74-A-304
L'Association des consommateurs du Canada et
Pollution Probe de l'Université de Toronto
(Requérants)
c.
La Commission d'énergie hydro-électrique de
l'Ontario, l'Office national de l'énergie et Sa
Majesté la Reine du chef de la province de l'Onta-
rio (le ministre de l'Énergie de l'Ontario)
(Intimés)
[N ° 1]
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges
Pratte et Heald—Ottawa, le 19 mars 1974.
Pratique—Demande d'autorisation d'interjeter appel d'une
décision de l'Office national de l'énergie—Demande écrite
examinée—Autorisation de soumettre la demande à un débat
oral accordée—Loi sur l'Office national de l'énergie, S.R.C.
1970, c. N-6, art. 18(1), 82(1)a) et 83b) et Partie VI des
Règlements, art. 6(2).
Les requérants demandent l'autorisation d'interjeter appel
d'une décision de l'Office national de l'énergie accordant à
l'intimée, la Commission hydro-électrique de l'Ontario, une
licence d'exportation de force motrice. L'Office a dispensé
la Commission de l'obligation de fournir des renseignements
détaillés énumérés à l'article 6(2) et la Partie VI des Règle-
ments de L'Office. L'Office a rejeté les allégations des
présents requérants (intervenants) selon lesquelles les coûts
sociaux de la pollution de l'air seraient supérieurs au béné-
fice net tiré de cette exportation.
Arrêt: les plaidoiries écrites des requérants selon lesquel-
les l'Office a commis une erreur de droit en accordant une
licence à la Commission d'énergie intimée ne révèlent aucun
moyen de droit défendable permettant de contester la vali-
dité de la décision de l'Office. La Cour a cependant autorisé
les requérants à soumettre la demande à un débat oral dans
les trente jours.
Arrêts examinés: Magnasonic Canada Ltd. c. Le Tribu
nal antidumping [1972] C.F. 1239; Northwest Utilities
c. La cité d'Edmonton [1929] R.C.S. 186; Union Gas
Company of Canada, Limited c. Sydenham Gas and
Petroleum Company, Limited [1957] R.C.S. 185;
Memorial Garden Association (Canada) Limited c.
Colwood Cemetery Company [1958] R.C.S. 353 et La
Cie Bell Téléphone c. Le Canadien National (1939) 50
C.R.T.C. 10.
DEMANDE.
AVOCATS:
Aucune comparution, demande par écrit en
vertu de la Règle 324.
PROCUREURS:
Andrew J. Roman, Ottawa, pour les
requérants.
Weir & Foulds, Toronto, pour la Commis
sion hydro-électrique, intimée.
F. H. Lamar, Ottawa, pour l'Office national
de l'énergie, intimé.
Morris Manning, Toronto, pour Sa Majesté
la Reine du chef de l'Ontario, intimée.
Le sous-procureur général du Canada pour
Sa Majesté la Reine du chef du Canada.
LE JUGE EN CHEF JACKETT—Il s'agit d'une
demande présentée au nom de «L'Association
des consommateurs du Canada et Pollution
Probe de l'Université de Toronto» visant à obte-
nir l'autorisation d'interjeter appel en vertu de
l'article 18 de la Loi sur l'Office national de
l'énergie' d'«une décision de l'Office national de
l'énergie datée de novembre 1973, accordant la
licence n° EL 76 et signifiée aux requérants le 7
janvier 1974.»
L'article 18 de la Loi sur l'Office national de
l'énergie se lit comme suit:
18. (1) II peut être interjeté appel devant la Cour d'appel
fédérale, contre une décision ou ordonnance de l'Office, sur
une question de droit ou de compétence, dès que l'autorisa-
tion en a été obtenue de la Cour, sur une requête présentée
dans le délai d'un mois après l'établissement de la décision
ou ordonnance dont on veut appeler ou dans tel délai
supplémentaire que le juge accorde dans des circonstances
spéciales.
