T-1115-73
Okanagan Helicopters Ltd. (Demanderesse)
c.
Canadien Pacifique Limitée, Gordon Brockhouse
et Howard Arnold Shaw (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Maho-
ney—Vancouver, les 1 °r et 2 avril; Ottawa, le 26
avril 1974.
Compétence de la Cour—Aéronautique—Collision entre
un hélicoptère et un train—La compagnie de chemins de fer
a fait venir l'hélicoptère à l'embranchement—L'employé des
chemins de fer n'a pas fait atterrir l'hélicoptère à un endroit
sûr—L'hélicoptère a atterri de sorte qu'il chevauchait la ligne
principale—Train heurtant l'hélicoptère—La compagnie de
chemins de fer responsable des dommages—Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970, c. 10 (2 , Supp.), art. 23—Loi sur
l'aéronautique, S.R.C. 1970, c. A-3, art. 6.
L'ingénieur divisionnaire, le défendeur B, téléphonant du
bureau du régulateur, demanda à l'hélicoptère de la deman-
deresse, loué à la compagnie de chemins de fer, défende-
resse, de se rendre à un embranchement. En réponse à des
signaux S, employé de la compagnie de chemins de fer,
défenderesse, l'hélicoptère atterrit à un endroit où le cercle
décrit par le rotor chevauche la ligne principale. L'hélicop-
tère fut heurté par un train de marchandises en marche,
personne n'ayant averti son équipe de ce qui se passait à
l'embranchement.
Arrêt: la présente cour est compétente, en vertu de la Loi
sur l'aéronautique et de la Loi sur la Cour fédérale. Un
hélicoptère au sol, se préparant à décoller, relève de l'aéro-
nautique. L'hélicoptère et la compagnie de chemins de fer
ont une obligation de diligence raisonnable l'un envers l'au-
tre, dans l'accomplissement de leurs fonctions respectives,
afin d'éviter de causer un dommage à l'autre. La responsabi-
lité découle du manquement à cette obligation.
Le mécanicien du train n'avait pas la possibilité d'éviter la
collision. En l'absence de preuve quant à l'autorité du défen-
deur B sur le régulateur de la compagnie défenderesse, la
Cour ne peut décider que B a fait preuve de négligence
relativement aux obligations incombant au régulateur qui ne
fut ni partie ni témoin. B était fondé à faire venir l'hélicop-
tère à l'embranchement et de compter sur le défendeur S
pour exercer pleinement son autorité à cet endroit. Le fait
que le pilote de l'hélicoptère ne se soit pas préoccupé de la
ligne principale ni de l'éventualité de trafic sur celle-ci ainsi
que sa décision d'atterrir à un endroit où le rotor empiétait
sur la ligne principale constituent une des causes de l'acci-
dent. Mais c'est dissociable de la cause immédiate et il n'y a
pas négligence, vu les signaux du défendeur S. Ce dernier
fut négligent en omettant ensuite de faire bifurquer les trains
afin de rendre le lieu d'atterrissage sûr. Cette négligence est
la cause immédiate de l'accident. Le jugement est rendu
contre la compagnie défenderesse et S, pour le montant total
des dommages-intérêts évalués à $94,293. L'action contre B
est rejetée. La demande reconventionnelle de la compagnie
défenderesse pour $4,119 à titre de dommages-intérêts est
rejetée.
Arrêts suivis: Johannesson c. La municipalité rurale de
West St-Paul [1952] 1 R.C.S. 292; Donoghue c. Steven-
son [1932] A.C. 562; Slater c. Clay Cross Co. Ltd.
[1956] 2 Q.B. 264; Lehnert c. Stein (1962) 40 W.W.R.
616.
ACTION.
AVOCATS:
E. Lane pour la demanderesse.
R. W. Paisley pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Manning, Bruce, Macdonald & Macintosh,
Toronto, pour la demanderesse.
Canadien Pacifique Limitée, Vancouver,
pour les défendeurs.
LE JUGE MAHONEY—La présente action
trouve son origine dans une collision entre l'hé-
licoptère de la demanderesse et un train de
marchandises numéro XW4565, appartenant à
la défenderesse, Canadien Pacifique Limitée
(ci-dessous appelée «CP»), et mis en service par
cette dernière. Les défendeurs Shaw et Brock -
house étaient à tous les moments en cause
employés du CP. Les dommages-intérêts, soit
$94,293.82 réclamés par la demanderesse ainsi
que $2,119.41 réclamés par le CP en demande
reconventionnelle, ne sont pas en litige.
La collision s'est produite le lundi 13 mars
1972 vers 11 heures alors que le XW4565 se
dirigeait vers l'ouest sur la ligne principale
transcontinentale du CP passant par l'embran-
chement d'lllecillewaet (ci-après appelé «l'em-
branchement») et que l'hélicoptère était au sol
sur un emplacement appartenant au CP et
occupé par lui, le rotor en action et sur le point
de décoller. La locomotive de tête du XW4565
heurta le rotor.
