La Reine (Demanderesse)
c.
Gerald Dain (Défendeur)
Division de première instance, le juge Kerr—
Ottawa, les 20 et 23 novembre 1973.
Impôt sur le revenu—Pratique—Le Ministre demande à la
Cour de décider quelle part des bénéfices réalisés par la
société doit être attribuée à chaque associé—Jonction de
parties—Loi de l'impôt sur le revenu, art. 174(3)b).
Une société comprenant trois associés fut dissoute le 30
juin 1969, à la fin de son année d'imposition. Les bénéfices
de la société pour l'année fiscale 1969 se chiffraient à
$92,070.63. Par un accord conclu entre les parties, D a
abandonné sa participation dans le capital de la société
moyennant la somme de $15,000, et $350 pour les frais. Les
cotisations à l'impôt sur le revenu de chaque associé ont été
établies sur la base d'une participation dei aux bénéfices. D
interjeta appel de sa cotisation et la Commission de révision
de l'impôt accueillit cet appel. Le Ministre interjeta appel et
demanda à la Cour fédérale—Division de première instance,
dans une requête fondée sur l'article 174(3)b), une réponse à
la question soulevée et une ordonnance groupant les autres
associés à l'action.
Arrêt: la requête est rejetée. Rien à l'articlè 174 n'autorise
la Cour fédérale à grouper des parties dans un appel inter-
jeté par le Ministre d'une décision de la Commission de
révision de l'impôt. L'appel doit être le fait du contribuable.
REQUÊTE.
AVOCATS:
R. Pyne pour la demanderesse.
H. Pearl pour le défendeur.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
la demanderesse.
Cogan, Radnoff et Pearl, Ottawa, pour le
défendeur.
LE JUGE KERR—Il s'agit d'une requête pré-
sentée en vertu de l'article 174(3)b) de la Loi de
l'impôt sur le revenu. On m'a fait savoir que
c'est la première fois qu'une requête est présen-
tée en vertu de cet article de la loi et qu'aucune
jurisprudence ne porte sur cet article en
particulier.
Les passages de l'article 174 qui nous intéres-
sent se lisent comme suit:
174. (1) Lorsque le Ministre est d'avis qu'une même tran
saction ou un même événement ou qu'une même série de
transactions ou d'événements a donné naissance à une ques
tion de droit, de fait ou de droit et de fait qui se rapporte à
des cotisations relatives à deux ou plusieurs contribuables, il
peut demander à la Commission de révision de l'impôt ou à
la Cour fédérale—Division de première instance, de se pro-
noncer sur la question.
(2) Une demande présentée en vertu du paragraphe (1)
doit faire état
a) de la question au sujet de laquelle le Ministre demande
une décision,
b) des noms des contribuables que le Ministre désire voir
liés par la décision relative à cette question, et
c) des faits et motifs sur lesquels le Ministre s'appuie et
sur lesquels il s'est fondé ou a l'intention de se fonder
pour établir la cotisation d'impôt payable par chacun des
contribuables nommés dans la demande,
et un exemplaire de la demande doit être signifié par le
Ministre à chacun des contribuables nommés dans cette
demande et à toutes autres personnes qui, de l'avis de la
Commission de révision de l'impôt ou de la Cour fédérale—
Division de première instance, selon le cas, sont susceptibles
d'être touchées par la décision rendue sur cette question.
(3) Lorsque la Commission de révision de l'impôt ou la
Cour fédérale—Division de première instance, est convain-
cue que la décision rendue concernant la question exposée
dans une demande présentée en vertu du présent article
influera sur des cotisations intéressant deux ou plusieurs
contribuables à qui une copie de la demande a été signifiée
et qui sont nommés dans une décision de la Commission ou
de la Cour, selon le cas, elle peut, conformément au présent
paragraphe,
a) si aucun des contribuables ainsi nommés n'en a appelé
d'une de ces cotisations, entreprendre de statuer sur la
question de la façon qu'elle juge appropriée, ou
b) si un ou plusieurs des contribuables ainsi nommés se
sont pourvus en appel, rendre une décision groupant dans
cet ou ces appels les parties appelantes comme elle le juge
à propos.
