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Le ministre du Revenu national (Appelant) c.
Dame Lucie Simon et le Trust Général du Canada, exécuteurs testamentaires de François Faure (Intimés)
Division de _première instance, le juge Walsh— Montréal, le 14 décembre 1972; Ottawa, le 7 mai 1973.
Impôt sur les biens transmis par décès—Communauté de biens (Québec)—Contrat de mariage portant que la totalité de la communauté appartiendra au conjoint survivant—La moitié de la communauté est-elle cotisable à l'impôt sur les biens transmis par décès—Loi de l'impôt sur les biens trans- mis par décès, S.R.C. 1970, c. E-9, art. 3(1)a) et art. 3(2)e).
Lors de son décès en 1966, F était domicilié au Québec. Le contrat de mariage des époux F, ceux-ci avaient adopté le régime de la communauté d'acquêts, portait que la totalité de la communauté appartiendrait au survivant, qu'il y ait ou non des enfants ou descendants issus de leur mariage.
Arrêt: interprété strictement, l'article 3(2)e) de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès a pour effet d'ex- clure de la succession de F la totalité de la communauté d'acquêts.
APPEL d'une décision de la Commission d'ap- pel de l'impôt.
AVOCATS:
Louise Lamarre-Proulx et Alban Garon, c.r., pour l'appelant.
J. Lambert Toupin pour les intimés. PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelant.
Martineau, Walker, Allison, Beaulieu, Phelan et MacKell, Montréal, pour les intimés.
LE JUGE WALSH—Appel est interjeté d'une décision de la Commission d'appel de l'impôt en date du 16 avril 1971 faisant droit à l'appel interjeté par les intimés à la présente instance d'une cotisation établie par le ministre du Revenu national en date du 31 janvier 1968; dans cette cotisation, le Ministre a levé un impôt de $59,485.84 sur les biens transmis au décès de François Faure, survenu le 5 août 1966. Aux termes de son testament, fait en forme notariée
le 27 juin 1966, François Faure a nommé sa femme, Dame Lucie Simon, et le Trust Général du Canada ses exécuteurs testamentaires. Avant leur mariage, François Faure et Lucie Simon avaient fait en Belgique, le 4 juillet 1911, un contrat de mariage en forme notariée aux termes duquel ils avaient adopté le régime matrimonial de la communauté d'acquêts, con- formément aux articles 1498 et 1499 du Code civil belge. Par une rectification apportée lors de l'audience à leur défense, les intimés ont reconnu que ces articles sont analogues aux articles 1389a et 1389b du Code civil de la province de Québec' ; les intimés reconnaissent en outre que François Faure et sa femme étaient domiciliés au Québec au moment du décès du de cujus et que c'est que la succession s'est ouverte.
L'article 3 du contrat de mariage susdit porte que:
Les futurs époux stipulent à titre de convention de mariage que la totalité de la communauté appartiendra, en pleine propriété, au survivant des époux et ce, qu'il y ait ou non des enfants ou descendants issus de ce mariage.
Les intimés se fondent sur cette disposition pour exclure tous les acquêts communs du calcul de la valeur des biens transmis au décès du de cujus, alors que l'appelant, dans sa cotisa- tion, fait entrer dans la succession du défunt sa moitié des acquêts communs. Un avis d'opposi- tion a été signifié au Ministre, qui a par la suite ratifié la cotisation. Les intimés à la présente instance ont toutefois interjeté appel devant la Commission d'appel de l'impôt, qui leur a donné raison.
