Le procureur général du Canada (Requérant)
c.
Marc Michel Cylien (Intime')
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges
Thurlow et Pratte —Montréal, les 19 et 20
novembre 1973.
Examen judiciaire—Ordonnance d'expulsion—L'intimé
prétend être un «réfugié»—Appel à la Commission d'appel de
l'immigration—Déclaration de l'intimé—La Commission
doit-elle examiner seulement la «déclaration»—Preuve—
Interprétation du mot »décision»—Compétence de la Cour
d'appel fédérale—Loi sur la Cour fédérale, art. 28—Loi sur
la Commission d'appel de l'immigration, art. 11 (modifié par
1973, c. 27).
L'article 11 de la Loi sur la Commission d'appel de
l'immigration (modifié par 1973, c. 27, en vigueur le 15 août
1973) ne confère le droit d'interjeter appel d'une ordon-
nance d'expulsion que lorsque la personne concernée est un
résident permanent, détient un visa délivré hors du Canada,
prétend être un «réfugié» que protège la Convention des
Nations unies relative au statut des réfugiés (1951) ou
prétend être citoyen canadien. Le paragraphe 11(2) dispose
que, lorsque l'appelant prétend être un «réfugié» ou un
citoyen canadien, l'avis d'appel doit contenir une déclaration
sous serment énonçant tous les faits sur lesquels se fonde la
prétention. Le paragraphe 11(3) dispose que, lorsque la
prétention est de celles prévues au paragraphe 11(2), un
groupe de membres de la Commission formant quorum doit,
dès réception de l'avis d'appel, examiner la déclaration et, si
«en se fondant sur cet examen» elle estime qu'il existe des
motifs raisonnables de croire «que le bien-fondé de la pré-
tention pourrait être établi s'il y avait audition de l'appel»,
permettre que l'appel suive son cours et, sinon, refuser cette
autorisation et ordonner l'exécution de l'ordonnance
d'expulsion.
Le 30 août 1973, l'intimé interjeta appel d'une ordon-
nance d'expulsion et, le 5 septembre 1973, fit une déclara-
tion expliquant les raisons pour lesquelles il réclamait le
statut de «réfugié». Un comité de trois membres de la
Commission rendit une ordonnance demandant que le «dos-
sier» de l'enquête ayant abouti à l'ordonnance d'expulsion
lui soit transmis en vertu du Règlement 4(4)a). Le procureur
général du Canada demande un examen judiciaire, en vertu
de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, au motif que la
Commission devait décider si l'appel devait suivre son cours
en se fondant seulement sur l'examen de la «déclaration» et
non sur celui du «dossier».
Arrêt: la requête est rejetée. L'opinion de la Commission
sur la nature de ses obligations prévues par la loi à l'article
11(3) n'est pas une décision rendue en vertu de sa «compé-
tence ou de ses pouvoirs» de rendre des décisions et n'est
donc pas une «décision» que cette Cour a le pouvoir d'annu-
ler en vertu de l'article 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale.
Arrêt analysé: National Indian Brotherhood c. Juneau
[1971] C.F. 66.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
Paul 011ivier, c.r., et Duff Friesen pour le
requérant.
Reynold Icart pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
le requérant.
La correspondance doit être adressée au
3878, rue St-Hubert, Montréal, pour l'intimé.
LE JUGE EN CHEF JACKETT (oralement)—Il
s'agit d'une requête présentée par le procureur
général du Canada, fondée sur l'article 28 de la
Loi sur la Cour fédérale. Suite à la demande de
directives, l'avocat du procureur général fut
informé qu'il fallait démontrer à la Cour que
l'objet de la demande relevait de l'article 28. En
conséquence, lors de l'audition de la requête, les
avocats ont présenté des plaidoiries relatives à
la compétence de la Cour.
Avant de traiter du problème de compétence,
il faut examiner le contexte, ce que nous ferons
de la manière suivante:
1. Avant l'entrée en vigueur, le 15 août 1973,
du chapitre 27 des Statuts de 1973, l'article 11
de la Loi sur la Commission d'appel de l'immi-
gration autorisait toute personne frappée d'une
ordonnance d'expulsion en vertu de la Loi sur
l'immigration à interjeter appel devant la
Commission.
