Francon Limitée (Appelante)
c.
Le ministre du Revenu national (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge
Thurlow et le juge suppléant Perrier—Montréal,
le 10 octobre 1973.
Impôt sur le revenu—Calcul du revenu d'entreprise—Rete-
nues payées à l'avance à l'entreprise—En quelle année sont-
elles imposables?
Une entreprise de construction conclut des ententes avec
ses clients en vertu desquelles elle recevait des intérêts sur
les retenues avant qu'elles ne deviennent exigibles, c.-à-d.,
après attestation de l'exécution satisfaisante des travaux.
L'entreprise achetait d'un tiers des billets portant intérêt
payables aux clients et venant à échéance à la date où les
retenues devenaient exigibles. Les cotisations à l'impôt sur
le revenu de l'entreprise furent établies sur la présomption
que cette entente correspondait au paiement des retenues
pendant l'année de l'achat des billets, plutôt qu'ultérieure-
ment pendant l'année où les retenues devenaient exigibles.
Arrêt: les cotisations ne sont pas fondées. Le montant des
retenues doit être comptabilisé pendant l'année où l'entre-
prise en a reçu le versement, mais l'entreprise a le droit de
déduire, pour la même année, la somme versée afin de
l'obtenir. Bien sûr, le montant des retenues devra être inclus
dans le revenu de l'année de l'attestation de l'exécution des
travaux. -
APPEL.
AVOCATS:
Antoine J. Chagnon pour l'appelante.
Alban Garon et Wilfred Lefebvre pour
l'intimé.
PROCUREURS:
Ogilvy, Cope, Porteous, Hansard, Marier,
Montgomery et Renault, Montréal, pour
l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
LE JUGE EN CHEF JACKETT (oralement)—Cet
appel porte sur un jugement de la Division de
première instance rejetant avec dépens un appel
interjeté par l'appelante, une entreprise de con
struction, de ses nouvelles cotisations pour les
années d'imposition 1967, 1968 et 1969, en
vertu de la Partie I de la Loi de l'impôt sur le
revenu.
Il est admis que la décision dans cet appel
dépend de la manière de considérer, aux fins de
l'impôt, certains paiements faits en vertu de
transactions intervenues entre l'appelante et ses
clients; les parties ont convenu que ces transac
tions sont toutes semblables à celle qui est con-
signée dans les documents établis à l'occasion
d'une entente entre l'appelante et l'Office des
autoroutes du Québec.
Dans le cours normal de ses opérations, cer-
taines sommes payables à l'entrepreneur sont
conservées par ses clients (conformément au
contrat de construction) à titre de «retenues»
pendant un certain temps après l'achèvement
des travaux. Ces retenues ne deviennent paya-
bles que sous réserve de conditions détermi-
nées—notamment, l'attestation de l'exécution
satisfaisante des travaux.
Il est admis qu'aux fins de l'impôt, il n'est pas
tenu compte des retenues dans le calcul du
revenu de l'appelante avant qu'elles ne soient
reçues ou exigibles.
Les nouvelles cotisations en cause s'appuient
sur la présomption que, bien qu'elles ne fussent
payables que plus tard, les retenues en question
[TRADUCTION] «furent néanmoins payées par les
ctents et reçues par l'entrepreneur en 1968 et
1969» et, en outre, que [TRADUCTION] «pour la
remise ou le paiement de ces retenues, l'appe-
lante a donné à ses clients des titres garantissant
la bonne exécution des travaux.»
Apparemment, les retenues en question ne
rapportent pas un intérêt suffisant. Afin d'obte-
nir un intérêt plus adéquat sur les retenues,
l'appelante a conclu avec ses clients les ententes
qui ont donné lieu au présent litige.
Dans chaque cas, l'entente prévoyait que:
(1) l'appelante achèterait d'une tierce per-
sonne un billet à terme payable au client, d'un
montant égal à la retenue et venant à
échéance à la date à laquelle on prévoyait que
la retenue deviendrait exigible;
(2) ce billet à terme serait déposé «en garan-
tie» dans une banque et ne serait délivré
qu'avec l'autorisation écrite du client;
(3) le client «remettrait» alors le montant de
la retenue à l'appelante;
(4) l'intérêt sur le billet à terme «reviendrait»
à l'appelante et, lorsque le client le recevrait
du souscripteur du billet, il le remettrait à
l'appelante; et
(5) à l'échéance du billet à terme, la valeur
nominale du billet serait versée au client, qui
«remettrait» cette somme à l'appelante «aux
conditions applicables» à la retenue.
Devant la Division de première instance, l'ap-
pelante affirmait qu'en fait les retenues
n'avaient pas été payées en vertu des contrats
de construction en 1968 et 1969, et qu'elles
n'auraient donc pas dû être incluses dans le
calcul des revenus d'entreprise de l'appelante
pour ces années-là.
Le savant juge du procès a rejeté les préten-
tions de l'appelante et, à première vue, je sous-
cris à son opinion. A mon avis, on ne peut
interpréter la clause de l'entente selon laquelle
le client [TRADUCTION] «remettra immédiate-
ment les retenues», que comme une obligation
pour le client de payer immédiatement les rete-
nues bien qu'il soit en droit de différer ce paie-
ment pendant un certain nombre d'années.
Cependant, il n'est pas nécessaire d'exprimer
une opinion définitive sur cette question car, à
mon avis, l'appel doit être accueilli même si les
retenues ont été payées en 1968 et 1969.
