L'État portoricain (Requérant)
c.
Humberto Pagan Hernandez (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges
Thurlow et Pratte —Ottawa, les 15, 16 et 30
novembre 1973.
Examen judiciaire—Extradition—Refus de décerner un
mandat d'extradition—Appel—Rejet de l'action par la Cour
fédérale pour défaut de compétence—Appel à la Cour suprê-
me—Confirmation de la compétence de la Cour d'appel
fédérale—Compétence—Renvoi à la Cour pour jugement sur
le fond—Loi sur la Cour fédérale, art. 28(1)c).
L'État portoricain demande l'examen et l'annulation, en
vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, de la
décision du juge, agissant en vertu de la Loi sur l'extradi-
tion, qui refusa de décerner un mandat autorisant l'extradi-
tion de l'intimé afin qu'il réponde d'une accusation de meur-
tre. Le 2 août 1972, la demande a été soumise à la Cour
d'appel fédérale (voir [1972] C.F. 1076) qui décida qu'elle
n'avait pas compétence pour l'entendre. Le 29 octobre
1973, la Cour suprême a jugé ladite Cour compétente en
l'espèce et lui a renvoyé la demande pour jugement sur le
fond. L'audience s'est tenue les 15 et 16 novembre 1973 et
la Cour a rejeté la demande tout en indiquant qu'elle ren-
drait les motifs à une date ultérieure.
Arrêt: la demande d'examen est rejetée. Le juge d'extradi-
tion, procédant à l'examen de la preuve, a appliqué le critère
de la «culpabilité probable» et a conclu que la preuve ne
démontrait pas la culpabilité probable de l'intimé. La preuve
n'était pas suffisante pour faire subir un procès à l'intimé.
On ne peut soutenir que la conclusion du juge découle d'une
conception erronée de son rôle ou d'une erreur de droit à cet
égard, de façon à placer l'affaire dans le cadre des disposi
tions de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Arrêts suivis: Schtraks c. Le gouvernement d'Israël
[1964] A.C. 556; Ex parte Isaac Feinberg (1901) 4
C.C.C. 270; Re Latimer (1906) 10 C.C.C. 224; Ex parte
Reid (1954) 110 C.C.C. 260.
DEMANDE d'examen judiciaire.
AVOCATS:
G. R. Morin et J. L. Shields pour le
requérant.
C. C. Ruby et B. Mergler pour l'intimé.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Houston, Killeen et
Greenberg, Ottawa, pour le requérant.
C. C. Ruby, Toronto, pour l'intimé.
LE JUGE THURLOW—Cette demande, déposée
en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale, vise l'examen et l'annulation de la déci-
sion par laquelle M. le juge A. E. Honeywell,
agissant à titre de juge d'extradition en vertu de
la Loi sur l'extradition, a refusé de décerner un
mandat autorisant l'extradition à Porto Rico de
Humberto Pagan Hernandez, que j'appellerai
ci-après l'intimé, afin d'y répondre d'une accu
sation de meurtre. La demande a été soumise à
la Cour le 2 août 1972 [1972] C.F. 1076 et la
Cour avait alors décidé qu'elle n'était pas com-
pétente pour l'entendre. Le 29 octobre 1973, la
Cour suprême a jugé la Cour compétente en
l'espèce et lui a renvoyé la demande pour juge-
ment sur le fond. L'audience s'est tenue les 15
et 16 novembre 1973 et la Cour a rejeté la
demande tout en indiquant qu'elle rendrait les
motifs de sa décision à une date ultérieure.
Les motifs sur lesquels on peut fonder une
demande déposée en vertu de l'article 28 de la
Loi sur la Cour fédérale sont définis dans ce
texte de manière suffisamment large pour com-
prendre toute question de droit ou de compé-
tence. Cette procédure ne constitue cependant
pas une nouvelle audition de la cause, mais un
examen de la légalité du déroulement de l'af-
faire. Bien que la Cour puisse annuler la déci-
sion ou l'ordonnance et renvoyer l'affaire
devant le tribunal avec des directives, elle n'a
pas le pouvoir, alors qu'en général les disposi
tions relatives aux appels le prévoient, de rendre
la décision ou l'ordonnance qu'à son avis le
tribunal aurait dû rendre. La Cour n'a pas non
plus compétence pour procéder à une nouvelle
évaluation de la preuve et pour substituer son
appréciation des faits à celle du tribunal. En la
matière, la compétence de la Cour ne l'autorise
qu'à annuler une décision basée sur une conclu
sion de fait qui n'est pas fondée en droit et qui
relève ainsi de l'article 28(1)c).
