T-1125-73
British Columbia Packers Ltd., propriétaire du
N.M. Koskeemo (Demanderesse)
c.
Northland Industries Ltd., David Clattenburg,
Royal Fisheries Limited et le navire Pacific Rover
et John Mano, alias Joao Mano (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Heald—
Vancouver, le 15 janvier; Ottawa, le 31 janvier
1974.
Droit maritime—Abordage—Accident dans un «chenal
étroit»—Contravention aux Règles 19, 23, 25a) et 28b) des
Règles sur les abordages—Partage des dommages—
Demande reconventionnelle du propriétaire défendeur visant
à limiter sa responsabilité en vertu de la Loi sur la marine
marchande du Canada, S.R.C. 1970, c. S-9, art. 647(2)—
Faute de s'acquitter du fardeau de la preuve.
L'action est née d'un abordage entre les navires Kos-
keemo et Pacific Rover dans les eaux du chenal Grenville
(Colombie-Britannique). Elle a été abandonnée, sur autorisa-
tion, contre le défendeur Mano et rejetée contre la défende-
resse Royal Fisheries Limited, faute de preuve.
Arrêt: les deux navires ont agi en contravention des
Règles pour prévenir les abordages en mer. La «situation
dangereuse» en l'espèce est, dans une large mesure, imputa-
ble à la négligence du Koskeemo. La négligence du Pacific
Rover y a contribué, mais à un degré moindre. Il y a lieu de
partager la responsabilité en attribuant 75% au Koskeemo
et 25% au Pacific Rover. La demande reconventionnelle de
la défenderesse Northland Industries Ltd., propriétaire du
Pacific Rover, visant à limiter sa responsabilité est rejetée
parce que cette défenderesse n'a pas démontré que l'article
647(2) de la Loi sur la marine marchande du Canada,
S.R.C. 1970, c. S-9, lui était applicable en prouvant qu'elle
n'avait rien à voir avec la cause de l'accident. Le capitaine
du navire, le défendeur Clattenburg, était actionnaire majori-
taire et administrateur de la défenderesse Northland Indus
tries Limited. Il dirigeait le navire, ses activités et son
entretien, et il était coupable des fautes imputées au Pacific
Rover.
Arrêts examinés: New England Fish Company c. Le
navire «Island Prince» (non publié, Cour de l'Échiquier
du Canada, le 16 juillet 1968, n° du greffe: 63/67—Div.
d'am. distr. de la C.-B.); The Dundee (1823) 1 Hag. Ad.
109; The Voorwaarts and the Khedive (1880) 5 App.
Cas. 876; The Thomas Powell and the Cuba (1886) 14
L.T. 603; The Billings Victory (1949) 82 LI. L. Rep.
877; Stein c. Le Kathy K [1972] C.F. 585 et l'arrêt
Lennard [1914] 1 K.B. 419.
ACTION.
AVOCATS:
J. R. Cunningham et P. D. Lowry pour la
demanderesse.
W. O'M. Forbes et A. B. Oland pour les
défendeurs.
PROCUREURS:
Macrae, Montgomery & Spring, Vancouver,
pour la demanderesse.
Owen, Bird, Vancouver, pour les défen-
deurs.
LE JUGE HEALD—La demanderesse, compa-
gnie de la Colombie-Britannique, était, à toutes
les époques en cause, propriétaire du N.M. Kos-
keemo. La défenderesse Northland Industries
Ltd., également une compagnie de la Colombie-
Britannique, était, à toutes les époques en
cause, propriétaire du navire défendeur Pacific
Rover. Le défendeur David Clattenburg était
capitaine du Pacific Rover au moment de l'abor-
dage en cause.
A l'audience, on a permis à la demanderesse
de se désister de son action contre le défendeur
John Mano, alias Joao Mano. J'ai également
rejeté l'action contre la défenderesse Royal
Fisheries Limited étant donné qu'aucune preuve
n'a été fournie à l'appui des allégations que
comportaient les plaidoiries contre ladite défen-
deresse. Dans les circonstances, et puisque
ladite défenderesse n'était pas représentée par
un avocat différent, je crois que ce rejet ne doit
pas comporter de dépens.
Cette action découle d'un abordage survenu le
14 mars 1973 entre le Koskeemo et le Pacific
Rover dans les eaux du chenal Grenville, en
Colombie-Britannique.