Avant le procès, la Cour demanda aux avo-
cats d'examiner la question de la compétence de
la Cour. Il s'agit d'un tribunal établi par la loi; sa
compétence découle entièrement du Parlement.
L'accord des parties ne peut lui conférer sa
compétence et on ne peut davantage déroger à
un défaut de compétence. En conséquence, la
Cour elle-même est tenue d'examiner la ques-
tion de sa compétence même si les plaidoiries ne
la soulèvent pas.
Après l'audition des avocats, la Cour fut con-
vaincue de sa compétence en vertu de l'article
23 de la Loi sur la Cour fédérale' qui dispose en
partie:
23. La Division de première instance a compétence con-
currente en première instance, tant entre sujets qu'autre-
ment, dans tous les cas où une demande de redressement est
faite ... en matière de ... aéronautique ou d'ouvrages et
entreprises reliant une province à une autre ou s'étendant
au-delà des limites d'une province ...
Tout doute sur le point de savoir si tout le
domaine de l'aéronautique relève de la compé-
tence législative exclusive du Parlement comme
étant une question se rattachant à la paix, à
l'ordre et au bon gouvernement du Canada fut
dissipé par la Cour suprême du Canada dans
l'arrêt Johannesson c. La municipalité rurale de
West St. Pauli.
L'Oxford English Dictionary définit l'aéro-
nautique comme: [TRADUCTION] «la science,
l'art ou la pratique de voler dans l'air; la naviga
tion aérienne.» Les définitions d'autres diction-
naires valables ne sont pas plus élaborées. Le
problème est de savoir si un hélicoptère au sol
avec son rotor en action en vue du décollage
relève de l'aéronautique. Je pense que oui. En
effet, s'il était en vol, il en relèverait et, à mon
avis, séparer les activités au sol essentielles à
l'action de voler du vol lui-même reviendrait à
une interprétation forcée et artificielle.
De plus, en l'absence de toute intention con-
traire manifeste dans la législation, la Cour doit
conclure que le Parlement voulait que, dans
l'exercice de sa compétence judiciaire, elle
donne au mot la même signification que le Par-
lement lui-même lui avait donné dans l'exercice
de sa compétence législative. Le Parlement a
légiféré' en ce qui concerne l'utilisation et la
conduite d'un aéronef, les accidents impliquant
un aéronef, et cette législation s'applique à l'uti-
lisation, à la conduite ou aux accidents aussi
' S.R.C. 1970, c. 10 (2* Supp.).
2 [1952] 1 R.C.S. 292.
3 Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, c. A-3, art. 6.
bien au sol que dans l'air.
Par conséquent, je conclus que le redresse-
ment demandé en l'espèce se rapporte à une
question relevant de la catégorie de l'aéronauti-
que et qu'à cet effet, la cour susdite est compé-
tente. Selon moi, il n'est pas nécessaire d'exami-
ner s'il est fondé de dire que cette compétence
découle aussi dû fait que l'accident s'est produit
sur la ligne principale transcontinentale du CP
dont on pourrait dire qu'elle participe d'un tra
vail ou entreprise inter-provincial ou extra-pro
vincial.
Au 13 mars 1972, l'embranchement d'Illecil-
lewaet comportait quatre faisceaux parallèles de
voies ferrées à peu près orientés dans la direc
tion est-ouest. La voie la plus au nord consti-
tuait la ligne principale qui, pour un train se
déplaçant d'est en ouest, abordait l'embranche-
ment par une courbe vers la droite, proche d'un
remblai qui empêche effectivement l'équipe de
train de voir l'embranchement jusqu'à ce que la
machine se trouve presque sur une ligne droite,
à quelque 550 à 600 pieds du point de collision.
Le second faisceau est une longue voie de
garage susceptible de recevoir un train au com-
plet, si besoin est; il sera désigné sous le nom de
voie d'évitement. Les troisième et quatrième
faisceaux sont plus courts et utilisés pour le
garage; on les appelle voies impaires n° 1 et n°
2, ces dernières étant les plus au sud des quatre
faisceaux. Au nord et parallèle à la ligne princi-
pale, se trouve une ligne électrique avec trois
pylônes supportant les fils. Le terrain au nord
de la ligne principale monte en direction de la
route transcanadienne. Étant donné la pente du
terrain, un hélicoptère ne peut y atterrir et on
doit repousser au sud toute la neige enlevée de
l'embranchement.
