Gladys Watt (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Heald —
Ottawa, les 13, 14 et 19 mars 1973.
Couronne—Responsabilité délictuelle—La Couronne à
titre d'occupant des lieux—Exposition architecturale—
Entrée libre—Obligation de diligence envers le public assis
tant à l'exposition—Une dame est tombée d'une plate-for-
me—S'agit-il d'une visiteuse autorisée ou d'une invitée?
La demanderesse, une dame de 82 ans, est allée à une
exposition architecturale montée par la Commission de la
Capitale nationale au Centre de conférences du gouverne-
ment fédéral à Ottawa. Le public y était convié par des avis
dans la presse et l'entrée était libre. En examinant une des
maquettes exposées, la demanderesse est tombée d'une
plate-forme d'environ un pied de haut et s'est blessée.
Arrêt: La Couronne, en tant qu'occupant des lieux, est
responsable des blessures de la demanderesse en vertu de
l'article 3(1)b) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne,
S.R.C. 1970, c. C-38. Bien que la demanderesse ne tombe
pas exactement dans la catégorie des visiteurs autorisés ni
dans celle des invités, la défenderesse avait envers elle une
obligation de diligence aussi grande au moins qu'envers un
invité.
Arrêts suivis: Indermaur c. Dames (1866) L.R. 1 C.P.
274; Campbell c. La Banque royale du Canada [1964]
R.C.S. 85.
REQUÊTE.
AVOCATS:
Donald D. Diplock, c.r. pour la demande-
resse.
Robert Vincent pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Honeywell et Wotherspoon, Ottawa, pour la
demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour
la défenderesse.
LE JUGE HEALD — La demanderesse réclame
une indemnité pour le préjudice qu'elle a subi à
la suite de blessures entraînées par l'accident
qui s'est produit le 10 juin 1971, au Centre de
conférences du gouvernement fédéral, situé rue
Rideau à Ottawa.
La demanderesse est veuve et elle était âgée
de 82 ans au moment de l'accident. Son domi-
cule pendant toute la période considérée se trou-
vait à Ottawa, où elle habite encore.
Selon ses déclarations, elle avait l'habitude de
visiter dans la région d'Ottawa toute exposition
qui lui paraissait intéressante; quelque temps
avant la date du 10 juin 1971, elle avait appris
par un quotidien qu'allait être organisée une
exposition d'architecture intitulée «La vision
architecturale de Paolo Soleri». Paolo Soleri est
un architecte américain distingué. L'annonce
parue dans la presse conviait le public à s'y
rendre; l'entrée était libre. L'exposition avait été
organisée sous les auspices de la Commission de
la Capitale nationale au Centre de conférences
du gouvernement fédéral, ancien immeuble de la
Gare Union, situé rue Rideau dans le centre
d'Ottawa. L'exposition s'est tenue du 8 juin
1971 au 24 juillet de la même année et, au
début, était ouverte au public de 10h à 18h. Plus
tard, pour répondre au vif intérêt du public, les
heures d'ouverture ont été prolongées jusqu'à
21h.
La demanderesse, ayant décidé de visiter
cette exposition le 10 juin 1971, se rendit en
autobus de son domicile avenue Powell jusqu'au
Centre de conférences, rue Rideau. Elle arriva
vers 16h et visita l'exposition seule.
La demanderesse entra au Centre de confé-
rences par la porte de la rue Rideau. Elle
emprunta l'escalier principal, qui l'amena dans
la grande salle de conférences, où se trouvait le
gros de l'exposition. En descendant l'escalier
principal et en pénétrant dans cette salle de
conférences, la demanderesse se dirigeait vers
le sud. La grande salle de conférences, perpen-
diculaire à l'entrée de la rue Rideau, est orientée
dans le sens est-ouest. Une fois à l'intérieur de
la salle, elle s'avança sur sa droite jusqu'à l'ex-
trémité ouest de la salle. La grande salle de
conférences mesure, de bout en bout, à peu près
110 pieds. A chaque extrémité se trouve une
plate-forme surélevée, qui fait partie de l'amé-
nagement permanent. Ces plate-formes furent
installées lors de l'aménagement de la salle de
conférences, il y a plusieurs années, et s'y trou-
vent toujours. Une distance de 80 pieds environ
les sépare. Le niveau des plate-formes dépasse
d'à peu près un pied celui du plancher de la salle
de conférences. On y accède, depuis le plancher
principal, par plusieurs petits escaliers répartis
autour des plate-formes. Les plate-formes, les
marches d'escalier et le plancher tout entier
étaient, à l'époque en question, entièrement
recouverts d'un tapis rouge foncé. Entre les
tapis qui recouvrent la plate-forme, l'escalier et
le plancher il n'existe de différence ni de cou-
leur, ni de texture, ni de dessin.
