Wellington Hotel Holdings Limited (Appelante)
c.
Le ministre du Revenu national (Intimé)
Division de première instance, le juge Urie—
London, le 28 juin; Ottawa, le 23 juillet 1973.
Impôt sur le revenu—Calcul du revenu d'entreprise—Pertes
subies sur des titres par la compagnie hôtelière—Est-ce
déductible à titre de pertes commerciales?
La principale activité de la compagnie appelante était
l'exploitation d'un hôtel et d'un restaurant. En 1969, elle
s'est lancée dans l'achat et la vente de titres, ce qui lui a valu
une perte de plus de $20,000 qu'elle a cherché à déduire de
ses autres revenus dans le calcul de ses impôts sur le revenu
pour 1969.
Arrêt: étant établi que l'appelante a acheté ces titres dans
un but spéculatif et non à titre d'investissement, les pertes
sont à bon droit déductibles en tant que pértes
commerciales.
Arrêts suivis: Canada Permanent Mortgage Corp. c.
M.R.N. 71 DTC 5409; Admirai Investments Ltd. c.
M.R.N. 67 DTC 5114; Gairdner Securities Ltd. c.
M.R.N. [1954] C.T.C. 24; distinction faite avec l'arrêt
Irrigation Industries Ltd. c. M.R.N. [1962] R.C.S. 346.
APPEL d'une décision de la Commission de
révision de l'impôt.
AVOCATS:
J. A. Giffen, c.r., pour l'appelante.
R. B. Thomas pour l'intimé.
PROCUREURS:
Giffen et Pensa, London, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
LE JUGE UR1E—Appel est interjeté d'une
décision de la Commission de révision de l'im-
pôt, datée du 30 mai 1972, qui avait rejeté un
appel interjeté par l'appelante de sa nouvelle
cotisation relative à l'année d'imposition 1969
dans laquelle l'intimé avait refusé de déduire les
pertes que l'appelante avait subies lors de la
vente de titres négociables.
L'appelante a été constituée en vertu des lois
de la province de l'Ontario par lettres patentes
en date du 8 novembre 1962; depuis cette date,
sa principale entreprise a été l'exploitation d'un
hôtel et d'un restaurant sis en la ville de London
et dont voici les ventes brutes pour l'année se
terminant le 31 décembre 1969:
Friar's Cellar, nourriture et boissons $407,892.00
Hôtel, nourriture et boissons 339,642.00
Service de traiteur 65,074.00
Chambres ......... ..... ...... 352.00
Revenus divers 16,879.00
Total .. .. ...... $829,839.00
Le chef d'exploitation de la compagnie,
Edward J. Escaf, est diplômé en commerce et
gestion des affaires de l'Université Western; il
est associé à l'appelante depuis sa création.
Auparavant, il s'était occupé de l'entreprise
hôtelière familiale qui, si je comprends bien, a
précédé l'entreprise actuelle. Les autres diri-
geants de la compagnie sont son frère, Fred
Escaf, et sa sœur Adeline qui ne prend pas
activement part à la gestion de l'entreprise. Fred
Escaf est avant tout chargé des services de
traiteur et du contrôle général de l'exploitation;
il doit rendre compte à Edward Escaf.
L'un des objets de la compagnie, tel qu'é-
noncé dans ses lettres patentes, se lit comme
suit:
[TRADUCTION] a) Acheter ou autrement acquérir et détenir,
vendre, échanger ou autrement céder et négocier des droits
de propriété mobiliers ou immobiliers, des actifs et des
obligations, des débentures, des obligations sans garantie,
des actions de toutes catégories et des titres de toutes
formes ou genres émis par des particuliers, des corporations
ou compagnies, publiques ou privées, constituées en corpo
ration ou non;
Edward Escaf a déclaré qu'en raison de sa
formation universitaire, il s'était toujours inté-
ressé au marché des valeurs et qu'il avait per-
sonnellement boursicoté achetant et vendant
des titres sur une petite échelle pendant quel-
ques années. En 1967, les administrateurs de
l'appelante ont décidé de lancer la compagnie
dans le commerce des titres, conformément aux
pouvoirs qu'on lui avait donnés, comme on l'a
mentionné plus haut. En 1968, les opérations de
l'appelante, à cet égard, se soldaient par une
légère perte de $125 ou $130 qui n'a pas été
réclamée à titre de perte commerciale dans le
bilan de la compagnie. Escaf a déclaré qu'il
n'était pas lui-même analyste de profession mais
qu'il achetait des actions sur le conseil de per-
sonnes associées aux compagnies dans lesquel-
les il investissait sur le conseil de parents, de
son avocat ou de courtiers. La plupart des
actions étaient achetées en fournissant une cou-
verture, et constituaient des valeurs spéculati-
ves achetées en vue d'accroître le capital, non
en vue d'en retirer des dividendes; toutes ces
actions, sauf une, étaient cotées à la Bourse de
Toronto. Il a déclaré qu'en ce qui le concernait,
les valeurs qu'il achetait au nom de la compa-
gnie étaient intégrées à ses stocks en vue de la
revente. Les ventes se faisaient généralement
sur le conseil de courtiers ou parce que, par
suite d'un fléchissement des cours, il était
nécessaire de verser la couverture obligatoire à
la maison de courtage avec qui il avait traité.