(4) Lorsque la Commission de révision de l'impôt ou la
Cour fédérale—Division de première instance, statue sur
une question exposée dans une demande dont elle a été
saisie en vertu du présent article, la décision rendue est,
sous réserve de tout appel interjeté en vertu de la Loi sur la
Cour fédérale, finale et définitive aux fins de l'établissement
de toute cotisation d'impôt payable par les contribuables
nommés dans la décision, en vertu du paragraphe (3).
L'avis de requête appuyé par un affidavit de
Ronald J. Thrasher, demande:
a) une décision, conformément à l'article
174(3)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu,
groupant Arthuro Brez et Alcide Fortuna
dans l'action susmentionnée, afin de décider
quelle part des bénéfices réalisés par la
société A.B. & Lafortune Contractors, dans
son année d'imposition 1969, doit être attri-
buée à chacun des trois associés dans cette
société, à savoir, Gerald Dain, Arthuro Brez
et Alcide Fortuna;
b) une réponse à la question énoncée au para-
graphe a);
c) une décision portant que lesdits Gerald
Dain, Arthuro Brez et Alcide Fortuna sont
liés par cette réponse; et
d) des instructions relatives à la présentation
de la preuve nécessaire à la Cour pour qu'elle
puisse se prononcer sur la question.
Selon l'avis de requête, le Ministre a établi les
cotisations de toutes les personnes nommées au
paragraphe c), pour l'année d'imposition 1969,
en se fondant sur les faits suivants:
[TRADUCTION] 1. Le 1e' janvier 1967, ou vers cette date,
lesdits Gerald Dain, Arthuro Brez et Alcide Fortuna ont créé
une société afin d'exploiter une entreprise d'entrepreneurs
généraux, sous les nom et raison sociale de A.B. & Lafor-
tune Contractors.
2. Chaque associé avait une participation d'un tiers dans la
société.
3. L'année fiscale de la société se terminait le 30 juin.
4. Les bénéfices de ladite société pour l'année fiscale 1969
se chiffraient à $92,070.63.
5. Avant le 30 juin 1969, ledit Gerald Dain informa ses
associés qu'au 30 juin 1969, il mettrait fin à sa participation
dans la société.
6. A la suite d'une action intentée devant la Cour suprême
de l'Ontario par ledit Gerald Dain, les parties en arrivèrent à
un règlement. Le texte de l'accord, signé par ledit Gerald
Dain, se lit comme suit:
Ottawa, le 21 juillet 1969.
Je soussigné, GERALD DAIN, reconnais par les présentes
avoir reçu, lors de la dissolution de la société connue sous
le nom de A.B. and Lafortune Contractors, et exploitée
par Alcide Fortuna, Arthuro Brez et Gerald Dain, la
somme de $15,000.00, plus $350.00 pour les frais. J'ac-
cepte cette somme de $15,000.00 en contrepartie du
retrait complet et définitif de ma participation d'un tiers
dans l'actif de la société A.B. and Lafortune Contractors,
y compris, sans restreindre la généralité de ce qui précède,
l'encaisse disponible, les comptes à recevoir et tout autre
actif, qu'il s'agisse des immobilisations ou de l'actif de
roulement, y compris la clientèle.
Je renonce par les présentes, à compter du 1 ' juillet
1969, à toute participation que je pourrais avoir dans
l'actif, le nom et l'exploitation de A.B. and Lafortune
Contractors, et j'abandonne toutes les réclamations que je
pourrais être en droit de formuler à l'égard de l'actif de
Arthuro Brez, Alcide Fortuna et A.B. and Lafortune
Contractors.
Je m'engage à vendre pour la somme totale de $1.00,
toutes les actions que je peux avoir dans la A.B. and
Lafortune Contractors Limited, une compagnie privée en
voie de constitution, à toute personne désignée par
Arthuro Brez et Alcide Fortuna.
