Asamera Oil ( Indonesia) Limited (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Heald —
Toronto, les 26, 27 et 30 avril et le 1 er mai;
Ottawa, le 18 mai 1973.
Impôt sur le revenu—Compagnie de prospection pétroliè-
re—Déductibilité des dépenses d'exploration—La compagnie
n'a droit qu'à une partie du pétrole découvert.
En 1961, une compagnie pétrolière a conclu un accord
avec une compagnie d'État en Indonésie aux termes duquel
la compagnie pétrolière a entrepris de mettre au point un
programme d'exploration et de mise en valeur du pétrole
brut pendant un certain nombre d'années. Elle devait rece-
voir 40% de la production nette. La compagnie pétrolière a
découvert du pétrole. En 1969, elle a dépensé quelque
$13,900,000 pour découvrir le pétrole et a reçu quelque
$5,600,000 de la production de pétrole. En établissant la
cotisation à l'impôt sur le revenu de la compagnie pétrolière,
le Ministre a refusé la déduction des dépenses au motif que,
tout en étant nécessaires pour permettre à la compagnie de
gagner un revenu, elles avaient été engagées pour obtenir le
droit de percevoir un revenu en vertu du contrat et consti-
tuaient donc des dépenses de capital.
Arrêt: les dépenses rejetées peuvent à bon droit être
déduites du revenu.
Arrêts examinés: Evans c. M.R.N. [1960] C.T.C. 69;
Denison Mines Ltd. c. M.R.N. [1972] C.F. 1324;
Algoma Central Ry c. M.R.N. 67 DTC 5091; Canada
Starch Co. Ltd. c. M.R.N. 68 DTC 5320; Elias Rogers
Co. Ltd. c. M.R.N. [1972] C.F. 1303.
APPEL.
AVOCATS:
Donald G. Bowman et W. E. Shaw pour la
demanderesse.
John A. Scollin, c.r., et A. P. Gauthier pour
la défenderesse.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Robarts et Bowman,
Toronto, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour
la défenderesse.
LE JUGE HEALD—La demanderesse fait appel
ici de ses cotisations d'impôt pour les années
1963 à 1971 inclus. Le total des cotisations est
de $6,177,968.00.
La compagnie demanderesse fut régulière-
ment constituée aux Bermudes le 19 mai 1962
en vertu de l'Asamera Oil (Indonesia) Company
Act de 1962 promulguée par le Gouverneur, le
Conseil législatif et l'Assemblée des Bermudes
ou îles Somers et suite au dépôt, le ler juin
1962, d'un mémoire d'association auprès du
régistraire général des Bermudes et de la tenue
des réunions la constituant.
Puisqu'elle soutient qu'elle n'est pas et n'a
jamais été résidente du Canada et qu'elle n'est
donc pas sujette à la Loi de l'impôt sur le
revenu, la compagnie demanderesse n'a jamais
fait de déclaration d'impôt au ministre du
Revenu national. La question de la résidence
constitue ainsi une des deux questions fonda-
mentales de cet appel. L'autre question est de
savoir si c'est à bon droit que le ministère du
Revenu a refusé d'admettre certaines dépenses
engagées par la compagnie demanderesse pour
ses opérations pétrolières en Indonésie. Le
Ministre a refusé d'admettre comme dépenses
plus de $13,900,000.00, au motif que cette
somme constitue une dépense en capital. La
compagnie demanderesse a été imposée sur le
total de ses revenus bruts, soit environ
$12,200,000.00.
Les parties s'accordent à reconnaître que si
ces dépenses peuvent être imputées au revenu
parce que n'étant pas des dépenses en capital, la
compagnie demanderesse n'aurait pour les
années en question aucun revenu imposable. Au
cas où, pour certaines années, les revenus
auraient dépassé les dépenses, l'article 27(1)e)
de la Loi de l'impôt sur le revenu permet de
reporter les pertes subies dans les années anté-
rieures et de réduire à zéro le revenu imposable.
Par conséquent, je me propose d'étudier en
premier lieu la question de savoir si les dépen-
ses sont déductibles car, dans l'hypothèse où la
compagnie demanderesse n'aurait pour la
période qui nous concerne aucun revenu impo-
sable, la question de la résidence deviendrait
tout à fait théorique.
Dans le dossier, les dépenses contestées sont
réparties selon les catégories suivantes:
a) Frais d'études géologiques et géophysi-
ques;
b) Frais généraux de forage;
c) Dépenses de production et d'exploitation;
d) Dépenses générales et d'administration;
e) Équipement; et
f) Fournitures secondaires et pièces déta-
chées.
