Gourdji R. Masri (Appelant)
c.
Le ministre du Revenu national (Intimé)
Division de première instance, le juge Heald —
Montréal, le 4 juin; Ottawa, le 10 juillet 1973.
Impôt sur le revenu—Bénéfices d'entreprise gagnés au
Canada par des résidents américains—Y a-t-il exemption en
tant qu'«entreprise des États-Unis»—Protocole de la Con
vention relative à l'impôt entre le Canada et les É. - U., art. 3.
L'appelant réside à New York où, en association avec son
frère, il exploite différentes entreprises commerciales. Pen
dant un certain nombre d'années à compter de 1954, les
deux frères qui menaient leurs transactions uniquement à
partir de New York en association avec deux autres person-
nes, ont entrepris d'acheter et de vendre des terrains au
Québec, réalisant des profits considérables. L'appelant a été
cotisé à l'impôt sur ces profits de 1960 à 1967.
Arrêt: par le jeu de l'article I de la Convention relative à
l'impôt entre le Canada et les É. - U., lesdits profits réalisés
par l'appelant ne sont pas imposables au Canada.
Bien que l'appelant exploite une entreprise au Canada,
son «entreprise», au sens de l'article 3 du Protocole, était
une entreprise des États-Unis sans établissement stable au
Canada.
Distinction faite avec l'arrêt Tara Exploration and De
velopment Co. c. M.R.N. [1970] C.T.C. 557.
APPEL.
AVOCATS:
Philip F. Vineberg, c.r., pour l'appelant.
George W. Ainslie, c.r., et André P. Gau-
thier pour l'intimé.
PROCUREURS:
Phillips, Vineberg & Co., Montréal, pour
l'appelant.
Le sous - procureur général du Canada pour
l'intimé.
LE JUGE HEALD—Appel est interjeté d'une
nouvelle cotisation établie par l'intimé à l'égard
de l'appelant relativement aux années d'imposi-
tion 1960 à 1967 inclus et ayant trait à des gains
réalisés lors de la vente de terrains situés au
Canada.
L'appelant, qui est âgé de 73 ans, est né en
Irak, pays qu'il a quitté à l'âge de 17 ans pour
aller s'établir en Iran. Là, de concert avec son
frère Saleh, il a exploité activement une entre-
prise d'export-import à titre de commission-
naire. Son entreprise a prospéré à tel point que,
lorsqu'il a quitté l'Iran en 1948 pour venir s'éta-
blir aux États-Unis d'Amérique, sa fortune
s'élevait à environ un million de dollars. Depuis
lors, il habite de façon permanente à New
Rochelle, dans l'État de New York. Il est admis
de part et d'autre que l'appelant n'a jamais
résidé au Canada. Lorsque l'appelant est arrivé
aux États-Unis d'Amérique en 1948, son frère y
vivait déjà depuis deux ans. L'appelant et son
frère ont alors investi la plus grande partie de
leurs fonds, qui étaient considérables, dans des
actions et obligations américaines, notamment
dans des «valeurs sûres». Ils ont ouvert un
bureau au 150 de l'avenue Broadway à New
York, qu'ils occupent d'ailleurs encore
aujourd'hui.
Les frères Masri ont en outre investi dans
l'immobilier. En 1950, ils ont fait l'acquisition
d'un terrain de stationnement de 12 places par-
tiellement couvert, situé dans la ville de New
York, qu'ils ont exploité jusqu'en 1962 et ont
vendu à perte. En 1951, ils ont acheté à Long
Island une propriété commerciale abritant sept
ou huit magasins; ils ont conservé cette pro-
priété à titre de placement jusqu'en 1967. A peu
près à la même époque, ils ont fait l'achat d'une
autre propriété commerciale à Long Island, abri-
tant celle-ci un restaurant et un magasin. En
1955, ils ont acheté un terrain inoccupé à Long
Island, qu'ils ont vendu dans le même état en
1964, tirant un profit de $40,000 de l'opération.
Le fisc américain a estimé qu'il s'agissait là d'un
gain en capital. Les frères Masri ont dû se
résoudre à vendre certaines des propriétés sus-
mentionnées à perte; le fisc américain a estimé
qu'il s'agissait là de pertes en capital.
