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T-1614-71
Simard-Beaudry Inc. (Appelante)
c.
Le ministre du Revenu national (Intime)
Division de première instance, le juge Addy — Montréal, le 15 mars; Ottawa, le 16 juillet 1974.
Impôt sur le revenu—Dépouillement de dividendes—Opé- rations consistant à acquérir des actifs de compagnies— Demande de dépréciation—S'agit-il d'une réduction indue ou factice du revenu—Loi de l'impôt sur le revenu, art. 137(1)-- Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, c. 63, art. 245(1)—Code civil de la province de Québec, art. 1569a et suiv. (De la vente en bloc).
L'appelante S.B. fut constituée en corporation pour acquérir les actifs des compagnies S et B. Elle acheta l'entreprise, la clientèle et l'actif disponible des deux entre- prises le 15 décembre 1964. Le même jour, M, acquéreur des actions dans les compagnies S et B, les transféra à G, compagnie des Bermudes. Les compagnies S et B ayant élu domicile aux Bermudes, vendirent le 8 janvier 1965 à la compagnie G une option d'acheter leurs immobilisations, pour la somme de $1. Le 13 janvier 1965, l'appelante acheta cette option à la compagnie G pour la somme de $5,406,000, représentant essentiellement la dépréciation accumulée sur ces immobilisations, les compagnies S et B n'ayant payé aucun impôt sur le revenu sur cette dépréciation à mesure qu'elle s'accumulait. Le même jour, l'appelante exerça l'op- tion d'acheter les immobilisations de S et B, pour la somme de $1,950,000, soit leur valeur dépréciée aux livres. La valeur réelle de ces immobilisations au moment de l'achat se chiffrait à environ $10,600,000. Le litige porte sur la ques tion de savoir si l'appelante avait le droit de réclamer, pour les années suivant l'achat, une dépréciation calculée sur le montant additionnel de $5,406,000 versé à la compagnie G pour l'option, plus le montant de $1,950,000 versé à l'achat, ou si, comme le soutient le Ministre, la déduction de la première somme reviendrait à réduire indûment ou de façon factice le revenu, en violation de l'article 137(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, et si, toujours selon le Ministre, la dépréciation ne pouvait être accordée que pour la dernière somme.
Arrêt: l'appel est accueilli; la somme totale de $7,356,000 a été versée en paiement des immobilisations. Aucune partie de ce montant, en ce qui concerne l'appelante, ne pourrait être considérée comme un paiement artificiel en ce sens qu'elle représenterait autre chose qu'un paiement pour l'achat des immobilisations des deux compagnies vendeuses. L'appelante put acquérir les immobilisations à un prix infé- rieur à leur valeur grâce à l'artifice de l'option. L'achat par voie de l'option ne constitue pas, du point de vue juridique, un «trompe-l'œil». En l'absence de «trompe-l'œil» on ne peut invoquer l'article 137(1) pour refuser la dépréciation lorsque le revenu du contribuable qui la réclame ne s'en trouve pas réduit indûment ou de façon factice.
Arrêts appliqués: Cattermole-Trethewey Contractors Ltd. c. M.R.N. 71 DTC 5010; Snook c. London & West
Riding Investments Ltd. [1967] 1 All E.R. 518; Susan Hosiery Limited c. M.R.N. [1969] 2 R.C.É. 27; Com missioners of Inland Revenue c. Wesleyan and General Assurance Society (1948) 30 T.C. (H.L.) 11; M.R.N. c. Cameron [1972] C.T.C. 380; Concorde Automobile Ltd. c. M.R.N. 71 DTC 5161; West Hill Redevelopment Company Limited c. M.R.N. [1969] 2 R.C.É. 441; Shul- man c. M.R.N. [1961] R.C.É. 410 et Harris c. M.R.N. [1966] C.T.C. 226.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
Claude P. Desaulniers et Maurice A. Regnier pour l'appelante.
