T-3817-73
La Reine (Demanderesse)
c.
Pollock Sokoloff Holdings Corp. (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, le 9 mai; Ottawa, le 29 mai 1974.
Impôt sur le revenu—Fonds non recouvrés aux termes de
prêts consentis par une compagnie mère— Transfert de prêts
de la compagnie mère à sa filiale—Transfert régulier contrai-
rement à l'opinion du Ministre—Droit du cessionnaire de
déduire une mauvaise créance—Code civil, articles 1570 et
1571— Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148 art.
11(1)e), f), 12(1)b), 137(1), 139(1)e).
Des prêts ont été consentis à C. de 1962 à 1965 par la M.
H. Corporation, par l'intermédiaire de S., administrateur et
président de cette compagnie et de sa filiale, la défende-
resse. Les transactions relatives à ces prêts ont été menées
par S. entre C. et la M. H. Corporation ou la défenderesse
de façon alternative. Les intérêts afférents aux prêts ont été
payés jusqu'en 1966. En 1967, la M. H. Corporation les a
transférés à leur pleine valeur comptable, soit $50,000, à la
défenderesse. La défenderesse réclame pour l'année d'impo-
sition 1968 une déduction de $30,000 défalqués à titre de
mauvaise créance, aux termes de l'article 11 de la Loi de
l'impôt sur le revenu. Le Ministre n'a pas admis cette déduc-
tion aux motifs que l'article 11 ne s'appliquait pas en l'es-
pèce et qu'on devait considérer cette somme comme une
perte de capital en vertu de l'article 12(1)b). La Commission
de révision de l'impôt a accueilli l'appel de la défenderesse.
Le Ministre a interjeté appel.
Arrêt: la Cour rejette l'appel et renvoie la cotisation au
Ministre qui en établira une nouvelle. 1. Eu égard à la
prétention du Ministre selon laquelle le transfert de la M. H.
Corporation à la défenderesse était irrégulier aux termes des
articles 1570 et 1571 du Code civil: le Ministre n'avait pas le
droit d'intervenir pour annuler une telle vente de créances
pour vice de forme alors que les parties concernées ont
reconnu qu'elle avait eu lieu et que le débiteur en était
informé. On n'a pas laissé entendre qu'il s'agissait d'une
vente frauduleuse ou d'une évasion fiscale sous le régime de
la Loi de l'impôt sur le revenu. On a justifié ce transfert de
façon acceptable, à savoir qu'il entraînait une réduction de
l'impôt provincial et ne concernait pas la demanderesse. 2.
Eu égard à la prétention du Ministre selon laquelle la défen-
deresse n'était pas habilitée à réclamer une déduction de la
somme défalquée à titre de mauvaise créance, aux termes de
l'article 11 de la Loi: la disposition de l'article 11(1)e), f)
visant des «prêts consentis dans le cours ordinaire des
affaires par un contribuable, dont l'entreprise ordinaire con-
sistait à prêter de l'argent» s'appliquait à la défenderesse
même si ses prêts ne représentaient qu'une faible proportion
du total de ses activités. Assurément ces prêts ont été
consentis au départ non par la défenderesse mais par la M.
H. Corporation, dont l'activité ordinaire ne consistait pas à
prêter de l'argent, mais ces prêts ont été transférés à leur
pleine valeur comptable à la défenderesse, dont une partie
des activités consistait à prêter de l'argent.
Distinction faite avec les arrêts Litchfield c. Dreyfus
(1906) 1 K.B.D. 584 et Newton c. Pike (1908-09) 25
T.L.R. 127. Arrêts examinés: Orban c. M.R.N. 54 DTC
148; Valutrend Management Services Limited c. M.R.N.
[1972] C.T.C. 2170; Wood c. M.R.N. [1969] R.C.S.
330; M.R.N. c. Machines [1962] R.C.É. 385, infirmé
[1963] R.C.S. 299; Sun Securities Limited c. M.R.N. 64
DTC 821 et Western Wood Products Limited c. M.R.N.
[1963] R.C.É. 380.
APPEL en matière d'impôt.
AVOCATS:
Hughes Richard et Alban Garon pour la
demanderesse.
Michael D. Vineberg pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
la demanderesse.
Phillips & Vineberg, Montréal, pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés par
LE JUGE WALSH: Il s'agit d'un appel interjeté
par la demanderesse d'une décision de la Com
mission de révision de l'impôt, en date du 6 juin
1973, maintenant l'appel de la défenderesse
interjeté d'une cotisation pour son année d'im-
position 1968 et la déférant au ministre du
Revenu national pour qu'il établisse une nou-
velle cotisation. Le Ministre n'a pas admis une
déduction de $30,000 que la défenderesse a
réclamée cette année-là à titre de mauvaise
créance, aux motifs qu'elle n'était pas due à la
défenderesse, qu'elle n'était pas devenue mau-
vaise en 1968, qu'elle n'avait pas été incluse
dans le calcul du revenu de la défenderesse pour
l'année 1968 ou pour une année antérieure,
qu'une partie des activités ordinaires de la
défenderesse ne se réduisait pas à prêter de
l'argent et que, au cours de son année d'imposi-
tion 1968, elle ne s'employait pas à négocier des
effets à recevoir. Par conséquent, la demande-
resse fait valoir qu'on aurait dû considérer cette
somme comme une perte de capital au sens de
l'article 12(1)b) de la Loi de l'impôt sur le
revenu'.
S.R.C. 1952, c. 148 et ses modifications.
