Ernest G. Stickel (Appelant)
c.
Le ministre du Revenu national (Intime)
Division de première instance, le juge Catta-
nach—Edmonton (Alberta), les 29 février et ler
mars; Ottawa, le 18 avril 1972.
Impôt sur le revenu—Convention relative à l'impôt entre le
Canada et les États-Unis d'Amérique, Article VIII A—
Résident des États-Unis enseignant au Canada—Est-il
exempté de l'impôt canadien?
Impôt sur le revenu—Cotisation—Pouvoirs du Ministre—
Est-ce qu'un bulletin d'information peut fonder une fin de
non-recevoir?
Jusqu'au 18 juillet 1967, l'appelant résidait aux États-
Unis. A cette date, il s'est installé à Edmonton pour ensei-
gner à l'Université d'Alberta. Après le 30 juin 1969, date à
laquelle se terminait son contrat d'enseignant, il est resté à
Edmonton comme psychologue-conseil jusqu'en mars 1970,
époque à laquelle il quitta le Canada.
Arrêt: (1) il ne pouvait se faire exempter de l'impôt sur le
revenu canadien sur ses revenus provenant de l'enseigne-
ment en s'appuyant sur l'Article VIII A de la Convention
relative à l'impôt entre le Canada et les États-Unis.
Un résident du Canada ou des États-Unis ne peut pas
bénéficier d'exemption d'impôt dans l'autre pays en vertu
de l'Article VIII A à moins que (1) la durée de sa visite dans
cet autre pays n'excède pas deux ans et (2) le but de sa
visite soit l'enseignement.
Arrêt désapprouvé: Smith c. M.R.N. 70 DTC 1594.
(2) Un bulletin d'information publié par le Ministre, qui
exposait de façon erronée l'effet de l'Article VIII A, n'a pas
entraîné une fin de non-recevoir opposable au Ministre.
Arrêt désapprouvé: Bowen c. M.R.N. [1972] C.T.C.
2174. Arrêts suivis: Woon c. M.R.N. [1951] R.C.E. 18;
M.R.N. c. Inland Industries Ltd. 72 DTC 6113.
APPEL de l'impôt sur le revenu.
P. G. C. Ketchum pour l'appelant.
Ian Pitfield pour l'intimé.
LE JUGE CATTANACH—Les présents appels
portent sur des cotisations de l'appelant à l'im-
pôt sur le revenu qu'a établies le Ministre pour
les années d'imposition 1967 et 1968 et dans
lesquelles il a rejeté les demandes d'exonération
du paiement de l'impôt de l'appelant pour lesdi-
tes années d'imposition, en vertu de l'article
VIII A d'une Convention relative à l'impôt
entre le Canada et les États-Unis d'Amérique,
conclue le 4 mars 1942 entre les deux pays
désignés dans le titre. Ledit article est rédigé
comme suit:
Article VIII A: Tout professeur ou instituteur qui réside
dans l'un des États contractants et fait un séjour temporaire
dans l'autre État contractant afin d'enseigner, pendant une
période n'excédant pas deux ans, dans une université, un
collège, une école ou une autre institution d'enseignement
dans cet autre État, est exonéré par cet autre État de l'impôt
sur la rémunération qu'il reçoit pour cet enseignement pen
dant ladite période.
Cette Convention a été ratifiée et déclarée
avoir force de loi au Canada par la Loi de 1943
sur la Convention relative à l'impôt entre le
Canada et les États-Unis d'Amérique.
Des modifications ultérieures apportées à la
Convention ont également été ratifiées et décla-
rées avoir force de loi au Canada par des lois
dûment adoptées par le Parlement du Canada.
L'article VIII A a été ajouté à la Convention
initiale et ratifié par le chapitre 27 des Statuts
du Canada, 1950.
Le préambule de la Convention déclare que
les objectifs des deux États contractants sont
(1) de promouvoir les échanges commerciaux
entre les deux pays, (2) d'éviter la double impo
sition et (3) de prévenir l'évasion fiscale en
matière d'impôt sur le revenu. Lord Coke a
déclaré, il y a de nombreuses années, qu'un
préambule est un bon moyen de déterminer le
sens d'une loi et d'en faciliter la compréhension.
Les faits essentiels qui sont à l'origine des
présents appels ne sont pas contestés, mais il y
a un litige quant aux conclusions qui doivent
être tirées de ces faits, à savoir si l'appelant a
cessé d'être un résident des États-Unis.
L'appelant est né dans l'Ohio, (États-Unis
d'Amérique). Il ne fait pas de doute qu'il est
citoyen de ce pays et qu'il y a habité jusqu'au
18 juillet 1967.
