Pfizer Company Limited (Appelante)
c.
Le sous-ministre du Revenu national (Douanes et
Accise) (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett., le juge
Thurlow et le juge suppléant Choquette —Mon-
tréal, le 28 novembre 1972; Ottawa, le 12 jan-
vier 1973.
Douanes et accise—Preuve—Statuts—Appel—Exemption
de droits de douane pour un antibiotique «et ses dérivés»—
Sens de «dérivés»—La décision porte-t-elle sur une question
de droit?
Agissant en vertu du pouvoir que lui confère la loi, le
gouverneur en conseil, a pour une période déterminée,
exempté de droits de douane les antibiotiques, à l'exception
entre autres de la «tétracycline et ses dérivés». L'oxytétra-
cycline et la chlortétracycline sont des antibiotiques qui
possèdent une structure moléculaire semblable à celle de la
tétracycline mais qui ne peuvent ni l'une ni l'autre être
fabriquées à partir de cette dernière. Seuls les sels d'oxyté-
tracycline sont fabriqués au Canada par l'appelante. Lors de
l'audience devant la Commission du tarif, les témoignages
d'experts au sujet du sens pris par le terme «dérivé» dans le
domaine scientifique concerné, de même que les définitions
données par les dictionnaires courants, ne se sont pas révé-
lés probants; mais la Commission, après avoir consulté les
ouvrages techniques, a conclu que dans le domaine des
antibiotiques, le terme «dérivé» était utilisé au sens large, ce
qui l'a amenée à la conclusion que ces antibiotiques étaient
tous les trois visés par l'exception à l'exemption. Appel a été
interjeté devant cette Cour. L'appel était limité à une ques
tion de droit.
Arrêt (le juge suppléant Choquette étant dissident): Les
critères appliqués par la Commission pour déterminer le
sens du terme sont fondés et la détermination de ce sens par
la Commission constitue une question de droit. Elle est donc
susceptible d'être réformée par la Cour.
Le juge suppléant Choquette, dissident: Le terme
«dérivé» figurant au décret est ambigu et il aurait donc dû
être interprété dans le sens le plus favorable à l'appelante.
APPEL de la Commission du tarif.
AVOCATS:
John Gomery et Jack Miller pour
l'appelante.
S. Froomkin pour l'intimé.
PROCUREURS:
Martineau, Walker, Allison, Beaulieu,
Phelan et MacKell, Montréal, pour l'appe-
lante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
LE JUGE EN CHEF 7ACKETT—II s'agit d'un
appel d'une décision de la Commission du tarif
en vertu de la Loi sur les douanes, S.R., 1970,
c. C-40.
Ces dernières années, trois produits chimi-
ques ont pris une place importante parmi les
substances thérapeutiques: l'oxytétracycline, la
chlortétracycline et la tétracycline. La similarité
des noms de ces trois médicaments vient de ce
que la structure moléculaire de chacun d'entre
eux est composée de quatre cycles de carbone.
En pratique, chacun est obtenu sans que les
autres soient utilisés comme matière première.
Selon les témoignages, il est possible de prépa-
rer la tétracycline à partir de la chlortétracycline
mais ni la tétracycline ni l'oxytétracycline ne
peuvent servir de matière première à la prépara-
tion des deux autres.
Certains sels de chacun de ces produits chimi-
ques ont pris de l'importance en tant que pro-
duits thérapeutiques.
Les remèdes à base d'oxytétracycline entrent
en concurrence avec les remèdes à base de
chlortétracycline. Les sels de chlortétracycline
sont produits au Canada. Ceux des deux autres
produits ne le sont pas.
Ces trois substances et leurs sels sont des
antibiotiques.
Dans ce contexte, le gouverneur en conseil,
en vertu du pouvoir que lui confère la loi, a pris
un décret portant exemption de droits de
douane pour les antibiotiques sous réserve de
certaines exceptions, notamment, la «Tétracy-
cline et ses dérivés».
Il s'agit donc de savoir si certains sels d'oxy-
tétracycline sont compris dans la catégorie
«Tétracycline et ses dérivés» et s'ils sont, par
suite, exempts des droits de douane.
Il est admis de part et d'autre que les sels en
question sont des dérivés de l'oxytétracycline.
Si l'on suppose que le terme «dérivé» est
employé dans son sens courant, il me semble
que, dans ce contexte, il désigne une substance
produite à partir d'une autre (dérivée d'une
autre), directement ou indirectement. Dans cette
affaire, une telle interprétation aurait pour effet
de ne protéger les fabricants canadiens de chlor -
tétracycline et de sels de chlortétracycline que
contre les importations de sels de tétracycline.
Ils ne seraient pas protégés non seulement
contre l'importation d'oxytétracycline ou de ses
sels mais encore contre l'importation de chlorté-
tracycline ou de ses sels.
Il semble peu probable que l'on ait voulu
protéger le fabricant de chlortétracycline contre
la tétracycline et ses sels sans le faire contre la
chlortétracycline et ses sels. Cependant, si tel
est le sens véritable des mots employés, on doit
les interpréter dans ce sens, quelque invraisem-
blable que l'intention du législateur puisse
sembler.
Devant la Commission du tarif, des preuves
ont été déposées aux fins d'établir le sens du
terme «dérivé» dans le domaine de la science
qui porte sur ces substances. La Commission a
résumé ces preuves dans sa décision. Vu qu'au-
cune des parties n'a mis en doute l'exactitude de
ce résumé, je tiens pour acquis qu'il expose la
preuve sur ce point à la satisfaction des parties.
Les témoins de l'appelante sont respective-
ment ingénieur chimiste et chimiste. Leur posi
tion est que «... le terme «dérivé» suppose que
la substance dérive d'une autre substance. Il
faut que se produise une transformation biochi-
mique ou tout au moins chimique ... pour que
l'on puisse parler de transformation d'une sub
stance en son dérivé.»