Les parties conviennent que toutes les dépen-
ses sont de même nature. La défenderesse ne
prétend pas que certaines des dépenses sont des
dépenses de capital alors que d'autres sont des
dépenses de revenu. Selon elle, toutes ces
dépenses sont des dépenses de capital.
La compagnie demanderesse est une filiale en
propriété exclusive de l'Asamera Oil Corpor
ation, Ltd., compagnie fédérale dont le siège
social se trouve à Calgary en Alberta. Dans la
suite de ce jugement on appellera cette compa-
gnie la société-mère. Thomas L. Brook de Cal-
gary a été pendant toute l'époque en question
président et directeur général de la société-
mère. Il était également, jusqu'en 1969, prési-
dent de la compagnie demanderesse. La société-
mère est une compagnie canadienne de pétrole
assez importante et ses actions sont cotées à la
Bourse de New York.
A la suite de conversations avec ses collègues
et relations dans les milieux du pétrole, M.
Brook, vers la fin des années 50, commença à
s'intéresser aux richesses pétrolières de l'île de
Sumatra en Indonésie. En 1960, à la suite de
multiples discussions avec diverses personnes,
M. Brook alla en Indonésie poursuivre ses négo-
ciations. L'aperçu qu'il donne de la situation
politique en Indonésie à cette époque fait res-
sortir un pays plutôt instable et agité. L'Indoné-
sie, anciennement appelée les Indes Néerlandai-
ses, avait été une colonie des Pays-Bas. M.
Brook a déclaré qu'à partir de 1945, le pays a
acquis [TRADUCTION] «son indépendance de
façon progressive», par étapes. Lors de son
arrivée en 1960, il régnait dans ce pays un
intense sentiment anticolonialiste, un esprit de
nationalisme et un très fort sentiment qu'il ne
fallait plus vendre aux étrangers les ressources
naturelles du pays. Cet apparent consensus s'est
reflété dans la législation que le gouvernement
de l'Indonésie a promulguée en 1960; cette
législation prévoyait qu'une compagnie d'État
(d'abord appelée la Permina puis, après 1969, la
Pertomina) aurait l'exclusivité de la prospection
et de la mise en valeur des ressources pétroliè-
res du pays. Reconnaissant que les Indonésiens
ne possédaient pas les connaissances techniques
et l'expérience nécessaires à la prospection et à
la mise en valeur de ces ressources, la loi autori-
sait la Permina à retenir les services d'entrepre-
neurs étrangers. Le ler septembre 1961, à la
suite de ses négociations, M. Brook a pu, au
nom de la société-mère, signer un accord avec la
Permina.
Lors de sa déposition ainsi que dans sa cor-
respondance, M. Brook a affirmé qu'à son avis,
la société-mère n'était, aux termes de l'accord,
qu'un entrepreneur au service de la Permina.
Dans une lettre du mois d'octobre 1962 (pièce
P-5), il écrivait:
[TRADUCTION] Je tiens à souligner qu'Asamera ne possède
rien en propre en République d'Indonésie et n'est qu'un
entrepreneur au service de la Permina.
Reportons-nous maintenant aux extraits perti-
nents de l'accord:
[TRADUCTION] ATTENDU QUE la Permina est une compagnie
indonésienne qui a reçu de la République d'Indonésie l'auto-
risation de prospecter, d'exploiter, de mettre en valeur, de
produire, de transporter et de raffiner du pétrole brut, du
gaz naturel et tout autre hydrocarbure trouvé dans certaines
régions de Sumatra, régions décrites plus en détail dans la
pièce A ci-jointe; et
ATTENDU QUE la Permina désire étendre ses activités de
prospection à ces régions afin d'augmenter aussi rapidement
que possible la production de pétrole brut et d'autres hydro-
carbures; et
ATTENDU QUE l'Asamera désire s'associer à la Permina
afin de l'aider à étendre et à accélérer la prospection et
l'exploitation de ses réserves pétrolières; et
ATTENDU QUE l'Asamera possède l'expérience nécessaire
et qu'elle est en mesure d'apporter une aide financière et
d'élaborer des programmes pour la prospection et la mise en
valeur de ces régions;
PAR CONSÉQUENT, la Permina et l'Asamera s'accordent sur
les termes suivants:
Article 1
Zone
a) La Permina exercera ses activités avec l'aide et la
collaboration de l'Asamera, conformément aux termes de
cet accord, dans la zone délimitée dans la pièce A
ci-jointe.
