Le ministre du Revenu national et la Reine
(Appelants)
c.
Creative Shoes Ltd., Danmor Shoe Co. et Créa-
tions Marie-Claude Inc. (Intimées)
Cour d'appel; le juge Thurlow, les juges sup
pléants Cameron et Sheppard —Montréal, les
21, 22, 23 et 30 juin 1972.
Douanes et accise—Dumping de marchandises—Absence
de renseignements quant à leur valeur—Directive du Ministre
concernant l'établissement de leur valeur—S'agit-il d'un acte
judiciaire ou quasi judiciaire—Peut-il être attaqué au moyen
des brefs de certiorari et de prohibition—Loi sur les doua-
nes, S.R.C. 1970, c. C-40, art. 40; Loi antidumping, S.R.C.
1970, c. A-15, art. 11.
Examen judiciaire—Compétence de la Division de pre-
mière instance—Brefs de certiorari et de prohibition—
Redressement qui peut être accordé—La Couronne ne peut
pas être régulièrement constituée partie—Loi sur la Cour
fédérale, art. 18 et 28—Règle 603b) des Règles de la Cour
fédérale.
Le 31 mai 1971, le ministre du Revenu national, aux
termes de l'article 40 de la Loi sur les douanes et de l'article
11 de la Loi antidumping, a décidé que la juste valeur.
marchande et la valeur normale de chaussures pour dames
importées d'Italie et d'Espagne doit être déterminée en
fonction du prix à l'exportation majoré de certains pourcen-
tages. Aux termes de l'article 40 de la Loi sur les douanes,
le Ministre a ce pouvoir lorsque des renseignements suffi-
sants n'ont pas été fournis ou ne sont pas disponibles pour
permettre la détermination autrement. Aux termes de l'arti-
cle 11 de la Loi antidumping, le Ministre a ce pouvoir
lorsque, de l'avis du sous-ministre, des renseignements suf-
fisants n'ont pas été fournis ou ne sont pas disponibles pour
permettre la détermination autrement. Par la suite, aux mois
de juin et d'août, le tribunal antidumping a fait des détermi-
nations de dumping. Au mois de novembre, trois importa-
teurs de chaussures pour dames en provenance d'Italie et
d'Espagne ont demandé à la Division de première instance,
aux termes de la Règle 603 b) des Règles de la Cour fédé-
rale, de délivrer des brefs de certiorari et de prohibition et
de rendre un jugement déclaratoire contre le Ministre, le
sous-ministre, la Reine et le Tribunal antidumping,
Arrêt: Le jugement du juge Walsh est infirmé et la
demande rejetée. Le pouvoir qu'a le Ministre, aux termes
des deux textes législatifs, de décider de la façon de déter-
miner la valeur de marchandises importées est un pouvoir
législatif, c'est-à-dire un pouvoir qui peut être exercé,
comme dans la présente affaire, aux fins d'établir des règles
d'application générale; il ne se limite pas simplement au.
pouvoir de prendre des décisions au fur et à mesure qu'il se
produit des cas particuliers. Par suite, ce pouvoir n'avait pas
à être exercé d'une manière judiciaire ou quasi judiciaire
pour chacun des importateurs ou pour chacune des importa
tions de marchandises. Arrêt cité: International Harvester
Co. of Canada c. Provincial Tax Com'n [1941] R.C.S. 325.
Semble. Lorsque le sous-ministre applique les directives
du Ministre aux termes de l'article 40 de la Loi sur les
douanes, l'importateur a certainement le droit de contester,
au moyen d'un appel devant la Commission du tarif, les
faits qui ont donné lieu à la directive, par exemple, le fait
que des renseignements suffisants n'ont pas été fournis ou
n'étaient pas disponibles pour permettre la détermination
autrement.
Bien que l'application par le sous-ministre des directives
du Ministre aux termes de l'article 11 de la Loi antidumping
ne peut pas être contestée au moyen d'un appel devant la
Commission du tarif, l'importateur a le droit d'être entendu
sur ses raisons à l'encontre de l'application de la directive
avant que l'on exige les droits aux termes de celle-ci, ladite
directive étant clairement un acte judiciaire ou quasi judi-
ciaire sur lequel il doit, par suite, être statué d'une manière
équitable et conforme aux principes de la justice naturelle.