L'appelant fait valoir que sous le régime matrimonial de la communauté d'acquêts, comme d'ailleurs sous le régime de la commu- nauté légale, les époux sont copropriétaires des biens de la communauté tant que celle-ci n'est pas dissoute par le décès de l'un des époux ou pour une autre cause. De plus, soutient-il, l'arti- cle 3 du contrat de mariage (précité) ne vise pas le cas du partage de la communauté du vivant des époux; or, si la communauté avait effective- ment été partagée du vivant des époux, ce par- tage se serait fait par moitié. D'après l'argumen- tation de l'appelant, l'attribution, par l'article 3, de tous les biens constituant la communauté
d'acquêts au conjoint survivant n'est valable qu'à compter du décès de l'un des conjoints; de son vivant, un conjoint pouvait à tout moment aliéner la moitié de l'actif de la communauté d'acquêts, au sens des articles 3(1)a) et 3(2)e) de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès, S.C. 1958, c. 29, [maintenant S.R.C. 1970, c. E-9], qui portent que:
3. (1) Dans le calcul de la valeur globale nette des biens transmis au décès d'une personne, on doit inclure la valeur de tous les biens, quelle qu'en soit la situation, transmis au décès de cette personne, y compris, sans restreindre la généralité de ce qui précède,
a) tous les biens dont le de cujus, immédiatement avant son décès, était habile à disposer;
(2) Aux fins du présent article,
e) nonobstant toute disposition du présent article, l'ex- pression «biens dont le de cujus, immédiatement avant son décès, était habile à disposer», apparaissant à l'alinéa a) du paragraphe (1), ne comprend pas la part du conjoint du de cujus dans une communauté de biens qui existait. entre le de cujus et ce conjoint immédiatement avant son décès.
En conséquence, l'appelant soutient que la moitié de l'actif de la communauté d'acquêts appartenait au défunt et a été transmise à sa veuve à son décès et qu'il y a lieu de faire entrer cette moitié dans la masse des biens transmis. La valeur totale des acquêts communs, à la date du décès de François Faure, était de $638,- 620.50. L'appelant a donc ajouté la somme de $319,310.25 à la valeur déclarée de la succes sion. Les autres majorations apportées par l'ap- pelant dans sa cotisation ne sont pas contestées.
Les intimés soulignent pour leur part que le contrat de mariage, en plus d'établir une com- munauté d'acquêts, dispose quant au partage de cette communauté; cette disposition est sanc- tionnée par l'article 1525 du Code civil belge et par l'article 1411 du Code civil du Québec, dont les textes sont à toutes fins pratiques analogues. L'article 1411 du Code civil du Québec porte que:
Lorsque les époux stipulent que la totalité de la commu- nauté appartiendra au survivant ou à l'un d'eux seulement, les héritiers de l'autre ont droit de faire reprise des apports tombés dans la communauté du chef de leur auteur.
Cette stipulation n'est qu'une convention de mariage et non une donation sujette aux règles et formalités applicables à cette espèce d'acte.
A la date du décès de François Faure, en 1966, cet article se trouvait au paragraphe (6) de la section II du Code civil. L'intitulé de la section II était le suivant:
SECTION II
DE LA COMMUNAUTÉ CONVENTIONNELLE ET DES CONDITIONS LES PLUS ORDINAIRES QUI PEUVENT MODIFIER OU MÊME EXCLURE LA COMMUNAUTÉ LÉGALE.
L'intitulé du paragraphe (6) était le suivant:
Des clauses par lesquelles on assigne à chacun des époux des parts inégales dans la communauté.
En se fondant sur l'article précité du Code civil, les intimés soutiennent que l'article 3 du contrat de mariage (précité) ne constitue pas une dona tion faite par un conjoint à l'autre, car il porte simplement, selon eux, qu'au décès d'un con joint l'autre sera censé avoir toujours été pro- priétaire de tous les biens de la communauté d'acquêts. Si l'on accepte cet argument, l'article 3(2)e) de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès (précité) a pour effet de soustraire de l'actif de la succession tous les biens de la communauté d'acquêts; en effet, dans un tel cas, aucun de ces acquêts communs ne consti- tuerait un «bien dont le de cujus, immédiate- ment avant son décès, était habile à disposer». La part du conjoint survivant dans la commu- nauté d'acquêts est en fait constituée de la tota- lité des acquêts communs, dont aucun ne tombe dans la succession du défunt.
