T-856-74
Mohammed Sadique (Requérant)
c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra-
tion et N. C. Beaton (Intimés)
Division de première instance, le juge suppléant
Cowan—Halifax, le 26 février 1974.
Immigration—Ordonnance d'expulsion—Demande adres-
sée à la Division de première instance en vue d'obtenir un
bref d'habeas corpus, un bref de certiorari et un bref de
prohibition—L'ordonnance rendue par l'enquêteur spécial
était dans les limites de sa compétence et ne peut faire l'objet
d'un bref de certiorari ou de prohibition—La Division de
première instance n'a pas compétence en matière d'habeas
corpus—La procédure appropriée serait une demande d'exa-
men judiciaire—Cour d'appel compétente—Loi sur l'immi-
gration, S.R.C. 1970, c. I-2, art. 7, 22 24, 26, 27—Loi sur
la Cour fédérale, art. 18 et 28—Loi sur la Commission
d'appel de l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-3, art. 11, modifié
par l'art. 5, du c. 27, S.C. 1973-74.
DEMANDE.
AVOCATS:
Whiholele Mundebah pour le requérant.
J. M. Bentley et D. Richard pour les
intimés.
PROCUREURS:
Kelsie et Mundebah, Halifax, pour le
requérant.
Le procureur général du Canada pour les
intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés par
LE JUGE SUPPLÉANT COWAN: Il s'agit d'une
requête présentée au nom de Mohammed Sadi-
que, actuellement détenu au Centre correction-
nel d'Halifax dans le comté d'Halifax (Nou-
velle-Écosse) dans le but d'obtenir différents
redressements; il demande notamment que la
Cour émette un bref d'habeas corpus assorti
d'un bref de certiorari et un bref de prohibition.
L'avis de requête est daté du 25 février 1974;
par avis de requête daté du 26 février 1974, il a
demandé aussi que le délai entre le dépôt et la
présentation de la requête soit abrégé.
L'avis de requête pour le redressement
demandé fut signifié le 25 février 1974.
La Règle 321 des Règles et Ordonnances
générales de la Cour fédérale du Canada prévoit
au paragraphe (2) que:
Règle 321. (2) Sauf si la Cour accorde une permission
spéciale à l'effet contraire, il faut qu'il y ait un intervalle de
2 jours francs entre la signification d'un avis de requête et le
jour indiqué dans l'avis pour l'audition de la requête.
L'avocat des intimés a comparu et a fait
opposition à la requête demandant l'abrègement
du délai requis et à l'octroi par la Cour d'une
permission spéciale à cette fin. J'ai remis ma
décision sur ce point et j'ai autorisé l'avocat du
requérant à présenter sa cause, étant entendu
que si l'avocat des intimés demandait un délai
supplémentaire pour y répondre cette requête
serait accordée.
On a soumis au nom du requérant son propre
affidavit portant qu'il est citoyen de la Républi-
que du Pakistan; que le 15 février 1974, ou aux
environs de cette date, il a demandé à entrer au
Canada en vertu de l'article 7c) de la Loi sur
l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2; qu'il est
actuellement détenu sous la garde de Keith Hall,
le surintendant du Centre correctionnel d'Hali-
fax, comté d'Halifax (Nouvelle-Écosse); qu'à
toutes les époques en cause, il a demandé la
permission d'entrer au Canada pour une période
d'au moins trois semaines, à la suite de laquelle
il repartirait pour son pays d'origine; que le 21
février 1974, ou aux environs de cette date, on
décida qu'il serait détenu et par la suite expulsé;
qu'il est un visiteur authentique et qu'il dispose
de moyens et de fonds suffisants pour subvenir
à ses besoins pendant la période de trois semai-
nes susmentionnée et qu'il a joint à son affidavit
,une copie conforme de l'ordonnance rendue par
N. C. Beaton, enquêteur spécial, le 22 février
1974, ordonnant la détention immédiate du
requérant en vue de son expulsion, en vertu des
dispositions de la Loi sur l'immigration.
