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T-2725-73
Otto Franz Heinrich Schulze, Dame Edith Else Ruger (Demandeurs)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh— Montréal, le 26 novembre 1973; Ottawa, le 17
janvier 1974.
Couronne—Responsibilité de la Couronne d l'endroit des actes d'agents de police municipale et provinciale—Enlève- ment et meurtre—Devoirs des agents de police—Les agents agissent-ils d titre de mandataires ou de préposés de la Reine—Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, c. C-38, art. 3(1)a) et 4(2).
Les demandeurs ont intenté une action contre la Reine du chef du Canada, la Reine du chef de la Province, la ville de Brossard et différents agents de police de cette municipalité et de la Province pour la négligence des agents de police dans l'exercice de leurs fonctions lors de l'enlèvement et du meurtre de la fille des demandeurs. On a adressé une requête à la Cour lui demandant de décider si les agents de police peuvent être considérés, en droit, comme des manda- taires ou des préposés de la Reine du chef du Canada.
Arrêt: la réponse est négative; les agents de police en cause n'agissaient pas à titre de mandataires ou d'employés de la Couronne du chef du Canada de façon à engager la responsabilité de celle-ci au sens de l'article 3(1) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne.
Arrêts discutés: La Cité de Montréal c. Plante (1923) 34 B.R. 137; Hébert c. La Cité de Thetford Mines [1932] R.C.S. 424; Roy c. La Cité de Thetford Mines [1954] R.C.S. 395.
REQUÊTE demandant de trancher une question de droit.
AVOCATS:
M. Chaikelson pour les demandeurs. D. Bouffard pour la défenderesse. PROCUREURS:
Chaikelson et Chaikelson, Montréal, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
LE JUGE WALSH—La présente requête, adres- sée à la Cour en conformité de la Règle 474, vise l'obtention, avant procès, d'une réponse à la question de droit suivante:
Si l'on tient pour vraies toutes les allégations contenues dans la déclaration, peut-on considérer que les agents de la paix dont fait -état la déclaration des demandeurs sont en droit des mandataires, préposés et employés de Sa Majesté la Reine du chef du Canada?
Étant donné qu'il s'agit d'une question très importante dont les conséquences dépassent de très loin la décision relative à la présente demande, j'ai autorisé la présentation de sou- missions écrites et, en temps voulu, les avocats des parties ont présenté des conclusions exhaustives.
Pour en venir aux faits, d'après leur déclara- tion modifiée, les demandeurs réclament $100,- 000 de dommages-intérêts à Sa Majesté la Reine du chef du Canada, défenderesse aux présentes, ainsi qu'au procureur général de la province de Québec représentant Sa Majesté la Reine du chef de la province de Québec, la ville de Bros- sard, le Sergent Roland Auclair, le sergent Roger Cloutier, le capitaine Bousquet, le direc- teur-adjoint de la police Paul-Emile Blain et le directeur de la police Marcel Renaud bien qu'aucun de ces derniers ne soit défendeur aux présentes. Les défendeurs prétendent que leur fille, Ursula Schulze, a été blessée et est décé- dée par suite d'un quasi-délit à la faute conjointe des agents de la paix susmentionnés qui, pendant toute la période en cause, étaient les mandataires, préposés et employés du gou- vernement fédéral et que, par conséquent, Sa Majesté la Reine est conjointement et solidaire- ment responsable. Ladite Ursula Schulze, âgée de 19 ans, a été tuée dans la province de Québec et on prétend que ledit meurtre ne se serait pas produit si les agents de la paix s'étaient acquittés de leurs tâches respectives conformément à l'obligation que la loi leur imposait. Le meurtre de la jeune fille a suivi son enlèvement le jour précédent, enlèvement immédiatement signalé à la police de Brossard à qui fut également communiquée une description de l'automobile dans laquelle le ravisseur avait obligé sa victime à monter, ainsi qu'une descrip tion de la victime et de son ravisseur et des renseignements sur la direction prise par l'auto- mobile. Les demandeurs prétendent que les agents de la paix en cause ont omis de prendre les mesures efficaces ou raisonnables qu'exi- geaient les circonstances et que la Sûreté du