Il a fait ses études primaires et secondaires
aux États-Unis et a ensuite fréquenté la Case
Western Reserve University (Ohio). De 1953 à
1957, il a simultanément travaillé au service de
cette université et préparé le doctorat en philo-
sophie qu'il a obtenu en 1956.
De 1957 1958, il a travaillé à titre de conseil
dans un institut de recherches à Cleveland
(Ohio). De 1958 à 1961, il a travaillé à son
compte comme conseil pour l'institut Case,
entité techniquement distincte de l'Université,
mais qui y était néanmoins étroitement liée.
L'épouse de l'appelant est née à Terre-Neuve
(Canada), mais elle a déménagé aux États-Unis
avant d'épouser l'appelant. En 1967, l'appelant
et son épouse avaient quatre enfants, dont deux
adolescents.
En 1961, l'appelant a déménagé avec sa
famille à Washington (D.C.).
En 1961 et 1962, il a été professeur à l'Uni-
versité William & Mary à Norfolk (Virginie).
Il a quitté ensuite Norfolk et il est revenu à
Washington où il a été employé au Montgomery
Board of Health et au Montgomery Board of
Education. Pendant la durée de cet emploi, il a
acheté une maison à Kensington (Maryland),
dont il est demeuré propriétaire jusqu'en 1964,
époque à laquelle il a loué un appartement à
Wheaton (Maryland), où il s'est installé avec sa
famille. Tous ces endroits sont situés dans la
région de Washington (D.C.).
Les parents de l'appelant sont tous deux
décédés. Si mon souvenir de la preuve est
fidèle, le frère de l'appelant qui habite aux
États-Unis est son seul parent vivant. L'appe-
lant et son frère étaient co-propriétaires d'une
maison qu'ils louaient à une tierce personne,
mais l'appelant a vendu en 1968 la participation
qu'il possédait dans ledit immeuble.
L'appelant a également acheté des biens en
Floride et au Nouveau-Mexique, mais il ne les a
jamais vus. Je soupçonne qu'il a acheté ces
biens de promoteurs immobiliers, à titre
spéculatif.
Pendant qu'il était à Washington (D.C.), l'ap-
pelant a eu son attention attirée par une offre
d'emploi de l'Université d'Alberta à Edmonton
(Alberta). Le 5 décembre 1966, il a adressé une
demande au doyen du département intéressé et
il a reçu une réponse au mois de février 1967.
Le doyen l'avisait de son passage prochain à
New-York et lui proposait de le rencontrer.
L'entrevue qui a suivi a servi de base à un
entretien ultérieur qui a eu lieu lorsque l'appe-
lant s'est rendu par avion à Edmonton à cette
fin. L'appelant et le doyen ont conclu ensuite
un contrat d'emploi verbal. Le 27 mars 1967,
l'appelant, qui demeurait alors à Washington
(D.C.), a reçu un contrat écrit de l'Université
d'Alberta. Il a signé ce document le 31 mars
1967 et l'a retourné à l'Université.
Dans la lettre du 5 décembre 1966 qu'il a
adressée à l'Université, l'appelant manifestait
son désir de [TRADUCTION] «se ré-établir au
Canada». Il ajoutait que, depuis quelque temps,
il étudiait les tendances et les orientations au
Canada et qu'il avait constaté l'existence de
différences qui l'attiraient [TRADUCTION] «sur
les plans personnel et professionnel». Il y énu-
mérait ses références personnelles et mention-
nait que son épouse était canadienne et que la
plupart de ses parents vivants étaient au
Canada. Il ajoutait qu'il avait acheté un autobus
scolaire qu'il avait transformé en «goélette des
prairies», dans lequel il avait beaucoup voyagé
avec sa famille dans l'est du Canada. Il ajoutait
que tous les membres de sa famille étaient des
fervents du camping, de la pêche et de la vie en
plein air. Il terminait sa lettre en disant que sa
famille était d'avis que [TRADUCTION] «le
Canada est le pays de l'avenir». Compte tenu du
fait que cette lettre était une demande d'emploi,
l'appelant, en tant qu'employé éventuel, voulait
faire valoir des faits et des circonstances sus-
ceptibles à son sens d'influencer favorablement
la décision de son employeur éventuel, et cette
lettre constituant un peu une flatterie, nous ne
pouvons pas y attacher beaucoup d'importance.
Toutefois, elle fournit des indications sur les
idées de l'appelant et sur le caractère nomade
de son mode de vie, caractère sans doute dû à la
nature de son travail.
D'autre part, M me Stickel a témoigné qu'on
avait discuté en famille du déménagement à
Edmonton. Pour sa part, M me Stickel n'était pas
très enthousiaste car elle n'avait aucun désir de
retourner dans l'est du Canada et ne connaissait
pas l'ouest du pays. Toute la famille, y compris
l'appelant, s'est mise d'accord sur une période
d'essai de deux ans et le fait qu'il fallait rester
ouverts au projet.