L'un des témoins de l'intimé est un spécialiste
en chimie médicale organique. A son avis, la
méthode de préparation est sans importance. La
Commission semble toutefois avoir considéré
qu'il n'a exprimé aucune opinion sur le sens du
mot «dérivé» dans ce contexte. Selon la Com
mission, le témoin a déclaré que «... si la struc
ture chimique d'un composé établit qu'il est bien
un dérivé d'un autre composé il importe peu de
savoir si ce dérivé a été produit par un orga-
nisme vivant ou s'il a été produit synthétique-
ment», et que, à son avis, «il faut faire une
distinction entre «derived frorn» (dérivé de) et
«a derivative of» (un dérivé de): il s'agit dans le
premier cas d'une source de production et dans
le second d'une substance liée étroitement à une
structure chimique déterminée». Le deuxième
témoin de l'intimé est médecin vétérinaire. D'a-
près lui, un dérivé est, au sens usuel «une sub
stance appartenant à une catégorie de substan
ces reliées par une structure semblable». Pour
désigner la production d'une substance à partir
d'une source, ce témoin préfère l'expression
«derived from» (dérivé de) à l'expression «deri-
vative of» (un dérivé de), cette dernière se rap-
portant selon lui «à une réaction, une structure
et une utilisation similaires et non à une source
ou origine».
La Commission a apparemment considéré
qu'elle ne pouvait tirer aucune conclusion des
témoignages des experts en ce qui concerne le
sens du terme «dérivé» employé dans le décret
et a décidé de résoudre le problème en litige en
s'en rapportant aux définitions des dictionnaires
de langue générale ainsi qu'à celles des diction-
naires et ouvrages techniques.
Il est utile de souligner que de nombreux
dictionnaires de langue générale cités par la
Commission donnent une ou plusieurs défini-
tions du terme «dérivé» pris dans le sens qu'il
revêt en chimie. L'une de ces définitions techni
ques est l'application du sens usuel du terme à
ce domaine particulier, comme c'est le cas dans
l'Oxford English Dictionary «. . . [TRADUC-
TION] 5. Chim. Substance produite à partir d'une
autre, par exemple, par substitution partielle.»
D'autre part, il existe une définition probable-
ment plus large et différemment exprimée: la
définition du Webster's Third New International
Dictionary en constitue un exemple:
[TRADUCTION] 4a: une substance chimique dont la struc
ture est tellement semblable à celle d'une autre substance
qu'elle pourrait théoriquement être obtenue à partir de
celle-ci même s'il n'est pas possible de le faire en prati-
que....
Certains dictionnaires techniques donnent des
définitions légèrement différentes, par exemple:
[TRADUCTION] «ressemblance théorique entre
les structures moléculaires de composés organi-
ques semblables» (Hackh's), et [TRADUCTION]
«en chimie organique, un composé est considéré
comme le dérivé d'un hydrocarbure donné lors-
qu'il contient le même nombre d'atomes de car-
bone et que ceux-ci sont disposés de la même
façon» (Stewart).
Après un examen de ces définitions, la Com
mission conclut qu'il ressort nettement qu'en
chimie de même que dans les domaines con-
nexes le terme «dérivé» est pris parfois dans
son sens large et parfois dans son sens restreint
et que «chacune de ces significations peut con-
venir lorsque le mot est employé dans son con-
texte approprié».
Toutefois, la Commission a ensuite analysé
l'emploi du terme «dérivé» dans les ouvrages
techniques sur les antibiotiques, la médecine et
la science vétérinaire traitant des «tétracycli-
nes», terme qui comprend de toute évidence les
trois produits en question ainsi que leurs sels,
ainsi que les témoignages des experts de la
médecine, de la chimie et de la science vétéri-
naire, et elle a conclu que «le sens large attribué
au mot «dérivé» (derivative) est celui qui est
conforme à l'usage et aux opinions courantes
dans le domaine des antibiotiques», et que
«vouloir ne lui donner que le sens restrictif
serait contraire à cet usage et à ces opinions».
En conséquence, la Commission a jugé que
l'oxytétracycline était un dérivé de la tétracy-
cline, selon les termes mêmes du décret.
En droit, le principe général est qu'il y a lieu
d'interpréter les textes de lois ou les décrets
ayant force de loi, en donnant aux termes leur
sens ordinaire et usuel dans le contexte' que le
sens des mots est une question de droit qui doit
être tranchée par la Cour à l'aide de dictionnai-
res ou d'autres moyens légitimes d'interpréta-
tion? Toutefois, lorsque la Cour conclut qu'un
terme donné a été ainsi employé dans le sens
que lui donne le jargon ou la langue familière
d'une région donnée, d'une certaine partie de la
population, d'un secteur de l'industrie ou d'un
domaine particulier, il doit être interprété dans
ce sens.' En pareil cas, la Cour peut, aux fins de
déterminer le sens de ce mot entendre les témoi-
gnages de personnes connaissant l'emploi parti-
culier du terme dans ce contexte précis et dans
ce cas, ce terme devient une question de fait.' Il
semble cependant que lorsque la Cour connaît
suffisamment le sens des termes elle peut en
prendre connaissance d'office,' les témoignages
sont inutiles et le sens du terme devient une
question de droit.
La question de savoir, dans un cas particulier,
si le sens du terme est une question de droit ou
une question de fait peut ne pas avoir beaucoup
d'importance lorsque la Cour qui entend l'af-
faire est compétente à la fois sur les questions
de droit et sur les questions de fait. Tel était le
cas de la Commission du tarif dans cette affaire.
Par contre devant la présente Cour ce pro-
blème prend une importance considérable puis-
que cette Cour peut examiner la décision de la
Commission sur une question de droit mais ne
peut pas le faire sur une question de fait.
A mon avis, la Commission n'a pas tiré de la
preuve une conclusion de fait portant que ce
terme revêtait un sens généralement accepté
dans l'industrie des antibiotiques, en médecine
et en science vétérinaire et portant que ce sens
était suffisamment large pour faire de l'oxyté-
tracycline un «dérivé» de la tétracycline. La
Commission n'a pas expressément indiqué
qu'elle statuait sur une question de fait. D'autre
part, si la Commission a considéré cette ques
tion comme une question de fait, nous aboutis-
sons à une situation assez paradoxale, savoir
qu'une partie importante des éléments de
preuve sur lesquels est fondée la décision n'a
pas été mise en preuve à l'audience de sorte que
l'appelante n'a pas eu l'occasion de les contes-
ter. 6 [Je doute fort que des ouvrages de réfé-
rence soient admissibles en preuve aux fins
d'établir comme question de fait le sens d'un
terme dans un domaine spécialisé, à moins que
des experts viennent témoigner que ces ouvra-
ges de référence sont représentatifs d'un emploi
généralement reconnu d'un terme dans un sens
autre que son sens usuel.]