Alban Garon, c.r., et Mme Louise Lamarre- Proulx pour l'intimé.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Tamaki & Cie, Montréal, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Voici les motifs du jugement prononcés en français par
LE JUGE ADDY: Les faits établis au procès sont nombreux et compliqués. La cause portait sur la prétendue responsabilité de l'appelante envers le fisc pour sa participation aux opéra- tions de deux autres compagnies lesquelles, par l'entremise de diverses manoeuvres financières à l'étranger (offshore trading), c'est-à-dire divers emprunts, ventes et transports d'options, d'ac- tions et d'actifs à des individus et compagnies au Canada ainsi qu'à des compagnies et agences aux Bermudes, ont soustrait ou ont tenté de soustraire sous forme de dividendes, au béné- fice de leurs actionnaires, une majeure partie de leur actif.
Si les transactions avaient eu lieu au Canada et de façon directe entre l'appelante et les deux compagnies venderesses, ces dernières seraient sans doute obligées de payer, à titre d'impôt sur le revenu, des sommes considérables pour la récupération de dépréciations accumulées sur leurs immobilisations.
Cependant, pour trancher la question en litige, il ne sera ni nécessaire ni même utile, à mon avis, de décrire en détail toutes ces manoeuvres ou d'identifier le rôle de chaque joueur dans le
drame compliqué qui s'est déroulé entre les mois de mai 1964 et mars 1965, puisque la question dépend surtout du rôle que l'appelante aurait joué directement ou par l'entremise d'agents, soit comme l'un des principaux instiga- teurs du plan ou à titre de participant à certaines des opérations financières et des transports de biens.
Les deux compagnies qui s'engagèrent dans la manoeuvre de dépouillement de dividendes sont les compagnies Simard & Frères, Cie Ltée, dont les propriétaires étaient les deux frères Simard, et Beaudry Ltée, dont les propriétaires étaient les deux frères Beaudry. La compagnie Simard & Frères, Cie Ltée s'occupait surtout de la grande construction tandis que la compagnie Beaudry Ltée était avant tout une compagnie de production, s'occupant de la production de béton et de blocs de ciment ainsi que de l'ex- ploitation de carrières, etc.
Aubert Brillant, qui possédait plus de seize ans d'expérience dans la construction générale et qui était alors propriétaire de compagnies de construction, s'intéressa dans l'achat des deux compagnies Simard & Frères, Cie Ltée et Beau- dry Ltée. A cette fin, le 31 août 1964, il incor- pora l'appelante, Simard-Beaudry Inc.
Le 15 décembre 1964 l'appelante acquit le fonds de roulement de Beaudry Ltée pour la somme de $518,162 et celui de Simard & Frères, Cie Ltée pour la somme de $851,941. Le 13 janvier 1965, l'appelante acheta égale- ment d'une compagnie des Bermudes, Group Investments Limited (ci-après désignée «Group»), une option d'acheter les immobilisa- tions de ces deux compagnies et paya pour cette option la somme d'environ $5,406,000. Cinq jours auparavant, Group avait acquis cette option de Beaudry Ltée et de Simard & Frères, Cie Ltée pour la somme de $1.00. Le même jour qu'elle acquit l'option, c'est-à-dire le 13 janvier 1965, l'appelante acquit directement de ces deux compagnies leurs immobilisations pour la somme additionnelle de $1,950,000 en exer- çant l'option acquise de Group. Cette somme de $1,950,000 représentait la valeur dépréciée aux livres tandis que la somme de $5,406,000 repré- sentait en très grande partie la dépréciation
accumulée sur ces immobilisations, les deux compagnies venderesses n'ayant pas payé d'im- pôt sur le revenu sur cette dépréciation à mesure qu'elle s'accumulait. La valeur réelle de ces immobilisations au moment de l'achat se chiffrait à environ $10,600,000.
Le litige porte sur la question à savoir si l'appelante aurait droit de réclamer, pour les années subséquentes à l'achat, une dépréciation calculée sur le montant additionnel de quelque $5,406,000 payé à Group pour l'option plus le montant de $1,950,000 ou si, tel qu'allégué par l'intimé, la dépréciation ne peut être accordée que sur le montant de $1,950,000, c'est-à-dire sur la valeur dépréciée aux livres des deux compagnies venderesses.