Québec est conjointement et solidairement res- ponsable, car elle a omis d'organiser un réseau de communication suffisamment intégré qui aurait permis d'aviser la police de l'enlèvement. Il est en outre allégué dans la déclaration modi- fiée que lesdits agents de la paix étaient, pen dant toute la période de l'enlèvement et du meurtre, des préposés et employés de la Sûreté du Québec, du gouvernement fédéral et de la ville de Brossard et que le meurtre est à la fois à leur faute, leur négligence, leur impru dence, leur inhabilité, leur manque de soins, leur inaction et leurs omissions à tous pour ne pas avoir réussi pendant à peu près 18 heures, à appréhender le ravisseur, pour ne pas avoir transmis à leurs voitures de police les renseigne- ments qu'ils détenaient, pour ne pas avoir érigé des barrages sur les routes, pour ne pas avoir signalé l'enlèvement à la Sûreté du Québec et pour avoir refusé l'aide de celle-ci, pour ne pas avoir avisé les forces de police de la région et des municipalités avoisinantes et demandé leur aide, pour ne pas avoir fait un usage correct et efficace des divers systèmes et réseaux de com munications à la disposition des forces de police dans la province de Québec, pour avoir pris l'enlèvement à la légère, insinué que la victime s'était enfuie de chez elle et considéré qu'il s'agissait d'une disparition plutôt que d'un enlèvement.
Étant donné qu'à ce stade des procédures nous ne pouvons pas examiner la question de savoir si lesdits agents de la paix sont coupables de la faute qu'on leur impute et qui aurait entraîné la mort tragique de Ursula Schulze, mais que nous devons supposer que les alléga- tions, contenues dans la déclaration sont exactes et que ces agents sont donc personnellement responsables envers les demandeurs, la question que nous devons trancher revient donc à déter- miner si, en droit, on peut considérer lesdits agents de police municipale comme des prépo- sés, mandataires ou employés de Sa Majesté la Reine du chef du Canada. L'action intentée contre la Couronne est fondée sur l'article 3(1)a) de la Loi sur la responsabilité de la Cou- ronne qui dispose que:
S.R.C. 1970, c. C-38.
3. (1) La Couronne est responsable des dommages dont elle serait responsable, si elle était un particulier majeur et capable,
a) à l'égard d'un délit civil commis par un préposé de la Couronne,....
Ces dispositions sont complétées par l'article 4(2) qui dispose que:
4. (2) On ne peut exercer de recours contre la Couronne, en vertu de l'alinéa 3(1)a), à l'égard d'un acte ou d'une omission d'un préposé de la Couronne, sauf si, indépendam- ment de la présente loi, l'acte ou l'omission eût donné ouverture à une poursuite en responsabilité délictuelle contre ce préposé ou sa succession.
Cependant, étant donné que nous supposons ici l'existence d'une cause d'action en responsabi- lité délictuelle contre lesdits agents de la paix et que c'est sur cette base qu'il convient de tran- cher la présente question de droit, on doit consi- dérer que la condition posée par l'article 4(2) est remplie. A l'article relatif à l'interprétation de la Loi, soit l'article 2, le mot «préposé» est défini comme suit:
2. Dans la présente loi
«préposé» comprend un mandataire, ... .
et le mot «délit civil» comme suit:
2. Dans la présente loi
«délit civil», relativement à toute matière surgissant dans la province de Québec, signifie un délit ou quasi-délit.
L'article 1054 du Code civil du Québec traite de la responsabilité des employeurs pour les délits ou quasi-délits de leurs préposés. Voici un extrait de cet article:
10s4....
Les maîtres et les commettants sont responsables du dommage causé par leurs domestiques et ouvriers dans l'exécution des fonctions auxquelles ces derniers sont employés.