Les deux frères, qui travaillaient déjà en asso
ciation, ont souscrit un accord d'association le 2
février 1951. Aux termes de cet accord, la
société devait porter le nom de Mildred Mana
gement Company; les deux frères en étaient les
seuls membres et son objet était l'exploitation et
l'administration de biens immobiliers; les
bureaux de la société étaient situés au 150,
avenue Broadway, à New York (New York).
L'objet de la société se limitait toutefois à l'ad-
ministration des propriétés des deux frères
situées dans l'État de New York. Elle n'a rien
eu à voir avec les propriétés achetées par la
suite au Canada.
C'est en novembre 1954 que les deux frères
ont acheté pour la première fois une propriété
située au Canada. De concert avec un certain
Iny, qui habitait New York, et un certain Heskel
Abed, qui habitait Bagdad, ils ont acheté le lot
128 de la paroisse de Pointe-Claire, en banlieue
de Montréal. Chacun des associés était proprié-
taire d'une fraction indivise de 25% de ladite
propriété. A l'achat, la propriété n'était qu'un
terrain vague d'une surface approximative de
trois millions de pieds carrés. Le prix d'achat
était de $170,000.00, dont $80,000.00 payable
au comptant et le solde payable en 5 ans avec
intérêt au taux de 5% l'an. Aux fins de l'achat
de ladite propriété, le frère de l'appelant a agi
pour son propre compte et pour celui des trois
autres associés. Selon l'appelant, son frère et
lui-même souhaitaient diversifier leurs place
ments et estimaient qu'ils auraient intérêt à
investir à l'extérieur des États-Unis. Un des
associés, Abed, avait un frère dans l'immobilier
à Montréal et cet achat a été recommandé par
les membres de la firme dont il faisait partie
(plus précisément par un certain Koslov ou par
Albert Abed).
L'appelant n'a jamais vu le lot 128; il s'est fié
au jugement de son frère. Il était, a-t-il dit, un
«commanditaire» dans cette affaire. Il en allait
de même des deux autres associés. Le frère de
l'appelant était manifestement «chargé» de
mener à bien cette opération. Au moment de
l'achat, le lot 128 était un terrain vague. Selon
l'appelant, les associés n'avaient alors aucune
idée de ce qu'ils allaient faire du terrain en
question. Selon son témoignage, [TRADUCTION]
«il s'agissait pour nous d'un placement». Le
terrain n'a ni été mis en valeur ni exploité en
aucune façon après son acquisition. Les quatre
associés contribuaient chaque année à parts
égales à l'acquittement des impôts et des char
ges hypothécaires.
En 1959, un certain Keyes, qui était à l'em-
ploi de la Morgan Realties Limited, à Montréal,
a pressenti le frère de l'appelant au sujet de la
vente de ce qui restait du lot 128 (la corporation
de Montréal métropolitain en avait exproprié
une petite partie en 1957 aux fins de l'élargisse-
ment des rues et avait versé quelque $33,000.00
de compensation). Keyes a informé Saleh Masri
qu'on projetait de construire à cet endroit un
grand ensemble commercial. Après de longues
négociations, le lot 128 a été vendu en mai 1960
à une compagnie québécoise, la 218 Inc.; le prix
convenu était de $913,000.00, dont $276,000.00
payable au comptant, l'acquittement du solde
étant garanti par une hypothèque consentie par
l'acheteuse en faveur des vendeurs. Les asso-
ciés ont payé une commission s'élevant à
$47,000.00 ($41,000.00 à Keyes et $6,000.00 à
Albert Abed, le frère de Heskel Abed). Au dire
de l'appelant, c'est lui qui a eu l'idée de verser
au moins une partie de la commission à Albert
Abed, étant donné qu'il était d'avis que ce der-
nier avait contribué à la vente, bien que Keyes
ait été leur agent principal, et que pour cette
raison il était fondé à toucher au moins une
partie de la commission. Selon le frère de l'ap-
pelant, les associés reconnaissaient avoir une
obligation morale envers Albert Abed du fait
[TRADUCTION] «qu'il avait déniché la propriété».
