Le révérend Joseph K. Wipf (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
et
Jacob K. Wipf (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
et
Le révérend Peter S. Tschetter (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
et
Le révérend John K. Hofer (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
et
Le révérend John K. Wurz (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Urie—
Edmonton, les 11, 12 et 13 septembre; Ottawa,
le 19 novembre 1973.
Impôt sur le revenu—Huttérites—Revenu tiré d'une exploi
tation agricole par une communauté—Les membres sont-ils
assujettis à l'impôt pour leur part aliquote—Loi de l'impôt
sur le revenu, art. 2, 3 et 4.
Les demandeurs sont tous membres de colonies huttérites
en Alberta; certaines ont été constituées en corporations par
des Mémoires des conventions et d'autres non. Les mem-
bres des colonies huttérites s'occupent collectivement d'une
exploitation agricole afin de poursuivre les buts religieux de
l'Église huttérite. Des cotisations à l'impôt sur le revenu
furent établies à titre individuel pour les membres sur leurs
parts du revenu collectif des colonies. Ils ont interjeté appel.
Arrêt: (1) les demandeurs ont reçu un revenu provenant
d'une entreprise ou de biens au sens de l'article 3 de la Loi
de l'impôt sur le revenu et sont donc, en vertu de l'article 4,
assujettis à l'impôt sur les bénéfices qui en découlent. Les
demandeurs s'occupaient de cette exploitation agricole en
commun avec d'autres membres de leurs colonies respecti-
ves en vertu d'un accord qui consistait en une cession ou un
transfert des revenus qu'ils tiraient de ladite entreprise; ce
revenu était utilisé au bénéfice de tous. Les demandeurs
devaient donc déclarer leurs parts aliquotes même s'ils ne
les avaient pas reçues.
Arrêts analysés: Barickman Hutterian Mutual Corp. c.
Nault [1939] R.C.S. 223; Hofer c. Hofer [1970] R.C.S.
958; Lagacé c. M.R.N. [1968] 2 R.C.É. 98.
(2) Il fut décidé en outre que, puisque toute l'organisation
de l'Église huttérite crée une séparation nette entre l'Église,
sous son aspect purement religieux, et la colonie, dont les
membres ont en même temps des activités religieuses et
profanes, les demandeurs ne sont pas autorisés à déduire de
leur revenu de l'année le montant du revenu qu'ils ont
gagné, comme s'ils étaient membres d'un ordre religieux au
sens de l'article 27(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Arrêt analysé: La succession Towle c. M.R.N. [1967]
R.C.S. 133.
(3) Il fut aussi décidé que le fait que les demandeurs
soient tenus de payer un impôt sur leur revenu n'était pas en
conflit avec les dispositions de la Déclaration canadienne
des droits.
APPEL.
AVOCATS:
J. A. Matheson pour les demandeurs.
N. A. Chalmers, c.r., et R. Pyne pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
J. A. Matheson, Edmonton, pour les
demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour
la défenderesse.
LE JUGE URIE—Ces appels, par voie de
procès de novo sont interjetés par les deman-
deurs d'une décision de la Commission de révi-
sion de l'impôt du 16 février 1972, confirmant
les cotisations établies par la défenderesse pour
leur revenu des années d'imposition 1961 à
1966 inclus. A la suite d'un accord entre les
parties, les actions ont été entendues ensemble
et la preuve produite s'applique à tous les
appels.
Les demandeurs, désignés communément
sous le nom d'«Huttérites», sont tous membres
de l'Église huttérite fondée il y a plus de quatre
siècles en Allemagne par Jacob Hutter. Son
successeur, Peter Riedemann, rédigea l'ouvrage
Rechenschaft unserer Religion, Lehre, und Glau-
bens, publié en Allemagne en 1565. C'est ce
texte qui établit les bases de la doctrine, des
croyances et des pratiques huttérites.
Les Huttérites sont organisés en colonies
d'environ 100 personnes chacune. Lorsque les
membres d'une colonie trouvent que cette der-
nière est devenue trop importante pour fonc-
tionner efficacement, un petit nombre d'entre
eux quitte la colonie «mère» et fonde une nou-
velle colonie, avec l'aide financière et matérielle
de la première. Dans les divers documents pré-
sentés en preuve pendant le procès, les colonies
sont décrites comme des congrégations ou des
communautés qui sont réunies en trois grands
groupes désignés respectivement sous les noms
de DARIUS-LEUT, LEHRER-LEUT et SCHMEID-
LEUT. En règle générale, les résidents de la
colonie sont membres de l'Église huttérite qui
fut établie au Canada par la Loi constituant en
corporation «The Hutterian Brethren Church»,
15 George VI, S.C. 1951, c. 77. Dans cette
affaire, tous les demandeurs sont membres de
colonies appartenant au groupe DARIUS-LEUT.
L'article 4 de la Loi d'incorporation se lit
comme suit:
4. La Corporation a pour objet de se livrer à la religion
chrétienne, à l'adoration chrétienne, ainsi qu'à l'éducation et
à l'enseignement religieux, et d'adorer Dieu conformément à
la croyance religieuse des membres de la Corporation.
La loi autorise aussi la corporation à posséder
des terres utilisées aux fins qui y sont précisées
et pour des périodes de temps limitées; à
emprunter de l'argent pour la poursuite des
objets de la corporation et à placer et réinvestir
ses fonds dans des placements autorisés.
