Le ministre du Revenu national (Appelant)
c.
Dame Lucie Simon et le Trust Général du
Canada, exécuteurs testamentaires de François
Faure (Intimés)
Division de _première instance, le juge Walsh—
Montréal, le 14 décembre 1972; Ottawa, le 7
mai 1973.
Impôt sur les biens transmis par décès—Communauté de
biens (Québec)—Contrat de mariage portant que la totalité
de la communauté appartiendra au conjoint survivant—La
moitié de la communauté est-elle cotisable à l'impôt sur les
biens transmis par décès—Loi de l'impôt sur les biens trans-
mis par décès, S.R.C. 1970, c. E-9, art. 3(1)a) et art. 3(2)e).
Lors de son décès en 1966, F était domicilié au Québec.
Le contrat de mariage des époux F, où ceux-ci avaient
adopté le régime de la communauté d'acquêts, portait que la
totalité de la communauté appartiendrait au survivant, qu'il
y ait ou non des enfants ou descendants issus de leur
mariage.
Arrêt: interprété strictement, l'article 3(2)e) de la Loi de
l'impôt sur les biens transmis par décès a pour effet d'ex-
clure de la succession de F la totalité de la communauté
d'acquêts.
APPEL d'une décision de la Commission d'ap-
pel de l'impôt.
AVOCATS:
Louise Lamarre-Proulx et Alban Garon,
c.r., pour l'appelant.
J. Lambert Toupin pour les intimés.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelant.
Martineau, Walker, Allison, Beaulieu,
Phelan et MacKell, Montréal, pour les
intimés.
LE JUGE WALSH—Appel est interjeté d'une
décision de la Commission d'appel de l'impôt en
date du 16 avril 1971 faisant droit à l'appel
interjeté par les intimés à la présente instance
d'une cotisation établie par le ministre du
Revenu national en date du 31 janvier 1968;
dans cette cotisation, le Ministre a levé un impôt
de $59,485.84 sur les biens transmis au décès
de François Faure, survenu le 5 août 1966. Aux
termes de son testament, fait en forme notariée
le 27 juin 1966, François Faure a nommé sa
femme, Dame Lucie Simon, et le Trust Général
du Canada ses exécuteurs testamentaires. Avant
leur mariage, François Faure et Lucie Simon
avaient fait en Belgique, le 4 juillet 1911, un
contrat de mariage en forme notariée aux
termes duquel ils avaient adopté le régime
matrimonial de la communauté d'acquêts, con-
formément aux articles 1498 et 1499 du Code
civil belge. Par une rectification apportée lors de
l'audience à leur défense, les intimés ont
reconnu que ces articles sont analogues aux
articles 1389a et 1389b du Code civil de la
province de Québec' ; les intimés reconnaissent
en outre que François Faure et sa femme étaient
domiciliés au Québec au moment du décès du de
cujus et que c'est là que la succession s'est
ouverte.
L'article 3 du contrat de mariage susdit porte
que:
Les futurs époux stipulent à titre de convention de
mariage que la totalité de la communauté appartiendra, en
pleine propriété, au survivant des époux et ce, qu'il y ait ou
non des enfants ou descendants issus de ce mariage.
Les intimés se fondent sur cette disposition
pour exclure tous les acquêts communs du
calcul de la valeur des biens transmis au décès
du de cujus, alors que l'appelant, dans sa cotisa-
tion, fait entrer dans la succession du défunt sa
moitié des acquêts communs. Un avis d'opposi-
tion a été signifié au Ministre, qui a par la suite
ratifié la cotisation. Les intimés à la présente
instance ont toutefois interjeté appel devant la
Commission d'appel de l'impôt, qui leur a donné
raison.
L'appelant fait valoir que sous le régime
matrimonial de la communauté d'acquêts,
comme d'ailleurs sous le régime de la commu-
nauté légale, les époux sont copropriétaires des
biens de la communauté tant que celle-ci n'est
pas dissoute par le décès de l'un des époux ou
pour une autre cause. De plus, soutient-il, l'arti-
cle 3 du contrat de mariage (précité) ne vise pas
le cas du partage de la communauté du vivant
des époux; or, si la communauté avait effective-
ment été partagée du vivant des époux, ce par-
tage se serait fait par moitié. D'après l'argumen-
tation de l'appelant, l'attribution, par l'article 3,
de tous les biens constituant la communauté
d'acquêts au conjoint survivant n'est valable
qu'à compter du décès de l'un des conjoints; de
son vivant, un conjoint pouvait à tout moment
aliéner la moitié de l'actif de la communauté
d'acquêts, au sens des articles 3(1)a) et 3(2)e) de
la Loi de l'impôt sur les biens transmis par
décès, S.C. 1958, c. 29, [maintenant S.R.C.