A mon sens, c'est dans ce cadre que la Cour
avait compétence pour examiner la décision en
cause. Selon la Loi sur l'extradition, S.R.C.
1970, c. E-21 et l'article X du Traité Ashburton,
le juge d'extradition doit lancer un mandat pour
faire incarcérer le fugitif en vue de son extradi
tion lorsqu'il est produit une preuve qui d'après
le droit canadien justifierait son incarcération
préventive si le crime avait été commis au
Canada. Si cette preuve n'est pas produite, le
juge doit ordonner que le fugitif soit élargi.
Suivant l'article 475 du Code criminel, S.R.C.
1970, c. C-34, un juge de paix procédant à une
enquête préliminaire, doit «si à son avis, la
preuve est suffisante pour faire passer la per-
sonne en jugement», renvoyer la personne
inculpée pour qu'elle subisse son procès. Si, à
son avis, il n'a pas été établi de motif suffisant
pour la faire passer en jugement, il doit libérer
la personne inculpée. Le type de preuve exigée
n'est ni absolu ni précis, il dépend d'un juge-
ment de valeur qui détermine si la preuve est
suffisante pour justifier le procès de l'inculpé
pour l'infraction alléguée. Il semble évident, du
moins dans les cas où, de bonne foi, on peut
avoir des avis différents quant au caractère suf-
fisant de la preuve, qu'on ne saurait prétendre
entachée d'une erreur de droit la décision d'un
juge de paix pour l'unique motif qu'une Cour
procédant à l'examen de cette décision, ou cer-
tains de ses membres, aurait incliné vers une
solution différente si c'est elle qui avait mené
l'enquête. Il est certain que ce motif ne suffirait
pas à justifier l'intervention d'une Cour procé-
dant à l'examen de la décision, même si cette
dernière était compétente pour examiner les
faits et pour rendre une décision fondée sur sa
propre appréciation de ceux-ci. Dans les cas tels
que celui-ci, où la compétence d'examen est
limitée aux questions de droit, la Cour, à mon
sens, ne peut intervenir, en dehors de toute
interprétation erronée du juge ou d'erreur de
droit au cours des procédures, que lorsque l'er-
reur commise dans l'appréciation du dossier
soumis est si lourde qu'elle ne constitue pas
seulement une erreur de jugement quant à l'ef-
fet d'une preuve marginale, mais un tel mépris
des éléments de preuve présentés à la Cour que
cela revient à une erreur de droit ou porte à
conclure qu'on a fait application d'un principe
erroné, l'article 28(1)c) s'appliquant alors.
Au moins trois des lords juges appelés à se
prononcer dans l'affaire Schtraks c. Le gouver-
nement d'Israël [1964] A.C. 556 estiment que la
loi entend laisser au juge de paix un domaine
discrétionnaire au sein duquel son point de vue
doit prévaloir si l'on peut soutenir qu'il s'agit
d'une conclusion raisonnable vu la preuve pré-
sentée. Ainsi, à la page 579, Lord Reid déclare:
[TRADUCTION] Les pouvoirs de cette chambre ne dépas-
sent pas ceux d'un tribunal. Je ne considère pas utile en
l'espèce d'en donner une définition précise. La cour et, en
appel, cette chambre peuvent et même doivent rechercher
si, au vu des éléments de preuve présentés au magistrat, un
magistrat raisonnable aurait été fondé à procéder à l'incarcé-
ration de l'accusé, mais ni la cour ni cette chambre ne peut
juger le procès à nouveau afin de substituer son propre
pouvoir discrétionnaire à celui du magistrat.
Lord Evershed, le vicomte Radcliffe étant du
même avis sur ce point, déclare à la page 600:
[TRADUCTION] A mon sens, le critère qu'il convient d'appli-
quer est celui adopté par le lord juge en chef, à savoir que le
magistrat doit se trouver devant des preuves telles que, si
elles ne sont pas contredites à l'audience, un jury raisonna-
ble pourrait fonder sur elles une déclaration de culpabilité.
