Salada Foods Limited (Demanderesse)
c.
W. K. Buckley Limited (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Heald —
Toronto, les 30 et 31 janvier; les ler, 2, 3 et 9
février 1973.
Preuve—Pratique—Marques de commerce—Action en vio-
lation—Requête en injonction interlocutoire—Affidavits
constitués de sondages d'opinion pour démontrer la confu
sion entre les marques de commerce—Non admissible—
Règle 332(1).
La défenderesse a mis sur le marché un médicament pour
le rhume appelé MEDI•CITRON. La demanderesse a intenté
une action en violation dé sa marque de commerce enregis-
trée NEO CITRAN. Lors de la requête en injonction interlocu-
toire, la demanderesse a déposé des affidavits d'analystes et
d'enquêteurs employés par un organisme faisant des études
de marché. Ces affidavits donnaient les résultats d'une
enquête portant sur 300 personnes, révélant dans quelle
mesure ces dernières confondaient les emballages du NEo
CITRAN et du MEDI•CTRON. La défenderesse a demandé d'in-
terdire l'utilisation des affidavits lors de l'audition de la
requête.
Arrêt: la demanderesse n'a pas le droit d'utiliser les
affidavits.
Arrêts mentionnés: Building Products Ltd. c. BP
Canada Ltd. (1961) 36 C.P.R. 121; Paulin Chambers
Co. Ltd. c. Rowntree Co. Ltd. 51 C.P.R. 153.
REQUÊTE.
AVOCATS:
D. S. Johnson, c.r. et I. Hughes pour la
demanderesse.
R. Barrigar pour la défenderesse.
PROCUREURS:
MacBeth et Johnson, Toronto, pour la
demanderesse.
Smart et Biggar, Ottawa, pour la
défenderesse.
LE JUGE HEALD—La défenderesse demande
par voie de requête une ordonnance rejetant
certains affidavits déposés pour le compte de la
demanderesse et interdisant à celle-ci de les
produire à l'audience à l'appui de sa requête en
injonction interlocutoire. Les affidavits visés
sont les suivants:
1. Les affidavits de Ronald Bondar datés du
9 novembre 1972 et du 20 janvier 1973;
2. Les affidavits des Lois Atkins datés du 16
novembre 1972 et du 28 décembre 1972;
3. L'affidavit de Philip J. Weingarden;
4. Les affidavits de Fanny Whitlock datés du
16 novembre 1972 et du 28 décembre 1972;
et
5. Les affidavits de Jackie Brammer, Gaby
Flantje, Kim Geddes, Lynda Harley, Eliz-
abeth Kinsman, Karen Macdonald, Marg
Rennie, Eileen Semple et June Templeton.
Ronald Bondar déclare qu'il est chargé de
recherches à la Elliott Research Corporation
Limited, dont les services ont été retenus pour
effectuer une étude de marché visant à détermi-
ner si le consommateur était susceptible de con-
fondre un nouveau médicament contre le
rhume, MEDI • CITRON, et NEO CITRAN, un autre
médicament contre le rhume, déjà disponible
sur le marché.
Les employés de la compagnie Elliott ont
interviewé 300 consommateurs divisés en deux
groupes de 150 personnes. On a interrogé un
premier groupe de 150 personnes à l'aide d'un
questionnaire-type portant sur le NEO CITRAN et
cinq autres médicaments contre le rhume. On
remettait ensuite à toute personne déclarant
avoir utilisé NEO CITRAN ou connaître son exis
tence un paquet de MEDI • CITRON et un de NEO
CITRAN et on lui posait cette question: [TRADUC-
TION] «Vous déclarez connaître NEO CITRAN.
Pour dissiper tout malentendu, veuillez exami
ner ces deux paquets et m'indiquer duquel des
deux vous vouliez parler.» Le questionnaire
énonce ensuite cinq réponses possibles. L'en-
quêteur est chargé d'indiquer laquelle de ces
réponses-types correspond le plus à la réponse
obtenue. Les cinq réponses-types sont les
suivantes:
[TRADUCTION] a) Désigne NEO CITRAN sans
hésitation.
b) Désigne NEO CITRAN après hésitation.
c) Désigne MEDI•CITRON sans hésitation.
d) Désigne MEDI. CITRON après hésitation.
e) Ne désigne ni l'un, ni l'autre, trop indécis.