A mon avis, la Commission a agi comme tout
autre tribunal aurait agi dans les mêmes circon-
stances. En l'absence de preuve lui permettant
de tirer une conclusion de fait sur la reconnais
sance générale de l'emploi d'un terme dans un
domaine particulier, dans un sens particulier
autre que le sens usuel, elle a dû, en s'appuyant
sur les faits mis en preuve, considérer comme
une question de droit la question du sens qu'il y
avait lieu de donner à ce mot dans le contexte
d'un décret portant sur cette catégorie de pro-
duits chimiques que sont les antibiotiques.' A
cette fin, elle s'est reportée aux dictionnaires de
langue générale comme l'aurait fait n'importe
quel autre tribunal. Elle s'est aussi reportée à
l'usage que l'on fait du terme dans les ouvrages
spécialisées, ce qu'elle était fondée de faire vu
qu'elle était compétente pour établir cet usage.'
Je suis convaincu que, dans ce contexte il
était tout à fait approprié de déterminer le sens
du terme employé en se fondant sur le sens
qu'on donne à ce terme dans le domaine des
antibiotiques.
Je suis moins certain que les tribunaux doi-
vent faire appel à des ouvrages techniques
comme moyen d'interprétation, vu qu'ils sont
composés de membres qui ne sont pas des spé-
cialistes. Il faut toutefois rappeler ici que la
Commission du tarif est un tribunal créé spécia-
lement, entre autres choses, pour interpréter les
termes utilisés dans le Tarif des douanes et je
suis d'avis que l'on doit lui reconnaître le pou-
voir d'utiliser des ouvrages techniques pour
déterminer le sens des mots employés dans un
sens technique lorsqu'elle estime avoir compé-
tence pour le faire . 9 En outre, lorsque la Com
mission a décidé de le faire, bien que la décision
qu'elle rend soit une question de droit que la
Cour fédérale a le pouvoir d'examiner, je suis
d'avis que cette Cour ne doit intervenir et sub-
stituer sa propre décision à celle de la Commis
sion que dans la mesure où la décision de cette
dernière n'est pas raisonnable eu égard aux
moyens d'interprétation dont elle disposait.
A mon avis, la Commission pouvait régulière-
ment rendre la décision qu'elle a rendue sur la
question en cause et je suis d'avis que l'appel
doit être rejeté.
* * *
LE JUGE THURLOW—La question soulevée
dans cet appel est celle de savoir si la Commis
sion du tarif a commis une erreur de droit en
considérant que trois produits importés par l'ap-
pelante et connus dans le commerce sous les
noms qui suivent,
Sel quaternaire de terramycine TM 200;
Chlorhydrate de terramycine non stérile; et
Diterramycine micronisée non stérile
entrent dans la catégorie définie par l'expression
«tétracycline et ses dérivés» figurant au tableau
A du décret sur la réduction du tarif des pro-
duits chimiques et des plastiques C.P. 1968-
2334. Ce décret a été pris en application de ce
qui est devenu l'article 12 du Tarif des douanes
qui donne au gouverneur en conseil le pouvoir
de réduire ou supprimer un droit d'entrée exis-
tant en établissant une liste de numéros tarifai-
res. Celle qui nous occupe contient entre autres
le numéro tarifaire 92944-1 portant sur les
antibiotiques.
Ce décret a institué une franchise douanière
allant du l et janvier 1969 au 31 janvier 1973
pour les articles visés par le numéro tarifaire
92944-1 à l'exception de:
La pénicilline et ses dérivés, à l'exclusion de la pénicilline
brute et de la pénicilline semi -synthétique;
et la tétracycline et ses dérivés.
L'erreur de droit dont l'appelante cherche à
se prévaloir est que la Commission du tarif a
interprété l'expression citée dans un sens tech
nique comme devant s'appliquer au produit chi-
mique précis connu sous le nom de tétracycline
ainsi qu'à tous les produits chimiques pouvant
théoriquement en être tirés ou étant étroitement
apparentés à ce produit ou contenant le même
nombre d'atomes de carbone disposés dans un
ordre similaire même si, dans l'état actuel des
connaissances, ces produits ne peuvent pas être
préparés ou fabriqués à partir de la tétracycline,
plutôt que de lui donner le sens usuel qu'il reçoit
dans le commerce. Dans ce dernier cas, ce
terme comprend l'antibiotique connu sous le
nom de tétracycline ainsi que les différentes
formes sous lesquelles elle peut être commercia
lisée ou produite de même que les autres anti-
biotiques de la catégorie tétracyclines et les
différents produits pouvant en être dérivés.
Les trois produits importés par l'appelante
sont essentiellement de l'oxytétracycline (le
terme «terramycine» étant l'appellation com-
merciale donnée par l'appelante à ce produit),
leur formule moléculaire et leur structure ne
différant de la tétracycline qu'en ce qu'un radi
cal hydroxyle (OH) est remplacé par un atome
d'hydrogène (H) dans la position 5 des structu
res moléculaires de la tétracycline et de l'oxyté-
tracycline telles qu'elles sont représentées aux
pièces A-9 et A-12. L'oxytétracycline n'est pas
en fait produite à partir de la tétracycline et il
n'existe actuellement aucun moyen de le faire.
Elle est extraite du bouillon de culture résultant
d'un processus de fermentation mettant en jeu
un micro-organisme connu sous le nom de strep-
tomyces rimosus. Par conséquent, selon l'inter-
prétation de l'appelante, l'oxytétracycline n'en-
tre pas dans la catégorie visée par la loi. Selon
elle, les seuls produits vendus dans le commerce
auxquels elle pourrait actuellement s'appliquer
sont le chlorhydrate et le phosphate de
tétracycline.
Lors de l'audience devant la Commission du
tarif, quatre dépositions ont été enregistrées et
résumées dans la décision de la Commission.