Le ler août 1950, la Constitution de l'Église
huttérite et les règles concernant la communauté
de biens furent établies conformément à la Loi
d'incorporation et signées par les représentants
de toutes les colonies existantes appartenant
aux trois groupes susmentionnés. Une nouvelle
constitution modifiée entra en vigueur le 28 mai
1970, mais les parties ont - admis qu'en ce qui
concerne ces procédures, c'est la constitution de
1950 (pièce D-1) qui doit s'appliquer. L'article 2
de cette constitution peut, pour plus de commo-
dité, être résumé de la manière suivante.
Selon ce texte, les buts et les attributions pour
lesquels l'Église a été établie consistent à suivre
les préceptes religieux établis par Jacob Hutter
de manière à ce que tous les membres parvien-
nent à une unité spirituelle complète dans une
communauté totale de biens, et tous les mem-
bres, les anciens en particulier, sont responsa-
bles de la réalisation des buts de l'Église. Il y est
déclaré en outre que le capital et les surplus de
produits et de fonds de chaque congrégation ou
de chaque communauté de cette Église devront
être affectés par ladite communauté aux oeuvres
sociales auxquelles l'Église se consacre. Chaque
congrégation ou communauté de l'Église est
autorisée, entre autres, à:
[TRADUCTION] Pratiquer l'agriculture, l'élevage, la meunerie
et toutes branches de ces industries; fabriquer les produits
et sous-produits de ces industries et en faire le commerce;
Exercer toute autre activité commerciale (qu'il s'agisse de
fabrication ou d'un autre genre d'activité) que ladite congré-
gation ou communauté de l'Église estimera pouvoir exercer
à l'occasion de ses affaires, ou propre à accroître le patri-
moine ou les droits de la congrégation ou communauté,
d'une manière directe ou indirecte;
En général, les communautés sont autorisées en
outre à acquérir l'entreprise, les biens et le
passif de toute personne ou compagnie exploi-
tant une entreprise autorisée par l'Église; à pos-
séder, demander, acheter ou acquérir autrement
tout brevet, permis, concession et autres, à titre
de commettant, préposé ou autre; et à faire
toutes autres choses favorables à la réalisation
des buts de l'Église.
Chaque congrégation est aussi autorisée à
acheter ou acquérir autrement des biens meu-
bles ou immeubles et, bien sûr, à vendre ou
céder lesdits biens, à emprunter et à consentir
des garanties pour ces emprunts et à établir,
modifier ou abroger les règles et règlements
lorsque cela s'avère nécessaire pour la bonne
administration de la communauté.
L'article 3 stipule que l'Église comprend
toutes les congrégations et communautés des
groupes DARIUS-LEUT, LEHRER-LEUT et
SCHMEID-LEUT. Pour être en mesure de statuer
sur le litige, les articles suivants sont pertinents:
[TRADUCTION] 35. Chaque congrégation ou communauté
comprend toutes les personnes qui ont été admises, à leur
demande, à en devenir membre, qui sont devenues membres
et fidèles de l'Église l:uttérite, de la manière requise dans le
livre de Peter Riedemann susmentionné, et ont été choisies
et admises comme membres par un vote majoritaire de tous
les membres masculins de cette congrégation ou commu-
nauté, au cours d'une assemblée annuelle, générale ou
spéciale.
36. Aucun des membres de la congrégation ou communauté
n'aura de droit cessible ou transmissible sur aucun des biens
meubles ou immeubles de cette congrégation ou
communauté.
37. Tous les biens meubles et immeubles d'une congréga-
tion ou communauté, quelque soit leur provenance et leur
mode d'acquisition, appartiendront à perpétuité à la congré-
gation ou communauté, qui en aura la jouissance, les utili-
sera et les gèrera à des fins utiles et profitables communes à
tous ses membres, et selon les buts de ladite congrégation ou
communauté.
38. Tous les biens meubles et immeubles que chaque
membre de la congrégation ou communauté a, ou peut avoir
ou posséder, ou auxquels il peut avoir droit au moment ou il
(ou elle) se joint à cette congrégation ou communauté, ou en
devient membre, ainsi que tous les biens meubles et immeu-
bles que chaque membre d'une congrégation ou commu-
nauté peut avoir, acquérir ou recevoir par succession ou
auxquels il (ou elle) peut avoir droit, après être devenu(e)
membre de la congrégation ou communauté, seront et
demeureront la propriété de ladite congrégation ou commu-
nauté, lui appartiendront, et seront utilisés par elle à des fins
utiles et profitables communes à tous les membres de cette
congrégation ou communauté.
39. Personne, si ce n'est la congrégation ou la communauté,
conformément aux règles et règlements et conformément
aux dispositions de ces articles, n'aura le droit d'avoir,
posséder ni détenir les biens meubles et immeubles de ladite
congrégation ou communauté, non plus que de les enlever ni
de les soustraire à celle-ci, ni de les donner, vendre, céder
ou aliéner. Si quelqu'un vient à être expulsé de ladite
congrégation ou communauté, ou cesse d'en faire partie, il
(ou elle) ne pourra avoir, prendre, retirer, donner, vendre,
transporter ni céder aucun desdits biens de la congrégation
ou communauté, ni aucun droit dans cesdits biens, ni avoir
aucun titre quelconque à cesdits biens. Si l'un des membres
de ladite congrégation ou communauté décède, en est
expulsé ou cesse d'en faire partie, ni ses successeurs, héri-
tiers, légataires ou créanciers, ni aucune autre personne
n'aura un droit ou titre quelconque aux biens de ladite
congrégation ou communauté, que ce membre ait été ou non
propriétaire ou en possession d'un bien ou d'un droit quel-
conque de la congrégation ou communauté au moment d'en
devenir membre ou par la suite, qu'il ait ou non donné,
abandonné, cédé ou transporté un bien ou un droit quelcon-
que à la congrégation ou communauté depuis son admission.
