Harold Armstrong Harcourt, Jeanne Katherine
Harcourt (Demandeurs)
c.
L'honorable Donald C. Jamieson, l'honorable
Jean Marchand, Jan Lewandowski et Lewmar
Air Toronto Limited (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Pratte —
Toronto, le 12 octobre; Ottawa, le 13 novembre
1973.
Aéronautique—Nuisance—Les avions utilisant l'aéroport
constituent-ils une nuisance pour les propriétés avoisinan-
tes—Y a-t-il violation du droit de propriété?
En 1965, les demandeurs achetèrent une ferme située à
proximité d'un aéroport auquel fut délivré, la même année,
son premier permis d'exploitation. Les demandeurs se plai-
gnirent de ce qu'en 1970, plusieurs avions décollant de
l'aéroport ou y atterrissant avaient commencé à survoler
leur propriété à faible altitude; malgré leurs plaintes répé-
tées, le ministère des Transports ne prit aucune mesure
préventive. Les demandeurs intentèrent une action contre
l'actuel ministre des Transports, son prédécesseur, le pro-
priétaire de l'aéroport et l'exploitant d'une école de pilotage.
Ils demandaient un bref de mandamus enjoignant le ministre
des Transports de faire respecter les dispositions de la Loi
sur l'aéronautique et d'empêcher que les avions utilisant
l'aéroport survolent leur propriété, ainsi que des dommages-
intérêts et une injonction à l'encontre des autres défendeurs,
alléguant une violation du droit de propriété et une nuisance.
Arrêt: l'action est rejetée.
1. La preuve ne permet pas de conclure que le ministre
des Transports et les fonctionnaires du ministère ont omis
de s'acquitter de leur devoir de faire respecter le Règlement
de l'Air. Arrêt discuté: Regina c. Commissioner of Police of
the Metropolis, Ex parte Blackburn [1968] 2 Q.B. 118.
2. Le survol de la propriété d'un autre n'est pas en soi
une violation du droit de propriété. Arrêt mentionné:
Lacroix c. La Reine [1954] R.C.É. 69.
3. La preuve établit que la plupart des avions décollant de
l'aéroport et y atterrissant ne survolent pas la propriété des
demandeurs et ne constituent pas une nuisance.
ACTION.
AVOCATS:
J. D. Crane pour les demandeurs.
B. F. Kennerly pour Jan Lewandowski et la
Lewmar Air Toronto Ltd.
L. R. Olsson, c.r., et H. Erlichman pour
l'honorable Donald C. Jamieson et l'honorable
Jean Marchand.
PROCUREURS:
Carrick, O'Connor, Coutts et Crane,
Toronto, pour les demandeurs.
B. F. Kennerly, Toronto, pour Jan Lewan-
dowski et la Lewmar Air Toronto Ltd.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'honorable Donald C. Jamieson et l'honorable
Jean Marchand.
LE JUGE PRATTE—Les demandeurs et leurs
enfants habitent une ferme située près d'un petit
aéroport, l'aéroport de Markham, où la défende-
resse, la Lewmar Air Toronto Limited, exploite
une école de pilotage. Le défendeur Jan Lewan-
dowski est propriétaire de cet aéroport; il est
aussi président et actionnaire principal de la
Lewmar Air Toronto Limited. Les demandeurs
se plaignent de ce que de petits avions apparte-
nant à la Lewmar Air Toronto Limited, et d'au-
tres, utilisant les installations de l'aéroport, sur-
volent constamment à faible altitude leur
maison, leur propriété et les alentours. Ils sou-
tiennent que la Lewmar Air Toronto Limited
viole leur droit de propriété en survolant leur
terrain et affirment aussi que les activités de
cette dernière et de Jan Lewandowski consti
tuent une nuisance. Ils prétendent enfin que
cette situation n'existerait pas si le ministre des
Transports s'était acquitté de son devoir de faire
respecter les dispositions de la Loi sur l'aéro-
nautique et les Règlements d'application. Les
demandeurs déclarent donc qu'ils ont droit aux
redressements suivants:
a) à l'encontre du ministre des Transports:
un bref de mandamus l'enjoignant de s'ac-
quitter de ses obligations et, en particulier,
de faire respecter les dispositions de la Loi
sur l'aéronautique de sorte que les avions
décollant ou atterrissant à l'aéroport de
Markham ne survolent plus la résidence et
la grange des Harcourt;'
b) à l'encontre du défendeur Jan Lewan-
dowski:
des dommages-intérêts pour avoir pris part
ou ne pas avoir empêché la violation des
droits de propriété des demandeurs et la
nuisance résultant du survol de la propriété,
ainsi que [TRADUCTION] «une ordonnance
l'enjoignant de ne plus prendre part au
survol de la propriété des Harcourt ou des
alentours ainsi que de ne plus demander ou
ordonner aux pilotes de le faire»;
c) à l'encontre de la défenderesse, la Lewmar
Air Toronto Limited:
des dommages-intérêts pour violation de
propriété et nuisance, ainsi qu'une ordon-
nance l'enjoignant de ne pas faire survoler
la résidence et la propriété des Harcourt ou
les alentours par des avions.