Aux termes du contrat passé avec l'Univer-
sité, l'appelant était nommé à un poste de pro-
fesseur-adjoint au département de psychologie
de l'éducation de la faculté d'éducation, à
compter du ler juillet 1967, pour une période
probatoire qui devait se terminer le 30 juin
1969. Je souligne que le contrat porte sur une
période de deux ans exactement.
Le 18 juillet 1967, l'appelant a déménagé à
Edmonton (Alberta) avec sa famille, afin d'en-
trer en fonctions.
Avant de déménager au Canada, l'appelant a
résilié le bail de l'appartement qu'il occupait
aux États-Unis. Il a confié à son frère certains
biens personnels qu'il pouvait difficilement
apporter au Canada. La preuve n'établit pas
d'une manière concluante s'il s'est agi d'une
donation pure et simple ou si ces biens devaient
être conservés pour l'appelant.
L'appelant a fermé le compte de prêts qu'il
avait, mais il a continué à faire des versements
pendant environ dix-huit mois pour en acquitter
le solde. Il a transféré à Edmonton son compte
courant et son compte d'épargne.
A son arrivée à Edmonton, l'appelant a eu du
mal à trouver en location un appartement con-
venable. Il a finalement trouvé un appartement,
mais peu de temps après la propriété a été mise
en vente. L'appelant a été placé devant une
alternative, acheter l'immeuble ou partir et il a
choisi cette dernière solution. Le 27 mars 1968,
il a signé sur une autre propriété un bail de cinq
ans accompagné d'une option d'achat au prix de
$2,000 et d'un contrat de vente. L'option pou-
vait être levée après le 15 février 1973 et le bail
expirait le 31 mars 1973. L'appelant a expliqué
son choix, c'est-à-dire le bail, une option d'a-
chat et un contrat de vente par le fait que cette
façon de faire lui permettait de se libérer facile-
ment de ses obligations et de vendre son option.
Le 30 juin 1969, le contrat d'enseignement de
l'appelant est venu à expiration et il ne l'a pas
renouvelé. Il n'était pas satisfait de la tournure
des événements survenus au cours des deux
années. ' Selon lui, le nombre des inscriptions
était devenu trop élevé et il ne permettait pas un
enseignement efficace. Il avait perdu ses illu
sions et il ne désirait plus enseigner dans de
telles conditions.
L'appelant avait obtenu deux emplois à temps
partiel et il a décidé de demeurer à Edmonton.
Il a travaillé comme psychologue-conseil pour
une clinique privée, le Cold Mountain Institute,
et il a dirigé des colloques portant sur les rela
tions humaines.
Du 18 juillet 1967 jusqu'à son départ du
Canada le 9 mars 1970, l'appelant n'est allé aux
États-Unis que pour assister à des congrès pro-
fessionnels. Il s'y est rendu aussi à l'automne
1969 pour une entrevue relative à un emploi
qu'il cherchait à obtenir en Alaska. A la suite de
celle-ci, il a reçu en janvier 1970 une offre
d'emploi qu'il a acceptée et il a quitté le Canada
en mars 1970.
Les faits essentiels se résument donc comme
suit: l'appelant était professeur, il était résident
des États-Unis le 18 juillet 1967, date à laquelle
il est venu au Canada en vue d'enseigner à
l'Université d'Alberta. Il a donné des cours à
cette Université jusqu'au 30 juin 1969, c'est-à-
dire pendant une période de deux ans. Du 30
juin 1969 au 9 mars 1970, soit un peu plus de
huit mois, il a demeuré au Canada et a reçu une
rémunération pour un travail autre que
l'enseignement.
Au cours des années 1967 et 1968, pendant
que l'appelant travaillait comme professeur à
l'Université d'Alberta, le préposé aux salaires a
déduit l'impôt sur le revenu et les contributions
au Régime de pensions du Canada du revenu de
l'appelant; il a versé ces sommes au ministre du
Revenu national et a établi les feuillets T4
correspondants.
De juillet à décembre 1967, une somme de
$1,804.33 a été déduite du salaire de l'appelant
aux fins de l'impôt et une somme de $79.20 a
été retenue au titre du Régime de pensions du
Canada, ce qui donne des retenues totales de
$1,883.53 pour l'année 1967.
Durant l'année 1968, les déductions d'impôt
sur le revenu effectuées sur le salaire de l'appe-
lant ont été de $3,819.54 et les déductions
relatives au Régime de pensions du Canada se
sont élevées à $81, ce qui donne un total de
$3,900.54.
Il est peut-être utile d'ajouter qu'au cours de
ces deux années, des contributions à un Régime
de pensions de l'Université ont également été
déduites du salaire de l'appelant.