On a posé au second groupe de 150 personnes
les mêmes questions à propos de MEDI• CITRON et
des cinq autres médicaments. On remettait les
deux paquets à toute personne déclarant avoir
utilisé MEDI• CITRON ou connaître son existence.
On lui posait les mêmes questions au moyen du
même questionnaire et les réponses étaient ins-
crites de la même façon au moyen des cinq
réponses-types déjà citées. Dans son affidavit
du 9 novembre 1972, Bondar prétend analyser
les résultats de l'enquête. Il tire deux conclu
sions principales: premièrement, un pourcentage
important des personnes qui déclarent avoir
employé NEO CITRAN étaient incertaines de l'i-
dentité du médicament qu'elles avaient utilisé
lorsqu'on leur présentait simultanément les deux
paquets et, deuxièmement un pourcentage
encore plus élevé des personnes qui ont déclaré
connaître l'existence de NEO CITRAN restaient
perplexes lorsqu'on leur présentait les deux
paquets. Philip J. Weingarden, également
employé de la compagnie Elliott, effectue des
études de marché pour son employeur; il témoi-
gne sensiblement des mêmes faits et tire les
mêmes conclusions principales que Bondar.
Tous les autres affidavits ont été déposés par
des enquêteurs; ils ont joint à leur affidavit les
questionnaires utilisés pour chacune des inter
views qu'ils ont effectuées, avec les réponses
qu'ils ont obtenues.
L'étude en question a été effectuée du 4 au
18 septembre 1972. Sur un total de 300 person-
nes, 279 ont été interrogées au Towne & Coun-
trye Mall, situé à l'angle de la rue Yonge et de
l'avenue Steeles à Toronto, et les 21 autres au
Brampton Mall à Brampton.
L'avocat de la défenderesse a cité l'affaire
Building Products Ltd. c. BP Canada Ltd.
(1961) 36 C.P.R. 121, dans laquelle le juge
Cameron a jugé inadmissibles les résultats d'une
enquête d'opinion. Comme l'a souligné l'avocat
de la demanderesse, il y a lieu de distinguer
entre cette affaire et celle qui nous occupe. Le
jugement rendu dans l'affaire Building Products
porte sur l'admissibilité de certaines preuves
lors du procès. La présente affaire porte sur
l'admissibilité de certains éléments de preuve
relativement à une enquête interlocutoire pour
laquelle, aux termes de la Règle 332(1), sont
admises les déclarations fondées sur l'opinion
du témoin, si celui-ci donne les motifs de son
opinion. De plus, dans l'affaire Building Pro
ducts, les preuves dont l'admissibilité était con-
testée avaient été déposées par le président de
la compagnie chargée de l'enquête, qui n'avait
aucune connaissance personnelle de la façon
dont les questionnaires avaient été remplis, ni
de l'exactitude de ceux-ci, alors que dans le cas
présent, les affidavits en cause ont été déposés
par les enquêteurs eux-mêmes, sauf dans le cas
de Bondar et Weingarden. Nonobstant ces diffé-
rences dans les faits, je considère qu'un bon
nombre des objections que le juge Cameron a
énoncées aux pages 129 et 130 s'appliquent au
même titre à la présente affaire.
Le juge Gibson a également étudié l'admissi-
bilité dès résultats d'enquêtes dans l'affaire
Paulin Chambers Co. Ltd. c. Rowntree Co. Ltd.
51 C.P.R. 153. Je considère que les observa
tions qu'il énonce aux pages 158 et 159 s'appli-
quent aux circonstances de la présente affaire.
L'étude en question dans cette instance a été
faite sur une période de deux semaines en sep-
tembre 1972, principalement dans un centre
commercial de Toronto. Les enquêteurs avaient
instructions de choisir des personnes ayant
approximativement le même âge et faisant
partie de la même tranche de revenus. Sous
réserve de cette exception, les personnes inter-
rogées semblent avoir été choisies au hasard à
cet endroit, pendant cette période. Nous ne
savons rien du degré d'instruction des person-
nes interrogées, nous ne savons pas si elles
savent lire, si elles souffrent d'incapacités phy
siques ou si elles sont des employés qui travail-
lent au centre commercial ou des clients. Dans
ces conditions, la force probante des résultats
me paraît très limitée. Je considère également
qu'une étude aussi limitée dans le temps,
comme d'ailleurs dans l'espace, puisqu'elle n'a
été effectuée que dans une seule ville du
Canada est très peu représentative.