Harcourt est depuis plusieurs années direc-
teur du service des comptes d'une entreprise de
vente de matériaux de construction. En outre,
Harcourt s'occupait d'une exploitation agricole.
Apparemment, la famille Harcourt a toujours
vécu à la campagne, dans les environs de
Toronto. En 1965, Harcourt se rendit compte
que le district où ils vivaient à l'époque allait
devenir un secteur suburbain et décida de démé-
nager dans un secteur plus rural. En mars 1965,
il acheta une petite ferme à Markham où il
habite depuis avec sa famille? M. et Mme Har-
court sont tous les deux très actifs. Bien que la
profession de Harcourt l'oblige à s'absenter sou-
vent de chez lui, ils se sont occupés d'élevage et
ont cultivé, en plus de leurs propres terres, des
champs loués à des voisins. En décembre 1967,
Harcourt eut l'infortune de perdre un bras.. Le
fait qu'en dépit de son handicap, il ait gardé son
exploitation agricole et son travail de directeur
du service des comptes révèle sa fermeté de
caractère.
Excepté un incident sans importance en 1967,
les Harcourt n'ont pas été gênés par les avions
avant l'automne 1970. Cela ne veut pas dire que
l'aéroport n'existait pas avant cette époque. Un
permis fut délivré à l'aéroport en 1965 et la
Lewmar Air Toronto Limited fut autorisée à
exploiter une école de pilotage en 1966. Cepen-
dant, l'emplacement de l'aéroport est tel que,
pendant toutes ces années, il avait pu fonction-
ner sans déranger aucunement les Harcourt. La
ferme des demandeurs se trouve à l'est de la
route du 9e rang, au coin de la 18e Avenue.
L'aéroport se trouve à environ 2000 pieds à
l'ouest de la route du 9e rang et à approximative-
ment 600 pieds au nord de la propriété des
Harcourt. La piste étant à peu près perpendicu-
laire à la route du 9e rang et à 2000 pieds à
l'ouest de celle-ci, les avions décollant vers l'est
ou atterrissant vers l'ouest n'avaient pas à sur-
voler la propriété des Harcourt. Ils traversaient
la route du 9 e rang à un endroit situé à approxi-
mativement 600 pieds vers le nord de la limite
nord de la propriété des Harcourt.
Harcourt déclara qu'au cours de l'automne
1970, il remarqua pour la première fois que
plusieurs avions s'apprêtant à atterrir vers
l'ouest et décollant vers l'est survolaient sa pro-
priété à très faible altitude ainsi que celle de son
voisin, au nord, David Coutts. Cela ennuyait et
intriguait Harcourt. Ces vols à faible altitude
l'irritaient. Il se demandait pourquoi ces avions
avaient soudainement commencé à survoler sa
propriété et les alentours, au lieu de voler plus
au nord. Il attendit quelques mois. En mars
1971 la situation ne s'était pas améliorée. Il
écrivit alors une lettre au ministère des Trans
ports à Toronto et, quelques jours plus tard,
reçut la réponse suivante:
[TRADUCTION] 5151-322 (OCAR)
C. P. 7,
Toronto Dominion Centre,
Rue King ouest,
Toronto 111 (Ontario).
Le 19 mars 1971.
M. H. A. Harcourt,
R. R. 1,
Stouffville (Ontario).
