T-1186-73
La Reine (Demanderesse)
c.
Cecil Charles Butterfield (Défendeur)
Division de première instance, le juge Collier—
Vancouver, les 15 et 18 juillet 1974.
Pratique—Collision entre véhicules—Indemnité payée par
la Couronne au conducteur de son véhicule—Le défendeur,
propriétaire de l'autre véhicule, cherche à obtenir l'interroga-
toire préalable du conducteur de la Couronne—L'employé de
la Couronne n'est pas une partie à l'action—L'employé n'est
pas un officier ministériel ou autre officier de la Couronne—
Aucun interrogatoire préalable—Loi sur l'indemnisation des
employés de l'État, S.R.C. 1970, c. G-8, art. 8—Règles 2 et
465 de la Cour fédérale.
Suite à une collision survenue entre un véhicule de la
Couronne conduit par C et le véhicule du défendeur, C
choisit de réclamer une indemnité en vertu de l'article 8 de
la Loi sur l'indemnisation des employés de l'État. Ayant
indemnisé C pour ses frais médicaux, perte de revenu et
frais généraux, la Couronne en réclama, dans la présente
action, le montant total de même que le coût de réparation
de son véhicule. Le défendeur demanda de procéder à
l'interrogatoire préalable de C.
Arrêt: l'interrogatoire préalable est refusé; la Couronne
est subrogée aux droits de son employé, en vertu de l'article
8(3) de la Loi sur l'indemnisation des employés de l'État.
L'employé C ne peut être considéré comme une partie
soumise à l'interrogatoire préalable en vertu de la Règle
465(1), puisque l'action n'est pas intentée au nom de C et
que seule la Couronne demanderesse peut éventuellement
recouvrer des dommages-intérêts. C n'est pas non plus un
«officier ministériel ou autre officier» au sens de la Règle
465(1)c).
Arrêts appliqués: Yarmolinsky c. Le Roi [1944] R.C.É.
85; Irish Shipping Ltd. c. La Reine [1974] 1 C.F. 445.
REQUÊTE.
AVOCATS:
G. O. Eggertson pour la demanderesse.
R. A. Easton pour le défendeur.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
la demanderesse.
Russell et Dumoulin, Vancouver, pour le
défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés par
LE JUGE COLLIER: Par la présente requête, le
défendeur demande à cette cour une ordon-
nance désignant un certain Albert Jules Char-
trand ... «comme la partie ou, à titre subsi-
diaire, comme la personne qui peut être soumise
à l'interrogatoire préalable du défendeur» ... .
La requête est déposée conformément à la
Règle 465(1).
L'action découle d'un accident de véhicule à
moteur survenu le ler avril 1972. Il semble qu'un
véhicule appartenant à la demanderesse et con
duit par Chartrand (employé des postes) a
heurté un véhicule conduit par le défendeur.
Chartrand fut blessé lors de l'accident, il a eu,
semble-t-il, un arrêt de travail et, selon la décla-
ration, il a subi une perte de revenu pendant un
certain temps.
Chartrand a choisi de réclamer une indemnité
conformément à la Loi sur l'indemnisation des
employés de l'État S.R.C. 1970, c. G-8. Voici les
extraits de cette loi qui s'appliquent:
8. (1) Lorsqu'un employé subit un accident au cours de
son emploi, dans des circonstances qui lui confèrent, ou qui
confèrent aux personnes à sa charge, un droit d'action
contre, quelque personne autre que Sa Majesté, l'employé ou
les personnes à sa charge, s'ils ont droit à l'indemnité prévue
dans la présente loi peuvent réclamer une indemnité en
vertu de la présente loi ou faire une réclamation contre cette
autre personne.
(3) Si l'employé ou les personnes à sa charge choisissent
de réclamer une indemnité en vertu de la présente loi, Sa
Majesté doit être subrogée aux droits de l'employé ou des
personnes à la charge de ce dernier, et elle peut soutenir une
action, au nom de l'employé ou des personnes à sa charge,
ou au nom de Sa Majesté, contre la personne à l'égard de
qui l'action peut être intentée, et toute somme recouvrée
doit être versée au Fonds du revenu consolidé.