Arrêt suivi: Board of Education c. Rice [1911] A.C. 179.
Arrêt: (1) Au cours d'une procédure d'examen judiciaire
aux termes de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, la
Cour ne peut entendre une demande visant à obtenir un
redressement qui peut être obtenu seulement par une action
instituée au moyen d'une déclaration.
(2) La Couronne ne peut pas être constituée partie inti-
mée à une procédure prévue à l'article 18 de la Loi sur la
Cour fédérale, visant à obtenir l'examen judiciaire d'une
décision d'un office, commission ou tribunal fédéral.
(3) L'article 28(3) de la Loi sur la Cour fédérale enlève
toute compétence à la Division de première instance d'ac-
corder un redressement aux termes de l'article 18 dans le
cas de décisions ou d'ordonnances d'offices, commissions
ou tribunaux fédéraux rendues après le 31 mai 1971.
APPEL d'un jugement du juge Walsh [1972]
C.F. 115.
C. R. O. Munro, c.r. et L. M. Sali pour les
appelants.
R. Gottlieb et P. Phaneuf pour les intimées.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE THURLOW—La principale question
soulevée dans le présent appel est celle de
savoir si des procédures de certiorari et de
prohibition sont recevables pour faire remettre
à la Division de première instance de cette Cour
le dossier concernant certaines directives que le
ministre du Revenu national a établies, le 31
mai 1971, dans l'exercice des pouvoirs que lui
confèrent l'article 40 de la Loi sur les douanes
et l'article 11 de la Loi antidumping, et pour
interdire au ministre du Revenu national de
percevoir les droits qui en découlent au cours
de la détermination de leur validité.
D'une façon générale, l'esprit de la Loi sur les
douanes est que, lors de l'importation de mar-
chandises au Canada, leur valeur imposable doit
être déterminée et il est prévu à cet effet aux
articles 36 et 37 une série de procédés à adopter
successivement, lorsque c'est possible, pour
déterminer cette valeur de la façon la plus
exacte possible. Dans ce contexte, l'article 40
dispose:
40. Lorsque des renseignements suffisants n'ont pas été
fournis ni ne sont disponibles pour permettre la détermina-
tion du coût de production, du profit brut ou de la juste
valeur marchande aux termes de l'article 36 ou 37, le coût
de production, le profit brut ou la juste valeur marchande,
selon le cas, doit être déterminé de la manière que le
Ministre prescrit.
L'une des directives dont il est question en
l'espèce se lit de la façon suivante:
[TRADUCTION] MÉMOIRE ADRESSÉ À
M. Raymond C. Labarge,
Sous-ministre du Revenu national,
Douanes et accise.
OBJET: Chaussures pour dames en provenance d'Italie
Conformément à l'article 40 de la Loi sur les douanes,
lorsque des renseignements suffisants n'ont pas été fournis
ni ne sont disponibles pour permettre la détermination de la
juste valeur marchande aux termes de l'article 36 ou 37 de
ladite loi, la juste valeur marchande des chaussures pour
dames en provenance d'Italie doit être déterminée en se
fondant sur le prix à l'exportation fixé en vertu de l'article
10 de la Loi antidumping, en le revalorisant de 7.5%.
«Herb Gray»
Herb Gray
Le 31 mai 1971.
L'autre directive établie en vertu de l'article
40 est rédigée dans les mêmes termes, sauf
qu'elle concerne les chaussures en provenance
d'Espagne et non d'Italie, et que la revalorisa-
tion est de 12% et non de 7.5%.
Je vais maintenant examiner la Loi antidum-
ping. De façon générale également, l'esprit de la
Partie I de cette loi est d'imposer sur les mar-
chandises importées au Canada des droits anti-
dumping d'un montant égal à la différence entre
la valeur des marchandises dans leur pays d'ori-
gine, désignée sous le nom de valeur normale, et
le prix que l'importateur les paye t , Le prix ainsi
payé est désigné sous le nom de prix à l'expor-
tation. L'article 9 contient un choix de moyens
prescrits pour déterminer cette valeur normale
et l'article 10 prévoit un autre ensemble de
moyens pour déterminer leur prix à
l'exportation.