Monsieur,
Nous accusons réception de votre lettre du 15 mars
1971. Vous déclarez que depuis vos premières lettres, il y a
presque quatre ans, vous n'avez pas eu à vous plaindre
d'avions volant à faible altitude, avant ces trois ou quatre
derniers mois. Il semble, d'après votre lettre, que vous soyez
maintenant considérablement importuné par des avions
volant à faible altitude, atterrissant apparemment à l'aéro-
port de Markham, ou en décollant.
Puisque vous ne spécifiez ni date ni heure ni identifica
tion d'avions, le ministère ne peut pas vraiment engager de
poursuites pour infraction au Règlement de l'Air.
Nous avons signalé à la direction de l'aéroport qu'il y
avait eu des plaintes et l'avons informée de la nature de ces
plaintes. De toute façon, il serait utile, dans toute correspon-
dance future à ce sujet, de nous donner des détails plus
précis concernant ces prétendues violations, comme nous
l'avons suggéré plus haut.
Nous nous rendons compte de l'importance de cette
affaire pour vous et nous nous efforcerons d'examiner
chaque incident aussi soigneusement que possible afin d'as-
surer que vous n'êtes pas exposé à un quelconque danger ou
même gêné par suite du survol de votre propriété par des
avions.
Sincèrement vôtre,
(signature) A. G. Carswell
pour le surintendant régional,
Règlement de l'Air, en Ontario.
AGC:eb
Au cours des mois suivants, jusqu'à l'intro-
duction de l'action en octobre 1972, Harcourt
rencontra plusieurs fonctionnaires du ministère
des Transports et leur écrivit près de 25 lettres.
Dans ces lettres, Harcourt soutenait que le
ministère avait l'obligation d'empêcher les
avions de survoler sa propriété ou les alentours;
il expliqua que sa propriété était située de telle
manière qu'un avion décollant ou atterrissant à
l'aéroport n'était pas obligé de voler au-dessus
ou à proximité; il insista sur le fait que ces
survols à faible altitude portaient atteinte à sa
sécurité et à celle de sa famille; il soutint que
ces survols résultaient d'un changement de cir
cuit; il suggéra que ce changement pouvait
résulter d'une erreur de la carte de l'aéroport
publiée dans le Canada Air Pilot; il suggéra
aussi que ce changement pouvait être imputable
au fait que le propriétaire de l'aéroport était
personnellement intéressé au terrain situé immé-
diatement à l'est de l'aéroport; il prétendit aussi
que le but délibéré de ces survols étaient de
l'importuner. Dans plusieurs de ses lettres, Har-
court décrivit en détail des exemples précis de
survols dangereux ou à faible altitude de sa
propriété ou des alentours.
Harcourt écrivit aussi de nombreuses lettres à
un membre du Parlement, Barnett J. Danson, et
à Allan Baker, adjoint spécial au ministre des
Transports. Au cours de l'automne 1971, Har-
court consulta un avocat, qui se trouvait être un
de ses vieux amis, Donald R. Nielson. Après
avoir rencontré des fonctionnaires du ministère
des Transports à Toronto, Me Nielson essaya de
résoudre le problème d'Harcourt en se mettant
en contact avec des fonctionnaires d'un niveau
supérieur. Il entra en contact avec Danson et,
par son intermédiaire, obtint un rendez-vous
pour Harcourt et lui-même avec Baker. Après
cette rencontre qui eut lieu au début de mars
1972, Harcourt commença à adresser à Danson
et Baker des lettres très semblables à celles qu'il
avait envoyées aux fonctionnaires du ministère
à Toronto.
Pendant cette période qui précéda l'introduc-
tion de cette action, Harcourt a vraisemblable-
ment consacré beaucoup de temps et d'énergie à
rassembler des preuves à l'appui de ses plaintes.
Pendant certaines périodes, Harcourt tint un
journal dans lequel, lui-même et d'autres mem-
bres de sa famille notaient les cas où un avion
survolait la propriété ou les alentours à faible
altitude ou de manière dangereuse. Dans ce but,
il avait commodément placé un bloc de papier
dans la cuisine ou la salle à manger afin que les
membres de sa famille puissent rapidement
noter tout incident méritant d'être retenu. Cer-
tains extraits de ces journaux furent communi-
qués à Danson et aux fonctionnaires du minis-
tère des Transports à Toronto. A partir
d'octobre 1971, Harcourt ne se contenta plus
d'observer les avions de sa propriété. Il prit
l'habitude de se poster sur la route du 9 e rang à
un endroit situé dans le prolongement de la piste
à environ 600 pieds au nord de sa propriété. De
là, il observait les différents circuits de vol. Il
remarqua que lorsqu'il se tenait à cet endroit,
tous les avions semblaient éviter sa propriété et
empruntaient un circuit convenable; cependant
dès qu'il quittait son poste d'observation et ren-
trait chez lui, les avions recommençaient à sur-
voler sa propriété. Harcourt acheta aussi une
caméra afin de prendre des films.