La décision ultime dépend de l'interprétation et de la portée du paragraphe (1) de l'article 137 de la Loi de l'impôt sur le revenu' ; le paragraphe se lit comme suit:
137. (1) Dans le calcul du revenu aux fins de la présente loi, aucune déduction ne peut être faite à l'égard d'un déboursé fait ou d'une dépense contractée, relativement à une affaire ou opération qui, si elle était permise, réduirait indûment ou de façon factice le revenu.
Il est intéressant de noter que, lorsque la Loi de l'impôt sur le revenu fut revisée en 1971, malgré que le texte anglais de ce paragraphe maintenant numéroté 245(1) demeura intact, le texte français fut modifié légèrement: pour le mot «déboursé» l'on substitua le terme peut-être plus français de «débours» et les mots «dépense faite ou engagée» furent substitués aux mots «dépense contractée» 2 .
Pour comprendre la marche des évènements il est utile de se rendre compte que les affaires débutèrent au printemps de 196'4, lors d'une discussion entre Aubert Brillant et l'un des frères Simard, alors que Brillant fit part de son intérêt possible dans l'acquisition de la compa- gnie Simard & Frères, Cie Ltée. Peu après, monsieur Brillant consulta monsieur Jacques Melançon de Jacques Melançon et Associés, Inc., conseillers financiers. Ce dernier avisa monsieur Brillant qu'il devrait songer en même temps à l'achat de la compagnie _Beaudry Ltée
S.R.C. 1952, chapitre 148.
2 Voir S.C. 1970-71-72, chapitre 63, article 245(1).
et lui prépara, en date du l er juin 1964, un projet d'acquisition de ces deux compagnies. Ce projet, en résumé, prévoyait l'achat des actions de ces compagnies.
Monsieur Brillant témoigna au procès, et j'ac- cepte son témoignage sur ce point, qu'après avoir considéré le rapport de monsieur Melan- çon, il lui paraissait évident qu'il lui serait peu profitable de se porter acquéreur de ces deux compagnies de la façon indiquée par monsieur Melançon, c'est-à-dire en achetant leurs actions. Malgré certains témoignages contraires, la preuve, à mon avis, établit clairement que mon sieur Brillant, après analyse du rapport de mon sieur Melançon, décida qu'il serait peu profita ble à un acheteur d'acquérir les actions de ces deux compagnies parce que la dépréciation future dont pourraient jouir ces immobilisations, d'une valeur d'environ $10,600,000, serait limi- tée à $1,900,000. De plus, il lui était évident que toute disposition de ces immobilisations entraî- nerait des impôts très considérables sur la dépréciation accumulée de $5,406,000.
Monsieur Brillant demeurait cependant inté- ressé à l'acquisition des biens de ces deux com- pagnies et, entre la fin de juillet et la fin d'août de la même année, il fit préparer trois rapports sur l'actif et le passif et les chiffres d'affaires de ces compagnies pour en étudier la possibilité d'acquisition. Les rapports furent préparés par la compagnie Unica Research Company Limi ted, par la compagnie Canadian Appraisal Com pany Limited et par la maison McDonald, Currie & Co., vérificateurs.
Il est évident selon ces rapports, le témoi- gnage au procès et les évènements qui se dérou- lèrent par la suite, que, de l'avis de McDonald, Currie & Co. et du conseiller juridique de mon sieur Brillant, la seule méthode par laquelle monsieur Brillant pouvait acheter ces compa- gnies, au prix qu'il voulait payer et aussi bénéfi- cier de la pleine dépréciation pour le montant payé pour les immobilisations, était de se porter acquéreur de l'actif et non des actions. Il était également évident aux vendeurs, c'est-à-dire aux frères Beaudry et aux frères Simard, pour éviter l'impôt sur le revenu sur la récupération
de la dépréciation accumulée dans leurs compa- gnies et aussi pour pouvoir en retirer l'actif par voie de dépouillement des dividendes, qu'il fal- lait s'engager dans la manoeuvre de «offshore trading.» En d'autres mots, pour que la transac tion ultime puisse réussir, il fallait s'engager dans une manoeuvre fiscale à l'étranger, conçue en grande partie par M. D.J. MacGregor de McDonald, Currie & Co.