Les seuls conseils officiels qu'il a reçus relative-
ment à la composition du portefeuille prove-
naient de maisons de courtage.
Voici ci-dessous un état des achats et des
ventes de titres effectués par l'appelante au
cours des années 1968 et 1969 (partie de la
pièce A-3):
WELLINGTON HOTEL HOLDINGS LIMITED
TRANSACTIONS IN MARKETABLE SECURITIES
TRANSACTIONS DE TITRES NÉGOCIABLES
1969 AND /ET 1968
Purchases —Achats Sales— Ventes
— Profit
# of # of or
shares shares (loss)
Date — Amount Date — Amount -
- # # — profit ou
Date d'actions Montant Date d'actions Montant (perte)
Numac Oil & Gas
Ltd Apr.—Avr. 23/69 300 $ 3,494.64 Sept.—Sept. 5/69 500 $ 4,159.50
Apr.—Avr. 29 /69 200 2,152.00
500 $ 5,646.64 500 $ 4,159.50 $(1,487.14)
I.T.L.Industries May—Mat 12/69 200 $ 4,418.76 Nov.—Nov. 12/69 500 $ 8,335.00
May—Mai 12/69 300 6,703.50 Aug. —Août 21/69 400 6,767.48
May—Mat 14/69 300 Aug. —Août 21 /69 400 6,767.48
May—Mai 14 /69 100 . 11, 059.46
May—Mai 14/69 100,
July—Juil. 24 /69 100 1,757.13
July—Juil. 24 /69 100 1,757.13
July—Juil. 28 /69 400 7,028.52
July—Juil. 28/69 400 7,028.52
2,000 $ 39,753.02 1,300 $ 21,869.96 (5,583.15)
Ontario Store
Fixtures Aug. -Août 19/69 500 $ 9,413.75 Aug. -Août 22/69 100 $ 1,766.50
Aug. -Août 25/69 500 9,916.25 Aug. -Août 2 2 / 6 9 300 5,038.32
Aug. -Août 22/69 100 1,741.62
Sept.-Sept. 10/69 100 1,381.37
Sept.-Sept. 10/69 100 1,455.62
Sept.-Sept. 10/69 100 1,418.50
Sept.-Sept. 12/69 200 2,713.24
Adj. /Aj. (1.40)
1,000 $ 19,330.00 1,000 $ 15,513.77 (3,816.23)
—
Brascan Limited Nov.-Nov. 14/69 3001 $ 8,057.02
2005
Nordic Explora
tions Ltd Mar.-Mar. 6/69 500 1,048.20 Sept.-Sept. 5/69 200 $ 371.04
Mar.-Mar. 6/69 500 1,048.20 Sept.-Sept. 8/69 250 439.49
Mar.-Mar. 6/69 1,000 2,147.80 Sept.-Sept. 9/69 200 371.04
Mar.-Mar. 6/69 1,000 2,147.80 Sept.-Sept. 9/69 1,016 1,884.88
May-Mai 6/69 500 1,125.25
May-Mai 6/69 500 1,125.25
May-Mai 6/69 500 1,125.25
May-Mai 6/69 500 1,125.25 Adj. /Aj. 60.00
5,000 $ 10,893.00
Consolidated 3 to 1
Consolidation 3 à 1 1,666 $ 10,893.00 1,666 $ 3,126.45 (7,766.55)
Bluewater Oil &
Gas Ltd Apr.-Avr. 11/69 5,000 $ 2,955.00
Capital Diversified
Industries Sept.-Sept. 15/69 100) Dec.-Déc. 23/69 300 $ 848.31 _ (444.88)
Sept.-Sept. 15/69 700 } $ 4,310.64
Sept.-Sept. 15/69 200J
1,000 $ 4,310.64 300 $ 848.31
Pinnacle
Petroleums Ltd Oct.-Oct. 1 7 / 6 8 1,000 $ 2,610.10 Apr.-A vr. 25 /69 2001 $ 3 ' 809.74
Oct.-Oct. 25/68 800 1, 759.28 Apr.-Avr. 25/69 1, 800J
Oct.-Oct. 29/68 200 440.26
2,000 $ 4,809.64 2.000 $ 3,809.74 (999.90)
Ulster Petroleum Dec.-Déc. 20/68 100 $ 225.00 /69 100 $ 550.00 325.00