Je m'engage en outre à donner auxdits Arthuro Brez et
Alcide Fortuna, à leur demande, ma démission du conseil
d'administration de la compagnie susmentionnée.
Par les présentes, j'autorise mes procureurs à déposer
un avis de désistement dans l'action introduite à ma
demande le 14 juillet 1969 devant la Cour suprême de
l'Ontario, à Ottawa (no du greffe: 525/69).
Sur les conseils de mon procureur, j'accepte par les
présentes qu'on me verse la somme de $15,000.00 de la
manière suivante:
a) $2,000.00 m'ont déjà été versés.
b) Un chèque de $12,000.00 émis par Chiarelli et Guzzo,
avocats et procureurs, procureurs de Arthuro Brez et
Alcide Fortuna.
c) Un billet à ordre de $1,000.00, payable le 31 août
1969.
d) Je demande en sus que la somme de $350.00 soit
versée à mes procureurs, Gowling, MacTavish, Osborne
& Henderson, pour les frais.
Par les présentes, je déclare n'avoir conclu avec des
clients de la A.B. and Lafortune Contractors ni contrat ni
entente d'aucune sorte en son nom visant à l'exécution de
services supplémentaires ou à la fourniture de matériaux
additionnels en vertu des contrats existants, autres que
ceux signalés à Arthuro Brez et Alcide Fortuna.
Signature Signature
Témoin Gerald Dain`
7. Les états financiers furent établis après la signature du
document précité et la somme de $30,690.21, représentant
une participation d'un tiers aux bénéfices, fut portée au
crédit de chacun des associés.
8. Les cotisations à l'impôt sur le revenu desdits associés
ont été établies compte tenu de cette répartition des
bénéfices.
9. Dain s'opposa à cette cotisation et ensuite interjeta appel
auprès de la Commission de révision de l'impôt.
10. La Commission de révision de l'impôt par un jugement
daté du 27 février 1973, et mis à la poste le 28 février 1973,
accueillit l'appel interjeté par Gerald Dain et déféra la
cotisation au ministre du Revenu national, pour nouvelle
cotisation tenant compte du fait que Dain ne pouvait être
assujetti à l'impôt sur la somme de $12,682.42, parce qu'il
ne l'avait pas reçue et qu'il ne la recevrait jamais.
Selon l'avis de requête, le Ministre s'appuie
sur les raisons suivantes pour justifier les
cotisations:
11. Chacun desdits associés, ayant une participation d'un
tiers dans la société, avait droit à la même proportion de ses
bénéfices pour son année d'imposition 1969.
12. La part des bénéfices revenant à chaque associé se
chiffrait à $30,690.21 et était payable au cours de leur année
d'imposition 1969.
13. Conformément à l'article 6(1)c) de la Loi de l'impôt sur
le revenu, chaque contribuable devait ajouter la somme de
$30,690.21 à son revenu pour l'année d'imposition 1969.
14. L'accord signé par ledit Gerald Dain, reproduit ci-des-
sus au paragraphe 6, consistait uniquement en un abandon
de sa participation dans le capital de la société et n'entraî-
nait pas la perte de ses droits à sa part des profits de la
société pour son année fiscale 1969.
Au cours de l'audition de la requête, l'avocat
de la demanderesse présenta ses thèses en
faveur de la requête auxquelles s'opposèrent les
avocats du défendeur Dain et de Arthuro Brez.
On avait apparemment omis d'informer Alcide
Fortuna de la date de l'audience, qui avait
d'abord été fixée à une date reportée; il n'était
pas présent et personne ne le représentait.
Dans cette affaire, un des contribuables,
Dain, a interjeté appel des cotisations devant la
Commission de révision de l'impôt; l'article
174(3)b) s'applique donc.