Les films pris par M. et M me Harcourt furent
projetés au cours du procès. A mon avis, ils
n'établissent pas les allégations des demandeurs,
savoir la violation du droit de propriété, la nui
sance ou la violation du Règlement de l'Air. On
peut dire la même chose des nombreuses photo-
graphies déposées à l'audience.
Harcourt était mécontent de l'attitude des
fonctionnaires du ministère des Transports. Il
ne pouvait cependant les accuser d'avoir com-
plètement négligé son problème. Ils se sont
rendus sur la propriété des Harcourt; ils sont
souvent entrés en contact avec Lewandowski
(apparemment désireux de coopérer) qui, sur
leurs conseils, afficha un avis à l'aéroport indi-
quant aux pilotes d'éviter de survoler la pro-
priété des demandeurs; ils ont observé, du sol et
en avion, le circuit de l'aéroport de Markham et
conclurent qu'il était normal et ne présentait
aucun danger. En outre, dans la plupart des cas
où Harcourt avait signalé ce qui semblait être
une violation du règlement par un avion identi-
fié, ils ont écrit au propriétaire de l'avion et au
pilote; toutefois, dans tous ces cas, l'affaire a
été abandonnée après que le pilote a nié avoir
commis une faute. Enfin toutes les lettres
d'Harcourt ont reçu une réponse, mais toujours
dans le même sens, affirmant chaque fois qu'on
n'avait pas décelé de violation du Règlement de
l'Air et que, si la prétendue nuisance persistait
en dépit de leurs efforts, il devrait examiner
l'opportunité d'engager des procédures devant
les tribunaux civils.
M. et Mme Harcourt ont finalement tenu
compte de ce conseil et ont introduit la présente
action en octobre 1972.
La demande de bref de mandamus à l'encon-
tre du Ministre soulève des problèmes qui sont
étrangers aux réclamations visant les deux
autres défendeurs. Avant d'examiner les autres
réclamations, je vais d'abord donner mon opi
nion sur ces problèmes.
1. Demande de bref de mandamus à l'encontre
du ministre des Transports.
On peut résumer les prétentions de l'avocat
des demandeurs de la façon suivante:
a) En vertu de l'article 3a) de la Loi sur
l'aéronautique', il incombe au ministre des
Transports de faire respecter les diverses dis
positions de la loi et de ses règlements
d'application.
b) En s'acquittant de ses fonctions, le Minis-
tre agit en tant que mandataire du législateur
et non en tant que préposé de la Couronne.
Pour cette raison, le cas échéant, il peut lui
être enjoint par bref de mandamus de s'en
acquitter.
c) La preuve démontre que le Ministre ne
s'est pas acquitté de son devoir de faire res-
pecter le Règlement de l'Air car, si l'on avait
examiné plus à fond les diverses plaintes de
Harcourt, on aurait décelé les violations du
Règlement de l'Air et on aurait pu effectuer
les condamnations.
d) Les demandeurs ont un intérêt réel à s'as-
surer que le Ministre s'acquitte de son devoir
de faire respecter le Règlement de l'Air à
l'aéroport de Markham.
Je conclus qu'il est inutile d'examiner toutes
ces prétentions. La preuve ne permet pas de
conclure que le ministre des Transports et les
fonctionnaires sous ses ordres ont omis de s'ac-
quitter de leur devoir de faire respecter le
Règlement de l'Air.
Le texte législatif ne décrit pas de quelle
manière le Ministre doit «diriger toutes les affai-
res se rattachant à l'aéronautique». Il n'impose
pas au Ministre de procéder à une enquête com-
plète pour toutes les violations du Règlement de
l'Air qui lui sont signalées. J'estime qu'il
découle indubitablement du texte législatif que
le Ministre et les fonctionnaires sous ses ordres
ont un certain pouvoir discrétionnaire dans
l'exercice de leurs fonctions. Les infractions au
Règlement de l'Air n'ont pas toutes le même
degré de gravité; ceux qui signalent une préten-
due violation ne sont pas tous également dignes
de foi. A mon avis, les tribunaux ne devraient
pas s'immiscer dans ce pouvoir discrétionnaire.