Versatile Manu
facturing Limited /68 100 $ 1,366.88 May-Mai 5/69 100 $ 925.00 (441.88)
Loss on sale of marketable securities
Perte sur la vente de titres négociables $20,214.73
1969
Numac Oil &
Gas Limited Aug. -Août 8/68 300 $ 2,278.05 Dec.-Déc. 6/68 600 $ 4,317.90
Aug. -Août 2/68 700 5,279.47 Dec.-Déc. 6/68 200 1,439.30
Dec.-Déc. 6/68 200 1,439.30
1,000 $ 7,557.52 1,000 7,196.50
500 rights —droits 106.75
500 rights —droits 116.75
$ 7,420.00 $ (137.52)
Dividends —Dividendes 12.00
1968: —
Loss on sale of marketable securities
Perte sur la vente de titres négociables $ (125.52)
Escaf a déclaré qu'il achetait souvent des
actions parce qu'il connaissait un peu la compa-
gnie en cause. Ainsi, par exemple, la Capital
Diversified Industries est une compagnie dont le
siège social se trouve à London (Ontario) et
dont Escaf connaissait le président. C'était le
concessionnaire de la chaîne de restaurants Red
Barn et Escaf estimait qu'en raison de la nature
de l'entreprise, de sa gestion et de ses projets,
elle avait des chances raisonnables de
prospérer.
De même, Escaf connaissait le président de
l'Ontario Store Fixtures pour avoir acheté à
cette entreprise le matériel nécessaire à l'hôtel
et au restaurant de l'appelante; il avait acheté de
ses actions sur recommandation du président.
ITL Industries avait son siège social à Wind-
sor et, par l'intermédiaire d'un parent qui habi-
tait cette ville, il avait appris que la compagnie
allait mettre sur le marché un bouchon de sécu-
rité pour les bouteilles de médicament, ce qui,
pour lui, semblait susceptible de donner à la
compagnie de bonnes perspectives de réussite
financière; il a donc acheté, de temps en temps,
des actions de cette compagnie comme l'indique
le tableau en annexe. Il a déclaré avoir tout
vendu lorsqu'il a appris que la compagnie ne
pouvait pas faire breveter le bouchon de sécu-
rité et que ses perspectives de réussite finan-
cière s'étaient ainsi considérablement affaiblies.
Il a acheté les actions des compagnies Nordic
Explorations Limited, Ulster Petroleum, Ver
satile Manufacturing Limited et Pinnacle Petro
leum sur recommandation de courtiers.
Escaf a acheté les actions de la Numac Oil
and Gas Limited car il savait que la famille
Ivey, de London, bien connue des milieux d'af-
faires, s'intéressait beaucoup à cette compagnie
et qu'à son avis, cela devait se traduire par une
bonne gestion et des possibilités de croissance.
Les actions de la Bluewater Oil and Gas ont
été achetées sur recommandation de son avocat.