Deux des témoins requis par l'appelante se sont
accordés pour dire que l'oxytétracycline n'était
pas un «derivative» (dérivé) de la tétracycline.
Les deux autres, témoins de l'intimé, ont
exprimé un avis contraire. Au cours de ces
témoignages certaines pièces ont été produites,
notamment les pièces R-1 et R-4. Sur la base de
ces témoignages la Commission a conclu que:
On voit bien par ce résumé que les connaissances techni
ques des témoins experts en ce domaine ésotérique sont
caractérisées par le conflit plutôt que par l'unanimité, ce qui
rend le problème encore plus complexe que le non-initié
aurait cru possible.
Pour résoudre cette question, il faut donc cerner la défini-
tion des termes généraux et des termes techniques.
La Commission a alors entrepris de relever
les définitions du terme derivative (dérivé) dans
douze dictionnaires et glossaires, dont certains
n'ont pas été cités à l'audience, et elle a conclu
qu'une majorité des ouvrages retenaient le sens
large du terme. La Commission a aussi cité et
examiné neuf autres ouvrages qualifiés «d'ou-
vrages techniques», dont certains ont été cités à
l'audience, et est parvenue à la conclusion que
ces ouvrages venaient confirmer l'interprétation
large. La Commission a conclu à la page 7 de sa
décision:
Mise à part la simple prédominance apparente du sens
large du mot «derivative», les définitions étudiées montrent
clairement qu'en chimie et dans les domaines connexes on
lui donne tantôt un sens large, tantôt un sens restrictif; quel
que soit l'usage dominant, chacune de ces significations peut
convenir lorsque le mot est employé dans son contexte
approprié.
Le numéro tarifaire 92944 mentionne les «antibiotiques».
Par conséquent, les significations attribuées au terme «deri-
vative» (dérivé) dans les textes et les témoignages qui por
tent sur l'usage en vigueur dans les domaines des antibioti-
ques, de la médecine et de la science vétérinaire ont une
importance particulière. The British Medical Dictionary
donne au terme dérivé (derivative) un sens large et un sens
restreint; Taber's Encyclopaedic Medical Dictionary définit
terramycine (Terramycin) comme «the proprietary name of
the oxy derivative of tetracycline»; le Grand Larousse Ency-
clopédique, sous la rubrique «Pharm.», décrit l'oxytétracy-
cline comme un dérivé de la tétracycline; les témoins
experts dans les domaines de la chimie médicale et de la
science vétérinaire ont attribué au mot «dérivé» (derivative)
un sens large et ont estimé que l'oxytétracycline était un
dérivé de la tétracycline; l'American Hospital Formulary
Service et l'Antibiotic and Chemotherapy of Garrod and
O'Grady regroupent les térracyclines [sic] en un groupe ou
une catégorie d'antibiotiques semblables en raison de leur
structure chimique et de leurs propriétés et fonctions biolo-
giques. Le sens large attribué au mot «dérivé» (derivative)
est celui qui est conforme à l'usage et aux opinions couran-
tes dans le domaine des antibiotiques; vouloir ne lui donner
que le sens restrictif serait contraire à cet usage et à ces
opinions.
Parce que c'est le sens large qui est surtout reconnu par
l'usage dans le domaine particulier concernant les cas pré-
sents et en général dans d'autres domaines, la Commission
affirme que l'oxytétracycline est un dérivé de la
tétracycline.
Attendu qu'il est certain que l'oxytétracycline
est un dérivé de la tétracycline au sens large du
terme «dérivé», le problème soulevé dans cet
appel est celui de savoir si la Commission du
tarif a correctement interprété l'expression
«tétracycline et ses dérivés» employée dans le
décret en question en donnant un sens large au
terme «dérivé».
Attendu que la Commission n'a pu détermi-
ner, d'après les pièces déposées et les témoigna-
ges entendus à l'audience, le sens véritable du
terme «dérivé» dans l'expression «tétracycline
et ses dérivés», elle était fondée, à mon avis, à
déterminer ce sens du mieux qu'elle le pouvait
comme s'il s'agissait d'une question de droit. Vu
que la Commission n'a tiré aucune conclusion
de fait sur le sens de ce mot, le problème semble
être le même devant cette Cour, savoir qu'elle
doit statuer, du mieux qu'elle peut, comme
question de droit, sur la question de savoir si
l'interprétation de la Commission est erronée. A
cet effet, je suis d'avis que la Cour est tout à
fait fondée, de même que l'était la Commission,
à faire appel à toutes les connaissances qu'elle
peut avoir du sens de ces mots, à consulter des
dictionnaires et des glossaires et à tenir compte
de tous les emplois que l'on peut trouver du
terme «dérivé» dans les pièces du dossier, sinon
dans les autres publications auxquelles la Com
mission se réfère.
Pour les motifs qui suivent, je suis convaincu
que la conclusion à laquelle est parvenue la
Commission en ce qui concerne l'interprétation
de l'expression «tétracycline et ses dérivés»
n'est pas erronée.
En premier lieu, j'ai eu l'occasion de lire les
motifs du juge en chef et je souscris à son
opinion. Il déclare en effet qu'il est peu proba
ble que le gouverneur en conseil n'ait eu l'inten-
tion de protéger la fabrication de chlortétracy-
cline au Canada que contre la tétracycline et les
sels de tétracycline alors que les mêmes pro-
duits doivent faire face à une concurrence
sévère de la part de l'oxytétracycline et de ses
sels qui ne sont pas fabriqués au Canada. Je
considère que ce motif est un argument solide
contre la thèse de l'appelante.
En second lieu il n'est pas contesté que la
substance chimique connue sous le nom de
tétracycline n'est pas commercialisée. Les pro-
duits commercialisés sont les sels de tétracy-
cline, c.-à-d. chlorhydrate et phosphate de tétra-
cycline. Il serait donc étonnant que l'expression
«tétracycline et ses dérivés» ne comprenne que
les sels de tétracycline, et que ceux-ci soient
désignés par le terme «dérivés» plutôt que de
l'être expressément par le nom «sels de tétracy-
cline», qui leur est propre.