La preuve au procès établit nettement que monsieur Brillant était parfaitement au courant en tout temps de la portée précise des manoeu vres fiscales projetées de la part des frères Beaudry et Simard. Il contribua également à l'épanouissement ultime du projet par sa partici pation active aux diverses assemblées au Canada et aux Bermudes et en obtenant, par son entremise, de l'aide financière d'au moins une compagnie de finance, notamment, Traders Finance Corporation Limited.
Monsieur Melançon s'étant porté acquéreur des actions de ces deux compagnies au moyen de diverses opérations financières intérimaires, y compris des emprunts de banque avec dépôts comptants en garantie pour le plein montant des sommes avancées (back-to-back loans), les transporta à Group la même journée que l'appe- lante acquit les fonds de roulement de ces com- pagnies, c'est-à-dire, le 15 décembre 1964.
Malgré certaines affirmations contraires de la part de certains témoins de l'appelante la preuve, à mon avis, établit clairement les faits suivants:
1. Que Jacques Melançon et Associés, Inc. et Group étaient des prête-noms des compagnies venderesses et de leurs actionnaires;
2. Que Jacques Melançon et Associés, Inc. agissait à titre d'agent non seulement de Simard & Frères, Cie Ltée et de Beaudry Ltée mais aussi d'Aubert Brillant ainsi que de l'appelante afin de mener à bonne fin les manoeuvres fiscales projetées;
3. Ces manoeuvres fiscales, le dépouillement de surplus, et l'évitement de la taxe d'impôt sur la récupération de dépréciations accumu- lées ne bénéficiaient pas directement la com- pagnie Simard-Beaudry Inc., mais cette com-
pagne bénéficiait indirectement des manoeuvres puisque l'achat n'aurait pu s'ef- fectuer au prix convenu à moins que ces manoeuvres eussent lieu;
4. Aubert Brillant et, par le fait même sa compagnie, l'appelante, étaient parfaitement au courant de ces manoeuvres fiscales et de leur but ultime;
5. L'option accordée à Group pour un dollar et revendue à Simard-Beaudry Inc., pour la somme de $5,406,000 n'était qu'un artifice pour permettre l'achat des immobilisations à un prix global de quelque $7,356,000 et en même temps permettre le dépouillement de dividendes et l'évitement par les vendeurs du paiement de la taxe sur la récupération des $5,406,000 payés pour l'option.
Simard-Beaudry Inc. ne peut d'aucune façon être considéré comme un alter ego soit de la compagnie Simard & Frères, Cie Ltée, soit de Beaudry Construction, soit des frères Beaudry ou des frères Simard qui ont bénéficié du dépouillement de dividendes. Monsieur Melan- çon était sans doute l'agent et le prête-nom des frères Simard et des frères Beaudry dans la transaction de dépouillement de dividendes et de vente des actions dans leurs compagnies. Il était aussi l'agent de Brillant et de l'appelante tant qu'aux premières négociations pour l'achat des fonds de roulement et des immobilisations, mais il n'était nullement l'agent de Brillant ou de l'appelante dans la transaction de dépouillement de dividendes ou de vente des actions.
Il est trop évident au point de vue juridique pour qu'il soit utile de citer de la jurisprudence à cet effet qu'une personne peut agir comme agent de deux personnes sans pour autant qu'il y ait responsabilité conjointe pour tous leurs agissements ou ceux de l'agent. Le fait que Melançon agissait à titre d'agent pour des fins différentes, pour les frères Simard et leur com- pagnie d'une part et pour Brillant et l'appelante de l'autre part, pourrait et devrait en l'espèce imputer une connaissance mutuelle de leurs agissements mais non nécessairement une res- ponsabilité mutuelle. La preuve établit claire- ment que Melançon en acquérant les actions des deux compagnies venderesses le fit à titre d'agent ou prête-nom des frères Simard et Beau-
dry et des deux compagnies venderesses et non à titre d'agent de Brillant ou de la compagnie appelante; ces derniers n'ont jamais acquis ces actions et n'ont jamais eu d'intérêt dans ces actions. Quoiqu'en dise le procureur de l'intimé, il n'y a aucune preuve, ni directe ni circonstan- tielle, qui indiquerait qu'ils se seraient, en aucune occasion, portés acquéreurs de ces actions. La preuve établit bien que Melançon acquit les actions mais il le fit au nom des actionnaires des deux compagnies venderesses. Le fait qu'il avait agi à titre d'agent pour Brillant au début des négociations ne suffit certainement pas pour imputer à Brillant ou à l'appelante un intérêt réel dans ces actions, lors de leur acqui sition subséquente par Melançon, puisqu'il a été clairement établi que Brillant avait déjà décidé depuis longtemps que l'acquisition des actions ne l'intéresserait nullement.