Comme le disait le maître des rôles dans l'arrêt
Regina c. Commissioner of Police of the Me
tropolis, Ex parte Blackburn ([1968] 2 Q.B. 118,
à la page 136):
[TRADUCTION] Bien que les officiers supérieurs de police
soient responsables en droit, ils ont, dans bien des domaines,
un pouvoir discrétionnaire dans lequel on ne peut intervenir.
Par exemple, il appartient au commissaire de police de la
région métropolitaine ou au chef des opérations de police,
selon le cas, de décider s'il y a lieu de continuer une
enquête, ou de procéder à une arrestation ou encore d'enga-
ger des poursuites dans un cas donné. C'est à lui de décider
de la répartition des forces de police, savoir, sur quel crime
ou dans quel secteur en particulier il doit concentrer ses
ressources. Aucun tribunal ne peut ni ne doit lui donner
d'instructions à ce sujet. Il peut aussi prendre des directives
générales et les faire appliquer. Par exemple, on s'abstient
souvent d'intenter des poursuites dans le cas des tentatives
de suicide. Mais il y a certaines mesures au sujet desquelles,
à mon avis, les tribunaux peuvent, si nécessaire, intervenir.
Supposons qu'un chef des opérations de police donne à ses
hommes l'ordre de ne pas poursuivre une personne pour vol
si la valeur des marchandises volées est inférieure à £100.
J'estime que la cour pourrait l'annuler, ledit chef ayant failli
à ses obligations, savoir, faire respecter la loi.
Dans l'affaire présente, il n'y a pas eu, comme
dans l'affaire Blackburn, de décision de ne pas
faire respecter la loi et le Règlement. Dès qu'ils
ont pris connaissance des plaintes de Harcourt,
les fonctionnaires du ministère des Transports
ont fait procéder aux enquêtes qu'ils estimaient
appropriées dans les circonstances. Si plus tard
ils n'ont porté aucune accusation ni pris de
mesures disciplinaires à l'encontre de ceux qui
sont censés avoir dérogé au Règlement, c'est
parce qu'ils estimaient honnêtement que les vio
lations en question n'avaient jamais eu lieu ou
ne pouvaient être prouvées. En agissant ainsi, le
ministre des Transports et les fonctionnaires du
ministère se sont acquittés de leurs devoirs au
sens des textes législatifs.
Pour ces motifs, la requête des demandeurs,
visant à obtenir un bref de mandamus à l'encon-
tre du ministre des Transports doit, à mon avis,
être rejetée.
2. Les réclamations des demandeurs à l'encon-
tre de 1â Lewmar Air Toronto Limited et de Jan
Lewandowski.
L'action des demandeurs contre les deux
défendeurs est fondée sur la violation du droit
de propriété et la nuisance.
Dans la mesure où cette action se fonde sur
une violation du droit de propriété, je suis d'avis
qu'elle n'est pas recevable. A mon avis, le
survol à faible altitude de la propriété d'un autre
ne suffit pas pour constituer une violation du
droit de propriété. (Voir: Lacroix c. La Reine,
[1954] R.C.É. 69; ainsi que Salmond on Torts,
15e éd. 1969, aux pp. 54 et suivantes; Fleming,
The Law of Torts, 4e éd. 1971, aux pp. 44 et
suivantes.) En l'espèce, la preuve ne démontre
pas que les avions utilisant l'aéroport de Mark-
ham faisaient autre chose que survoler à faible
altitude la propriété des demandeurs et les alen-
tours. Dans ces circonstances, le seul moyen de
droit à la disposition des demandeurs est la
nuisance.
Si, pour statuer sur cette affaire, la seule
preuve pertinente était celle des demandeurs, il
est fort probable que je doive juger que le
survol à faible altitude de la propriété des
demandeurs ou des alentours par de petits
avions bruyants constitue effectivement une
nuisance donnant un droit d'action.