Pour déblayer la neige, on utilise trois véhicu-
les—un chasse-neige et une niveleuse, ni l'un ni
l'autre auto-propulsés, et une locomotive. Le
chasse-neige déblaie la neige entre les voies et
aux abords immédiats des voies. La niveleuse
étale la neige à une distance de 12 ou 13 pieds
des voies. Quand l'entassement de la neige
empêche de poursuivre le nivellement, on fait
appel à un bulldozer pour repousser la neige
plus loin. L'embranchement était complètement
déblayé, mis à part environ trois pouces de
neige molle, ce qui n'a eu aucune influence sur
les événements.
Du nord au sud, l'embranchement est en
pente naturelle avec la ligne électrique, la zone
bien déblayée occupée par les quatre faisceaux
de voies, une bande de 12 ou 13 pieds bien
dégagée et parallèle à la voie impaire n° 2 et une
autre bande parallèle d'environ 75 pieds de large
où le bulldozer avait étalé le surplus de neige et
l'avait tassé. Selon la preuve, l'embranchement
est à peu près de niveau, de la base de la pente
naturelle au nord à l'entassement de neige
déblayée au bulldozer, bien que les photogra-
phies figurant à la pièce 4 semblent montrer une
différence sensible de niveau entre la voie d'évi-
tement et la voie impaire n° 1.
Le vendredi 10 mars, le CP avait nolisé le
même hélicoptère avec le même pilote Evan
Angus Cameron afin de faire examiner l'ennei-
gement et l'état de la voie le long de la ligne. La
demanderesse employait Cameron depuis 13
années et il dirigeait la base de secours de
l'établissement de la demanderesse à Revels-
toke. Pendant les huit premières années, il fut
employé comme mécanicien et, par la suite,
comme pilote et mécanicien. Il est titulaire d'un
brevet en bonne et due forme dans ces deux
domaines et son brevet commercial de pilote
porte une mention hélicoptère. Il a effectué
quelque 5,000 heures de pilotage, la plupart en
hélicoptère.
Le défendeur Brockhouse était ingénieur divi-
sionnaire du CP pour sa région des montagnes,
en poste à Revelstoke à 28 milles à l'ouest de
l'embranchement. Le 10 mars, il était passager
tout comme son supérieur, le surintendant divi-
sionnaire Hill. L'embranchement était un des
endroits où ils atterrissaient. Il leur restait envi-
ron 15 minutes; l'atterrissage et le décollage
étaient une opération de routine. Il fut convenu
que l'hélicoptère serait disponible pour une
autre tournée d'inspection le 13 mars, mais on
n'avait pas encore fixé l'heure de départ ni les
autres modalités.
L'hélicoptère, un Bell Jet Ranger, immatriculé
au Canada sous le n° CF-ZSO, est un turbopro-
pulseur. Après l'atterrissage, on doit le laisser
tourner au ralenti afin de le faire refroidir pen
dant à peu près deux minutes. Pendant qu'il est
au ralenti, le rotor continue de tourner. Pour la
sécurité des personnes au sol, on doit l'arrêter
aussitôt que la période de refroidissement est
achevée. Les préparatifs du départ prennent de
2 minutes et demie à trois minutes du moment
où le pilote s'asseoit et les entame jusqu'à ce
que l'hélicoptère puisse décoller. L'extrémité du
rotor décrit un cercle de 34 pieds de diamètre.
Pour atterrir et décoller en toute sécurité, il faut
un espace circulaire de 50 pieds de diamètre
avec une zone pratiquement plane pour le train
d'atterrissage. A l'époque en cause, le train d'at-
terrissage était du type patin, formé de deux
tubes d'aluminium parallèles recourbés vers le
haut, comme des spatules de ski, et fixés au
fuselage par deux morceaux de tubes d'alumi-
nium arqués et placés transversalement. Il est
clair d'après les photographies versées au dos
sier comme pièce 4 que la possibilité d'erreur,
pour peu qu'elle existe, aurait été faible si le
pilote essayait de chevaucher un faisceau de
deux voies, mais l'hélicoptère pouvait avoir un
patin sur les traverses entre les rails et un autre
sur le sol en dehors.
Cameron et Brockhouse sont en désaccord
sur le lieu d'atterrissage de l'hélicoptère le 10
mars, mais ils sont d'accord pour dire qu'il s'est
posé à l'endroit choisi par Hill qu'après inspec
tion, Cameron trouva acceptable. Cameron ne
prêta pas attention à la ligne principale, mais se
posa simplement où Hill le désirait après avoir
décidé que l'endroit était approprié du point de
vue de l'atterrissage et du décollage. Hill n'a pas
témoigné. Cameron pense qu'il a atterri au sud
de wagons placés sur la voie d'évitement. Il ne
s'agissait pas nécessairement des voitures-dor-
toirs qui s'y trouvaient le 13. Brockhouse con-
vient que, le 10, les wagons n'étaient pas au
même endroit que le 13, mais affirme qu'ils
atterrirent entre les voies impaires à l'ouest des
wagons qui se trouvaient là, quels qu'ils soient.