Il a souligné qu'en 1969, l'appelante avait
négocié des titres pour un montant approximatif
de $135,000, soit environ 16% des ventes
brutes de la compagnie. Lors d'un contre-inter-
rogatoire, il a déclaré qu'au cours des années
1968, 1969 et 1970, il avait consacré environ
10% de son temps aux transactions de valeurs
mobilières et qu'il ne se passait que peu de jours
sans qu'il ne se rende à une ou plusieurs mai-
sons de courtage ou qu'il ne téléphone à des
courtiers au moins cinq ou six fois. Il a égale-
ment admis avoir eu un portefeuille personnel
au cours de cette période mais l'a décrit comme
étant peu important comparé à celui de l'appe-
lante. Comme on peut le voir d'après le relevé et
comme en a témoigné Escaf, l'appelante n'agis-
sait pas à titre de syndicat de garantie et n'es-
sayait pas de pousser la vente des actions en
question, elle n'avait le contrôle d'aucune com-
pagnie et n'avait pas l'intention de soutenir le
marché d'un groupe d'actions quel qu'il soit. En
outre, l'appelante n'a pas eu de relations d'affai-
res avec les compagnies énumérées sur la liste
après en être devenue actionnaire.
Ward Fowler, vendeur de titres pour la Nes-
bitt, Thompson Limited, a déclaré que toutes les
transactions inscrites au tableau ci-dessus por-
taient sur des titres négociables qu'il a décrits
comme des «valeurs mobilières de nature com-
merciale» pour hommes d'affaires désireux d'in-
vestir dans des capitaux comportant des risques.
Il s'agissait de transactions spéculatives faites
dans l'espoir d'obtenir une plus-value de capital
plutôt que d'en retirer des dividendes. Cela
comportait plus de risques que d'investir dans
des valeurs de premier ordre, placement qui
procure avant tout des bénéfices et des dividen-
des modestes assortis d'une sécurité du capital.
De toutes les actions énumérées à la pièce A-3,
seules celles de la Brascan Limited rapportaient
un dividende.
Toutes les transactions mentionnées ci-dessus
ont entraîné en 1969 une perte de $20,214.73
sur la vente des valeurs mobilières et cette
somme a été réclamée à titre de perte commer-
ciale déductible du revenu de l'appelante aux
fins d'impôt pour 1969. La pièce A-3 révèle
qu'au cours de l'année financière 1969, l'appe-
lante a réalisé 26 achats et 20 ventes de titres.
Ce nombre de transactions risque d'être quelque
peu trompeur car, dans un certain nombre de
cas, il se peut qu'il n'y ait eu qu'un seul ordre
d'achat de parts du capital-actions mais qu'il ait
été couvert par un certain nombre d'achats. Par
exemple, le 6 mars 1969, il y a eu quatre achats
d'actions de la Nordic Explorations Limited
répartis en deux tranches de 500 actions cha-
cune et deux tranches de 1000 actions chacune.
Escaf n'a pu se rappeler s'il avait passé ce
jour-là quatre ordres d'achat distincts bien qu'il
lui semble qu'il s'agissait plutôt d'ordres d'achat
individuels. Il existe naturellement sur la liste
d'autres cas où l'on rencontre la même situation,
même si les achats d'actions de l'ITL Industries
le 14 mai 1969, de la Brascan Limited le 14
novembre 1969 et de la Capital Diversified
Industries le 15 septembre 1969 ont été respec-
tivement regroupés sur la liste en un seul achat.
On peut donc supposer que les autres, qui n'ont
pas été regroupés, étaient des ordres indivi-
duels, même si Escaf n'a pas pu l'affirmer.
Le Ministre a refusé de déduire du revenu de
l'appelante, pour l'année d'imposition 1969, la
perte de $20,214.73 aux motifs que les pertes
qu'elle avait subies étaient des pertes de capital,
au sens de l'article 12(1)b) de la Loi de l'impôt
sur le revenu. Voici les articles pertinents de la
loi:
3. Le revenu d'un contribuable pour une année d'imposi-
tion, aux fins de la présente Partie, est son revenu pour
l'année de toutes provenances à l'intérieur ou à l'extérieur
du Canada et, sans restreindre la généralité de ce qui pré-
cède, comprend le revenu pour l'année provenant
a) d'entreprises,
b) de biens, et
c) de charges et d'emplois.
4. Sous réserve des autres dispositions de la présente
Partie, le revenu provenant, pour une année d'imposition,
d'une entreprise ou de biens est le bénéfice en découlant
pour l'année.