40. Tout membre d'une congrégation ou communauté con-
sacrera tout son temps, son travail, ses gains et ses forces à
cette congrégation ou communauté et aux buts pour lesquels
elle est constituée, librement, volontairement et sans aucune
rémunération ni récompense d'aucune sorte, autre que ce
qui est ci-après mentionné.
45. La décision de devenir membre d'une congrégation ou
d'une communauté sera considérée comme un don, aban-
don, transfert, cession ou transport à cette congrégation ou
communauté de tous les biens meubles ou immeubles appar-
tenant au nouveau membre au moment où il (ou elle) en
devient membre, ou acquis ou hérités par lui (ou elle) à toute
époque ultérieure; la congrégation ou communauté en aura
la jouissance, la possession, les utilisera et les gèrera à des
fins utiles pour tous ses membres.
(Le souligné est de moi.)
Les articles cités ci-dessus semblent établir
une nette distinction entre a) les affaires reli-
gieuses de l'Église dirigées par un conseil com-
posé de neuf personnes, chacun des groupes, en
désignant trois et b) les affaires temporelles, soit
les entreprises et intérêts de chaque membre de
l'Église, administrés par la congrégation ou
communauté (désignée ci-dessous sous le nom
de «colonie»).
Dans cet appel, chacun des demandeurs est,
bien sûr, un membre de l'Église huttérite
dûment baptisé, et un membre d'une colonie.
Les demandeurs Hofer, Tschetter et Wurz sont
membres respectivement des colonies connues
sous le nom de «Hutterian Brethren of Scot -
ford», «Hutterian Brethren of Mixburn» et
«Hutterian Brethren of Wilson». Ces compa-
gnies sont des compagnies constituées en corpo
rations un peu spéciales, conformément aux dis
positions de l'Alberta Companies Act.
Les demandeurs Joseph Wipf et Jacob Wipf
sont tous les deux membres de la «Hutterian
Brethren of Lakeside», un groupe non constitué
en corporation.
Dans le cas des demandeurs membres de
colonies constituées en corporation, les Mémoi-
res des conventions comprennent des clauses
indiquant l'objet de la compagnie, similaires ou
identiques à l'extrait suivant du Mémoire des
conventions de la colonie de Mixburn:
[TRADUCTION] 3. La compagnie a pour objet de:
a) Promouvoir, pratiquer et observer la religion chré-
tienne et ses enseignements, et en relation et à l'intérieur
de celle-ci, la religion et les enseignements de l'Église
huttérite, à laquelle appartiennent les membres de ladite
compagnie; pratiquer l'agriculture et la meunerie, fabri-
quer de la farine et autres articles dérivés de produits
agricoles, utiliser les techniques de la mécanique nécessai-
res à ces activités, acheter, vendre et faire le commerce
desdits produits agricoles ou produits fabriqués à partir de
ceux-ci, et autres articles, matériel, outillage, instruments
ou autres propres ou nécessaires à l'agriculture, la meune-
rie, la fabrication, la mécanique et aux techniques néces-
saires à celles-ci, comme partie de, et en relation avec, la
religion et les enseignements de ladite compagnie et de ses
membres.
Chaque Mémoire prévoit, entre autres, que
a) tous les biens meubles et immeubles de la
compagnie lui appartiendront, et seront utili-
sés par elle «à des fins utiles et profitables
pour tous ses membres», conformément à
l'objet de la compagnie,
b) tous les biens meubles et immeubles appar-
tenant à un des membres au moment où il se
joint à la compagnie, ou qu'il a acquis par la
suite, appartiennent de la même manière à la
compagnie et sont utilisés à des fins utiles et
profitables pour tous ses membres, conformé-
ment à l'objet de la compagnie,
c) aucun des biens ne pourra être soustrait à
la compagnie si l'un de ses membres décède,
en est expulsé ou cesse d'en faire partie,
d) tous les membres consacreront tout leur
temps, leur travail, leurs gains et leurs forces
à la compagnie et aux buts pour lesquels elle a
été constituée, librement, volontairement et
sans aucune rémunération ou récompense
d'aucune sorte,
e) les membres de la colonie ont droit à ce
que leurs conjoints et enfants, qui n'en sont
pas membres, résident avec les membres et
reçoivent de la compagnie la subsistance, l'en-
seignement et l'éducation, tant et aussi long-
temps qu'ils obéiront et se soumettront aux
règles, prescriptions et exigences de ladite
compagnie.
Pour les colonies non constituées en corpora
tions, comme la colonie de Lakeside, un docu
ment, que l'on pourrait appeler statuts d'asso-
ciation, contient des dispositions très similaires
aux dispositions des Mémoires des conventions
susmentionnés des colonies constituées en cor
porations. Dans la colonie de Lakeside, cinq
administrateurs sont élus par les membres au
cours de la réunion annuelle. Trois d'entre eux
assument l'entière responsabilité de la gestion
des affaires et des biens de la colonie. Les deux
autres n'ont que voix consultative.
Tel est, dans les grandes lignes, le contexte de
ces appels. L'avocat des demandeurs a fait
savoir au début du procès qu'il ne prétendait pas
que les colonies étaient des organisations de
charité au sens de l'article 62(1)e) de la Loi de
l'impôt sur le revenu, mais seulement que
chaque membre de la colonie, pris individuelle-
ment, parce qu'il a renoncé à la propriété privée
de biens et à tout droit à compensation pour son
travail, n'a aucun salaire et donc aucun revenu
imposable.