La meilleure description que l'on puisse
donner de l'exposition Soleri c'est qu'elle
montre comment un architecte entrevoit le
développement futur des conceptions architec-
turales. Elle exprime la «vision architecturale»
de Soleri.
L'exposition comprenait à peu près 100
maquettes de diverses grandeurs, des esquisses
et des dessins d'architecture.
Dans la salle principale était disposées deux
grandes maquettes ainsi que plusieurs maquet-
tes plus petites et des dessins. Le reste était
exposé dans les pièces voisines.
Une des deux maquettes principales était
placée à l'extrémité ouest de la grande salle. Les
témoins l'ont décrite comme ressemblant à une
noix de couleur brune. La seconde maquette
était placée à l'extrémité est de la grande salle;
on l'a décrite comme une maquette en plexiglas
blanc illustrant l'idée que se fait l'architecte
d'une ville de l'avenir. Elle comprend des mai-
sons, des usines, des terrains de jeux, etc. Un
témoin a vu dans ce modèle [TRADUCTION] «une
ruche peuplée d'un demi-million de personnes».
Ce même témoin (Dorothy Waines) a dit qu'un
certain nombre des autres maquettes étaient des
projets de ponts futuristes. Elle a qualifié leur
conception de [TRADUCTION] «farfelue». La
pièce P-1-B est une photographie de la grande
salle prise, pendant l'exposition, dans le sens
est-ouest. On peut voir au premier plan (côté
est) la maquette en plexiglas blanc et, du côté
ouest, la grande maquette brune. Des photogra-
phies et des dessins séparent les deux maquet-
tes. L'exposition est aménagée de manière à
encourager le public à se déplacer d'un côté de
l'exposition à l'autre de la première grande
maquette à la seconde et à examiner au passage
les dessins et les photos exposés entre ces deux
grandes maquettes.
Ayant atteint l'extrémité ouest de la salle, la
demanderesse se mit à examiner pendant quel-
ques minutes la grande maquette brune en
forme de noix. Elle tournait autour tout en
l'étudiant et elle passa quelques minutes à con-
verser devant la maquette en question avec un
des commissionnaires (le témoin Edward
Renaud); puis elle s'avança sur le niveau princi
pal de la salle vers le grand modèle en plexiglas
blanc qui se trouvait à l'extrémité est.
Cette grande maquette en plexiglas blanc était
montée sur un socle de contre-plaqué foncé,
construit par les menuisiers de la Commission
de la Capitale nationale. Sur le document photo-
graphique P-1-A, l'on voit clairement la façon
dont cette maquette était présentée. La pièce
P-1-A fut prise du plancher en regardant l'est de
la salle. La maquette était installée à quelques
pieds du mur pour permettre aux visiteurs d'en
faire entièrement le tour, leur offrant ainsi une
visibilité maximale. On voit sur la pièce P-1-A
des visiteurs circulant des deux côtés de la
maquette.
La longueur de la maquette a obligé à faire
reposer la partie arrière du socle de contre-pla-
qué sur la plate-forme surélevée, alors que la
partie avant, elle, reposait sur le plancher de la
salle. Le côté gauche de la photo P-1-A indique
clairement la manière dont fut construit le socle
de contre-plaqué afin de donner à la maquette
en plexiglas une base horizontale malgré la déni-
vellation d'un pied entre le plancher et la
plate-forme.
La photo P-1-A nous montre sur le côté nord
de la maquette un escalier situé presque à mi-
chemin entre l'avant et l'arrière. Bien qu'il n'ap-
paraisse pas dans la photo P-1-A, un escalier
identique se trouvait sur le côté sud de la
maquette.