Article 2
Obligations de l'Asamera
a) L'Asamera assurera le financement de tous les pro
grammes de prospection et d'exploitation qu'elle aura
recommandés pour les régions en question.
b) L'Asamera achètera et fournira l'équipement néces-
saire à l'exécution des travaux envisagés à l'article 2a).
c) L'Asamera fournira le personnel technique dont la
Permina pourrait raisonnablement avoir besoin pour l'exé-
cution des programmes recommandés.
d) Dans les trois mois suivant la signature de cet accord,
l'Asamera proposera à la Permina un programme de pros-
pection d'un terrain pétrolifère au moins, situé dans la
zone visée par cet accord. L'Asamera s'engage à soumet-
tre à la Permina un programme pour le forage d'un puits
d'exploration dans les 12 mois de la signature de cet
accord.
e) L'Asamera prêtera son assistance à la Permina pour la
vente du pétrole brut provenant de l'exploitation des
régions visées par cet accord.
f) Après la mise en marche de la production commerciale,
l'Asamera soumettra à la Permina ses prévisions pour la
production de pétrole des 12 prochains mois ainsi qu'une
analyse du coût des programmes recommandés.
Article 3
Obligations de la Permina
a) La Permina s'engage à exécuter avec célérité et en
respectant les usages en cours dans les chantiers d'exploi-
tation du pétrole les programmes que recommandera
l'Asamera.
b) La Permina s'engage à fournir le personnel (à l'excep-
tion du personnel prévu à l'article 2c)) nécessaire à l'exé-
cution des programmes recommandés.
c) La Permina se procurera toutes autres autorisations et
permis nécessaires pour donner force de loi à cet accord.
d) Dans des limites raisonnables, la Permina prêtera ses
installations pour faciliter les opérations envisagées par ce
contrat, y compris le transport et le logement, et la Per-
mina s'engage, de plus, à fournir les installations pour le
personnel étranger et à fournir le personnel indonésien
nécessaire à la bonne exécution de ce contrat selon les
usages en cours dans les chantiers d'exploitation du
pétrole.
Article 4
Dispositions financières
a) Le prétrole provenant de tout programme d'exploita-
tion sera vendu et le produit de la vente réparti comme
suit: la Permina 60% et l'Asamera 40%. Cependant, un
premier prélèvement de 40% du produit des ventes ira à
l'Asamera en remboursement des matériaux, des services,
ainsi que de l'équipement et autres dépenses que l'Asa-
mera aura facturé à la Permina. Le solde du produit des
ventes sera divisé comme indiqué plus haut.
b) Tout impôt indonésien auquel serait soumise soit la
Permina soit l'Asamera sera réglé par la Permina qui
prélèvera ces sommes sur sa part des bénéfices nets. Les
40% des bénéfices nets qui constituent la part de l'Asa-
mera seront exonérés de tout impôt.
c) La Permina se chargera d'obtenir les permis, licences
ou autorisations que pourraient exiger les organismes ou
autorités gouvernementales pour les opérations engagées.
Article 5
Durée du contrat
a) La durée de cet accord d'exploitation est de six (6)
années. Il est entendu entre les parties qu'il sera accordé
deux prolongations de deux ans si la situation l'exige.
b) Si la production commerciale est amorcée durant la
phase d'exploration, cet accord restera en vigueur pour
une durée de vingt (20) ans à partir de la fin de la phase
d'exploration.
Article 6
Les associés de l'Asamera
a) Aux termes de cet accord l'Asamera a le droit de
s'associer avec la Plymouth Oil Compagny of Pittsburgh,
la Pennsylvania Oil Company, la Benedum-Trees Oil
Company, la Hiawatha Oil & Gas Company ou l'une
d'entre .,.ies, avec leurs nhaies ainsi qu'avec les succes-
seurs de ces compagnies si l'Asamera le désire.
b) Aux termes de cet accord, l'Asamera n'aura le droit de
s'associer à des parties autres que celles citées à l'alinéa a)
qu'avec l'autorisation expresse de la Permina.
c) Nonobstant son association avec une ou plusieurs
autres parties en vertu de cet accord, l'Asamera restera
seule responsable envers la Permina de toutes les obliga
tions assumées par l'Asamera aux termes de cet accord.