1970, c. E-9], qui portent que:
3. (1) Dans le calcul de la valeur globale nette des biens
transmis au décès d'une personne, on doit inclure la valeur
de tous les biens, quelle qu'en soit la situation, transmis au
décès de cette personne, y compris, sans restreindre la
généralité de ce qui précède,
a) tous les biens dont le de cujus, immédiatement avant
son décès, était habile à disposer;
(2) Aux fins du présent article,
e) nonobstant toute disposition du présent article, l'ex-
pression «biens dont le de cujus, immédiatement avant
son décès, était habile à disposer», apparaissant à l'alinéa
a) du paragraphe (1), ne comprend pas la part du conjoint
du de cujus dans une communauté de biens qui existait.
entre le de cujus et ce conjoint immédiatement avant son
décès.
En conséquence, l'appelant soutient que la
moitié de l'actif de la communauté d'acquêts
appartenait au défunt et a été transmise à sa
veuve à son décès et qu'il y a lieu de faire entrer
cette moitié dans la masse des biens transmis.
La valeur totale des acquêts communs, à la date
du décès de François Faure, était de $638,-
620.50. L'appelant a donc ajouté la somme de
$319,310.25 à la valeur déclarée de la succes
sion. Les autres majorations apportées par l'ap-
pelant dans sa cotisation ne sont pas contestées.
Les intimés soulignent pour leur part que le
contrat de mariage, en plus d'établir une com-
munauté d'acquêts, dispose quant au partage de
cette communauté; cette disposition est sanc-
tionnée par l'article 1525 du Code civil belge et
par l'article 1411 du Code civil du Québec, dont
les textes sont à toutes fins pratiques analogues.
L'article 1411 du Code civil du Québec porte
que:
Lorsque les époux stipulent que la totalité de la commu-
nauté appartiendra au survivant ou à l'un d'eux seulement,
les héritiers de l'autre ont droit de faire reprise des apports
tombés dans la communauté du chef de leur auteur.
Cette stipulation n'est qu'une convention de mariage et
non une donation sujette aux règles et formalités applicables
à cette espèce d'acte.
A la date du décès de François Faure, en 1966,
cet article se trouvait au paragraphe (6) de la
section II du Code civil. L'intitulé de la section
II était le suivant:
SECTION II
DE LA COMMUNAUTÉ CONVENTIONNELLE ET DES CONDITIONS
LES PLUS ORDINAIRES QUI PEUVENT MODIFIER OU MÊME
EXCLURE LA COMMUNAUTÉ LÉGALE.
L'intitulé du paragraphe (6) était le suivant:
Des clauses par lesquelles on assigne à chacun des époux des
parts inégales dans la communauté.
En se fondant sur l'article précité du Code civil,
les intimés soutiennent que l'article 3 du contrat
de mariage (précité) ne constitue pas une dona
tion faite par un conjoint à l'autre, car il porte
simplement, selon eux, qu'au décès d'un con
joint l'autre sera censé avoir toujours été pro-
priétaire de tous les biens de la communauté
d'acquêts. Si l'on accepte cet argument, l'article
3(2)e) de la Loi de l'impôt sur les biens transmis
par décès (précité) a pour effet de soustraire de
l'actif de la succession tous les biens de la
communauté d'acquêts; en effet, dans un tel
cas, aucun de ces acquêts communs ne consti-
tuerait un «bien dont le de cujus, immédiate-
ment avant son décès, était habile à disposer».
La part du conjoint survivant dans la commu-
nauté d'acquêts est en fait constituée de la tota-
lité des acquêts communs, dont aucun ne tombe
dans la succession du défunt.
Pendant le mariage, le mari avait le droit
d'administrer les biens de la communauté; en
1966, à l'ouverture de la présente succession, il
avait en outre le droit d'aliéner les biens meu-
bles de la communauté sans le concours de sa
femme, mais il ne pouvait, sans le consentement
de celle-ci, disposer des biens immeubles de la
communauté ni disposer entre vifs à titre gratuit
des biens meubles de la communauté, si ce n'est
de sommes modiques et de présents d'usage?