Les requérants ont soumis à l'appui de la
demande d'autorisation d'interjeter appel, un
affidavit auquel a été joint «une décision de
l'Office national de l'énergie datée de novembre
1973 accordant la licence n° EL 76», qui est
apparemment une licence d'exportation de force
motrice aux termes des articles 82 et 83 de la
Loi sur l'Office national de l'énergie qui se lisent
en partie comme suit:
82. (1) Sous réserve des règlements, l'Office peut délivrer
des licences, aux conditions que prescrivent les règlements,
a) pour l'exportation de la force motrice ou du gaz, et
1 L'avis de requête mentionne aussi l'article 29 de la Loi
sur la Cour fédérale, mais cet article ne semble pas autoriser
à interjeter «appel» devant cette cour.
83. Lorsqu'une demande de licence lui est présentée,
l'Office doit tenir compte de toutes les considérations qui lui
semblent pertinentes et, sans restreindre la généralité de ce
qui précède, l'Office doit s'assurer
b) que le prix devant être exigé par l'auteur de la
demande, pour du gaz ou de la force motrice par lui
exportés, est juste et raisonnable en fonction de l'intérêt
public.
D'après la décision et les documents annexés
à celle-ci, il semble que, comme la Commission
d'énergie hydro-électrique de l'Ontario l'avait
demandé en présentant sa demande de licence,
l'Office national de l'énergie l'ait dispensée de
l'exigence prévue à l'article 6(2) de la Partie VI
des Règlements de l'Office, portant qu'elle doit
fournir certains renseignements détaillés. Selon
les requérants, cet article se lit en partie comme
suit:
6. (2) Sans restreindre la portée générale du paragraphe
(1), les renseignements que tout requérant décrit au paragra-
phe (1) est tenu de fournir doivent, sauf autorisation con-
traire de l'Office, comprendre
z) une preuve démontrant que le prix que doit exiger le
requérant pour la puissance et l'énergie électrique desti
nées par lui à l'exportation est juste et raisonnable par
rapport à l'intérêt public et, en particulier, que le prix
d'exportation
(i) permettra la récupération d'une bonne proportion
des coûts assumés au Canada,
aa) un témoignage quant aux répercussions que pourrait
avoir sur l'environnement la production de la puissance
destinée à l'exportation.
Le rapport sur lequel l'Office national de
l'énergie a fondé la décision attaquée fait men
tion d'«Interventions» dans un chapitre qui se lit
en partie comme suit:
Pollution Probe et l'Association des consommateurs du
Canada étaient représentés par un conseiller juridique. Ces
groupes ont fait valoir que l'appréciation faite par l'Hydro-
Ontario des avantages du projet ne tenait compte que des
coûts pour cette société, que si l'on précisait l'importance
des coûts sociaux entraînés par la production d'énergie
destinée à l'exportation et qu'on les soustrayait des avanta-
ges assurés par le projet, il s'ensuivrait une perte nette, que
le prix à l'exportation était donc inadéquat et enfin, que la
production de l'énergie au moyen du charbon était un pro-
cédé salissant qui devrait être découragé à moins d'être
absolument nécessaire.
Voici comment, dans le rapport, cette interven
tion est rejetée:
Un aspect important de l'audition a été la grande impor
tance attachée aux répercussions du projet sur l'environne-
ment, suscitée par l'intervention de Pollution Probe et de
l'Association des consommateurs du Canada. Les interven
tions de ces deux groupes, voulant que les coûts sociaux de
la pollution de l'air soient supérieurs aux bénéfices nets
qu'entraînerait un tel projet d'exportation, constituaient le
principal argument militant contre l'octroi de la licence. Je
traiterai donc de cet aspect en premier lieu.
Dans une décision relativement à une demande d'exporta-
tion où il a été question de la pollution de l'air (Rapport de
l'ONE au Gouverneur en conseil concernant la demande de
la New Brunswick Electric Power Commission, juillet 1972,
page 33), l'Office a formulé ses responsabilités au chapitre
de l'environnement sur deux plans: «En premier lieu, il
devrait s'assurer que la production d'énergie qu'il pourrait
autoriser à des fins d'exportation, n'entraînera pas une
pollution dépassant les limites déterminées par les organis-
mes qui ont la responsabilité première de ces questions.