En appliquant ce critère, il me semble qu'on ne peut sérieu-
sement soutenir, vu les faits tels que je les ai relatés, que le
magistrat ne se trouvait pas en présence de preuves suffi-
santes pour lui permettre, dans l'exercice régulier de son
pouvoir discrétionnaire, de faire incarcérer l'appelant sous
une accusation de parjure.
Au Canada, on a appliqué dans un certain
nombre d'affaires citées par le savant juge d'ex-
tradition le critère du caractère suffisant de la
preuve qu'exige la mise en accusation d'un
inculpé. Ce critère a été établi par l'arrêt Ex
parte Isaac Feinberg (1901) 4 C.C.C. 270 où le
juge Würtele a déclaré aux pages 272-73:
[TRADUCTION] Selon la Loi d'extradition, dans le cas d'un
fugitif accusé d'avoir commis un crime entraînant l'extradi-
tion, il faut que soit produite une preuve qui, d'après le droit
canadien, justifierait sa mise en accusation sous réserve des
dispositions de la loi.
Quand une personne est accusée d'avoir commis un crime
au Canada, elle est traduite devant un magistrat qui procède
à une enquête préliminaire et qui interroge les témoins cités
à comparaître. Le magistrat ne juge pas l'accusé; il examine
la preuve présentée et, s'il estime non pas que la preuve est
suffisante pour fonder une déclaration de culpabilité, mais
qu'elle est suffisante pour lui faire subir un procès, il pro-
cède à l'incarcération préventive.
On exige simplement que la preuve justifie l'incarcération
préventive et non une déclaration de culpabilité. Il n'est pas
nécessaire que cette preuve démontre la culpabilité de l'ac-
cusé et suffise, lors du procès, à fonder une déclaration de
culpabilité. La preuve justifiant l'incarcération préventive
d'un accusé doit seulement être telle qu'on puisse raisonna-
blement croire en sa culpabilité. Il n'est pas nécessaire que
cette preuve soit décisive au point de pouvoir entraîner sa
condamnation. On ne peut condamner qu'au vu d'une
preuve qui retire tout doute raisonnable quant à la culpabi-
lité, mais une incarcération exige simplement que les faits
établis soient suffisamment forts en eux-mêmes pour fonder
chez un homme prudent la conviction que l'accusé est
probablement coupable de l'infraction qu'il lui est imputée.
(1 Moore, pp. 520, 521, 522). Le but de l'enquête est
seulement de décider si la preuve justifie la détention d'un
accusé en vue de son procès pour qu'il réponde de cette
accusation. A ce procès, il aura le droit de présenter une
défense complète. (1 Moore p. 522).
Voir également Rex c. Cowden (1947) 90
C.C.C. 101 à la page 104; Re Goodman (1916)
26 C.C.C. 254 aux pages 259-60; Re Rosenberg
(1918) 29 C.C.C. 309 à la page 314 et Regina c.
Sednyk (1956) 115 C.C.C. 128 à la page 131.
Le critère a été exposé de façon différente
dans l'arrêt Re Latimer (1906) 10 C.C.C. 244
par le juge en chef Sifton qui déclare à la page
247:
[TRADUCTION] Ceci constitue la preuve présentée à cette
Cour; il convient maintenant de déterminer ce que je dois
faire vu les circonstances révélées par la preuve. Comme
nous l'avons dit, il ne s'agit pas du tout du procès de
l'accusé. Il peut être innocent ou coupable de l'infraction qui
lui est imputée. Il m'incombe de décider si, en l'absence
d'éléments contraires, la preuve soumise permettrait à un
magistrat, d'après notre droit et dans une affaire semblable,
de procéder à son incarcération préventive en vue de son
procès. En pratique, cela revient à peu près à la même chose
que si, au cours d'un procès avec un juge et un jury, la
preuve était telle qu'elle empêchait le juge de dessaisir le
jury.
Ceci semble poser un critère de preuve un peu
plus exigeant que le critère de la «culpabilité
probable» que l'on trouve dans l'arrêt Feinberg
(précité).
Dans l'arrêt Ex parte Reid (1954) 110 C.C.C.