En outre, les parties sont convenues qu'en l'es-
pèce, les dispositions du contrat de mariage
interdisaient au défunt de léguer un bien de la
communauté. Il ressort clairement de certains
paragraphes du testament du défunt que les
deux conjoints comprenaient parfaitement le
sens des dispositions du contrat de mariage aux
termes desquelles la totalité de la communauté
d'acquêts devait appartenir en pleine propriété
au conjoint survivant. En effet, les paragraphes
3 et 4 dudit testament portent que:
TROISIÈMEMENT: Je déclare ne m'être marié qu'une fois,
savoir, à DAME LUCIE SIMON, sous le régime de la commu-
nauté d'acquêts, suivant les dispositions de notre Contrat de
Mariage reçu devant Me HILAIRE GROENSTEEN, notaire, à
Laeken-Bruxelles, en Belgique, le quatre juillet mil neuf
cent onze (1911) aux termes duquel il est stipulé que les
apports des époux seront exclus de la communauté, et que la
totalité de la communauté appartiendra en pleine propriété
au survivant des époux, qu'il y ait ou non des enfants ou
descendants issus du mariage.
QUATRIÈMEMENT: Au cas où ma dite épouse me survivrait,
ce qui donnerait effet en sa faveur aux dispositions de notre
dit Contrat de Mariage attribuant la totalité de ladite com-
munauté au survivant tel que ci-dessus mentionné, je donne
et lègue tous les biens, tant meubles qu'immeubles, de
quelque nature et en quelque endroit qu'ils soient situés,
m'appartenant en propre et ne formant pas partie de ladite
communauté, à mes dits Exécuteurs Testamentaires et léga-
taires fiduciaires et/ou à ceux pouvant les remplacer en telle
charge, mais en fiducie seulement et à la charge par eux de
les payer et remettre selon les dispositions suivantes, savoir:
Il est manifeste que le de cujus faisait bien la
distinction entre ses biens propres et les biens
relevant de la communauté d'acquêts.
Dans ses observations sur l'article 1411 du
Code civil, à la page 255 de son Traité théorique
et pratique de la communauté de biens, le
notaire Roger Comtois cite le glossateur fran-
çais Troplong qui, commentant l'article 1525 du
Code Napoléon, dont le texte est analogue à
celui de l'article 1411, fait à la page 2173 du
volume XXIII l'observation suivante:
Ce pacte n'est pas considéré comme une donation. C'est
une convention autorisée par le droit commun ... une
convention entre associés.
Troplong ajoute que le conjoint survivant est
censé avoir été propriétaire, ab initio, dès le
moment des acquisitions. A cet égard, la com-
munauté est véritablement considérée comme
une société. A la suite du partage, le conjoint
survivant, comme un associé, est, à cause de
l'effet déclaratif du partage, censé avoir été
titulaire des biens entrés dans la communauté,
depuis la date de leur achat. Comtois estime
cette explication valable, mais il précise à la
page 257 que cette clause, pour constituer une
convention matrimoniale et non une donation,
doit avoir un caractère onéreux et aléatoire;
c'est bien le cas en l'espèce, car chacune des
parties fait la même stipulation au profit de
l'autre. A la page 258, il relève une incidence
fiscale découlant de cette situation: ces biens ne
feront l'objet d'aucune imposition, du fait que
les conventions matrimoniales comme telles, à
l'exclusion de toute libéralité, ne sont pas sujet-
tes à l'impôt sur les successions. Il invoque sur
ce point le traité d'Eugène Rivard intitulé Les
droits sur les successions dans la Province de
Québec, à la page 92.
Dans un article figurant au volume 4 de la
Revue légale (n.s.), le notaire Sirois est arrivé à
la même conclusion. A la page 520, il constate
en effet:
Ainsi, lorsque, par leur contrat de mariage fait en vertu des
articles 1406 et suivants du Code civil, les époux stipulent
que la totalité ou une part plus forte que la moitié, ... dans
les biens dépendant de la communauté appartiendra au
survivant ... c'est une simple convention de mariage qui ne
donne lieu à aucun droit.
Feu le juge en chef P.B. Mignault a de même
exprimé l'avis, dans son traité de Droit civil
canadien, vol. 6, page 385, qu'une clause de ce
genre dans un contrat de mariage n'est pas une
donation mais un contrat à titre onéreux. Plus
récemment, Léon Faribault, dans le vol. 10 du
Traité de droit civil du Québec, page 401, a
exprimé le même avis.