Pendant le mariage, le mari avait le droit d'administrer les biens de la communauté; en 1966, à l'ouverture de la présente succession, il avait en outre le droit d'aliéner les biens meu- bles de la communauté sans le concours de sa femme, mais il ne pouvait, sans le consentement de celle-ci, disposer des biens immeubles de la communauté ni disposer entre vifs à titre gratuit des biens meubles de la communauté, si ce n'est de sommes modiques et de présents d'usage? En outre, les parties sont convenues qu'en l'es- pèce, les dispositions du contrat de mariage interdisaient au défunt de léguer un bien de la communauté. Il ressort clairement de certains paragraphes du testament du défunt que les deux conjoints comprenaient parfaitement le
sens des dispositions du contrat de mariage aux termes desquelles la totalité de la communauté d'acquêts devait appartenir en pleine propriété au conjoint survivant. En effet, les paragraphes 3 et 4 dudit testament portent que:
TROISIÈMEMENT: Je déclare ne m'être marié qu'une fois, savoir, à DAME LUCIE SIMON, sous le régime de la commu- nauté d'acquêts, suivant les dispositions de notre Contrat de Mariage reçu devant Me HILAIRE GROENSTEEN, notaire, à Laeken-Bruxelles, en Belgique, le quatre juillet mil neuf cent onze (1911) aux termes duquel il est stipulé que les apports des époux seront exclus de la communauté, et que la totalité de la communauté appartiendra en pleine propriété au survivant des époux, qu'il y ait ou non des enfants ou descendants issus du mariage.
QUATRIÈMEMENT: Au cas ma dite épouse me survivrait, ce qui donnerait effet en sa faveur aux dispositions de notre dit Contrat de Mariage attribuant la totalité de ladite com- munauté au survivant tel que ci-dessus mentionné, je donne et lègue tous les biens, tant meubles qu'immeubles, de quelque nature et en quelque endroit qu'ils soient situés, m'appartenant en propre et ne formant pas partie de ladite communauté, à mes dits Exécuteurs Testamentaires et léga- taires fiduciaires et/ou à ceux pouvant les remplacer en telle charge, mais en fiducie seulement et à la charge par eux de les payer et remettre selon les dispositions suivantes, savoir:
Il est manifeste que le de cujus faisait bien la distinction entre ses biens propres et les biens relevant de la communauté d'acquêts.
Dans ses observations sur l'article 1411 du Code civil, à la page 255 de son Traité théorique et pratique de la communauté de biens, le notaire Roger Comtois cite le glossateur fran- çais Troplong qui, commentant l'article 1525 du Code Napoléon, dont le texte est analogue à celui de l'article 1411, fait à la page 2173 du volume XXIII l'observation suivante:
Ce pacte n'est pas considéré comme une donation. C'est une convention autorisée par le droit commun ... une convention entre associés.
Troplong ajoute que le conjoint survivant est censé avoir été propriétaire, ab initio, dès le moment des acquisitions. A cet égard, la com- munauté est véritablement considérée comme une société. A la suite du partage, le conjoint survivant, comme un associé, est, à cause de l'effet déclaratif du partage, censé avoir été titulaire des biens entrés dans la communauté, depuis la date de leur achat. Comtois estime cette explication valable, mais il précise à la
page 257 que cette clause, pour constituer une convention matrimoniale et non une donation, doit avoir un caractère onéreux et aléatoire; c'est bien le cas en l'espèce, car chacune des parties fait la même stipulation au profit de l'autre. A la page 258, il relève une incidence fiscale découlant de cette situation: ces biens ne feront l'objet d'aucune imposition, du fait que les conventions matrimoniales comme telles, à l'exclusion de toute libéralité, ne sont pas sujet- tes à l'impôt sur les successions. Il invoque sur ce point le traité d'Eugène Rivard intitulé Les droits sur les successions dans la Province de Québec, à la page 92.
Dans un article figurant au volume 4 de la Revue légale (n.s.), le notaire Sirois est arrivé à la même conclusion. A la page 520, il constate en effet:
Ainsi, lorsque, par leur contrat de mariage fait en vertu des articles 1406 et suivants du Code civil, les époux stipulent que la totalité ou une part plus forte que la moitié, ... dans les biens dépendant de la communauté appartiendra au survivant ... c'est une simple convention de mariage qui ne donne lieu à aucun droit.
Feu le juge en chef P.B. Mignault a de même exprimé l'avis, dans son traité de Droit civil canadien, vol. 6, page 385, qu'une clause de ce genre dans un contrat de mariage n'est pas une donation mais un contrat à titre onéreux. Plus récemment, Léon Faribault, dans le vol. 10 du Traité de droit civil du Québec, page 401, a exprimé le même avis.