Les témoignages m'ont convaincu que la
demanderesse s'est approchée de cette
maquette, qu'elle a commencé à en examiner le
devant sur le côté sud, qu'elle est ensuite passée
à l'arrière en empruntant l'escalier au sud de la
maquette. La photo P-1-A révèle que les visi-
teurs se trouvant à l'arrière de la maquette pou-
vaient examiner non seulement la maquette en
plexiglas, mais aussi divers dessins et photos
accrochés au mur est. Par conséquent, de part et
d'autre d'un visiteur passant du côté sud au côté
nord de la maquette en la contournant par l'ar-
rière se trouvaient des objets placés de telle
sorte qu'il soit incité à les examiner tout en se
déplaçant.
Au dire du témoin Edward Renaud, qui, à
l'époque qui nous concerne, était employé par la
Commission de la Capitale nationale en tant que
commissionnaire, la demanderesse tourna le
coin nord-est de la maquette, et s'avança le long
du côté nord, vers le devant de la maquette, en
direction ouest. Renaud affirme qu'elle s'avan-
çait lentement en regardant latéralement la
maquette. Alors qu'elle tournait le coin, où tout
juste après, son attention fut captée par une
pièce plus réduite, exposée au nord de la grande
maquette en plexiglas blanc. Il s'agissait de la
maquette métallique, soit d'un pont, soit d'un
bâtiment montée sur un socle blanc, et placée à
six pouces tout au plus du bord de la plate-
forme. Le socle blanc sur lequel était placé cette
maquette apparaît sur le document photographi-
que P(1)(i). Il est bien évident vu l'emplacement
de cette maquette que l'intention des organisa-
teurs était de placer des objets de part et d'autre
des visiteurs qui, comme la demanderesse, con-
tournaient le coin nord-est de la maquette en
plexiglas blanc et s'avançaient en direction
ouest le long du côté nord. De toute évidence,
c'est à dessein que ces objets ont été placés
ainsi, afin d'encourager le public à examiner les
objets exposés des deux côtés tout en se
déplaçant.
Renaud affirme que la demanderesse, tout en
se déplaçant, semblait s'intéresser à cette pièce
plus réduite exposée un peu plus loin sur sa
droite et s'en rapprocher en biais. Il prétend
l'avoir reconnu comme étant la dame qui lui
avait parlé à l'extrémité ouest du bâtiment
devant la maquette de couleur brune. Bien qu'il
ne l'ait pas constamment observée alors qu'elle
poursuivait sa visite il l'a cependant observée de
temps à autre. Il affirme qu'elle avait l'air de
s'intéresser à la petite maquette et il â remarqué
qu'au moment où elle l'examinait elle paraissait
se trouver très près du bord de la plate-forme. Il
prétend l'avoir appelée pour la mettre en garde,
mais qu'à cause de la distance, elle ne l'a pas
entendu. C'est alors qu'elle fit un pas du pied
gauche; ce fut un pas dans le vide, et ainsi elle
tomba et se blessa. L'heure de l'accident est
fixée à 16h30 environ.
Renaud est un témoin impartial et digne de
foi. Il n'est plus employé par la Commission de
la Capitale nationale. Il était bien placé pour
observer les déplacements de la demanderesse
et j'accepte son témoignage sur les circonstan-
ces de cet accident.
Entre 13h30 et 14h le 10 juin 1971, le jour où
la demanderesse a visité l'exposition, une cer-
taine Dorothy Waines, d'Ottawa, visita égale-
ment l'exposition en compagnie de son mari.