D'après les éléments de preuve, la Mysam
Holdings Corporation, dont la défenderesse est
une filiale, a consenti à un certain F. L. Crystal,
en 1962, 1963 et 1965, des prêts respectifs de
$10,000, $30,000 et $10,000, portant intérêt au
taux de 12%; les deux premiers prêts étaient
garantis par le nantissement d'actions que Crys
tal détenait dans trois compagnies immobilières,
à savoir la Fanpal Realties Inc., la Riva Realty
Inc., et la Delco Realty Inc., et le troisième,
a-t-on prétendu dans la preuve, était simplement
garanti par un billet à ordre qui, toutefois, n'a
pas été déposé comme pièce. Cependant, il con-
vient de remarquer que le montant prêté a été
remis à Crystal par chèque émis le 27 janvier
1965 non par la Mysam Holdings Corporation,
que l'on prétend être le prêteur, mais par la
défenderesse Pollock Sokoloff Holdings Corp.
Les témoins ont expliqué dans leur déposition
que le dernier prêt n'avait pas fait l'objet d'un
contrat formel parce que Crystal n'avait plus
d'éléments d'actif à déposer en nantissement et
que, de toute façon, on croyait que l'actif impor
tant des compagnies immobilières dans lesquel-
les il détenait les actions, déjà déposées en
nantissement comme garantie des deux premiers
prêts, constituait une garantie suffisante pour
couvrir également le troisième prêt. Les déposi-
tions révélèrent aussi que, bien que le premier
prêt de $10,000 ait été remboursable le 26 juil-
let 1962, soit six mois après avoir été consenti,
que le second prêt de $30,000 ait été rembour-
sable le 25 juillet 1965, soit deux ans après
avoir été consenti et qu'aucune date n'ait été
fixée pour le remboursement du troisième prêt
de $10,000 accordé le 27 janvier 1965, les prê-
teurs en ont prorogé oralement l'échéance puis-
qu'ils estimaient la garantie satisfaisante et
qu'en fait les intérêts portant sur ces trois prêts
étaient dûment payés jusqu'aux versements
échus en août 1966 inclusivement. Les actions
déposées par Crystal en nantissement, tout en
ne représentant pas la totalité des actions des
trois compagnies en question, en constituaient
néanmoins une fraction appréciable, soit un
quart des actions de la Riva Realty Inc., un
quart des actions de la Delco Realty Inc. et un
sixième des actions de la Fanpal Realties Inc.
Crystal témoigna qu'en 1962-63 l'ensemble de
ses investissements dans ces trois compagnies
se chiffrait à environ $60,000 et qu'il estimait
que sa participation dans les terrains que déte-
naient ces trois compagnies représentait une
valeur d'environ $200,000.
Samuel Sokoloff, qui occupait le poste de
vice-président et de secrétaire-trésorier de la
compagnie défenderesse ainsi que de président
et d'administrateur de la Mysam Holdings Cor
poration, témoigna que lesdites compagnies
appartenaient en totalité à deux familles. Elles
investissent dans des actions ordinaires, des
obligations, consentent des prêts sur des biens
immobiliers et sont également propriétaires de
biens immobiliers, y compris des terrains non
mis en valeur. Le bilan de la compagnie défen-
deresse, au 31 décembre 1968, présente un actif
de $15,288,383 incluant notamment des dépôts
à court terme s'élevant à $6,000,000, des titres
négociables acquis au coût de $1,021,559, des
avances consenties à la Mysam Holdings Corpo
ration, la compagnie mère, se chiffrant à
$2,252,688, des actions dans la Fleetwood Cor
poration représentant $1,122,450, des hypothè-
ques et des billets à recevoir d'un montant de
$116,211 et comprenant les $20,000 prêtés à
Crystal et non encore défalqués à cette date, et
enfin des biens immobiliers se chiffrant à
$4,253,602. Pour l'année 1967, les hypothèques
et les billets à recevoir s'élèvent à $185,816,
chiffre fixé avant la défalcation à titre de mau-
vaise créance des $30,000 qui font l'objet du
présent appel.
Outre les prêts consentis à Crystal, la compa-
gnie avait accordé un prêt de $20,000 à S.
Jacobson; non remboursé de 1965 à 1968 et
prétendument garanti par un nantissement d'ac-
tions d'une compagnie foncière dans laquelle
Jacobson avait une participation d'un tiers; un
prêt de $20,000 à C. Redler et P. Waid, consenti
en 1964, réduit à $3,514 en 1968 et garanti par
un billet à ordre nominatif; un prêt de $75,000 à
la M. Feinstein Inc. prétendument garanti par
ses participations dans certains terrains, lequel
prêt fût intégralement remboursé en 1967, et un
autre prêt d'un montant de $70,526 à la M.
Feinstein Inc. consenti en 1965 et non encore
remboursé à la fin de 1968; un prêt de $50,000
consenti à un certain Harry Feifer en 1965,
réduit à $2,141 à la fin de 1968 et prétendument
garanti par la cession des participations de ce
dernier dans des biens immobiliers à titre d'hy-
pothèque subsidiaire; un prêt de $100,000
accordé en 1964 à la Real Estate Investors
Corporation, garanti par un billet à ordre et
apparemment remboursé intégralement en 1965
tout comme un prêt de $7,500 consenti à Mme B.
Feinstein, garanti par hypothèque sur un bien
immeuble à la campagne. Il y avait enfin un prêt
de $82,500 accordé à la J. T. Stone Cabinet
Manufacturing Company Limited non rem-
boursé en 1964 et acquitté intégralement en
1967. Le total des prêts non remboursés à la fin
de 1964 s'élevait à $305,000 et, comme je l'ai
indiqué précédemment, à la fin de 1968, ils
avaient été réduits à $116,181 après la défalca-
tion de $30,000 à titre de mauvaise créance sur
le prêt consenti à Crystal. Sokoloff affirma qu'il
s'agissait du seul prêt que la compagnie ait
jamais défalqué à titre de mauvaise créance.