Le bureau de l'économe de l'Université et, en
particulier, le préposé aux salaires, ne connais-
saient pas l'existence de la Convention relative
à l'impôt entre le Canada et les États-Unis et ils
ne l'ont apprise que lorsque la question a été
portée à l'attention du service en juin 1968.
Durant ledit mois, le ministère du Revenu natio
nal, division des impôts, a fourni des exemplai-
res du Bulletin d'information n° 41, daté du 21
mai 1968, et l'a publié dans la Gazette du
Canada le l ei juin 1968. Ledit Bulletin concerne
l'exonération d'impôt des professeurs et des
enseignants étrangers travaillant au Canada.
Aujourd'hui, ledit service se fait remettre par
les professeurs qui séjournent dans ce pays une
demande d'exonération indiquant: (1) le nom du
pays d'où ils viennent, (2) la date de leur arrivée
au Canada, (3) qu'ils sont venus au Canada
expressément dans le but d'enseigner, (4) qu'ils
ont l'intention de quitter le Canada dans les 24
mois qui suivent la date de leur arrivée et (5)
qu'ils n'ont bénéficié d'aucune exonération
d'impôts à l'égard d'un revenu provenant de
l'enseignement, gagné au Canada à quelque
époque antérieure à la date d'arrivée au Canada
qu'ils indiquent. Cette demande d'exonération a
été rédigée et conçue conformément aux ins
tructions du Bulletin 41.
L'appelant n'a jamais rempli une telle décla-
ration, pour la simple raison que le bureau de
l'économe et l'appelant n'ont appris l'existence
de la Convention sur l'impôt ou du Bulletin n°
41 qu'en juin 1968 et qu'au printemps 1969, ou
peut-être même qu'à l'été 1968, respectivement.
L'appelant a bien déposé des déclarations
d'impôt auprès de l'autorité compétente des
États-Unis, dans lesquelles il se réclamait du
statut de [TRADUCTION] «non-résident». Il n'a
payé aucun impôt aux États-Unis sur le revenu
qu'il a gagné au Canada.
L'appelant n'a déposé une déclaration d'im-
pôt au Canada pour les années d'imposition
1967 et 1968 qu'en mars 1970. Apparemment,
l'appelant a déposé deux déclarations pour
chaque année d'imposition. Les déclarations les
plus récentes ne réclament pas d'exonération en
vertu de la Convention relative aux impôts,
contrairement aux déclarations antérieures.
Je n'attache aucune importance à cette nou-
velle énigme, parce que le Ministre, au moyen
d'avis de cotisation datés du 14 avril et du 16
avril 1970, a avisé l'appelant qu'il n'avait droit à
aucune exonération [TRADUCTION] «en vertu de
l'article 8A de la Loi de l'impôt sur le revenu
[sic]» et que les cotisations étaient établies en
conséquence.
Je précise également que même si l'appelant a
réclamé une exonération relativement à l'en-
semble du revenu provenant de l'enseignement
gagné pendant l'année 1967 au Canada, il n'a
réclamé une exonération qu'à l'égard du revenu
qu'il a gagné jusqu'au 30 juin 1968.
L'appelant a immédiatement déposé des avis
d'opposition. Le Ministre a notifié à l'appelant
que la cotisation avait été régulièrement établie
en vertu des dispositions de l'article 5(1) de la
Loi et que les dispositions de l'article VIII A de
la Convention relative à l'impôt n'étaient pas
applicables à son cas, d'où les présents appels.
L'avocat de l'appelant a soutenu qu'une con
vention doit s'interpréter de façon large et de
manière à lui donner effet. Je ne vois pas com
ment le principe selon lequel il faut interpréter
la loi de manière à lui donner effet peut obliger
la Cour à faire plus que de s'acquitter du devoir
évident qu'elle a de faire produire à la conven
tion son effet. Ce devoir, comme je le conçois,
consiste à s'assurer des intentions que les Etats
contractants ont exprimées dans 'les termes
qu'ils ont employés et à leur donner effet.
De même, peu importe de savoir que l'inter-
prétation d'une convention doit être large et
extensive plutôt que restrictive. Les auteurs
s'accordent à dire que les conventions doivent
s'interpréter dans l'esprit le plus large, pourvu
qu'on ne s'éloigne pas de leur sens clair et
évident.
Selon moi, le devoir de la Cour est d'interpré-
ter une convention de la même manière que tout
autre document public ou privé, c'est-à-dire de
s'assurer du sens du document et des intentions
réelles des États contractants, d'après la nature
du sujet traité et d'après le choix, dans leur
contexte, des termes qu'ils emploient. Dans le
cas présent, le préambule de ladite Convention
donne des indications utiles en précisant que
ses deux principaux objectifs sont d'éviter la
double imposition et de prévenir l'évasion fis-
cale en matière d'impôt sur le revenu.