Elle affirme avoir, comme la demanderesse,
pénétré dans la salle d'exposition par l'entrée de
la rue Rideau et s'être ensuite, également
comme la demanderesse, dirigée vers l'extré-
mité ouest de la salle. Elle examina la maquette
brune à l'extrémité ouest, s'avança vers le côté
est où se trouvait la grande maquette en plexi-
glas blanc, gravit les marches du côté sud de
celle-ci, contourna l'arrière de la maquette, puis
se déplaça lentement le long du côté nord vers
l'avant de la maquette. Elle a déclaré qu'elle
marchait lentement et que toute son attention
était captée par cette maquette. Elle a trouvé la
maquette [TRADUCTION] «farfelue», mais vrai-
ment très intéressante. Elle ne se souvenait pas
avoir monté l'escalier de l'autre côté et, alors
qu'elle s'avançait le long du côté nord, elle n'a
pas vu les marches qui se trouvaient tout juste
devant elle. Elle a fait une chute dans le même
escalier que la demanderesse trois heures plus
tard. Elle atterit sur le dos. Elle s'est, semble-
t-il, foulé la cheville en tombant, mais, n'ayant
reçu aucune blessure grave, elle ne signala pas
l'accident. Elle assure être tombée parce que la
plate-forme, l'escalier et le plancher du niveau
principal étaient tous recouverts du même tapis
rouge et que cela représentait un [TRADUCTION]
«véritable danger public». Elle assure qu'on ne
voyait que le tapis rouge, sans pouvoir discerner
ni l'escalier, ni la dénivellation d'un pied. Elle
affirme que son accident n'aurait pas eu lieu si
les deux niveaux avaient été recouverts de deux
tapis de différentes couleurs, ou si la différence
de niveau avait été signalée par une bande blan-
che. Cette réflexion à propos d'une bande blan-
che lui est venue en examinant les documents
photographiques (pièces P-1-C et P-1-D).
Ceux-ci révèlent qu'à cette époque, et depuis
déjà plusieurs années, on avait fixé, à l'endroit
où, à la sortie sud de la grande salle de confé-
rences, se rencontrent le niveau principal,
recouvert de tapis rouge, et l'escalier de sortie,
une bande blanche en caoutchouc, large de 2
pouces, sur toute la largeur de l'escalier. A cet
endroit, l'escalier est recouvert de tapis, comme
celui où sont tombées la demanderesse et le
témoin Waines, c'est-à-dire de la même
moquette rouge sombre.
Le témoin Waines soutient que si la dénivella-
tion avait été signalée par une couleur de tapis
différente ou par une bande blanche, elle ne
serait pas tombée. Elle affirme catégoriquement
que ni l'escalier ni la dénivellation du plancher
n'étaient visibles. Le témoin Waines était âgé de
65 ans à l'époque de l'accident; sa santé était
bonne. Elle m'a paru éveillée, intelligente, et
tout à fait digne de foi.
La défenderesse a voulu donner de l'impor-
tance au fait que le témoin Waines et la deman-
deresse portent toutes les deux des lunettes à
double foyer. Ces deux dames nous ont assuré
qu'elles voient parfaitement bien avec leurs
lunettes, bien que celles-ci soient à double foyer
et, à cet égard, j'accepte leurs déclarations.
La défenderesse a cité comme témoin André
Lavigne, directeur des opérations au Centre de
conférences du gouvernement. Lavigne affirme
avoir demandé à l'architecte chargé de l'aména-
gement de la salle de conférences, bien avant
l'accident qui est survenu à la demanderesse,
pourquoi on avait placé une bande de caout-
chouc à la sortie sud de la salle et non aux
autres endroits de la salle où se trouvaient des
escaliers recouverts de tapis. On lui expliqua
que la bande de caoutchouc servait à protéger le
tapis contre l'usure; or, la sortie sud était un
passage à grande circulation, alors que les esca-
liers aux extrémités est et ouest de la salle
étaient beaucoup moins utilisés. Cependant,
Lavigne en convient, la bande blanche servait
également de repère visuel. Il a également
déclaré qu'à la suite de l'accident de la deman-
deresse, il a évoqué devant ses supérieurs la
possibilité d'installer une bande blanche pour les
autres escaliers de la salle, mais cette démarche
n'a pas eu de suite. Lavigne affirme aussi que le
soir même de l'accident survenu à la demande-
resse et au témoin Waines, on tendit un cordon
blanc fixé à un poteau blanc afin d'interdire
l'accès des escaliers des deux côtés de la
maquette en plexiglas blanc. Ces cordons restè-
rent en place jusqu'à la fin de l'exposition et,
ainsi, le public n'eut plus accès aux escaliers en
question. La pièce P(1)(i) montre la corde et le
poteau interdisant l'accès de l'escalier dans
lequel sont tombées les deux dames.