Procédant de la même façon, les quatre asso-
ciés ont acheté d'autres propriétés situées dans
la ville de Montréal et sa banlieue:
a) .le 25 octobre 1955, les lots 105 et 106 de
Pointe-Claire, pour un prix de $356,000.00,
dont la moitié payable au comptant et le solde
payable en cinq versements annuels égaux
avec intérêt au taux de 5% l'an;
b) le 2 mai 1957, le lot 107 de Pointe-Claire,
pour un prix de $180,000.00 payable au
comptant.
Ce sont les quatre mêmes associés qui ont
acheté les lots 105, 106 et 107, mais le pourcen-
tage de leur participation n'était pas le même
que dans le cas de l'achat du lot 128. Cepen-
dant, l'objet était le même: les acheteurs
n'avaient aucune intention de construire ou de
mettre en valeur, ils voulaient seulement conser-
ver le terrain. Cette fois encore, il s'agissait d'un
terrain vague.
Les lots 105 et 106 ont été vendus par parcel-
les en 1963, 1964 et 1966; les associés en ont
tiré des bénéfices d'environ $416,000.00.
Le lot 107 a aussi été vendu par parcelles en
1965, 1966 et 1967; les bénéfices se sont élevés
à environ $64,000.00.
L'appelant avait une participation de 25%
dans le lot 128 et de 22.5% dans les lots 105,
106 et 107. C'est sa partie de ces gains qui fait
l'objet du présent appel.
La preuve me porte à conclure sans hésitation
que les achats de terrains en question étaient
des spéculations et que les associés exerçaient
le commerce de l'immobilier. Les propriétés en
question étaient toutes des terrains vagues à la
date de leur achat ainsi qu'à celle de leur vente.
Les associés n'en tiraient aucun revenu et
devaient en outre payer les taxes et l'intérêt sur
les hypothèques à même leurs propres fonds. La
seule possibilité de gain dans cette affaire était
de revendre à profit. Les associés exploitaient
leur entreprise d'une façon analogue à celle des
sociétés immobilières; ils achetaient et ven-
daient les terrains par l'entremise d'agents
immobiliers, payant des commissions auxdits
agents pour les ventes. Ces derniers, à la con-
naissance et du consentement de Saleh Masri,
qui agissait pendant tout ce temps pour le
compte des autres associés, ont placé sur certai-
nes des propriétés des affiches indiquant qu'el-
les étaient «à vendre».
Il ressort nettement du témoignage de l'appe-
lant et de son associé que les propriétés ont été
achetées avec l'intention de les revendre à
profit. C'est, bien sûr, ce qui s'est produit, la
revente des propriétés ayant rapporté un profit
considérable.
Si c'était là la seule question à trancher dans
le présent appel, je déciderais sans hésitation
que lesdites opérations étaient de nature com-
merciale et que le présent appelant doit payer
l'impôt sur sa partie des profits.
L'avocat de l'appelant fait toutefois valoir
que ce dernier n'était pas une personne résidant
au Canada au sens de l'article 2(1) de la Loi de
l'impôt sur le revenu et qu'il n'exerçait pas non
plus une entreprise au Canada au sens de l'arti-
cle 2(2) de ladite loi. Dans sa plaidoirie, l'intimé
reconnaît que l'appelant n'est pas une personne
résidant au Canada et qu'il ne l'a jamais été. Par
conséquent, l'article 2(1), qui ne s'applique
qu'aux personnes résidant au Canada, n'est pas
applicable en l'espèce. Il reste cependant le
paragraphe (2) de l'article 2, lequel porte que:
2. (2) Lorsqu'une personne non imposable en vertu du
paragraphe (1) pour une année d'imposition
a) . . .
b) exerçait une entreprise au Canada à quelque époque de
l'année,
un impôt sur le revenu doit être payé, ainsi qu'il est prévu
ci-après, sur son revenu imposable gagné au Canada pour
l'année, déterminé en conformité de la section D.
Cette question a fait l'objet d'une étude
approfondie par le président Jackett (c'était son
titre d'alors) dans l'arrêt Tara Exploration and
Development Company Limited c. M.R.N.