Le chenal Grenville est une voie d'eau mari
time de quelque quarante milles de long sépa-
rant les îles Pitt et Farrant de la terre ferme de
la Colombie-Britannique. Il coule entre deux
rives montagneuses et escarpées; sa largeur
varie d'un quart à un demi-mille dans sa partie
centrale pour atteindre environ un mille, à ses
extrémités nord et sud.
L'abordage s'est produit vers 4 heures du
matin dans la partie nord du chenal à environ un
demi-mille au sud de l'anse Kumealon. A cet
endroit, la largeur du chenal est légèrement infé-
rieure à un mille. L'eau y est très profonde et
l'on peut sans danger naviguer près des rives.
L'abordage s'est produit dans l'obscurité, sous
un ciel très nuageux; le temps était brumeux et
pluvieux. Il y avait un vent du sud-est, soufflant
à 10 milles à l'heure. L'accident s'est produit
peu de temps après la marée basse, alors que
c'était encore le courant de jusant en direction
nord.
Le Koskeemo, un navire conserverie de pois-
son jaugeant 95 tonneaux bruts, à moteur diesel,
mesurait 80 pieds de long et était enregistré à
Vancouver. Il était doté d'un compas magnéti-
que, d'une gouverne automatique et d'un radar.
Son équipage était composé du capitaine Haan,
de l'officier Frank Ennest, du mécanicien
Joseph Widner et du cuisinier-matelot de pont
Olaf Solvik. Le navire avait transporté une car-
gaison de poissons de Bella Bella à Prince
Rupert et retournait à vide à Bella Bella. Il se
déplaçait donc en direction sud-est dans les
eaux du chenal Grenville.
Le Koskeemo était équipé d'un feu de mât
blanc, d'un feu de poupe blanc, d'un feu de
position vert à tribord et d'un feu de position
rouge à bâbord. Au moment de l'abordage, l'of-
ficier Ennest, un marin de grande expérience
détenant un certificat de capitaine pour ce genre
de navire depuis 1960, était à la barre depuis
environ trois heures. Il a témoigné que tous les
feux de navigation précédemment décrits fonc-
tionnaient cette nuit-là. Il a également déclaré
que le radar était en bon état et avait une portée
de trois milles. Quand il se tenait à la barre, il
pouvait voir le radar qui se trouvait à sa droite.
Il gouvernait le navire manuellement. Le navire
descendait le chenal Grenville du côté de la
terre ferme, c'est-à-dire à bâbord du chenal, à
environ six cents verges du rivage.
Il a vu pour la première fois le feu de mât
blanc du Pacific Rover alors qu'il se trouvait à
environ quatre ou cinq milles de distance, au
milieu du chenal à tribord avant.
Selon lui, lorsque le Pacific Rover est apparu
sur son écran radar à trois milles, il remontait le
chenal. A cet endroit, le chenal a un peu moins
d'un mille de large. Le Koskeemo avançait à sa
vitesse maximale de croisière de onze noeuds
qui était probablement réduite à une vitesse
terrestre de dix noeuds à cause de la marée. Le
Koskeemo a maintenu cette vitesse du moment
où il a aperçu le Pacific Rover pour la première
fois jusqu'à l'abordage. Le Koskeemo n'a mis
ses moteurs au point mort qu'après l'abordage.
A tous les moments en cause, Ennest suivait un
cap de 110° magnétique. Il n'a pas modifié son
cap entre le moment où il a aperçu le Pacific
Rover et juste avant l'abordage. Ennest a
déclaré avoir continué d'observer l'approche du
Pacific Rover sur son radar et, d'après lui, il
semblait que les deux navires se croiseraient
sans encombre. A environ 400 pieds de dis
tance, il a vu l'arrière du Pacific Rover à la lueur
de son feu de poupe. Il s'est alors rendu compte
qu'il regardait le côté bâbord du Pacific Rover et
que celui-ci allait lui passer devant. Il a alors
modifié sa route à bâbord toute; peu après, il a
vu le feu vert du Pacific Rover et, à une distance
d'environ 100 pieds, il a changé de route à
tribord toute; l'abordage s'est produit quelques
secondes plus tard. Le Koskeemo a été touché
sur l'arrière de la cabine de pilotage, du côté
tribord, à environ 10 pieds de la poupe et a subi
des avaries importantes. Le contact s'est fait
avec l'étrave du Pacific Rover. Ce dernier n'a
subi aucune avarie. Ennest a déclaré qu'à aucun
moment, il n'a vu le feu rouge de bâbord du
Pacific Rover et qu'il n'a aperçu le feu vert de
tribord, de la façon décrite précédemment, que
quelques secondes avant l'abordage. Il s'est
rendu compte, a-t-il dit, à la lecture du radar que
le Pacific Rover modifiait sa course vers tribord,
mais il n'a néanmoins pas cru devoir obliquer
aussi vers tribord de façon à croiser rouge à
rouge.