L'avocat de la défense a admis, dès le début,
que la Couronne était l'occupant des lieux en
question pendant toute la période qui nous con-
cerne et que l'article 3(1)b) de la Loi sur la
responsabilité de la Couronne (S.R.C. 1970, c.
C-38) s'applique et engage la responsabilité de
la Couronne à l'égard d'un manquement au
devoir afférent à la propriété, à l'occupation, à
la possession ou à la garde d'un bien.
Après examen des faits, j'estime que la défen-
deresse avait envers la demanderesse une obli
gation de diligence aussi grande au moins qu'en-
vers un invité.
La demanderesse entre dans une catégorie de
visiteurs qui n'est pas exactement celle des visi-
teurs autorisés, ni celle des invités, mais plutôt
dans la catégorie des personnes qui se trouvent
sur les lieux pour ainsi dire de plein droit. (Voir:
Fleming, Law of Torts, 4e éd., pages 387 et 388,
où est analysé de façon très pertinente «le con
cept d'entrée de plein droit».) Il existait entre
l'occupant des lieux et les personnes qui, telle la
demanderesse, entraient dans cette catégorie, un
rapport particulier et différent. Plusieurs orga-
nismes de l'État fédéral ont commandité cette
exposition d'architecture. Des fonds publics
fédéraux ont été affectés à sa mise sur pied à
l'intention du public. On observe de nos jours
une tendance croissante à affecter des fonds
publics à de telles fins. On peut à juste titre
considérer que ces expositions présentent un
intérêt intellectuel pour le public et, pour cette
raison, je considère qu'on a établi l'existence de
l'intérêt matériel qui, traditionnellement, astreint
l'occupant des lieux à une plus grande obligation
de diligence envers son invité. En l'espèce, le
public était manifestement invité à se rendre à
cette exposition. Une assez large publicité lui
fut faite et la défenderesse a invité le public à la
visiter.
L'arrêt qui fait jurisprudence quant aux obli
gations de l'occupant d'un lieu envers ses invi-
tés est l'affaire Indermaur c. Dames (1866) L.R.
1 C.P. 274, à la p. 288, où le juge Willes
conclut:
[TRADUCTION] Nous considérons qu'il est bien établi en
droit que l'invité qui exerce une diligence raisonnable afin
d'assurer sa propre sécurité est en droit de s'attendre à ce
que de son côté, l'occupant des lieux exerce une diligence
raisonnable afin de le préserver de tout danger particulier
dont il a connaissance ou dont il devrait avoir connaissance.
Dans la présente instance, la manière dont
étaient construits les escaliers donnant accès
aux deux plate-formes n'était en soi ni excep-
tionnelle ni dangereuse. Néanmoins, l'une des
causes principales de l'accident survenu à la
demanderesse fut l'insuffisance du contraste
entre le tapis de la plate-forme et celui qui
recouvrait le plancher. Les faits font ressortir la
grande difficulté, voire l'impossibilité, de discer-
ner soit l'escalier, soit la différence de niveau. Il
n'est pas indifférent qu'une bande de caout-
chouc blanc ait été posée à une autre sortie de la
salle pour signaler la dénivellation. Le témoin
Lavigne a reconnu qu'une telle bande aurait
assuré une bien meilleure visibilité. Il aurait été
assez facile d'éviter cette situation dangereuse
en installant, à l'emplacement de ces escaliers
donnant accès aux plate-formes une bande de
caoutchouc blanc. Le témoin Waines a d'ailleurs
affirmé que dans de semblables circonstances,
le Centre national des Arts, à Ottawa, avait jugé
nécessaire d'installer des bandes blanches parce
qu'en l'absence de ces repères, plusieurs per-
sonnes avaient fait une chute. Bien sûr, si la
défenderesse ne voulait pas utiliser ce moyen,
elle aurait toujours pu avoir recours à un cordon
pour interdire l'accès des escaliers, ce qu'elle a
d'ailleurs fait tout de suite après les chutes de la
demanderesse et du témoin Waines. Il ne
semble pas que ce moyen, adopté jusqu'à la fin
de l'exposition ait nui en aucune manière au
succès de cette exposition. (La durée totale de
cette exposition moins les 3 premiers jours). Il
semble que cette exposition ait remporté un
succès considérable, puisqu'elle a attiré plus de
27,000 personnes. Dans l'affaire Campbell c. La
Banque royale du Canada [1964] R.C.S. 85, à la
p. 96, le juge Spence a conclu:
[TRADUCTION] Il est peut-être utile, afin de juger si une
situation est particulièrement dangereuse, de considérer la
facilité avec laquelle l'occupant aurait pu l'éviter.... S'il
avait suffi de ces précautions légères et peu onéreuses, le
public se trouvant en un lieu aussi fréquenté que la banque
aurait été en droit de s'attendre à ce que soient prises toutes
ces précautions ou leur équivalent. L'absence de telles pré-
cautions tendrait à faire qualifier cette situation de particu-
lièrement dangereuse.