L'article 11 dispose ensuite:
11. Lorsque, de l'avis du sous-ministre, des renseigne-
ments suffisants n'ont pas été fournis ou ne sont pas dispo-
nibles pour permettre de déterminer la valeur normale ou le
prix à l'exportation en vertu de l'article 9 ou 10, la valeur
normale ou le prix à l'exportation, selon le cas, sont déter-
minés de la manière que prescrit le Ministre.
L'une des directives en question, paraissant
avoir été établie en vertu de cet article, se lit de
la façon suivante:
[TRADUCTION] MÉMOIRE ADRESSÉ A:
M. Raymond C. Labarge,
Sous-ministre du Revenu national,
Douanes et accise.
OBJET: Chaussures pour dames en provenance d'Italie
En application de l'article 11 de la Loi antidumping, je
prescris par les présentes que lorsque, à votre avis, des
renseignements suffisants n'ont pas été fournis ou ne sont
pas disponibles pour permettre de déterminer la valeur
normale en vertu de l'article 9 de la loi, la valeur normale
des chaussures pour dames en provenance d'Italie doit être
déterminée en se fondant sur le prix à l'exportation fixé en
vertu de l'article 10 de la loi, en le revalorisant de 7.5%.
«Herb Gray»
Herb Gray
Le 31 mai 1971.
L'autre directive est rédigée dans les mêmes
termes, sauf qu'elle concerne des chaussures
importées d'Espagne et que la revalorisation est
de 12% et non de 7.5%.
Ces quatre directives, établies le 31 mai 1971,
ont été suivies, le 3 juin 1971, d'une détermina-
tion préliminaire du dumping en vertu de l'arti-
cle 14 de la Loi antidumping, le 25 août 1971,
d'une décision du Tribunal antidumping et, le 27
août 1971, d'une détermination définitive du
dumping en vertu de l'article 17 de cette loi.
Le 2 novembre 1971, les trois intimées, qui
importaient des chaussures pour dames fabri-
quées en Italie et en Espagne, ont institué une
action devant la Division de première instance
en déposant un document qui ressemblait, à
certains égards, à la déclaration (ou statement of
claim) d'une action ordinaire, mais qui était
intitulé «Demande visant à obtenir un bref de
certiorari et de prohibition, ainsi qu'un juge-
ment déclaratoire». Ce document qualifie de
demanderesses les intimées et de défendeurs le
sous-ministre du Revenu national, douanes et
accise, le ministre du Revenu national, Sa
Majesté la Reine et le Tribunal antidumping. Il
se compose de quelque 110 paragraphes conte-
nant des allégations de fait ainsi que des argu
ments, et conclut en demandant un bref som-
mant les défendeurs «de répondre à la requête
contenue dans la présente demande», de fournir
des redressements de plusieurs sortes en atten
dant le jugement définitif et de transmettre à la
Cour
tous les dossiers et documents concernant son enquête
ouverte en juin 1970, ainsi que l'imposition et la perception
de droits et de droits antidumping sur des chaussures en
provenance d'Italie et d'Espagne, en fonction d'une aug
mentation respective des prix à l'exportation de 71% et de
12%;
qu'on rende un jugement définitif annulant les
directives du 31 mai 1971 et les déterminations
suivantes, tant ministérielles que judiciaires,
prétendument fondées sur celles-ci, et qu'on
prévoie un jugement déclaratoire précis, le rem-
boursement des droits ainsi qu'un recours en
injonction. Le document était accompagné de
quatre affidavits qui, dans une certaine mesure,
confirmaient certaines de ces allégations, et
d'un avis selon lequel il serait présenté à l'au-
dience, le 7 novembre 1971.