Tous ces prêts portaient un intérêt variant entre
8i-10%, ce qui représentait un excellent taux à
cette époque. Il déclara que la compagnie achète
des immeubles et traite souvent avec des agents
immobiliers qui lui font diverses propositions
sachant que sa compagnie a de l'argent à prêter,
mais qu'il exige toujours une bonne garantie, se
rend sur les lieux et examine le bien foncier
devant servir de garantie soit directement soit
par cession d'actions des compagnies possédant
le bien foncier, et que c'est précisément ce qu'il
fit dans le cas des prêts consentis à Crystal.
Quant à la Mysam Holdings Corporation, à
l'origine elle fût apparemment constituée sous la
forme d'une compagnie de gestion et son bilan
au 31 décembre 1966 indique un actif se com-
posant principalement de prêts à recevoir, soit
$50,000 (les prêts consentis à Crystal), d'actions
dans la Pollock Sokoloff Holdings Corp. éva-
luées à $6,505,000 et d'avances d'un montant
de $174,873. Au 31 décembre 1967, le prêt à
recevoir de $50,000 et les avances de $174,873
consenties à la Pollock Sokoloff Holdings Corp.
n'apparaissaient plus dans son bilan, mais il
comportait alors des titres négociables d'une
valeur à l'achat de $954,081 et une débenture à
intérêt conditionnel dans la Canadian Power and
Paper Securities Limited d'une valeur de
$1,000,000.
Le témoignage de Sokoloff indique clairement
qu'il n'avait aucune idée des distinctions à faire
en raison de la personnalité juridique distincte
de la Pollock Sokoloff Holdings Corp. et de la
Mysam Holdings Corporation (ci-après appelées
respectivement la «Pollock Sokoloff» et la
«Mysam») et qu'il utilisait de façon plus ou
moins alternative les compagnies suivant les
conseils de ses vérificateurs et de ses avocats en
vue de réduire au minimum, dans les limites de
la légalité, l'assujettissement des deux compa-
gnies à l'impôt québécois sur le capital versé et
à l'impôt québécois sur les compagnies. Il exis-
tait, dans son esprit, une permutation telle au
niveau des compagnies qu'il ne trouvait rien
d'exceptionnel dans le fait, par exemple, que la
Pollock Sokoloff ait émis le chèque de $10,000
en faveur de Crystal pour le troisième prêt, bien
que ce prêt ait été consenti par la Mysam. De la
même façon, le relevé d'honoraires que les avo-
cats des compagnies ont adressé à la Mysam
pour leurs services juridiques sur l'éventuelle
faillite de Crystal en 1969 a été réglé par la
Pollock Sokoloff, comme l'a affirmé Lipper, un
de leurs avocats. Néanmoins, les registres
comptables des deux compagnies déposés
comme preuve reflètent les différentes transac
tions entre les compagnies, et Louis Burstein,
C.A., le vérificateur des deux compagnies, four-
nit des explications sur ces documents dans son
témoignage. C'est lui qui expliqua pourquoi les
prêts à Crystal ont été consentis par la Mysam
et non par la Pollock Sokoloff. Comme la
Mysam s'était lancée dans le domaine de l'in-
vestissement commercial, en consentant ce prêt
elle pouvait déduire son investissement princi
pal dans les actions de la Pollock Sokoloff aux
fins du paiement de l'impôt québécois sur le
capital des compagnies et Burstein croit avoir
averti Sokoloff que, pour ce motif, la Mysam
devrait consentir le prêt. Par la suite, en raison
de modifications apportées aux lois fiscales du
Québec, sur lesquelles il n'y a pas lieu d'insister,
il devenait nécessaire, si on voulait considérer la
Mysam comme une pure compagnie de place
ments, de ne pas faire figurer son prêt à Crystal
dans ses investissements, sinon elle aurait perdu
le droit d'être considérée comme telle. Il a éga-
lement expliqué cette situation à Sokoloff et, en
conséquence, au début de 1967, ce prêt fût
transféré de la Mysam à la Pollock Sokoloff et,
réciproquement, toutes les obligations de com-
pagnies canadiennes détenues par la Pollock
Sokoloff furent cédées à la Mysam. Les obliga
tions ont été cédées à leur valeur au cours du
marché et le prêt, à sa valeur nominale; il n'y
eut ainsi aucun transfert d'argent, les transac
tions se traduisant simplement par des écritures
dans les comptes des différentes compagnies.
On a déposé des copies des procès-verbaux des
assemblées des administrateurs des deux com-
pagnies tenues le 2 janvier 1967, premier jour
ouvrable de l'année; elles font foi de la vente et
de la cession par la Mysam à la Pollock Soko-
loff de sa participation dans les prêts à recevoir
de Samuel Crystal, soit $50,000, moyennant le
paiement à la Mysam desdits $50,000 par la
Pollock Sokoloff. A cette date il n'y avait plus
aucun intérêt à percevoir sur le prêt et Burstein
affirma qu'on n'avait constitué aucune réserve,
car lui-même et Sokoloff estimaient que le capi
tal du prêt était intégralement recouvrable.