M. et M me Harcourt ont longuement témoigné.
Ils ont présenté leurs journaux et raconté en
détail des cas innombrables où des avions utili-
sant les installations de l'aéroport de Markham
avaient survolé à faible altitude leur propriété et
les alentours. Ils ont déclaré que la présence de
ces avions bruyants avait complètement boule-
versé leur vie. Pendant les fins de semaine, il ne
leur était plus possible de se reposer pendant la
journée. Très souvent le bruit de ces avions les
réveillait tôt le matin. Il leur était devenu impos
sible de vaquer normalement à leurs occupa
tions. Harcourt est tellement gêné par le bruit et
la vue de ces avions qu'il a abandonné ses
activités agricoles. Mme Harcourt, qui aimait les
travaux de jardinage, la lecture et le tricot, ne
peut plus s'y adonner. Tous les membres de la
famille qui avait l'habitude de vivre autant que
possible en plein air, doivent maintenant se can-
tonner dans la maison. Et même là, le bruit des
avions volant à faible altitude est tel qu'il est
souvent impossible d'avoir une conversation
normale.
Deux des enfants Harcourt, Norma et Harold
fils, ont aussi témoigné. Tous les deux ont
raconté les cas où ils avaient vu des avions
survolant la propriété à faible altitude. Norma
déclara que parfois les vols continuaient jusqu'à
22h30 et que les avions faisaient un bruit tel
qu'elle ne pouvait ni dormir ni travailler. Elle
confirma une observation de son père et déclara
que lorsqu'elle quittait la maison et se dirigeait
vers le nord sur la route du 9 e rang, les avions
approchant de l'aéroport semblaient la suivre et
voler plus au nord. Harold fils affirma que le
bruit des avions le réveillait souvent les samedis
et dimanches. Il les entendait aussi après la
tombée de la nuit. Tout comme son père et sa
soeur, il a remarqué que lorsqu'il se dirigeait
vers le nord, sur la route du 9 e rang, en venant
de la propriété, les avions approchant de l'aéro-
port semblaient le suivre. Il déclara que lorsqu'il
se postait avec son père sur la route du 9 e rang,
directement dans l'axe de la piste, les avions
semblaient voler directement au-dessus d'eux.
En plus de ces membres de la famille Har-
court, voici les témoins principaux cités par les
demandeurs: Donald Roy Nielson, David
Coutts, Susanne Coutts et Alfred Lightstone.
Nielson est l'avocat qu'Harcourt avait
d'abord consulté à l'automne 1971. Il parla de
ses différentes démarches pour convaincre les
autorités du ministère des Transports d'essayer
de mettre fin à la nuisance dont Harcourt se
plaignait. Il déclara avoir rendu visite aux Har-
court et avoir remarqué que parfois le bruit des
avions gênait la conversation. Il confirma aussi
l'observation d'Harcourt selon laquelle les
avions ne semblaient pas survoler la propriété
lorsqu'il se postait plus au nord, sur la route,
dans l'axe de la piste.
David Coutts est le voisin des Harcourt. Sa
propriété se trouve immédiatement au nord de
la leur. Il habite à cet endroit depuis 1966. Dès
son installation il remarqua des avions près de
sa propriété. Maintenant les avions semblaient
voler plus près de sa résidence. Coutts affirma
qu'à plusieurs reprises, des avions avaient sur-
volé sa maison à moins de 100 ou 125 pieds. Il
estime que ces survols à faible altitude sont
dangereux et cette situation l'inquiète. Cepen-
dant, a-t-il déclaré, la plupart des avions volent
à une beaucoup plus grande altitude.
Susanne Coutts est la belle-fille de David
Coutts. Pendant les 4 dernières années, elle a
habité avec son mari et son enfant, dans le
sous-sol de la maison des Coutts. Elle affirme
avoir souvent vu des avions survoler leur rési-
dence et la propriété des Harcourt. Le nombre
de ces survols semble avoir augmenté au cours
des 2 dernières années. Lorsqu'elle est dans son
appartement, au sous-sol, elle n'est pas déran-
gée par le bruit des avions; à l'étage cependant
on entend les avions qui parfois gênent la con
versation. Elle n'a jamais été réveillée par le
bruit des avions. Elle craint, comme son beau-
père, que ces survols à faible altitude soient
dangereux.