L'avocat de la demanderesse soutient notam-
ment qu'en appel devant la Commission de révi-
sion de l'impôt et la Cour fédérale, il incombe
au contribuable de prouver que les cotisations
sont erronées et que, dans ce cas, l'appel devant
la Cour fédérale portant sur les cotisations de
Dain devrait être considéré comme un appel
interjeté par le contribuable au sens de l'article
174. Il soutient aussi qu'un des buts de cet
article est d'éviter des procès, en évitant qu'il y
ait des appels et auditions séparées lorsqu'il
s'agit de questions communes, comme dans le
cas, par exemple, de cotisations interdépendan-
tes. Il ajoute que, lorsqu'un appel est interjeté
par un contribuable devant la Commission de
révision de l'impôt, le Ministre peut attendre
que la décision soit rendue sans perdre son
droit, lorsqu'il fait appel d'une décision défavo-
rable de la Commission devant la Cour fédérale,
de demander une décision en vertu de l'article
174 et de demander que d'autres contribuables
soient groupés dans cette action ultérieure. Il
affirme enfin qu'une interprétation différente de
l'article entraînerait des conséquences anorma-
les.
Les avocats de Brez et de Dain maintiennent
que l'article 174 est précis, que l'appel visé à
l'article 174(3)b) doit être interjeté par un con-
tribuable et qu'il ne s'agit pas d'une action ou
d'un appel interjeté par le Ministre, et enfin
qu'en l'espèce, le Ministre devait demander une
décision sur la question lorsque l'appel interjeté
par le contribuable avait été entendu par la
Commission de révision de l'impôt.
L'objet de l'article 174 est de permettre
qu'une décision soit rendue sur les questions
mentionnées au paragraphe (1), et deux situa
tions y sont prévues: (a) le cas où aucun des
contribuables n'a interjeté appel d'une cotisa-
tion, et (b) le cas où un (ou plusieurs) des
contribuables a (ou ont) interjeté appel. Dans le
premier cas, lorsqu'on lui demande de statuer
sur une question, la Commission de révision de
l'impôt ou la Cour fédérale, selon le cas, peut se
prononcer sur la question de la façon qu'elle
juge appropriée. Dans le second cas, lorsqu'un
(ou plusieurs) contribuable(s) a (ou ont) interjeté
appel des cotisations, le Ministre est autorisé à
présenter une requête fondée sur l'article 174 au
tribunal saisi de l'appel; ce tribunal peut statuer
sur l'appel et la demande en vertu de l'article
174, et grouper dans cet appel d'autres parties.
Cependant, je ne trouve rien dans l'article 174,
en termes exprès ou par suite d'une déduction
raisonnable ou nécessaire, qui autoriserait la
Cour fédérale à grouper une partie ou plusieurs
parties à une action ou à un appel interjeté par
le Ministre d'une décision de la Commission de
révision de l'impôt, ce qui est le cas ici; en effet,
même si cette action résulte de la décision de la
Commission de révision de l'impôt sur un appel
interjeté par le contribuable et si, dans cette
action, il incombe encore au défendeur de prou-
ver que la cotisation était erronée, et même si
l'action est un procès de novo, il reste que ce
n'est pas un appel interjeté par le contribuable
mais par le Ministre.
Si un contribuable fait appel en première ins
tance devant la Commission de révision de l'im-
pôt et par la suite interjette appel de la décision
de la Commission devant cette Cour, il se peut
que le Ministre ait le droit de demander à cette
Cour de se prononcer sur une question en vertu
de l'article 174, même s'il n'a pas présenté cette
demande devant la Commission de révision de
l'impôt, à l'audition de l'appel initial, et dans ce
cas la Cour pourrait peut-être grouper d'autres
parties au second appel interjeté par le contri-
buable; mais ce n'est pas le cas en l'espèce.
En sus d'une décision groupant Brez et For-
tuna à l'action, pour que la Cour se prononce
sur la question de la répartition des bénéfices de
la société entre les associés, la demande vise
une réponse à la question ainsi qu'une décision
portant que les trois associés sont liés par cel-
le-ci. Il me semble que dans la mesure où Brez
et Fortuna seraient liés par une quelconque
décision, ils devraient absolument être groupés
dans cette action avant que ladite décision ne
soit rendue. Si la Cour n'a pas le pouvoir de les
grouper dans cette action, il va de soi qu'il n'y a
pas lieu de répondre à la question.
La requête est donc rejetée, avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.