A mon avis, le fait que les employés de la
défenderesse n'ont pas distingué entre l'usage
normal de la salle de conférences et l'usage qui
en fut fait pour cette exposition a également
contribué dans une mesure importante à l'acci-
dent de la demanderesse. Depuis sa construc
tion en 1968, c'était la première fois que cette
salle servait pour une exposition comme cel-
le-ci. En temps normal, cette salle sert à des
conférences et réunions officielles. Pendant ces
conférences, on avait coutume de faire asseoir
les délégués et les visiteurs sur les plate-formes
surélevées. Dans ces circonstances, la plupart
des allées et venues se faisaient dans le sens
nord-sud. Les délégués entraient par la rue
Rideau en empruntant la porte nord. L'escalier
ne présentait aucun problème car il n'était pas
recouvert de tapis. Il était en marbre et l'on en
distinguait facilement les marches. Puis, pen
dant les conférences, la sortie sud était très
fréquentée puisqu'elle mène au salon des délé-
gués. Mais, comme nous l'avons vu, une bande
blanche signalait l'escalier sud.
Si l'on examine le plan de circulation des
visiteurs de l'exposition, on constate que tout
concourait à inciter le public à circuler d'ouest
en est et d'est en ouest, ce qui entraînait néces-
sairement une utilisation maximale des escaliers
donnant accès aux plate-formes est et ouest. Il
me semble que les employés de la défenderesse
n'ont pas suffisamment tenu compte de cette
nouvelle utilisation de la salle de conférences et
des dangers qui pouvaient en découler. Et puis,
bien sûr, il y avait, en plus, l'idée d'exposer des
objets des deux côtés de l'allée que devait
emprunter le public pour étudier la maquette en
plexiglas blanc. Qu'il soit placé près de l'escalier
nord ou de l'escalier sud, le visiteur se trouvait
entre la maquette en plexiglas blanc et une autre
maquette plus petite. Ces maquettes étaient du
plus grand intérêt et captaient toute l'attention
des visiteurs, au détriment de l'attention qu'ils
auraient pu prêter au plancher ou à la surface
sur laquelle ils marchaient. Les deux dames qui
sont tombées étaient complètement absorbées
par les objets exposés. Les employés de la
défenderesse, par la manière dont ils avaient
placé les objets exposés, avaient justement
cherché à stimuler ainsi l'intérêt du visiteur. Le
témoin Waines est tombé parce qu'elle était
absorbée par la maquette en plexiglas. La
demanderesse est tombée parce qu'elle était
absorbée par la maquette plus petite placée à sa
droite et située à seulement six pouces du bord
de la plate-forme. Il n'y avait aucun avertisse-
ment, aucune balustrade, pas la moindre indica
tion pour signaler la présence des escaliers.