260 le juge Spence, alors juge à la Haute Cour
de l'Ontario, dans les motifs de sa décision
d'accorder un bref de habeas corpus pour l'élar-
gissement d'un prévenu, se réfère aux deux
critères dans le passage suivant qui se trouve
aux pages 261-62:
[TRADUCTION] Il a été affirmé que la preuve justifiant la
détention préventive d'un accusé doit être telle qu'elle
entraîne chez le magistrat la conviction que l'accusé est
probablement coupable. L'arrêt Re Latimer (1906), 10 Can.
C.C. 244, propose un critère pratique qui consiste à se
demander si le juge présidant l'audience d'un procès avec
jury pourrait, au vu de la preuve, être justifié à dessaisir le
jury. Je suis fermement convaincu que si je présidais l'audi-
tion de cette accusation et que la preuve présentée au nom
de la Couronne contre Reid était celle que j'ai lue dans la
transcription des notes prises à l'enquête préliminaire, je
serais obligé d'élargir l'accusé et je sentirais qu'il m'appar-
tient de le faire même si son avocat n'en a pas fait la
demande. Ce critère, bien sûr, est plus rigoureux que celui
qui est retenu d'ordinaire, à savoir, la conviction d'un
homme prudent, au vu de la preuve présentée à l'enquête
préliminaire, de la culpabilité probable de l'accusé.
Dans l'arrêt Schtraks c. Le gouvernement d'Is-
raël (précité) le critère est formulé d'une
manière encore un peu différente mais, à mon
sens, ce qu'il exige fondamentalement ne diffère
pas de ce qu'exige le critère portant sur le point
de savoir s'il s'agit d'une affaire dans laquelle le
juge serait fondé à dessaisir le jury. Lord Reid,
à la page 580, s'est exprimé ainsi sur cette
question:
[TRADUCTION] Il faut maintenant décider si la preuve sou-
mise au magistrat suffisait à justifier une incarcération pré-
ventive. L'objection principale à l'incarcération préventive
était que les Kot ou du moins deux d'entre eux étaient
complices et que deux des trois se trouvaient en prison
lorsqu'ont été recueillies leurs dépositions. Nul ne conteste
que le critère que doit appliquer le magistrat est celui de
savoir si, dans l'hypothèse où cette preuve est la seule
présentée au procès, un jury raisonnable et correctement
instruit accepterait de fonder sur elle un verdict de
culpabilité.
Dans ses motifs, dont un extrait a déjà été cité
(page 600), Lord Evershed s'exprimait de la
même façon.
Chacun de ces critères ou chacune de ces
façons de formuler un critère, peut être, à mon
avis, plus ou moins utile à un juge de paix ou à
un juge d'extradition, selon le type d'affaire en
cause. Mais on doit, à mon sens, retenir que,
peu importe la manière de formuler le critère,
celui-ci ne peut servir que de repère au juge de
paix ou au juge pour lui permettre de se faire
une opinion sur la preuve, opinion que la loi lui
impose d'appliquer, quant au caractère suffisant
de celle-ci pour justifier une mise en accusation.
Pour cette raison, il me semble qu'il convien-
drait d'exiger au moins une preuve qui, si elle
n'est pas réfutée lors du procès, serait de nature
à motiver une condamnation de la part d'un jury
raisonnable, mais la législation n'impose pas de
critère. Elle laisse l'appréciation du caractère
suffisant de la preuve au juge de paix ou au juge
et il me semble que dans la mesure où sa con
clusion est justifiée comme découlant raisonna-
blement de la preuve, il n'est pas essentiel qu'il
s'avère qu'il a appliqué un critère donné. En
particulier, je ne pense pas que l'on puisse se
plaindre qu'un critère donné n'a pas été appli-
qué si le critère effectivement retenu est moins
exigeant et que le juge de paix ou le juge en a
néanmoins conclu à l'insuffisance de la preuve.