La preuve montre qu'aucun des membres de
l'Église huttérite n'a de revenu, d'économies, de
biens, d'assurances, de pension, de maison, de
bétail, de véhicules à moteur, d'outillage agri-
cole ou autre, et qu'aucun des membres ne
reçoit de pension ni d'allocations familiales d'un
organisme gouvernemental. Leurs besoins maté-
riels comme les vêtements, la nourriture, le
logement, les soins médicaux et dentaires, le
matériel et l'outillage et tout ce qui leur est
nécessaire est fourni par la colonie, par l'inter-
médiaire de ses dirigeants ou administrateurs.
La plus grande partie de leur nourriture provient
des produits de l'élevage et de la culture prati-
qués à la ferme collective. Ils fabriquent la
plupart de leurs vêtements et de leurs chaussu-
res mais achètent la nourriture qu'ils ne peuvent
produire, ainsi que le tissu et le cuir nécessaires
à la confection des vêtements et chaussures,
dans les magasins des communautés avoisinan-
tes.
Leur revenu provient de la vente de bétail, de
produits laitiers, de volailles, d'oeufs, de légu-
mes, de céréales, de peaux et de fourrure, et
toutes les recettes sont comptabilisées par le
trésorier de la colonie et par le prédicateur en
chef qui sont aussi responsables du paiement de
toutes les dépenses de fonctionnement, y com-
pris les impôts sur les biens immobiliers de
chaque colonie. Ces dirigeants de la colonie sont
responsables de la bonne tenue des registres,
des comptes bancaires et de l'investissement
des surplus. Les surplus sont censés être utilisés
pour les travaux de l'Église. La vérification des
comptes est effectuée chaque année par des
comptables professionnels.
Les entreprises agricoles des Huttérites ont
un bon rendement et sont très rentables. Les
états financiers déposés au dossier, si l'on consi-
dère qu'ils sont caractéristiques de toutes ou de
la plupart des opérations menées par les colo
nies, indiquent que les Huttérites réalisent,
chaque année, des profits nets importants. C'est
l'imposition de ces profits qui fait l'objet de ces
procédures. Jusqu'en 1960, les colonies n'ont
apparemment payé aucun impôt sur le revenu.
Je ne me souviens d'aucune preuve qui permette
d'établir que des déclarations de revenu ont été
déposées par ou au nom des colonies pour leurs
membres avant cette date. Cependant, peu de
temps après, des cotisations à l'impôt furent
établies pour les corporations qui firent appel.
Enfin, un accord fut conclu en 1968 entre le
ministre du Revenu national et certains des
appelants agissant pour et au nom des colonies
huttérites du Canada. Cet accord établit la
méthode de calcul du revenu imposable de
chacun des membres de toutes les colonies. Les
colonies des groupes LEHRER-LEUT et SCHMEID-
LEUT ont depuis cette date respecté les termes
de cet accord et payé des impôts pour chaque
année depuis 1961 inclus jusqu'à maintenant.
Le groupe DARIUS-LEUT, auquel appartiennent
les demandeurs, refuse de se considérer comme
lié par cet accord. Le Ministre a donc établi des
cotisations pour les membres adultes de chaque
colonie du groupe pour les années 1961 à 1966
inclus, conformément aux principes énoncés
dans l'accord susmentionné, déposé au dossier
comme pièce D-8 dans ces procédures. On a
interjeté appel devant la Commission de révi-
sion de l'impôt et maintenant devant cette Cour.
La thèse soutenue par l'avocat des deman-
deurs, telle que je la conçois, consiste à soutenir
que:
a) aucun impôt sur le revenu ne peut être
exigé des Huttérites car ils ne reçoivent aucun
revenu au sens des articles 3 et 4 de la Loi de
l'impôt sur le revenu,
b) même si on conclut qu'ils reçoivent un
revenu imposable, ils sont membres d'un
ordre religieux et, en tant que tels, ont fait
voeu perpétuel de pauvreté. Les dispositions
de l'article 27(2) de la Loi de l'impôt sur le
revenu s'appliquent donc et chacun d'eux a le
droit de déduire de son revenu de l'année un
montant égal au revenu gagné puisque ce
montant a été versé à l'ordre,
c) si, de toute façon, il est décidé que le
revenu d'un membre est imposable selon les
dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu,
celles-ci sont inopérantes parce qu'entrant en
conflit avec les dispositions de la Déclaration
canadienne des droits, notamment l'article
1 c), en portant atteinte à la liberté de religion
des Huttérites.
La défenderesse maintient, par contre, que les
cultivateurs de chaque colonie mènent collecti-
vement une entreprise agricole et qu'en vertu
d'un contrat résultant des statuts d'association,
ils cèdent à la compagnie les gains produits,
avant même de les recevoir, pour que ces gains
soient utilisés en conformité avec les disposi
tions du Mémoire et des statuts d'association. Il
s'agit donc de revenu qu'ils ont en main aux fins
de l'imposition. Ce revenu est imposable sur la
base d'une comptabilité d'exercice et non sur
celle d'une comptabilité de caisse, puisqu'il n'y
a aucune preuve que les demandeurs aient opté
pour un calcul du revenu imposable d'après la
méthode de caisse, comme l'exige l'article
85F(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Comme cela apparaîtra par la suite, je suis
d'avis que les demandeurs ont reçu un revenu
d'une entreprise ou de biens au sens de l'article
3 de la Loi de l'impôt sur le revenu et que les
profits en résultant sont imposables en vertu de
l'article 4 de ladite loi. J'estime que c'est ici le
cas parce que l'entreprise agricole est exploitée
par les demandeurs en commun avec d'autres
membres de leur colonie en vertu d'un accord,
qui consiste en fait en une aliénation ou cession
du revenu produit par les demandeurs grâce à
cette entreprise. Ce revenu est utilisé en
commun et pour le bénéfice de chacun; les
demandeurs devaient donc déclarer leur part
aliquote, nonobstant le fait qu'ils ne l'avaient
pas eux-mêmes retirée.
