Nickimen Co. Inc. et B.F. Goodrich Canada Ltd.
(Requérantes)
c.
Le navire Executive Venture et les propriétaires
du navire Executive Venture (Intimés)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, le 26 octobre; Ottawa, le 30 octobre
1973.
Pratique et procédure—Droit maritime—Navire amarré
dans le port de Montréal et objet d'une procédure d'avarie
commune à New-York—Aucune action en instance—Droit
du propriétaire de la cargaison de faire inspecter le navire
afin de déterminer la cause de la panne en mer—Cas non
prévu dans les Règles de la Cour fédérale—La pratique de la
province est applicable—Règle 5 des Règles de la Cour
fédérale, Code de procédure civile du Québec, art. 438.
Lors d'un voyage, du Cap au Canada, un navire eut
plusieurs pannes de moteur en mer et fut remorqué jusqu'à
Montréal pour y être réparé. On fit une déclaration d'avarie
commune et un dispacheur d'avaries communes fut désigné
à New-York en conformité du connaissement. Les requéran-
tes, sises respectivement à Montréal et Kitchener et proprié-
taires de la cargaison à destination de Toronto et Hamilton,
furent obligées de déposer une caution pour le paiement;
elles ont, par la suite, demandé une ordonnance d'inspection
des machines du navire, en prévision d'une demande de
contribution à l'avarie commune pour laquelle elles
devraient préparer une défense tendant à démontrer que les
pannes de moteur résultaient de l'innavigabilité du navire.
Arrêt: les Règles de la Cour fédérale ne prévoyant pas une
ordonnance d'inspection de la preuve en prévision d'un
procès, la Règle 5 de la Cour fédérale autorise la Cour à
suivre la pratique en vigueur dans une province, à savoir, en
l'espèce, l'article 438 du Code de procédure civile du
Québec qui prévoit une telle inspection.
REQUÊTE.
AVOCATS:
Peter R. D. MacKell, c.r., et Bruce Cleven
pour les requérantes.
Trevor H. Bishop pour les intimés.
PROCUREURS:
Martineau, Walker, Allison, Beaulieu,
Phelan et MacKell, Montréal, pour les
requérantes.
Brisset, Reycraft, Bishop et Davidson,
Montréal, pour les intimés.
LE JUGE WALSH—Les requérantes deman-
dent une ordonnance d'inspection du moteur de
l'Executive Venture et justifient leur requête en
alléguant que la requérante Nickimen Co. Inc.,
compagnie dont le siège et le principal établisse-
ment sont à Montréal, et la requérante B.F.
Goodrich Canada Ltd., compagnie dont le siège
et le principal établissement sont à Kitchener
(Ontario), sont respectivement propriétaires de
certaines marchandises transportées à bord du
navire Executive Venture en provenance de
l'étranger et à destination de Toronto et de
Hamilton respectivement; la valeur desdites
marchandises est d'approximativement $127,-
000. Suite à une panne de moteur, le navire fut
remorqué jusqu'au Cap (Afrique du Sud) où il
fut réparé, mais, par la suite, le moteur retomba
en panne et le navire fut à nouveau remorqué
jusqu'au Cap, pour de nouvelles réparations. Il
se produisit une troisième panne de moteur au
large du port de Dakar où l'on procéda à de
nouvelles réparations. Enfin, le navire poursui-
vit sa traversée vers la voie maritime du Saint-
Laurent et tomba encore une fois en panne; il
fut remorqué jusqu'à Montréal où il est en cours
de réparations effectuées par la Canadian Vick-
ers Limited. Le capitaine dudit navire, l'Execu-
tive Venture, a fait une déclaration d'avarie
commune, un dispacheur d'avaries communes a
été désigné et un règlement sera effectué à
New-York, en conformité avéc la clause 24 du
connaissement. Au dire de leurs avocats, les
requérantes ont déposé une caution pour le
paiement, comme elles y étaient obligées, par
l'intermédiaire de William H. McGee and Com
pany, à New-York. Cependant les requérantes
ont l'intention de contester la demande de con
tribution à l'avarie commune en alléguant que la
panne de moteur résultait de l'innavigabilité du
navire avant le voyage et au commencement de
celui-ci; c'est pour cette raison qu'elles désirent
inspecter le moteur pendant qu'il est démonté et
avant qu'il ne soit réparé et remonté, afin d'ob-
tenir des renseignements complets sur la cause
de la panne. Les requérantes allèguent que, bien
qu'on doive régler la contribution à l'avarie
commune à New-York, toute action intentée
contre elles et résultant de la demande contro-
versée devra l'être au Canada, où elles sont
établies, relevant ainsi de la compétence de
cette Cour; en particulier, la requérante Nicki-
men Co. Inc. relève du ressort du greffe de la
Cour à Montréal. Les requérantes prétendent
qu'on ne peut utiliser la caution déposée à New-
York pour le paiement des frais d'avarie com
mune à cette fin que lorsqu'on aura confirmé le
droit des intimés de recevoir la contribution à
l'avarie commune des propriétaires de la cargai-
son et, notamment, des requérantes; elles pré-
tendent en outre que les procédures à cette fin
doivent être engagées au Canada car aucune
action directe ne peut être intentée contre les
parties ayant fourni la caution, celle-ci ne pou-
vant être utilisée à des fins d'indemnisation que
lorsque le bien-fondé de la réclamation propre-
ment dite sera établi. Les requérantes préten-
dent que le défaut d'inspection porterait préju-
dice à leur défense dans une telle action.