[1970] C.T.C. 557. Dans cette affaire, la compa-
gnie appelante avait été constituée en Ontario
où elle avait réuni des capitaux aux fins de
l'exploitation de son unique entreprise, soit l'ex-
ploitation de gisements miniers en Irlande. Il
s'agissait de décider si un profit tiré du place
ment à court terme dans les actions d'une com-
pagnie minière canadienne (achetées et vendues
au Canada) de fonds temporairement inutilisés
était assujetti à l'impôt au Canada. Le directeur
général et les autres cadres de la compagnie
résidaient en Irlande et y avaient leurs bureaux.
Les administrateurs et l'ensemble des employés
permanents de la compagnie habitaient là-bas ou
en Irlande du Nord. En dépit du fait que la
compagnie avait été constituée en Ontario, que
les livres de la compagnie étaient à son «siège
social» à Toronto, qu'elle avait un compte ban-
caire, des conseillers juridiques et des vérifica-
teurs à Toronto, que ses administrateurs et ses
dirigeants venaient à l'occasion au Canada,
qu'elle avait réuni des capitaux au Canada et
qu'elle s'était engagée dans certaines entreprises
commerciales au Canada, le savant président a
décidé que sa gestion et sa direction s'exer-
çaient en Irlande.
En étudiant l'applicabilité de l'article 2(2) aux
faits de ladite affaire, le savant président a
déclaré, à la page 567 du jugement:
[TRADUCTION] Sans être sûr d'avoir raison, je suis d'avis
que l'article 139(1)e) n'a pas pour effet d'assujettir une
personne non résidente à l'impôt sur le revenu canadien à
l'égard d'un profit tiré d'une initiative qui autrement ne
constitue pas une «entreprise» et n'en fait pas partie. J'ai
conclu, après beaucoup d'hésitation, que la meilleure inter-
prétation est que l'expression «a exercé» n'est pas une
expression que l'on peut utiliser convenablement avec le
terme «initiative». Exercer quelque chose implique une con-
tinuité dans le temps ou dans les opérations, comme celle
qu'implique le sens ordinaire du mot «entreprise». Une
initiative est un événement isolé. On «prend» une initiative
et l'on «exerce» une entreprise.
Il ressort nettement de la lecture de l'ensem-
ble du jugement que la décision du savant prési-
dent est fondée sur le caractère isolé de l'«initia-
tive», c'est-à-dire sur l'absence de continuité
dans le temps ou dans les opérations.
En l'espèce, il ne s'agit pas d'une initiative
d'un caractère commercial isolée, comme c'était
le cas dans l'affaire Tara (précitée), ni d'une
opération qui ne faisait pas partie de l'«entre-
prise» exploitée par l'appelant, comme dans l'af-
faire Tara (précitée).
Il ressort des faits de la présente espèce qu'il
ne s'agit pas du tout ici d'une «opération
isolée», comme c'était le cas dans l'affaire Tara
(précitée). Les achats et les ventes dont on a tiré
les gains visés par le présent appel portaient sur
le lot 128 et sur les lots 105, 106 et 107 de la
paroisse de Pointe-Claire. Mais, en 1955, l'appe-
lant et ses associés ont aussi acheté le lot 196 de
la paroisse de St-Laurent, dont la superficie est
de trois à quatre millions de pieds carrés. Ils
semblent en être encore propriétaires et ils ne
l'ont pas mis en valeur. Il s'agit donc en l'espèce
du cas d'une série d'achats et de ventes de
parcelles de terrain, échelonnée sur une période
de temps assez longue. Toutes proportions gar-
dées, il s'agit d'un très grand terrain et les
sommes en cause sont considérables. Il ne s'agit
pas du tout, à mon avis, d'une «opération
isolée» comme c'était le cas dans l'affaire Tara
(précitée), et cet élément suffirait à lui seul à
distinguer la présente affaire. Il faut en outre
tenir compte de l'article 139(7) de la Loi de
l'impôt sur le revenu, lequel porte que:
139. (7) Lorsque, dans une année d'imposition, une per-
sonne non résidante a
a) produit, cultivé, miné, créé, manufacturé, fabriqué,
amélioré, empaqueté, conservé ou construit, en totalité ou
en partie, quoi que ce soit au Canada, qu'elle l'ait ou non
exporté sans le vendre avant l'exportation, ou
b) sollicité des commandes ou offert en vente quoi que ce
soit au Canada, par l'entremise d'un mandataire ou pré-
posé, que le contrat ou l'opération ait dû être parachevée
au Canada ou hors du Canada, ou en partie au Canada et
en partie hors du Canada,
elle est censée, pour l'application de la présente loi, avoir
exercé des affaires au Canada pendant l'année.