En deuxième lieu, il devrait étudier les avantages anticipés
offerts par l'exportation d'énergie par rapport aux répercus-
sions adverses que celle-ci pourrait avoir sur l'environne-
ment pour la communauté et s'assurer que l'exportation se
traduirait par un bénéfice net, non seulement pour le deman-
deur, mais également pour le Canada.»
Dans l'examen de la présente demande, je ne vois aucune
raison de m'écarter de cette politique de l'ONE concernant
ses responsabilités.
La première est satisfaite: les témoignages révèlent que
l'Hydro-Ontario exploite ses centrales thermiques confor-
mément aux règlements du ministère de l'Environnement de
l'Ontario.
Négligeant pour le moment les avantages non quantifiés
de l'interconnexion avec les autres réseaux, la deuxième
préoccupation de l'Office relativement à la qualité de l'envi-
ronnement ne semblerait pas satisfaite si l'appréciation faite
par Pollution Probe et l'Association des consommateurs des
coûts sociaux de la pollution accrue, établis à $8.5 millions
est valable. Ceci voudrait dire que les dommages causés par
la pollution de l'air annuleraient les bénéfices que l'Hydro-
Ontario pourrait retirer d'une telle initiative. Si cette estima
tion s'avérait exacte, cela voudrait dire que les prix à
l'exportation sont trop bas. B s'agit donc de voir si cet
estimé de $8.5 millions est exact.
En dépit des explications complètes fournies par les
témoins et les arguments persuasifs de leur conseiller juridi-
que, mon analyse des témoignages me porte à conclure que
ce témoignage ne peut servir de base pour justifier le rejet
de la demande, et ce pour un certain nombre de raisons.
On trouve, semble-t-il, le principal argument
des requérants à l'encontre de la décision de
l'Office dans leurs plaidoiries écrites du 6
février 1974, que voici:
[TRADUCTION] a) L'Office a rendu une décision entachée
d'une erreur de droit en accordant la licence à la Commis
sion d'énergie intimée (ci-après appelée l'«Hydro») bien
que cette dernière n'ait pas réussi à démontrer le bien-
fondé de sa demande. L'Hydro a omis ou négligé de
produire des preuves relatives aux coûts sociaux au
Canada et aux répercussions de telles mesures sur l'envi-
ronnement, comme l'exigent l'article 83b) de la Loi sur
l'Office national de l'énergie, l'article 6(2)z) et aa) de la
Partie VI des Règlements de l'Office et les principes
directeurs de l'Office tels qu'énoncés dans sa décision
concernant la Commission d'énergie électrique du Nou-
veau-Brunswick (juillet 1972—p. 33: 11. 13-18 et p. 21:
11. 17). La présentation de preuves dont on peut tirer les
conclusions de fait nécessaires est une condition préalable
à l'octroi de toute licence. Lorsque cette condition n'est
pas remplie, l'Office n'a pas le pouvoir d'accorder une
telle licence.
Magnasonic Canada Ltd. c. Le Tribunal antidumping,
[1972] C.F. 1239, 30 D.L.R. (3e) 118.
Compte tenu de la solution que j'ai l'intention
de proposer relativement à cette requête, je
préfère m'abstenir d'exprimer une opinion défi-
nitive à son sujet. Je me contenterai de dire
qu'ayant étudié la question à fond, au vu des
plaidoiries écrites des requérants, je ne trouve
dans le passage précité aucun motif défendable
permettant de contester la validité de la décision
en cause. L'article 83 b) demande à l'Office de
décider si le prix est «juste et raisonnable» en
fonction de l'intérêt public. Il me semble qu'en
général, lorsque le Parlement laisse à un tribunal
la détermination de ce qui est «équitable et
raisonnable» ou «juste et raisonnable», en
matière de taux, de prix ou de ce qui est adapté
ou nécessaire au public, le tribunal en cause a le
pouvoir discrétionnaire de décider de quelle
manière il obtiendra les renseignements; les tri-
bunaux judiciaires n'ont donc pas le droit d'exa-
miner l'opinion de l'Office, cette opinion étant
fondée sur des faits établis devant lui. Voir les
arrêts Northwest Utilities Ltd. c. La cité
d'Edmonton, 2 Union Gas Company of Canada,
Limited c. Sydenham Gas and Petroleum Com
pany, Limited 3 et Memorial Garden Associa
tion (Canada) Limited c. Colwood Cemetery
Company 4 . En outre, lorsqu'un tribunal adopte
une règle de pratique qui doit régir l'exercice de
ses fonctions statutaires, la question de savoir
2 [1929] R.C.S. 186.