Cet acte de procédure est venu à l'audience
devant le juge Walsh, qui l'a considéré comme
une demande visant à obtenir un bref de certio-
rari et de prohibition en vertu de la Règle 603 b)
des Règles de la Cour et a rendu l'ordonnance
que voici:
La demande des demanderesses visant à obtenir un bref
de certiorari et de prohibition est accueillie à l'encontre du
défendeur, le ministre du Revenu national, et ledit défen-
deur est sommé d'authentifier et de remettre au bureau de
l'Administrateur de la Cour fédérale du Canada, à Ottawa,
dans un délai de 30 jours à compter de la date du présent
jugement ou dans tout autre délai plus long que cette Cour
pourra autoriser sur demande faite en bonne et due forme,
tous les dossiers et documents concernant l'enquête ouverte
en juin 1970, ainsi que l'imposition et la perception de
droits et de droits antidumping sur des chaussures pour
dames en provenance d'Italie et d'Espagne sur la base d'une
revalorisation respective des prix à l'exportation de 71% et
de 12%, de même que les directives ministérielles du 31 mai
1971, leurs motifs et tout ce qui les concerne, aussi complè-
tement et entièrement qu'ils se trouvent à la garde dudit
défendeur, et une copie de la présente ordonnance, de façon
que cette Cour puisse mieux faire prendre à ce sujet les
mesures qu'elle jugera bon de prendre, que, de plus, ledit
défendeur suspende toutes les procédures intentées en vertu
desdites directives ministérielles du 31 mai 1971, ainsi que
leur application par les soins du sous-ministre du Revenu
national et qu'en attendant le jugement définitif de la pré-
sente affaire, il s'abstienne de percevoir les droits et les
droits antidumping autrement que sur le prix à l'exportation
des chaussures pour dames, y compris les chaussures ou les
souliers habillés ou de ville fabriqués sur forme en prove
nance d'Italie et d'Espagne; les dépens de la présente
demande à suivre la cause.
Le juge Walsh a examiné en même temps une
requête en rejet de procédures ou en radiation
de plaidoiries présentée par les défendeurs et a
accordé une ordonnance (1) mettant hors de
cause comme défendeurs le Tribunal antidum-
ping et le sous-ministre du Revenu national
pour les douanes et l'accise, (2) radiant quelque
trente paragraphes de la demande qui traitent de
questions intervenues le ler juin 1971 ou après
cette date et (3) radiant les paragraphes B(2) et
B(5) des demandes en dégrèvement se rappor-
tant à ces questions. Il a refusé, cependant, de
radier les demandes en dégrèvement restantes
ou de rejeter la demande.
Le présent appel a alors été porté en vue (1)
de faire rejeter la première ordonnance citée et
à défaut, d'en faire rejeter la disposition prohi
bitive et de faire établir une liste plus restreinte
des documents à remettre à la Cour, et (2) de
faire radier les parties restantes de la demande
et des demandes en dégrèvement, ainsi que de
faire rejeter les procédures.
Les intimées ont également porté appel en
demandant de rétablir dans leur état initial les
défendeurs, les allégations et les demandes qui
avaient été radiées. Nous avons rejeté cet appel
après avoir entendu l'avocat des appelants en
l'espèce, sans toutefois convoquer l'avocat des
intimées, car nous étions tous d'avis que le juge
Walsh avait conclu à juste titre qu'en ce qui
concerne les décisions ou les ordonnances que
les offices, commissions ou tribunaux fédéraux,
définis à l'article 2g) de la Loi sur la Cour
fédérale, ont rendues à partir du ler juin 1971, la
Division de première instance n'a pas, aux
termes de l'article 28(3) de cette loi, la compé-
tence qu'elle aurait autrement eue en vertu de
l'article 18 de la loi pour rendre un jugement à
l'égard de ces décisions ou ordonnances et que
les demandes en dégrèvement des appelants en
cette espèce à l'égard de la détermination préli-
minaire du dumping, de la décision du Tribunal
antidumping et de la détermination définitive du
dumping ont été régulièrement radiées.
de suis également d'avis que c'est à bon droit
que le juge Walsh a traité la procédure comme
une demande formulée en vertu de la Règle
603 b) en ce qui concerne l'exercice par la Cour
de sa compétence en vertu de l'article 18 de la
Loi sur la Cour fédérale; toutefois, cela me
semble avoir pour conséquence que les deman-
des en dégrèvement, qu'on ne peut formuler
qu'à l'aide d'une action instituée par l'intermé-
diaire d'une déclaration, ne sont pas recevables
dans une telle procédure et que la Couronne ne
pouvait en tout cas être constituée régulière-
ment partie intimée à une telle procédure, puis-
que l'article 18 ne confère de compétence qu'à
l'égard des organismes suivants: «un office, une
commission ou un autre tribunal fédéral», ce
qui, d'après la définition de l'article 2g), ne
comprend pas la Couronne. Lorsqu'on a fait
ressortir ces questions au cours des débats,
l'avocat des intimées a abandonné les paragra-
phes B(4), B(6) et B(7) des demandes en dégrè-
vement. Il faut donc, en tout cas, mettre hors de
cause la Couronne et il n'est pas utile d'exami-
ner davantage les paragraphes B(4), B(6) et B(7)
des demandes en dégrèvement.