J'estime qu'un cas comme celui-ci tomberait
dans le champ d'application de l'article
139(7)b), puisqu'il est établi que l'appelant et
ses associés ont offert leurs terrains en vente au
Canada par l'entremise d'agents immobiliers,
qu'ils savaient que ceux-ci faisaient de la publi-
cité aux fins de vendre lesdits terrains en y
érigeant des affiches indiquant qu'ils étaient «à
vendre», et que, une fois lesdites ventes faites,
ils ont rétribué ces agents au moyen de
commissions.
Je décide donc que l'appelant était une per-
sonne non résidente qui, au cours de la période
en question, exerçait une entreprise au Canada
au sens de l'article 2(2)b) de la Loi de l'impôt
sur le revenu.
La question ne s'arrête toutefois pas là. Il faut
en outre étudier l'effet qu'est susceptible d'avoir
en l'espèce la Convention relative à l'impôt
entre le Canada et les États-Unis d'Amérique
souscrite le 4 mars 1942 et dont l'entrée en
vigueur a été fixée rétroactivement au ler jan-
vier 1941, prenant pour acquis que l'appelant
est assujetti à la Partie I de la Loi de l'impôt sur
le revenu relativement aux profits en question.
Les articles I et II de ladite Convention por
tent que:
ARTICLE I
Toute entreprise de l'un des États contractants n'est impo-
sable par l'autre État contractant en raison de ses bénéfices
industriels et commerciaux que pour la part de ces bénéfices
imputables, aux termes de la présente Convention, à l'éta-
blissement stable qu'elle exploite dans ce dernier État.
En vue du calcul de l'impôt dans l'un des États contrac-
tants, il ne sera pas tenu compte des simples opérations
d'achat de marchandises effectuées dans ce dernier par une
entreprise de l'autre État.
ARTICLE II
Pour les fins de la présente Convention, l'expression
«bénéfices industriels et commerciaux» ne vise pas le
revenu qui se présente sous la forme de loyers, de redevan-
ces, d'intérêts, de dividendes, de droits de gestion ou de
gains retirés de la vente ou de l'échange de biens de capital.
Sous réserve des clauses de la présente Convention, ces
chefs de revenu seront taxés séparément ou avec les bénéfi-
ces industriels et commerciaux suivant les lois respectives
des États contractants.
Pour faire une application correcte desdits
articles, il est en outre nécessaire de renvoyer
aux définitions suivantes figurant au Protocole à
la Convention:
3. Dans ladite Convention:
a) les termes «personne», «personne physique», «per-
sonne morale» et «société» ont chacun le même sens
qu'en droit fiscal de l'État prélevant l'impôt ou fournis-
sant les renseignements, selon le cas;
b) le terme «entreprise» comprend toute forme d'exploi-
tation, qu'elle appartienne à une personne physique, à une
société en nom collectif, à une société anonyme ou à toute
autre personne morale;
c) l'expression «entreprise de l'un des États contractants»
signifie, selon le cas, «entreprise des États-Unis» ou
«entreprise canadienne»;
d) l'expression «entreprise des États-Unis» désigne une
entreprise exploitée aux États-Unis d'Amérique par une
personne physique résidant dans cet État, ou par une
société anonyme, une société en nom collectif ou une
autre personne morale créée ou constituée aux États-Unis
d'Amérique ou sous le régime de leur législation ou de
celle de tout État ou territoire des États-Unis d'Amérique;
e) l'expression «entreprise canadienne» se définit de la
même façon, mutatis mutandis, que l'expression «entre-
prise des États-Unis»;
j) l'expression «établissement stable» vise les succursa-
les, les exploitations minières et pétrolifères, agricoles et
forestières, les plantations, les fabriques, les ateliers, les
entrepôts, les bureaux, les agences et les autres places
fixes d'affaires de toute entreprise, mais non pas les
sociétés filiales. L'utilisation d'une quantité considérable
de matériel ou de machinerie dans l'un des États contrac-
tants, pendant toute partie d'une année d'imposition quel-
conque, par une entreprise de l'autre État contractant,
constituera pour cette entreprise un établissement stable
dans le premier État pendant ladite année d'imposition.