De toute façon, l'hélicoptère n'obstruait pas la
voie principale. Rien dans la preuve n'indique
que, le 10, un train soit passé au moment où ils
se trouvaient là.
L'explication du désaccord provient du fait
que l'endroit indiqué par Brockhouse était éga-
lement libre le 13 mars alors qu'en raison de
l'emplacement des voitures-dortoirs sur la voie
impaire n° 2, ce n'était pas le cas pour l'endroit
indiqué par Cameron. Le 13, onze voitures-dor-
toirs accouplées, utilisées par une équipe de
construction et d'entretien de pont composée
d'employés du CP, occupaient quelque 600
pieds de la voie impaire n° 2. On a déduit cette
distance des témoignages des cheminots qui
évaluent la distance en termes de longueur de
wagons. Il n'y avait pas d'autres wagons à l'em-
branchement. A l'est de la voiture-dortoir la
plus à l'est, à une distance de 143 pieds, se
trouvait l'aiguillage où la voie impaire n° 2
rejoint la voie impaire n° 1. A l'ouest de la
voiture-dortoir la plus à l'ouest, à une distance
de 159 pieds et au sud de la voie impaire n° 2, il
y avait une cabane-dortoir abandonnée. Plus à
l'ouest, soit à cent ou deux cents pieds, se
trouvait l'autre aiguillage où la voie impaire n° 2
rejoignait la voie impaire n° 1. Les aiguillages et
la cabane-dortoir, en plus des voitures-dortoirs
et de la ligne électrique, constituaient les seuls
obstacles évidents à un atterrissage et à un
décollage en toute sécurité. Il y avait d'autres
emplacements plus éloignés des voitures-dor-
toirs qui convenaient aussi à l'atterrissage et au
décollage.
La seule communication directe entre l'em-
branchement et Revelstoke se fait par une ligne
de téléphone privée avec des appareils situés
aux extrémités de l'embranchement et un appa-
reil unique dans le bureau du régulateur. Le
régulateur contrôle le trafic de la subdivision.
La communication avec les équipes de train
approchant l'embranchement se fait soit en agi-
tant un drapeau pour arrêter le train soit par
l'intermédiaire du régulateur. A ce moment, le
régulateur ne pouvait pas parler à l'équipe de
train par radio-téléphone, mais pouvait utiliser
des signaux automatiques à différents points le
long de la ligne pour arrêter le train. Il y a des
lignes téléphoniques privées près de tous les
signaux automatiques. Il n'y avait pas de signal
automatique à l'embranchement et le plus
proche pour un train se dirigeant vers l'ouest se
trouvait à Flat Creek à mi-chemin environ entre
Glacier et l'embranchement.
Le 13 mars 1972 à 6h30, le régulateur de
Revelstoke avait préparé le graphique du mou-
vement des trains indiquant que, ce jour-là, on
prévoyait dans la région des montagnes l'arrivée
ou le départ de 31 trains en direction aussi bien
de l'est que de l'ouest. Il s'agit de renseigne-
ments de routine, transmis au personnel con
cerné du CP. Tôt le matin, Shaw reçut un coup
de téléphone du régulateur relatif au graphique
du mouvement des trains, ce qu'il prit en note.
Pour une foule de raisons, il n'est pas possible
de déterminer avec précision le moment où ces
trains passent à un point donné. Néanmoins, il
était probable qu'entre 10h30 et midi, quatre
trains traverseraient l'embranchement, peut-être
même un cinquième.
Vers 9h30, le défendeur Shaw téléphona de
l'embranchement au régulateur à Revelstoke
pour l'avertir que, par suite d'une attaque, le
contremaître de l'équipe de construction était
invalide et qu'il se trouvait au lit dans sa voi-
ture-dortoir incapable de bouger. Il demandait
des instructions pour le faire transporter à l'hô-
pital de Revelstoke. Brockhouse, qui était res-
ponsable de l'équipe de construction, fut appelé
au bureau du régulateur pour prendre l'appel.
Shaw, sans être l'adjoint du contremaître était,
après ce dernier, l'employé le plus ancien du CP
à ce moment et donc, en vertu des usages du
CP, il assurait la relève vu l'incapacité du
contremaître.
Les différentes possibilités n'ont, semble-t-il,
fait l'objet d'aucune discussion; Shaw déclare
toutefois qu'il a seulement pensé à trouver sur
place un moyen de transport automoteur dispo-
nible ou à se faire envoyer une ambulance ordi-
naire de Revelstoke. Shaw ne voulait pas pren-
dre sur lui la responsabilité de déplacer le
contremaître. Shaw déclare de façon précise
qu'il n'a pas du tout songé à utiliser un hélicop-
tère. Faisant suite à la conversation de Shaw
avec Brockhouse, le régulateur demanda à Shaw
de rester au téléphone et lui expliqua que
Brockhouse allait lui reparler.