(4) Lorsqu'une action est intentée selon le paragraphe (3)
et que le montant recouvré et perçu excède le montant de
l'indemnité à laquelle l'employé ou les personnes à sa charge
ont droit d'après la présente loi, il peut être payé, sur le
Fonds du revenu consolidé, à l'employé ou aux personnes à
sa charge, telle partie de l'excédent que le Ministre, avec
l'approbation du conseil du Trésor, estime nécessaire, mais
si, après que ce paiement a été fait, l'employé devient
admissible à un montant additionnel d'indemnité quant au
même accident, la somme payée sous le régime du présent
paragraphe peut être déduite de cette indemnité
additionnelle.
Dans la déclaration, la demanderesse invoque
le choix qu'elle a fait et affirme qu'elle est
devenue subrogée aux droits de Chartrand
contre le défendeur. La demanderesse réclame
ensuite le remboursement des frais médicaux
prétendument engagés pour les traitements
subis par Chartrand, des dommages-intérêts au
montant de $3,415.92, soit la perte de revenu de
l'employé, et enfin «des dommages-intérêts
généraux afférents aux blessures subies par
ledit Chartrand.»
La demanderesse réclame en outre le coût de
réparation du véhicule de la Couronne. Ceci,
évidemment, ne constitue pas une réclamation à
titre de subrogé.
Le défendeur désire procéder à l'interroga-
toire préalable de Chartrand quant à la respon-
sabilité découlant de l'accident (négligence ou
faute) et au sujet de la réclamation en domma-
ges-intérêts autres que ceux relatifs au véhicule.
La demanderesse a désigné un certain fonction-
naire du ministère des Postes, dont j'ignore le
nom, à titre d'officier ministériel ou autre offi-
cier de la Couronne pour qu'il soit interrogé en
son nom. Celle-ci a proposé de permettre au
défendeur de procéder à l'interrogatoire préala-
ble de Chartrand au sujet de ses blessures et de
la réclamation afférente aux dommages-intérêts
généraux. La demanderesse n'admet cependant
pas être liée par l'une quelconque des réponses
obtenues au cours de cet interrogatoire
préalable.
L'avocat du défendeur prétend qu'une inter-
prétation correcte des Règles de la Cour fédé-
rale confère le droit d'interroger Chartrand à
titre de «partie». La Règle 2(1)m) se lit comme
suit:
«demandeur» s'entend aussi de toute personne par qui, ou
pour le compte de qui, une procédure est engagée devant la
Division de première instance.
Le défendeur affirme que la présente action est
intentée, au moins en partie, pour le compte de
Chartrand—en ce qu'elle se rapporte à la récla-
mation en dommages-intérêts généraux résultant
des blessures. Chartrand devient par conséquent
partie au sens de la Règle 465. En voici des
extraits:
Règle 465. (1) Aux fins de la présente Règle, on peut
procéder à l'interrogatoire préalable d'une partie, tel que
ci-après prévu dans cette Règle,
a) si la partie est un individu, en interrogeant la partie
elle-même,
b) si la partie est une corporation ou un corps ou autre
groupe de personnes autorisé à ester en justice, soit en
son propre nom soit au nom d'un membre de sa direction
ou d'une autre personne, en interrogeant un membre de la
direction ou autre membre de cette corporation ou de ce
groupe,
c) si la partie est la Couronne, en interrogeant un officier
ministériel ou autre officier de la Couronne désigné par le
procureur général du Canada ou le sous-procureur général
du Canada ou par ordonnance de la Cour, et
d) dans tous les cas, en interrogeant une personne qui,
avec son consentement, a été agréée par la partie qui
procède à l'interrogatoire et par la partie qui en est l'objet,
et dans cette Règle, une partie qui est interrogée au préala-
ble ou qui doit être interrogée au préalable est parfois
désignée comme «la partie qui est interrogée au préalable»
ou «la partie qui doit être interrogée au préalable» selon le
cas et l'individu qui est ou, qui doit être interrogé, est
parfois désigné comme «l'individu qui est interrogé» ou
«l'individu qui doit être interrogé» selon le cas.
A mon avis, il est inexact de dire que cette
action, à certains égards, est intentée pour le
compte de Chartrand. Elle se fonde sur les
droits qu'aurait eu Chartrand de poursuivre But-
terfield, quelle que soit leur nature, mais les
dommages-intérêts susceptibles d'être recouvrés
ne le sont pas pour le compte de Chartrand,
mais par la demanderesse et pour elle seule.