Il s'agit en premier lieu de déterminer si les quelque $7,356,000, que l'appelante prétend avoir versés pour l'achat d'immobilisation des deux compagnies, ont réellement été versés pour cette fin. Sinon, il s'ensuivrait qu'une dépréciation sur les immobilisations ne pourrait être réclamée pour les argents non versés à cette fin. Lorsqu'une transaction constitue une frime ou un trompe-l'oeil dans le sens anglais de sham tel qu'employé en décrivant certaines transactions fiscales, il faut percer le voile et décider de la substance réelle et de la nature intrinsèque de la transaction.
Une transaction ou opération fiscale constitue une frime ou sham lorsqu'elle n'est pas en réa- lité ce qu'elle paraît être ou lorsqu'elle n'est qu'un voile pour dissimuler un état de chose tout à fait différent. Par exemple, lorsqu'on se sert du prétexte d'établir un régime de pension pour les employés d'une entreprise afin de four- nir un moyen d'en soustraire les profits exempts d'impôt, sans avoir l'intention réelle de fournir une protection aux employés ou de continuer à faire des versements au fonds de pension. Voir l'arrêt Cattermole-Trethewey Contractors Ltd. c. M.R.N. 3 . Une excellente définition d'un sham
3 71DTC5010.
fiscal a été établi par lord Diplock dans la cause Snook c. London & West Riding Investments, Ltd. 4 aux pages 528 et 529:
[TRADUCTION] En ce qui concerne l'allégation, par le demandeur, que les transactions entre lui-même, Auto- Finance, Ltd. et les défendeurs étaient un «trompe-l'oeil», il me semble nécessaire d'examiner quelle notion juridique peut renfermer ce mot d'usage courant et de sens péjoratif. Je croirais que, s'il a quelque signification en droit, il désigne ces actes faits, ou passés par les parties à la transaction et qui visent à simuler, aux yeux des tiers ou du tribunal, la création de droits ou d'obligations juridiques différents des droits ou obligations juridiques que les parties ont véritable- ment entendu créer (dans la mesure elles ont voulu en créer). Cependant, il est, me semble-t-il, clair en droit, en morale et dans la jurisprudence (voir Yorkshire Railway Wagon Co. c. Maclure (1882), 21 Ch. D. 309; Stoneleigh Finance, Ltd. c. Phillips [1965] 1 All E.R. 513 et [1965] 2 B.R. 537) que, pour que des actes ou documents soient un «trompe-l'oeil», avec toutes les conséquences juridiques qui peuvent en découler, toutes les parties doivent avoir en outre l'intention commune de ne pas créer par ces actes les droits et obligations juridiques qu'elles paraissent y créer. Aucune intention implicite d'un des simulateurs n'affecte lès droits d'une partie qu'il trompe. On peut conclure nettement, en l'espèce, que les défendeurs n'étaient pas parties au prétendu «trompe-l'oeil». Cette prétention doit donc être rejetée.
Cette définition a été approuvée par nos tribu- naux. Voir Susan Hosiery Limited c. 11I.R.N. 5 .
D'autre part pour déterminer si un document constitue ou non un trompe-l'oeil et pour cette raison doit attirer des conséquences fiscales, on ne doit pas se permettre d'exagérer les motifs des parties afin d'en arriver à une interprétation favorable au fisc. La règle qui veut que la substance et la nature de la transaction soient considérées ne doit pas servir de prétexte pour une recherche approfondie dans les motifs afin d'atteindre une interprétation outrée ou exagé- rée de la nature même de la transaction. Lord Greene dans l'arrêt Commissioners of Inland Revenue c. Wesleyan and General Assurance Society 6 décrivit les restrictions que l'on doit apporter à une telle recherche dans les termes suivants à la page 16 de l'arrêt:
[1967] 1 All E.R. 518.