A mon sens, cet accord renforce la thèse de
M. Brook selon laquelle la société-mère n'agis-
sait qu'à titre d'entrepreneur. La compagnie
appelante ne possédait alors aucun gisement ni
actif et elle n'en a pas acquis depuis. La société-
mère était obligée de supporter les frais d'exé-
cution, y compris le coût de l'équipement, dont
la propriété devait pourtant être acquise à la
Permina. La société-mère devait fournir le per
sonnel technique et les termes de l'accord font
clairement ressortir que son obligation princi-
pale était de fournir les services et l'expertise
techniques dont avait besoin la Permina. Ses
services ne devaient être rémunérés que par le
produit de la vente du pétrole extrait des zones
d'exploration. Je conviens avec l'avocat de la
demanderesse que les risques de cette entre-
prise étaient grands.
L'article 4a) précise la répartition des bénéfi-
ces provenant de la vente du pétrole. D'après
cet article, la société-mère devait, jusqu'à ce
qu'elle ait recouvré ses dépenses, recevoir 64¢
sur chaque dollar de bénéfices. Après rembour-
sement de ses frais, la société-mère devait tou-
cher 40% des bénéfices. Par conséquent, la
rémunération de la société-mère dépendait
exclusivement de la vente du pétrole. Au début
de la production pétrolière, sa part était plus
grande afin de lui permettre de recouvrer ses
dépenses dans l'exécution de ses obligations
d'entrepreneur.
Le 9 juillet 1962, la société-mère a cédé à la
compagnie demanderesse, sa filiale, les droits et
obligations découlant de l'accord qu'elle avait
souscrit avec la Permina. A partir de cette date,
la compagnie demanderesse a assumé toutes les
obligations de l'accord et elle a continué à four-
nir ses services à la Permina en tant
qu'entrepreneur.
Avant comme après ce transfert à la compa-
gnie demanderesse, d'autres partenaires se sont
joints à cette entreprise. Au l er septembre 1961,
date de signature de l'accord initial, la société-
mère détenait une participation de 45%; le 9
juillet 1962, date du transfert à la compagnie
demanderesse, la participation en cause était
également de 45%. Entre 1962 et 1967, la parti
cipation de la demanderesse a varié entre 40%
et 80%. Depuis le 30 novembre 1967, date à
laquelle la demanderesse détenait une participa
tion de 60%, sa participation est inchangée.
Dans les premiers temps des travaux en Indoné-
sie, le personnel de la demanderesse était assez
réduit. Brook passait une bonne partie de son
temps en Indonésie et l'on avait embauché un
géologue ainsi que trois ou quatre autres person-
nes. A la suite de la découverte de gisements de
pétrole, la demanderesse a porté son personnel
à 1,100 employés dans les champs de pétrole
indonésiens; parmi ces employés, il y a 800
Indonésiens et de 65 à 70 nord-américains. Ces
derniers sont les spécialistes, les foreurs, les
mécaniciens, les géologues et les magasiniers.
Au printemps de 1965, les grands travaux
d'exploration qu'avait menés la demanderesse
en Indonésie ont conduit à la découvert- de
pétrole. La production quotidienne du p.its
d'exploration était de 2,800 barils de pétrole
brut de densité 54. Leurs travaux de forage
allèrent si bien qu'en 1969 ils avaient dans la
zone de Guedondong dix puits de pétrole capa-
bles de produire 3,000 barils par jour ainsi que,
dans un autre champ, six puits d'une capacité
quotidienne de 6,000 barils. Les forages ulté-
rieurs furent également couronnés de succès et
l'on peut dire que la participation de 60% que
détient la demanderesse en vertu de l'accord
avec la Permina a pris une très grande valeur.
S'il est vrai que la compagnie demanderesse
peut s'attendre à des bénéfices considérables
dans l'avenir, il ne faut pas oublier qu'elle a
engagé quelque $13,900,000.00 dans ses tra-
vaux d'exploration pétrolière en Indonésie et
qu'elle n'en avait retiré que $5,600,000.00 à la
fin de la période en question ici.
Un bref examen du décompte des dépenses
contestées m'a convaincu qu'elles furent enga
gées chaque année par la demanderesse afin de
tenir ses engagements envers la Permina et
qu'elles furent directement et nécessairement
engagées pour obtenir le revenu que le Ministre
a imposé. Ces dépenses constituaient en effet
les dépenses normales de travaux d'exploration
pétrolière de grande envergure—l'achat ou la
location de tours de forage, de camions et
engins à chenilles (peut-être spécialement adap
tés à l'Indonésie, pays tropical); boue de forage
et produits chimiques; trépans; carburant;
ciment; salaire des employés; frais d'études géo-
logiques et géophysiques; etc.
Comme je l'ai dit plus tôt, le Ministre impose
la demanderesse sur la base d'un revenu de
$12,200,000.00 pour la période en question.