Selon le paragraphe 8(4) de la Loi sur ('indem-
nisation des employés de l'État, une partie des
dommages-intérêts obtenus peut être payée à
Chartrand si le montant recouvré et «perçu» de
Butterfield excède le montant de l'indemnité à
laquelle Chartrand avait droit. Un tel paiement
est purement discrétionnaire. A mon avis, étant
donné qu'on accorde une aussi grande discré-
tion, on ne peut pas dire que la présente action
est intentée, en tout ou en partie, pour le compte
de Chartrand. Il s'ensuit qu'on ne peut préten-
dre procéder à son interrogatoire préalable, à
titre de «partie».
A titre subsidiaire, on a prétendu que Char-
trand est un «officier ministériel ou autre offi-
cier de la Couronne» et devrait être désigné
comme tel e n vertu d'une ordonnance de cette
Cour, aux fins de l'interrogatoire préalable.
(Voir Règle 465(1)c).)
On ne m'a présenté aucune preuve ni soutenu
que Chartrand occupe, au bureau de poste, une
fonction, qui, à elle seule, lui conférerait le titre
d'«officier ministériel ou autre officier», même
si l'on interprète cette expression de la façon la
plus libérale. On a essentiellement soutenu que
Chartrand, et lui seul, peut fournir les renseigne-
ments détaillés nécessaires afférents à ses pré-
tendues blessures et à sa guérison ou autre
résultat. On a en outre soutenu qu'en l'enjoi-
gnant à comparaître pour un interrogatoire préa-
lable, le défendeur ou ses conseillers peuvent
évaluer la crédibilité de Chartrand et ses capaci-
tés et qualités de témoin. En ce qui concerne la
réclamation en dommages-intérêts pour blessu-
res, on a offert au défendeur l'occasion d'inter-
roger Chartrand sous serment et de faire les
évaluations susmentionnées. Il est vrai que la
Couronne ne sera liée par aucune des réponses
obtenues, mais on ne peut en ignorer les consé-
quences pratiques dues au fait que les admis
sions préjudiciables qui en ressortiront milite-
ront probablement contre la demanderesse.
Du point de vue de la Couronne, les procès de
ce genre, doivent, j'imagine, n'avoir que peu
d'importance. Par contre, ils en ont pour un
défendeur. Il est manifestement frustrant pour
un défendeur d'être obligé de procéder à l'inter-
rogatoire préalable d'une personne qui, n'ayant
pas une connaissance directe des faits, ne peut
répondre à des questions relatives à l'heure, aux
distances, aux vitesses, aux réactions physiques
et mentales, qui sont toutes essentielles à la
préparation du procès et à la détermination de la
question de responsabilité en matière d'accident
de véhicule à moteur.' Il est sans doute encore
plus frustrant et vain de tenter d'obtenir des
admissions contraignantes, ou même significati-
ves, d'un officier ministériel ou autre officier au
sujet d'un blessé, portant sur la douleur que cet
employé blessé ressent au cou ou au dos (à
toute époque en cause). 2
' Ces procédures préparatoires au procès sont, évidem-
ment, toutes aussi essentielles et nécessaires pour détermi-
ner si l'on peut parvenir à un règlement du litige, et si oui,
sur quelle base.
2 Les blessures alléguées en l'espèce sont les suivantes:
[TaADucrnox] «... une lacération au cuir chevelu, des
contusions aux bras et aux jambes;des lésions au dos et
au cou qui lui ont causé douleur et souffrance et, en outre,
par suite de ladite collision, ledit Chartrand s'est évanoui à
plusieurs reprises.»
Cependant, la Règle 465(1)c) se justifie pour
des raisons que je n'ai pas à étudier maintenant.
En l'espèce, la Couronne a jugé à propos de la
suivre rigoureusement. Dans les arrêts Yarmo-
linsky c. Le Roi [1944] R.C.É. 85 et Irish Ship
ping Ltd. c. La Reine [1974] 1. C.F. 445, on a
examiné les principes déterminant qui peut être
«un officier ministériel ou un autre officier de la
Couronne», quand et dans quelles circon-
stances.
A mon avis, compte tenu des faits en l'espèce,
Chartrand n'entre pas dans la catégorie d'«offi-
cier ministériel ou autre officier».
La requête est rejetée avec dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.