Ian V. MacDonald (Requérant)
c.
Le comité d'appel établi par la Commission de la
Fonction publique (Intime)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges
Thurlow et Pratte —Ottawa, le 16 octobre 1973.
Fonction publique—Comité d'appel—La Commission de
la Fonction publique peut-elle nommer un de ses fonctionnai-
res pour entendre un appel—Loi sur l'emploi dans la Fonc-
tion publique, S.R.C. 1970, c. P-32, art. 21.
Le seul fait que la Commission de la Fonction publique
nomme un de ses fonctionnaires pour constituer le comité
prévu à l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique, S.R.C. 1970, c. P-32, pour entendre un appel
interjeté d'une nomination à un emploi de la Fonction publi-
que, ne peut justifier l'annulation de la décision de ce
comité.
REQUÊTE.
AVOCATS:
J. D. Richard et George Hynna pour le
requérant.
Peter Mclnenly pour l'intimé.
PROCUREURS:
Gowling et Henderson, Ottawa, pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
LE JUGE EN CHEF JACKETT (oralement)—Ces
deux requêtes fondées sur l'article 28 et présen-
tées par la même personne, ont été entendues
ensemble. Chaque requête vise à obtenir l'annu-
lation d'une décision d'un comité établi en vertu
de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique, pour entendre un «appel»
interjeté par le requérant à l'encontre de nomi
nations sur le point d'être faites à la suite d'un
concours auquel il n'a pas été reçu.
L'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la
Fonction publique est rédigé comme suit:
21. Lorsque, en vertu de la présente loi, une personne est
nommée ou est sur le point de l'être et qu'elle est choisie à
cette fin au sein de la Fonction publique
a) à la suite d'un concours restreint, chaque candidat non
reçu, ou
b) sans concours, chaque personne dont les chances
d'avancement, de l'avis de la Commission, sont ainsi
amoindries,
peut, dans le délai que fixe la Commission, en appeler de la
nomination à un comité établi par la Commission pour faire
une enquête au cours de laquelle il est donné à l'appelant et
au sous-chef en cause, ou à leurs représentants, l'occasion
de se faire entendre. La Commission doit, après avoir été
informée de la décision du comité par suite de l'enquête,
c) si la nomination a été faite, la confirmer ou la révo-
quer, ou
d) si la nomination n'a pas été faite, la faire ou ne pas la
faire,
selon ce que requiert la décision du comité.
Le requérant a fondé ses requêtes en vertu de
l'article 28 sur le seul fait que, dans chaque cas,
le directeur de la Direction des appels, au nom
de la Commission de la Fonction publique, a
nommé un fonctionnaire employé par ladite
Commission pour constituer le «comité» devant
faire «enquête» aux termes de l'article 21.'
En se basant sur ce fait, le requérant, dans
son exposé des points d'argument présenté
devant cette Cour, allègue ce qui suit:
1. que le seul membre du «comité» d'appel,
dans chacun des cas, est «inapte parce
qu'ayant un intérêt ou par suite d'une vrai-
semblance de partialité, du fait qu'il est fonc-
tionnaire ou employé par la Commission de la
Fonction publique»; et
2. qu'il «découle nécessairement» de l'article
5 de la loi que les comités d'appel établis pour
entendre des appels en vertu de l'article 21,
doivent être indépendants de la Commission
de la Fonction publique, que les pouvoirs de
la Commission concernant ces «appels» se
limitent à «établir le comité» et qu'«il s'ensuit
nécessairement que la Commission ne doit
pas nommer ses propres fonctionnaires ou
employés pour entendre ces appels et statuer
sur ceux-ci».
A l'appui de ces thèses, le requérant présente
les arguments suivants:
[TRADUCTION] En common law, il est admis que personne
ne peut être à la fois juge et partie. Bien que le Parlement ait
le pouvoir de faire en sorte qu'une personne soit à la fois
juge et partie, il est nécessaire que la législation à cet effet
soit claire et sans ambiguïté. L'article 5d) ne peut certaine-
ment pas être interprété de la sorte; il a pour but évident la
création d'un comité indépendant. Les tribunaux maintien-
dront cette tradition de la common law de ne pas permettre
à une personne d'être juge et partie, en refusant d'admettre
une telle interprétation d'un texte législatif pouvant être
interprété différemment.