Il reste la partie de la procédure intentée
contre le Ministre d'où découlent les questions
principales dont j'ai déjà souligné l'existence.
En ce qui concerne cette question, la décision
du juge Walsh semble se fonder sur sa conclu
sion selon laquelle le Ministre doit exercer de
manière judiciaire ou quasi judiciaire le pouvoir
dont il dispose en vertu de l'article 11 de la Loi
antidumping de prescrire la manière de détermi-
ner la valeur normale lorsque se présente la
situation prévue à l'article 11. Le savant juge
déclare donc à la page 134 de la décision dont
appel [ 1972] C.F.:
Dans ses directives ministérielles du 31 mai 1971, le Minis-
tre n'a pas déterminé le prix à l'exportation à propos duquel,
de son propre aveu, il avait des renseignements suffisants,
mais plutôt la valeur normale, à propos de laquelle il ne
pensait pas avoir des renseignements suffisants. La vérita ,
ble question qui se pose à la Cour n'est pas de savoir s'il
avait le droit de faire une telle détermination, car il l'avait
indiscutablement, mais de savoir si, en exerçant ce droit, il
agissait abusivement, sans avoir bien considéré les rensei-
gnements qu'il avait ou sans avoir communiqué aux parties
adverses, c'est-à-dire les importateurs et leurs agents, ces
prétendus «renseignements confidentiels», et sans leur avoir
donné l'occasion de les réfuter et d'être entendus; en bref,
sans avoir examiné la question d'une manière judiciaire ou
quasi judiciaire comme il devait le faire, même s'il s'agissait
d'une décision administrative.
Le savant juge semble également avoir suivi le
même raisonnement à l'égard de la compétence
dont dispose le Ministre en vertu de l'article 40
de la Loi sur les douanes, lorsqu'il a déclaré à la
page 143:
Lorsque l'article 11 de la Loi antidumping et l'article 40 de
la Loi sur les douanes permettent de déterminer la valeur
normale ou la juste valeur marchande, selon le cas, «de la
manière que prescrit le Ministre», cela ne lui donne certai-
nement pas la pleine liberté de prescrire des pourcentages
pris au hasard sans fournir aucune explication sur la façon
dont il y est arrivé. Les demanderesses sont fondées à
obtenir une explication sur la façon d'arriver à ces pourcen-
tages et on aurait dû leur donner la possibilité de les
discuter avant qu'une décision ne soit prise. La Cour n'est
pas en mesure de décider, en l'absence de toute explication,
si ces chiffres ont été atteints après un examen judiciaire ou
quasi judiciaire régulier de la preuve soumise au Ministre à
l'époque ou ces déterminations ont été faites.
et à la page 145:
L'absence d'explication semble constituer l'erreur de droit
qui ressort à la lecture du dossier. En outre, les demande-
resses n'ont pas été entendues avant que ne soient émises
les directives ministérielles touchant leurs droits personnels.
On a fondé la décision, du moins en partie, sur des rensei-
gnements confidentiels qui n'ont pas été communiqués aux
demanderesses et qu'elles n'ont pas eu l'occasion de réfuter.
De plus, il semble qu'au moins certains exportateurs ne
pratiquaient pas le dumping et rien n'indique combien d'e-
xemples de dumping on a découvert à la suite de l'enquête.
Appliquer les directives ministérielles aux demanderesses
dans de telles conditions semble constituer un déni de
justice naturelle.