2. Depuis le 15 août 1973, l'article 11 de la Loi
sur la Commission d'appel de l'immigration,
modifié par le chapitre 27,
a) confère aussi, en vertu du paragraphe (1),
le droit d'interjeter appel, mais seulement
lorsque la personne frappée d'une ordonnance
d'expulsion
(i) est un résident permanent,
(ii) est en possession d'un visa délivré hors
du Canada,
(iii) prétend être un réfugié que protège la
Convention des Nations unies relative au
statut des réfugiés (1951), ou
(iv) prétend être citoyen canadien,
b) dispose, au paragraphe (2), que lorsque
l'appelant prétend être un «réfugié» ou un
citoyen canadien, l'avis d'appel doit contenir
une déclaration sous serment énonçant
(i) la nature de la prétention;
(ii) un énoncé suffisamment détaillé des
faits sur lesquels se fonde la prétention;
(iii) un résumé suffisamment détaillé des
renseignements et de la preuve que l'appe-
lant entend présenter à l'appui de la préten-
tion lors de l'audition de l'appel; et
(iv) tout autre exposé que l'appelant estime
pertinent en ce qui concerne la prétention.
c) dispose, au paragraphe (3), que lorsque
l'appelant fonde son appel sur la prétention
qu'il est un «réfugié» ou un citoyen canadien,
un groupe de membres de la Commission
formant quorum, dès la réception de l'avis
d'appel, «doit immédiatement examiner la
déclaration» et
(i) si «en se fondant sur cet examen», la
Commission estime qu'il existe des motifs
raisonnables de croire «que le bien-fondé
de la prétention pourrait être établi s'il y
avait audition de l'appel», elle doit permet-
tre que l'appel suive son cours, et
(ii) sinon, elle doit refuser cette autorisa-
tion et ordonner l'exécution de l'ordon-
nance d'expulsion.
3. Les ordonnances d'expulsion, conformément
à la Loi sur l'immigration, sont rendues par des
fonctionnaires appelés enquêteurs spéciaux et,
conformément aux Règles de la Commission
d'appel de l'immigration, on interjette un appel
en donnant avis à l'enquêteur spécial (article
4(1)) qui doit notamment (article 4(4)) déposer
immédiatement auprès du registraire de la Com
mission des copies de l'avis d'appel et du «dos-
sier», qui, par définition, comprend l'ordon-
nance d'expulsion et le procès verbal de
l'enquête tenue devant l'enquêteur spécial qui a
entraîné l'ordonnance d'expulsion.
4. Le 2 novembre 1973, le procureur général du
Canada déposa à la Cour un avis introductif de
demande en vertu de l'article 28, dans lequel
Marc Michel Cylien était désigné comme l'in-
timé. Par cet avis, on demande à la Cour d'annu-
ler [TRADUCTION] «la décision et l'ordonnance
de la Commission d'appel de l'immigration
datées respectivement des 16 et 24 octobre
1973...»
5. Le 7 novembre 1973, une requête fut présen-
tée en vertu de la Règle 1403 qui permet l'ob-
tention d'une ordonnance donnant des directi
ves notamment quant «aux documents devant
constituer le dossier d'après lequel il sera statué
sur la demande présentée en vertu de l'article
28». A l'occasion de l'examen de la requête,
l'intimé s'est présenté avec un ami qui n'est pas
avocat; bien entendu, il n'était pas apte à sou-
mettre des prétentions au sujet de ladite ordon-
nance. L'avocat du procureur général présenta
une description des documents sur lesquels il se
disposait à fonder sa demande en vertu de l'arti-
cle 28 et une ordonnance fut donc rendue stipu-
lant notamment que le dossier d'après lequel il
serait statué sur la demande présentée en vertu
de l'article 28 devait comprendre:
a) L'ordonnance d'expulsion contre Marc
Michel Cylien datée le 30 août 1973;
b) L'avis d'appel;
c) La déclaration sous l'article 11(2);
d) L'ordonnance de la Commission d'appel
de l'immigration datée le 10 septembre 1973;
e) L'avis d'audition de la Commission d'appel
de l'immigration daté le 11 septembre 1973;
f) La décision (motifs) de la Commission
d'appel de l'immigration datée le 16 octobre
1973;
g) L'ordonnance de la Commission d'appel de
l'immigration datée le 16 octobre 1973 et
signée le 24 octobre 1973;
h) La convention à laquelle il est référé dans
la Loi sur la Commission d'appel de l'immi-
gration et les documents connexes.