Cette somme comprend 5.6 millions de dollars
provenant de la vente du pétrole et quelque 4.6
millions de dollars pour la vente à d'autres com-
pagnies pétrolières d'une partie de sa participa
tion dans l'accord Permina', le solde est formé
d'intérêts et autres droits. Cependant, pour un
revenu total de $12,200,000.00 pour l'époque
en question, le Ministre n'autorise, à titre de
dépenses, qu'une somme d'environ un million
de dollars et il rejette toutes les autres dépenses.
Si l'on regarde les chiffres annuels, on constate
qu'en 1969, par exemple, la compagnie deman-
deresse a tiré de sa production pétrolière un
revenu de 1.1 million de dollars alors que le
Ministre ne lui autorise même pas $100,000.00
de dépenses. En 1967, la demanderesse a perçu
un revenu total de 1.2 million de dollars et le
Ministre ne lui a autorisé que $68,000.00 de
dépenses. Ceci s'est produit pour chacune des
années en question. Un examen rapide des chif-
fres permet de conclure que la thèse du Ministre
n'est pas fondée.
Le Ministre répond que l'application de sa
thèse peut aboutir à un résultat déraisonnable
mais que, vu la nature de l'accord du l er septem-
bre 1961, les revenus en découlant constituent
bien un revenu pour la demanderesse alors que
la plupart des dépenses engagées en exécution
de cet accord ne peuvent pas être déduites selon
les dispositions de la Loi de l'impôt sur le
revenu, car elles constituent une dépense de
capital visant à acquérir le bien de capital que
constitue, aux termes de l'accord, le droit de
percevoir un revenu.
Le Ministre ne conteste pas que ces dépenses
devaient nécessairement être engagées si la
demanderesse voulait percevoir un revenu, pas
plus qu'il ne conteste qu'elles étaient nécessai-
res aux buts de l'entreprise. Il affirme cepen-
dant que ces dépenses ont créé un bien de
capital (à savoir le droit de percevoir un
revenu), qu'elles constituaient par conséquent
une dépense de capital ou un paiement à compte
de capital au sens de l'article 12(1)b) de la Loi
de l'impôt sur le revenu et que, pour cette raison,
ces sommes ne peuvent être déduites du revenu.
Le Ministre prétend que le «droit de perce-
voir un revenu» constitue un bien de capital et
sur ce point il convient d'examiner l'arrêt
Gladys Evans c. M.R.N. [1960] C.T.C. 69 à la p.
76. Le juge Cartwright, alors juge puîné, a
déclaré au nom de la majorité en Cour suprême:
[TRADUCTION] . . . Je ne pense pas que le simple fait de
pouvoir vendre, ou évaluer sur la base d'un calcul actuariel,
le droit de percevoir un revenu, justifie que l'on considère
ce droit comme un bien de capital pendant qu'il est possédé
par la compagnie appelante. Je ne pense pas qu'en langage
ordinaire le droit de percevoir un revenu tel que celui de la
compagnie appelante puisse être considéré comme un bien
de capital.
Il ne s'agit pas ici d'une compagnie de pétrole
qui possède des droits miniers ou des droits
d'exploration qu'elle exploite et utilise elle-
même. La demanderesse ne possédait rien en
Indonésie; elle n'avait aucun droit sur les miné-
raux; elle ne possédait ni les puits ni l'équipe-
ment; elle avait été engagée pour prêter ses
services et même le paiement de ces services
dépendait de la production pétrolière des ter
rains en question.
En ces circonstances, je n'admets pas que le
droit de percevoir un revenu soit considéré
comme un bien de capital. On pourrait, bien sûr,
dire que toute dépense engagée par une entre-
prise l'est dans le but d'acquérir le droit de
percevoir un revenu. Quand quelqu'un accom-
plit une tâche pour le compte d'un autre et, ce
faisant, engage des dépenses, l'exécution de
cette tâche donne naissance au droit de perce-
voir un revenu. Si ces dépenses ne peuvent pas
être déduites du revenu, on voit mal quelles
dépenses pourraient l'être.
Dans l'affaire Denison Mines Ltd. c. M.R.N.