Le Pacific Rover était également un navire
conserverie de poisson à moteur diesel; il jau-
geait 85 tonneaux bruts, mesurait 63 pieds de
long et était immatriculé à Prince Rupert (C.-B.).
Il était également doté d'un compas magnétique,
d'une gouverne automatique et d'un radar. Son
équipage se composait du capitaine David Clat-
tenburg, de l'officier et mécanicien Alan Mars-
den, du matelot de pont John Mano et du cuisi-
nier Roger Hardy. Le navire transportait une
cargaison de harengs de la région de l'île Ivory
(C.-B.) à Prince Rupert; il avançait donc en
direction nord-ouest dans les eaux du chenal
Grenville. Sa vitesse maximale de croisière en
charge était de 7 noeuds.
Le Pacific Rover était également équipé d'un
feu de mât blanc, de deux feux de poupe blancs,
d'un feu de position vert à tribord et d'un feu de
position rouge à bâbord. Le Pacific Rover avait
quitté l'île Ivory vers midi le 13 mars en direc
tion nord. Clattenburg est resté à la barre jus-
qu'à 23 heures le 13 mars. Il a alors été relevé
par l'officier Marsden. Marsden devait rester au
poste jusqu'à 3 heures du matin le 14 mars et
Mano devait alors le relever. Clattenburg
déclare qu'il a donné comme directives à Mars-
den et Mano de se tenir à tribord du chenal
comme il le faisait lui-même. Selon lui, aucune
modification de route n'était nécessaire, jusqu'à
ce que le navire atteigne Kerr Point, à quelques
milles de l'anse Kumealon, et il avait chargé
Mano de l'éveiller à ce moment. Il dormait dans
sa couchette au moment de l'abordage. L'abor-
dage l'a réveillé et il a demandé à Mano de
stopper le navire, mais, pour quelque raison,
Mano ne l'a pas fait. C'est Clattenburg qui
effectivement a stoppé le navire.
Marsden releva Clattenburg à 23 heures. Il
naviguait de son côté tribord du chenal suivant
une route de 294°-295°. Il déclara que son radar,
sa radio et son compas fonctionnaient tous bien.
Entre minuit trente et 1 heure du matin, il
demanda à Hardy de vérifier les feux de naviga
tion, s'assurant ainsi qu'ils fonctionnaient tous
bien à ce moment. Il remit la barre à Mano à 3
heures du matin tout près de l'anse Baker. Il
déclare avoir demandé à Mano de conserver une
route de 294°-295° et d'appeler Clattenburg à
Kerr Point. E chargea Mano de se tenir à tribord
du rivage. Le navire était dirigé par gouverne
automatique lorsqu'il termina son quart.
Malheureusement, Mano n'a pas été cité
comme témoin à l'audience et la Cour n'a donc
pas pu bénéficier de sa version de témoin ocu-
laire de l'accident. Cependant, me fondant sur la
preuve qui a été présentée, je vais maintenant
énumérer les actes de négligence qui ont, à mon
avis, constitué les facteurs déterminants de cet
abordage.
Fautes du Koskeemo:
1. Le Koskeemo était hors de sa route nor-
male, c'est-à-dire qu'il était à gauche d'un
chenal étroit alors qu'il aurait dû être à droite.
Le Koskeemo contrevenait donc à la Règle 25a)
des Règles pour prévenir les abordages en mer
(ci-après les Règles sur les abordages) dont voici
le texte:
Règle 25.
a) Tout navire à propulsion mécanique faisant route dans
un chenal étroit doit, quand la prescription est d'une exécu-
tion possible et sans danger, prendre la droite du chenal ou
du milieu du passage.