Brockhouse, sachant que la route avait été
souvent fermée ces derniers jours, que l'héli-
coptère était retenu et qu'il pouvait servir d'am-
bulance, retourna dans son propre bureau et
appela immédiatement Cameron. Cameron lui
indiqua qu'il effectuait une inspection de rou
tine, mais qu'il pouvait s'envoler dans 30 à 45
minutes. Il demanda à Brockhouse de s'infor-
mer des conditions météorologiques à l'embran-
chement, de s'assurer qu'un secouriste pouvait
l'accompagner et aussi de prévenir l'hôpital de
leur atterrissage. Puis Cameron s'en retourna fin
de préparer l'hélicoptère pour le voyage.
Brockhouse téléphona à un docteur qui lui
indiqua que la seule chose à faire était de sur-
veiller la respiration du contremaître jusqu'à
son admission à l'hôpital, que la présence d'un
docteur ne s'imposait pas, mais qu'il fallait une
personne capable de pratiquer la respiration
artificielle le cas échéant. Il repéra un secou-
riste, un autre employé du CP, lui communiqua
les recommandations du docteur et l'envoya à la
base de la demanderesse. Puis il retourna au
bureau du régulateur afin de parler de nouveau
avec Shaw. Il s'était écoulé 15 ou 20 minutes
depuis leur première conversation.
Selon les témoignages de Brockhouse et de
Shaw, cette seconde conversation porta unique-
ment sur le temps. Brockhouse n'indiqua pas à
Shaw qu'il envoyait un hélicoptère et Shaw,
ayant demandé qu'on prenne des mesures pour
transporter le contremaître à l'hôpital, raccro-
cha le téléphone satisfait de savoir que Brock -
house s'en occupait, tout en ignorant comment.
Il dit qu'il n'était même pas sûr que l'hélicoptère
soit l'ambulance lorsqu'il fut informé de son
approche, et qu'il n'en n'eut la confirmation
qu'au moment où il s'avéra qu'il allait effective-
ment se poser.
Pendant ce temps, le XW4565 était arrivé à
Glacier à 13 milles à l'est de l'embranchement et
s'était arrêté quelques instants pour changer
d'équipe. L'équipe de relève était arrivé de
Revelstoke en taxi et l'équipe venant d'être rem-
placée partit dans la même voiture. A Glacier, il
y a des téléphones permettant de contacter le
régulateur, mais celui-ci ne prit pas contact avec
la nouvelle équipe. L'équipe qui venait d'être
remplacée lui transmit les ordres de la façon
ordinaire. La limite de vitesse entre Glacier et
l'embranchement est de 20 milles à l'heure et le
mécanicien évalua sa vitesse maximum entre 18
et 20 milles à l'heure. Cela signifie que le
XW4565 quitta Glacier vers 10h15. Lorsqu'il
atteignit Flat Creek vers 10h30 le signal auto-
matique indiquait «Passez». L'équipe ne savait
rien des événements survenus à l'embranche-
ment.
Après sa seconde conversation avec Shaw,
Brockhouse retéléphona à Cameron, lui dit que
le temps semblait être le même qu'à Revelstoke
et que le secouriste était en route. Il lui indiqua
aussi expressément que le contremaître se trou-
vait dans une des voitures-dortoirs. Cameron
termina sa révision de l'appareil, vérifia le bran-
card, plaça l'hélicoptère sur la piste d'envol,
remplit le réservoir et n'attendit pas le secou-
riste plus de cinq minutes. Ils décollèrent vers
10h15. Le trajet jusqu'à l'embranchement était
de la routine.
L'hélicoptère avec seulement Cameron et le
secouriste à bord arriva au-dessus de l'embran-
chement en venant de l'ouest vers 10h30. Ils
décrivirent deux cercles; Cameron s'assura que,
mis à part la position des wagons sur les voies,
les conditions étaient à peu près les mêmes que
trois jours plus tôt. Il n'y avait pas de place pour
atterrir à l'endroit où Cameron dit avoir atterri
le 10 mars.
Après le premier cercle, Cameron vit un
homme désignant l'une des voitures-dortoirs et
faisant des signes semblant indiquer où il devait
se poser. Cameron précise que l'homme faisant
des signes avait indiqué de la façon habituelle le
point d'atterrissage. Shaw a admis connaître ces
signaux habituels, car il avait reçu une forma
tion des pilotes d'hélicoptère quand il travaillait
au ministère des Forêts de la Colombie-Britan-
nique. Shaw dit avoir fait un seul signal dési-
gnant la voiture du contremaître; il l'a décrit
comme étant un mouvement du bras, le coude
droit collé au côté, l'avant-bras et le doigt
tendus horizontalement à la manière d'un petit
garçon qui ferait semblant de tirer au pistolet.