Crystal confirma qu'on l'avait informé orale-
ment de ce transfert en temps utile et qu'il n'y
avait formulé aucune objection. Lorsqu'en jan-
vier 1967 un paiement des intérêts devint exigi-
ble, il lui fut impossible de l'acquitter à ce
moment mais, comme agent immobilier, il avait
plusieurs affaires importantes en cours qui,
selon ses prévisions, devaient lui rapporter: un
revenu considérable et qui, malheureusement,
ont échoué. Lui-même et son frère, son associé
dans les affaires, avaient avancé des sommes
considérables en 1964, 1965 et 1966 à la
Fanpal, la Riva et la Delco, leurs compagnies
propriétaires de terrains. Bien qu'il se soit agi
d'un terrain vague, l'autoroute de la rive nord
l'avait traversé et, à cette fin, on en avait expro-
prié une partie, de sorte qu'il considérait avec
optimisme que cela attirerait des promoteurs
immobiliers. Cependant, il se produisit une
grave récession dans les ventes immobilières au
Québec après Expo 1967 et, en dépit de tous les
efforts, ils n'ont pu réaliser de ventes et se sont
endettés de plus en plus. L'échéance du rem-
boursement en capital de ses prêts de la Mysam
était dépassée depuis quelque temps mais il en
avait discuté avec Sokoloff et ce dernier avait
toujours consenti à la proroger pourvu que les
intérêts soient payés, ce qu'il était en mesure de
faire jusqu'au remboursement d'août 1966. En
juin 1969, l'état de ses finances était si bas
qu'on avait débranché son téléphone et que,
finalement, il fit une cession en faillite le 29
août 1969 et son frère, qui avait aussi garanti les
prêts, fit une cession analogue une semaine plus
tard.
Sokoloff demanda alors à ses avocats de
prendre les dispositions nécessaires pour procé-
der à la saisie-exécution des actions de la
Fanpal Realties Inc., de la Riva Realty Inc. et de
la Delco Realty Inc. cédées en garantie des
prêts, mais il omit de leur dire qu'on avait
effectué un transfert des prêts de la Mysam à la
Pollock Sokoloff. L'avocat Lipper, agissant sim-
plement en fonction des renseignements incom-
plets contenus dans ses dossiers où figuraient
les deux contrats de prêts de la Mysam à Crys
tal totalisant $40,000, présenta une requête en
faillite au nom de la Mysam visant à faire
vendre aux enchères publiques les actions dépo-
sées en nantissement en se fondant sur les deux
premiers prêts pour lesquels elles avaient été
données en garantie; l'autorisation fut dûment
accordée par un jugement en date du 20 novem-
bre 1969. La saisie est intervenue le 30 décem-
bre 1969 et la vente a eu lieu le 9 février 1970;
la Mysam se porta acquéreur des actions pour
$1 dans chaque cas. Comme ces compagnies
immobilières existent encore, les actions peu-
vent éventuellement avoir une valeur suffisante
pour permettre à la Mysam de recouvrer le
montant des pertes, mais ce point est étranger
au présent litige. Il n'est pas non plus vraiment
nécessaire de faire remarquer que le prix de $1
n'indique pas que les actions n'avaient aucune
valeur à la date de la vente, mais simplement
que tout autre acheteur intéressé savait que la
Mysam en aurait offert un prix assez élevé pour
couvrir son prêt, les arrérages d'intérêt ainsi que
les frais de la vente et qu'elle n'était pas dispo
sée à payer ce prix pour les obtenir.
Bien que Sokoloff ait signé l'affidavit accom-
pagnant la requête visant à faire vendre les
actions déposées en nantissement, je suis con-
vaincu qu'il n'avait aucune idée de l'importance
du fait que la requête était présentée par la
Mysam quoiqu'elle eût déjà transféré les prêts à
la Pollock Sokoloff; apparemment, il avait sim-
plement signé le document qui lui était présenté.
De toute évidence, la Pollock Sokoloff s'est
considérée et a agi comme créancière des prêts
que Crystal devait rembourser après leur trans-
fert consenti par la Mysam le 2 janvier 1967.
Dans une annexe jointe à l'état financier de la
Pollock Sokoloff pour l'année se terminant le 31
décembre 1968 figure une note indiquant les
intérêts dus par Crystal, à savoir $2,083 en
1966, $5,000 en 1967, $5,000 en 1968 et un
vieil intérêt de $124.98, soit un total de
$12,207.98. Il est également indiqué qu'une
partie de ces arrérages, soit $7,207.98, était déjà
accumulée au 31 décembre 1967 et que ce mon-
tant a été défalqué des intérêts gagnés en 1968.
Burstein expliqua dans son témoignage que la
somme de $2,083 représentait l'intérêt accu-
mulé à compter de la date du paiement des
intérêts en août 1966 jusqu'au 31 décembre
1966. Par la suite, l'intérêt serait de $5,000 par
an au taux de 10% 2 . La somme de $7,207.98
défalquée en 1968 a été inscrite à l'actif et on a
payé l'impôt sur le revenu sur cette somme en
1967 puisqu'on ne l'a pas considérée comme
une mauvaise créance avant 1968. Ceci ne
semble pas être une pratique comptable dérai-
sonnable ou incorrecte car il n'était nullement
certain en 1967 qu'on pourrait recouvrer la
créance et, si cette année-là on avait constitué
une réserve pour l'intérêt ou le capital de la
dette à titre de mauvaise créance, elle - aurait
bien pu faire l'objet d'un refus. Une note de
service jointe aux états financiers de la Pollock
Sokoloff au 31 décembre 1969 indique, sous la
rubrique «autres investissements», 171 actions
ordinaires de la Delco Realty Inc. 3 , 25 actions
ordinaires de la Riva Realty Inc. et 15 actions
ordinaires de la Fanpal Realties Inc., d'une
valeur de $1 chacune.
z Les contrats de prêts relatifs aux deux premiers prêts
stipulent un intérêt de 12%. Il est possible que, lorsque le
délai imparti pour le remboursement fut prorogé oralement,
les intérêts furent également réduits à 10%, ce qui, de toute
façon, représente le montant réclamé.