Troisièmement, je crois que le fait que l'ex-
pression est employée (1) dans un décret intitulé
«Décret sur la réduction du tarif des produits
chimiques et des plastiques» et (2) parmi une
longue liste de termes techniques désignant des
substances chimiques, indique fortement qu'il y
a lieu de donner à cette expression le sens que
lui donnerait une personne liée à l'industrie chi-
mique et possédant une certaine connaissance
de la nomenclature, sans toutefois qu'il s'agisse
nécessairement d'un chimiste très qualifié.
Quatrièmement, abstraction faite des rensei-
gnements que l'on trouve dans les dictionnaires
et les glossaires, je conclurais sans hésitation
que non seulement le terme «dérivés» peut
avoir un sens différent et plus large que celui
que lui accorde l'appelante (substances réelle-
ment dérivées d'une substance principale, ou
pouvant être dérivées d'une telle substance)
mais encore que ce terme a, en fait, ce sens
différent et plus large dans l'expression «tétra-
cycline et ses dérivés» employée dans le décret
en question. Si je comprend bien, il est com
mode d'employer ce terme dans ce sens diffé-
rent ou plus large pour désigner des produits
chimiques dont la structure moléculaire est
essentiellement la même mais dans laquelle cer-
tains éléments ou radicaux viennent différencier
la substance en cause du produit donné possé-
dant la structure moléculaire de base. Le terme
en question a été employé dans ce sens dans le
mémoire descriptif en cause dans l'affaire C. H.
Boehringer Sohn c. Bell Craig Limited [1962]
R.C.É. 201 (page 209):
[TRADUCTION] Les procédés de fabrication des dérivés de la
morpholine sont déjà connus, ils consistent à traiter les
diéthanolamines avec de l'acide suiphurique dilué à 70% à
des températures de 160-180° C afin d'obtenir la fermeture
du cycle de morpholine.
Il en est de même dans le mémoire descriptif
étudié dans l'affaire Société des Usines Chimi-
ques Rhône-Poulenc et autres c. Gilbert (1967)
35 Fox P.C. 174, aux pages 189 et 190.
On peut trouver d'autres exemples dans la
pièce R-1 où le terme terramycine est défini
comme suit:
[TRADUCTION] marque brevetée d'un dérivé de la tétracycline
à base d'hydroxyle.
ainsi que dans la pièce R-4 où l'on trouve:
[TRADUCTION] Bien qu'une tétracycline puisse être supé-
rieure aux autres dans le traitement de telle ou telle infection
ou de tel ou tel malade, la grande ressemblance de leurs
propriétés chimiques, microbiologiques, pharmacologiques
et thérapeutiques permettent de les étudier en tant que
groupe.
A mon avis, ces deux dernières citations
prouvent que certains auteurs, au moins,
emploient ce terme dans un sens suffisamment
précis et étendu pour englober l'ensemble des
tétracyclines autres que la tétracycline elle-
même, qui ne comprend pas uniquement les sels
de tétracycline ou les sels d'autres substances
pouvant être produites à partir de la tétracy-
cline, lesquelles, à ma connaissance, n'existent
pas.
Si l'on retient ce sens du terme, il est sans
importance que le produit appelé «dérivé»
puisse ou ne puisse pas être fabriqué à partir de
la substance dont il est dérivé. L'emploi ou le
sens du terme ne varie pas, non plus, du fait que
ce produit peut être fabriqué à partir de son
dérivé, comme c'est le cas de la tétracycline en
l'espèce, celle-ci pouvant être produite à partir
de la chlortétracycline.
Enfin, le sens de l'expression «tétracycline et
ses dérivés» semble être assez clair d'après la
pièce R-3: le terme tétracycline y est en effet
employé pour désigner la substance du même
nom qui a été produite plus tard. Le terme est
tiré du grec tetra, quatre, et de cycline, cycle, et
parmi les tétracyclines qui nous intéressent, soit
la chlortétracycline, l'oxytétracycline et la tétra-
cycline, le terme tétracycline, dans le sens parti-
culier, a été employé, si je comprends bien, pour
désigner l'élément du groupe qui possédait la
structure moléculaire de base la plus simple.
Les noms donnés aux produits semblables mais
cependant différents de ce groupe, chlortétracy-
cline et oxytétracycline (il en existe maintenant
plusieurs autres) reprennent ce même radical
avec un préfixe indiquant leur caractéristique
propre. Le terme tétracycline est donc un terme
générique, qui désigne l'ensemble des substan
ces du groupe. Dans ce sens, les autres produits
de ce groupe sont considérés comme des déri-
vés de la substance de base dont le nom est
l'élément commun à tous les autres et ils sont
considérés comme tels. Il n'est pas contesté que
la classe ou le groupe tout entier peut normale-
ment être désigné par l'expression «les tétracy-
clines» et, à mon avis, cette classe ou ce groupe
tout entier peut tout aussi bien être désigné par
l'expression «la tétracycline et ses dérivés».
Considérant que l'interprétation de la Com
mission ne repose sur aucune conclusion de fait
et qu'elle constitue une conclusion de droit por-
tant sur le sens du mot dans un contexte donné,
il est sans importance que la Commission se soit
appuyée en partie sur une documentation livres-
que non citée à l'audience et il n'y a pas lieu de
retenir l'argument de l'appelante selon lequel les
principes de la justice naturelle n'ont pas été
observés en l'espèce.
Je rejetterai donc l'appel avec dépens.
LE JUGE SUPPLÉANT CHOQUETTE (étant dissi-
dent)—Dans la présente affaire, il s'agit de
savoir si les antibiotiques importés par l'appe-
lante (sel quaternaire de terramycine TM 200,
chlorhydrate de terramycine non stérile et diter-
ramycine micronisée non stérile), tous des déri-
vés de «l'oxytétracycline», peuvent aussi être
considérés comme des dérivés de la «tétracy-
cline» selon les termes du décret C.P. 1968-
2334 en date du 20 décembre 1968 portant
réduction des droits de douanes pour certains
produits chimiques et certains plastiques et plus
particulièrement selon l'expression «tétracycline
et ses dérivés».
Pour trancher cette question, j'appliquerai les
principes suivants, tirés de l'ouvrage Craies on
Statute Law, 6 e édition:
[TRADUCTION] (p. 162)
(1) Au sens usuel
Il existe deux principes quant à l'interprétation des termes
et expressions d'une loi. Selon le premier, dans les lois
d'application générale, les termes sont présumés prima facie
être employés dans leur sens usuel .. .