Toutefois, les commentateurs français Planiol et Ripert font observer à propos de l'article 1525 du Code Napoléon, à la page 272, qu'étant donné que la convention d'attribution totale de communauté n'a d'effet et ne bénéficie au con joint survivant que si l'un des conjoints survit effectivement à l'autre, elle devient ce qu'ils appellent un gain de survie. Ils ajoutent qu'une convention de ce genre ne produit d'effets que lors de la dissolution de la communauté par le décès d'une des parties et qu'en conséquence, elle ne saurait avoir pour effet de porter atteinte aux pouvoirs du mari sur la communauté, ni à ceux de la femme.
A la lumière de cette doctrine, il semble indis- cutable qu'une clause telle que celle du présent contrat de mariage, attribuant la totalité des acquêts communs au conjoint survivant, n'est
pas une donation mais a pour effet d'attribuer au survivant la totalité de la communauté rétroactivement à la date du contrat de mariage, sous réserve, bien sûr, du droit des héritiers du défunt de faire reprise des apports tombés dans la communauté du chef de leur auteur. Pendant le mariage, toutefois, les parties restent copro- priétaires des biens constituant la communauté d'acquêts et il est impossible d'affirmer, du vivant des deux conjoints, que l'un d'eux est propriétaire de tous ces acquêts communs. Voici d'ailleurs en quels termes Mignault s'est exprimé à propos de la communauté légale, à la page 337 du volume 6 de son traité:
La femme qui renonce perd tout espèce de droit sur les biens de la communauté. Perd: car elle avait pendant le mariage des droits sur les biens de la communauté. Elle était copropriétaire avec le mari, non pas sous la condition sus- pensive de son acceptation, mais sous la condition résolu- toire de sa renonciation. Si elle accepte, le droit résoluble qu'elle avait devient irrévocable; si elle renonce, il est résolu rétroactivement, et le mari est réputé avoir toujours été seul propriétaire des biens qui composaient la communauté.
La Cour suprême du Canada a sanctionné cette doctrine dans l'arrêt Sura c. M.R.N. [1962] C.T.C. 1 le juge Taschereau a déclaré, à la page 8:
S'il en était autrement, et si la femme n'était pas copro- priétaire des biens communs, elle aurait à payer, lors de la dissolution de la communauté, des droits de succession, car il s'agirait alors d'une transmission de biens lui venant de son mari. Mais, il n'en est pas ainsi, car il n'y a pas de transmission mais un partage, elle prend la part qui lui revient et qui lui appartient depuis le mariage. Ce qu'elle reçoit ne provient pas du patrimoine de son époux.
Il est vrai qu'il s'agissait d'une affaire d'impôt sur le revenu, dans laquelle l'épouse, mariée sous le régime de la communauté légale, ne prenait part que pour moitié à cette commu- nauté; il reste que ces observations sont parfai- tement applicables à la présente espèce, où, au décès d'un conjoint, le survivant acquiert, à titre rétroactif, la propriété de tous les biens com- muns, dont il n'avait eu que la copropriété pen dant le mariage. Dans ces conditions, on est tout à fait justifié de prétendre que les biens consti- tuant cette communauté d'acquêts ne sont assu- jettis à aucun impôt successoral en vertu de la Loi des droits sur les successions du Québec,
qui frappe de certains droits les biens transmis par décès; effectivement, en l'espèce, les biens en question n'ont été frappés d'aucun impôt successoral en vertu de cette loi.
Toutefois, cela ne suffit pas nécessairement à trancher la question. L'assiette de l'impôt établi par la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès n'est pas la même; cette loi frappe d'un impôt la valeur globale des biens transmis au décès. C'est précisément le texte de cette loi qu'il s'agit d'interpréter pour établir les modali- tés de son application aux circonstances de l'espèce.