A mon avis, la thèse du requérant résulte
d'une conception erronée de la nature des pro-
cédures prévues à l'article 21 de la Loi sur
l'emploi dans la Fonction publique et, en fait,
d'une méconnaissance de l'économie de la loi
ainsi que de la constitution et des devoirs de la
Commission de la Fonction publique. Avant
d'examiner les thèses du requérant, il faut
d'abord considérer les dispositions pertinentes
de la loi.
La Commission de la Fonction publique est
un organisme indépendant. Voir l'article 3 de la
loi, qui se lit en partie comme suit:
3. (1) Est instituée une commission appelée Commission
de la Fonction publique et composée d'un président et de
deux autres membres que nomme le gouverneur en conseil.
(2) Sous réserve du présent article, un commissaire reste
en fonction, sauf mauvaise conduite, pendant dix ans, mais
peut être révoqué en tout temps par le gouverneur en
conseil, sur une adresse du Sénat et de la Chambre des
communes.
A cette commission indépendante est attribuée
l'autorité exclusive de nommer aux divers
postes de la Fonction publique. Voir l'article 8
qui est rédigé comme suit:
8. Sous réserve de la présente loi, la Commission possède
de façon exclusive le droit et l'autorité de nommer à des
postes de la Fonction publique des personnes qui sont déjà
membres de la Fonction publique ou qui n'en font pas
partie, dont aucune autre loi du Parlement n'autorise ou ne
prévoit la nomination.
L'objectif fondamental de cette méthode de
nomination est d'établir et de maintenir ce qui
est communément appelé le système du
«mérite». Voir l'article 10, rédigé en partie
comme suit:
10. Les nominations à des postes de la Fonction publique,
faites parmi des personnes qui en sont déjà membres ou des
personnes qui n'en font pas partie, doivent être faites selon
une sélection établie au mérite ... .
La Commission a un pouvoir quasi discrétion-
naire quant à la manière d'accomplir cette tâche
prévue par la loi. Voir à nouveau l'article 10, en
particulier le passage suivant:
10. Les nominations.... La Commission les fait ... à la
suite d'un concours, ou selon telle autre méthode de sélec-
tion du personnel établie afin de déterminer le mérite des
candidats que la Commission estime la mieux adaptée aux
intérêts de la Fonction publique.
Comme je l'ai indiqué dans l'affaire Brooker
c. Le procureur général du Canada [1973] C.F.
327, il faut rappeler que le Parlement n'avait
certainement pas l'intention de charger la Com
mission elle-même, constituée de seulement
trois membres, de l'organisation de chaque con-
cours et de l'application de toutes les autres
méthodes de sélection du personnel qu'elle pou-
vait éventuellement choisir. Il est évident que
l'effectif de la Fonction publique en 1967,
moment où la Loi sur l'emploi dans la Fonction
publique a été adoptée, était si considérable que
le Parlement avait nécessairement envisagé que
les trois commissaires auraient recours aux ser
vices d'un grand nombre de personnes pour
procéder à la sélection. Si l'on pouvait encore
douter de cette intention, elle ressort clairement
de l'article 12 de la loi, qui autorise la Commis
sion, «en déterminant ... le principe de l'éva-
luation du mérite en ce qui concerne tout
poste», à «prescrire des normes de sélec-
tion ...» Il est évident, à mon avis, que ces
personnes peuvent être soit des fonctionnaires
ou des employés de la Commission, soit des
personnes employées par la Commission en
vertu d'un contrat (article 5 c)). En outre, la
Commission peut déléguer son autorité en
matière de nomination aux divers ministères
pour lesquels les nominations doivent être faites
(article 6) et, comme la Cour l'a décidé dans
l'affaire Brooker (précitée), les personnes char
gées de la sélection peuvent être recrutées à
l'intérieur comme à l'extérieur de la Fonction
publique.