Les dispositions claires et précises des para-
graphes (1) et (2) de l'article 2 de la Loi de
l'impôt sur le revenu assujettissent l'appelant à
l'impôt, n'eût été l'article VIII A. Le paragraphe
(1) soumet à l'impôt sur le revenu toute per-
sonne résidant au Canada à une époque quel-
conque de l'année d'imposition et le paragraphe
(2) soumet à l'impôt le revenu gagné au Canada
de toute personne ne résidant pas au Canada.
L'appelant, pour être exonéré de l'impôt, doit
donc répondre exactement aux conditions de
l'article VIII A.
Dans la mesure où il s'applique à l'appelant,
l'article VIII A a comme but avoué de lui éviter
une double imposition.
L'appelant n'a pas été assujetti aux États-
Unis à l'impôt sur le revenu qu'il a tiré de
l'enseignement au Canada. L'appelant a déposé
des déclarations aux États-Unis en considéra-
tion du fait qu'il ne résidait pas dans ce pays.
Les autorités fiscales de cet État ont classé
l'appelant comme non-résident et lui ont fait
savoir qu'il n'avait en conséquence aucun impôt
à payer sur le revenu qu'il a gagné au Canada.
Ceci étant, je ne vois pas comment l'appelant
entre dans l'objectif général de la Convention,
qui est d'éviter une double imposition. L'appe-
lant n'a pas encore, jusqu'ici, été assujetti à une
double imposition, mais il reste toujours possi
ble que les États-Unis exigent aussi les impôts.
L'article XVI de la Convention stipule que le
contribuable qui peut prouver que les décisions
des autorités fiscales de l'un des États contrac-
tants ont abouti à une double imposition a le
droit d'adresser une réclamation à l'État dont il
est un ressortissant ou un résident. L'autorité
compétente de cet État prendra contact avec
l'autorité compétente de l'autre État en vue de
déterminer si une double imposition peut être
évitée.
Dans le cas présent, l'appelant ne peut pas
avoir recours à cette procédure parce qu'il n'a
pas payé aux États-Unis d'impôt sur le revenu
qu'il a tiré de l'enseignement au Canada et que
les États-Unis n'ont pas encore tenté d'imposer
lesdits revenus.
Par conséquent, la condition préalable à la
demande de l'appelant en vue d'éviter une
double imposition n'est pas remplie, puisqu'il
n'a pas encore fait l'objet d'une double
imposition.
Il s'ensuit donc que je dois déterminer si
l'appelant peut être assujetti à l'impôt au
Canada et pour y arriver, je dois déterminer si
l'appelant répond aux conditions d'exonération
qu'envisagent les termes utilisés par les parties
contractantes dans l'article VIII A.
L'appelant plaide également que le Ministre
ne peut pas exiger de lui des impôts, en vertu du
principe de la fin de non-recevoir.
Cette prétention se fonde sur le Bulletin d'in-
formation n° 41 publié par le Ministre et plus
particulièrement sur le texte figurant sous le
titre «Règles transitoires». Selon les termes
dudit texte, un professeur qui demeure au
Canada après l'expiration de la période de 24
mois qui suit la date de son arrivée au Canada
n'est assujetti à l'impôt et au Régime de pen
sions du Canada «que sur la tranche de ce
revenu qui a été gagné après la fin du mois au
cours duquel la période de 24 mois s'est
terminée.»
Selon les termes dudit Bulletin d'information
n° 41, un professeur pourrait venir enseigner au
Canada pendant deux années et être exonéré de
l'impôt sur ses rémunérations en vertu de l'arti-
cle VIII A. Cependant, si ledit professeur
demeure au Canada et continue à enseigner
après l'expiration de la période de deux ans, la
rémunération qu'il reçoit au cours de cette
période reste exonérée, mais celle qu'il reçoit
pendant la troisième année et les années qui
suivent est imposable.
Le Ministre soutient que, pour bénéficier de
l'exonération prévue à l'article VIII A, la durée
du séjour de l'appelant au Canada ne doit pas
dépasser deux ans et que le séjour au Canada
doit avoir expressément pour but d'enseigner.
L'avocat de l'appelant soutient que le Minis-
tre ne peut pas plaider cet argument en raison
des termes explicites du Bulletin d'information.
L'avocat appuie sa thèse sur la décision de la
Commission d'appel de l'impôt dans l'affaire
Smith c. M.R.N. 70 DTC 1594 et sur celle de la
Commission de révision de l'impôt dans l'af-
faire Bowen c. M.R.N. [1972] C.T.C. 2174.
Dans l'affaire Smith c. M.R.N., l'appelant
était professeur et il est venu au Canada avec sa
famille, le 9 septembre 1966, afin d'enseigner à
l'Université d'Alberta. Son contrat d'enseigne-
ment avait une durée prévue de quatre ans mais
la Commission a accepté une preuve démon-
trant que ladite durée était erronée et que la
durée du contrat n'était en fait que de deux ans.