[1969] 2 R.C.É. 27.
6 (1948) 30 T.C. (H.L.) 11; 176 L.T.84 (K.B. & C.A.); 64
T.L.R. 173.
[TRADUCTION] Il est peut-être utile de rappeler certains des principes élémentaires qui régissent des affaires de cet ordre. Il incombe à la Cour examinant des documents con- tractuels de les interpréter selon les principes ordinaires d'interprétation, en donnant aux termes utilisés leur sens usuel et courant excepté lorsque le contexte exige qu'on leur donne un sens différent. Dans un contrat chaque mot a son importance à moins d'exigence contraire du contexte.
Il faut aussi rappeler un second principe. En matière fiscale, il ne faut pas donner à un document une interpréta- tion outrée ou déformée dans le but de donner lieu à une imposition, il ne faut pas le faire non plus dans le but de se soustraire à l'imposition. Il faut donc attribuer au document son sens ordinaire, puis lui appliquer la législation fiscale. Si, selon son interprétation correcte, il relève d'une catégorie d'imposition, il y est alors assujetti. Si, au contraire, selon cette interprétation correcte, il n'appartient pas à la catégo- rie d'imposition, il ne peut y être assujetti.
Dans certaines affaires antérieures, on a pensé que ce qui fut appelé le fond de l'opération permettait à la Cour d'inter- préter un document de manière à donner lieu à une imposi tion. Cette doctrine particulière consistant à distinguer le fond de la forme fut, du moins je l'espère, définitivement abandonnée dans la décision de la Chambre des lords dans l'affaire Duke of Westminster c. Commissioners of Inland Revenue, 19 T.C. 490. Bien comprise, la théorie soutenue par la Couronne dans l'affaire présente est à mon avis une tentative visant à la rétablir. Cette doctrine consiste à affir- mer que les termes utilisés par les parties ne doivent pas nécessairement être considérés comme preuve décisive de la nature de la relation juridique. Il s'agit bien sûr d'un principe usuel d'interprétation.
Ces remarques furent approuvées par la Chambre des lords lorsque la cause fut portée en appel devant eux. Elles décrivent de façon précise la façon d'envisager la question.
Puisque la valeur réelle des immobilisations achetées était de $10,600,000 et que le paie- ment de $5,406,000 pour l'option ne peut être attribué à d'autre chose que l'actif, acheté par moyen de cette option, il semble clair que Simard-Beaudry Inc. ait payé le montant global d'environ $7,356,000 pour les immobilisations. Il semble clair également qu'aucune partie de ce montant, au point de vue de la compagnie Simard-Beaudry Inc., ne pourrait être considé- rée comme un paiement artificiel dans le sens qu'elle représente autre chose qu'un paiement pour l'achat de l'immobilisation des deux com- pagnies venderesses.
L'unique raison pour laquelle Simard -Beau- dry Inc. pouvait acquérir les immobilisations à un prix inférieur à leur valeur réelle fut la méthode d'achat par l'artifice de l'option. Cette option ne portait que sur le droit d'acheter ces immobilisations. Il n'y a nullement question ici de gonflement de prix d'achat de façon artifi- cielle, au contraire le prix d'achat ne pouvait être fixé à ce prix réduit que grâce aux manoeu vres fiscales dont l'option formait une partie essentielle. Cette diminution fut effectuée bien entendu au détriment du fisc et au bénéfice de la compagnie Simard-Beaudry Inc. qui a acquis ces immobilisations à un prix réduit ainsi qu'au bénéfice des deux compagnies Beaudry Ltée et Simard & Frères, Cie Ltée qui profitèrent direc- tement de l'évitement de la taxe sur la récupéra- tion de la dépréciation réclamée antérieurement sur leurs actifs et aussi au bénéfice des frères Simard et des frères Beaudry qui, par le dépouillement de dividendes de leurs compa- gnies respectives, réussirent à en retirer d'énor- mes sommes sans payer d'impôt.