L'avocat de la demanderesse a soutenu éner-
giquement que la partie du chenal Grenville où
est survenu l'abordage n'était pas un «chenal
étroit» au sens des Règles sur les abordages. La
jurisprudence précise bien qu'un «chenal étroit»
correspond à ce que les marins, dans la prati-
que, considèrent d'office comme un chenal
étroit, c'est-à-dire se définit en fonction de la
façon dont les marins en fait le traitent et s'y
comportent 1 . Les avocats des deux parties ont
reconnu que j'avais le droit de demander et de
suivre les conseils des assesseurs sur ce point.
Les deux assesseurs m'ont indiqué que le chenal
Grenville, y compris l'endroit où s'est produit
cet abordage, est un chenal étroit et considéré
comme tel par les marins. Ils m'ont en outre
indiqué qu'en cas de croisement dans le chenal
de Grenville, il convient de se placer de son côté
droit du chenal et de croiser bâbord à bâbord
(rouge à rouge). Il est également intéressant de
noter qu'à peu près la même portion du chenal
Grenville a été déclarée «chenal étroit» par le
juge Thurlow dans l'arrêt New England Fish
Company c. Le navire «Island Prince» 2 .
L'avocat de la demanderesse a cité plusieurs
témoins qui ont déclaré que, de façon assez
habituelle, les navires de pêche qui empruntent
le chenal Grenville se croisent vert à vert. Les
défendeurs ont cité plusieurs témoins familiers
avec la circulation dans ce chenal; ceux-ci ont
déclaré qu'il était aussi répandu et bien meilleur
de garder la droite et de croiser rouge à rouge.
1 Marsden, British Shipping Laws, 11a° - éd., vol. 4, pp.
576 et 577.
2 Jugement non publié—Cour de l'Échiquier du Canada, le
16 juillet 1968. (N° du greffe: 63/67—Division d'amirauté
de la C.-B.)
Je n'ai pas l'intention d'examiner ces témoigna-
ges en détail. Ils tendent à démontrer que cer-
tains navires de pêche empruntent peut-être le
chenal contrairement aux dispositions des
Règles sur les abordages, mais ils ne modifient
pas ma conviction fondée sur la déposition des
témoins des défendeurs et sur l'avis des asses-
seurs que ces eaux constituent un chenal étroit.
Le Koskeemo a donc nettement enfreint la
Règle 25a) et on peut, dans une certaine
mesure, imputer l'abordage à la violation de
cette règle.
2. Le Koskeemo ne s'est pas conformé aux
dispositions de la Règle 19 des Règles sur les
abordages dont voici le texte:
Règle 19.
Navires à propulsion mécaniquefaisant
des routes qui se croisent.
Lorsque deux navires à propulsion mécanique font des
routes qui se croisent, de manière à faire craindre une
collision, le navire qui voit l'autre par tribord doit s'écarter
de la route de cet autre navire.
La preuve démontre que le Koskeemo suivait
un cap de 110° et que le dernier cap connu du
Pacific Rover était 294°-295°. Les assesseurs
m'ont indiqué que le Pacific Rover se trouvait
ainsi de 4I°-5° à l'extérieur de la route opposée. Il
semblerait donc que la Règle 19, qui traite des
navires faisant des routes qui se croisent, s'ap-
plique en l'espèce et non la Règle 18 qui traite
des navires faisant des routes directement oppo
sées ou à peu près opposées. Donc, en vertu de
la Règle 19, le Koskeemo était tenu de s'écarter
de la route du Pacific Rover, ce qu'il n'a pas fait.
Cependant, même si la Règle 18 devait s'appli-
quer, le Koskeemo a agi incorrectement parce
qu'en vertu de cette règle, lorsque deux navires
font des routes directement opposées ou à peu
près opposées, chacun d'eux doit venir sur tri-
bord de manière à passer à bâbord l'un de
l'autre. Or, suivant la preuve, le Koskeemo a
changé sa route bâbord toute plutôt que tribord
toute. Les assesseurs m'ont indiqué que, dans
une situation de ce genre, il est habituel de venir
sur tribord plutôt que sur bâbord et qu'Ennest a
commis une négligence en modifiant sa course
sur bâbord quand il l'a fait.