6. D'après les documents présentés dans cette
affaire, et si l'on admet, sans se prononcer à ce
sujet, que. les «motifs» de la Commission d'ap-
pel de l'immigration datés du 16 octobre 1973
établissent les faits tels que mentionnés aux
présentes, cette requête présentée en vertu de
l'article 28 résulte de la série d'événements
suivants:
a) Le 30 août 1973, une ordonnance d'expul-
sion fut émise à l'encontre de l'intimé.
b) Le même jour, l'intimé signa un avis
d'appel.
c) Le 5 septembre 1973, l'intimé fit une
déclaration expliquant les raisons pour les-
quelles il réclamait le statut de «réfugié».
d) Le 10 septembre 1973, des copies certi
fiées de l'ordonnance d'expulsion, de l'avis
d'appel et de la «déclaration» furent déposées
à la Commission d'appel de l'immigration.
e) Le 10 septembre 1973, un comité de trois
membres de la Commission rendit une ordon-
nance adressée au ministre de la Main-d'oeu-
vre et de l'Immigration et portant que la Com
mission avait entrepris l'examen de la
«déclaration» de l'intimé et demandant que le
«dossier» de l'enquête ayant abouti à l'ordon-
nance d'expulsion lui soit transmis en vertu
du Règlement 4(4)a).
f) Le 11 septembre 1973, la Commission
envoya un avis au ministre de la Main-d'oeu-
vre et de l'Immigration l'informant que, le 18
septembre 1973, elle examinerait la «déclara-
tion» de l'intimé.
g) Le 18 septembre 1973, l'avocat du Minis-
tre se présenta devant la Commission et fit
une «suggestion». Il fit valoir que l'article
11(3) exigeait que la Commission décidât si
l'appel devait suivre son cours ou non, en se
fondant sur l'examen de la «déclaration» de
l'intimé et «sur cela seulement»; il suggéra
que, si la Commission estimait que la «trans-
cription» des notes prises à l'enquête et la
tenue d'une audition étaient nécessaires «ou
utiles» au bon exercice des pouvoirs conférés
par l'article 11(3), elle devrait soumettre à la
Cour d'appel fédérale une question de droit
portant sur le point de savoir si l'article 11(3)
autorise la Commission, quand elle va statuer
en vertu de cet article, à examiner
a) la transcription des notes prises à l'en-
quête, et
b) toutes autres preuves ou exposés qui
pourraient se dégager au cours d'une
audition.
L'audition fut donc ajournée sine die.
h) Le 16 octobre 1973, la Commission, à la
majorité, a motivé sa «décision», rejetant la
suggestion faite au nom du Ministre. Dans
lesdits motifs, la Commission déclara qu'elle
confirmait son ordonnance du 10 septembre
1973, sous réserve d'une prolongation du
délai accordé pour produire le dossier de l'en-
quête ayant abouti à l'ordonnance d'expul-
sion.
Les «motifs» de la Commission d'appel de
l'immigration révèlent une profonde différence
d'opinion quant aux obligations imposées à la
Commission d'appel de l'immigration par l'arti-
cle 11(3) de la Loi sur la Commission d'appel de
l'immigration tel que modifié en 1973. Selon
mon interprétation de la thèse défendue devant
la Commission au nom du Ministre, la Commis
sion doit, dans le cas d'un appelant prétendant
être un «réfugié» ou un citoyen canadien, procé-
der, immédiatement après le dépôt de l'avis
d'appel, à un premier examen en se fondant
uniquement sur l'analyse de la «déclaration»
sous serment dans laquelle l'appelant doit
énoncer
a) la nature de la prétention;
b) un énoncé suffisamment détaillé des faits sur lesquels
se fonde la prétention;
c) un résumé suffisamment détaillé des renseignements et
de la preuve que l'appelant entend présenter à l'appui de
la prétention lors de l'audition de l'appel; et
d) tout autre exposé que l'appelant estime pertinent en ce
qui concerne la prétention.