Devant cette Cour, la thèse de l'appelante,
telle qu'elle est exprimée dans son exposé des
faits et du droit, suggère une nouvelle approche
du problème. Je me réfère en particulier aux
passages suivants de cet exposé:
[TRADUCTION] 5. En concluant une entente particulière
avec un client, l'appelante n'a pas reçu le paiement de la
retenue mais seulement un montant égal à celui de la
retenue.
6. En concluant une entente particulière avec un client,
les droits et les obligations des deux parties résultant du
contrat de construction n'ont aucunement été modifiés sauf
que, par la suite, la retenue n'était plus gardée sous forme de
liquidités mais sous forme d'une garantie adéquate.
7. C'est le fond plutôt que la forme de ces ententes
particulières qu'il faut examiner afin de déterminer quelles
en sont les conséquences fiscales, s'il en est.
8. Si l'on conclut que l'appelante a reçu le montant de la
retenue en conséquence d'une entente particulière, il faut
conclure aussi que l'appelante s'est enrichie grâce à celle-ci.
9. Les faits démontrent que l'appelante, immédiatement
après avoir conclu une entente particulière, n'était ni plus
riche ni plus pauvre qu'immédiatement avant. Après la
conclusion de ces ententes particulières, l'appelante restait
créancier éventuel de sommes égales au montant des
retenues.
10. Selon les faits, si l'on considère que les retenues ont
été payées à l'appelante au moment où elle a conclu les
ententes particulières, les rentrées de l'appelante auraient
dû, au même moment, augmenter en conséquence et lui
permettre de payer tout impôt exigible sur ses rentrées
d'argent. Au contraire, d'après les faits de cette affaire,
l'appelante serait obligée d'emprunter afin d'acquitter les
impôts fixés par les nouvelles cotisations.
11. Si l'on admettait qu'en fait, l'appelante a reçu le
montant des retenues au moment de la conclusion de ces
ententes particulières, on devrait admettre aussi que l'appe-
lante n'est plus en droit, par la suite, d'exiger de ses clients
des paiements supplémentaires. Dans cette hypothèse, le
statut de l'appelante aurait alors changé de celui de créan-
cier éventuel à celui de créancier entièrement remboursé.
12. Dans l'hypothèse mentionnée au paragraphe précé-
dent, comment pouvons-nous expliquer ces sommes que
l'appelante, ayant conclu ces ententes particulières, était
encore en droit de percevoir à la date où les retenues
devenaient exigibles et payables, si ce n'est en admettant
que les titres donnés aux clients représentaient un dépôt fait
par l'appelante en garantie de ses obligations aux termes des
contrats de construction initiaux.
A mon avis, l'appelante a mal visé dans ses
efforts pour obtenir une juste imposition. Afin
de recevoir le paiement de la retenue pendant
l'année où les travaux étaient achevés, elle a
conclu une entente en vertu de laquelle elle
devait dépenser, pendant la même année, un
montant égal à cette retenue pour obtenir le
droit au paiement d'un montant égal à la retenue
à la date où, sous réserve des conditions pré-
vues, la retenue aurait été payable si le paiement
n'en avait pas été fait à l'avance en vertu de
cette entente. Au lieu de déduire de son revenu
pour l'année au cours de laquelle elle a reçu
cette retenue comme partie dudit revenu le
montant dépensé pendant la même année afin
de l'obtenir, l'appelante prétend à tort qu'elle
n'a jamais reçu la somme en cause.
A mon avis, l'entente conclue par l'appelante
avec son client concernant les retenues était une
des opérations effectuées dans le cours de son
entreprise et dans le but de produire un profit;
c'était donc une transaction à compte de revenu
et non à compte de capital. Il s'ensuit que non
seulement l'appelante devait porter à son
compte de profits et pertes de l'année où il fut
reçu le paiement immédiat de cette retenue
résultant de la transaction, mais elle avait aussi
le droit d'inclure, au débit de son compte de
profits et pertes de cette même année, ce qu'elle
avait dû payer alors afin d'obtenir le versement
immédiat de la retenue. Il s'ensuit aussi qu'elle
doit porter au compte des profits et pertes des
années suivantes tout montant reçu en vertu de
cette transaction (quand la retenue deviendra
payable en vertu du contrat de construction).
A mon sens, il en résulte que, sans cette
transaction particulière, cette retenue d'argent
se serait traduite, dans les comptes de pertes et
profits de l'appelante, de la manière suivante:
(1) Année de l'achèvement des travaux
— néant
(2) Année de l'attestation
— paiement de la retenue porté au crédit;
alors qu'en conséquence de l'entente conclue
avec le client, le résultat devient:
(1) Année de l'achèvement des travaux
— retenue portée au crédit
—montant égal à la retenue porté au débit
(2) Année de l'attestation (s'il y a lieu)
— montant égal à la retenue porté au crédit.
(Le paiement des intérêts serait aussi inscrit
correctement dans ces comptes.)
Il en résulte qu'à mon avis, l'appel doit être
accueilli, le jugement de la Division de première
instance infirmé et les cotisations mentionnées
dans l'avis d'appel déférées à l'intimé pour nou-
velle cotisation compte tenu du fait que les
sommes payées par l'appelante pour les «garan-
ties» mentionnées au paragraphe 5 de l'avis
d'appel étaient des dépenses à compte de
revenu et devaient donc être prises en considé-
ration dans le calcul des pertes et profits. Les
avocats sont invités à soumettre leurs préten-
tions quant aux dépens.
* * *
LE JUGE THURLOW et LE JUGE SUPPLÉANT
PERRIER ont souscrit à l'avis.
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