Cercast Inc. et Vestshell Inc. (Demanderesses)
c.
Shellcast Foundries Inc., Bodo Morgenstern et
Vera Stibernik (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal (P.Q.), le 11 juin; Ottawa, le 13 juin
1973.
Pratique—Partie refusant de communiquer les documents
jusqu'au règlement de l'appel interjeté du refus de suspendre
les procédures en cours—Règle 447—Obligation de commu-
niquer les documents.
Les défendeurs ont interjeté appel du rejet d'une requête
antérieure en radiation des parties de la déclaration en
l'espèce. Ils ont demandé une suspension des procédures en
cours jusqu'à ce qu'il soit statué sur l'appel; ceci leur ayant
été refusé, ils ont interjeté appel de ce refus. En attendant
qu'il soit statué sur cet appel, les défendeurs refusent de
communiquer des documents en vertu de la Règle 447, au
motif qu'agir autrement reviendrait à acquiescer au juge-
ment et compromettrait leur appel dudit jugement.
Arrêt: leurs objections sont mal fondées.
REQUÊTE.
AVOCATS:
Kent Plumley pour les demanderesses.
J. Clark, c.r., et M. E. McLeod pour les
défendeurs.
PROCUREURS:
Gowling et Henderson, Ottawa, pour les
demanderesses.
Ogilvy, Cope, Porteous, Hansard, Marier,
Montgomery et Renault, Montréal, pour les
défendeurs.
LE JUGE WALSH—Il s'agit d'une requête
déposée par la demanderesse en vertu de la
Règle 460 des règles de la Cour fédérale, visant
à faire radier la défense déposée le 5 mars 1973
par la Shellcast Foundries Inc. et Bodo Mor-
genstern et demandant que jugement soit rendu
en faveur de la demanderesse Cercast Inc. con-
formément à la déclaration déposée par celle-ci
le 24 janvier 1972; ou, subsidiairement, que soit
ordonné aux défendeurs de déposer, au plus
tard le 14 juin 1973, en application de la Règle
447, une liste de documents au motif que les
défendeurs ont omis de fournir cette liste, ainsi
que l'exige cette règle, et refusent de le faire. La
requête demande en outre à la Cour d'ordonner
aux défendeurs Shellcast Foundries Inc. et
Bodo Morgenstern de déposer et de signifier à
la demanderesse, conformément aux Règles 448
et 451, et avant le 18 juin 1973, la liste des
documents se trouvant ou s'étant déjà trouvé en
leur possession ou sous leur garde et portant sur
tous les aspects pertinents de l'affaire; ou solli-
cite en outre de la Cour qu'elle ordonne aux
défendeurs de rédiger et produire un affidavit
authentifiant cette liste, et plus précisément
d'inclure dans cette liste toute correspondance,
notes de service, écrits divers, projets d'accord
de licence, accords de licence, documentation
technique, manuels, plans et devis techniques
ayant trait aux rapports entre les défendeurs et
certaines corporations européennes ou nord-
américaines au sujet d'éventuels accords de
licence, et notamment d'un accord de licence
avec la société néerlandaise N.V. Aluminum
Industrie Vaassen; on exige la production de ces
documents par les défendeurs pour permettre
leur examen par la demanderesse conformément
aux Règles 453 et 455, et notamment l'établisse-
ment de copies de ces documents par la deman-
deresse. La demanderesse requiert en outre, en
vertu de la Règle 456, que l'accord de licence
passé avec la N.V. Aluminum Industrie Vaassen
en juin 1972, ainsi que tous autres accords de
licence, correspondance, notes de service, écrits
divers, projets d'accord de licence, accords de
licence, documentation technique, manuels,
plans et devis techniques ayant trait aux rap
ports entre les défendeurs et certaines corpora
tions européennes ou nord-américaines, soient
produits pour en permettre l'examen par la Cour
et la demanderesse.
Les défendeurs s'opposent à cette requête et
admettent qu'ils ont omis de déposer, et effecti-
vement refusé de déposer, cette liste de docu
ments et cet affidavit dans les délais légaux, car
ils ont fait appel du jugement par lequel la Cour,
le 30 avril 1973, refusait de leur accorder une
suspension d'instance jusqu'à ce que la Cour
suprême du Canada statue sur l'appel interjeté
par eux du jugement du juge Pratte en date du
14 mars 1972, rejetant leur requête en radiation
de certains paragraphes et des conclusions de la
déclaration produite par la demanderesse au
motif que la Cour n'avait pas compétence en
l'espèce vu l'inconstitutionnalité de l'article 7 de
la Loi sur les marques de commerce. Antérieure-
ment au jugement du 30 avril 1973, l'avocat de
la défense avait envoyé à l'avocat de la deman-
deresse, le 26 mars 1973, une lettre dont voici
un extrait:
[TRADUCTION] Suite à l'accord auquel nous sommes parve
nus en présence du juge en chef Jackett, le 28 février 1973,
je rédige en ce moment une requête en suspension d'ins-
tance dans l'affaire qui nous concerne; je n'estime donc pas
être en mesure de vous communiquer dans un proche avenir
la liste de documents de la défense.