3. Le Koskeemo ne s'est pas conformé aux
dispositions de la Règle 23 des Règles sur les
abordages dont voici le texte:
Règle 23.
Obligations des navires à propulsion mécanique
qui doivent s'y conformer.
Tout navire à propulsion mécanique qui est tenu d'après
les présentes Règles de s'écarter de la route d'un autre
navire, doit, s'il s'approche de celui-ci, réduire au besoin sa
vitesse ou même stopper ou marcher en arrière si les circons-
tances le rendent nécessaire.
En vertu de la Règle 19, le Koskeemo était
tenu de s'écarter de la route du Pacific Rover. Il
a donc fait preuve de négligence en vertu de la
Règle 23 en ne réduisant pas sa vitesse ou en ne
stoppant pas ou en ne faisant pas marche
arrière. Le Koskeemo savait que le Pacific
Rover approchait, il devait savoir qu'il se trou-
vait du mauvais côté du chenal et, malgré tout, il
a poursuivi machine avant toute sans aucune-
ment réduire sa vitesse. C'était sûrement une
vitesse excessive dans les circonstances et cette
vitesse excessive a certainement, dans une cer-
taine mesure, contribué à l'abordage.
4. Lorsqu'il a changé sa route à bâbord toute,
le Koskeemo aurait dû indiquer ce changement
en émettant deux sons brefs au moyen de son
sifflet et, en négligeant de ce faire, il s'est rendu
coupable d'une violation de la Règle 28a) des
Règles sur les abordages.
5. Le Koskeemo ne s'est pas conformé à la
Règle 28 b) des Règles sur les abordages qui
prévoit que:
Règle 28.
b) Lorsqu'un navire à propulsion mécanique qui, confor-
mément aux présentes Règles, doit conserver sa route et
maintenir sa vitesse, est en vue d'un autre navire et ne se
sent pas assuré que l'autre navire prend les mesures néces-
saires pour éviter l'abordage, il peut exprimer son doute en
émettant au sifflet une série rapide d'au moins cinq sons
brefs. Ce signal ne doit pas dispenser un navire des obliga
tions qui lui incombent conformément aux Règles 27 et 29
ou à toute autre Règle, ni de l'obligation de signaler toute
manoeuvre effectuée conformément aux présentes Règles,
en faisant entendre les signaux sonores appropriés, prescrits
par la présente règle.
Rien dans la preuve n'indique que le Koskeemo
a eu recours à son sifflet à quelque moment que
ce soit.
6. Enfin, le Koskeemo n'a pas mis en oeuvre
une veille appropriée et continue dès qu'il s'est
rendu compte de la présence du Pacific Rover
dans les parages; il a ainsi enfreint la Règle 29.
Fautes du Pacific Rover:
1. Le Pacific Rover a enfreint la Règle 28
parce qu'il est venu sur tribord sans émettre, au
moyen de son sifflet, un son bref comme l'exige
ladite règle pour indiquer ce changement de
route. Étant donné que Mano n'a pas témoigné,
il n'y a pas de preuve directe du changement de
cap. Cependant, le paragraphe 7 de l'acte préli-
minaire des défendeurs se lit comme suit:
[TRADUCTION] Le N.M. «PACIFIC ROVER» suivait une route
de 294i magnétique en direction nord du côté droit du
chenal Grenville à une vitesse-surface d'environ sept milles
à l'heure. Alors que le «PACIFIC ROVER» était à une distance
de un à deux milles du navire qui s'est révélé être le
«KOSKEEMO», le «PACIFIC ROVER» est venu sur tribord et a
suivi une route d'environ 298° magnétique pour croiser le
«KosKEEmo» bâbord à bâbord. Peu avant l'abordage, le
«KOSKEEMO» a viré sur bâbord passant devant le «PACIFIC
ROVER». Pour essayer d'éviter l'abordage la barre du «PAciF-
Ic ROVER» a été tournée sur bâbord.
Puisque les défendeurs sont liés par leur acte
préliminaire, je suis autorisé à admettre son
contenu relativement au changement de route.