3 Seules 15 actions de cette compagnie ont été déposées
en nantissement par Crystal dans le contrat de prêt passé
avec la Mysam et seulement 15 actions ont été saisies et
vendues par huissier, de sorte que la référence aux 174
actions peut constituer une erreur.
En outre, dans une autre annexe de l'état
financier de la Pollock Sokoloff au 31 décembre
1969 nous découvrons, en plus des actions dans
ces trois compagnies d'une valeur de $1 cha-
cune, qu'on a consenti des avances de $248 à la
Riva Realty Inc., de $248 à la Delco Realty Inc.
et de $1 à la Fanpal Realties Inc. ce qui, avec
les trois paiements de $1 pour les actions, repré-
sente un montant total de $500 payé à H. Blauer
en fiducie, avec la mention «pour inscrire l'ac-
quisition de l'actif ci-dessus à la vente par huis-
sier par l'intermédiaire de H. Blauer». La Pol-
lock Sokoloff a émis un chèque de ce montant à
Blauer le 9 octobre 1969 et les éléments de
preuve y afférents ont indiqué que ces compa-
gnies avaient certaines obligations fiscales et
qu'une partie de ces obligations, proportionnelle
aux actions détenues, devait faire l'objet d'une
avance. Bien qu'il semble extraordinaire que
cette avance ait été consentie en octobre et que
les transactions aient figuré dans l'état financier
de la compagnie au 31 décembre 1969, alors
qu'on n'a acquis la propriété de ces actions que
le 9 février 1970 lors de la vente par huissier (et
c'est la Mysam qui s'en porta alors acquéreur),
il n'existe certainement rien, en dépit de ces
irrégularités apparentes, qui indique que la Pol-
lock Sokoloff, à toutes les époques postérieures
à l'acquisition de ces prêts de la Mysam, le 2
janvier 1967, ne les a pas fait figurer dans sa
comptabilité comme étant des prêts qui lui
étaient dus et ne les a pas traités comme tels. Je
ne peux voir comment les procédures erronées
introduites par la Mysam en 1969 aux fins de
procéder à la saisie-exécution de la garantie
fournie, alors que c'était la Pollock Sokoloff qui
aurait dû le faire, ni comment l'achat des actions
à la vente par huissier effectué par la Mysam et
non par la Pollock Sokoloff peuvent affecter
d'une quelconque façon la validité du transfert
des prêts de la Mysam à la Pollock Sokoloff en
1967. A l'époque de la faillite de la Crystal, le
prêt lui-même était nettement dû non pas à la
Mysam mais à la Pollock Sokoloff et il fut
liquidé par la faillite. La question de savoir si les
actions des compagnies immobilières déposées
en nantissement à titre de garantie ont été mises
en vente par la Mysam de façon irrégulière et si
cette dernière les a par conséquent achetées de
façon irrégulière, ainsi que la question de savoir
si la Pollock Sokoloff avait le droit de se consi-
dérer comme propriétaire de ces actions dans
son état financier de 1969, pourraient créer des
ennuis à la demanderesse seulement lorsque ces
actions prendront une certaine valeur et seule-
ment si elles prennent une certaine valeur dans
l'avenir, mais cela ne concerne aucunement la
défalcation d'une partie de ces prêts à titre de
mauvaise créance dans la déclaration d'impôt de
la défenderesse pour 1968, ce qui fait l'objet
d'un litige en l'espèce.
La demanderesse invoque les articles 1570 et
1571 du Code civil du Québec qui dispose
comme suit:
1570. La vente des créances et droits d'action contre des
tiers est parfaite entre le vendeur et l'acheteur par l'exécu-
tion du titre, s'il est authentique, ou sa délivrance, s'il est
sous seing privé.
1571. L'acheteur n'a pas de possession utile à l'encontre
des tiers, tant que l'acte de vente n'a pas été signifié et qu'il
n'en a pas été délivré copie au débiteur; il peut cependant
être mis en possession par l'acceptation du transport que fait
le débiteur; sauf les dispositions contenues en l'article 2127.
et déclare qu'il n'y a eu aucun transfert régulier
des prêts de la Mysam à la Pollock Sokoloff de
nature à affecter la demanderesse qui fait valoir
qu'elle est un tiers au sens de ces articles. Il
s'agit d'une tentative pour déformer le sens de
ces articles et les appliquer à une situation pour
laquelle ils n'ont jamais été prévus. Bien qu'il
n'y ait pas eu de contrat de vente réel entre la
Mysam et la Pollock Sokoloff, les deux compa-
gnies ont approuvé la vente par voie de résolu-
tions et bien que, faute de contrat de vente en
bonne et due forme, aucune copie n'en ait été
délivrée au débiteur Crystal, celui-ci a reconnu
avoir été informé oralement du transfert et
l'avoir accepté. Il lui importait peu que les paie-
ments futurs soient effectués à la Pollock ou à
la Mysam. Ces articles concernent les droits à la
possession de créances vendues et affectent les
revendications des parties elles-mêmes, y com-
pris les tiers directement affectés par la vente,
mais, à coup sûr, le ministre du Revenu national
n'a pas le droit d'intervenir et de chercher à
annuler cette vente pour vice de forme, lorsque
toutes les parties directement concernées ont
reconnu qu'elle a eu lieu et que le débiteur en
était informé et qu'il l'a acceptée, simplement
parce qu'il serait plus avantageux pour le minis-
tère du Revenu national, du point de vue fiscal,
que cette vente n'ait pas eu lieu. Ni les plaidoi-
ries ni les arguments en l'espèce ne font valoir
que la vente était frauduleuse ou a été effectuée
aux fins d'éviter l'impôt fédéral sur le revenu.