Dans l'affaire Barickman Hutterian Mutual
Corporation c. Nault [1939] R.C.S 223, la Cour
suprême devait décider si l'appelante était un
cultivateur au sens de la Loi d'arrangement
entre cultivateurs et créanciers, 1934. L'appe-
Tante dans cette affaire, une colonie de l'Église
huttérite, était une compagnie constituée en cor
poration par une loi spéciale de la Législature
du Manitoba. Les buts de la corporation tels
qu'énoncés dans la loi étaient doubles:
a) promouvoir et pratiquer la religion chré-
tienne conformément aux croyances de ses
membres, et
b) pratiquer l'agriculture, l'élevage, la meune-
rie etc.
La loi contenait des clauses similaires à celle
des articles des statuts d'association des colo
nies auxquelles les demandeurs appartiennent,
en particulier la communauté de biens et le fait
de consacrer le travail et les gains à la corpora
tion, sans salaire ni récompense.
Le juge en chef Duff conclut de la manière
suivante (page 227):
[TRADUCTION] En second lieu, les membres de la corpora
tion sont des cultivateurs dépendant, quant à leur subsis-
tance et à celle de leur famille, des revenus de leurs travaux
et de ceux de leurs frères dans l'entreprise agricole et les
travaux qui s'y rattachent nécessairement, la corporation
étant le dépositaire de tous les titres de propriété et de tous
les revenus de la communauté, qu'elle détient et gère pour le
bénéfice de tous. La corporation (qui se substitue aux
anciens administrateurs) n'est que l'instrument juridique par
lequel cette communauté autonome de cultivateurs gère,
selon le droit, ses affaires et celles de ses membres (en
fonction du principe de la communauté des biens). Il n'est
donc pas impropre, à mon avis, de la désigner sous le nom
de «cultivateur», en tant que «personne» dont l'activité
principale est l'agriculture. Pour ce qui est du temporel,
l'agriculture (et toutes les activités connexes nécessaires)
n'est pas seulement leur activité «principale»; elle est
décrite comme étant l'activité exclusive des membres de
cette communauté.
Le juge en chef, comme on peut le voir,
conclut que, nonobstant le fait que la corpora
tion avait des buts de caractère religieux, son
activité principale était celle d'un cultivateur et
que la corporation était le dépositaire des reve-
nus produits par cette activité, qu'elle détenait
et gérait pour le bénéfice de tous. Sur la base de
ce précédent qui fait autorité, les corporations
ou les conseils d'administration auxquels sont
versés les revenus des demandeurs ici présents,
sont les simples dépositaires du revenu produit
par chaque membre. Puisqu'on ne peut faire de
distinctions entre les membres individuels,
chacun d'eux est le bénéficiaire d'une part égale
du revenu net, même s'il ne la retire pas, et cette
part constitue un revenu, au sens des articles 2,
3 et 4; elle est donc imposable.
A la page 231, le juge Kerwin (alors juge
puîné) conclut comme je le fais dans l'affaire
présente:
[TRADUCTION] La preuve non contredite démontre que
l'agriculture est non seulement l'activité principale mais bien
l'activité unique de tous ses membres.
Il se référa ensuite à l'article 2, paragraphes
a) et b) de la Loi d'incorporation, où l'on trouve
des termes similaires aux clauses décrivant les
buts de la corporation dans les lettres patentes
des corporations dont les demandeurs sont
membres. A la page 231 encore, il affirme:
[TRADUCTION] ... et selon l'article 2 de la loi constituant
corporation, le premier but «de la corporation» est:—
a) de promouvoir et de pratiquer la religion chrétienne,
l'adoration chrétienne ainsi que l'éducation et l'enseigne-
ment religieux, et d'adorer Dieu conformément à la
croyance religieuse des membres de la corporation;
Ceci, à mon avis, peut être considéré comme le but spirituel.
Cependant, en ce qui concerne les buts et activités temporel-
les de la «corporation» ainsi que son entreprise principale, la
«corporation» est autorisée par l'article 2 b) à:—
b) pratiquer l'agriculture, l'élevage, la meunerie et toutes
les branches de ces industries; fabriquer les produits et
sous-produits de ces industries et en faire le commerce;
les clauses suivantes autorisent la «corporation» à exploiter
toute autre entreprise (fabrication ou autre) qu'il est appa-
remment possible d'exploiter en relation avec ses affaires,
etc; mais son activité principale et celle de ses membres
consiste dans la culture du sol.
En résumé, dans l'affaire Barickman (préci-
tée), la colonie, un corps constitué, cherchait à
bénéficier d'une loi fédérale facilitant les com-
promis et arrangements concernant les dettes
des cultivateurs. Dans l'affaire présente, le
ministre du Revenu national cherche à appliquer
les dispositions d'une autre loi fédérale, la Loi
de l'impôt sur le revenu, au revenu des membres
d'une colonie provenant d'une exploitation agri-
cole, telle que définie à l'article 139(1)p) de la
loi. Les situations sont donc analogues et le
raisonnement dans l'affaire Barickman est, à
mon avis, applicable à l'affaire présente. Il s'en-
suit que rien n'empêcherait d'appliquer la Loi de
l'impôt sur le revenu au revenu de la ferme,
même si les statuts d'association de chaque
colonie mentionnent la promotion de la religion.