[1972] C.F. 1324, on retrouve une situation qui,
par certains aspects, ressemble à la présente
affaire. L'appelante possédait une mine d'ura-
nium et, dans l'extraction du minerai, au fur et à
mesure qu'ils s'éloignaient du puits central, les
mineurs en laissaient une partie pour supporter
la couverture du gisement. Le minerai qui
demeurait dans le gisement sous forme de murs
ou de piliers laissait libres des voies pour le
transport du minerai jusqu'au puits. Entre 1958
et 1960, l'appelante a consacré $21,000,000.00
à la construction de ces voies à l'intérieur du
gisement et le revenu tiré de la vente du minerai
extrait a dépassé cette somme. Le produit de
cette vente constituait un revenu mais ce n'est
pas sur cette question que portait le litige. Il
s'agissait plutôt de savoir si l'appelante devait
être admise à déduire de son revenu à titre
d'allocation à l'égard du coût en capital les frais
de percement de ces passages. L'appelante pré-
tendait que le mode d'extraction du minerai
utilisé dans les premiers stades de son exploita
tion avait créé des passages qui devaient servir
durant toute l'exploitation de la mine, consti-
tuant par conséquent un capital fixe. L'appe-
lante prétendait également que les frais d'ex-
traction du minerai pour créer lesdits passages
constituaient «un coût en capital». Sur cette
question, le juge en chef Jackett a fait les obser
vations suivantes (à la page 1328):
Nous estimons que la position de l'appelante doit être
jugée selon de solides principes commerciaux et non selon
ce qui peut avantager le contribuable, compte tenu des
particularités de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Dans l'étude de cette question, il faut signaler qu'il ressort
des plaidoiries et de la preuve qu'on n'a pas consacré plus
de fonds à l'extraction du minerai, extraction qui a abouti à
la création des voies de roulage, qu'on ne lui en aurait
consacré si l'on n'avait pas projeté une utilisation ultérieure
desdites voies.
Il existe un principe commercial accepté depuis si long-
temps qu'il est presque devenu une règle de droit: [TRADUC-
TION] Au sens courant du terme, «les profits ... tirés de
toute opération présentant le caractère d'une vente sont
nécessairement constitués de la différence entre le prix que
le vendeur obtient sur ce qu'il lui en a coûté pour se
procurer et vendre, ou produire et vendre, l'article en
cause ...» (Voir l'arrêt The Scottish North American Trust,
Ltd. c. Farmer (1910) 5 T.C. 693, jugement de Lord Atkin-
son à la page 705.)
Dans la présente affaire, les dépenses contes-
tées n'ont pas servi à acquérir un avoir à long
terme et rien n'indique que des sommes supplé-
mentaires furent engagées pour l'acquisition de
cet avoir. Les dépenses contestées ont toutes
été engagées afin de permettre à la demande-
resse de se décharger des obligations qu'elle
avait souscrites dans l'accord avec la Permina.
Les sommes furent dépensées au fur et à
mesure des exigences de l'exploration et de la
mise en valeur d'un champ pétrolifère. Elles
constituent des dépenses courantes nécessaires
à l'obtention d'un revenu courant et, à ce titre,
elles peuvent très certainement être déduites du
revenu.
Le président Jackett (maintenant juge en
chef) a exprimé la même opinion dans l'arrêt
Algoma Central Railway c. M.R.N. 67 DTC
5091. Dans cette affaire, l'appelante exploitait
une ligne de chemin de fer et une compagnie
maritime dans une région peu habitée du nord
de l'Ontario. La compagnie appelante a entre-
pris, au coût annuel moyen de $100,000.00 un
plan quinquennal d'études minéralogiques et
géologiques de la région afin d'en évaluer le
potentiel minier. La compagnie appelante avait
l'intention de donner accès à ces informations
au public intéressé, dans l'espoir que cela
entraînerait le développement de la région, ame-
nant ainsi des clients à son réseau de transport.
Le président a autorisé la compagnie appelante
à déduire à titre de dépenses courantes les frais
de ces études. Il déclare à la page 5095:
[TRADUCTION] ... une fois admis que les dépenses contes-
tées ont été engagées afin de produire un revenu dans la
mesure où, si j'ai bien compris, elles faisaient partie d'un
programme visant à accroître le nombre des clients du
réseau de transport de la compagnie appelante, j'éprouve de
grandes difficultés à les distinguer des sommes que le chef
d'une entreprise en stagnation consacrerait à une gigantes-
que campagne publicitaire visant à augmenter le chiffre
d'affaires de façon spectaculaire. Elle est censée apporter à
l'entreprise des bénéfices durables. D'après ma conception
des principes commerciaux, cependant, les dépenses publici-
taires d'une entreprise en activité destinées à attirer des
clients sont des dépenses courantes.
Le savant président a exprimé la même opi
nion dans l'arrêt Canada Starch Co. Ltd. c.