(p. 163)
... En d'autres termes, ainsi que l'a déclaré le juge Pollock
dans l'affaire Grenfell c. Inland Revenue Commissioners, s'il
est possible de donner aux termes d'une loi leur sens usuel,
le juge ne doit pas interpréter les termes de cette loi dans
leur sens particulier et technique et il doit leur donner leur
sens usuel, c'est-à-dire, bien sûr, le sens que les personnes
liées à l'objet de la loi leur attribuent.» Toutefois, «si un
terme employé dans son sens usuel peut normalement être
interprété de deux façons différentes, il convient alors de
l'interpréter en posant comme principe que le Parlement n'a
voulu conférer que les pouvoirs nécessaires à l'application
de la loi, sans plus». En d'autres termes, le juge doit
interpréter les termes d'une loi en fonction de son objet.
(p. 164)
(2) Termes scientifiques et techniques
Le second principe porte que si la loi s'applique à une
industrie donnée ou à un genre particulier d'entreprises ou
d'opérations et que les termes de la loi sont employés dans
un sens particulier que les personnes liées à ces industries,
entreprises ou opérations comprennent, il y a lieu d'interpré-
ter les termes de la loi dans ce sens particulier, bien que
celui-ci puisse être différent du sens usuel.
Il ressort clairement du dossier que les per-
sonnes familiarisées avec les produits chimiques
et la tétracycline n'accordent pas toutes au
terme «derivative» (dérivé) le sens large adopté
par la Commission du tarif qui recouvre «la
dérivation théorique et les composés ayant une
structure chimique suffisamment rapprochée ou
un même nombre d'atomes de carbone disposés
dans un ordre similaire»; préférant ce sens au
sens courant et technique désignant un composé
effectivement obtenu d'un autre par une réac-
tion chimique.
En réalité, l'appelante et l'intimé ont tous
deux requis «deux experts en la matière» qui
ont été amenés à déposer sur l'aspect technique
du litige. Pour l'appelante, un ingénieur chimiste
et un' chimiste ont déclaré que la tétracycline et
l'oxytétracycline sont produits par des micro-
organismes différents (streptomyces aureof a-
ciens et streptomyces rimosus) et qu'en l'état
actuel de la science, l'oxytétracycline ne peut
être obtenue à partir de la tétracycline. Ils affir-
ment qu'un «dérivé» désigne une substance
tirée d'une autre.
Pour l'intimé, un spécialiste en chimie médi-
cale organique et un médecin vétérinaire ont
déclaré que ces deux produits avaient la même
structure de base, qu'ils ne se distinguaient que
du fait que certains atomes ou groupes d'atomes
différents étaient disposés différemment, et que
le terme «dérivé» se rapporte à une réaction,
une structure et une utilisation similaire et non à
une source ou origine. Ils ont établi une distinc
tion entre «derivative of» (un dérivé de) et
«derived from» (dérivé de).
Après avoir résumé les témoignages de ces
quatre témoins, la Commission conclut de la
manière suivante: «on voit bien que les connais-
sances techniques des témoins experts en ce
domaine ésotérique sont caractérisées par le
conflit plutôt que par l'unanimité, ce qui rend le
problème encore plus complexe que le non initié
aurait cru possible. Pour résoudre cette ques
tion, il faut donc cerner la définition des termes
généraux et des termes techniques» (les souli-
gnés sont de moi; voir annexes, page 12).
La Commission passe ensuite aux citations de
dictionnaires et d'ouvrages techniques sur le
point en litige. Elle cite aussi un extrait d'un de
ses rapports, renvoi n° 120—produits chimi-
ques, vol. 9, p. 224: «Le porte-parole de la
société (Cyanamid of Canada Limited, l'interve-
nante dans le présent appel) déclarait:
Je propose qu'à cause des caractéristiques semblables toutes
les tétracyclines soient étudiées, c'est-à-dire, la chlortétracy-
cline, la tétracycline elle-même, la chlortétracycline de dimé-
thyle et l'oxytétracycline» (Compte rendu, vol. 79, p. 12706).
La Commission conclut alors: «Parce que
c'est le sens large qui est surtout reconnu par
l'usage dans le domaine particulier concernant
le cas présent et en général dans d'autres domai-
nes, la Commission affirme que l'oxytétracy-
cline est un dérivé de la tétracycline» (A.B. p.
17).
La Commission décide alors que les produits
de l'appelante sont des dérivés de la tétracycline
au sens du décret.
Je ne peux malheureusement souscrire à cette
décision.
Tout d'abord j'écarterai la référence à l'ex-
trait précité du rapport de la Commission, préci-
sant que le porte-parole de la société interve-
nante avait suggéré que toutes les tétracyclines
soient étudiées ensemble compte tenu de leurs
caractéristiques semblables (A.B. p. 14). Cette
suggestion ne prouve rien. D'autre part, le
décret ne vise pas toutes les tétracyclines, con-
trairement à ce que laisse entendre le
porte-parole.
Restent les dictionnaires et les différents
ouvrages sur lesquels la Commission fonde sa
décision. Seuls les dictionnaires et les auteurs
reconnus peuvent servir de moyens d'interpréta-
tion des mots ou expressions employés dans un
texte juridique. Comme on l'a déjà indiqué, une
grande partie de la documentation sur laquelle
est fondée la décision n'a pas été mise en
preuve et pour cette raison, il ne peut pas en
être tenu compte. Qui plus est, la décision indi-
que que les auteurs et les dictionnaires cités ne
définissent pas tous le terme «dérivé» dans le
sens large que la Commission a retenu. Par
exemple, l'Oxford Dictionary, le Degering's
Organic Chemistry, le Flood and West's Dic
tionary of Scientific and Technical Words (et
certains autres cités plus loin) accordent plutôt
au terme «dérivé» le sens plus restreint de pro-
duit réellement obtenu à partir d'un autre par
une réaction chimique; d'autres, comme le Web-
ster's et le Funk & Wagnall's et quatre autres
accordent au terme «dérivé» le sens large qui
inclut «la dérivation théorique et les composés
ayant une structure chimique suffisamment rap-
prochée ou un même nombre d'atomes de car-
bone disposés dans un ordre similaire». (A.B.,
page 157).