Sauf le respect que je dois au savant juge, je
suis d'avis que sa conclusion, selon laquelle le
pouvoir de prescrire la manière de déterminer la
valeur, que ces dispositions confèrent, doit être
exercé à titre judiciaire ou quasi judiciaire, est
mal fondée. L'expression «que prescrit le
Ministre», figurant aux deux articles, confère
d'une façon régulière le pouvoir de légiférer et,
à mon avis, c'est la nature des pouvoirs que
chacun de ces articles confère. L'esprit de ces
dispositions, ainsi que des autres, comme je
l'envisage, est de conférer au sous-ministre la
compétence et la responsabilité administratives
de percevoir les droits que prévoient les deux
lois, mais aussi de réserver et de conférer au
Ministre le pouvoir de compléter par des dispo-'
sitions de nature législative les règles de déter-
mination de la valeur figurant aux dispositions
qui précèdent les articles en question. (Compa-
rer avec les motifs du juge Abbott dans l'arrêt
Procureur général du Canada c. La Compagnie
de Publication La Presse, Ltée [1967] R.C.S. 60,
à la page 75.) En outre, le mot employé n'est
pas "établit" ou "décide", mais "prescrit", et il
me semble que l'emploi de ce mot, qui, dans le
contexte d'un tel article, sous-entend la formu
lation d'une règle à suivre, indique que ce pou-
voir ne consiste pas seulement à trancher des
cas particuliers à mesure qu'ils se présentent,
mais qu'il peut être exercé pour formuler des
règles de portée générale, que le sous-ministre
et les fonctionnaires de son ministère doivent
appliquer au cas de tous les importateurs qui se
consacrent à l'importation de marchandises,
qu'ils aient ou non des marchandises données
sous douane, attendant la détermination des
droits à acquitter, ainsi qu'au cas de ceux qui
peuvent devenir importateurs par la suite, pen
dant que la directive est en vigueur. Selon moi,
en agissant ainsi, le Ministre ne décide pas de la
valeur des marchandises de quelque impor-
tateur en particulier ni ne la détermine, mais
donne seulement le moyen de déterminer cette
valeur lorsque la méthode que prescrit la loi ne
peut s'appliquer par suite du manque de ren-
seignements nécessaires à son application.
Exiger que l'établissement d'une telle directive
se fasse à titre judiciaire ou quasi judiciaire, à
l'égard de chaque importateur actuel ou éventu-
el qu'elle pourrait concerner, me semble de
nature à rendre ce pouvoir inefficace et inutile
en tant que moyen pratique d'atteindre la fin à
laquelle il me semble destiné.
Je ne crois pas davantage que ces dispositions
exigent une directive distincte du Ministre sur la
manière d'évaluer chaque importation de mar-
chandises en particulier, car selon moi, cela
serait également impossible à mettre en prati-
que. A mon avis, on interprète correctement ces
dispositions, comme le laisse entendre M.
Munro, en considérant que les premiers mots de
l'article, c'est-à-dire: «lorsque des renseigne-
ments suffisants» etc., se rapportent à l'expres-
sion «sont déterminés» et ne déterminent pas
l'expression «que prescrit le Ministre». En con-
séquence, à mon avis, le Ministre n'abusait pas
de son pouvoir, dans chaque cas, en formulant
une règle ou une directive de portée générale
dans les cas où les règles statutaires ne pou-
vaient convenir, c'est-à-dire les cas que vise la
définition du champ d'application du pouvoir de
prescrire dont dispose le Ministre. Comparer
avec l'opinion que le juge Rinfret, (juge puîné à
l'époque), a formulée, en son nom et au nom
des juges Crockett et Kerwin, dans l'arrêt Inter-
national Harvester Co. of Canada Ltd. c. Pro
vincial Tax Commission [1941] R.C.S. 325, où
il a déclaré à la page 348:
[TRADUCTION] Le règlement a été adopté en application du
paragraphe 4 de l'article 7 de la loi de 1932 (le paragraphe 4
de l'article 9 de la loi de 1936 contient une disposition
semblable). Ces paragraphes, tant dans la loi de 1932 que
dans celle de 1936, se lisent comme suit:
Lorsque le Ministre ne peut déterminer le revenu impo-
sable par la province de toute corporation ou compagnie
par actions ou de toute catégorie de corporation ou de
compagnie par actions, ou obtenir les renseignements
nécessaires à cette détermination, le lieutenant-gouver-
neur en conseil peut, sur recommandation du Ministre,
déterminer ce revenu par règlement ou fixer l'impôt
qu'une corporation ou compagnie par actions assujettie
devra acquitter.
L'appelante a soutenu que les règlements ne s'appli-
quent pas à ses revenus en l'espèce présente, car la loi
prévoit apparemment un règlement spécial visant à fixer
un revenu spécial dans chaque cas particulier de person-
nes ou de corporations assujetties; toutefois, il ne semble
pas impossible d'interpréter la loi comme si elle autorisait
le lieutenant-gouverneur en conseil à éditer un règlement,
semblable à celui qui nous est soumis, applicable dans
tous les cas «où le Ministre ne peut déterminer le revenu
ou obtenir les renseignements nécessaires à cette
détermination.»