Cameron ne vit qu'une seule personne faisant
des signaux et rien ne vient démontrer qu'à part
Shaw, quelqu'un d'autre en fit.
La voiture du contremaître était la sixième,
ou la voiture centrale, des onze voitures consti-
tuant la rame. L'hélicoptère se posa juste en
face d'elle, parallèlement aux voies et tourné
vers l'ouest. La preuve relative au point d'atter-
rissage précis par rapport aux différentes voies
est controversée. Cependant, cela ne semble pas
avoir d'importance particulière puisque tout
atterrissage au nord des voitures-dortoirs impli-
quait nécessairement que le cercle décrit par le
rotor chevauche complètement la ligne princi-
pale. L'endroit indiqué par Cameron ayant été
retenu, selon les mesures prises après l'accident,
le fuselage de l'hélicoptère se trouvait à environ
50 pieds de la ligne électrique et à quelque 30
pieds de la voiture du contremaître, et l'extré-
mité du rotor à 12 pieds 6 pouces de la voiture.
J'admets l'opinion de Cameron selon laquelle
la zone passée au bulldozer était impraticable.
Cependant, il existait des zones utilisables à
chaque extrémité des voitures-dortoirs, respecti-
vement à une distance d'environ 300 pieds de la
voiture du contremaître. S'il avait choisi d'atter-
rir au sud de l'une de ces zones, dans le prolon-
gement des voitures-dortoirs, le rotor se serait
trouvé en dehors de la ligne principale.
Immédiatement après l'atterrissage, Cameron
ferma les manettes de commande, sortit de l'ap-
pareil, laissant le moteur au ralenti et le rotor en
action. Shaw précisa que, dès que Cameron était
sorti de l'hélicoptère, il lui avait demandé s'il
était autorisé à atterrir sur la voie et que Came-
ron lui avait répondu qu'on avait dû y pourvoir.
Cameron n'a aucun souvenir de cette conversa
tion. Il n'y a aucune preuve que Shaw se soit
présenté comme le responsable ou que Cameron
l'ait reconnu comme celui dont il avait suivi les
signaux.
Shaw était inquiet de voir l'hélicoptère blo-
quer la ligne principale. Toutefois, son inquié-
tude ne se manifesta pas au-delà de la question
mentionnée antérieurement. Il ne prit pas con
tact avec le régulateur. Il n'ordonna pas ni
même ne suggéra de déplacer l'hélicoptère ce
qui aurait pu être fait en quelques secondes
avant l'arrêt du moteur. Il n'a pas mentionné la
circulation des trains au pilote. Il n'a envoyé
personne sur la voie pour surveiller et, si néces-
saire, arrêter les trains en agitant un drapeau.
Au lieu de cela, il accompagna Cameron et le
secouriste dans la voiture du contremaître, puis
se dirigea vers le wagon-restaurant pour deman-
der au cuisinier de servir à l'équipe son repas et
lui préciser qu'il mangerait plus tard lorsque
l'hélicoptère serait parti.
Cameron quitta la voiture du contremaître,
arrêta le moteur de l'hélicoptère, prit le bran-
card et retourna vers la voiture du contremaître.
Le secouriste et Cameron transportèrent le con-
tremaître de son lit au brancard, l'attachèrent
avec des courroies et le transportèrent jusqu'à
l'hélicoptère. Le côté gauche du fuselage était
ouvert, on installa le brancard que l'on bloqua.
Le secouriste remonta dans l'hélicoptère et s'as-
sit sur le siège arrière droit. Cameron s'installa
sur le siège avant droit et, peut avant 11h,
commença les manoeuvres de départ.
En deux minutes environ le rotor était en
mouvement et Cameron était sur le point de
décoller lorsqu'il sentit un choc et l'hélicoptère
roula sur son côté gauche. Pendant ce temps,
Shaw voyant le rotor en action, commença à
marcher vers l'est en direction du téléphone
pour appeler le régulateur quand la voie serait
dégagée. Il en était à 40 ou 50 pieds lorsqu'il vit
le train arriver dans la courbe. Il agita les bras,
mais le train le dépassa. Il entendit un fracas
épouvantable, se retourna et vit l'hélicoptère sur
le côté.
Il existe des preuves quant aux manoeuvres
effectuées par le mécanicien. Je ne propose pas
de les examiner, car je suis convaincu qu'il
n'avait absolument aucune chance d'éviter la
collision. Il avait déjà fait tout ce qui était
possible au moment où Shaw fit des signaux et
le train s'arrêta après que quatre locomotives et
huit wagons aient déjà dépassé l'hélicoptère.