139. (1) Dans la présente loi,
e) «entreprise» comprend une profession, un métier, un
commerce, une fabrication ou une activité de quelque
genre que ce soit et comprend une initiative ou affaire
d'un caractère commercial, mais ne comprend pas une
charge ou emploi; . . .
12. (1) Dans le calcul du revenu, il n'est opéré aucune
déduction à l'égard
b) d'une somme déboursée, d'une perte ou d'un remplace-
ment de capital, d'un paiement à compte de capital ou
d'une allocation à l'égard de dépréciation, désuétude ou
d'épuisement, sauf ce qui est expressément permis par la
présente Partie, ... .
L'avocat de l'appelante a soutenu que ces
pertes ne constituaient pas des pertes de capital
au sens de l'article 12(1)b) puisque sa cliente se
consacrait au commerce des valeurs mobilières
ainsi qu'à l'exploitation de l'hôtel et du restau
rant et que, par conséquent, les pertes subies
dans ce genre d'entreprise étaient déductibles; à
l'appui de sa thèse, il a déclaré ce qui suit:
1. que les buts déclarés de la compagnie
incluaient les transactions de valeurs mobilières;
2. qu'au cours de l'année 1969, l'appelante
avait effectué 26 achats de tranches d'actions et
qu'elle en avait vendu 20;
3. que la majorité, sinon tous les titres achetés
et vendus, étaient des valeurs spéculatives non
productives de revenu;
4. que l'appelante considérait ces valeurs
comme des biens que l'on pouvait acheter et
vendre et qu'elle envisageait la vente des
actions avec bénéfice, tout comme elle vendrait
avec bénéfice les stocks de nourriture et de
boisson utilisés dans le cadre de l'exploitation
de l'hôtel et du restaurant;
5. que la valeur, en dollars, des achats et des
ventes s'est élevée à 16% environ des ventes
brutes provenant de l'exploitation du restaurant
et de l'hôtel;
6. que le délai séparant les achats et les ventes
était relativement court;
7. que les valeurs étaient habituellement ache-
tées en fournissant une couverture, comme le
prouve la pièce A-4, et qu'en fait il s'agissait de
capital emprunté sur lequel elle versait un
intérêt;
8. que pour faire ses placements l'appelante ne
louait pas les services d'un conseiller particulier
mais obtenait ses renseignements de différentes
sources;
9. que ce n'était pas l'excédent de capital de la
compagnie que l'on utilisait pour investir et réin-
vestir mais celui que l'on a décrit comme étant
le fond de roulement ou capital emprunté.
A l'appui de sa thèse, l'avocat de l'appelante a
principalement invoqué deux arrêts: Canada
Permanent Mortgage Corporation c. M.R.N. 71
DTC 5409 et Admiral Investments Limited c.
M.R.N. 67 DTC 5114.
Par contre, l'avocat de l'intimé s'est appuyé
sur l'arrêt Irrigation Industries Limited c.
M.R.N. [1962] R.C.S. 346 où l'on a décidé que
les parts du capital-actions d'une compagnie dif-
fèrent des autres produits et biens et que, même
si elles sont achetées avec l'intention précise
d'en retirer un bénéfice, tout profit ou perte
découlant de leur vente ne peut entraîner qu'un
gain ou une perte de capital. Il a soutenu que
jusqu'à la décision rendue dans l'affaire Irriga
tion Industries (précitée), en 1962, le Ministre
aurait vraisemblablement accepté de déduire les
pertes mais cet arrêt a modifié le droit. D'après
sa plaidoirie, lorsque des personnes ou des com-
pagnies s'occupent de manière occasionnelle de
transactions de valeurs mobilières, ces dernières
ne sont pas imposables puisqu'elles représentent
un placement dans une compagnie créée elle-
même aux fins d'exploiter une entreprise, même
si les dirigeants de l'appelante ne manifestent
pas l'intention d'investir dans des valeurs mobi-
lières mais d'en faire le commerce.