Au mois de mai 1968, avant la fin de la période
de deux ans (septembre 1968), la famille de
l'appelant est retournée en Angleterre. Le 18
juin 1968, on a offert à l'appelant de renouveler
le contrat d'enseignement pour une autre
période de deux ans, à des conditions plus avan-
tageuses. En juillet 1968, l'appelant s'est rendu
en Angleterre en vue de convaincre son épouse
de revenir en Alberta pour deux autres années.
L'appelant est revenu au Canada avec sa
famille en septembre 1968 pour continuer à
enseigner pendant une nouvelle période de deux
ans (soit au total quatre ans). La Commission a
admis l'appel en acceptant le fait que l'appelant
avait l'intention d'enseigner au Canada pendant
une période de deux ans seulement. Il est évi-
dent que la Commission a fondé sa décision sur
les intentions de l'appelant.
Si la ratio decidendi dans cette affaire est, à
ce qu'il semble, que l'intention du professeur de
ne pas enseigner au Canada pendant plus de
deux ans est le facteur déterminant, je suis
forcé de conclure que la décision rendue dans
l'affaire Smith (précitée) est erronée. A mon
avis, l'intention d'un professeur ou d'un institu-
teur au moment de son entrée au Canada n'a
aucune influence sur l'interprétation et l'appli-
cation des articles correspondants de la
Convention.
Dans l'affaire Bowen c. M.R.N. (précitée),
l'appelant est venu enseigner au Canada pen
dant deux ans dans le cadre d'un programme
d'échanges avec la Nouvelle-Zélande. A la fin
de cette période, l'appelant a pris toutes les
dispositions nécessaires pour retourner en Nou-
velle-Zélande. Toutefois, avant son départ, l'ap-
pelant a entendu parler d'un voyage-excursion
en Europe où habitaient certains des membres
de sa famille. Pour bénéficier de ce voyage,
l'appelant devait enseigner pendant une période
supplémentaire de 10 mois après l'expiration
des deux ans. Il s'est donc renseigné auprès du
bureau de district de l'impôt qui lui a fait savoir
qu'en vertu des termes du Bulletin d'informa-
tion n° 41, le Ministère avait pour principe de ne
pas assujettir à l'impôt sur le revenu ni aux
déductions du Régime de pensions du Canada
les enseignants qui demeuraient au Canada
après l'expiration de la période de 24 mois et
qui avaient été exonérés pendant les deux pre-
mières années. Sur la foi de ces renseignements,
l'appelant est demeuré à son poste d'enseigne-
ment au-delà de la période initiale de deux ans.
Il a été assujetti à l'impôt sur le revenu des
deux premières années au motif que l'article X
de la Loi sur une convention relative à l'impôt
sur le revenu conclue entre le Canada et la
Nouvelle-Zélande n'était pas applicable. L'arti-
cle X a des effets semblables à ceux de l'article
VIII A de la Convention relative à l'impôt entre
le Canada et les États-Unis, même si les termes
employés diffèrent notablement.
Le savant membre de la Commission de révi-
sion de l'impôt a déclaré à la page 2182:
... J'ai acquis l'intime conviction que le Ministre est irrece-
vable à opposer l'article X de l'Annexe à la Convention
relative à l'impôt sur le revenu conclue entre le Canada et la
Nouvelle-Zélande sans faire état ni tenir compte du Bulletin
d'information n° 41 qui, sans aucun doute, justifie en l'es-
pèce la position de l'appelant... .
Il ne fait aucun doute que l'appelant a agi sur
la foi des renseignements contenus dans le Bul
letin d'information n° 41 et plus spécialement
sur la foi de la lettre du bureau de district de
l'impôt, lorsqu'il a changé ses plans et par le fait
même sa situation, ce qui l'a rendu susceptible
d'être assujetti à l'impôt sur le revenu par le
Ministre.
Sauf le respect que je dois au savant membre
de la Commission de révision de l'impôt, je ne
peux pas être d'accord avec sa décision parce
qu'à mon avis, elle est contraire à des principes
bien établis.
En premier lieu, le Bulletin d'information n°
41 est précisément ce qu'indique son titre,
c'est-à-dire un bulletin d'information publié par
le sous-ministre du Revenu national. Le sous-
ministre n'a pas le pouvoir de légiférer dans les
domaines qui lui sont confiés. En réalité, ce
bulletin d'information n'est rien de plus que
l'interprétation que fait le Ministre de l'article
VIII A de la Convention, publiée à des fins
administratives. Il sert également de guide aux
institutions d'enseignement qui emploient des
professeurs et des instituteurs étrangers qui
viennent travailler chez eux, au Canada, pen
dant une période de deux ans ou moins, afin
qu'ils s'abstiennent de faire des déductions sur
la rémunération des services d'enseignement
des employés aux fins de l'impôt ou du Régime
de pensions et de verser ces déductions au
Ministère. Le Bulletin d'information n° 41 n'est
pas une loi.