Les assesseurs m'indiquent qu'en opérant ce
changement de route sur tribord un à deux
milles avant le croisement, le Pacific Rover a agi
tout à fait correctement et conformément à la
pratique ordinaire des marins, de manière à as-
surer un croisement bâbord à bâbord. Le Pacific
Rover a toutefois été négligent en ne signalant
pas ce changement de route en émettant un
coup de sifflet bref. Étant donné que Mano n'a
pas témoigné, nous ne pouvons savoir avec cer
titude si le sifflet a été actionné. Cependant,
personne à bord de l'un ou l'autre navire n'a
entendu de coup de sifflet. Par conséquent, il
semble peu probable qu'on ait actionné le
sifflet.
2. La demanderesse prétend qu'il y a faute du
Pacific Rover du fait que, immédiatement avant
l'abordage, son feu de position rouge à bâbord
n'était pas allumé contrairement à la Règle
7a)(ii) des Règles sur les abordages. A l'appui de
cette allégation, elle invoque le témoignage
d'Ennest qui a déclaré qu'à aucun moment, il
n'a vu un feu rouge à bâbord sur le Pacific
Rover. Suivant la preuve, environ deux semai-
nes avant le voyage en question, le feu bâbord
du Pacific Rover ne fonctionnait pas. La douille
de la lampe était rongée et un fil brisé. Clatten-
burg a fait remplacer la douille et le fil par la
Love Electric de Prince Rupert et il a déclaré
qu'après cette réparation, le feu bâbord fonc-
tionnait de façon satisfaisante. Il a déclaré avoir
vérifié les feux la nuit du 12 au 13 à l'île Ivory
et ils fonctionnaient tous. Par ailleurs dans son
témoignage, Hardy a déclaré avoir vérifié les
feux de navigation vers 1 heure du matin, tout
juste trois heures avant l'abordage, et avoir
constaté qu'ils fonctionnaient tous. Cependant,
le 14 mars 1973, à Prince Rupert, après l'abor-
dage, un gendarme de la G.R.C. est monté à
bord du navire et a demandé à Clattenburg
d'allumer les feux. Le feu rouge de bâbord n'a
pas fonctionné. Le gendarme s'est alors appro-
ché pour retirer le couvercle du feu de bâbord
et, dès qu'il l'a touché, le feu s'est allumé.
Clattenburg a déclaré que, plus tard, il a revissé
l'ampoule dans sa douille, ayant découvert
qu'elle était dévissée. Il a alors semblé qu'elle
fonctionnait de façon satisfaisante. Le feu de
bâbord n'a fait l'objet d'aucune autre réparation,
le Pacific Rover partant ce soir-là pour un autre
voyage. Le 19 mars, le Pacific Rover était de
retour à Prince Rupert et, à ce moment-là, un
inspecteur maritime a noté que le feu de bâbord
s'éteignait par intermittence lorsqu'il était agité
ou légèrement secoué. Il a observé que le partie
supérieure du couvercle du feu était rongée au
point qu'il y avait un trou dans le couvercle.
Ainsi, le couvercle n'empêchait pas l'infiltration
d'embruns d'eau salée, ce qui a provoqué un
court-circuit dans le feu de bâbord. Il semble
que quelqu'un avait bricolé une pièce en étain
pour boucher le trou du couvercle, mais ce
dispositif n'a pas permis d'empêcher l'infiltra-
tion d'eau salée.
Il n'y a pas de preuve directe sur la question
de savoir si le feu de bâbord fonctionnait immé-
diatement avant l'abordage. Cependant, compte
tenu du fait que le couvercle défectueux provo-
quait des courts-circuits par intermittence, je
crois qu'il est tout à fait vraisemblable que le
feu rouge de bâbord n'était pas allumé pendant
au moins une partie de la période qui a précédé
l'abordage. Si le feu de bâbord avait été allumé,
il reste une possibilité que le Koskeemo l'ait vu
après que le Pacific Rover eut apporté le chan-
gement de 4° sur tribord à une distance de un à
deux milles du lieu de l'abordage. Je conclus
donc que le feu de bâbord et son couvercle
défectueux ont contribué, dans une certaine
mesure, à l'abordage.
3. Le Pacific Rover ne s'est pas lui non plus
conformé à la Règle 28b) des Règles sur les
abordages (précitée) en ce sens que, dans ces
circonstances, il aurait dû lui aussi émettre, au
moyen de son sifflet, une série rapide d'au
moins cinq sons brefs. Comme dans le cas du
Koskeemo, rien dans la preuve n'indique que le
Pacific Rover a actionné son sifflet à quelque
moment que ce soit.