Le Lord juge Clerk dans un arrêt de principe
cité dans des affaires de ce genre, à savoir
Californian Cooper Syndicate c. Harris (1903-
1911) 5 T.C. 159, énonce clairement aux pages
165 et 166 les deux catégories d'entreprises
qu'il faut distinguer dans chaque cas à partir de
la preuve:
[TRADUCTION] C'est un principe bien établi quand il s'agit de
questions de cotisations d'impôt sur le revenu que, lorsque
le propriétaire d'un placement ordinaire décide de le réaliser
et obtient un prix plus élevé que le prix d'acquisition, la
hausse du prix ne constitue pas un bénéfice ... soumis à
l'impôt sur le revenu. Mais il est également bien établi que
les plus-values résultant de la réalisation ou de la conversion
de titres peuvent aussi être soumises à l'impôt, lorsqu'il ne
s'agit pas simplement d'une réalisation ou d'un changement
de placement mais d'un acte fait dans le cadre de ce qui
constitue véritablement la poursuite ou la réalisation d'une
entreprise;
La ligne de démarcation entre les deux peut être difficile à
établir et chaque cas doit être examiné à la lumière des
circonstances qui l'entoures il s'agit de répondre à la
question—Le bénéfice tiré est-il une simple plus-value due à
la réalisation d'un titre, ou est-ce un bénéfice tiré dans le
cadre d'une entreprise en mettant à exécution un plan à but
lucratif? (C'est moi qui souligne.)
Il semble donc clairement ressortir de cet extrait
que la question de savoir si une série de transac
tions entraîne un gain ou une perte de capital ou
un bénéfice ou une perte commerciale est une
question de fait qu'il faut trancher après avoir
examiné toutes les circonstances qui entourent
l'affaire.
Est-ce que le fait que les lettres patentes
d'une compagnie lui confèrent le pouvoir
d'acheter ou de vendre des titres a quelque
importance pour déterminer dans quelle catégo-
rie de cas se classe la présente affaire? Dans
l'affaire Canada Permanent Mortgage Corpora
tion (précitée), le juge Heald, à la page 5417,
renvoie à l'affaire The Commissioners of Inland
Revenue c. The Scottish Automobile and Gener
al Insurance Company Limited et, en particu-
lier, au jugement rendu par le Lord président
Clyde aux pages 389 et 390:
[TRADUCTION] Cependant, il faut, à mon sens, reconnaître
que, dans les limites des sommes non exigibles immédiate-
ment, les clauses du mémoire et des règlements, selon leur
interprétation, n'excluent pas les opérations semblables, de
par leur nature et leur objet, à celles qui caractérisent
l'entreprise d'une compagnie de placement. Mais ceci ne
nous avance guère car il ne s'agit pas de savoir si la
compagnie aurait éventuellement pu agir comme une compa-
gnie de placement mais si elle a effectivement agi en tant
que telle et si cette transaction précise entrait dans ces
activités. (C'est moi qui souligne.)
Dans l'affaire Sutton Lumber and Trading
Company Limited c. M.R.N. [1953] 2 R.C.S. 77
à la page 83, le juge Locke énonçait avec conci-
sion l'importance de l'objet de la compagnie
pour trancher des questions de cette nature:
[TRADUCTION] La question à trancher n'est pas celle de
savoir à quelle entreprise ou à quel commerce la compagnie
pouvait se consacrer en vertu de ses statuts, mais plutôt de
savoir quelle était véritablement l'entreprise à laquelle elle
s'adonnait. Pour y parvenir, il est nécessaire d'étudier soi-
gneusement les faits.
Par conséquent, me fondant sur les extraits
cités, je n'attache pas d'importance particulière
au fait que l'appelante ait été autorisée, de par
ses lettres patentes, à faire des transactions de
valeurs mobilières. J'estime qu'il faut plutôt
examiner l'ensemble de ses démarches à l'égard
de ses transactions d'actions pour déterminer le
but réel desdites transactions et, comme le
déclarait le juge Heald à la page 5418 de l'arrêt
Canada Permanent Mortgage Corporation (pré-
cité) «cet ensemble de démarches devrait, lors-
qu'il y a conflit, prévaloir contre les dépositions
des dirigeants de la compagnie relatives à l'in-
tention de celle-ci».
Dans l'affaire Gairdner Securities Limited c.
M.R.N. [1954] C.T.C. 24 à la page 26, le juge
Rand résumait comme suit les différentes
démarches suivies dans cette affaire:
[TRADUCTION] Du 30 avril 1938 au 31 décembre 1946, il y a
eu environ 124 achats et 200 ventes.