De l'avis du Ministre, si, après avoir examiné la
«déclaration», la Commission estime «qu'il
existe des motifs raisonnables de croire que le
bien-fondé de la prétention pourrait être établi
s'il y avait audition de l'appel», elle doit permet-
tre que l'appel suive son cours et si, après avoir
examiné la «déclaration», la Commission estime
qu'il n'existe pas de «motifs raisonnables de
croire que le bien-fondé de la prétention pour-
rait être établi s'il y avait audition de l'appel»,
elle doit refuser de lui donner suite. La Commis
sion estime par contre que ce premier examen
prévu à l'article 11(3) n'a pas un caractère aussi
limitatif et qu'avant de décider si elle doit per-
mettre ou non à l'appel de suivre son cours, elle
doit (ou au moins peut) tenir compte, outre la
déclaration prévue à l'article 11(3), de ce qui est
ressorti de l'enquête effectuée par l'enquêteur
spécial et de ce que pourrait lui révéler une
audition tenue spécialement aux fins d'une déci-
sion fondée sur l'article 11(3). Il est manifeste
que la nature et la durée de la procédure envisa
gée à l'article 11(3), selon l'opinion jugée cor-
recte, diffèrent considérablement. Il est aussi
évident que la détermination de l'interprétation
correcte de cet article est importante pour la
mise en application du système d'appel des
ordonnances d'expulsion.
Sans aucun doute cette question peut être
réglée, au stade où en est la présente affaire, par
des procédures prévues dans la Loi sur la Cour
fédérale. Il y a cependant une importante ques
tion de droit, savoir, si l'on doit avoir recours
aux moyens de droit prévus à l'article 18 ou à
ceux prévus à l'article 28. C'est la première fois
qu'il est demandé à la Cour de se prononcer sur
cette question particulièrement importante et
dont dépend la mise en application efficace de
la Loi sur la Cour fédérale.
Les dispositions pertinentes de la Loi sur la
Cour fédérale sont les suivantes:
2. Dans la présente loi
g) «office, commission ou autre tribunal fédéral» désigne
un organisme ou une ou plusieurs personnes ayant, exer-
çant ou prétendant exercer une compétence ou des pou-
voirs conférés par une loi du Parlement du Canada ou
sous le régime d'une telle loi, à l'exclusion des organismes
de ce genre constitués ou établis par une loi d'une pro
vince ou sous le régime d'une telle loi ainsi que des
personnes nommées en vertu ou en conformité du droit
d'une province ou en vertu de l'article 96 de l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique, 1867;
18. La Division de première instance a compétence exclu
sive en première instance
a) pour émettre une injonction, un bref de certiorari, un
bref de mandamus, un bref de prohibition ou un bref de
quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire,
contre tout office, toute commission ou tout autre tribunal
fédéral; et
b) pour entendre et juger toute demande de redressement
de la nature de celui qu'envisage l'alinéa a), et notamment
toute procédure engagée contre le procureur général du
Canada aux fins d'obtenir le redressement contre un
office, une commission ou à un autre tribunal fédéral.
28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de
toute autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre
et juger une demande d'examen et d'annulation d'une déci-
sion ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de
nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un
processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un
office, une commission ou un autre tribunal fédéral ou à
l'occasion de procédures devant un office, une commission
ou un autre tribunal fédéral, au motif que l'office, la com
mission ou le tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a
autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée
d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la
lecture du dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclu
sion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire
ou sans tenir compte des éléments portés à sa
connaissance.
(3) Lorsque, en vertu du présent article, la Cour d'appel a
compétence pour entendre et juger une demande d'examen
et d'annulation d'une décision ou ordonnance, la Division de
première instance est sans compétence pour connaître de
toute procédure relative à cette décision ou ordonnance.
Il s'agit donc de décider maintenant si l'objet
de la présente demande fondée sur l'article 28
est une «décision» pouvant être annulée en
vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale.