Il semble en réalité qu'une telle interprétation est plus
logique et plus équitable, car son effet serait alors de
mettre sur un pied d'égalité tous les cas où cette situation
prévaut, au lieu de le limiter à donner au lieutenant-gou-
verneur en conseil le pouvoir d'établir dans chaque cas
des règlements différents qui pourraient en un certain
sens entraîner des discriminations entre les divers
contribuables.
Le règlement qu'édicte le lieutenant-gouverneur en
conseil répondrait, en pareil cas, à cette objection possi
ble et semble, en conséquence, correspondre davantage à
l'intention de la loi.
Si, comme je le pense, le Ministre était fondé,
en vertu des dispositions statutaires en ques
tion, à établir des directives de portée générale,
comme il l'a fait dans le cas présent, il me
semble impossible qu'on ait voulu exiger de lui
qu'il exerce ce pouvoir uniquement à titre judi-
ciaire ou quasi judiciaire et je ne vois, dans les
lois où figurent l'un et l'autre de ces articles,
rien qui semble indiquer une telle procédure ou
la rende nécessaire.
En outre, dans l'esprit des deux lois, il ne me
semble pas que l'attribution d'un tel pouvoir au
Ministre prive les importateurs d'une possibilité
raisonnable d'établir la valeur des marchandises
qu'ils importent et de se soustraire ainsi à l'ap-
plication de la directive.
En ce qui concerne l'article 40 de la Loi sur-
les douanes, la manière qui y est prescrite ne
s'applique que «lorsque des renseignements suf-
fisants n'ont pas été fournis ni ne sont disponi-
bles pour permettre la détermination» qui doit.
être faite en vertu des articles 36 et 37. La
fourniture ou la disponibilité des renseigne-
ments suffisants pour permettre que la détermi-
nation qui doit être faite en vertu des articles 36
et 37 est une question de fait dépendant de
chaque situation qui se présente et, lorsque le
sous-ministre applique la directive, l'importa-
teur jouit du droit indiscutable de contester par
voie d'appel devant la Commission du tarif les
faits qui sont censés rendre la directive applica
ble. De plus, je ne vois pas pourquoi la validité
de la directive elle-même ne peut être contestée
et soumise à une telle procédure d'appel dans le
même cadre (voir l'arrêt: L'Association cana-
dienne de l'électricité c. Société des Chemins de
fer nationaux du Canada [1932] R.C.S. 451) très
étroit, comme c'est possible devant toute cour
compétente. Cette dernière remarque s'applique
aussi bien aux directives établies en vertu de
l'article 11 de la Loi antidumping, bien que la
détermination de l'application des directives
établies en vertu de cet article soit différente
Dans ce cas, le sous-ministre reçoit la mission
de juger si les conditions préliminaires de l'ap-
plication de la directive existent et il n'y a pas
d'appel de son jugement sur l'existence de ces
conditions. Toutefois, cette fonction particu-
lière du sous-ministre qui consiste à percevoir
les droits qu'impose la loi est manifestement de
nature judiciaire ou quasi judiciaire. L'importa-
teur des marchandises dont la valeur doit être
déterminée en appliquant la directive doit avoir
la possibilité d'être entendu sur le motif de la
non-application de la directive et il est égale-
ment nécessaire de trancher équitablement cette
question selon les principes de la justice natu-
relle exposés dans le passage souvent cité du
jugement du lord chancelier Loreburn dans l'ar-
rêt Board of Education c. Rice [1911] A.C. 179,
à la page 182, où il a déclaré:
[TRADUCTION] Comparativement, les lois récentes ont
accru, si elles ne l'ont pas fait naître, la pratique consistant
à imposer à des ministères ou à des fonctionnaires la charge
de décider des questions d'ordres divers ou de les trancher.
Dans l'affaire dont il s'agit, comme dans bien d'autres, le
point à déterminer doit quelquefois être réglé en usant d'un
pouvoir discrétionnaire et n'implique aucun élément de
droit. Il sera habituellement, je présume, de nature adminis
trative; mais parfois, il mettra en jeu une question de droit
en même temps qu'une question de fait, ou dépendra peut-
être même uniquement d'une question de droit. Dans ces
cas-là, le Board of Education doit déterminer les règles de
droit applicables et les faits de l'espèce. Point n'est besoin
d'ajouter qu'en ce faisant, le Board doit agir de bonne foi et
entendre équitablement les deux parties, car c'est-là un
devoir qui incombe à tous ceux qui détiennent un pouvoir
de décision. Cependant, je ne pense pas qu'il soit tenu de
traiter la question comme si elle faisait l'objet d'un procès.