4. Le Pacific Rover a lui aussi omis de mettre
en oeuvre une veille appropriée dès qu'il s'est
rendu compte de la présence du Koskeemo dans
les parages; ainsi, il a également enfreint la
Règle 29.
5. Le Pacific Rover aurait dû ralentir lorsqu'il
devint imminent que les navires se trouveraient
tout près l'un de l'autre. Ses machines étaient
encore en avant toutes au moment de
l'abordage.
Les principes juridiques à suivre dans les cas
de ce genre sont exposés dans l'ouvrage de
Marsden, British Shipping Laws, volume 4, Col
lisions at Sea, aux pages 2 et 3, dont voici le
texte:
[TRADUCTION] En 1823, dans l'arrêt The Dundee ((1823) 1
Hag. Ad. 109 la p. 120) qui traite d'un abordage entre deux
navires, Lord Stowell a déclaré que les éléments essentiels
d'une négligence qu'on peut poursuivre en justice corres-
pondaient à «ce manque d'attention et de vigilance requises
pour la sécurité des autres navires naviguant dans les mêmes
eaux que, dans la mesure où cette négligence va jusqu'à
causer, même involontairement, des dommages de quelque
importance à d'autres navires, le droit maritime considère
comme un manquement à un devoir impérieux, ce qui
permet à la victime de recevoir une réparation sous forme
de dommages-intérêts».
Les marins doivent prendre des précautions raisonnables
et faire preuve d'une compétence raisonnable pour empê-
cher le navire de causer des préjudices (voir l'arrêt The
Voorwaarts and the Khedive (1880) 5 App. Cas. 876, à la p.
890, rendu par Lord Blackburn); il faut alors déterminer ce
qui est raisonnable d'après les circonstances de chaque
espèce.
La négligence généralement invoquée correspond au
manque d'habileté, d'attention et de sang-froid dont fait
habituellement preuve un marin compétent, ce qui équivaut
à un manquement aux obligations de bon marin ou à une
violation des règles internationales ou locales de prévention
des abordages. Le D. Lushington a déclaré dans l'arrêt The
Thomas Powell and the Cuba (1866) 14 L.T. 603: «Nous
exigeons non pas une habileté ou une diligence extraordi-
naire, mais le degré d'habileté et de diligence qu'on trouve
généralement chez ceux qui accomplissent leur devoir».
Dans l'arrêt The Billings Victory 3 , le juge
Willmer a déclaré:
[TRADUCTION] Il me semble que la chose la plus importante à
prendre en considération pour juger de la gravité des fautes
est la question de savoir lequel des deux navires a créé la
situation dangereuse.
La «situation dangereuse» en l'espèce, a été,
dans une large mesure, créée par le Koskeemo
et par ses actes de négligence énumérés précé-
demment. La négligence du Pacific Rover y a
également contribué, mais à un degré moindre.
En conséquence, je conclus qu'il y a eu lieu
de partager la responsabilité en attribuant 75%
au Koskeemo et 25% au Pacific Rover.
LIMITATION DE RESPONSABILITÉ
Les défendeurs ont déposé une demande
reconventionnelle afin d'obtenir le droit de limi-
ter la responsabilité de la Northland Industries
Ltd. conformément aux dispositions de l'article
647 de la Loi sur la marine marchande du
Canada, S.R.C. 1970, c. S-9.
Les parties dudit article qui nous intéressent
sont les suivantes:
647. (2) Le propriétaire d'un navire, immatriculé ou non
au Canada, n'est pas, lorsque l'un quelconque des événe-
ments suivants se produit sans qu'il y ait faute bu complicité
réelle de sa part, savoir:
d) avarie ou perte de biens, autres que ceux qui sont
mentionnés à l'alinéa b), ou violation de tout droit
(i) par l'acte ou l'omission de toute personne, qu'elle
soit ou non à bord du navire, dans la navigation ou la
conduite du navire, le chargement, le transport ou le
déchargement de sa cargaison, ou l'embarquement, le
transport ou le débarquement de ses passagers, ou
(ii) par quelque autre acte ou omission de la part d'une
personne à bord du navire;
responsable des dommages-intérêts au-delà des montants
suivants, savoir:
D à l'égard de toute avarie ou perte de biens ou de toute
violation des droits dont fait mention l'alinéa d), un mon-
tant global équivalant à 1,000 francs-or pour chaque ton-
neau de jauge du navire.