Dans l'arrêt National Indian Brotherhood c.
Juneau [1971] C.F. 66, j'ai discuté, sans me
prononcer, aux pages 77 et suiv., certains des
problèmes que peut soulever la délimitation de
la portée des mots «décision ou ordonnance» à
l'article 28(1). Je me réfère notamment au pas
sage suivant:
La question la plus importante à trancher relativement à
l'application de l'art. 28(1) est probablement celle de la
signification des termes «décision ou ordonnance». Ces
termes s'appliquent clairement à la décision ou ordonnance
émanant d'un tribunal en réponse à une requête lui deman-
dant d'exercer ses pouvoirs après avoir adopté la procédure
qu'il décide d'adopter pour conclure sur ce qu'il doit faire en
réponse à la demande. Je suis enclin à croire, cependant,
qu'il est douteux que ces termes—i.e., décision ou ordon-
nance—s'appliquent aux innombrables décisions ou ordon-
nances que le tribunal doit rendre au cours des procédures
qui aboutissent au prononcé du jugement. J'ai à l'esprit des
décisions telles que
a) des décisions relatives aux dates d'audition,
b) des décisions sur des requêtes en ajournement,
c) des décisions concernant l'ordre d'audition des parties,
d) des décisions ayant trait à l'admissibilité de la preuve,
e) des décisions sur des objections à des questions posées
aux témoins, et
f des décisions sur l'autorisation de présenter une argu
mentation écrite ou orale.
Chacune de ces décisions peut fort bien faire partie du
tableau lors d'un pourvoi à l'encontre de la décision ultime
du tribunal au motif qu'il n'y a pas eu une audition loyale.
Cependant, si une partie intéressée a le droit de s'adresser à
cette cour en vertu de l'art. 28 chaque fois qu'une décision
de ce genre est rendue, il semble qu'on ait mis entre les
mains de parties peu disposées à ce qu'un tribunal exerce sa
compétence un moyen dilatoire et frustratoire incompatible
avec l'esprit de l'art. 28(5).
Je doute également que le refus d'un tribunal de connaître
d'une requête ou sa décision de procéder à une enquête
entrent dans le cadre de l'art. 28(1). A ce sujet, il se peut
fort bien que la ligne de partage se situe entre des décisions
d'un tribunal avant qu'il n'entreprenne et n'achève l'instruc-
tion d'une affaire où une partie doit procéder par la voie des
anciennes procédures de la Couronne et instituer une action
où la Cour peut décider s'il a droit à réparation, et des
décisions fondées sur une action déjà présentée au tribunal
où la Cour d'appel peut fonder sa décision sur ce qui a été
fait ou ne l'a pas été devant ce tribunal.
Je ne préténds pas avoir formulé d'opinion quant au sens
des termes «décision ou ordonnance» dans le contexte de
l'art. 28(1), mais il me semble que l'on veut dire qu'il s'agit
d'une décision ou ordonnance ultime prise ou rendue par le
tribunal en vertu de sa constitution et non pas la myriade
d'ordonnances ou de décisions accessoires qui doivent être
rendues avant de trancher définitivement l'affaire.
Je ne me propose pas ici de tenter de trancher
certains aspects du problème que je mentionnais
à cette époque, sauf dans la mesure où ce sera
nécessaire pour décider si la présente demande
d'annulation fondée sur l'article 28(1) porte
effectivement sur une «décision» au sens où ce
mot est utilisé dans cet article.