Il est établi qu'en l'espèce, le mari n'était fondé qu'à administrer l'ensemble des biens communs et à vendre les meubles communs, ne pouvant sans le concours de sa femme disposer entre vifs des autres biens de la communauté d'acquêts (si ce n'est de sommes modiques et de présents d'usage) 3 . Au décès du mari, l'épouse avait donc droit au reliquat de la communauté d'acquêts, c'est-à-dire à ce qui n'avait pas fait l'objet d'une aliénation du vivant du mari. Dans un cas de communauté légale de type courant, le mari aurait été assujetti aux mêmes res trictions quant à l'aliénation, de son vivant, des biens communs, tous les biens tombant dans la communauté au décès du mari auraient pu entrer dans le calcul de la valeur globale nette des biens transmis à son décès, conformément à l'article 3(1)a) de la loi (précité) 4 . L'article 3(2)e) (précité) prévoit cependant une exception desti née à contourner une sérieuse difficulté dans le cas des successions s'ouvrant dans la province de Québec: en l'absence de ce texte, l'épouse survivante, tout en étant censée avoir toujours été propriétaire de la moitié des biens communs, aurait néanmoins été tenue de payer l'impôt sur l'ensemble des biens communs s'il était apparu que le mari était habile à disposer des biens communs pendant le mariage, au sens de l'arti- cle 3(1)a) susdit. L'article 3(2)e) exclut du champ d'application des mots «biens dont le de cujus, immédiatement avant son décès, était habile à disposer» «la part du conjoint du de cujus dans une communauté de biens qui exis- tait entre le de cujus et ce conjoint immédiate- ment avant son décès». Les intimés soutiennent que cette exclusion ne vise pas seulement le cas
de la communauté légale, mais aussi la commu- nauté d'acquêts, le législateur ayant utilisé les mots «une communauté»; or, poursuivent-ils, en l'espèce la part de l'épouse du de cujus compre- nait la totalité de la communauté d'acquêts et il y a donc lieu d'exclure entièrement cette com- munauté de l'actif successoral.
Pour sa part, le Ministre s'arrête aux premiers mots de l'article 3(1), qui ont pour objet de faire entrer dans le calcul de la valeur globale nette des biens transmis au décès d'une personne la valeur de la masse entière de ces biens, y com- pris, «sans restreindre la généralité de ce qui précède», les diverses catégories de biens énu- mérées plus bas, notamment celle visée par l'ali- néa a). Par conséquent, fait-il valoir, les biens assujettis à l'impôt ne se limitent pas aux biens dont le de cujus, immédiatement avant son décès, était habile à disposer au sens de l'article 3(1)a), tel que le précise l'article 3(2)e), ces biens ne constituant que l'une des catégories de biens à faire entrer dans cette masse imposable. Il affirme, par exemple, que l'on pourrait appli- quer à l'espèce l'article 3(1)e), lequel porte que:
3. (1) Dans le calcul de la valeur globale nette des biens transmis au décès d'une personne, on doit inclure la valeur de tous les biens, quelle qu'en soit la situation, transmis au décès de cette personne, y compris, sans restreindre la généralité de ce qui précède,
e) les biens compris dans une constitution, quelle que soit l'époque elle a été faite, par acte ou tout autre instru ment ne prenant pas effet comme testament, en vertu de laquelle un intérêt dans ces biens pour la durée de la vie ou une autre période déterminable par rapport au décès, ou tout revenu en provenant, est réservé expressément ou implicitement au défunt en qualité de disposant, ou en vertu de laquelle le défunt s'est réservé le droit, par l'exercice d'un pouvoir quelconque, de se remettre en possession de l'intérêt absolu dans ces biens ou de récupé- rer cet intérêt ; 5
puisque malgré la constitution par le contrat de mariage d'une communauté d'acquêts, le mari conservait à l'égard de ces biens un intérêt lui permettant de les aliéner de son vivant et de participer à la jouissance du revenu qui en pro- venait. A mon sens, toutefois, et bien que la portée de cet article puisse être assez large pour s'étendre à un contrat de mariage, on ne saurait dire que l'intérêt du mari à l'égard du revenu tiré, de son vivant, des acquêts communs ait fait l'objet d'une réserve, même implicite, dans le
contrat en question. Son droit sur le revenu tiré de ces biens lui vient des textes législatifs régis- sant l'administration des biens communs et non pas d'une clause de réserve dans le contrat de mariage. Par ailleurs, le mari ne pouvait ni se remettre en possession d'un intérêt absolu dans les biens de la communauté d'acquêts ni récupé- rer cet intérêt.