Les demandeurs reconnaissent que lesdits agents de police n'avaient pas avec la Couronne une relation de commettant-employés, mais ils soutiennent qu'ils en étaient mandataires en vertu d'un mandat légal de faire appliquer le droit criminel.
Au Québec, le droit du mandat traitant des obligations du mandant envers les tiers dispose à l'article 1731 du Code civil:
1731. II est responsable des dommages causés par la faute du mandataire, conformément aux règles énoncées en l'arti- cle 1054.
A l'article 2 du Code criminel 2 , la définition d'«agent de la paix» comprend notamment:
c) un officier de police, un agent de police, huissier, constable, ou autre personne employée à la préservation et au maintien de la paix publique ou à la signification ou à l'exécution des actes judiciaires au civil,
Il ne fait aucun doute que les agents et les officiers de police en question, bien qu'em- ployés par la municipalité de la ville de Bros- sard, étaient «employés à la préservation et au maintien de la paix publique» et qu'ils étaient donc des agents de la paix au sens de la défini- tion du Code criminel. Dans les conclusions détaillées qu'ils ont fournies, les demandeurs reconnaissent qu'il n'existe aucun document écrit établissant que ces agents et ces officiers de police sont employés par Sa Majesté la Reine du chef du Canada. Ils soutiennent toutefois qu'en droit, l'emploi de ces policiers par la ville de Brossard suffit à établir l'existence d'un tel emploi et que ces policiers étaient, dans l'exer- cice de leurs . fonctions et devoirs définis au Code criminel pour assurer le maintien de la paix, de l'ordre et de la bonne administration du Canada, mandataires et implicitement préposés et employés de Sa Majesté la Reine du chef du Canada. Ils ajoutent que la défenderesse est donc responsable de leurs actes délictueux con- formément à la jurisprudence établie par la Cour suprême du Canada et par la Cour d'appel du Québec qui ont décidé qu'un agent de la paix est un mandataire du gouvernement fédéral lors- qu'il s'occupe ou lorsqu'il est censé s'occuper de faire appliquer les dispositions du Code cri- minel. Les demandeurs citent à l'appui de cet argument les arrêts La Cité de Montréal c. Plan- te 3 , Hébert c. La Cité de Thetford Mines 4 et Roy c. La Cité de Thetford Mines 5 . Dans le premier de ces arrêts, tout en jugeant la municipalité responsable des actes illégaux qu'avaient commis ses officiers de police en aidant un huissier qu'un débiteur avait empêché par la
2 S.R.C. 1970, c. C-34.
3 (1923) 34 B.R. 137.
4 [1932] R.C.S. 424.
5 [1954] R.C.S. 395.
force de procéder à une vente judiciaire, le juge Rivard a fait les remarques suivantes à la page 148:
... d'autres, comme les agents de police, sont engagés à la fois dans des fonctions d'intérêt général et dans des services d'utilité locale. Lors donc qu'un agent de police a, dans l'exercice de ses fonctions, commis quelque acte illégal et dommageable, la responsabilité de la corporation municipale qui l'a nommé sera engagée ou ne le sera point, selon que cet acte aura été commis dans l'exercice de la puissance de l'État ou en vue du service particulier de la municipalité. En d'autres termes, l'officier de police nommé par une corpora tion ne fait encourir de responsabilité à celle-ci que lorsqu'il agit comme sergent de ville pour l'exécution des lois, des ordonnances et des règlements municipaux; lorsqu'il agit plutôt comme gardien de la paix et du bon ordre, il est le préposé de l'État, qui le reconnaît comme un délégué de sa puissance souveraine, et, dans ce cas, la corporation échappe à la responsabilité parce qu'en nommant cet officier elle n'a été que le dépositaire de l'autorité de l'État.
Cette décision est citée avec approbation par le juge Rinfret dans l'arrêt Hébert (précité). Voici un extrait du sommaire de cette décision (page 425):
[Tannucnox] Arrêt (1) un constable lie la municipalité qui l'a nommé lorsqu'il agit en tant qu'officier municipal pour faire appliquer les règlements municipaux; mais il ne lie pas la corporation lorsqu'il agit en tant que gardien de la paix pour assurer l'application des lois relatives à l'ordre public. Arrêt approuvé: La Cité de Montréal c. Plante (Q.R. 34 B.R. 137).