Au cours de cette dernière période, sur huit achats totali-
sant 32,920 actions, 17,180 ont été revendues le jour même,
2,475 l'ont été moins d'un mois après, 5,000 en moins de
deux mois, 5,000 en moins de trois mois, 1,000 en moins de
quatre mois et 2,265 en moins de dix-huit mois. Sur neuf
achats effectués après 1946 soit au total 22,260 actions,
2,000 ont été revendues le jour même, 1,000 l'ont été, en un
mois, 2,500 en deux mois, 3,500 en six mois, 2,000 en moins
d'un an, 9,260 en moins de deux ans et 2,000 en moins de
trois ans.
Ces transactions additionnelles d'achats et de ventes ont
l'apparence de démarches faites dans le but de tirer un
bénéfice de leur résultat final; ... .
Les investissements, dans le sens proposé, visaient,
d'abord au maintien d'un revenu annuel en dividendes ou en
intérêts. Il y a des substitutions de titres mais elles ont pour
but de poursuivre cet objectif principal et elles lui sont
accessoires. D'après les faits qui nous ont été présentés, on
ne peut, à mon avis, douter sérieusement qu'il n'y ait pas eu,
en l'espèce, une motivation principale de ce genre. (C'est
moi qui souligne.)
J'estime que les transactions faites par l'appe-
lante, telles que présentées à la pièce A-3 «ont
l'apparence de démarches faites dans le but de
tirer un bénéfice ... .»
Cette opinion est en outre renforcée par le
témoignage d'Escaf qui, bien que pertinent,
n'est pas nécessairement concluant. Je pense
que l'on peut croire le témoignage d'Escaf et
j'estime que, lorsqu'on l'examine compte tenu
des démarches de l'appelante, en ce qui con-
cerne l'achat et la vente des titres qui n'étaient
manifestement pas des «valeurs de placement
de premier ordre» mais des «valeurs spéculati-
ves», on peut, comme je le fais, l'accepter
comme venant confirmer ces démarches.
Escaf ne recherchait pas des placements sûrs
mais un rendement plus élevé grâce à une plus-
value de ses titres. Malheureusement cette plus-
value n'a pas eu lieu et l'appelante a, par consé-
quent, subi des pertes qui, à mon avis, sont
déductibles du revenu de l'appelante dans le
calcul de son revenu imposable.
L'avocat de l'intimé, comme on l'a mentionné
ci-dessus, s'est référé au passage suivant de
l'arrêt Irrigation Industries (précité) à la page
352:
[TRADUCTION] Les actions de compagnie sont dans une
situation différente parce qu'elles constituent quelque chose
dont l'achat, en lui-même, est un investissement. En elles-
mêmes, ce ne sont pas des articles de commerce; elles
représentent plutôt un intérêt dans une corporation créée
dans un but commercial. Leur acquisition est une méthode
bien reconnue d'investir du capital dans une entreprise
commerciale.
Pour replacer le passage cité dans son propre
contexte, il est nécessaire, à mon avis, d'étudier
le problème soulevé dans l'affaire tel que le
définit le juge Martland à la page 349:
[TRADUCTION] Le problème à trancher dans cet appel est
celui de savoir si l'achat isolé d'actions sur les réserves
d'une compagnie et leur vente subséquente avec bénéfice,
activité qui ne fait pas partie de l'entreprise exploitée par
l'acheteur des actions ou qui ne lui est en rien rattachée,
constituent une initiative d'un caractère commercial propre
à assujettir ce bénéfice à l'impôt sur le revenu.
De cette délimitation du problème, il ressort
clairement que les circonstances de cette affaire
diffèrent en grande partie de celles de la pré-
sente espèce. Il ne s'agissait pas d'un achat isolé
d'actions et de leur vente subséquente mais de
l'un des nombreux achats et ventes effectués au
cours d'une année d'imposition dans le cadre de
l'entreprise exploitée par l'acheteur des actions.
Dans l'arrêt Irrigation Industries (précité), l'ap-
pelante était restée en grande partie inactive
alors qu'en l'espèce, l'appelante s'adonnait acti-
vement à l'exploitation de l'hôtel et du restau
rant ainsi qu'à l'achat et à la vente de titres.