Le Ministre invoque en outre les articles 3(2)a) (maintenant S.R.C. 1970, c. E-9, art. 3(4)a)) et 58(1)i) (maintenant S.R.C. 1970, c. E-9, art. 62(1)0), qui portent que:
3. (2) Aux fins du présent article,
a) une personne est réputée avoir été habile à disposer de biens, si elle possédait un intérêt ou un droit dans ceux-ci, ou tel pouvoir général qui, si elle avait été sui juris, l'aurait rendue habile à en disposer;
58. (1) Dans la présente loi,
i) «pouvoir général» comprend toute faculté ou autorisa- tion permettant au donataire ou autre détenteur de biens de les distribuer ou approprier ou d'en disposer selon qu'il le juge opportun, qu'elle puisse s'exercer par un acte entre vifs ou par testament, ou les deux, mais ne comprend pas un pouvoir susceptible d'être exercé à titre fiduciaire en vertu d'une disposition qu'il n'a pas faite lui-même, ou susceptible d'être exercé par une personne en qualité de créancier hypothécaire;
Il souligne le fait que dans la définition que donne de l'expression «pouvoir général» l'arti- cle 58(1)i), il est question d'un pouvoir qui peut s'exercer soit par acte entre vifs soit par testa ment. Or, selon lui, le de cujus détenait, de son vivant, un pouvoir général de disposer des biens de la communauté d'acquêts, sous réserve cependant du concours de sa femme dans les cas l'article 1292 du Code civil (précité) l'exigeait. A mon sens, toutefois, le droit que possédait assurément le mari de son vivant, de disposer des biens de la communauté d'acquêts ne lui venait pas d'un pouvoir général au sens de l'article 58(1)i), mais plutôt du fait qu'il avait «un intérêt ou un droit dans ceux-ci» lui permet- tant d'en disposer quoique uniquement par acte entre vifs et, dans certains cas, avec le concours de son épouse, conformément à l'article 3(2)a). J'estime en outre que s'il pouvait de son vivant disposer de ces biens, il lui était toutefois inter- dit de s'en approprier ainsi le capital pour son propre usage; il était donc tenu envers la com-
munauté d'acquêts de toute aliénation de ce genre. De plus, l'article 3(2)e) commence par les mots «nonobstant toute disposition du présent article», et crée par conséquent une exception non seulement à l'égard des mots «habile à disposer» figurant à l'article 3(1)a), mais aussi à l'égard de l'article 3(2)a).
La jurisprudence à laquelle on m'a renvoyé n'est pas d'un très grand secours, car cette question précise ne semble jamais avoir été soulevée auparavant; il est peut-être possible, toutefois, d'établir certaines analogies avec les arrêts cités dans d'autres contextes. Dans l'arrêt Sura (précité), la Cour suprême a refusé d'ad- mettre la répartition entre le mari et la femme, aux fins de l'impôt sur le revenu, du revenu tiré de biens communs; mais elle s'est contentée de dire que, bien que les époux aient été de leur vivant copropriétaires des biens communs, le mari en avait l'administration et le revenu qui en provenait devait figurer à sa déclaration d'im- pôt, l'impôt frappant la personne et non les biens, et que la personne assujettie à l'impôt est celle qui jouit du revenu de façon absolue et sans aucune restriction à sa liberté d'en disposer à sa guise. Les arrêts La succession Wilson c. M.R.N. 66 DTC 5430; M.R.N. c. La succession Maine 64 DTC 5128; et La succession Hickson c. M.R.N. 64 DTC 5230 concernent tous l'inter- prétation de testaments et la question de l'exis- tence d'un pouvoir général de disposer en vertu de ces testaments. Peut-être pourrait-on établir une analogie avec l'affaire de la Succession Maine, il s'agissait d'un testament par lequel le revenu de la succession du mari était légué à l'épouse et, à la mort de celle-ci, aux enfants et aux petits-enfants, les fiduciaires étant [TRA- DUCTION] «autorisés» à verser à l'épouse les sommes que celle-ci pourrait «exiger ou deman- der». Selon l'avocat du Ministre, pour savoir si l'épouse était habile à disposer de ces biens, on n'avait qu'à se demander si, le lendemain de la mort de son mari, elle aurait pu dire: [TRADUC- TION] «Je veux tous ces biens». Si elle pouvait obtenir qu'on fasse droit à cette exigence, il fallait la considérer habile à disposer de ces biens. Le président Jackett, aujourd'hui juge en chef, a souscrit à cette thèse. Dans la présente affaire, il faudrait se demander si le mari pou- vait, de son vivant, disposer de tous les biens de