(2) en outre, le mandataire qui a plusieurs commettants ne lie que celui pour le compte duquel il agit lorsqu'est commis l'acte dommageable. Ce qu'il faut retenir, ce n'est pas l'emploi régulier et habituel du mandataire, mais le titre en vertu duquel il agit lors de l'événement donnant naissance à l'action intentée contre lui.
Dans la troisième affaire citée, Roy c. La Cité de Thetford Mines, les arrêts Cité de Montréal c. Plante et Hébert c. La Cité de Thetford Mines (précités) sont cités avec approbation. En pro- nonçant son jugement, le juge Fauteux (tel était alors son titre) déclarait à la page 402:
Mais n'engage pas la responsabilité de la corporation, l'acte fautif et dommageable que le policier municipal commet alors qu'agissant dans l'exécution et les limites de ces autres fonctions que l'État, par les dispositions de la loi, i.e., du Code Criminel, lui attribue, en sa qualité d'agent de la paix, pour assurer l'observance de cette loi. Ainsi, préposé ou mandataire de différents commettants ou mandants, le poli- cier municipal ne lie que le commettant ou le mandant dont il fait l'affaire ou pour le compte duquel il agit au moment l'acte dommageable est causé.
Il convient de souligner qu'aucun de ces arrêts ne traite directement de la responsabilité de la Couronne, que ce soit du chef du Canada ou de la Province, pour les actes commis par des officiers de police dans l'application des disposi tions du Code criminel. Ces arrêts ne traitent, en effet, que de la non-responsabilité de la munici- palité qui les emploie dans ces circonstances, à moins qu'on ne puisse considérer celle-ci comme ayant approuvé ou encouragé leurs actes. Retenir la responsabilité de la Couronne du chef du Canada en la présente affaire revien- drait donc à aller au-delà de ce qu'ont décidé ces arrêts. Pour conclure comme le réclament les demandeurs, il faudrait se fonder sur des déclarations qui constituent plutôt des obiter prononcés au cours de ces jugements, mais qui indiquent néanmoins clairement le raisonnement juridique suivi par les tribunaux supérieurs, du moins pour ce qui est des arrêts rendus dans la province de Québec 6 .
Il convient également de noter que les deux premiers arrêts ont été rendus avant l'entrée en vigueur de la Loi sur la responsabilité de la Couronne en 1953 et que même le troisième, l'arrêt Roy, rendu après l'entrée en vigueur de la Loi, n'étudie pas ses dispositions, car il n'était pas nécessaire de le faire dans l'action intentée contre la municipalité. Néanmoins, le juge Fau- teux était certainement au fait des dispositions de cette loi lorsqu'il a rendu le jugement dans lequel il a clairement indiqué que l'officier de police municipale agit à divers titres et engage dans chaque cas la responsabilité de l'un ou l'autre de ses mandants ou commettants. L'avo- cat des demandeurs souligne que le savant juge déclare à la page 403 que lors de leur acte fautif et dommageable les officiers municipaux agis- ' saient «dans l'exécution ét les limites de ce mandat légal qu'ils ont reçu de l'État en tant qu'officiers de police» (les italiques sont de moi). L'avocat fait remarquer qu'un mandat
6 Aux pages 146 et suivantes du jugement dans l'affaire La Cité de Montréal c. Plante (précitée), le juge Rivard expose la différence entre le droit anglais et le droit français en matière de responsabilité de la corporation municipale pour les actes commis par ses agents de police dans l'exer- cice de leurs fonctions.