Il n'a pas le pouvoir de faire prêter serment et n'est pas tenu
d'interroger des témoins. Il peut obtenir des renseignements
de la manière qu'il juge la meilleure, en donnant toujours
aux parties en cause dans le litige une possibilité équitable
de corriger ou de contredire toute déclaration relative à
l'affaire qui porte préjudice à leur cause. Si ces conditions
sont réalisées, on ne peut faire appel de la détermination du
Board en vertu du par. 3 de l'art. 7 de la présente loi.
Dans la mesure où ces principes sont suivis,
on ne peut, en réalité, interjeter appel de
l'«avis» du sous-ministre selon lequel les condi
tions d'application de la directive établie en
vertu de l'article 11 existent; toutefois, cette
restriction mise à part, le droit d'appel dont
dispose l'importateur devant la Commission du
tarif demeure intact et, s'il peut prouver que le
sous-ministre est parvenu à son avis en se fon
dant sur une mauvaise application des princi-
pes, la Commission, à mon avis, est compétente
pour accorder en ce domaine un redressement
identique à celui qui aurait pu être obtenu
devant toute autre Cour compétente.
Il est peut-être également souhaitable, compte
tenu de certains arguments soutenus, de noter
que l'enquête qu'a menée le sous-ministre en
vertu de la Partie II de la Loi antidumping à
l'égard du dumping dont on soupçonne l'exis-
tence ne constitue pas une condition préalable à
l'établissement d'une directive par les soins du
Ministre, en vertu de l'article 40 de la Loi sur
les douanes, et qu'il n'existe aucun motif de
droit pour lequel il ne peut exercer ce pouvoir
et appliquer cette directive dans les situations
qui conviennent, qu'on soupçonne ou non un
dumping. L'exercice du pouvoir que confère
l'article 11 de la Loi antidumping ne fait pas
davantage partie de la procédure de détermina-
tion du dumping en vertu de cette loi. L'article
11 est une disposition de la Partie I de la loi qui
traite de l'imposition et de l'évaluation des
droits à lever et à percevoir lorsque l'applica-
tion des procédures prévues à la Partie II de la
loi a fait ressortir un dumping. Bien qu'une
enquête doive donc normalement précéder l'éta-
blissement d'une directive en vertu de l'article
11, le Ministre n'a, à mon avis, aucune obliga
tion légale d'en retarder l'établissement jusqu'à
ce que les résultats de cette enquête soient
connus ou de la faire dépendre, dans une
mesure quelconque, des résultats ou de l'ab-
sence de résultats de cette enquête. De ce point
de vue, également, il ne semble donc pas y avoir
de motif de décider que l'un ou l'autre pouvoir
doit être exercé judiciairement ou quasi
judiciairement.
Ma conclusion, en conséquence, est que ni
l'article 40 de la Loi sur les douanes ni l'article
11 de la Loi antidumping ne confère au Minis-
tre le pouvoir de prescrire la manière de déter-
miner la valeur, qu'il doit exercer à titre judi-
ciaire ou quasi judiciaire, et que les procédures
de certiorari et de prohibition, qui permettent
aux tribunaux supérieurs de contrôler l'exercice
de fonction judiciaires ou quasi judiciaires par
les tribunaux inférieurs ou par des fonctionnai-
res, ne sont pas recevables pour faire réviser les
directives attaquées en l'espèce présente ou
pour interdire l'exercice de fonctions ministé-
rielles qui en découlent.
Je suis d'avis d'accueillir l'appel, d'infirmer
l'ordonnance de certiorari et de prohibition et
de rejeter la demande avec les dépens de l'appel
et de la demande. Toutefois, il n'y a pas lieu de
comprendre, dans les dépens du présent appel,
les articles communs à celui-ci et à l'appel des
intimées, dont j'ai précédemment parlé dans ces
motifs et qui sont ou peuvent être compris dans
les dépens accordés aux parties ayant eu gain
de cause dans ledit appel.
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