Bien que ces deux entreprises ne soient pas
liées, je ne pense pas que ce fait exclut en soi
que l'appelante puisse s'adonner à un commerce
différent de sa principale entreprise. Par consé-
quent, je ne comprends pas pourquoi le juge
Martland a rejeté la possibilité qu'une compa-
gnie puisse s'adonner au commerce des titres
même s'il ne s'agit pas là de son entreprise
principale et même si elle n'est pas une maison
de courtage, au sens courant du terme.
En fait, le juge Martland, en rédigeant le
jugement de la Cour suprême du Canada dans
l'affaire Whittall c. M.R.N. [1967] C.T.C. 377,
concluait que l'appelante en l'espèce avait, en
acquérant les valeurs en question, cherché à
tirer un bénéfice d'un commerce ou d'une entre-
prise pendant toute la période en cause et que,
par conséquent, les bénéfices provenant des
ventes étaient imposables. Il a conclu que les
échanges de titres ne constituaient pas la substi
tution d'une forme de placement à une autre.
Bien qu'il n'ait pas établi de distinction avec son
jugement dans l'affaire Irrigation Industries
(précitée), il s'y est référé dans l'affaire Whittall
(précitée) et, par déduction, je pense qu'on peut
considérer qu'il admet qu'en certaines circon-
stances, des personnes ou des compagnies qui
ne s'adonnent pas uniquement au commerce des
titres et qui négocient des actions de compa-
gnies peuvent s'adonner à une initiative d'un
caractère commercial au sens de l'article
139(1)e) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Si
c'est le cas, les bénéfices résultant de ce com
merce sont, par conséquent, imposables dans les
mains des personnes ou des compagnies négo-
ciant ces titres et les pertes subies sont évidem-
ment déductibles dans le calcul de leur revenu
imposable.
Les faits supplémentaires apportés en preuve
sur lesquels je me fonde pour étayer mon point
de vue, sont que les titres achetés et vendus
étaient des valeurs de nature spéculative, non
productives de revenu et conservées pour des
périodes relativement courtes; ces transactions
de valeurs constituaient de plus une part impor-
tante de l'ensemble de l'entreprise de l'appe-
lante. Le fait qu'elles ne faisaient pas partie de
l'entreprise principale de l'appelante n'a, comme
je le disais ci-dessus, pas une importance parti-
culière. Toutes les démarches de l'appelante
nous poussent inévitablement à conclure qu'elle
achetait et vendait des titres en vue d'en tirer un
bénéfice.
Je ne peux admettre les arguments de l'avocat
de l'intimé lorsqu'il se fonde sur l'affaire Irriga
tion Industries pour appuyer sa thèse selon
laquelle les pertes subies constituaient des
pertes de capital; je conclus que les actions en
question dans le présent appel n'étaient pas des
placements au sens mentionné dans l'affaire
Irrigation Industries et que les changements de
composition du portefeuille de l'appelante ne
constituaient pas simplement une substitution
d'une forme de placement à une autre. Les
achats étaient purement spéculatifs et conclus
avec l'intention de céder les actions avec béné-
fice dès qu'une occasion raisonnable se
présentait.
L'extrait suivant du jugement du juge Catta-
nach, rendu dans l'affaire Admiral Investments
Limited c. M.R.N. [1967] 2 R.C.É. 308, à la
page 319, énonce succinctement mon point de
vue sur la présente affaire:
[TRADUCTION] Ce qu'il faut considérer c'est ce que l'appe-
lante faisait, si l'on veut poser la question dans les termes de
Lord président Clyde dans l'affaire C.LR. c. Livingston et
autres (11 T.C. 538, à la page 542):
... les opérations impliquées (dans les transactions de la
compagnie) sont-elles de même nature et menées de la
même façon que celles qui caractérisent le commerce
ordinaire d'une même catégorie d'entreprise.
Bien que l'appelante n'ait jamais fait le commerce des titres,
en ce sens qu'elle n'a jamais agi à titre de syndicat de
garantie ni détenu de siège à une bourse de valeurs mais
qu'elle faisait plutôt ses achats et ses ventes par l'intermé-
diaire d'une bourse de la façon habituelle, les agissements de
l'appelante correspondaient néanmoins, en fait, aux opéra-
tions normales d'une personne qui s'occupe de transactions
mobilières.
Par conséquent, j'estime que l'appelante a le
droit de déduire la perte de $20,214.73 qu'elle a
subie au cours de son année d'imposition 1969.
L'appel est donc accueilli avec dépens.
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