peut être exprès ou tacite et il soutient que lorsqu'il s'agit de faire appliquer les dispositions du Code criminel, les officiers de police munici- pale agissent en vertu d'un mandat légal tacite. Il fait également une distinction entre les règles du mandat applicable en droit civil et les règles qu'on doit appliquer en droit public. Quant à l'argument portant que c'est le Code criminel qui donne aux policiers le droit d'agir en tant qu'a- gents de la paix pour l'application de ses dispo sitions, mais que c'est la Loi de police provin- ciale qui leur impose de le faire, l'avocat des demandeurs soutient que lorsqu'on confère à un individu le pouvoir ou l'autorité de s'acquitter d'une charge ou d'accomplir une tâche donnée, la personne qui confère cette autorité ou ce pouvoir est responsable des actes de la per- sonne ainsi autorisée; en outre, il avance que la distinction entre la responsabilité de la Cou- ronne fédérale et de la Couronne provinciale est fondée sur le fait que, dans les limites de l'auto- rité et du pouvoir que lui confère le gouverne- ment fédéral, un agent de la paix agit en tant que «mandataire» de la Couronne fédérale alors que, pour les charges qui lui incombent en vertu de la Loi de police de la province de Québec, il agit en tant que «préposé» de la Couronne pro- vinciale. Il fait remarquer que le mot «manda- taire» n'est pas synonyme du mot «préposé» qui figure dans l'article 3(1)a) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne bien que, par défi- nition, ce deuxième terme recouvre le premier. Toutefois, le mot «préposé» a un sens beaucoup plus large de sorte que la Couronne fédérale peut voir sa responsabilité engagée même si elle n'exerce pas sur les actes de son mandataire la surveillance et le contr6le qu'elle exercerait sur ceux de son préposé. Les charges de l'agent de police en soi établissent une relation sui generis entre lui et un ou plusieurs niveaux de gouver- nement de sorte qu'on ne saurait appliquer les règles normalement applicables aux rapports entre commettant et préposé ou commettant et mandataire.
Le juge en chef Challies a exprimé une opi nion contraire dans un arrêt plus récent, Allain c. Procureur général de la Province du Québec 8 ,
7 17 Elizabeth II 1968, c. 17.
8 [1971] C.S. 407.
par lequel il rejetait l'action intentée contre le procureur général de la Province de Québec à la suite d'une arrestation prétendue illégale opérée par des agents de police de la cité de Montréal, refusant d'admettre l'argument que les agents de police agissant en tant qu'agents de la paix étaient mandataires du défendeur. Le jugement se réfère notamment à l'arrêt St-Pierre c. Cité des Trois-Rivières 9 dans lequel, bien qu'il n'ait pas retenu la responsabilité de la cité des Trois- Rivières pour la faute commise par un de ses officiers de police agissant en tant qu'agent de la paix dans une affaire criminelle, le juge Rouf- fard a déclaré à la page 441:
Si un agent de la paix ne fait qu'exercer ses droits au bénéfice du public, droits qu'il détient en vertu du droit commun ou du Code criminel, nul n'est responsable de ses faits et gestes, pas plus la cité de Trois-Rivières qui l'a nommé chef de police, que la Cour criminelle ou les gouver- nements qui l'auraient constitué constable.
Il cite également la décision du juge Pratte dans - l'affaire La compagnie Tricot Somerset Inc. c. Village de Plessisville 10 , dans laquelle ce dernier déclare:
Maintenant, si l'on consulte la jurisprudence, l'on voit que, pour ce qui a trait au maintien de la paix publique et à la prévention des crimes, la corporation municipale qui a exercé le pouvoir, que l'État lui a délégué, de créer et de maintenir un corps de police, ne peut pas être recherchée en justice, en raison de cet exercice, pas plus que le Souverain lui-même.
Le savant juge en chef cite également deux arrêts de common law, déclarant que le droit public anglais est applicable. A la page 411, il cite un extrait de l'arrêt Attorney General for New South Wales c. Perpetual Trustee Co. Ltd. 11 dans lequel le vicomte Simonds déclare:
[TRADUCTION] ... il existe une différence fondamentale entre le rapport domestique de commettant et préposé et le rapport entre le détenteur d'une fonction publique et l'État qu'il est censé servir. L'agent de police tombe dans cette seconde catégorie. Son pouvoir n'est pas le fait d'une délé- gation; c'est un pouvoir qu'il possède en vertu de ses fonctions et qu'il peut exercer à sa discrétion: fonctionnaire exécutant, il n'exerce pas ses droits aux termes d'un contrat, mais en vertu de la loi. On reconnaît cette différence essen- tielle dans le fait que, d'une manière générale, on ne décrit
9 (1936) 61 B.R. 439.