On a établi que le requérant était arrivé par
avion à l'aéroport international d'Halifax le 15
février 1974 et qu'un fonctionnaire à l'immigra-
tion de l'aéroport, agissant en vertu de l'article
22 de la Loi sur l'immigration, a fait détenir le
requérant et l'a signalé à un enquêteur spécial,
N. C. Beaton, qui a procédé alors à une enquête,
comme le prévoit l'article 23(2) de la Loi. L'arti-
cle 26(2) de la Loi prévoit que:
26. (2) L'intéressé, s'il le désire et à ses propres frais, a le
droit d'obtenir un avocat, et d'être représenté par avocat,
lors de son audition.
Le requérant demanda et choisit un avocat le
21 février 1974; il ne parle que l'ourdou. On mit
à sa disposition un interprète qui était présent le
21 février 1974. Le même jour, il y eut une
audition et l'enquêteur spécial différa sa déci-
sion qu'il rendit le 22 février 1974.
L'article 27 de la Loi dispose que:
27. (1) A la conclusion de l'audition d'une enquête, l'en-
quêteur spécial doit rendre sa décision le plus tôt possible et,
si les circonstances le permettent, en présence de la per-
sonne intéressée.
(2) Lorsque l'enquêteur spécial décide que la personne
intéressée
a) peut de droit entrer ou demeurer au Canada;
b) dans le cas d'une personne cherchant l'admission au
Canada, n'est pas membre d'une catégorie interdite; ou
c) dans le cas d'une personne au Canada, n'est pas recon-
nue, par preuve, une personne décrite à l'alinéa 18(1)a),
b), c), d) ou e),
il doit, en rendant sa décision, admettre ou laisser entrer
cette personne au Canada, ou y demeurer, selon le cas.
(3) Dans le cas d'une personne autre que celle dont le
paragraphe (2) fait mention, l'enquêteur spécial doit, en
rendant sa décision, émettre contre elle une ordonnance
d'expulsion.
(4) Nulle décision rendue en vertu du présent article ne
doit empêcher la tenue d'une enquête ultérieure si elle est
requise en raison d'un rapport subséquent sous le régime de
l'article 18 ou conformément à l'article 24.
A mon avis, il est tout à fait évident que la
question pertinente en l'espèce consiste à déter-
miner si le requérant, en tant que personne
demandant à être admise au Canada, appartient
ou non à une catégorie interdite. L'article 5 de
la Loi dispose que:
5. Nulle personne, autre qu'une personne mentionnée au
paragraphe 7(2), ne doit être admise au Canada si elle est
membre de l'une des catégories suivantes:
Une des catégories de personnes mentionnées
dans cet article est décrite de la manière
suivante:
p) les personnes qui, suivant l'opinion d'un enquêteur
spécial, ne sont pas des immigrants ou non-immigrants
authentiques;
L'article 7 de la Loi prévoit que certaines
personnes peuvent être autorisées à entrer et
demeurer au Canada à titre de non-immigrants,
notamment «les touristes ou visiteurs» et l'arti-
cle 7(2) prévoit que certaines personnes peuvent
être autorisées à entrer. et demeurer au Canada,
à titre de non-immigrants, notamment «les
détenteurs d'un permis».
On a établi de manière à me convaincre que le
requérant n'est pas détenteur d'un permis l'auto-
risant à entrer et demeurer au Canada à titre de
non-immigrant et la question qu'il incombait à
l'enquêteur spécial de déterminer était donc de
savoir si le requérant était un touriste ou un
visiteur et donc un non-immigrant authentique.
Comme je l'ai signalé plus haut, l'enquêteur
spécial est autorisé par l'article 26(3) de la Loi à
recevoir toute preuve qu'il estime digne de foi et
à fonder sa décision sur cette preuve dans les
circonstances de chaque espèce et, puisque l'en-
quête porte sur une personne demandant à
entrer au Canada, c'est au requérant qu'il
incombe, conformément aux dispositions de
l'article 26(4), de prouver qu'il ne lui est pas
interdit d'entrer au Canada. Conformément aux
dispositions de l'article 27(3) de la Loi, N. C.