Personne ne fut blessé et le contremaître fut
retiré de l'hélicoptère, placé dans le train et
emmené à Revelstoke, apparemment pas plus
mal en point malgré le retard ou la mésaventure.
Compte tenu de toutes les circonstances, je
pense qu'on doit préférer le témoignage de
Cameron relatif à la nature du signal au sol à
celui de Shaw. Shaw reconnaît qu'il connaissait
les signaux ordinaires dans de telles circons-
tances. Le mouvement qu'il a décrit n'est pas,
me semble-t-il, un mouvement naturel pour
quelqu'un qui veut communiquer du sol avec un
hélicoptère en vol. Il ne lui servait à rien d'indi-
quer à l'hélicoptère en vol l'emplacement de la
voiture-dortoir en cause, ce qu'il a pourtant
signalé, à moins qu'il n'ait voulu que le pilote en
tienne compte. La seule déduction logique que
le pilote pouvait tirer alors c'est que le but de
l'information fournie était d'influer sur sa déci-
sion quant au lieu d'atterrissage. Il va de soi que
cette décision incombait à Cameron.
Le régulateur n'est ni partie ni témoin; cepen-
dant, vu les faits indiquant que Brockhouse
utilisait son téléphone pour parler à Shaw, qu'il
avait transmis le message à Shaw d'attendre le
second appel de Brockhouse, je trouve qu'il est
difficile d'imaginer qu'il n'était pas au courant
de ce qui se passait. Shaw manifesta une indif-
férence remarquable en ne s'informant pas des
mesures prises à la suite de sa demande et
Brockhouse manifesta une discrétion remarqua-
ble en ne l'expliquant pas volontairement. Il est
incroyable que le régulateur se soit aussi peu
intéressé à ce qui constituait, en soi, un événe-
ment très intéressant, d'autant que cet événe-
ment aurait dû attirer son attention en tant que
responsable du trafic dans la subdivision.
La demanderesse était une invitée; cepen-
dant, eu égard à l'argumentation des défendeurs,
il ne me semble pas que les distinctions tradi-
tionnelles concernant la responsabilité d'un
occupant envers ceux pénétrant sur son terrain
constituent les principes directeurs dans une
affaire de ce genre. Il est maintenant reconnu
que, lorsqu'une personne légitimement sur la
propriété d'une autre subit un préjudice, non
pas à cause de l'état de cette propriété, mais
plutôt par suite de l'activité exercée dessus, on
applique les principes généraux posés par l'arrêt
Donoghue c. Stevenson 4 .
Comme le lord juge Denning l'a montré dans
l'arrêt Slater c. Clay Cross Co. Ltd. 5 , après
avoir indiqué que la distinction entre l'obligation
envers un invité et un visiteur autorisé avait, dès
lors, quasiment disparue:
[TRADUCTION] En tout cas, la distinction n'a aucune applica
tion dans les affaires ... où l'on effectue des opérations
ordinaires sur le terrain.
" [1932] A.C. 562.
5 [1956] 2 Q.B. 264 à 269.
Dans cette affaire, la demanderesse, visiteur
autorisé, fut blessé par le train de la défende-
resse alors qu'elle marchait sous un tunnel sis
sur la propriété de la défenderesse; il fut jugé
que:
[TRADUCTION] ... la Clay Cross Company, en exploitant son
entreprise, avait l'obligation de prendre les précautions pro-
pres à éviter qu'une personne marchant licitement à côté de
la voie ferrée ne soit pas blessée, mais elle ne s'acquitta pas
de son obligation. 6
Dans la présente affaire, deux activités
étaient en cause, toutes deux spécialisées: la
manoeuvre d'un hélicoptère et celle d'un train.
Toutes deux étaient autorisées sur les lieux et
présentaient un risque pour quiconque n'avait
pas d'expérience. La demanderesse et le CP
avaient l'un envers l'autre l'obligation d'appor-
ter une diligence raisonnable à la conduite de
cette activité particulière afin d'éviter de causer
un préjudice à l'autre. C'est le manquement à
cette obligation qui entraîne la responsabilité.
En l'absence de preuve selon laquelle Brock -
house avait à ce moment l'autorité sur le régula-
teur, je ne peux décider qu'il faisait preuve de
négligence, bien que j'aie de la peine à croire
que le régulateur n'était pas au courant de ce qui
se passait. Brockhouse aurait peut-être dû pré-
voir ce qui est effectivement arrivé et aurait
peut-être dû informer explicitement Shaw de ce
qu'il fallait faire et ne pas faire, toutefois les
éléments de preuve ne permettent pas de fonder
une telle conclusion. Brockhouse savait que le
pilote était allé à l'embranchement auparavant
et que l'hélicoptère pouvait y atterrir et en
décoller. Selon moi, il était en droit d'envoyer
l'hélicoptère à l'embranchement et de s'en
remettre à Shaw pour y exercer ses fonctions de
façon responsable.