Selon mon interprétation des prétentions sou-
mises au nom du procureur général, la Commis
sion, en prononçant ses motifs à la majorité le
16 octobre 1973, a rendu, expressément ou
implicitement, une décision, par laquelle elle
rejetait l'objection faite à sa compétence, con-
firmait sa décision antérieure quant à la produc
tion du «dossier» et décidait de procéder à une
audition avant de s'acquitter de ses obligations
découlant de l'article 11(3). C'est cette décision
que l'avocat demande à la Cour d'annuler en
vertu de l'article 28. 1
Si l'on admet que le point de vue du Ministre
quant aux obligations imposées à la Commission
par l'article 11(3) est juste, à mon sens, ce que
la Commission a fait en prononçant ses motifs
le 16 octobre, si on les interprète bien, consti-
tuait soit
a) un refus de s'acquitter de ses obligations
découlant de l'article 11(3), à savoir, exami
ner «la déclaration» de l'intimé immédiate-
ment après l'avoir reçue et décider, en se
fondant seulement sur cet examen, de permet-
tre ou non que l'appel suive son cours, soit
b) la déclaration d'une compétence qu'elle n'a
pas, à savoir, celle de tenir compte de la
preuve et des exposés soumis à l'enquêteur
spécial, ainsi que toutes autres preuves ou
exposés qui lui seront présentés, avant de
s'acquitter des obligations lui incombant en
vertu de l'article 11(3),
ou était à la fois un refus de s'acquitter de ses
obligations et une déclaration erronée de com-
pétence; il est clair qu'il s'agit d'un cas où il y
aurait lieu de demander un bref de mandamus
ou un bref de prohibition, ou les deux, afin de
déterminer la nature exacte des obligations de la
Commission en l'espèce, à moins que l'article
28(3) n'empêche ce recours.
Il s'agit donc à mon avis de décider, en l'es-
pèce, si ledit refus de s'acquitter d'une obliga
tion ou ladite déclaration de compétence peu-
vent, vu les circonstances de l'affaire, être
considérés comme une «décision» au sens de ce
mot à l'article 28.
Afin de déterminer si ce qu'on présente ici
comme une décision est une «décision» au sens
de ce mot à l'article 28(1), il faut se rappeler que
la Commission d'appel de l'immigration est un
office, une commission ou un autre tribunal
fédéral car il s'agit d'un organisme ayant, exer-
çant ou prétendant exercer «une compétence ou
des pouvoirs» conférés par une loi du Parlement
du Canada (voir article 2g) de la Loi sur la Cour
fédérale). Une décision susceptible d'annulation
en vertu de l'article 28(1) doit donc être une
décision résultant de l'exercice ou du prétendu
exercice d'«une compétence ou des pouvoirs»
conférés par une loi du Parlement. Il va de soi
qu'une décision du tribunal, prise en vertu
d'«une compétence ou des pouvoirs» expressé-
ment conférés par la loi, est une «décision»
relevant de cette catégorie. Une décision prise
dans le prétendu exercice d'«une compétence
ou des pouvoirs» précis conférés par la loi
relève aussi manifestement de l'article 28(1).
Une décision de ce genre a pour effet juridique
de régler l'affaire, ou elle prétend avoir cet
effet. Une fois que, dans une affaire donnée, le
tribunal a exercé sa «compétence ou ses pou-
voirs» en rendant une «décision», la question
est tranchée et même le tribunal ne peut y
revenir?
En l'espèce, le problème est différent. La
Commission a «la compétence ou les pouvoirs»
en vertu de l'article 11(3) de décider à un stade
préliminaire si elle permettra à l'appel de l'in-
timé de suivre son cours. Cependant, elle n'a
pas encore pris de décision à ce sujet. Le pro-
blème soulevé, et à l'égard duquel la Commis
sion a pris position, porte sur le point de savoir
si l'article 11, interprété correctement, exige que
la Commission prenne une décision en vertu de
l'article 11(3) après avoir examiné la déclaration
mentionnée à l'article 11(2) et rien d'autre, ou
si, selon la loi, la Commission peut ou doit
examiner d'autres documents avant de prendre
cette décision. C'est une question de droit que la
Commission n'a pas «la compétence ni les pou-
voirs» de trancher. Elle doit, bien sûr, se faire
une opinion sur cette question, mais cette opi
nion n'a aucun effet juridique.'
Il existe une différence manifeste entre une
«décision» de la Commission dont l'objet relève
de «sa compétence ou de ses pouvoirs» et une
décision par laquelle elle détermine la nature
des pouvoirs qu'elle va utiliser. Une fois que la
Commission, dans une affaire donnée, a rendu
une décision relevant de «sa compétence ou de
ses pouvoirs», cette décision a un effet juridi-
que et la Commission a épuisé ses pouvoirs à
l'égard de cette affaire. Cependant, lorsque la
Commission prend position sur la nature des
pouvoirs qu'elle a l'intention d'utiliser, cette
«décision» n'a aucun effet juridique. Dans un
tel cas, il n'y a pas eu de décision en droit. La
Commission elle-même, quelle que soit sa com
position, peut, au cours de l'affaire où elle a pris
position, changer d'avis avant de traiter de cette
affaire et même poursuivre en se fondant sur
cette nouvelle opinion.