M.R.N. 68 DTC 5320, dans lequel il a admis à
titre de dépenses courantes la somme forfaitaire
de $15,000.00 que l'appelante avait versée à
une autre compagnie pour qu'elle s'engage à ne
plus s'opposer à l'utilisation par l'appelante d'un
nom commercial projeté. Le juge en chef
adjoint Noël a exprimé une opinion semblable
dans l'arrêt Bowater Power Co. Ltd. c. M.R.N.
[1971] C.F. 421.
Sur cette question, la décision la plus récente
est celle de la Cour d'appel fédérale dans l'af-
faire Elias Rogers Co. Ltd. c. M.R.N. [1972]
C.F. 1303.
Dans cette affaire, l'appelante faisait la vente
de carburants et, afin d'augmenter ses ventes,
elle avait acheté des chauffe-eau qu'elle louait à
ses clients. Les contrats de location contenaient
une clause par laquelle le client s'engageait à
acheter son carburant de l'appelante. Il s'agis-
sait de savoir si les frais d'installation des
chauffe-eau constituaient une dépense pouvant
être déduite du revenu. Le Ministre soutenait
qu'il s'agissait là d'une dépense de capital. La
Cour d'appel fédérale a rendu une décision
favorable au contribuable appelant, en déclarant
qu'il pouvait déduire les dépenses d'installation
de son revenu courant.
Le juge en chef Jackett déclare, aux pages
1308-09 du recueil:
L'interdiction essentielle énoncée à l'article 12(1)6) est
l'interdiction de déduire du revenu les «paiements à compte
de capital. Ces termes s'appliquent manifestement, dans
leur sens ordinaire, aux frais d'installation de machines et de
matériel lourd qu'un homme d'affaires acquiert et place dans
son usine ou son atelier de sorte qu'ils s'incorporent à
l'immeuble. En pareil cas, le coût des machines et les frais
d'installation entrent dans le coût de l'usine ou de l'atelier
améliorés par l'incorporation des machines ou du matériel. Il
s'agit manifestement là d'une dépense attribuable au mon
tage des installations que l'on se propose d'utiliser aux fins
de gagner un revenu, et non d'une dépense engagée dans le
cours de l'exploitation d'une organisation productrice de
revenus. Une dépense de cette nature est un exemple typi-
que d'un paiement à compte de capital.
Dans le cas présent, toutefois, la situation est très diffé-
rente. L'appelante n'a pas utilisé les chauffe-eau pour amé-
liorer une organisation productrice de revenus ou en créer
une. Au contraire, l'appelante a transféré la possession des
chauffe-eau en contrepartie d'un loyer mensuel et la
dépense que représentent les frais d'installation n'a amélioré
ou créé aucun bien de capital. Il me paraît essentiel d'obser-
ver ici que, bien que les frais d'installation aient exactement
la même nature que les dépenses qu'aurait engagées un
homme d'affaires en achetant et en faisant installer un
chauffe-eau pour son usine, il n'y a cependant, pour ce qui
est de savoir s'il s'agit d'un paiement à compte de capital,
aucune simi➢itude entre cette dépense et celle qu'engage le
propriétaire d'un chauffe-eau pour s'acquitter d'une obliga
tion qu'il a contractée et qui entre dans la contrepartie du
loyer qu'il demande au titre de la location du chauffe-eau.
En toute déférence pour le savant juge de première ins
tance, il me semble que, dès lors que cette dépense est
considérée comme engagée par un propriétaire de matériel
aux fins d'exécuter l'une de ses obligations en vertu d'un
contrat de louage, il devient très clair qu'il ne s'agit pas
d'une dépense qui procure à l'appelante un bien de capital
devant servir en permanence à son entreprise. Cette dépense
n'introduit pas un bien de capital dans l'actif de la compa-
gnie. Au contraire, je ne vois aucune différence entre les
frais d'installation et les autres dépenses, telles que les
dépenses de réparation et d'enlèvement des chauffe-eau,
que l'appelante doit également engager dans le cours de
l'exploitation de son entreprise de location.
A mon avis, dans toute entreprise de location de matériel,
bien que le coût d'acquisition du matériel et les dépenses
engagées pour l'améliorer constituent des paiements à
compte de capital, la chose louée constituant le bien de
capital de l'entreprise, les sommes dépensées pour exécuter
les obligations du propriétaire aux termes des contrats de
location constituent des dépenses engagées en vue de pro-
duire un revenu, tout comme les loyers perçus aux termes
de ces contrats sont des revenus de cette entreprise.