A la suite du jugement refusant la suspension
d'instance, l'avocat des défendeurs a écrit de
nouveau à l'avocat de la demanderesse, le 18
mai 1973. Voici un extrait de cette lettre:
[TRADUCTION] Nous avons reçu les instructions de nos
clients au sujet des prochaines démarches à entreprendre
dans le cadre de cette affaire. Nous avons l'intention de
poursuivre notre appel de la décision du juge Walsh, en date
du 30 avril 1973, avant d'engager le débat sur le fond. Ainsi
que le signalait le juge en chef de la Cour d'appel fédérale
lors de l'audience du 28 février 1973, nous risquerions, si
nous continuions à plaider sur le fond alors que l'appel est
pendant, de perdre notre droit d'appel en acquiesçant à la
décision du juge Walsh, dont nous avons fait appel. En
conséquence, nous ne pouvons ni obtenir des copies des
documents figurant sur votre liste, ni poursuivre l'interroga-
toire préalable de M. Morgenstern.
Bien que la requête dont je suis aujourd'hui
saisi par les défendeurs ne vise pas à obtenir
une suspension d'instance jusqu'à la décision en
appel du jugement du 30 avril 1973 refusant la
suspension de l'instance jusqu'à ce qu'il soit
statué sur le problème constitutionnel porté en
appel devant la Cour suprême, les défendeurs
cherchent à parvenir aux mêmes fins, c'est-à-
dire à repousser encore davantage le moment où
ils devront procéder aux démarches nécessaires
et utiles à la mise en état du dossier et à l'ins-
cription de l'affaire au fond. Ils visent en fait à
passer outre à la loi, en refusant, sur le seul
motif qu'ils ont interjeté appel, de se conformer
au jugement du 30 avril 1973, qui refusait la
suspension de l'instance et ordonnait la pour-
suite de la procédure. En d'autres termes, ils
considèrent qu'ils ont automatiquement droit à
une suspension d'instance, dès lors qu'ils inter-
jettent appel d'un jugement qui la leur refuse.
Cette prétention est manifestement insoutena-
ble: en effet, un appel porté contre un jugement
ne suspend pas automatiquement l'instance; cel-
le-ci ne peut être suspendue que par une ordon-
nance rendue par la Cour à cette fin.
A la décharge des défendeurs, je dois dire
que, lorsqu'ils ont fait appel d'un premier juge-
ment, en date du 30 janvier 1973, qui leur
refusait la suspension de l'instance jusqu'à ce
qu'il soit statué sur l'appel susdit de la décision
du juge Pratte, jugement du 30 janvier qui leur
ordonnait de plaider au fond dans un délai de
dix jours à compter de la production de certains
détails que la Cour ordonnait à la demanderesse
de fournir, le juge en chef leur a fait remarquer,
alors qu'ils avaient effectivement déposé leur
défense dans les délais prescrits par ce juge-
ment et qu'ils venaient solliciter ses directives à
l'égard de cet appel et d'un certain nombre
d'autres appels, qu'en se conformant au juge-
ment et en déposant leur défense, ils couraient
le risque d'être censés avoir acquiescé à ce
jugement et de perdre en conséquence leur droit
d'en appeler. Ils craignent que cette situation se
reproduise s'ils se conforment au jugement du
30 avril 1973 et déposent, sous la pression de la
demanderesse, une liste de documents et un
affidavit et consentent ensuite à l'interrogatoire
préalable du défendeur Morgenstern, tous actes
que l'on s'accorde à considérer nécessaires,
utiles et urgents en cas de poursuite immédiate
de l'instance.
Il est constant qu'une jurisprudence de bon
aloi soutient que le fait pour une partie de se
conformer à un jugement peut la priver de son
droit d'en interjeter appel. Cependant, lorsqu'il
ne s'agit pas d'un jugement définitif sur le fond
de l'affaire, mais d'un jugement d'avant dire
droit, comme l'est ici le refus d'une suspension
de l'instance, la thèse des défendeurs entraîne
nécessairement que chaque fois que la Cour
refuse de suspendre l'instance, on peut néan-
moins arriver au même résultat, de façon immé-
diate et automatique, par le simple fait de
former un appel contre le jugement en question.
S'il fallait suspendre l'instance chaque fois
qu'appel est interjeté d'une des nombreuses
décisions interlocutoires auxquelles donnent
lieu des affaires comme celle-ci, appel qui peut
parfois, avec l'autorisation de la Cour, être
porté devant la Cour suprême, les défendeurs
auraient la possibilité de faire traîner l'affaire
pendant de nombreuses années avant qu'elle ne
soit en état et d'entraver par là même la bonne
marche de la justice. D'où un abus des voies de
droit.
