cette
négligence n'a pas été à l'origine de l'abordage
en l'espèce, mais elle constitue un autre témoi-
gnage de la manière plutôt désordonnée et irré-
fléchie dont on a exploité cette compagnie ainsi
que ses navires.
En conclusion, je considère que M. Peter
Shields, président et administrateur des deux
corporations défenderesses, s'est rendu coupa-
ble des fautes et négligences exposées aux pré-
sentes et qu'au moins certaines de ces fautes
ont contribué à l'accident.
Dans des actions comme celles-ci, le proprié-
taire a la charge de prouver qu'il n'a aucune
relation avec la cause de l'accident, c'est-à-dire
qu'il n'a contribué en aucune façon à ce qui est
arrivé. (Lord Hamilton—Arrêt Lennard's (pré-
cité) [1914] 1 K.B. 419 à la p. 436.)
En l'espèce, le propriétaire ne s'est pas libéré
de cette charge.
Il y aura donc jugement comme suit:
a) 75% de la responsabilité de l'abordage
sont attribués au remorqueur Storm Point et
25% au voilier des Stein.
b) La demande reconventionnelle est rejetée
dans la mesure où elle concerne l'Egmont
Towing and Sorting Ltd. et la Shields Naviga
tion Ltd. Elles n'auront pas le droit de limiter
leur responsabilité. Aux termes des dispositions
de l'art. 649(1) de la Loi sur la marine mar-
chande du Canada, le défendeur Helsing, en
qualité de capitaine du remorqueur, est fondé à
limiter sa responsabilité. Pour calculer la limita
tion de responsabilité dans le cas de M. Helsing,
je décide qu'il faut se fonder sur une jauge de
600 tonneaux. En vertu de l'art. 651(1) de la
Loi sur la marine marchande du Canada, puis-
que la jauge du remorqueur et celle de la péni-
che sont inférieures à 300 tonneaux, elles sont
réputées de 300 tonneaux.
Je décide également que les demandeurs sont
fondés à établir leur calcul sur la base de la
somme des jauges du remorqueur et de la péni-
che. Il y a lieu de calculer la responsabilité
d'après la somme des jauges de l'ensemble des
responsables. (Pacific Express c. Salvage Prin
cess [1949] R.C.É. 230, la p. 234. Voir égale-
ment: Monarch Towing c. B.C. Cement Co.
[1957] R.C.S. 816.)
c) Les demandeurs obtiendront un jugement
condamnant à la fois les corporations défende-
resses et le défendeur M. Helsing à verser des
dommages-intérêts qu'un juge de la présente
Cour évaluera.
d) Dépens—Les dépens tant de l'action que
de la demande reconventionnelle seront calcu-
lés en fonction de la responsabilité et en respec-
tant les pourcentages établis à l'alinéa a)
ci-dessus.
Conformément à la Règle 337(2)b), l'avocat
des demandeurs peut préparer un projet de
jugement approprié pour donner effet à la déci-
sion de la Cour et demander que ce jugement
soit prononcé.
Je suis très reconnaissant au capitaine R. W.
Draney et au capitaine J. A. McLeish de nous
avoir apporté une aide inestimable à titre
d'assesseurs.
La Gazette du Canada, 8 septembre 1965, C.P.
1965-1552.
2 Marsden, 11e éd., pages 576 et 577.
3 La Gazette du Canada, 1955 Consol. p. 2252, C.P.
1954-1981, en date du 16 décembre 1954.
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