Les motifs de la majorité de la Cour, dans
l'affaire Hofer c. Hofer [1970] R.C.S. 958, sem-
bleraient à première vue ne pas appuyer ce
résultat, bien que le juge Ritchie dans ses motifs
ait cité et approuvé l'arrêt Barickman. Dans
l'affaire Hofer, toutes les parties étaient des
huttérites, mais les appelants avaient été expul-
sés de l'Église puis de la colonie à laquelle ils
appartenaient, pour avoir adhéré à une autre foi.
Lorsque la colonie avait été fondée, chacune
des sept parties à l'action avait signé les statuts
d'association, où l'on trouve une clause fixant le
but de l'association très similaire à celle de la
colonie de Mixburn, et la plupart des autres
articles étaient presque identiques à ceux que
nous avons cités à propos des statuts d'associa-
tion de la colonie de Mixburn. Ils demandaient
une déclaration à l'effet qu'ils étaient encore
membres de l'Église huttérite; une ordonnance
prévoyant la liquidation des affaires de la colo-
nie, la nomination d'un liquidateur qui compta-
biliserait son actif; et des directives visant à un
partage de l'actif à part égales entre chacun des
appelants et des intimés. La Cour suprême
décida que le juge de première instance, dont le
jugement avait été confirmé par la Cour d'appel
du Manitoba, avait eu raison de rejeter l'action
en se fondant essentiellement sur le fait que les
appelants avaient été validement expulsés, con-
formément aux statuts d'associaton qu'ils
avaient signés volontairement.
Le juge Ritchie, aux motifs de qui les juges
Martland et Judson ont souscrit, affirme aux
pages 968-969:
Il s'ensuit, à mon avis, que nonobstant le fait que la
colonie d'Interlake soit une exploitation agricole florissante
on ne peut pas dire qu'il s'agit d'une entreprise commerciale
au sens qu'aucun de ses membres aurait un droit de partici-
per aux bénéfices. La colonie n'est que le prolongement de
l'Église et la considération primordiale qui préside à la
détermination des droits de tous les membres est la réalisa-
tion de leur conception du christianisme. Pour les Huttérites,
les activités de leur association sont le signe de l'Église
temporelle. Dans ce contexte, il m'est impossible de consi-
dérer en droit la colonie d'Interlake comme une espèce de
société.
Malgré ce conflit d'opinions apparent en ce
qui concerne la nature juridique de la colonie
telle que décrite dans l'affaire Barickman (préci-
tée) et telle que décrite par le juge Ritchie dans
l'affaire Hofer (précitée), je ne pense pas qu'el-
les soient, en fait, incompatibles. Pour en arriver
à cette conclusion, il faut se rappeler d'abord
que les statuts d'association comprennent en
fait un accord entre actionnaires ou membres
qui les lie tous (voir M.R.N. c. Dworkin Furs
(Pembroke) Limited [1967] R.C.S. 223, à la p.
236.). Il faut remarquer, en second lieu, que le
juge Ritchie a expressément limité son affirma
tion selon laquelle la colonie n'était pas une
entreprise commerciale en utilisant l'expression
«au sens qu'aucun de ses membres aurait un
droit de participer aux bénéfices». Je pense
qu'en employant ces mots, il admettait qu'une
entreprise pouvait être commerciale et pourtant
exclure le droit des actionnaires ou autres de
participer à ses bénéfices. L'entreprise en ques
tion est de ce type, car, en vertu d'un accord
issu des statuts d'association et auquel les
demandeurs étaient parties en raison de leur
appartenance respective à des colonies, les par
ties ont renoncé par contrat à leur droit à leur
part des profits nets auxquels ils auraient autre-
ment eu droit. La majorité de la Cour refusa un
redressement à l'encontre de la perte de tous les
biens des appelants parce que cette perte résul-
tait d'une obligation contractuelle que les appe-
lants avaient contractée volontairement, par les
statuts d'association, non seulement parce qu'ils
étaient membres de la colonie régie par ces
statuts mais aussi parce qu'ils en étaient les
signataires. C'est en ce sens que le juge en chef
Cartwright exposa ses motifs (auxquels le juge
Spence a souscrit), dans lesquels il se rallie à la
décision de la majorité bien que pour des rai-
sons quelque peu différentes.
La nature contractuelle de la perte de leur
droit aux gains provenant de leurs travaux
empêche aussi, à mon avis, les demandeurs de
déclarer qu'ils ne sont pas assujettis à l'impôt
pour ces gains, nonobstant le fait qu'ils ne les
ont pas reçus, et ce, que les colonies dont ils
font partie soient constituées en corporation ou
non. En fait, ils ont volontairement cédé et
transmis ces gains à un dépositaire dans le sens
où ce mot est utilisé par le juge en chef Duff
dans l'arrêt Barickman (précité) et ce déposi-
taire a retenu ces gains pour les utiliser au
bénéfice de tous. Il est donc évident que ces
gains sont ceux des membres et doivent être
inclus dans leurs déclarations de revenu pour
toute année d'imposition, comme le requiert la
Loi de l'impôt sur le revenu. Le fait que la
cession ait été faite avant que le revenu n'ait été
gagné ne doit pas, du point de vue fiscal, donner
un résultat différent lorsque la cession est faite
après la production de ce revenu.
On peut arriver à la même conclusion d'une
autre manière. Dans l'arrêt Lagacé c. M.R.N.