la communauté d'acquêts. Or, il faudrait répon- dre à cela qu'il aurait pu disposer d'une partie des biens mais qu'il n'aurait pu ni en disposer à titre gratuit sans le concours de sa femme, ni en disposer par testament, ni disposer des biens immeubles sans le concours de sa femme. Le juge Thurlow a examiné une question assez semblable dans l'affaire Succession Conway c. M.R.N. 65 DTC 5169, qui portait sur un compte de banque conjoint. Il a jugé que le mari aurait pu de son vivant disposer du contenu de ce compte, mais qu'il aurait dans ce cas été tenu de la part revenant à sa femme; qu'il n'avait donc pas le droit de retirer la totalité du solde, soit pour se l'approprier, soit pour en disposer sans le consentement de son épouse; qu'il n'était donc pas habile à disposer de ce bien au sens des articles 3(1)a) et 3(2)a) de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès. Le jugement porte qu'en l'absence de preuve contraire, la moitié du compte est censée avoir appartenu à l'épouse et qu'il n'y a donc pas lieu de l'inclure dans la succession du mari. Les circonstances de cette espèce sont manifestement assez diffé- rentes de celles de la présente affaire, car l'épouse aurait elle aussi pu disposer du compte de banque du vivant de son mari, alors que dans la présente affaire, seul le mari aurait pu dispo- ser des biens de la communauté; de surcroît, on a présumé, en l'absence de preuve contraire, que chaque conjoint était propriétaire pour moitié du compte de banque, alors que dans la présente affaire, bien que les conjoints aient été copropriétaires des acquêts communs, ils n'en étaient pas nécessairement propriétaires à parts égales. En fait, l'un ou l'autre des conjoints pouvait être propriétaire de la totalité des biens communs, étant donné l'existence de la clause selon laquelle le conjoint prémourant perdait tout droit à une partie quelconque de la commu- nauté, la part du conjoint survivant englobant dès lors la totalité de ces biens communs.
Il se peut que le législateur n'ait jamais eu l'intention d'exonérer totalement d'impôt les biens transmis de cette façon par suite de la constitution d'une communauté d'acquêts; mais une loi fiscale est d'interprétation stricte et en l'absence d'un texte autorisant expressément le prélèvement de l'impôt réclamé par le fisc, la Cour ne saurait présumer la validité d'une telle
imposition. Dans la présente affaire, le Ministre doit justifier l'imposition de la moitié des biens constituant la communauté d'acquêts alors que le conjoint survivant devenait manifestement propriétaire de tous ces biens communs rétroac- tivement à la date du contrat de mariage. Si l'on admet qu'il - était nécessaire d'insérer dans la loi l'article 3(2)e) pour empêcher l'assujettissement à l'impôt successoral de la totalité des biens d'une communauté légale, quel serait l'effet de cet article sur une communauté conventionnelle prévoyant des parts inégales, par exemple 75% à la femme au cas de prédécès du mari? Il faudrait alors dire, me semble-t-il, que cette part étant la «part du conjoint du de cujus» dans la communauté de biens qui existait entre elle et son conjoint immédiatement avant le décès de celui-ci, elle ne tombe pas dans la succession du mari. N'en va-t-il pas de même dans le cas présent, la «part» englobe la «totalité de la communauté»? Le législateur emploie à l'article 3(2)e) les mots «une communauté», dont la portée est assez large pour couvrir non seule- ment la communauté légale, mais aussi toute forme de communauté conventionnelle, y com- pris la communauté d'acquêts dont il est ici question. Avant le décès de l'époux prémourant, l'un et l'autre conjoint pouvaient soit prendre part à la communauté pour le tout, soit n'y prendre aucune part, selon celui des deux qui prédécédait; mais dès lors que l'un d'eux prédé- cédait, la part du survivant englobait la totalité de la communauté, rétroactivement à la date du contrat de mariage; et cette part était censée lui avoir toujours appartenu, puisque cette attribu tion n'était soumise qu'à une condition résolu toire, qu'elle n'a pas fait intervenir, et non pas à une condition suspensive qui en aurait retardé l'effet jusqu'au décès du de cujus (voir Mignault, vol. 6, page 337 (précité)).