L'événement qui a donné naissance à la mise
en accusation pour crime de l'intimé s'est pro-
duit sur le campus de l'université de Porto Rico
à San Juan ou aux alentours. A l'époque en
question, l'intimé était inscrit comme étudiant à
l'université et était l'un des chefs d'un groupe
d'étudiants qui prônaient l'indépendance de
Porto Rico. Le 11 mars 1971, une manifestation
d'une certaine envergure et d'une certaine durée
se produisit sur le campus de l'université et
entraîna une confrontation entre une centaine
d'étudiants membres du ROTC (corps d'entraî-
nement des officiers de réserve) et un nombre
beaucoup plus élevé d'autres étudiants qui, sem-
ble-t-il, s'opposaient à la présence de cette orga
nisation à l'université. On a fait appel à la police
quand la bagarre a éclaté. Des jets de pierre et
des coups de feu suivirent, plusieurs personnes,
policiers et civils, furent atteintes et le comman
dant du détachement de police fut tué. Selon les
preuves produites, que le savant juge a considé-
rées suffisantes, le commandant a été tué par
une balle tirée dans une direction sud, d'une
distance d'à peu près 140 pieds, par une per-
sonne se tenant debout ou accroupie derrière le
coin nord-ouest d'un monument. José Raphael
Atilano, commandant-adjoint du détachement
de police envoyé à l'université, a témoigné
qu'au moment du coup de feu ou à peu près à ce
moment, il se trouvait à un endroit situé d'après
le plan (pièce 2) à 180 pieds environ du tireur et
à 60 pieds environ à l'ouest du commandant. Il a
affirmé dans sa déposition avoir vu le tireur et
entendu le coup de feu et, tout de suite après,
avoir couru vers le nord le long d'un trottoir à
peu près parallèle à la trajectoire de la balle afin
de mieux voir le tireur. Il a déclaré qu'il s'agis-
sait à coup sûr d'un pistolet Colt .45, que le
tireur mesurait à peu près 5'9", qu'il avait des
favoris et que son teint était un peu plus pâle
que le sien. Le tireur se trouvait derrière le
monument, sa main gauche appuyée contre le
coin nord, et il tenait son arme de la main droite
contre le côté ouest du monument. Le témoin
dit avoir couru une quarantaine de pas le long
du trottoir qui, d'après le plan, est situé à 54
pieds au moins du monument. Il ajoute que le
tireur l'a vu s'approcher, que celui-ci a tourné
son visage vers lui pendant un instant, ainsi qu'il
en a fait la démonstration, soit au plus deux
secondes, puis le tireur s'est retourné et s'est
enfuit.
Plus d'une année après, devant le savant juge
d'extradition le témoin a formellement reconnu
l'intimé comme étant le tireur. Le contre-inter-
rogatoire a révélé que le témoin ne connaissait
pas l'intimé avant le 11 mars 1971 et rien n'indi-
que qu'il l'ait vu depuis. Toutefois, on a fait
valoir en preuve que la police avait reçu un
renseignement d'après lequel l'intimé était bien
le tireur et avait sur ce obtenu de l'université la
carte d'identité de l'intimé où figuraient son
nom et sa photographie, ainsi que les cartes de
quelque 22 autres étudiants. Selon ladite
preuve, entre les 13 et 15 mars 1971, on a
présenté ces cartes et un album de photogra-
phies appartenant à la police au témoin qui a
désigné la carte de l'intimé. L'intimé a été arrêté
à Porto Rico le 16 mars 1971. Il a ensuite été
relâché en attendant qu'il soit statué sur sa
demande d'habeas corpus et il est resté en
liberté en attendant que soit tranché l'appel
interjeté du rejet de ladite demande. Entre
temps, une date fut fixée pour son procès pour
meurtre, mais il ne s'y est pas présenté et s'est
réfugié dans ce pays. Aucune preuve n'est
venue confirmer le témoignage d'Atilano, ne
serait-ce que sur le point de savoir si l'intimé se
trouvait effectivement sur le campus ou aux
environs le jour du meurtre ou s'il avait jamais
détenu un Colt .45 ou un autre pistolet. A l'au-
dience devant le savant juge, l'avocat de l'État
de Porto Rico a reconnu que le témoignage
d'Atilano était la seule preuve directe impli-
quant l'intimé dans la fusillade et il a fondé son
dossier sur le fait que les preuves présentées
suffisaient à faire incarcérer l'intimé en vue de
son extradition. Il a soutenu ce même argument
dans sa demande devant cette Cour.
Dans une décision prononcée à l'issue de l'au-
dience et soigneusement motivée, ainsi que dans
ses motifs rédigés ultérieurement, le savant juge
d'extradition a fait ressortir les faiblesses et les
insuffisances de la preuve impliquant l'intimé
dans ce meurtre et il a conclu que la preuve ne
suffisait pas à faire incarcérer l'intimé. Il s'est
jugé tenu de dissiper tous les doutes quant au
caractère suffisant de la preuve tendant à l'in-
carcération de l'intimé; il a donc déclaré qu'à
son avis, l'insuffisance de la preuve ne faisait
aucun doute.