La requête de la demanderesse est donc bien
fondée. L'avocat des défendeurs affirme cepen-
dant que leur recueil de documents relatifs à
l'appel est prêt, qu'il a produit leur exposé des
faits et du droit et qu'on leur a laissé entendre
que l'appel du jugement du 30 avril 1973 pour-
rait être entendu avant la fin du mois. Il ne s'agit
là cependant que de suppositions, étant donné
que la demanderesse n'a pas encore produit son
exposé des faits et du droit et qu'aucune date
n'a été fixée pour l'audience. Étant de toute
manière disposé à accorder aux défendeurs un
délai supplémentaire de deux semaines pour
produire la liste de documents et l'affidavit
qu'on leur demande, je pense ne causer aucun
préjudice à la demanderesse en fixant
l'échéance de la production de ces documents
au 26 juin 1973. Si à cette date les défendeurs
ont obtenu gain de cause en appel, on leur
accordera évidemment la suspension de l'ins-
tance et ils seront relevés de l'obligation de
produire avant cette date la liste de documents
et l'affidavit. Par contre, si leur appel est rejeté,
ils devront exécuter le jugement que je vais
rendre. D'autre part, s'il semble impossible que
l'appel soit entendu avant l'automne, les défen-
deurs devront, ainsi que je vais le leur ordonner,
produire cette liste de documents et cet affidavit
avant le 26 juin 1973. Enfin, si l'appel a été
entendu mais si aucune décision n'est encore
intervenue à cette date, où si l'appel est inscrit
au rôle pour audience pour une date légèrement
postérieure au 26 juin, de sorte que la demande-
resse ne semble pas devoir souffrir d'un délai
supplémentaire, les défendeurs pourront, le 26
juin ou à toute autre date fixée par la Cour,
demander une prolongation de ce délai.
Quant à la nature de la liste de documents à
produire, il est évident que ces documents
devront porter directement sur les questions en
litige, à l'exclusion de pièces d'un caractère
général et imprécis portant sur l'industrie du
moulage à cire perdue et les techniques qui y
sont utilisées. Si, après l'interrogatoire préalable
du défendeur Morgenstern, la demanderesse
juge nécessaire d'obtenir des documents supplé-
mentaires portés à sa connaissance lors de cet
interrogatoire, elle pourra demander à la Cour
d'en ordonner la production. La demanderesse
ne peut cependant se prévaloir des Règles 448
et 451 pour obliger les défendeurs à citer et à
produire des documents dont la demanderesse
ne peut préciser la nature et dont elle n'a pas
connaissance, dans le seul but d'étendre le
champ du litige.
Jugement sera donc rendu dans les termes
suivants:
1. Il est ordonné aux défendeurs de produire et
de signifier à la demanderesse, conformément à
la Règle 447, la liste des documents dont ils ont
connaissance et pouvant servir de preuve
a) afin d'établir, directement ou indirecte-
ment, le bien-fondé des allégations de fait
contenues dans toutes les plaidoiries qu'ils
ont déposées, ou
b) afin de réfuter, directement ou indirecte-
ment, les allégations de fait contenues dans
toutes les plaidoiries déposées par la
demanderesse.
2. Devront figurer sur cette liste tous les docu
ments se trouvant ou s'étant trouvé en la pos
session ou sous la garde des défendeurs et ayant
trait à la question en litige dans cette instance;
la liste devra être authentifiée par un affidavit.
3. Devront figurer sur cette liste l'accord de
licence passé en juin 1972 par les défendeurs
avec la N.V. Aluminum Industrie Vaassen, ainsi
que l'ensemble de la correspondance, des notes
de service, des documents, des projets de
licence, des licences, de la documentation tech
nique, des manuels, des plans et devis techni
ques, élaborés par les défendeurs seuls ou en
collaboration avec une corporation européenne
ou nord-américaine, ou à l'intention de cette
corporation, au sujet d'un éventuel accord de
licence pour l'Amérique du nord ou l'Europe.
4. Les documents figurant sur cette liste et se
trouvant en la possession des défendeurs
devront soit être produits par eux et déposés à
la Cour pour en permettre l'examen par la
demanderesse, soit faire l'objet d'un examen en
application des Règles 453 et 455, de façon
notamment à permettre à la demanderesse d'en
prendre copie.
5. La liste et l'affidavit devront être signifiés à
la demanderesse et produits avant le 26 juin
1973, la Cour se réservant de prolonger ce délai
s'il apparaît que l'appel interjeté par les défen-
deurs du jugement du 30 avril 1973 est sur le
point d'être entendu, ou a été entendu et pris en
délibéré.
Les dépens de cette requête suivront l'issue
de la cause.
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