Lorsque l'on considère la transaction au point de vue de l'appelante, une constatation s'impose à l'effet que cette dernière n'a versé des argents que pour acquérir les actifs achetés ou pour le droit d'acheter des immobilisations, et que la valeur totale des argents versés par cette com- pagnie est représentée par ces actifs. Il faut constater de plus que cette compagnie ne s'est jamais portée acquéreur en aucun temps d'ac- tions d'autres compagnies. Donc, je ne puis venir à d'autre conclusion que les paiements de $7,356,000 furent réellement faits et que ces paiements ne peuvent être attribués qu'à l'achat d'immobilisations et non à l'achat d'actions ou autres actifs.
Selon la façon que la Cour suprême du Canada, dans un jugement unanime rendue dans une récente cause intitulée M.R.N. c. Cameron 7 , appliqua la définition contenue dans l'arrêt Snook c. London & West Riding Investments, Ltd. (supra) aux circonstances de la cause Cameron, il est très clair, à mon avis, que l'achat par l'appelante par voie de l'option ne
7 [19721 C.T.C. 380.
constitue pas une frime ou sham au sens juridi- que. De plus, contrairement aux motifs du con- tribuable dans la cause Concorde Automobile Ltée c. M.R.N. 8 qui, afin de permettre de sous- traire des argents aux réclamations du fisc à titre de dépenses, établit un système de pen sions, dans la présente cause le seul but ou même le but principal de la transaction de la part de l'appelante n'était pas d'éviter le paie- ment d'impôt de sa part, car aucun impôt n'était payable par elle, mais de permettre l'acquisition des biens de deux compagnies venderesses, telle que décrite dans l'option.
Mais la question n'est pas tranchée en faveur de l'appelante par le fait seulement que I'on constate que la transaction d'achat ne constitue pas une frime telle que définie par le droit fiscal; il faut de plus déterminer si elle ne cons- titue pas quand même en tout ou en partie un débours qui réduirait indûment ou de façon fac- tice le revenu de l'appelante ou si une déprécia- tion prise sur cette transaction d'achat ne le constituerait pas. Voir l'arrêt Concorde Auto mobile Ltée c. M.R.N. (supra); aussi l'arrêt West Hill Redevelopment Company Limited c. M.R.N. 9 ; et l'arrêt Shulman c. M.R.N. 10 traitant de façon claire et précise de la définition et de la portée de l'article 137(1). La cause Harris c. M.R.N. i 1 établit qu'un débours ou une dépense, tel que mentionné dans l'article 137(1), com- prend bien une dépréciation réclamée—voir pages 241 et 242 de l'arrêt.
Lorsque l'on écarte tout sentiment de sympa- thie que l'on ne peut qu'éprouver pour l'intimé qui se voit dérober d'énormes sommes par ces manoeuvres fiscales, et surtout pour les nom- breux citoyens à revenus modiques dont les contributions au fisc entraînent trop souvent d'énormes sacrifices, pour examiner au strict point de vue juridique l'article 137(1) à la lumière des conclusions de faits énumérés ci-haut, il est, à mon avis, impossible de s'imagi- ner comment, en vertu de cet article, l'appelante peut être privée du droit de réclamer de la
8 71 DTC 5161 à la page 5174.
' 1196912 R.C.É. 441.
10 [19611 R.C.É. 410 à la page 424.
" [1966] C.T.C. 226.
dépréciation sur le plein montant de $7,356,000 payé pour l'achat des immobilisations. Si ces immobilisations avaient été acquises directe- ment des deux compagnies venderesses à leur valeur réelle, c'est-à-dire pour la somme de $10,600,000, sans aucune manoeuvre fiscale, personne ne pourrait logiquement nier que l'ap- pelante aurait droit de réclamer une déprécia- tion annuelle basée sur ce prix d'achat. La dépréciation serait donc calculée sur un capital d'immobilisations d'environ $3,244,000 de plus que le montant sur lequel l'appelante en réclame dans le présent appel. Puisque ce sont les mêmes biens, comment peut-on conclure que cette déduction ou dépense «réduirait indûment ou de façon factice le revenu» de l'appelante?
Il semble évident, de plus, que si l'appelante avait acquis ces immobilisations des deux com- pagnies venderesses au même prix et selon les mêmes modalités, mais seulement après que ces dernières eussent payé au fisc, à même le prix de vente, l'impôt calculé sur la dépréciation réclamée il n'y aurait jamais eu le moindre doute que l'appelante serait en plein droit de réclamer une dépréciation sur le montant global payé, y compris le coût de l'option.