Toutefois, les commentateurs français Planiol
et Ripert font observer à propos de l'article
1525 du Code Napoléon, à la page 272, qu'étant
donné que la convention d'attribution totale de
communauté n'a d'effet et ne bénéficie au con
joint survivant que si l'un des conjoints survit
effectivement à l'autre, elle devient ce qu'ils
appellent un gain de survie. Ils ajoutent qu'une
convention de ce genre ne produit d'effets que
lors de la dissolution de la communauté par le
décès d'une des parties et qu'en conséquence,
elle ne saurait avoir pour effet de porter atteinte
aux pouvoirs du mari sur la communauté, ni à
ceux de la femme.
A la lumière de cette doctrine, il semble indis-
cutable qu'une clause telle que celle du présent
contrat de mariage, attribuant la totalité des
acquêts communs au conjoint survivant, n'est
pas une donation mais a pour effet d'attribuer
au survivant la totalité de la communauté
rétroactivement à la date du contrat de mariage,
sous réserve, bien sûr, du droit des héritiers du
défunt de faire reprise des apports tombés dans
la communauté du chef de leur auteur. Pendant
le mariage, toutefois, les parties restent copro-
priétaires des biens constituant la communauté
d'acquêts et il est impossible d'affirmer, du
vivant des deux conjoints, que l'un d'eux est
propriétaire de tous ces acquêts communs.
Voici d'ailleurs en quels termes Mignault s'est
exprimé à propos de la communauté légale, à la
page 337 du volume 6 de son traité:
La femme qui renonce perd tout espèce de droit sur les
biens de la communauté. Perd: car elle avait pendant le
mariage des droits sur les biens de la communauté. Elle était
copropriétaire avec le mari, non pas sous la condition sus-
pensive de son acceptation, mais sous la condition résolu-
toire de sa renonciation. Si elle accepte, le droit résoluble
qu'elle avait devient irrévocable; si elle renonce, il est résolu
rétroactivement, et le mari est réputé avoir toujours été seul
propriétaire des biens qui composaient la communauté.
La Cour suprême du Canada a sanctionné cette
doctrine dans l'arrêt Sura c. M.R.N. [1962]
C.T.C. 1 où le juge Taschereau a déclaré, à la
page 8:
S'il en était autrement, et si la femme n'était pas copro-
priétaire des biens communs, elle aurait à payer, lors de la
dissolution de la communauté, des droits de succession, car
il s'agirait alors d'une transmission de biens lui venant de
son mari. Mais, il n'en est pas ainsi, car il n'y a pas de
transmission mais un partage, où elle prend la part qui lui
revient et qui lui appartient depuis le mariage. Ce qu'elle
reçoit ne provient pas du patrimoine de son époux.
Il est vrai qu'il s'agissait là d'une affaire d'impôt
sur le revenu, dans laquelle l'épouse, mariée
sous le régime de la communauté légale, ne
prenait part que pour moitié à cette commu-
nauté; il reste que ces observations sont parfai-
tement applicables à la présente espèce, où, au
décès d'un conjoint, le survivant acquiert, à titre
rétroactif, la propriété de tous les biens com-
muns, dont il n'avait eu que la copropriété pen
dant le mariage. Dans ces conditions, on est tout
à fait justifié de prétendre que les biens consti-
tuant cette communauté d'acquêts ne sont assu-
jettis à aucun impôt successoral en vertu de la
Loi des droits sur les successions du Québec,
qui frappe de certains droits les biens transmis
par décès; effectivement, en l'espèce, les biens
en question n'ont été frappés d'aucun impôt
successoral en vertu de cette loi.
Toutefois, cela ne suffit pas nécessairement à
trancher la question. L'assiette de l'impôt établi
par la Loi de l'impôt sur les biens transmis par
décès n'est pas la même; cette loi frappe d'un
impôt la valeur globale des biens transmis au
décès. C'est précisément le texte de cette loi
qu'il s'agit d'interpréter pour établir les modali-
tés de son application aux circonstances de
l'espèce.