Il s'agit donc ici d'examiner la question de
savoir si l'article 28(1) s'applique non seulement
à toutes les décisions de la Commission d'appel
de l'immigration dans l'exercice ou le prétendu
exercice de «sa compétence ou de ses pouvoirs»
de rendre des décisions qui ont un effet ou des
conséquences juridiques, mais s'applique aussi à
toutes les conclusions auxquelles la Commission
est parvenue au cours des diverses étapes préli-
minaires avant d'exercer réellement «sa compé-
tence ou ses pouvoirs» de rendre des décisions.
Je me rends compte que de nombreux aspects
du problème relatif à la portée du mot «déci-
sion» à l'article 28, auxquels on ne songe pas
actuellement, peuvent être soulevés dans l'ave-
nir et révéler, lorsqu'ils se présenteront, des
points auxquels on n'a pas encore pensé.
Comme je l'ai déjà indiqué, je veux limiter
l'exposé de mon avis dans cette affaire à ce qui
est nécessaire pour trancher la présente
demande fondée sur l'article 28.
En l'espèce, à mon avis, l'opinion de la Com
mission sur la nature de ses obligations prévues
par la loi à l'article 11(3) n'est pas une décision
rendue en vertu de sa «compétence ou de ses
pouvoirs» de rendre des décisions et n'est donc
pas une «décision» que cette Cour a le pouvoir
d'annuler en vertu de l'article 28(1) de la Loi sur
la Cour fédérale.
A mon avis, la demande fondée sur l'article
28 doit être rejetée.
ANNEXE
I. En concluant de la sorte dans cette affaire, je
n'ai pas négligé le fait que l'article 28(1)a) men-
tionne expressément le cas où un tribunal
excède sa compétence ou refuse de l'exercer. A
mon avis, l'alinéa a) pris dans son contexte n'est
pas incompatible avec cette conclusion et vient
même l'étayer. Le passage pertinent de l'article
28(1) donne compétence pour juger une
demande d'annulation d'une «décision ou
ordonnance» au motif que le tribunal qui l'a
rendue
(i) «n'a pas observé un principe de justice
naturelle»,
(ii) «a ... excédé ... sa compétence», ou
(iii) «refusé d'exercer sa compétence».
Ce texte en lui-même ne confère pas compé-
tence pour décider qu'un tribunal n'a pas
observé un principe de justice naturelle, a
excédé ou a refusé d'exercer sa compétence. Il
fixe plutôt les «motifs» d'annulation d'une
«décision ou ordonnance». Ainsi, une «décision
ou ordonnance» peut être annulée au motif que
le tribunal a omis d'observer un principe de
justice naturelle en la rendant. De même, une
«décision ou ordonnance» peut être annulée au
motif qu'elle résultait de l'exercice d'une com-
pétence que le tribunal n'avait pas ou du fait
qu'en rendant cette décision ou ordonnance, le
tribunal a refusé d'exercer une partie de sa
compétence. L'arrêt Toronto Newspaper Guild
c. Globe Printing Company [1953] 2 R.C.S. 18,
est un exemple d'annulation d'une décision ou
ordonnance parce qu'en la rendant, le tribunal a
refusé d'exercer sa compétence; dans cette
affaire, le juge Kellock, prononçant le jugement
au nom des juges Estey et Locke et en son nom,
expliquant qu'on doit annuler l'ordonnance
d'une commission quand cette dernière refuse
de faire une enquête sur un des faits essentiels à
sa décision, déclare à la page 35: [TRADUCTION]
«c'était l'obligation même que la loi imposait à
la Commission. En refusant de le faire, la Com
mission a en fait refusé d'exercer sa
compétence.»