A moins de frime fiscale, l'article 137(1), à mon avis, ne peut être invoqué pour refuser une dépense ou déduction que si le revenu de la personne imposable et réclamant la dépréciation serait réduit de façon indue ou factice. Or, la dépense originale fut faite pour l'achat à prix réduit d'immobilisations lesquelles, d'après la preuve au dossier, servent incontestablement à produire du revenu. Il n'y a aucune preuve que ces immobilisations ne sont pas entièrement requises pour ces fins. La dépense originale ne constitue donc pas une dépense indue ou factice et la dépréciation elle-même ne peut non plus constituer une telle réduction de revenu. Il est intéressant aussi de constater que le fisc a déjà dans le passé permis une dépréciation sur ce montant entier au sujet de ces mêmes immobili- sations dans le même genre de commerce, alors qu'elles valaient moins qu'au moment de leur acquisition par l'appelante.
Même en apportant à l'article l'interprétation la plus libérale possible en faveur de l'intimé, il m'est impossible d'y accorder d'autre significa tion que celle préconisée par l'appelante.
Il a été déclaré trop souvent, pour citer de la jurisprudence afin d'en établir la validité qu'en interprétant la portée d'un article de la loi fis- cale, qu'il ne s'agit pas de faire de la moralité ni même d'appliquer les principes d'équité recon- nus par le common law. Il semblerait sans doute plus équitable de taxer l'appelante puisque par l'entremise de son créateur et son âme diri- geante, Aubert Brillant, elle participa très acti- vement à une manoeuvre permettant aux compa- gnies venderesses de dérober au fisc l'impôt sur une dépréciation accumulée de $5,406,000 et permettant aussi aux actionnaires de ces compa- gnies d'en retirer le bénéfice à titre de profit au capital.
Au cas la manoeuvre de dépouillement de dividendes, par l'entremise de l'option, aurait été illégale lorsqu'elle a eu lieu, il se pourrait qu'il soit possible à l'intimé de récupérer de l'appelante, à même ces immobilisations, les impôts dont elle aurait été privée par les ven- deurs puisque l'appelante est encore en posses sion de biens que l'on pourrait vraisemblable- ment décrire comme étant grevés d'une créance envers le fisc. Aussi l'appelante ne pourrait certes être considérée comme acquéreur de bonne foi de ces biens puisqu'elle connaissait en détail les réclamations du fisc. Lors de l'appel j'ai aussi soulevé la question de la Loi de la vente en bloc du Québec. Les procureurs des deux parties m'ont avoué qu'ils n'avaient pas considéré cette question mais qu'en y pensant ils étaient satisfaits que la vente était conforme à cette loi. Pourtant il ne semble pas qu'il n'y ait jamais eu de contrat global pour l'achat des fonds de roulement avec les immobilisations et de plus ces deux transactions ont eu lieu à des moments différents. La preuve présentée établit qu'après l'achat des fonds de roulement, y com- pris l'achalandage des deux compagnies le 15 décembre 1964, il n'existait aucune obligation contractuelle de la part de l'appelante d'acheter les immobilisations ni aucune obligation de la part des frères Beaudry ou des frères Simard ou
de leurs compagnies de vendre ces immobilisa- tions. De plus, l'acquisition de l'option et l'achat des immeubles eurent lieu aux Bermudes et tous les vendeurs étaient, semble-t-il, à ce moment-là, situés et domiciliés aux Bermudes, les deux compagnies venderesses ayant de toute évidence élu domicile dans ce pays avant la vente; l'on pourrait donc se poser la question à savoir si la vente ne tomberait pas sous l'égide de la Loi de la vente en bloc des Bermudes puisque l'option a été accordée aux Bermudes et que l'achat des immobilisations eut lieu selon les droits acquis par l'option.
De toute façon, la question devant moi n'est pas de déterminer si le fisc pourrait par d'autres moyens récupérer des impôts qui lui seraient redevables mais de décider de l'application de l'article 137(1) aux circonstances de la présente cause.
L'appel sera donc accordé avec dépens.
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