Il est établi qu'en l'espèce, le mari n'était
fondé qu'à administrer l'ensemble des biens
communs et à vendre les meubles communs, ne
pouvant sans le concours de sa femme disposer
entre vifs des autres biens de la communauté
d'acquêts (si ce n'est de sommes modiques et de
présents d'usage) 3 . Au décès du mari, l'épouse
avait donc droit au reliquat de la communauté
d'acquêts, c'est-à-dire à ce qui n'avait pas fait
l'objet d'une aliénation du vivant du mari. Dans
un cas de communauté légale de type courant,
où le mari aurait été assujetti aux mêmes res
trictions quant à l'aliénation, de son vivant, des
biens communs, tous les biens tombant dans la
communauté au décès du mari auraient pu
entrer dans le calcul de la valeur globale nette
des biens transmis à son décès, conformément à
l'article 3(1)a) de la loi (précité) 4 . L'article 3(2)e)
(précité) prévoit cependant une exception desti
née à contourner une sérieuse difficulté dans le
cas des successions s'ouvrant dans la province
de Québec: en l'absence de ce texte, l'épouse
survivante, tout en étant censée avoir toujours
été propriétaire de la moitié des biens communs,
aurait néanmoins été tenue de payer l'impôt sur
l'ensemble des biens communs s'il était apparu
que le mari était habile à disposer des biens
communs pendant le mariage, au sens de l'arti-
cle 3(1)a) susdit. L'article 3(2)e) exclut du
champ d'application des mots «biens dont le de
cujus, immédiatement avant son décès, était
habile à disposer» «la part du conjoint du de
cujus dans une communauté de biens qui exis-
tait entre le de cujus et ce conjoint immédiate-
ment avant son décès». Les intimés soutiennent
que cette exclusion ne vise pas seulement le cas
de la communauté légale, mais aussi la commu-
nauté d'acquêts, le législateur ayant utilisé les
mots «une communauté»; or, poursuivent-ils, en
l'espèce la part de l'épouse du de cujus compre-
nait la totalité de la communauté d'acquêts et il
y a donc lieu d'exclure entièrement cette com-
munauté de l'actif successoral.
Pour sa part, le Ministre s'arrête aux premiers
mots de l'article 3(1), qui ont pour objet de faire
entrer dans le calcul de la valeur globale nette
des biens transmis au décès d'une personne la
valeur de la masse entière de ces biens, y com-
pris, «sans restreindre la généralité de ce qui
précède», les diverses catégories de biens énu-
mérées plus bas, notamment celle visée par l'ali-
néa a). Par conséquent, fait-il valoir, les biens
assujettis à l'impôt ne se limitent pas aux biens
dont le de cujus, immédiatement avant son
décès, était habile à disposer au sens de l'article
3(1)a), tel que le précise l'article 3(2)e), ces
biens ne constituant que l'une des catégories de
biens à faire entrer dans cette masse imposable.
Il affirme, par exemple, que l'on pourrait appli-
quer à l'espèce l'article 3(1)e), lequel porte que:
3. (1) Dans le calcul de la valeur globale nette des biens
transmis au décès d'une personne, on doit inclure la valeur
de tous les biens, quelle qu'en soit la situation, transmis au
décès de cette personne, y compris, sans restreindre la
généralité de ce qui précède,
e) les biens compris dans une constitution, quelle que soit
l'époque où elle a été faite, par acte ou tout autre instru
ment ne prenant pas effet comme testament, en vertu de
laquelle un intérêt dans ces biens pour la durée de la vie
ou une autre période déterminable par rapport au décès,
ou tout revenu en provenant, est réservé expressément ou
implicitement au défunt en qualité de disposant, ou en
vertu de laquelle le défunt s'est réservé le droit, par
l'exercice d'un pouvoir quelconque, de se remettre en
possession de l'intérêt absolu dans ces biens ou de récupé-
rer cet intérêt ; 5
puisque malgré la constitution par le contrat de
mariage d'une communauté d'acquêts, le mari
conservait à l'égard de ces biens un intérêt lui
permettant de les aliéner de son vivant et de
participer à la jouissance du revenu qui en pro-
venait. A mon sens, toutefois, et bien que la
portée de cet article puisse être assez large pour
s'étendre à un contrat de mariage, on ne saurait
dire que l'intérêt du mari à l'égard du revenu
tiré, de son vivant, des acquêts communs ait fait
l'objet d'une réserve, même implicite, dans le
contrat en question. Son droit sur le revenu tiré
de ces biens lui vient des textes législatifs régis-
sant l'administration des biens communs et non
pas d'une clause de réserve dans le contrat de
mariage. Par ailleurs, le mari ne pouvait ni se
remettre en possession d'un intérêt absolu dans
les biens de la communauté d'acquêts ni récupé-
rer cet intérêt.
Le Ministre invoque en outre les articles
3(2)a) (maintenant S.R.C. 1970, c. E-9, art.