[1968] 2 R.C.É. 98, les faits en cause étaient
complètement différents de ceux de l'affaire
présente, mais il convient de citer cette décision
où des revenus qui n'avaient pas été réellement
reçus par une entreprise ont été considérés, à
des fins fiscales, comme des revenus de l'entre-
prise. Le président Jackett (tel était son titre),
dit à la page 109:
[TRADUCTION] ... aux fins de la Partie I de la Loi de l'impôt
sur le revenu, les bénéfices provenant d'une entreprise sont
les revenus de la personne qui exploite l'entreprise et ne
sont pas, comme tels, des revenus du tiers qui les détient.
Telle est, pour moi, la portée indiscutable des articles 3 et 4
de la Loi de l'impôt sur le revenu, et ceci est conforme à ce
que je peux tirer de la jurisprudence en la matière.
A la page 1 1 1 , dans l'Annexe au jugement, le
président Jackett déclare en outre:
[TRADUCTION] Afin qu'il n'y ait pas de malentendu sur le
fondement de ma décision dans cette affaire, je voudrais
rappeler qu'à mon avis, il y a une nette distinction de
principe entre
a) le cas où un commerçant effectue des transactions com-
merciales pour son entreprise au nom d'une autre personne,
un préposé, fiduciaire ou personne nommée; dans ce cas, les
bénéfices réalisés sur la vente de son stock en magasin sont
des profits de son entreprise, même si les transactions sont
effectuées au nom de quelqu'un d'autre, et
b) le cas où un commerçant utilise le stock en magasin de
son entreprise ou le donne à quelqu'un d'autre de sorte qu'il
n'y a pas de vente de stocks au cours de l'exploitation de
son entreprise; il ne peut donc y avoir aucun bénéfice
résultant d'une telle vente au cours de l'exploitation de son
entreprise.
Plus loin il affirme (page 112):
[TRADUCTION] Si les principes appliqués dans de tels cas
s'appliquent à des affaires relatives à la Loi de ►'impôt sur le
revenu du Canada, il semblerait, assez curieusement, que le
résultat dépend en fait de savoir si le contribuable utilise la
comptabilité de caisse ou la comptabilité d'exercice.
S'il optait pour une comptabilité de caisse, il ne porterait
aucune somme à l'actif de ses comptes d'entreprise pour les
stocks en magasin retirés de l'entreprise, même si le coût de
l'achat avait été porté au passif de ses comptes d'entreprise.
S'il choisissait une comptabilité d'exercice, il porterait à
l'actif la valeur du stock en magasin ainsi retiré, en établis-
sant cette valeur au jour du retrait.
L'avocat de la défenderesse soutient, en se
fondant sur l'arrêt Lagacé (précité), que les
demandeurs exploitaient une entreprise agricole
et qu'ils avaient cédé ou transmis le revenu
provenant des opérations agricoles à une com-
pagnie, non par suite d'une transaction commer-
ciale bona fide entre eux, mais afin d'exécuter
un contrat dont l'objet était d'assurer qu'ils se
conforment aux exigences religieuses de leur
secte. Puisqu'ils n'avaient pas opté pour une
imposition calculée d'après la méthode de
caisse, il leur fallait déclarer à titre de revenu la
valeur du stock en magasin vendu par la compa-
gnie au nom des appelants. Après les ajuste-
ments nécessaires afin de déterminer le revenu
imposable, cette valeur représentait leur revenu
imposable, déterminé selon la seule méthode
possible dans les circonstances, à savoir, en
prenant le revenu de la corporation, déduction
faite des dépenses engagées afin de produire ce
revenu, et en calculant ce revenu à peu près de
la même manière que dans le cas des groupes
LEHRER-LEUT et SCHMEID-LEUT, conformément
à l'accord mentionné plus haut. Je suis d'accord
avec ces prétentions et conclus que pour tous
ces motifs, les demandeurs ont reçu un revenu
imposable.
Après avoir ainsi conclu, je dois examiner la
prétention des demandeurs selon laquelle un
Huttérite est membre d'un «ordre religieux», au
sens de l'article 27(2) de la Loi de l'impôt sur le
revenu, et, ayant fait voeu de pauvreté, il peut
déduire de son revenu de l'année le montant du
revenu qu'il a gagné, si ce revenu a été versé à
l'ordre.
Ni la loi la constituant en corporation, ni sa
constitution n'autorisent l'Église huttérite à
engager dans une entreprise agricole, ou à rece-
voir et utiliser à son avantage, les biens apparte-
nant à ses membres ou à ses colonies, ni leurs
revenus. Elle a le droit de détenir des terres,
mais seulement pendant les périodes de temps
autorisées par l'article 9 de la loi la constituant
en corporation.
Par contre, la constitution autorise les colo
nies à détenir des biens de toutes sortes et exige
des membres de la colonie, qui doivent être
membres de l'Église huttérite, une entité dis-
tincte et séparée, qu'ils cèdent à cette colonie
tous les biens en leur possession au moment où
ils deviennent membres de l'Église, ou acquis
par la suite. Il est évident que toute l'organisa-
tion tend à créer une séparation nette entre
l'Église, dans son contexte purement religieux,
et la colonie, dont les membres ont en même
temps des activités religieuses et profanes. Plu-
sieurs décisions ont adopté la proposition selon
laquelle lorsqu'une organisation poursuivait en
même temps des buts charitables et d'autres
buts, elle n'est pas, aux fins fiscales, une institu
tion de charité. (Voir les arrêts: Keren Kaye-
meth Le Jisorel Ltd. c. Commissioners of Inland
Revenue 17 T.C. 27; The Oxford Group c. Corn-
missioner of Inland Revenue 31 T.C. 221; et La
succession Towle c. M.R.N. [1967] R.C.S. 133).