Après plusieurs examens des témoignages
d'Atilano et d'Ortiz et après avoir entendu l'ex-
cellente plaidoirie de l'avocat de l'État de Porto
Rico, je ne suis pas convaincu que la preuve
suffisait raisonnablement à justifier la mise en
accusation de l'intimé. De plus, je trouve incon-
cevable qu'une personne puisse être mise en
accusation au vu d'une preuve aussi ténue que
cette prétendue identification qui a eu lieu un an
après l'événement et qui a été effectuée par une
personne qui ne connaissait pas l'accusé aupara-
vant et qui, de plus, n'a eu l'occasion de le voir
qu'au moment où il s'enfuyait et ce à une dis
tance d'à peu près soixante pieds, si tant est
qu'il s'en soit approché d'aussi près. Que le
témoin ait choisi la carte d'identité de l'intimé
ne prouve pas en soi que l'intimé était mêlé à
l'affaire. Je dirais même que, vu les circon-
stances telles que décrites, cet élément tend à
affaiblir plus qu'à renforcer la force probante de
l'identification faite à l'audience par Atilano; en
effet, le témoin aurait tendance à se souvenir
par la suite du personnage de la photographie
qu'il a eu tout loisir d'examiner plutôt que de la
silhouette fugitive du tireur. Aucune autre
preuve n'a été présentée tendant à impliquer
l'intimé ou à corroborer cette identification.
Cette conclusion suffit à rejeter la demande,
car, si la Cour n'est pas elle-même convaincue
que la preuve justifie l'incarcération, elle l'est
encore moins que le savant juge d'extradition ne
pouvait pas, dans l'exercice de son pouvoir dis-
crétionnaire, considérer la preuve insuffisante.
On a prétendu que le savant juge avait
commis une erreur de droit en décidant que la
preuve de l'identification faite par le témoin
Atilano ne pouvait pas être retenue en l'absence
d'autres preuves à cet égard et en jugeant que le
témoignage d'Atilano constituait une opinion
plutôt qu'une identification formelle. Je ne con-
sidère pas ces décisions comme des jugements
du savant juge sur des points de droit mais
plutôt comme son opinion sur la valeur ou le
poids du témoignage donné. Il me semble parfai-
tement clair que, vu les faits, on ne pouvait pas
considérer l'identification comme étant plus
qu'une simple opinion formée par un témoin et,
en l'absence de toute preuve supplémentaire ou
de confirmation, on ne pouvait pas sérieusement
retenir cette opinion.
On a également soutenu que le savant juge
avait commis une erreur de droit en évaluant le
témoignage, usurpant ainsi les fonctions du jury
d'apprécier la crédibilité des témoins et la valeur
de leurs témoignages. Toutefois, je ne considère
pas qu'il soit possible pour un juge d'extradition
d'exercer ses fonctions sans tenir compte du
poids ou du manque de poids manifestes d'un
témoignage qui lui est soumis. J'estime qu'il lui
appartient de l'évaluer approximativement pour
déterminer son utilité au procès ainsi que les
conclusions que tout ou partie de ce témoignage
pourrait appuyer. Le savant juge, en l'espèce, a
déclaré à plusieurs reprises qu'il ne lui apparte-
nait pas de peser la preuve mais simplement de
se prononcer sur son caractère suffisant et je ne
pense pas que l'on puisse soutenir que sa con
clusion découle d'une conception erronée de
son rôle ou d'une erreur de droit à cet égard. Il a
fait application du critère de la «culpabilité pro
bable» et il a conclu que la preuve ne démon-
trait pas la culpabilité probable de l'intimé, con
clusion qu'en toute déférence, je partage. Dans
la mesure où ce critère est le moins exigeant des
critères que j'ai précédemment examinés dans
ces motifs, on ne saurait prétendre que la con
clusion aurait été différente si l'on avait appli-
qué des critères plus exigeants relativement au
caractère suffisant de la preuve.
J'estime que la demande n'est pas fondée et
qu'il convient donc de la rejeter.
* * *
LE JUGE EN CHEF JACKETT et LE JUGE
PRATTE ont souscrit à l'avis.
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