Le fait que Cameron ait omis de se préoccu-
per de la ligne principale et de l'éventualité du
trafic sur cette ligne de même que sa décision
d'atterrir à un endroit où le rotor empiétait sur
la ligne principale sont une cause de l'accident.
S'il n'avait pas atterri à cet endroit, rien ne
serait arrivé. Cependant, c'est absolument anté-
rieur et dissociable de la cause immédiate et, de
toute façon, vu les signaux de Shaw, on ne peut
relever de négligence. Cameron avait le droit,
6 Ibid. à la p. 270.
peut-être même l'obligation, de se baser sur les
signaux de Shaw. S'il ne l'avait pas fait, il aurait
très bien pu faire preuve de négligence pourvu
que, bien sûr, il eût été prudent de le faire du
point de vue de la manoeuvre de l'hélicoptère.
Ayant tenu compte des signaux de Shaw, Came-
ron avait le droit de supposer que le trafic des
trains du CP serait acheminé compte tenu de la
présence et de la manoeuvre de l'hélicoptère.
La façon dont Cameron a interprété les
signaux de Shaw et ses actions en découlant
étaient tout à fait raisonnables. Son affirmation
selon laquelle quelqu'un avait dû organiser son
atterrissage sur les voies découle naturellement
de son interprétation du signal au sol. Cameron
n'était pas un spécialiste des manoeuvres ferro-
viaires. Par contre, Shaw aurait dû savoir que, si
l'on avait permis l'atterrissage, le régulateur
aurait dû l'en informer, à titre de préposé du CP
responsable de facto. En effet, Shaw reconnut
que, si Brockhouse avait su que l'hélicoptère
allait atterrir sur les voies, il en aurait informé
Shaw à coup sûr. N'ayant pas été avisé, il aurait
dû émettre des doutes sur le bien-fondé de
l'impression de Cameron et exiger le déplace-
ment de l'hélicoptère. Il aurait dû poster des
hommes le long de la ligne au cas où quelque
chose se produirait. Il aurait dû appeler le régu-
lateur. Quoique peu disposé à accepter la res-
ponsabilité qu'on lui imposait du•fait de l'inca-
pacité du contremaître, Shaw était le
responsable et il en était conscient. C'était un
cheminot expérimenté.
Tout comme il incombait à Cameron de choi-
sir un endroit sûr pour atterrir, du point de vue
de la manoeuvre de l'hélicoptère, de même, il
incombait à Shaw de choisir un endroit sûr pour
l'atterrissage du point de vue du trafic ferro-
viaire. Le fait qu'il ait omis de le faire et qu'il ait
omis par la suite de prendre des mesures raison-
nables pour modifier l'acheminement des trains
de façon à rendre le lieu d'atterrissage sûr,
constituent des actes de négligence et la cause
immédiate de l'accident.
En outre, je conclus que l'hélicoptère avait
fait l'objet d'un contrat de louage entre la
demanderesse et le CP et qu'une des conditions
implicites de ce contrat obligeait le CP à lui
fournir un endroit sûr pour atterrir du point de
vue des manoeuvres ferroviaires. Agissant par
l'intermédiaire de son employé responsable de
facto à l'embranchement, il ne s'est pas acquitté
de cette obligation.
Les défendeurs plaident volenti non fit injuria.
Dans l'arrêt Lehnert c. Stein', la Cour suprême
du Canada a adopté la déclaration suivante dans
son ouvrage de Salmond on Torts, 13 ° éd. à la p.
44:
[TRADUCTION] «La question fondamentale dans chaque cas
est la suivante: Le demandeur a-t-il vraiment consenti à
assumer le risque sans indemnité? Ce consentement dégage-
t-il vraiment le défendeur de l'obligation de diligence?»
Dans cette affaire, c'est tout à fait le contraire.
La demanderesse a présumé, comme c'était son
droit, que le CP apporterait une diligence raison-
nable à la manoeuvre ferroviaire.
La réclamation est par conséquent entière-
ment accueillie contre le CP et Shaw et la
demande reconventionnelle du CP est rejetée.
La réclamation contre Brockhouse est rejetée.
La demanderesse a droit à ses dépens contre le
CP et Shaw. Selon moi, l'accord entre les défen-
deurs est tel qu'on ne doit pas accorder de
dépens à Brockhouse; toutefois, il peut avoir
recours à la Règle 344(7) si mon impression est
erronée.
7 [1963] R.C.S. 38 à la page 43.
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