3(4)a)) et 58(1)i) (maintenant S.R.C. 1970, c.
E-9, art. 62(1)0), qui portent que:
3. (2) Aux fins du présent article,
a) une personne est réputée avoir été habile à disposer de
biens, si elle possédait un intérêt ou un droit dans ceux-ci,
ou tel pouvoir général qui, si elle avait été sui juris, l'aurait
rendue habile à en disposer;
58. (1) Dans la présente loi,
i) «pouvoir général» comprend toute faculté ou autorisa-
tion permettant au donataire ou autre détenteur de biens
de les distribuer ou approprier ou d'en disposer selon qu'il
le juge opportun, qu'elle puisse s'exercer par un acte entre
vifs ou par testament, ou les deux, mais ne comprend pas
un pouvoir susceptible d'être exercé à titre fiduciaire en
vertu d'une disposition qu'il n'a pas faite lui-même, ou
susceptible d'être exercé par une personne en qualité de
créancier hypothécaire;
Il souligne le fait que dans la définition que
donne de l'expression «pouvoir général» l'arti-
cle 58(1)i), il est question d'un pouvoir qui peut
s'exercer soit par acte entre vifs soit par testa
ment. Or, selon lui, le de cujus détenait, de son
vivant, un pouvoir général de disposer des biens
de la communauté d'acquêts, sous réserve
cependant du concours de sa femme dans les
cas où l'article 1292 du Code civil (précité)
l'exigeait. A mon sens, toutefois, le droit que
possédait assurément le mari de son vivant, de
disposer des biens de la communauté d'acquêts
ne lui venait pas d'un pouvoir général au sens de
l'article 58(1)i), mais plutôt du fait qu'il avait
«un intérêt ou un droit dans ceux-ci» lui permet-
tant d'en disposer quoique uniquement par acte
entre vifs et, dans certains cas, avec le concours
de son épouse, conformément à l'article 3(2)a).
J'estime en outre que s'il pouvait de son vivant
disposer de ces biens, il lui était toutefois inter-
dit de s'en approprier ainsi le capital pour son
propre usage; il était donc tenu envers la com-
munauté d'acquêts de toute aliénation de ce
genre. De plus, l'article 3(2)e) commence par les
mots «nonobstant toute disposition du présent
article», et crée par conséquent une exception
non seulement à l'égard des mots «habile à
disposer» figurant à l'article 3(1)a), mais aussi à
l'égard de l'article 3(2)a).
La jurisprudence à laquelle on m'a renvoyé
n'est pas d'un très grand secours, car cette
question précise ne semble jamais avoir été
soulevée auparavant; il est peut-être possible,
toutefois, d'établir certaines analogies avec les
arrêts cités dans d'autres contextes. Dans l'arrêt
Sura (précité), la Cour suprême a refusé d'ad-
mettre la répartition entre le mari et la femme,
aux fins de l'impôt sur le revenu, du revenu tiré
de biens communs; mais elle s'est contentée de
dire que, bien que les époux aient été de leur
vivant copropriétaires des biens communs, le
mari en avait l'administration et le revenu qui en
provenait devait figurer à sa déclaration d'im-
pôt, l'impôt frappant la personne et non les
biens, et que la personne assujettie à l'impôt est
celle qui jouit du revenu de façon absolue et
sans aucune restriction à sa liberté d'en disposer
à sa guise. Les arrêts La succession Wilson c.
M.R.N. 66 DTC 5430; M.R.N. c. La succession
Maine 64 DTC 5128; et La succession Hickson
c. M.R.N. 64 DTC 5230 concernent tous l'inter-
prétation de testaments et la question de l'exis-
tence d'un pouvoir général de disposer en vertu
de ces testaments. Peut-être pourrait-on établir
une analogie avec l'affaire de la Succession
Maine, où il s'agissait d'un testament par lequel
le revenu de la succession du mari était légué à
l'épouse et, à la mort de celle-ci, aux enfants et
aux petits-enfants, les fiduciaires étant [TRA-
DUCTION] «autorisés» à verser à l'épouse les
sommes que celle-ci pourrait «exiger ou deman-
der». Selon l'avocat du Ministre, pour savoir si
l'épouse était habile à disposer de ces biens, on
n'avait qu'à se demander si, le lendemain de la
mort de son mari, elle aurait pu dire: [TRADUC-
TION] «Je veux tous ces biens». Si elle pouvait
obtenir qu'on fasse droit à cette exigence, il
fallait la considérer habile à disposer de ces
biens. Le président Jackett, aujourd'hui juge en
chef, a souscrit à cette thèse. Dans la présente
affaire, il faudrait se demander si le mari pou-
vait, de son vivant, disposer de tous les biens de
la communauté d'acquêts. Or, il faudrait répon-
dre à cela qu'il aurait pu disposer d'une partie
des biens mais qu'il n'aurait pu ni en disposer à
titre gratuit sans le concours de sa femme, ni en
disposer par testament, ni disposer des biens
immeubles sans le concours de sa femme. Le
juge Thurlow a examiné une question assez
semblable dans l'affaire Succession Conway c.