Si l'on interprète strictement l'article 3(2)e) de la loi, il semble que ce texte a pour effet d'ex- clure de la succession du de cujus la masse des acquêts communs, quoique ce résultat n'ait peut-être pas été prévu ou désiré par le législateur.
Le jugement de la Commission d'appel de l'impôt dont on fait appel est assez confus. On y étudie la question comme si c'était la part de
communauté du conjoint survivant (part que l'on présume être une moitié) que le Ministre cherche à imposer, alors que, bien entendu, c'est la part du défunt (que le Ministre présume être la moitié de la communauté) qui est impo sée. Quoiqu'il en soit, étant donné que l'appel interjeté de la cotisation du Ministre, portant sur la moitié des biens de la communauté d'acquêts, a été accueilli, je rejette l'appel du Ministre avec dépens. Je me fonde toutefois sur des motifs différents, ayant jugé qu'il y a lieu d'exclure de la succession du défunt, aux fins de l'impôt sur les biens transmis par décès, la totalité des biens de la communauté d'acquêts.
Les articles en question portent que:
1389a. Lorsque les époux stipulent qu'il n'y aura entre eux qu'une communauté d'acquêts, ils sont censés exclure de la communauté tous leurs biens et dettes existant à l'époque du mariage ainsi que ceux qui leur adviennent plus tard à titre de propres. En ce cas et après que chacun des époux a prélevé ses apports dûment justifiés, le partage se borne aux acquêts faits par la communauté.
1389b. Les biens meubles existant lors du mariage ou échus depuis, sont réputés acquêts, sauf preuve contraire par inventaire ou autre titre équivalent, et, quant aux époux entre eux, conformément aux règles des articles 1387 et 1389.
Quant aux dettes, elles sont régies par les règles des articles 1396 à 1399.
2 Code civil du Québec, texte de l'article 1292 postérieur aux modifications de 1964 et antérieur à celles de 1969.
Tel était le texte de l'article 1292 du Code civil du Québec avant la modification de 1969:
1292. Le mari administre seul les biens de la communauté.
Il ne peut, sans le concours de sa femme, vendre, aliéner ou hypothéquer les immeubles de la communauté mais il peut, sans ce concours, vendre, aliéner ou nantir les biens meubles autres que les fonds de commerce et les meubles meublants affectés à l'usage du ménage.
Sauf les dispositions de la Loi de l'assurance des maris et des parents, le mari ne peut, sans le concours de sa femme, disposer entre vifs à titre gratuit des biens de la commu- nauté excepté des sommes modiques et les présents d'usage.
4 Avant la modification apportée en 1964 à l'article 1292 du Code civil, les pouvoirs du mari étaient plus larges. Il pouvait en effet, sans le concours de sa femme, disposer des biens meubles et immeubles de la communauté, sauf qu'il ne pouvait, sans ce concours, disposer entre vifs à titre gratuit des immeubles de la communauté, ni de l'universalité ou d'une quotité du mobilier, si ce n'est pour l'établissement des enfants communs. Aucune modification n'a été apportée
à l'article 3(1)a) de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès à la suite de la modification apportée en 1964 à l'article 1292 du Code civil; il n'y a pas lieu de trancher ici la question de savoir si, à la suite de cette modification, les pouvoirs d'aliénation du mari avaient été restreints à un point tel qu'il ne pouvait plus être considéré comme »habile à disposer» de ces biens, au sens de l'article 3(1)a).
5 On notera que la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès de 1958, 7 Eliz. II, c. 29, figuraient les mots «un intérêt dans ces biens», a été modifiée en 1964 par 13 Eliz. II, c. 8, art. 1(1) et que ce texte se lit aujourd'hui ainsi: «un intérêt dans ces biens . . , ou tout revenu en prove- nant». Il faut supposer que le législateur avait une raison précise pour apporter cette modification; les mots qu'il a ajoutés semblent donner à l'article en question une portée plus large.
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