Ce qui importe, ce n'est pas que le sens large
semble recevoir le plus d'appui comme le
déclare la Commission mais que certains dic-
tionnaires et auteurs reconnus n'accordent pas
au mot «dérivé» le sens large retenu par la
Commission. On ne peut donc dire que les per-
sonnes liées au domaine des produits chimiques
et des antibiotiques donnent au terme «deriva-
tive» (dérivé) le sens que lui donne la Commis
sion. (Craies précité).
De même, on ne peut résoudre le problème en
faisant une distinction entre «derivative of» (un
dérivé de) et «derived from» (dérivé de). La
version française du décret utilise pour «deriva-
tives» le terme «dérivés» qui recouvre certaine-
ment le sens des deux expressions anglaises
«derivatives» et «derived from». Le dictionnaire
usuel Quillet et Flammarion définit «dérivé» de
la manière suivante:
«Dérivé ... Chim. Corps qui provient d'un autre par
distillation, par combinaison, etc.»
Le petit Robert en donne la définition suivante:
«Dérivé ... Chim. Substance préparée en partant d'une
autre substance et qui conserve en général la structure de
la première.»
Le contexte du décret lui-même ne fournit
pas beaucoup d'indications sur le sens du terme
«tétracycline» (au singulier) et de ses «dérivés».
Ce document énumère des centaines de produits
chimiques et de matières plastiques. Il ne le fait
pas dans un but scientifique mais dans un but
fiscal, savoir, réduire les droits d'entrée sur les
produits énumérés à l'exception, entre autres,
de la «tétracycline et de ses dérivés». Le gou-
verneur en conseil visait sûrement un objet con-
cret et non théorique, un dérivé qui peut être
obtenu en pratique et non simplement en théo-
rie, englobant des «composés ayant une struc-
ture chimique suffisamment rapprochée ou un
même nombre d'atomes de carbone disposés
dans un ordre similaire». Une telle définition
entraînerait des contestations constantes et
pourrait aller jusqu'à laisser entendre que deux
produits différents sont dérivés l'un de l'autre.
Rien n'indique que les membres de la Com
mission ont rendu leur décision en fonction de
leurs connaissances personnelles sur les pro-
duits chimiques et les antibiotiques. Il semble au
contraire, d'après les arguments de l'avocat
devant la Commission ainsi que d'après les
remarques des membres de celle-ci, que ce pro-
blème a été considéré comme étant tout à fait
sérieux et susceptible de faire l'objet d'un débat
(transcription officielle des procédures, pp. 147
à 184 et pp. 184 à 223). J'apprécie particulière-
ment la justesse de la remarque de M. Elliott:
[TRADUCTION] «Le problème est difficile. Les
mots ont parfois un sens différent pour plu-
sieurs personnes même dans le domaine techni
que» (p. 193).
Il est admis de part et d'autre qu'aucune for-
mule ne permet actuellement de produire de
l'oxytétracycline à partir de la tétracycline et en
fait, les produits de l'appelante n'étaient pas
obtenus à partir de la tétracycline.
Il est vrai que le terme tétracyclines, employé
au pluriel, s'applique à une classe ou à un
groupe d'antibiotiques qui comprend l'oxytétra-
cycline, la chlortétracycline et la tétracycline
mais que le terme tétracycline, employé au sin-
gulier, est un produit bien précis, tout à fait
distinct des autres et ne permettant pas actuelle-
ment de produire l'oxytétracycline. L'utilisation
intentionnelle du singulier ressort non seulement
de l'orthographe du mot lui-même mais aussi de
l'utilisation dans la version anglaise du singulier
«its» dans l'expression «Tetracycline and its
derivatives». Il est vrai, bien sûr, que le singulier
a valeur de pluriel (Loi d'interprétation, art.
26(7)) et qu'un terme singulier peut comprendre
plusieurs quantités d'un même produit mais on
ne peut pas s'appuyer sur cet argument pour
changer le sens d'un mot.
J'attribuerais donc au terme «dérivé»,
employé dans le décret C.P. 1968-2334 son sens
à la fois naturel, logique et étymologique qui est
aussi son sens technique soit: «un composé
effectivement obtenu d'un autre par une réac-
tion chimique.»
Dans le cas contraire, le moins que l'on puisse
dire est que le terme «dérivé» figurant au décret
est ambigu et d'un sens incertain. Dans ce cas, il
doit être interprété dans le sens le plus favora
ble à l'assujetti, mais il existe une raison plus
convaincante encore. Vu que les produits de
l'appelante sont des antibiotiques, ils doivent
être exemptés des droits de douanes sauf s'il est
prouvé qu'ils rentrent dans l'exception «Tétra-
cycline et ses dérivés». Dans cette affaire, c'est
l'intimé qui invoque l'exception, qui est en l'es-
pèce une exception à une exemption. Il avait
donc la charge de prouver que les produits de
l'appelante entrent dans le cadre de cette excep
tion. Cette exception, comme toute exception,
est d'interprétation stricte. Je n'accorderais
donc pas au terme «dérivé» le sens large et
théorique que la Commission lui a attribué lors-
qu'il ne fait pas l'unanimité parmi les personnes
liées au domaine des produits chimiques et des
antibiotiques; je lui accorderai au contraire,
comme je l'ai déjà indiqué, son sens naturel.
Il appartient au gouverneur en conseil, non à
la Commission, de clarifier le texte du décret
afin de faire disparaître toute ambiguïté ou ob-
scurité ou d'accorder une meilleure protection
aux sels de chlortétracycline fabriqués au
Canada. Je ne pense pas qu'il soit justifié, à la
lecture du texte actuel, de considérer que l'ex-
pression «tétracycline et ses dérivés» comprend
«l'oxytétracycline, la chlortétracycline, la tétra-
cycline et leurs dérivés» ou «les tétracyclines
(au pluriel) et leurs dérivés», car si telle avait
été l'intention du gouverneur en conseil, il lui
aurait été trop facile d'employer les termes
appropriés.