De plus, l'inscription sur le questionnaire de
la réaction des personnes interviewées fait inter-
venir une appréciation subjective de la part de
l'enquêteur: il doit décider si la personne inter-
viewée témoigne d'une certaine hésitation, ce
qu'il ne peut faire qu'en interprétant la réponse
obtenue. On n'a apporté aucun élément de
preuve sur les antécédents, les connaissances ou
l'expérience des enquêteurs. La même réponse,
donnée par un individu quelconque, peut rece-
voir autant d'interprétations différentes qu'il y a
d'enquêteurs, selon l'intelligence, la formation
ou l'expérience de chacun. Il serait certainement
hasardeux d'admettre des preuves fondées sur
autant de facteurs inconnus ou variables. Il est
exact que les enquêteurs ont comparu devant la
Cour et qu'ils pourraient être contre-interrogés
sur leurs affidavits respectifs, mais les person-
nes interviewées n'ont pas comparu, et il serait
extrêmement onéreux pour la défenderesse de
constituer, à ce stade des procédures, un dossier
complet sur chacune des personnes intervie-
wées. Il existe une autre raison de ne pas admet-
tre ces preuves: les réponses consignées dans
les questionnaires ont été prélevées dans un
milieu artificiel qui ne correspond pas à la réa-
lité. Comme le juge Cameron l'a déclaré dans
l'affaire Building Products (page 130):
[TRADUCTION] . . . il est certain que les enquêteurs ne peu-
vent pas reproduire dans l'esprit des personnes qu'ils inter-
rogent des conditions économiques semblables aux condi
tions dans lesquelles se trouvent, dans la réalité, les
personnes qui se proposent d'acheter les marchandises en
question.
Lorsqu'une personne désire acheter un remède
contre le rhume, les différentes marques de
produits sont généralement étalées les unes à
côté des autres. Cette situation est très diffé-
rente des circonstances dans lesquelles s'est
déroulée l'enquête: un inconnu posait à la per-
sonne interrogée un certain nombre de ques
tions sur des produits qu'elle n'avait pas le loisir
d'examiner simultanément et de comparer.
Il faut également tenir compte d'une autre
considération: la demanderesse a successive-
ment vendu le produit NEO CITRAN dans trois
emballages de couleur différente, très différents
les uns des autres mais par contre, lorsqu'on a
présenté un paquet des deux produits concur-
rents aux personnes interrogées, on n'a présenté
le NEO CITRAN que dans l'emballage actuelle-
ment utilisé, de couleur bleue. Cet élément met
en évidence le peu de valeur de ce genre de
preuve. Si l'étude révèle l'existence d'une cer-
taine confusion sur le marché, il est bien possi-
ble qu'elle soit en partie le fait de la demande-
resse elle-même. Si l'une ou l'autre des
personnes interrogées avait antérieurement
acheté ou vu le produit NEO CITRAN dans ses
emballages antérieurs, soit jaune et blanc, soit
jaune et orange, il se peut très bien que leurs
hésitations ne soient aucunement dues à l'em-
ballage utilisé par la défenderesse et qu'elle soit
le résultat direct des techniques commerciales
de la demanderesse.
Par ces motifs, je suis arrivé à la conclusion
que la requête de la défenderesse visant à faire
interdire la production des affidavits énumérés à
la première page des présentes, à l'appui de la
requête en injonction interlocutoire présentée
par la demanderesse, est fondée en droit et il est
statué en ce sens.
La question des dépens est réservée jusqu'au
jugement sur la requête en injonction
interlocutoire.
L'avocat de la demanderesse a demandé que
l'ordonnance ci-dessus soit modifiée de manière
à permettre la production, à l'appui de la
requête en injonction interlocutoire des paragra-
phes suivants de l'affidavit de Lois R. Atkins,
déposé sous serment le 16 novembre 1972:
a) le paragraphe 3, sauf les pièces B et D et
les conclusions tirées par les enquêteurs à
propos de la question 7a) des pièces C, E, F
et G; et
b) le paragraphe 6, sauf la pièce H.
L'avocat de la défense a consenti à cette modifi
cation et il est statué en conséquence.
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