10 [1957] B.R. 797 à la page 799.
11 [1955] A.C. 457, aux pp. 489 et 490.
pas ses relations avec le gouvernement comme des relations de commettant et préposé.
Il cite également un arrêt australien, Enever c. Le Roi 12 , dans lequel on trouve l'opinion suivante:
[ rRADucrnorr] Enfin, un agent de police, en tant qu'agent de la paix, exerce ses pouvoirs, que ceux-ci lui soient conférés par la common law ou par un texte législatif, en vertu des fonctions qu'il occupe et sous sa propre responsa- bilité, et non sous celle de quelqu'un d'autre. S'il arrête quelqu'un qu'il soupçonne d'avoir commis un délit grave, le soupçon doit venir de lui et lui paraître justifié. S'il procède à une arrestation dans un cas il lui est permis d'arrêter à vue, c'est de sa vue qu'il s'agit et non de celle de quelqu'un d'autre. De plus, comme ses pouvoirs découlent de la loi, ils sont par même délimités de manière précise et il ne saurait être question de le faire passer pour investi d'une autorité plus grande que celle que lui confère la loi. Ainsi, lorsqu'un agent de police agit en tant qu'agent de la paix, il ne se prévaut pas d'une délégation de pouvoir, mais d'un pouvoir propre et on ne saurait alors appliquer le droit général du mandat.
A la page 409,1e juge Challies cite également un arrêt récent Fortin c. La Reine 13 dans lequel le juge Miquelon déclare:
Les membres de la Sûreté provinciale sont des officiers publics. Lorsqu'ils exécutent des brefs émis par une cour compétente, leurs fonctions sont ministérielles. Ils ont, à part cela, des fonctions qui relèvent de l'ordre judiciaire ils sont appelés à exercer une certaine discrétion. Ainsi, il est laissé à leur jugement de décider si, dans certaines circonstances, il y a lieu ou non d'opérer une arrestation. Ils ne sont pas des employés de l'État au sens strict du mot. Leur devoir n'est pas à l'État lui-même mais au public.
Et le juge Miquelon poursuit à la page 176:
n s'ensuit que, si dans certains cas l'État peut être pour- suivi pour des dommages causés par les membres de la Sûreté provinciale, il faut qu'il soit bien prouvé qu'ils ont agi sous les ordres d'un supérieur. Par ailleurs, lorsqu'il s'agit de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, l'État ne peut être recherché.
On peut donc en conclure que le juge en chef Challies reconnaît l'existence de situations aucune autorité supérieure n'est responsable des actes fautifs et dommageables que commet un agent de police dans l'application du droit criminel.
L'avocat des demandeurs prétend que ces arrêts de common law ne sont pas applicables au Québec, car la Cour d'appel du Québec dans
12 (1906) 3 C.L.R. 969, à la page 977.
13 11965] C.S. 168.
l'arrêt Plante (précité) et la Cour suprême dans les arrêts Hébert et Roy (précités) semblent reje- ter l'argument selon lequel le pouvoir de l'agent de la paix ne découle pas d'une délégation mais est un pouvoir propre. Il conclut qu'on doit considérer l'agent de police comme le manda- taire de quelqu'un et que, lorsqu'il n'agit pas en tant que mandataire de la municipalité, on doit alors le considérer comme mandataire légal de la Couronne et que c'est la Couronne du chef du Canada qui est en cause, car, comme en l'es- pèce, les policiers s'occupaient de l'application du droit criminel, matière relevant du domaine fédéral en vertu de l'article 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.