Par contre, la Convention relative à l'impôt
entre le Canada et les États-Unis d'Amérique a
été ratifiée et déclarée avoir force de loi au
Canada par un acte législatif et elle fait partie
du droit interne du pays.
La position de l'avocat de l'appelant, selon
laquelle le Ministre ne peut pas invoquer les
dispositions de l'article VIII A de la Conven
tion, sans faire état ni tenir compte de l'inter-
prétation contenue implicitement dans le Bulle
tin d'information n° 41, équivaut à faire valoir
une fin de non-recevoir.
Dans l'affaire Woon c. M.R.N. [1951] R.C.É.
18, l'un des motifs d'appel était une [TRADUC-
TioN] «décision» qu'avait rendue le Commis-
saire, selon laquelle l'appelant, s'il suivait une
certaine voie, serait assujetti à l'impôt en vertu
d'un certain article de la Loi de l'impôt de
guerre sur le revenu. Il s'est conformé à cette
voie, mais le Ministre a cotisé l'appelant à un
impôt beaucoup plus élevé, en vertu d'un autre
article de ladite Loi qui pouvait s'appliquer. On
a plaidé que le Ministre ne pouvait pas se préva-
loir de l'article en vertu duquel la cotisation
avait été établie, à cause de la décision anté-
rieure du Commissaire.
Après une étude détaillée et analytique de la
jurisprudence qui fait autorité en la matière, le
juge Cameron a décidé que le Commissaire
n'avait pas le pouvoir de lier le Ministre par une
décision limitant le paiement de l'impôt d'une
manière non conforme à la loi, que la cotisation
doit être établie conformément aux termes de la
loi et que l'appelant ne peut invoquer une fin de
non-recevoir pour éviter l'application de la loi.
Dans l'affaire M.R.N. c. Inland Industries
Ltd. 72 DTC 6013, l'intimée avait, dans le
calcul de son revenu, tenté de déduire des con
tributions versées à des régimes de pensions.
Ces régimes avaient été soumis au ministère,
qui les avaient approuvés et enregistrés. De
plus, le Ministre avait informé l'intimée que les
contributions versées à ces régimes pour les
services antérieurs des employés seraient égale-
ment déductibles. En prononçant le jugement
unanime de la Cour suprême du Canada, le juge
Pigeon a décidé qu'une des exigences essentiel-
les de l'article correspondant de la Loi de l'im-
pôt sur le revenu était que le régime fût obliga-
toire pour les employés. Empêcher le Ministre
de plaider et d'établir que ce régime n'était pas
obligatoire pour les employés revenait à mettre
en échec les dispositions de la Loi. Il a ajouté
que l'approbation du Ministre n'établissait pas
de manière décisive l'existence de la condition
légale préalable à l'approbation du régime.
Il a tranché la question de la fin de non-rece-
voir en affirmant (à la page 6017):
... Toutefois, il me paraît qu'une approbation donnée sans
que les conditions prescrites par la loi ne soient remplies ne
lie pas le Ministre.
Il s'ensuit donc que si l'approbation et l'enre-
gistrement d'un régime de pensions par le
Ministre ne donne pas ouverture à une fin de
non-recevoir, un bulletin d'information ne peut
pas a fortiori le faire.
En bref, les fins de non-recevoir sont soumi-
ses à une règle générale: elles ne peuvent aller à
l'encontre des lois d'application générale.
Le Ministre peut donc s'appuyer sur l'article
VIII A, sans tenir compte du bulletin
d'information.
Par suite, je répète qu'il s'agit de déterminer
si le présent appelant répond aux conditions
d'exonération prévues par les dispositions de
l'article VIII A.
Le Ministre a plaidé que l'appelant, pour
bénéficier de l'exonération prévue à l'article
VIII A de la Convention relative à l'impôt sur le
revenu, doit se conformer aux conditions qui
suivent:
(1) Il devait être résident des États-Unis au
moment de son arrivée au Canada. A ce sujet,
l'article VIII A est très explicite: «Tout pro-
fesseur qui réside dans l'un des États contrac-
tants». La preuve a établi au-delà de tout
doute que l'appelant était professeur et qu'il
était résident des États-Unis à la date de son
entrée au Canada.