M.R.N. 65 DTC 5169, qui portait sur un compte
de banque conjoint. Il a jugé que le mari aurait
pu de son vivant disposer du contenu de ce
compte, mais qu'il aurait dans ce cas été tenu de
la part revenant à sa femme; qu'il n'avait donc
pas le droit de retirer la totalité du solde, soit
pour se l'approprier, soit pour en disposer sans
le consentement de son épouse; qu'il n'était
donc pas habile à disposer de ce bien au sens
des articles 3(1)a) et 3(2)a) de la Loi de l'impôt
sur les biens transmis par décès. Le jugement
porte qu'en l'absence de preuve contraire, la
moitié du compte est censée avoir appartenu à
l'épouse et qu'il n'y a donc pas lieu de l'inclure
dans la succession du mari. Les circonstances
de cette espèce sont manifestement assez diffé-
rentes de celles de la présente affaire, car
l'épouse aurait elle aussi pu disposer du compte
de banque du vivant de son mari, alors que dans
la présente affaire, seul le mari aurait pu dispo-
ser des biens de la communauté; de surcroît, on
a présumé, en l'absence de preuve contraire,
que chaque conjoint était propriétaire pour
moitié du compte de banque, alors que dans la
présente affaire, bien que les conjoints aient été
copropriétaires des acquêts communs, ils n'en
étaient pas nécessairement propriétaires à parts
égales. En fait, l'un ou l'autre des conjoints
pouvait être propriétaire de la totalité des biens
communs, étant donné l'existence de la clause
selon laquelle le conjoint prémourant perdait
tout droit à une partie quelconque de la commu-
nauté, la part du conjoint survivant englobant
dès lors la totalité de ces biens communs.
Il se peut que le législateur n'ait jamais eu
l'intention d'exonérer totalement d'impôt les
biens transmis de cette façon par suite de la
constitution d'une communauté d'acquêts; mais
une loi fiscale est d'interprétation stricte et en
l'absence d'un texte autorisant expressément le
prélèvement de l'impôt réclamé par le fisc, la
Cour ne saurait présumer la validité d'une telle
imposition. Dans la présente affaire, le Ministre
doit justifier l'imposition de la moitié des biens
constituant la communauté d'acquêts alors que
le conjoint survivant devenait manifestement
propriétaire de tous ces biens communs rétroac-
tivement à la date du contrat de mariage. Si l'on
admet qu'il - était nécessaire d'insérer dans la loi
l'article 3(2)e) pour empêcher l'assujettissement
à l'impôt successoral de la totalité des biens
d'une communauté légale, quel serait l'effet de
cet article sur une communauté conventionnelle
prévoyant des parts inégales, par exemple 75%
à la femme au cas de prédécès du mari? Il
faudrait alors dire, me semble-t-il, que cette part
étant la «part du conjoint du de cujus» dans la
communauté de biens qui existait entre elle et
son conjoint immédiatement avant le décès de
celui-ci, elle ne tombe pas dans la succession du
mari. N'en va-t-il pas de même dans le cas
présent, où la «part» englobe la «totalité de la
communauté»? Le législateur emploie à l'article
3(2)e) les mots «une communauté», dont la
portée est assez large pour couvrir non seule-
ment la communauté légale, mais aussi toute
forme de communauté conventionnelle, y com-
pris la communauté d'acquêts dont il est ici
question. Avant le décès de l'époux prémourant,
l'un et l'autre conjoint pouvaient soit prendre
part à la communauté pour le tout, soit n'y
prendre aucune part, selon celui des deux qui
prédécédait; mais dès lors que l'un d'eux prédé-
cédait, la part du survivant englobait la totalité
de la communauté, rétroactivement à la date du
contrat de mariage; et cette part était censée lui
avoir toujours appartenu, puisque cette attribu
tion n'était soumise qu'à une condition résolu
toire, qu'elle n'a pas fait intervenir, et non pas à
une condition suspensive qui en aurait retardé
l'effet jusqu'au décès du de cujus (voir
Mignault, vol. 6, page 337 (précité)).