Une explication acceptable a été fournie pour
justifier cette vente et la réduction d'impôt qui
en est résultée entrait dans le cadre d'une impo
sition provinciale et ne concernait pas la
demanderesse.
La demanderesse a prétendu que ces prêts
n'ont pas été consentis dans le cadre ordinaire
des activités de la défenderesse et que les prêts
d'argent ne font pas partie de ses activités habi-
tuelles et, par l'intermédiaire d'un témoin, Henri
Vernneau, comptable agréé au service du minis-
tre du Revenu national, elle a analysé le bilan de
la défenderesse au 31 décembre 1968 lequel
indiquait que les hypothèques et les effets à
recevoir ne représentaient que $116,211 sur un
actif total de $15,288,000, c'est-à-dire une pro
portion de .8% . De son côté, la défenderesse a
fait valoir que ses dépôts en banque à court
terme constituent une forme de prêt à la banque
et que ses investissements sous forme d'obliga-
tions équivalent à des prêts consentis aux gou-
vernements et aux compagnies qui les ont
émises et qu'en outre, quoique ses prêts consen-
tis aux promoteurs immobiliers et autres, dont
nous avons souligné les particularités précédem-
ment, n'aient peut-être représenté qu'une faible
proportion du total de ses activités dans le
domaine immobilier, une partie de ses activités
ordinaires consistait néanmoins à prêter de l'ar-
gent au sens de l'article 11(1)e) et 11(1)O de la
Loi dont voici les passages pertinents:
11. (1) Par dérogation aux alinéas a), b) et h) du paragra-
phe (1) de l'article 12, les montants suivants peuvent être
déduits dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une
année d'imposition:
e) un montant raisonnable à titre de réserve pour
(i) les créances douteuses qui ont été incluses dans le
calcul du revenu du contribuable pour cette année ou
une année antérieure, et
(ii) les créances douteuses résultant de prêts consentis
dans le cours ordinaire des affaires par un contribuable,
dont l'entreprise ordinaire consistait en partie à prêter
de l'argent;
j le montant total des créances du contribuable,
(i) dont il a prouvé qu'elles sont devenues de mauvaises
créances dans l'année, et
(ii) qui (sauf dans le cas de créances résultant de prêts
consentis dans le cours ordinaire des affaires par un
contribuable, dont l'entreprise ordinaire consistait en
partie à prêter de l'argent) ont été incluses dans le calcul
de son revenu pour cette année ou pour une année
antérieure;
Il n'est pas nécessaire que le nombre ou le
montant des prêts consentis par une compagnie
constitue une partie importante de l'ensemble de
ses activités commerciales pour lui permettre
d'affirmer que les prêts d'argent font partie de
Ses activités; la Loi n'envisage aucune propor
tion et on ne peut accepter l'argument de la
demanderesse fondé sur la proportion relative-
ment faible de l'actif de la défenderesse consa-
cré à des prêts directs (excluant les dépôts ban-
caires à terme et les investissements en
obligations).
La demanderesse a cité une jurisprudence
abondante mais la plupart des arrêts traitent de
situations quelque peu différentes ou ne sont
pas directement en rapport avec l'espèce. Les
arrêts portant sur le point de savoir si une partie
à l'instance est un prêteur de deniers au sens de
la British Money Lenders Act 4 , comme les
arrêts Litchfield c. Dreyfus 5 et Newton c. Pyke 6
ne sont guère pertinents puisqu'il ne s'agit pas
ici de déterminer si la défenderesse exerçait une
activité de prêteur d'argent et devait à ce titre
détenir une licence, mais simplement si une
partie de son activité consistait à prêter de l'ar-
gent. Dans l'arrêt Orhan c. M.R.N. 7 , affaire
relevant de la Commission d'appel de l'impôt,
on a étudié ces jugements et déclaré que pour
être un prêteur de deniers il fallait un certain
degré d'organisation et de continuité au niveau
des transactions. Dans cette affaire, l'appelant
n'avait consenti que trois prêts et, étant donné
que seules quelques personnes qu'il connaissait
étaient au courant de ses disponibilités financiè-
res et qu'il ne s'était jamais fait connaître ou
qu'il n'était inscrit nulle part comme prêteur de
4 63-64 Vict., c. 51, art. 6.
5 [1906] 1 K.B.D. 584.
6 (1908-09) 25 T.L.R. 127.
7 54 DTC 148.
deniers, on a conclu que les pertes subies sur
deux de ses trois prêts constituaient une perte
en capital. Dans un arrêt plus récent, Valutrend
Management Services Limited c. M.R.N. 8 , le
même membre de la Commission, R.S.W. Ford-
ham, c.r., a apporté une distinction à propos de
la décision en déclarant à la page 2173:
Même si l'appelante ne pouvait affirmer qu'elle était un
prêteur de deniers au sens restreint indiqué dans Orban c.
M.R.N. (précitée), il n'en reste pas moins qu'elle était un
prêteur de deniers, mais sur une bien plus grande échelle,
puisqu'il s'agissait de sommes importantes et qu'elle ne
consentait que des prêts qu'on peut qualifier de commer-
ciaux. J'estime donc que ces prêts, objet du présent litige,
ont été faits dans le cours normal des activités de l'appelante
et que, dans les cas d'échec et de non-recouvrement, ils
pouvaient être repris dans la catégorie des créances douteu-
ses pour lesquelles il y avait eu lieu de constituer une
réserve raisonnable.