Si une entreprise de l'un des États contractants fait affai-
res dans l'autre État contractant par l'intermédiaire d'un
employé ou d'un agent qui est établi dans ce dernier État, et
qui est investi d'un mandat général pour conclure des con-
trats pour le compte de son patron ou de son commettant ou
qui dispose d'un stock de marchandises au moyen duquel il
satisfait couramment aux commandes qu'il reçoit, elle sera
considérée comme ayant un établissement stable dans ce
dernier État.
Le fait pour une entreprise de l'un des États contractants
d'avoir des relations d'affaires dans l'autre État contractant
par l'intermédiaire d'un commissaire, d'un courtier ou d'un
autre agent autonome ou d'y avoir un bureau qui ne sert
qu'à l'achat de marchandises, ne permet pas de considérer
cette entreprise comme ayant un établissement stable dans
ce dernier État.
Le savant avocat de l'intimé fait valoir que,
d'après les critères établis dans les articles et les
définitions précités, la Convention relative à
l'impôt entre le Canada et les États-Unis d'Amé-
rique ne s'applique pas aux faits de l'espèce.
Selon lui, il faut déclarer que la présente initia
tive de l'appelant dans le domaine de l'immobi-
lier au Canada était en fait une «entreprise
canadienne» et en aucune façon une «entreprise
des États-Unis», selon les critères établis dans
les définitions précitées. L'avocat de l'intimé en
conclut que la Convention fiscale ne s'applique
pas en l'espèce puisqu'aux termes de son article
I, la Convention ne vise qu'à soustraire une
entreprise d'un des États contractants à l'impo-
sition par l'autre État contractant.
A l'appui de sa prétention selon laquelle l'«en-
treprise» de l'appelant n'était pas une entreprise
des États-Unis, l'avocat de l'intimé renvoie à la
définition du terme «entreprise» à l'article 3 b)
du Protocole, aux termes de laquelle une société
en nom collectif constitue une entreprise. Il
conclut que l'«entreprise» dans le cas présent
est la société formée de quatre membres qui a
acheté la propriété située au Canada et, ajoute-
t-il, l'«entreprise» n'a pas été exploitée aux
États-Unis d'Amérique au sens de l'article 3 b)
du Protocole.
En toute déférence, je ne suis pas de cet avis.
Ce qui nous intéresse, c'est l'appelant à titre
individuel et non à titre de membre d'une
société. Comme le disait le juge Thurlow, dans
l'arrêt McMahon c. M.R.N. 59 DTC 1109 à la p.
1111:
[TRADUCTION] ... C'est l'appelant seul qui a été cotisé, c'est
uniquement sa partie du profit qui a été comprise dans le
calcul de son revenu et il est donc seul tenu à l'acquittement
de l'impôt ainsi établi.
Par conséquent, en appliquant les définitions
de l'article 3 du Protocole aux faits de l'espèce,
il faut garder à l'esprit que l'«entreprise» en
question est celle de l'appelant et non celle de la
société.
En l'espèce, l'appelant n'avait aucun bureau
ni place d'affaires au Canada, son nom ne figu-
rait pas dans l'annuaire téléphonique et, pendant
la plus grande partie de la période en question, il
n'avait aucun compte bancaire au Canada. Il
habitait l'État de New York et il avait son
bureau au 150 de l'avenue Broadway, à New
York, où il gardait ses livres et ses registres et
d'où il dirigeait ses affaires.
Selon moi, l'«entreprise» de l'appelant com-
prenait ses placements dans des actions de tout
premier ordre, sa participation dans diverses
transactions immobilières dans l'État de New
York et sa participation dans les transactions
immobilières en cause au Canada. Vue sous cet
angle, l'«entreprise» de l'appelant est sans le
moindre doute une entreprise des États-Unis au
sens de l'article 3 d).