Dans la présente affaire, comme dans l'affaire
Elias Rogers (précitée), aucune partie des
dépenses contestées n'a servi à l'acquisition de
biens de capital. Certaines sommes ont effecti-
vement servi à l'acquisition de biens de capital
tels que des camions, des équipements de
forage, des puits de pétrole permanents, etc.,
mais tous ces biens sont devenus la propriété de
la Permina et beaucoup d'entre eux sont ratta-
chés de manière permanente aux terrains de la
Permina. Comme dans l'affaire Elias Rogers
(précitée), la demanderesse a engagé ces dépen-
ses afin de pouvoir tenir les engagements con
tractés en contrepartie du revenu qu'elle devait
tirer du pétrole découvert sur les terrains de la
Permina. La compagnie qui fournit des services
a engagé des dépenses afin de pouvoir tenir ses
engagements et il n'en est résulté aucun trans-
fert de propriété à la demanderesse. La défen-
deresse a également soutenu que les dépenses
contestées n'étaient pas véritablement les
dépenses de la demanderesse étant donné
qu'aux termes de l'accord de 1961, la compa-
gnie avait droit de recouvrer de la Permina la
plupart desdites dépenses. Il est vrai que la
compagnie demanderesse a le droit de recou-
vrer, sur le produit de la vente du pétrole, la
plupart des dépenses qu'elle a engagées aux
termes de l'article 4a) de l'accord de 1961 pré-
cité, qui dispose que la première tranche de
40% du revenu tiré de la production est desti
née au remboursement des dépenses de la
demanderesse. Cependant, dans le calcul du
revenu de la demanderesse pour la période en
question, la défenderesse a fait entrer tous les
revenus provenant du pétrole perçus par la
demanderesse, y compris les 40% perçus à titre
de remboursement de ses dépenses. Ainsi, dans
son calcul des impôts dus par la demanderesse,
la défenderesse entend avoir et le drap et
l'argent.
Dans son calcul, la défenderesse considère le
remboursement des dépenses comme un revenu
alors qu'elle refuse à la demanderesse le droit
de déduire de son revenu ces mêmes dépenses.
La demanderesse veut bien faire entrer dans
son revenu la partie des revenus pétroliers qui
est allée en remboursement de ses dépenses,
mais elle entend déduire ces dépenses de son
revenu total et j'estime qu'elle est fondée à le
faire.
J'arrive donc à la conclusion que les dépenses
dont on a refusé la déduction, à savoir $13,901,-
224.00 peuvent être à juste titre déduites du
revenu.
Comme je l'ai mentionné plus haut, pour arri-
ver au revenu total de la demanderesse, pour la
période en question, soit $12,200,000.00 le
Ministre a inclus à titre de revenu les 4.6 mil
lions de dollars de bénéfices qu'avait réalisés la
demanderesse sur la revente à d'autres compa-
gnies pétrolières d'une partie de sa participation
dans l'accord avec la Permina. Plus précisé-
ment, le Ministre a tenté d'inclure dans le
revenu le bénéfice qu'avait tiré la demanderesse
de la vente d'une partie de sa participation à la
Union Texas Oil Co. et d'une autre partie à la
Mobil Oil Co. La demanderesse a contesté ce
calcul. Elle a soutenu que le Ministre ne pouvait
pas prétendre à la fois que la majeure partie des
dépenses engagées constituaient des dépenses
pour l'acquisition de biens de capital et que la
vente d'une partie de ces biens de capital ne
constituait pas un gain de capital mais tout
simplement un revenu.
Même si les bénéfices tirés de la revente
constituent un revenu, la demanderesse n'est
imposable dans aucune des années en question
si on lui permet de déduire les dépenses contes-
tées. Elle peut opposer un revenu total d'envi-
ron $12,200,000.00 à des dépenses totales d'en-
viron $13,900,000.00. Pour les besoins de cet
appel, je n'ai donc pas à décider si les bénéfices
provenant de la revente constituent un revenu.
Comme je me prononce en faveur de la
déduction des dépenses contestées, je n'ai pas
non plus à statuer sur la question de la
résidence.
L'appel est accueilli avec dépens. Les cotisa-
tions de la demanderesse pour les années d'im-
position couvrant la période de 1963 à 1971
inclus. sont déférées au Ministre pour qu'il éta-
blisse de nouvelles cotisations conformes aux
motifs de ce jugement.
1 Le Ministre considère que le bénéfice que la demande-
resse a tiré de la vente d'une partie de sa participation dans
l'accord Permina est une opération commerciale et qu'elle
est, à ce titre, imposable.
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