(2) Il doit conserver son statut de résident
des États-Unis durant toute la période de son
séjour temporaire au Canada. En d'autres
termes, si l'appelant remplit la première con
dition mentionnée ci-dessus, en conservant
son statut de résident des États-Unis lors de
son arrivée au Canada, mais si par la suite, au
cours de la période prescrite de deux ans, il
cesse d'être un résident des États-Unis, il
perd tout droit ou privilège d'exonération
d'impôt auquel il aurait autrement eu droit en
vertu de la convention relative à l'impôt. L'a-
vocat du Ministre a également soutenu qu'en
vertu des critères objectifs étudiés dans les
affaires Thomson c. M.R.N. [1946] R.C.S.
209 et Beament c. M.R.N. [1952] 2 R.C.S.
486, en vue d'établir si les appelants respec-
tifs dans ces affaires répondaient aux défini-
tions des mots «résidant», «résident» et «rési-
dait ordinairement», employés dans les
articles correspondants de la Loi de l'impôt
sur le revenu, il y a lieu de constater comme
un fait que le présent appelant avait cessé
d'être résident des États-Unis. Comme l'a
souligné le juge Cartwright (tel était alors son
titre) dans l'affaire Beament (précitée), la
décision quant au lieu ou aux lieux de rési-
dence d'une personne doit se fonder sur les
faits particuliers à chaque affaire.
(3) La durée du «séjour temporaire» de l'ap-
pelant ne doit pas dépasser deux ans et ce
séjour doit être effectué exclusivement aux
fins d'enseigner, dans le cas de l'appelant,
dans une université.
Je vais maintenant étudier les arguments qu'a
présentés le Ministre dans l'ordre inverse de
leur présentation. Prenons d'abord le troisième.
Les mots-clefs de l'article VIII A, sur les-
quels j'ai insisté, sont les suivants: un profes-
seur qui est résident de l'un des États contrac-
tants «et fait un séjour temporaire dans l'autre
État contractant afin d'enseigner, pendant une
période n'excédant pas deux ans», dans une
université, est exonéré par l'État où il séjourne
pendant ladite période de l'impôt sur la rémuné-
ration qu'il reçoit pour cet enseignement.
Les virgules placées avant et après les mots
«pendant une période n'excédant pas deux ans»
sont importantes. Ce membre de phrase qualifie
les termes qui le précèdent et non uniquement
l'expression «afin d'enseigner». Ce membre de
phrase qualifie également les mots «fait un
séjour temporaire». Ceci étant, il s'ensuit que la
durée de la visite temporaire est limitée à «une
période n'excédant pas deux ans». Si les mots
«pendant une période de deux ans» qualifiaient
uniquement la locution «afin d'enseigner», ce
qui serait le cas s'il n'y avait pas de virgules, le
mot «temporaire» serait alors redondant et il ne
faudrait lui accorder aucun sens. Toutefois, en
vertu d'un principe fondamental d'interpréta-
tion, il faut attribuer un sens à tous les mots
employés lorsque la chose est possible. S'il
avait été écrit «fait un séjour afin d'enseigner
temporairement», la durée du séjour n'aurait
alors pas eu de limite précise. Mais tel n'est pas
le cas. Le mot «temporaire» est placé après les
mots «fait un séjour» et les qualifie. L'expres-
sion «fait un séjour temporaire» est qualifiée
par les mots «pendant une période n'excédant
pas deux ans».
Par conséquent, la durée du séjour tempo-
raire ne doit pas dépasser deux ans pour ouvrir
droit à l'exonération.
Il est également précisé que le séjour doit être
fait «afin d'enseigner».
Il s'ensuit que le professeur ou l'instituteur
résident dans l'un des États contractants parties
à ladite Convention doit satisfaire aux deux
exigences suivantes pour avoir droit à une exo-
nération en vertu de l'article VIII A: (1) la
durée de son séjour temporaire ne doit pas
dépasser deux ans; et (2) le séjour doit être fait
aux fins d'enseigner.
Si le professeur ou instituteur ne satisfait pas
à l'une ou l'autre de ces exigences, il n'a pas
droit à l'exonération prévue à l'article VIII A.
Les faits des présents appels ne sont pas
contestés et ils sont les suivants: l'appelant est
venu au Canada aux fins d'enseigner et il satis-
fait par conséquent à l'une des exigences. Il a
enseigné pendant une période de deux ans, mais
il a prolongé son séjour au-delà de ladite
période et il a tiré un revenu d'un emploi autre
que l'enseignement. Il ne satisfait donc pas à la
deuxième exigence exposée ci-dessus, en ce
sens que son séjour s'est prolongé au-delà de
deux ans.
Étant donné cette conclusion, il n'est pas
nécessaire d'étudier l'autre argument du Minis-
tre, selon lequel l'appelant est obligé de conser-
ver son statut de résident des États-Unis pen
dant toute la période de son séjour temporaire
au Canada, condition que, selon le Ministre,
l'appelant n'aurait pas remplie.
Pour les motifs qui précèdent, les appels sont
rejetés avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.