Deux autres affaires qu'on m'a citées ont été
tranchées sur le fondement de l'article 139(1)e)
de la Loi et ne traitent pas de l'article 11(1)e) ou
11(1),O; il s'agissait alors de déterminer si des
prêts consentis par un individu constituaient,
dans les circonstances qui les ont entourés, une
initiative de nature commerciale ou s'ils repré-
sentaient des investissements. Dans la première
de ces affaires l'arrêt Wood c. M.R.N. 9 un
avocat, dont le cabinet témoignait lui-même
d'une pratique hypothécaire importante, s'est
porté personnellement acquéreur de 13 hypo-
thèques en 8 ans. Pour l'une d'entre elles, l'ap-
pelant bénéficia d'un rabais se chiffrant à $700
que la Cour suprême considéra comme un gain
en capital dans la mesure où le cadre de ses
activités hypothécaires était compatible avec
ses investissements personnels et non avec l'ex-
ploitation d'une entreprise. La demanderesse a
surtout cité cet arrêt en raison de la déclaration
suivante du juge Abbott dans le prononcé du
jugement à la page 334:
[TRADUCTION] Les acquisitions de l'appelant ne présentaient
pas un caractère spéculatif et, selon son témoignage, elles
ont été faites après avoir inspecté chaque bien et conclu que
chaque hypothèque constituait pour lui un investissement
sûr.
8 [ 1972] C.T.C. 2170.
9 [1969] R.C.S. 330.
Dans cette affaire, on ne contestait pas qu'une
partie des activités ordinaires de l'appelant con-
sistait à prêter de l'argent, contrairement à la
présente affaire où j'ai conclu qu'une partie des
activités ordinaires de la Pollock Sokoloff con-
sistait à prêter de l'argent et où le fait que
Sokoloff ait soigneusement examiné les biens
des compagnies foncières dont les actions
étaient apportées en garantie pour les prêts en
cause et que, selon son témoignage, il procédait
toujours ainsi, relativement à tous les prêts con-
sentis, de même que le fait qu'il ne les ait pas
considérés comme étant de nature spéculative,
indiquent simplement qu'il était un homme d'af-
faires prudent et n'ont pas pour effet de conver-
tir des prêts consentis dans le cadre des activi-
tés ordinaires de sa compagnie en des
transactions d'investissement. Le même com-
mentaire s'applique à l'arrêt M.R.N. c.
Maclnn es 10 où le juge Thurlow a déclaré, .quoi-
que le contribuable ait acheté au rabais quelque
309 hypothèques que des agents immobiliers lui
avaient offertes sans aucune sollicitation de, sa
part et qu'il les ait détenues jusqu'à leur rem-
boursement soit avant soit au moment de leur
échéance, que ces rabais n'en constituaient pas
moins des gains en capital provenant de la
hausse de la valeur liée à la réalisation d'inves-
tissements. La Cour suprême" infirma ce juge-
ment en déclarant que le contribuable exerçait
une activité à caractère hautement spéculatif
consistant à acheter des hypothèques au rabais
et à les détenir jusqu'à échéance afin de réaliser
le maximum de profit sur la transaction. Il est
assez significatif dans la présente affaire de
remarquer que les prêts consentis portaient des
intérêts nettement plus élevés que ceux en
vigueur à cette époque, ce qui fournit une cer-
taine indication sur le caractère spéculatif des
prêts, en dépit du fait qu'aucun rabais n'était en
jeu.
Le problème le plus épineux en l'espèce pro-
vient du fait que les prêts, à l'origine, n'ont pas
été consentis par la défenderesse mais plutôt
par la Mysam puis ont été transférés à la défen-
deresse à leur pleine valeur comptable en 1967.
La demanderesse prétend qu'on ne peut affir-
mer qu'une partie des activités ordinaires de la
10 [1962] R.C.É. 385.
i 1 [1963] R.C.S. 299.
Mysam consistait à prêter de l'argent puisque
ces trois prêts sont les seuls qu'elle a consentis.
C'est peut-être exact, mais la Cour n'est pas
saisie de l'imposition de la Mysam et ce n'est
pas la Mysam qui a défalqué des prêts la somme
de $30,000 titre de mauvaise créance en 1968.
Puisque j'ai conclu qu'une partie des activités
ordinaires de la défenderesse, la Pollock Soko-
loff, consistait à prêter de l'argent et que préci-
sément ce prêt devint une mauvaise créance en
1968 lorsqu'une partie en a été défalquée, ce
que la faillite du débiteur en 1969 a amplement
confirmé, il n'y aurait eu aucun problème si le
prêt en cause avait été consenti à l'origine par la
Pollock Sokoloff elle-même. Puisque les termes
de l'article 11(1)f) visent toutefois les «créances
résultant de prêts consentis dans le cours ordi-
naire des affaires par un contribuable» il faut se
demander si le cessionnaire peut défalquer des
prêts qui n'ont pas été effectivement consentis
par le contribuable lui-même mais acquis d'un
autre contribuable par voie de transfert. Dans
une décision de la Commission d'appel de l'im-
pôt, l'arrêt Sun Securities Limited c. M.R.N. 12 ,
la compagnie appelante cherchait à constituer
une réserve en vertu de l'article 11(1)e) pour
une mauvaise créance qu'elle avait acquise par
voie de transfert d'un de ses actionnaires mino-
ritaires qui avait consenti les prêts; on a jugé
que cela n'était pas possible en raison des
termes mêmes de l'article 11(1)e) de la Loi. On
relève dans la décision à la page 822:
[TRADUCTION] A la lecture de cet article, il appert indubi-
tablement que la réserve doit être constituée par la personne
qui a consenti les prêts. Dans le présent appel, les faits
n'indiquent pas qu'il en a été ainsi. Les prêts ont été
consentis par Lawrence E. Swinburne tandis que la réserve
a été constituée par la Sun Securities Limited. En outre, les
prêts en cause n'ont pas été consentis par l'appelante dans le
cours ordinaire de ses affaires, en tant que prêteur de
deniers. Au contraire, ils ont été consentis par un certain
Lawrence E. Swinburne personnellement sans qu'il prenne
les précautions habituelles qu'on attend d'un homme d'affai-
res qui prête de l'argent.