3 [1957] R.C.S. 185.
4 [1958] R.C.S. 353.
s'il interprète correctement sa propre règle ne
peut être une question de droit. De même [TRA-
DUCTION] «la question de savoir si, dans un cas
précis, l'Office a interprété correctement les
faits dans le but d'appliquer la règle en cause ne
peut être considérée comme une telle question.
Il en est ainsi parce qu' ... il n'existe ni règle
statutaire ni principe juridique qui indique
expressément sur quelles considérations l'Office
doit se fonder dans l'exercice de son pouvoir
discrétionnaire administratif ...». Voir l'arrêt
La Cie Bell Téléphone c. Le Canadien Natio
nal 5 , rendu par le juge en chef du Canada Duff
(prononçant le jugement de la Cour suprême du
Canada), à la page 21. A mon sens, avant que la
présente demande puisse être accueillie, la Cour
doit être en mesure de déterminer s'il existe une
question de droit ou de compétence particulière
dont la réponse pourrait mener à l'annulation de
la décision ou ordonnance attaquée. Il pourrait
s'agir de la question de savoir si l'Office a rendu
cette décision ou ordonnance sans tenir compte
d'une disposition statutaire ou autre règle de
droit. Il se pourrait que la décision ou ordon-
nance soit fondée sur une conclusion de fait qui
ne pourrait être maintenue, étant donné le
mandat confié à l'Office par la Loi. Cette ques
tion pourrait porter sur d'autres sujets qui ne me
viennent pas à l'esprit. De toute façon, comme
je l'ai déjà indiqué, je ne suis pas parvenu à
déterminer s'il existait une telle question de
droit particulière, dans le passage précité des
plaidoiries des requérants.
Même si toutes ces considérations ne s'appli-
quent pas à toutes les autres questions de droit
ou de compétence soulevées par les plaidoiries
des requérants, je n'ai pas réussi, compte tenu
de mon examen de l'affaire, à trouver de ques
tion de droit ou de compétence particulière dont
la réponse pourrait mener à un jugement contre-
disant la décision de l'Office de l'énergie dont
les requérants demandent par la présente l'auto-
risation d'interjeter appel. A mon avis, on ne
doit pas accorder l'autorisation d'interjeter
appel dans une affaire de cet ordre simplement
5 (1939) 50 C.R.T.C. 10.
pour permettre aux éventuels appelants de con-
traindre la Cour à passer les dossiers au crible à
la recherche de quelque fondement juridique
pour annuler la décision.
Je reconnais cependant que cette affaire est
complexe et que donc des doutes subsistent;
une présentation orale de la demande me per-
mettrait peut-être de voir l'affaire sous un angle
différent.
Je propose donc d'autoriser les requérants à
soumettre la demande à un débat oral dans les
trente jours. (A cette fin, les requérants devront
discuter avec le greffe de la Cour ainsi qu'avec
les avocats des autres parties représentées
devant l'Office, des date et lieu appropriés pour
un tel débat oral; lorsqu'à l'issue de ces discus
sions, la Cour aura fixé les date et lieu, cette
dernière en informera toutes les parties à l'ac-
tion, par lettre recommandée, au moins 10 jours
avant). Si la demande n'est pas présentée pour
un débat oral dans les trente jours, la demande,
à l'expiration de ce délai, se trouvera rejetée.
* * *
LE JUGE PRATTE—Je souscris à l'ordonnance
proposée par le juge en chef.
* * *
LE JUGE HEALD—Je souscris aussi à l'ordon-
nance proposée par le juge en chef.
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