L'avocat des demandeurs soutient qu'on doit interpréter le droit de façon plus libérale depuis l'entrée en vigueur de la Loi sur la responsabi- lité de la Couronne qui a sensiblement modifié l'ancien droit selon lequel on pouvait mettre en cause les actes du Souverain. Il soutient que, tant que les agents de la paix exercent des fonctions relatives à une tâche qui leur est imposée conformément à la responsabilité géné- rale qu'ils ont envers le public de maintenir la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada, la Couronne du chef du Canada doit être tenue responsable de leurs délits civils; il ne suffit pas de répondre que les policiers peuvent voir leur responsabilité personnelle engagée et qu'il n'est donc pas nécessaire de faire jouer la responsabi- lité du fait des autres dans tous les cas d'actes dommageables car en pratique, dans la plupart des cas, la victime ne pourra pas se faire indem- niser par les agents de la paix. Il soutient que l'État a l'obligation morale et juridique d'assurer la réparation des dommages subis par un citoyen. Les actes de l'État nécessaires pour le maintien de la paix et du bon ordre peuvent entraîner des dommages et la Couronne fédérale doit être responsable des actes de ses mandatai- res tout comme une compagnie privée. Toute- fois, on ne saurait retenir ses références au droit français, car, en France, l'État est responsable de tous les actes administratifs et on ne fait aucune distinction entre les actes relevant de l'exercice de la souveraineté et ceux relevant de la simple administration. En effet, on doit ici lire le droit d'après la Loi sur la responsabilité de la
Couronne et les lois de la province de Québec, est née la cause d'action. Alors que l'article 91 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique confère à l'autorité fédérale la compétence en matière criminelle, l'article 92 donne à chaque province la responsabilité d'administrer la justice.
Examinant le droit québécois, il convient de citer la Loi de police (précitée) dont l'article 2 dispose que:
2. Les membres de la Sûreté ainsi que les policiers muni- cipaux sont, dans tout le territoire du Québec, constables et agents de la paix; il en est de même de tout constable spécial dans le territoire pour lequel il est nommé, sous réserve toutefois des restrictions contenues dans l'écrit constatant sa nomination.
et l'article 54 dispose que:
54. Tout corps de police municipal et chacun de ses membres sont chargés de maintenir la paix, l'ordre et la sécurité publique dans son territoire, ainsi que dans tout autre territoire sur lequel elle a compétence, de prévenir le crime ainsi que les infractions à ses règlements et d'en rechercher les auteurs.
Cette loi n'était pas en vigueur lorsque furent rendus les arrêts Plante, Hébert et Roy (préci- tés). Les municipalités sont les créatures du gouvernement provincial et leurs forces de police tombent sous le coup des dispositions de la Loi de police provinciale qui leur impose de «maintenir la paix, l'ordre et la sécurité publi- que» et de «prévenir le crime». Ces expressions sont assurément assez larges pour englober l'ap- plication des dispositions du Code criminel et il semble donc que les agents de police ne sont pas les mandataires de la Couronne fédérale lorsqu'ils assurent l'application du Code crimi- nel. Je n'ai pas à décider si l'on peut retenir la responsabilité de la Couronne du chef de la province ou celle du procureur général de la province malgré l'arrêt Allain (précité). En l'es- pèce, je dois seulement décider si l'on peut les considérer comme mandataires de la Couronne fédérale pour engager la responsabilité de cette dernière conformément aux dispositions de la Loi sur la responsabilité de la Couronne. A cet égard, il convient de souligner que les membres de la Gendarmerie royale du Canada et des Forces armées canadiennes sont précisément
désignés en tant que préposés de la Couronne fédérale en vertu de l'article 37 de la Loi sur la Cour fédérale 14 . Aucune autre loi ne désigne des agents de police comme préposés de la Cou- ronne fédérale et ceux-ci ne sont d'ailleurs pas membres de la Fonction publique telle que défi- nie par la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique" et dans la Loi sur les relations du travail dans la Fonction publique 16 et l'annexe I.