Dans le dernier de ces arrêts, le juge Ritchie
fit remarquer que, si quelques-uns des buts indi-
qués dans les lettres patentes d'une association
sont exclusivement charitables, il reste encore à
déterminer si les autres buts pour lesquels l'as-
sociation a été incorporée sont de nature à la
priver de son caractère d'institution de charité.
Il déclare à la page 144:
[TRADUCTION] Je suis cependant d'avis que, puisque l'asso-
ciation est une compagnie constituée en corporation par
lettres patentes, la question de savoir si elle était «constituée
exclusivement à des fins charitables>, ne peut être détermi-
née en se référant seulement aux buts pour lesquels elle a
été, à l'origine, constituée en corporation.
Il a ensuite adopté les affirmations suivantes de
Lord Denning dans l'arrêt Institution of
Mechanical Engineers c. Cane [1961] A.C. 696
à la page 723:
[TRADUCTION] . .. la première question consiste à déterminer
si The Institution of Mechanical Engineers est une «société
constituée exclusivement à des fins scientifiques». Je ne
pense pas que l'on puisse répondre à cette question en se
basant sur la charte royale seulement et en l'interprétant du
haut de notre tour d'ivoire, oublieux des buts réels poursui-
vis par l'institution. Cet examen serait suffisant si nous
avions seulement à examiner les buts pour lesquels la
société a été créée à l'origine. Mais ce n'est pas un critère
valable. Une société peut avoir été créée à l'origine pour
certains buts et par la suite en adopter de nouveaux. Il faut
alors se poser la question suivante: quels buts la société
poursuit-elle aujourd'hui?
En faisant une analogie entre la manière de
déterminer si une société a été constituée exclu-
sivement dans des buts charitables et la manière
de déterminer si elle a été constituée exclusive-
ment dans des buts religieux, je conclus que le
but principal poursuivi par la colonie, distincte
de l'Église, à l'origine comme aujourd'hui, est
l'agriculture, et que cette entreprise agricole ne
consiste pas seulement à fournir de la nourriture
à chacun des membres et à sa famille, mais a
pour but le profit. L'utilisation qui est faite de
ces profits ou gains n'est pas pertinente du point
de vue de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Puisque les buts et objectifs de chaque colo-
nie ne sont pas exclusivement de caractère reli-
gieux, elles ne peuvent être, à mon avis, «des
ordres religieux» au sens de l'article 27(2) de la
loi. Puisque les litiges dans ces appels portent
sur l'appartenance des demandeurs à leurs colo
nies respectives, il ne sont donc pas membres
d'un ordre religieux. S'il en est ainsi, je n'ai pas
à décider si les membres, en tant que tels, ont
fait voeu perpétuel de pauvreté au sens dudit
article.
Comme je l'ai indiqué plus haut, les deman-
deurs soutiennent aussi que les dispositions de
la Loi de l'impôt sur le revenu, du moins en ce
qui les concerne, sont inopérantes parce que
portant atteinte à leurs droits à la liberté reli-
gieuse, elles sont en conflit avec les dispositions
de la Déclaration canadienne des droits. Selon
leur thèse, les demandeurs estiment apparem-
ment que, si les Huttérites sont forcés de payer
un impôt sur un revenu, cela signifie que, de
façon mystérieuse, ils seront forcés d'accepter
un revenu que leur croyance religieuse ne leur
permet pas d'accepter. L'application de la Loi
de l'impôt sur le revenu n'oblige en aucune
manière les Huttérites à accepter un revenu. Il
ne s'agit en fait que d'appliquer la loi adoptée en
vertu des pouvoirs du Parlement du Canada,
exigeant que les autorités en matière fiscale
imposent le revenu de tous les Canadiens, y
compris les Huttérites. Ceci ne veut pas dire
qu'un Huttérite a été privé de sa liberté de
pratiquer la religion de son choix de la manière
requise par son Église, ni qu'il est forcé de
transgresser des dogmes de sa foi; rien dans
cela ne constitue en aucune manière une viola
tion des droits fondamentaux reconnus à tous
les Canadiens par la Déclaration des droits.
A l'appui de cette conclusion, il faut noter
qu'on a présenté en preuve un extrait de l'ou-
vrage Rechenschaft unserer Religion, Lehre, und
Glaubens, de Peter Riedemann, qui affirme spé-
cifiquement que:
[TRADUCTION] Nous consentons à acquitter les impôts ou le
tribut, quel que soit le nom que lui donnent les hommes et,
en aucune façon, ne nous y opposons, car nous l'avons
appris de notre Maître, le Christ, qui non seulement l'a payé
lui même, mais a également ordonné aux autres de le faire,
en disant: «Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu, ce
qui est à Dieu». Par conséquent, nous, ses disciples, nous
souhaitons suivre son commandement et y obéir et ne pas
nous opposer en cela au gouvernement.
La suite de cet extrait explique que si des
impôts sont levés dans le but spécifique de faire
la guerre, ils ne donneront rien. Cependant, la
chose importante à remarquer, est que, bien que
l'avocat des demandeurs soutienne que la Loi de
l'impôt sur le revenu constitue une entrave à la
liberté de religion. des demandeurs, leur propre
profession de foi les oblige à payer des impôts
et, en fait, la preuve démontre qu'ils paient des
impôts sur leurs biens immobiliers sans appa-
remment soulever aucune objection de ce genre.
Pour tous les motifs ci-dessus, je conclus que
c'est à bon droit que la défenderesse a cotisé les
demandeurs. Les appels doivent donc être reje-
tés, avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.