Puisque cette ordonnance n'est pas prévue
dans les Règles de la Cour fédérale, les requé-
rantes invoquent la Règle 5, relative aux lacunes
dans les Règles, qui se lit comme suit:
Règle 5. Dans toute procédure devant la Cour, lorsque se
pose une question non autrement visée par une disposition
d'une loi du Parlement du Canada ni par une règle ou
ordonnance générale de la Cour (hormis la présente règle), la
Cour déterminera (soit sur requête préliminaire sollicitant
des instructions, soit après la survenance de l'événement si
aucune requête de ce genre n'a été formulée) la pratique et
la procédure à suivre pour cette question par analogie
a) avec les autres dispositions des présentes Règles, ou
b) avec la pratique et la procédure en vigueur pour des
procédures semblables devant les tribunaux de la province
à laquelle se rapporte plus particulièrement l'objet des
procédures.
selon ce qui, de l'avis de la Cour, convient le mieux en
l'espèce.
et se réfèrent à l'article 438 du Code de procé-
dure civile du Québec, qui se lit comme suit:
438. Celui qui, prévoyant d'être partie à un litige, a raison
de craindre qu'une preuve dont il aurait besoin ne se perde
ou ne devienne plus difficile à présenter, peut demander par
requête:
a) que soient entendus ad futuram memoriam les témoins
dont il craint l'absence ou la défaillance;
b) que soit examinée par une personne de son choix toute
chose, mobilière ou immobilière, dont l'état peut influer
sur le sort du litige prévu.
Cette règle semble convenir particulièrement
aux circonstances présentes puisque, bien que
les marchandises des requérantes n'aient subi
aucun dommage et bien que les parties n'aient
pas encore engagé de procédure devant cette
Cour, cet article s'applique à toute personne
«prévoyant d'être partie à un litige». Il est mani-
feste que si une action en contribution à l'avarie
commune donne lieu à une contestation fondée
sur l'innavigabilité du navire due au mauvais
état du moteur, les requérantes auraient «raison
de craindre qu'une preuve dont (elles) auraient
besoin ne se perde ou ne devienne plus difficile
à présenter», et l'alinéa b) de l'article 438 pré-
voit que «toute chose, mobilière ou immobilière,
dont l'état peut influer sur le sort du litige
prévu» peut être examinée.
Au paragraphe 62, page 33, du volume 7 de
British Shipping Laws, Lowndes & Rudolf font
les commentaires suivants sur l'avarie com
mune:
[TRADUCTION] Si l'acte qui a donné lieu à l'avarie com
mune est la conséquence d'une faute commise par l'une des
parties à l'expédition, cet acte garde son caractère d'avarie
commune et il y a lieu à règlement d'avarie commune entre
les parties à l'expédition, sous réserve d'une exception
importante, savoir, la partie en faute n'a pas le droit de
recouvrer la contribution d'une autre partie qui aurait été en
droit de demander la réparation de cette faute en justice au
moment où le sacrifice ou la dépense se produisirent. On a
justifié cette exception par le fait que les tribunaux cher-
chent à éviter des procédures en chaîne et par le principe
selon lequel une personne ne doit pas se faire dédommager
par une autre des conséquences de sa propre faute. A mon
avis, il est préférable de dire que la contribution n'est pas
recouvrable parce que la partie en faute a fait ce sacrifice ou
engagé cette dépense entièrement ou partiellement dans son
propre intérêt et non dans l'intérêt de l'expédition toute
entière, puisque la partie en faute aurait été entièrement ou
partiellement responsable envers le contribuable en question
pour les pertes que cet acte d'avarie commune a évitées. On
pourrait ajouter que dans la plupart des cas où le droit à la
contribution à l'avarie commune est contesté, la défense
invoque le fait que la partie réclamant la contribution a
commis une faute passible de poursuite, c.-à-d., que le
navire était innavigable pendant toute la période en cause.