Ainsi, en plus de plaider qu'il serait souhaita- ble, dans le contexte actuel, de retenir la respon- sabilité d'un commettant ou mandant dans tous les cas de délit civil commis par des agents de police, l'avocat des demandeurs se voit con- traint de fonder ses arguments sur des obiter des arrêts Plante, Hébert et Roy, arrêts qui traitaient simplement de la responsabilité ou de la non-responsabilité des corporations municipa- les employant les policiers. Pour justifier l'utili- sation des obiter, il cite un article paru dans le numéro de juillet 1972 de la Israel Law Review, Vol. 7, 3 à la p. 342. Dans cet article le juge Laskin, maintenant juge en chef, déclare:
[TRnnucnoN] Dans la législation, un tribunal fait face au premier chef, à une expression de la «volonté populaire»; on peut dire à coup sûr que l'interprétation doit tendre tout autant vers l'accomplissement du but ou de l'objet de la législation que vers son application littérale.
Le droit jurisprudentiel est issu d'un processus plus dis- cret que la loi votée par une assemblée législative. On n'annonce pas à l'avance le changement imminent de la loi, bien qu'on puisse parfois l'anticiper à partir des précédents.
Et à la page 343:
[TRnnucnoN] Il existe cependant une autre technique, beaucoup plus ancienne que les revirements possibles de jurisprudence, par laquelle les juges, surtout dans les cours d'appel, signalent à l'avance les changements imminents du droit jurisprudentiel. Il s'agit des obiter dicta. Ces derniers I ne sont pas déterminants dans l'affaire on les présente, mais, selon qu'ils sont plus ou moins mis en relief, ils permettent d'asseoir des décisions ultérieures sur de nouvel- les bases juridiques.
Et à la page 344:
[TRADUCTION] Le juge n'est pas simplement un styliste; c'est aussi un artisan à qui l'on demande de comprendre que ce qu'il dit va non seulement servir à trancher le litige en cause, mais aussi influencer des domaines voisins, ou même peut-être tout à fait différents, du droit.
14 S.R.C. 1970, c. 10 (2° Supp.).
15 S.R.C. 1970, c. P-32.
16 S.R.C. 1970, c. P-35.
L'avocat des demandeurs cite également un arti cle du juge Witkon de la Cour suprême d'Israël, également paru dans la Israel Law Review, 1967, aux pp. 479-80, note 20, dans lequel il déclare:
[TRADUCTION] Je dirais qu'il existe deux sortes d'obiter dicta: ceux dont la présence dans l'arrêt n'est pas nécessaire et qui ont tout au plus un effet de persuasion et ceux qui figurent dans l'arrêt en tant que corollaire essentiel de la partie. Ne pas tenir compte de ce deuxième type d'obiter dictum revient à refuser de reconnaître le précédent.
Il est certain qu'en jugeant qu'une corporation municipale n'est pas responsable des actes commis par ses agents de police sauf dans l'ap- plication des règlements municipaux ou lorsque la municipalité a approuvé ou sanctionné les actes en question, les cours supérieures, dans les arrêts Plante, Hébert et Roy (précités) sont allées très loin en faisant entendre que les agents de police étaient mandataires de plu- sieurs commettants ou mandants en même temps et que chacun de ces commettants ou mandants était responsable des actes domma- geables des policiers selon que ceux-ci agis- saient comme leurs mandataires. Je ne pense pas que l'on puisse dire que les tribunaux supé- rieurs ont étudié et réglé de façon définitive la question de savoir si l'on doit automatiquement considérer un agent de police municipale comme mandataire de la Couronne du chef du Canada lorsqu'il s'occupe de l'application du droit criminel et j'en conclus que les officiers de police en question n'agissaient pas en tant que mandataires de la Couronne du chef du Canada de façon à engager la responsabilité de celle-ci au sens de l'article 3(1) de la Loi sur la respon- sabilité de la Couronne. On doit donc trancher la question par la négative. Étant donné que cette question n'a jamais été soulevée auparavant, il ne sera accordé aucuns dépens pour cette requête.
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