J'apprécie cependant le soin avec lequel la
Commission a préparé sa décision et l'intérêt
que cette décision présente au titre de la dériva-
tion théorique. D'autre part, après avoir consi-
déré les motifs sur lesquels mes deux savants
collègues ont fondé leur décision j'exprime ma
dissidence avec le plus grand respect et je con-
clus que cet appel doit être accordé avec dépens
et que les produits de l'appelante mentionnés
plus haut doivent être exemptés de droits de
douane et être admis en franchise pendant la
période allant du l er janvier 1969 au 31 janvier
1973.
' Grey c. Pearson, (1857) 6 H.L.C. 61.
a Bowes c. Shand, (1877) L.R. 2 A.C. 455; Great Western
Railway Company c. Carpalla United China Clay Company,
[1909] 1 Ch. 218; Great Western Railway c. Bater, [1922] 2
A.C. 1, Lord Atkinson à la page 12; The Township of
Tisdale c. Hollinger Consolidated Gold Mines, [1933] R.C.S.
321, le juge Cannon à la page 322; Edwards c. Bairstow,
[1956] A.C. 14, vicomte Simon aux pages 30-32 et Lord
Radcliffe aux pages 33-36; The Crow's Nest Pass Coal
Company c. La Reine, [1961] R.C.S. 750.
3 Alexander c. Vanderzee, (1872) L.R. 7 C.P. 530; North
British Railway Company c. Budhill Coal and Sandstone,
[1910] A.C. 116; The Caledonian Railway Company c. The
Glenboig Union Fireclay Company, [1911] A.C. 290; West
ern Minerais Ltd. c. Gaumont, [1953] 1 R.C.S. 345; Jenner
c. Allen West & Co., [1959] 1 W.L.R. 554.
4 Ashforth c. Redford, (1873) L.R. 9 C.P. 20; Attorney -
General for the Isle of Man c. Moore, [1938] 3 All E.R. 263.
Voir Unwin c. Hanson, [1891] 2 Q.B. 115, le maître des
rôles, Lord Esher, aux pages 119-120:
[TRADUCTION] Lorsqu'il y a lieu d'interpréter des termes
comme ceux qui nous occupent, employés dans une loi du
Parlement, la Cour doit appliquer les principes qui sui-
vent. S'il s'agit d'une loi d'application générale, les termes
doivent être pris dans leur sens usuel. S'il s'agit d'une loi
s'appliquant à une industrie donnée ou à un genre particu-
lier d'entreprises ou d'opérations et que les termes de la
loi sont employés dans un sens particulier que les person-
nes liées à ces industries, entreprises ou opérations com-
prennent, il y a lieu d'interpréter les termes de la loi dans
ce sens particulier, bien que celui-ci puisse être différent
du sens usuel. Par exemple, dans le domaine de la cons
truction navale, le sens des termes «chevilles» et
«genoux» est bien connu et il ne viendrait à l'esprit de
personne que ces termes puissent désigner les chevilles ou
les genoux d'une personne humaine lorsqu'ils sont
employés dans une loi se rapportant aux navires. Pour ce
qui concerne maintenant l'abattage des arbres à l'extérieur
des villes, n'existe-t-il pas un langage que tous les gens de
la campagne liés à l'exploitation forestière comprennent?
Il ne s'agit pas d'une simple question de terminologie
forestière: il s'agit de savoir quel sens les gens qui habi-
tent habituellement la campagne attribuent à un terme
donné lorsque celui-ci est employé relativement à l'abat-
tage des arbres dans leur région. Par suite, vu qu'elle porte
sur l'abattage des arbres à l'extérieur des villes, cette loi
emploie des termes qui sont compris de toute personne
liée à l'abattage des arbres à l'extérieur des villes. A mon
avis, dans la présente affaire, ce serait faire preuve d'un
purisme exagéré que de ne pas prendre connaissance de
l'emploi répandu que les gens de la campagne liés à
l'abattage des arbres font du terme en cause de cette loi.
A l'audience, on a déposé des preuves visant à établir le
sens répandu de ce terme, mais je crois qu'elles n'étaient
pas nécessaires. Les termes [TRADUCTION] «émonder» et
«étêter» désignent deux actions distinctes et ils sont
employés à la campagne relativement à l'abattage des
arbres. La loi contient des dispositions relatives à l'abat-
tage des arbres aux abords des routes applicables aux
personnes qui coupent les arbres et aux magistrats qui ont
le pouvoir d'ordonner l'abattage de ces arbres. La loi
n'emploie que l'un des deux termes mentionnés, le verbe
«émonder». Il est bien connu à la campagne que ce verbe
désigne l'action de couper les branches d'un arbre alors
que le verbe «étêter» signifie l'action de couper la partie
supérieure d'un arbre. A mon avis, ainsi qu'il y a lieu
d'interpréter la loi, et compte tenu de ces circonstances,
l'unique intention du législateur est d'accorder le pouvoir
de couper les branches.
6 Voir: Le ministre du Revenu national c. Wrights'
Canadian Ropes, Ld., [1947] A.C. 109, le maître des rôles
Lord Greene aux pages 124-25.
Voir: Borys c. C.P.R., [1953] A.C. 217, Lord Porter à la
page 226:
[TRADUCTION] Dans de telles circonstances, leurs Sei-
gneuries devront, en se servant des faits mis en preuve,
se faire une opinion personnelle uniquement en inter-
prétant le sens qu'il faut accorder au terme «pétrole»
lorsque cette substance se trouve stockée dans un con-
teneur souterrain.
Voir Camden (Marquis) c. Inland Revenue Commission
ers, [1914] 1 K.B. 641, le maître des rôles Cozens -Hardy
aux page's 647 et suivantes:
[TRADUCTION] C'est à la Cour qu'il appartient d'interpré-
ter la loi le mieux possible. Pour s'acquitter de cette
tâche, la Cour est tout à fait fondée à se servir de toute
la documentation dont elle peut disposer, et elle peut,
bien sûr, consulter les grands auteurs et les dictionnai-
res sérieux qui citent les sources où ils ont puisé le sens
des termes qu'ils donnent aux mots de la langue
anglaise.
9 Comparer Canadian National Railway c. Bell Telephone,
[1939] R.C.S. 308, Duff J.C.C. à la page 317.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.