Alfred Lightstone est ingénieur, spécialisé en
acoustique. Quelques mois avant le procès, il se
rendit chez les Harcourt. Avec un équipement
spécial, il enregistra sur bande magnétique tous
les sons qui pouvaient être entendus, un diman-
che après-midi, près de la maison des Harcourt.
Une partie de cette bande fut jouée à l'audience
au cours du procès. A mon avis les sons que j'ai
entendus ne constituent pas une nuisance.
Voilà donc, en résumé, la preuve présentée
par les demandeurs.
Cette preuve fut contestée par plusieurs
témoins des défendeurs.
Six personnes, résidant plus près de l'aéroport
que les Harcourt, à des endroits susceptibles
d'être survolés par les avions décollant de l'aé-
roport ou y atterrissant, témoignèrent qu'ils
n'étaient aucunement gênés ni dérangés par la
vue ou le bruit des avions qui survolaient cons-
tamment leurs maisons à faible altitude. M. et
Mme Roy Harvey, qui habitent à l'ouest de l'aé-
roport, à environ 600 pieds de l'extrémité ouest
de la piste, ont témoigné en ce sens; il en est de
même du témoignage de M. et Mme Herbert
Hoover, qui vivent à l'est de l'aéroport sur la
route du 9e rang, à un endroit situé exactement
dans le prolongement de la piste, de ceux de
David Adams et de M. et Mme Donald R. Long,
dont la résidence donne sur la route du 9e rang,
au nord de la propriété des Adams. Tous ces
témoins affirmèrent que les avions décollant de
l'aéroport et y atterrissant survolaient constam-
ment leurs maisons qui sont plus proches de la
piste que celle des Harcourt. Ils ont tous déclaré
que, la plupart du temps, ces petits avions sont
peu bruyants.
Je dois souligner que Lewandowski a
demandé aux pilotes de l'aéroport et aux élèves-
pilotes d'éviter de survoler la propriété des
Harcourt.
L'avocat des demandeurs a avancé qu'il ne
faut attacher aucune importance aux témoigna-
ges des personnes résidant dans le voisinage. A
son avis, ces témoignages établissent seulement
qu'il y a peu de bruit à l'endroit où ces témoins
habitent. Cet argument est à mon avis sans
fondement. Selon la preuve, la plupart des
avions décollant à l'aéroport de Markham et y
atterrissant ne survolent pas la propriété des
demandeurs, mais volent plus au nord dans le
prolongement de la piste. Je dois tenir compte
du fait que, normalement, les avions survolent
probablement plus souvent la résidence de ces
témoins que la maison des demandeurs; je dois
tenir compte aussi du témoignage de ces
témoins selon lesquels la plupart des avions
survolaient effectivement leur résidence et les
alentours.
Selon Harcourt lui-même, la plupart des
avions approchant ou quittant l'aéroport ne sur-
volent pas sa propriété, mais la propriété et la
résidence de Coutts. En dépit de cela, dans son
témoignage, Coutts ne dit rien qui puisse nous
permettre de déduire que ces avions créent une
nuisance.
J'estime que la preuve présentée par les
défendeurs l'emporte sur celle des demandeurs.
A mon avis, on ne peut se fier à la preuve
présentée par les membres de la famille Har-
court. Non parce que ces personnes ne sont pas
honnêtes, mais parce qu'ils sont obsédés à tel
point par la présence des avions survolant leur
propriété qu'ils exagèrent la gêne mineure qui
en résulte. Si les demandeurs et leur famille
n'étaient pas hypersensibles, ils ne seraient ni
gênés ni dérangés, à mon avis, par ce qu'ils
considèrent maintenant comme une nuisance.
Pour ces motifs, l'action des demandeurs est
rejetée avec dépens.
1 Dans leur déclaration, les demandeurs réclamaient aussi
des dommages-intérêts au ministre des Transports. A l'ou-
verture de l'audience, cependant, l'avocat des demandeurs
déclara que cette demande était abandonnée. A la fin du
procès, l'avocat demanda l'autorisation de «reprendre» cette
action en dommages-intérêts. La demande fut rejetée.
2 En 1971, Harcourt céda à son épouse la moitié des
droits sur sa propriété.
S.R.C. 1970, c. A-3, l'art. 3a) se lit comme suit:
3.11 incombe au Ministre
a) de diriger toutes les affaires se rattachant à
l'aéronautique;
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.