II. A propos du problème soulevé par la
demande fondée sur l'article 28, il n'est pas
superflu de signaler que, dans les cas où l'article
28 ne s'applique pas, on ne peut demander un
bref de certiorari lorsque la Commission a
refusé de conclure qu'elle n'a pas compétence,
avant que la Commission ait rendu une décision
en exerçant la compétence qu'elle prétend avoir
mais qu'en fait, elle n'a pas. Dans l'affaire Bell
c. Ontario Human Rights Commission [1971]
R.C.S. 756, on trouve un refus de ce genre,
(voir à la page 764, le juge Martland) et un bref
de prohibition fut demandé. La Cour d'appel de
l'Ontario décida que la demande de bref de
prohibition était prématurée, mais sa décision
fut infirmée par la Cour suprême du Canada. Le
juge Martland (prononçant le jugement de la
majorité de la Cour suprême du Canada), en
étudiant les rôles respectifs des brefs de prohi
bition et de certiorari, se référa à la page 772 de
l'arrêt R. v. Tottenham and District Rent Tri
bunal, Ex p. Northfield (Highgate) Ltd. [1957] 1
Q.B. 103, où Lord Goddard déclarait, à la page
107:
[TRADUCTION] Mais M. Winn nous a demandé de dire si, à
notre avis, les requérants étaient fondés à demander une
ordonnance de prohibition à cette cour et s'ils n'auraient pas
dû plutôt s'adresser au tribunal et soulever la question
devant lui. Bien sûr, ils auraient pu soulever la question
devant le tribunal et si ce dernier leur avait donné raison,
tant mieux. Si toutefois, il leur avait donné tort, ils auraient
été obligés de saisir cette cour-ci de l'affaire et de demander
une ordonnance de certiorari plutôt que de prohibition; mais
à mon sens, il serait impossible et tout à fait inopportun
d'établir une règle précise pour déterminer quand une per-
sonne qui conteste la compétence d'un tribunal doit s'adres-
ser à celui-ci ou demander une ordonnance de prohibition en
cette cour. Lorsque se pose, comme en l'espèce, une ques
tion de droit parfaitement simple, brève et claire, il me
semble tout indiqué, et certainement possible pour les requé-
rants, de demander à cette cour-ci de rendre une ordonnance
de prohibition. Cela n'empêcherait pas le tribunal en ques
tion de poursuivre l'audition de l'affaire, s'il le désire, durant
le délai accordé pour demander l'ordonnance de prohibition
et pendant l'audition de la requête; bien entendu, si une
ordonnance de prohibition est décernée, il ne lui sera pas
possible de rendre une décision, et si aucune ordonnance de
prohibition n'est décernée, il pourra faire connaître sa déci-
sion. Pour ma part, je dirais que lorsque se pose une
question de droit manifeste qui ne dépend pas de faits
particuliers—car aucun fait n'est en litige en l'espèce—rien
n'empêche les requérants de s'adresser directement à cette
cour-ci pour obtenir une ordonnance de prohibition plutôt
que d'attendre de voir si la décision leur sera défavorable,
éventualité qui les obligerait à demander une ordonnance de
certiorari.
Lorsqu'il utilise le mot «décision», Lord God-
dard se réfère à une décision d'un tribunal
rendue dans l'exercice de sa «compétence ou
des pouvoirs» qu'il prétend avoir, et non à une
décision portant qu'une question particulière
relève de sa compétence. Cela ressort claire-
ment lorsqu'il déclare: «si aucune ordonnance
de prohibition n'est décernée, il pourra faire
connaître sa décision».
* * *
LES JUGES THURLOW et PRATTE ont souscrit
à l'avis.
Au cours des débats, l'avocat du procureur général fit
savoir qu'il ne recherchait aucunement l'annulation de l'«or-
donnance» du 24 octobre, si ce n'est en tant que partie
intégrante de cette «décision».
2 A moins, bien sûr, qu'il ait les pouvoirs exprès ou
implicites de défaire ce qu'il a fait, ce qui est une compé-
tence supplémentaire.
3 La loi ne confère pas à la Commission, comme elle
aurait pu le faire, le pouvoir de déterminer sa propre
compétence.
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