Si l'on interprète strictement l'article 3(2)e) de
la loi, il semble que ce texte a pour effet d'ex-
clure de la succession du de cujus la masse des
acquêts communs, quoique ce résultat n'ait
peut-être pas été prévu ou désiré par le
législateur.
Le jugement de la Commission d'appel de
l'impôt dont on fait appel est assez confus. On y
étudie la question comme si c'était la part de
communauté du conjoint survivant (part que
l'on présume être une moitié) que le Ministre
cherche à imposer, alors que, bien entendu,
c'est la part du défunt (que le Ministre présume
être la moitié de la communauté) qui est impo
sée. Quoiqu'il en soit, étant donné que l'appel
interjeté de la cotisation du Ministre, portant sur
la moitié des biens de la communauté d'acquêts,
a été accueilli, je rejette l'appel du Ministre avec
dépens. Je me fonde toutefois sur des motifs
différents, ayant jugé qu'il y a lieu d'exclure de
la succession du défunt, aux fins de l'impôt sur
les biens transmis par décès, la totalité des biens
de la communauté d'acquêts.
Les articles en question portent que:
1389a. Lorsque les époux stipulent qu'il n'y aura entre
eux qu'une communauté d'acquêts, ils sont censés exclure
de la communauté tous leurs biens et dettes existant à
l'époque du mariage ainsi que ceux qui leur adviennent plus
tard à titre de propres. En ce cas et après que chacun des
époux a prélevé ses apports dûment justifiés, le partage se
borne aux acquêts faits par la communauté.
1389b. Les biens meubles existant lors du mariage ou
échus depuis, sont réputés acquêts, sauf preuve contraire
par inventaire ou autre titre équivalent, et, quant aux époux
entre eux, conformément aux règles des articles 1387 et
1389.
Quant aux dettes, elles sont régies par les règles des
articles 1396 à 1399.
2 Code civil du Québec, texte de l'article 1292 postérieur
aux modifications de 1964 et antérieur à celles de 1969.
Tel était le texte de l'article 1292 du Code civil du
Québec avant la modification de 1969:
1292. Le mari administre seul les biens de la
communauté.
Il ne peut, sans le concours de sa femme, vendre, aliéner
ou hypothéquer les immeubles de la communauté mais il
peut, sans ce concours, vendre, aliéner ou nantir les biens
meubles autres que les fonds de commerce et les meubles
meublants affectés à l'usage du ménage.
Sauf les dispositions de la Loi de l'assurance des maris et
des parents, le mari ne peut, sans le concours de sa femme,
disposer entre vifs à titre gratuit des biens de la commu-
nauté excepté des sommes modiques et les présents d'usage.
4 Avant la modification apportée en 1964 à l'article 1292
du Code civil, les pouvoirs du mari étaient plus larges. Il
pouvait en effet, sans le concours de sa femme, disposer des
biens meubles et immeubles de la communauté, sauf qu'il ne
pouvait, sans ce concours, disposer entre vifs à titre gratuit
des immeubles de la communauté, ni de l'universalité ou
d'une quotité du mobilier, si ce n'est pour l'établissement
des enfants communs. Aucune modification n'a été apportée
à l'article 3(1)a) de la Loi de l'impôt sur les biens transmis
par décès à la suite de la modification apportée en 1964 à
l'article 1292 du Code civil; il n'y a pas lieu de trancher ici la
question de savoir si, à la suite de cette modification, les
pouvoirs d'aliénation du mari avaient été restreints à un
point tel qu'il ne pouvait plus être considéré comme »habile
à disposer» de ces biens, au sens de l'article 3(1)a).
5 On notera que la Loi de l'impôt sur les biens transmis
par décès de 1958, 7 Eliz. II, c. 29, où figuraient les mots
«un intérêt dans ces biens», a été modifiée en 1964 par 13
Eliz. II, c. 8, art. 1(1) et que ce texte se lit aujourd'hui ainsi:
«un intérêt dans ces biens . . , ou tout revenu en prove-
nant». Il faut supposer que le législateur avait une raison
précise pour apporter cette modification; les mots qu'il a
ajoutés semblent donner à l'article en question une portée
plus large.
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