Même si l'on acceptait la prétention de l'in-
timé selon laquelle l'entité à considérer en l'es-
pèce est la société elle-même, je ne vois pas
comment cette société pourrait constituer une
entreprise canadienne selon la définition qu'en
donne l'article 3e) du Protocole. Une des exi-
gences dudit texte est que la «société en nom
collectif ... (soit) créée ou constituée au
Canada ou sous le régime de sa législation.»
En l'espèce, rien n'indique qu'il y ait eu une
société constituée sous le régime des lois du
Canada ou d'une province canadienne. En fait,
rien n'indique qu'il y ait eu quelque accord écrit
relatif aux achats de terrains situés au Canada.
Les associés habitaient New York, ils transi-
geaient leurs affaires à New York et les terrains
situés au Canada ont tous été achetés et enregis-
trés soit au nom d'un ou de plusieurs des asso-
ciés soit au nom d'une compagnie newyorkaise,
propriété exclusive d'un ou plusieurs des
associés.
Je suis fermement convaincu de l'impossibi-
lité de considérer l'activité de l'appelant au
Canada comme une entreprise canadienne au
sens du Protocole, qu'elle ait été une partie de
son entreprise globale ou une société distincte.
Le savant avocat de l'intimé a ensuite soutenu
que si j'estimais que l'«entreprise» en question
était une entreprise des États-Unis, ladite
«entreprise», d'après la preuve présentée, avait
un «établissement stable» au Canada et qu'en
vertu de l'article I, les bénéfices imputables à
cet établissement stable situé au Canada sont
imposables par le Canada.
Il me semble que sur cette question l'arrêt
Tara (précité) va nettement à l'encontre de la
prétention de l'intimé. Les faits de la présente
affaire sont encore plus défavorables à la pré-
tention de l'intimé que ne l'étaient ceux de l'af-
faire Tara (précitée).
En l'espèce, toute la direction et l'administra-
tion de l'activité commerciale de l'appelant, y
compris celle visant la prétendue société, s'exer-
çait à New York; il n'y avait aucun employé au
Canada et aucun bureau; aucun résident cana-
dien n'avait mandat de souscrire un contrat pour
le compte de l'appelant ou de la société ni de
mener des affaires à ce titre; tous les documents
relatifs à l'acquisition et à la vente de biens
immobiliers situés au Canada ont été signés à
New York; toutes les instructions relatives aux-
dits biens sont venues de New York; l'appelant
et la société n'ont agi au Canada que par l'entre-
mise de commissionnaires et de courtiers.
L'avocat de l'intimé a cherché à attacher de
l'importance au fait que pour acheter et vendre
les terrains situés au Canada, les associés ont eu
recours aux services de deux urbanistes, d'un
arpenteur, de deux courtiers, de deux firmes
d'avocats et d'un notaire. Selon moi, ces cir-
constances sont de nature à me confirmer dans
mon opinion qu'on ne peut dire que l'appelant a
un «établissement stable au Canada», car toutes
les personnes susdites ont en commun le fait
d'être des agents indépendants et non des
employés, leurs services étant rémunérés sur
une base d'honoraires. Selon moi, la nature de
leurs rapports avec l'appelant et la société
tombe nettement dans le champ d'application du
troisième paragraphe de l'alinéa fl de l'article 3
du Protocole (précité).
Je conclus donc qu'en l'espèce il y a lieu
d'appliquer l'article I et que, par conséquent, les
bénéfices réalisés par le présent appelant ne
sont pas imposables par le Canada, même s'il en
irait autrement si ce n'était des dispositions de
la Convention et du Protocole susdits. Aux
termes de l'article 3 de la Loi de 1943 sur la
Convention relative à l'impôt entre le Canada et
les États-Unis d'Amérique, les dispositions de
ladite Convention et dudit Protocole ont force
de loi au Canada et, en cas d'incompatibilité
entre lesdites dispositions et l'application de
toute autre loi, elles doivent l'emporter dans la
mesure de cette incompatibilité.
Pour les motifs susdits, l'appel est accueilli
avec dépens et les cotisations dont il est inter-
jeté appel sont déférées à l'intimé pour nouvelle
cotisation où les profits en question ne seront
pas assujettis à l'impôt en vertu de la Loi de
l'impôt sur le revenu.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.