Je considère que dans cette affaire la défen-
deresse n'a pas exercé une diligence suffisante
pour éviter tout dommage provenant d'un
danger particulier dont elle avait connaissance
ou dont elle aurait dû avoir connaissance. Pour-
tant, la défenderesse soutient que la demande-
resse n'a pas exercé une diligence suffisante
pour assurer sa propre sécurité. Je ne partage
pas cette opinion. La défenderesse, malgré son
âge avancé, était très souple et très alerte. Elle
faisait chaque jour beaucoup de marche à pied
et entretenait elle-même son intérieur. Elle était
à tout point de vue le type même du visiteur
normal et c'est justement à la venue de ce genre
de visiteur qu'aurait dû s'attendre la défende-
resse en lançant son invitation au public. Il en
est de même pour le témoin Waines. Elle avait
presque vingt ans de moins que la demanderesse
et était, comme elle, alerte et souple. Les deux
dames voyaient parfaitement bien avec les
lunettes qu'elles portaient. Je suis convaincu
que ces deux dames faisaient des lieux un usage
normal. Je considère, par conséquent, que la
demanderesse exerçait une diligence suffisante
pour assurer sa propre sécurité. La demande-
resse a donc le droit de recevoir compensation
pour le préjudice qu'elle a subi des suites de ses
blessures.
La demanderesse réclame la somme de $2,-
089.63 à titre d'indemnité. L'assiette de cette
indemnité me paraît avoir été établie par le
procès. L'avocat de la défense ne conteste
qu'un seul poste de l'indemnité: la somme de
$315.00 versée à une certaine dame J. O'Keefe
pour services rendus à la demanderesse pendant
les trois semaines qui ont suivi sa sortie de
l'hôpital. La demanderesse vit seule. Après sa
sortie d'hôpital elle n'était pas encore en mesure
de s'occuper d'elle-même. Par conséquent, elle
engagea cette dame O'Keefe, infirmière de pro
fession, qui a logé chez elle et s'est occupée
d'elle pendant trois semaines, jusqu'à ce qu'elle
soit en mesure de s'occuper d'elle-même. L'avo-
cat de la défense prétend qu'une telle somme
paraît un peu excessive. Pourtant, il est établi
que la demanderesse a effectivement versé cette
somme à cette dame O'Keefe, et que c'était là le
prix qu'elle demandait pour ses services. La
défenderesse n'ayant soumis aucune preuve du
caractère excessif de ce tarif, je suis disposé à
l'admettre. A mon avis, une telle somme, pour
trois semaines de soins continuels n'est pas
excessive.
En ce qui concerne les dommages-intérêts;
par suite de l'accident, la demanderesse a subi
des blessures à l'épaule, plus précisément une
fracture du corps de l'humérus droit, qui fut
traitée par réduction au moyen de manoeuvres
externes et immobilisation dans une éclisse de
plâtre. Elle s'est également fracturé le second
métatarsien gauche. Lors de sa chute, elle est
tombée sur le visage et sur le nez et a reçu au
visage de multiples contusions. Elle fut hospita
lisée immédiatement et resta à l'hôpital jusqu'au
2 juillet. L'éclisse ne fut pas retirée avant le 14
juillet. Son pied gauche la fit beaucoup souffrir.
Elle affirme avoir souffert du pied pendant tout
son séjour à l'hôpital. Son pied est encore fra
gile et elle affirme qu'il lui manque encore de
temps en temps. Elle est obligée depuis l'acci-
dent d'utiliser une canne. Elle faisait beaucoup
de marche avant l'accident et faisait toutes ses
courses elle-même, alors que maintenant, une
fois par semaine quelqu'un doit l'amener faire
ses courses en voiture.
Son épaule est complètement remise, bien que
le coude puisse conserver une certaine difficulté
de mouvement. Après avoir examiné les faits, je
considère que la victime ne conservera tout au
plus qu'une très légère incapacité.
Cependant, elle a considérablement souffert
de ses blessures et du choc de cet accident. Il en
résulte un préjudice d'agrément considérable.
Elle n'est plus capable de faire de longues pro
menades. Elle est empêchée, dans une certaine
mesure, de se livrer à l'un de ses passe-temps
favoris, à savoir la visite des musées -et des
expositions. Sa capacité de jouir des agréments
de la vie a été réduite.
Compte tenu de tous ces éléments, j'accorde
à la demanderesse la somme de $2,500 à titre de
dommages-intérêts.
Par conséquent la demanderesse obtient juge-
ment contre la défenderesse
a) pour la somme de $2,089.63 à titre
d'indemnité;
b) pour la somme de $2,500 à titre de dom-
mages-intérêts; et pour
c) les dépens de l'action, à taxer.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.