Le fait qu'il y a eu une déclaration d'avarie
commune et qu'un dispacheur a déjà été désigné
donne aux requérantes des raisons de craindre
que, par la suite, et très probablement dans le
ressort de cette Cour, il sera intenté une action
dans laquelle elles peuvent avoir une défense
valable.
Ce n'est pas la première fois qu'on demande à
cette Cour de rendre une ordonnance d'inspec-
tion, puisque le juge en chef adjoint Noël (alors
juge puîné) a rendu une telle ordonnance le 28
janvier 1970 dans l'affaire (n° du greffe 1712),
Fiat Motors of Canada Limited c. Le navire
«Continental Pioneer». Il est vrai que, dans cette
affaire, une action en responsabilité contrac-
tuelle et délictuelle comportant une réclamation
«qu'on estimait se chiffrer à environ vingt mille
dollars» avait été engagée, alors que dans l'af-
faire présente aucune action n'a encore été
introduite par les parties. Je ne pense cependant
pas qu'il y ait de ce fait lieu de rejeter la
demande des requérantes visant une procédure
apparemment utile et souhaitable, qui, en outre,
ne peut guère causer de préjudice aux intimés;
en fait, si l'inspection ne parvient pas à établir
qu'on pouvait déduire de l'état du moteur l'inna-
vigabilité du navire au commencement du
voyage, la réclamation pourrait être réglée plus
rapidement, sans qu'un procès soit nécessaire.
D'autre part, cette inspection peut être absolu-
ment indispensable à l'établissement de la
défense des requérantes, basée sur l'innavigabi-
lité, si elle tendait à révéler le mauvais état du
moteur. On pourrait établir une analogie entre le
point de vue des requérantes et les procédures
de quia timet qui sont admises en vertu des lois
sur les marques de commerce et la concurrence
déloyale.
L'avocat des intimés s'est opposé à la forme
de l'affidavit appuyant la requête qui, apparem-
ment, fut rédigé à la hâte et ne contenait pas un
certain nombre d'éléments qu'il aurait été sou-
haitable d'ajouter, comme l'indication de la
raison pour laquelle l'inspection était si urgente
que la requête avait due être faite sans donner
aux intimés les délais habituels et être présentée
un jour non réservé à l'audition des requêtes et
l'indication de la personne qui avait fourni la
caution pour les frais d'avarie commune, et du
lieu. En outre, il a aussi invoqué l'énoncé mala
droit et ambigu du paragraphe 14 de la requête,
qui se lit comme suit:
[TRADUCTION] 14. CONSIDÉRANT QUE la Cour a compétence
pour examiner la demande des requérantes contre le trans-
porteur pour les dommages qu'il a subis ou subira en raison
du règlement d'avarie commune ... .
alors qu'en fait, la question porte sur une
demande en contribution à l'avarie commune
que formera probablement le transporteur à
l'encontre des requérantes. Les avocats des
requérantes donnèrent des explications à cet
égard et fournirent des renseignements supplé-
mentaires à l'audience, en présence de l'avocat
des intimés et je ne pense pas que ce soit un
motif suffisant pour justifier le refus de l'ordon-
nance demandée.
L'argument le plus solide présenté par les
intimés consiste à souligner le risque de créer un
précédent en appliquant la Règle 5 aux circon-
stances de cette affaire. On a souvent souligné
qu'on ne doit pas utiliser cette règle pour fournir
une règle d'application générale qui n'avait pas
été incluse au moment de l'élaboration des
règles générales. En outre, on ne doit l'appliquer
que de manière restrictive, dans des circon-
stances inhabituelles et exceptionnelles qui sem-
blent ne pas avoir été prévues dans les règles
générales. S'il est vrai que, dans une certaine
mesure, tout jugement de la Cour crée un précé-
dent, il est clair que l'octroi d'une ordonnance
permettant l'inspection dans les circonstances
de la présente affaire n'aura pas pour effet
d'ouvrir, comme l'affirme l'avocat des intimés,
la voie à de telles requêtes à chaque fois que se
posera une question d'avarie commune; chaque
cas devra être examiné au fond et l'opportunité
d'appliquer la Règle 5 sera décidée en consé-
quence. En ce qui concerne l'affaire présente
j'estime que la requête est justifiée et je rends
donc à l'audience une ordonnance se lisant
comme suit:
[TRADUCTION] Vu l'urgence alléguée, la requête est accor-
dée, sans dépens, décision que je motiverai ultérieurement.
L'inspection des machines de l'Executive Venture doit être
faite au lieu où il est amarré dans le port de Montréal, à une
date fixée conjointement par les avocats des parties, mais de
manière à ne pas retarder l'appareillage du navire. L'inspec-
tion ne doit en aucune manière gêner le cours normal des
réparations des machines et n'inclut ni le droit d'interroger
les officiers ou les hommes d'équipage, ni le droit d'exami-
ner les documents relatifs aux réparations.
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