Beaton, l'enquêteur spécial, rendit une ordon-
nance datée du 22 février 1974, portant que:
[TRADucTioN] Me fondant sur la preuve soumise lors de
l'enquête tenue au Centre de l'Immigration du Canada, 5221
rue Harvey, Halifax (Nouvelle-Écosse) les 20, 21 et 22
février 1974, je conclus et décide que vous ne pouvez, de
droit, entrer ou demeurer au Canada parce que
(i) vous n'êtes pas un citoyen canadien;
(ii) vous n'êtes pas une personne ayant un domicile
canadien;
(iii) vous appartenez à la catégorie interdite décrite à
l'alinéa 5p) de la Loi sur l'immigration, puisqu'à mon avis
vous n'êtes pas un non-immigrant authentique.
Puis il déclare dans cette ordonnance:
[TRADUCTION] J'ordonne par les présentes que vous soyez
détenu et expulsé.
Il semble donc, à la lecture de l'ordonnance
d'expulsion, que l'enquêteur spécial ait décidé
que le requérant appartenait à une des catégo-
ries interdites, c: à-d. qu'il n'était pas un non-
immigrant authentique. L'enquêteur spécial
avait le droit et le devoir de rendre cette déci-
sion et en concluant de la sorte, il s'acquittait
des devoirs que lui imposait la Loi sur l'immi-
gration; il agissait donc, à mon avis, dans les
limites de sa compétence. Même si les procédu-
res en étaient encore au stade de l'audition par
l'enquêteur spécial, aux termes de l'article 24 de
la Loi sur l'immigration, ce qui n'est pas le cas,
la délivrance d'un bref de prohibition ne serait
pas le moyen de droit approprié puisqu'un tel
bref ne peut être émis que pour empêcher un
fonctionnaire, dans ce cas l'enquêteur spécial,
d'excéder sa compétence. De toute façon, puis-
que l'enquête est terminée, le bref de prohibi
tion n'est pas un moyen approprié.
De même, on ne devrait pas émettre de bref
de certiorari dans l'affaire présente. Ce bref ne
devrait être émis que si l'ordonnance d'expul-
sion avait été rendue sans compétence pour le
faire, c.-à-d. si la Loi ne donnait pas à l'enquê-
teur spécial la compétence pour faire ce qu'il a
fait, ou s'il avait excédé sa compétence d'une
manière ou d'une autre. Rien dans le dossier ne
montre qu'il y a eu excès de compétence.
On a prétendu au nom du requérant que l'en-
quêteur spécial aurait dû accepter la déposition
du requérant en l'absence de toute preuve à
l'effet contraire. On ne peut soutenir un tel
argument et j'accepte par contre la théorie sou-
tenue au nom des intimés, selon laquelle il
incombe au requérant de prouver qu'il ne lui est
pas interdit d'entrer au Canada.
On a aussi soutenu au nom du requérant que
l'enquêteur spécial était partial, en ce sens qu'il
avait des idées préconçues sur le caractère du
requérant. Rien dans la preuve qui m'a été sou-
mise ne démontre une telle partialité ou la possi-
bilité d'une telle partialité; je conclus que cet
argument n'est aucunement fondé.
On a aussi soutenu au nom du requérant que
la question de l'authenticité (bona fides) était
une question de droit et non une question de
fait. A mon avis, il s'agit d'une question de fait
et je n'ai pas le droit, dans les circonstances,
d'annuler la décision de l'enquêteur spécial en
me fondant sur ce point.
L'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale,
S.R.C. 1970, c. 10 (2 e Supp.) se lit comme suit:
18. La Division de première instance a compétence exclu
sive en première instance
a) pour émettre une injonction, un bref de certiorari, un
bref de mandamus, un bref de prohibition ou un bref de
quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire,
contre tout office, toute commission ou tout autre tribunal
fédéral; et
b) pour entendre et juger toute demande de redressement
de la nature de celui qu'envisage l'alinéa a), et notamment
toute procédure engagée contre le procureur général du
Canada aux fins d'obtenir le redressement contre un
office, une commission ou à un autre tribunal fédéral.