Bien que cette affaire ait porté sur la constitu
tion d'une réserve pour une créance douteuse en
vertu de l'article 11(1)e) et non sur la défalca-
tion d'une mauvaise créance en vertu de l'article
11(1)f), l'expression «prêts consentis dans le
cours ordinaire des affaires par un contribua-
12 64 DTC 821.
ble» figure dans les deux articles et, si on devait
suivre ce jugement, l'appel de la demanderesse
serait accueilli. Je crois, toutefois, que nous
devons examiner les circonstances dans lesquel-
les les prêts ont été consentis en l'espèce. Les
contrats de prêts ont été conclus après une
enquête de Sokoloff qui, habituellement, agis-
sait à la fois au nom de la Mysam et de la
Pollock Sokoloff. Ils ont été consentis au nom
de la Mysam de préférence à la Pollock Soko-
loff en raison de la législation fiscale du
Québec. Le chèque en faveur de Crystal repré-
sentant le produit du troisième prêt, soit
$10,000, était de fait un chèque émis par la
Pollock Sokoloff 13 . Dire qu'une compagnie,
dont une partie des activités ordinaires consiste
à prêter de l'argent, ne peut également acquérir
par transfert des prêts consentis par une autre
compagnie, ou dire que, dans cette éventualité,
il faut établir une distinction entre des mauvai-
ses créances découlant de prêts qu'elle a con-
sentis elle-même et qui peuvent être défalqués
et des prêts qu'elle a acquis par transfert à leur
pleine valeur nominale, dire enfin que ces der-
niers prêts ne peuvent faire l'objet d'une défal-
cation, même s'ils deviennent de mauvaises
créances, tout cela me semble constituer une
distinction déraisonnable et susceptible de
porter grandement atteinte aux opérations com-
merciales normales des compagnies dont l'acti-
vité ou une partie des activités consiste à prêter
de l'argent. On n'a sûrement pas pu vouloir que
des prêts acquis à leur pleine valeur nominale, à
un moment où ils ne comportent pas d'arrérages
et paraissent bien garantis, ne puissent jamais
être défalqués par le cessionnaire à titre de
mauvaises créances en vertu de l'article 11(1)f),
ni vouloir qu'une réserve ne puisse être consti-
tuée à leur égard en tant que créance douteuse
en vertu de l'article 11(1)e) à la suite de cette
acquisition. De plus, les intérêts sur ces prêts
ont figuré dans la comptabilité de la Pollock
Sokoloff en 1967, bien qu'ils n'aient pas été
perçus et qu'ils aient fait l'objet d'une imposi
tion, aucune réserve n'étant accordée à leur
égard en tant que créance douteuse, et ce n'est
qu'en 1968 qu'il se produisit un changement et
13 Aucune preuve ne permet d'établir quelle compagnie a
émis les chèques pour les deux premiers prêts.
que ces intérêts non recouvrables furent défal-
qués sur les intérêts perçus en 1968.
Une autre affaire qu'on ne m'a pas citée, à
savoir l'arrêt Western Wood Products Limited c.
M.R.N. 14 , pourrait, à première vue, apporter une
contribution à la théorie de la demanderesse
mais, après une lecture plus attentive, il est clair
que cet arrêt a été tranché sur un autre point.
Dans cette affaire, le contribuable a constitué
une réserve pour une mauvaise créance acquise
d'une filiale qui avait financé une troisième
compagnie également contrôlée par le contri-
buable à condition que toutes pertes en résultant
soient supportées par le contribuable lui-même.
On a jugé qu'en l'absence de pièces justificati-
ves, on ne pouvait considérer le contribuable
comme un créancier de la compagnie qui avait
emprunté et dont la dette envers le prêteur
découlait d'une transaction étrangère au contri-
buable, et que ce dernier se trouvait par consé-
quent exclu du champ de l'exception facultative
visée à l'article 11(1)e)(1) de la Loi. Une lecture
du jugement révèle toutefois qu'il se fondait sur
l'article 137(1) de la Loi pour déclarer qu'on
tentait de réduire «indûment ou de façon fac-
tice» le revenu de l'appelant. Le jugement fait
aussi allusion, à la p. 388, «l'absence de trans-
fert ou de garantie». Rien ne laisse à penser
d'une façon ou d'une autre dans la présente
affaire, comme je l'ai déjà indiqué, qu'il y a eu
des manoeuvres frauduleuses ou qu'on a effec-
tué le transfert avec l'intention d'essayer de
réduire indûment ou de façon factice le revenu
de la défenderesse Pollock Sokoloff.
Par conséquent, je conclus que le montant de
$30,000 a été à bon droit défalqué à titre d'une
mauvaise créance de la défenderesse en 1968 et
je rejette l'appel de la demanderesse interjeté
contre la décision de la Commission de révision
de l'impôt avec dépens, et défère la cotisation
d'impôt sur le revenu de la défenderesse pour
l'année 1968 au Ministre qui établira une nou-
velle cotisation conforme au présent jugement.
14 [1963] R.C.É. 380.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.