3 (1949) 82 Ll. L. Rep. 877, à la page 883.
Ainsi, les défendeurs soutiennent que toute
avarie ou perte résultant de la négligence des
personnes chargées de la navigation ou la con-
duite du Pacific Rover s'est produite sans qu'il y
ait faute ou complicité réelle de la défenderesse
Northland Industries Ltd. et cherchent donc à
limiter la responsabilité de ladite défenderesse
de la façon prévue à l'article 647(210.
Il incombe au propriétaire du navire d'établir
que l'article précité de la Loi lui est applicable.
J'ai examiné la jurisprudence applicable en
pareil cas dans l'arrêt Stein c. Le Kathy K 4 . Aux
pages 601 et 602 de ce jugement j'ai déclaré:
Pour résumer la jurisprudence, if incombe au défendeur
en l'espèce (le demandeur reconventionnel) de prouver les
faits suivants:
(1) L'identité de la personne dont les actes s'identifiaient
aux actes de la compagnie.
(2) Cette personne n'est coupable ni de faute ni de compli-
cité, au sens qu'il faut \ donner à ces mots, tel qu'on l'a
établi plus haut.
(3) S'il y a eu faute, elle n'a pas contribué à l'accident.
Appliquons ces principes aux faits de l'es-
pèce. Le Pacific Rover était la propriété de la
défenderesse Northland Industries Ltd. Clatten-
burg, le capitaine du navire, était actionnaire
majoritaire et administrateur de la défenderesse
Northland Industries Ltd. Il dirigeait le navire et
les activités de l'équipage de façon générale et
était également chargé de l'entretien du navire.
Il savait que le feu de bâbord était défectueux et
il savait, ou une vérification de routine aurait dû
lui apprendre, ce qui en était du couvercle rongé
du feu de bâbord. Il a été négligent de ne pas
faire installer un nouveau couvercle. Il a
reconnu ne rien savoir des Règles sur les abor-
dages. Il n'était pas certain de connaître ni de
comprendre la signification des différents coups
de sifflet exigés par lesdites règles. Il a admis ne
pas avoir de copie des Règles sur les abordages
à bord du navire. Sa façon de donner des direc
tives à l'équipage était pour le moins désinvolte.
Il n'a pris aucune mesure raisonnable pour s'as-
surer que Mano avait les aptitudes requises pour
gouverner le navire.
[1972] C.F. 585 aux pages 600,601 et 602.
En conclusion, je suis convaincu que les actes
de Clattenburg s'identifiaient à ceux de la défen-
deresse Northland Industries Ltd., que Clatten-
burg était coupable des fautes et des actes de
négligence énumérés précédemment et que ces
fautes ont contribué à l'accident.
Dans des actions comme celle-ci, il incombe
au propriétaire de prouver qu'il n'y a aucun lien
de causalité entre ses actes et l'accident, c'est-à-
dire qu'il n'a contribué en aucune façon à ce qui
est arrivés. En l'espèce, le propriétaire ne s'est
pas libéré de cette charge.
Il y aura donc jugement comme suit:
a) 75% de la responsabilité de l'abordage
sont attribués au Koskeemo et 25% au Pacific
Rover;
b) La demande reconventionnelle de la
défenderesse Northland Industries Ltd. est
rejetée avec dépens;
c) Il y aura référence quant aux dommages
conformément à la Règle 500, lesdits domma-
ges devant être évalués par un protonotaire de
cette cour; et
d) Les dépens de l'action seront calculés en
fonction de la responsabilité et en respectant
les pourcentages établis à l'alinéa a) ci-dessus.
Conformément à la Règle 337(2)b), l'avocat
des défendeurs peut rédiger un projet de juge-
ment approprié pour donner effet à la décision
de la Cour et demander que ce jugement soit
prononcé.
Je suis reconnaissant au capitaine Draney et
au . capitaine Docherty de nous avoir apporté
une aide estimable à titre d'assesseurs.
5 Voir: le lord juge Hamilton dans l'arrêt Lennard [1914]
1 K.B. 419, à la page 436.
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