Il me semble tout à fait évident, en premier
lieu, que la Division de première instance de la
Cour fédérale n'a pas compétence pour émettre
un bref d'habeas corpus. Il semble même très
douteux que le pouvoir d'émettre un bref d'ha-
beas corpus ait été de quelque manière conféré
à la Cour fédérale. De toute façon, il est tout à
fait évident que la Division de première instance
de la Cour n'a aucunement le pouvoir d'émettre
un bref d'habeas corpus.
L'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale
prévoit notamment que:
28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute
autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et
juger une demande d'examen et d'annulation d'une décision
ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de
nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un
processus judiciaire ou quasi judiciaire rendue par un office,
une commission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion
de procédures devant un office, une commission ou un autre
tribunal fédéral, au motif que l'office, la commission ou le
tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a
autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée
d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la
lecture du dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclu
sion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire
ou sans tenir compte des éléments portés à sa
connaissance.
(3) Lorsque, en vertu du présent article, la Cour d'appel a
compétence pour entendre et juger une demande d'examen
et d'annulation d'une décision ou ordonnance, la Division de
première instance est sans compétence pour connaître de
toute procédure relative à cette décision ou ordonnance.
On demande par les présentes l'examen et
l'annulation de la décision ou ordonnance de
l'enquêteur spécial datée du 22 février 1974; il
est tout à fait évident que c'est la Cour d'appel
fédérale qui a compétence pour entendre cette
demande et rendre une décision, et qu'aucune
procédure relative à cette décision ou ordon-
nance ne peut relever de la compétence de la
Division de première instance de la Cour fédé-
rale. A mon avis, la décision ou ordonnance en
cause dans cette action est une décision ou
ordonnance légalement soumise à un processus
judiciaire ou quasi judiciaire, rendue à l'occa-
sion de procédures devant un tribunal fédéral. II
s'ensuit donc que toute demande d'examen ou
d'annulation de la décision ou ordonnance aurait
dû être présentée à la Cour d'appel et non à un
juge de la Division de première instance de la
Cour fédérale.
L'article 11(1) de la Loi sur la Commission
d'appel de l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-3
modifié par les S.C. 1973-74, c. 27, article 5,
dispose que:
11. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), une
personne frappée d'une ordonnance d'expulsion, en vertu de
la Loi sur l'immigration peut, en se fondant sur un motif
d'appel qui implique une question de droit, une question de
fait ou une question mixte de droit et de fait, interjeter appel
devant la Commission, si au moment où l'ordonnance d'ex-
pulsion est prononcée contre elle, elle est
a) un résident permanent;
6) une personne qui cherche à être admise au Canada en
qualité d'immigrant ou de non-immigrant, (à l'exception
d'une personne qui, aux termes du paragraphe 7(3) de la
Loi sur l'immigration est réputée être une personne qui
cherche à être admise au Canada) et qui, au moment où un
fonctionnaire à l'immigration a établi, conformément à
l'article 22 de la Loi sur l'immigration, le rapport la
concernant, était en possession d'un visa valide d'immi-
grant ou de non-immigrant, selon le cas, que lui avait
délivré hors du Canada un fonctionnaire à l'immigration;
c) une personne qui prétend être un réfugié que protège la
Convention; ou
d) une personne qui prétend être citoyen canadien.
Il appert que le requérant n'appartient pas à
une des catégories des personnes autorisées à
interjeter appel en vertu de l'article 11 de la Loi
sur la Commission d'appel de l'immigration.
Je conclus donc que je ne peux accorder le
redressement demandé. Dans les circonstances,
l'avocat des intimés ne s'oppose pas à ce que
j'accorde l'autorisation d'abréger le délai requis
pour la signification de l'avis de requête en
vertu de la Règle 321(2) des Règles et Ordon-
nances générales de la Cour fédérale du Canada.
J'accorde donc par ordonnance la permission
d'abréger le délai mais je rejette la demande de
redressement.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.