La Loi sur l'emploi dans la Fonction publique
envisage en fait des sélections et des nomina
tions faites, d'une part, par une organisation
importante fonctionnant sous l'autorité de la
Commission et, d'autre part, par divers ministè-
res qui y sont autorisés par la Commission, sous
réserve des directives et des normes établies par
elle. C'est à la lumière de cette analyse qu'il faut
examiner les dispositions de l'article 21, que je
répète en partie, pour plus de commodité:
21. Lorsque, en vertu de la présente loi, une personne est
nommée ou est sur le point de l'être et qu'elle est choisie à
cette fin au sein de la Fonction publique
a) à la suite d'un concours restreint, chaque candidat non
reçu,
peut, dans le délai que fixe la Commission, en appeler de la
nomination à un comité établi par la Commission pour faire
une enquête au cours de laquelle il est donné à l'appelant et
au sous-chef en cause, ou à leurs représentants, l'occasion
de se faire entendre. La Commission doit, après avoir été
informée de la décision du comité par suite de l'enquête,
c) si la nomination a été faite, la confirmer ou la révo-
quer, ou
d) si la nomination n'a pas été faite, la faire ou ne pas la
faire,
selon ce que requiert la décision du comité.
Pour rendre compte du but véritable, du point
de vue législatif, de l'article 21, il faut avoir à
l'esprit son contexte d'application. La Commis
sion indépendante chargée de faire fonctionner
le système du mérite doit créer une organisation
dans laquelle des personnes très différentes
appliquent les méthodes de sélection et font des
nominations dans les divers secteurs de la Fonc-
tion publique à travers le Canada. La sélection
elle-même et les nominations ne sont pas à la
charge ou sous la surveillance directe des trois
membres de la Commission; il va de soi que ce
n'est pas possible. L'importance de ces opéra-
tions est telle qu'il y a certainement des erreurs
et toutes les procédures d'enquête visant à
déterminer ces erreurs sont aussi sur une telle
échelle qu'elles ne peuvent être effectuées par
les trois commissaires eux-mêmes.
L'article 21 prévoit donc qu'un candidat non
reçu peut faire «appel» d'une nomination,
actuelle ou projetée. Si un appel est interjeté, la
Commission devra établir un «comité» devant
«faire une enquête» à ce sujet. Au vu des diffé-
rentes requêtes soumises à cette Cour, il appa-
raît que la Commission de la Fonction publique,
afin de pouvoir remplir ses fonctions, a établi un
organisme dans lequel des agents d'appel con-
duisent les enquêtes prévues à l'article 21. C'est
à mon avis ce qu'envisage la loi et je ne vois
aucune contradiction dans le fait que les fonc-
tionnaires chargés de la sélection et des nomina
tions et ceux qui sont chargés des appels relè-
vent tous de l'autorité de la Commission de la
Fonction publique. Il faut rappeler que la Com-
mission est un organisme indépendant établi
pour faire fonctionner le système du «mérite» et
que la nomination, d'une part, et l'appel, d'autre
part, ne sont que des étapes dans la mise en
oeuvre du système. En vertu de l'article 21,
l'objet de l'enquête devant être effectuée par le
comité d'appel n'est pas un litige entre l'appe-
lant et la Commission. Ce n'est pas non plus un
litige dans lequel la Commission aurait un point
de vue ou une décision à défendre à l'encontre
des vues de l'appelant. Le seul rôle de la Com
mission en la matière est de s'assurer que le
système du «mérite» fonctionne correctement.
Je suis donc convaincu que le simple fait que
les comités établis en vertu de l'article 21 sont
composés de membres du personnel de la Com
mission de la Fonction publique ne peut justifier
l'annulation de leurs décisions. Dans les circon-
stances, il n'est pas nécessaire de donner un
avis sur la question de savoir si les principes
concernant la «partialité» et relatifs à des orga-
nismes judiciaires ou quasi judiciaires s'appli-
quent en quelque manière aux comités établis en
vertu de l'article 21. Comparez les arrêts Frank-
lin c. Minister of Town and Country Planning
[1948] A.C. 87 et B. Johnson & Co. (Builders)
Ltd. c. Le ministre de la Santé [1947] 2 All E.R.
395.
Je suis d'avis que la requête doit être rejetée.
* * *
LES JUGES THURLOW et PRATTE ont souscrit
à l'avis.
I Il faut remarquer que personne n'allègue une quelcon-
que «partialité» réelle dans aucun des cas.
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