T-1275-72
La Commission de port du Fraser et Johnston
Terminals Limited (Demanderesses)
c.
Le navire Hiro Maru et Nippon Yusen Kaisha et
Hatchiuma Kisen K.K. (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Urie--
Vancouver, les 13, 14, 15 et 16 novembre 1973;
Ottawa, le 31 janvier 1974.
Droit maritime—Rupture des amarres du navire défendeur
alors qu'il se trouve à un poste d'amarrage—Dommages
causés au navire défendeur et au poste d'amarrage de la
Commission demanderesse—Répartition des responsabilités
en vertu de la Contributory Negligence Act provinciale—
Dommages causés au poste de chargement de la compagnie
demanderesse—Aucuns dommages-intérêts.
Il s'agit d'une jonction d'actions en dommages-intérêts,
l'une intentée par la Commission demanderesse pour les
dommages causés à son poste d'amarrage et l'autre par la
compagnie demanderesse pour les dommages causés à son
poste de chargement, lorsque le navire défendeur, le Hiro
Maru, a rompu ses amarres. Le navire défendeur appartient
aux deux autres défendeurs qui, par demande reconven-
tionnnelle, réclament des dommages-intérêts.
Arrêt: les dommages sont imputables à la manoeuvre négli-
gente des responsables du navire et à la négligence de la
Commission demanderesse dans l'entretien du bassin par ses
préposés. L'article 648 de la Loi sur la marine marchande
du Canada, S.R.C. 1970, c. S-9, ne peut s'appliquer puisqu'il
ne s'agit pas d'un abordage entre navires, mais entre un
navire et une construction ayant ses fondations sur la rive.
La Commission demanderesse, en tant qu'agent de la Cou-
ronne du chef du Canada, en vertu de la Loi sur les
Commissions du port, S.R.C. 1970, c. H-1, peut invoquer les
dispositions de la Contributory Negligence Act, S.R.C.-B.
1960, c. 74, art. 2. En vertu de cette loi, il peut y avoir
répartition des dommages-intérêts et la responsabilité des
défendeurs est fixée à 80% des dommages subis par la
Commission demanderesse et celle de la Commission
demanderesse à 20% des dommages subis par les défen-
deurs. Mais la réclamation de la compagnie demanderesse
n'est pas recevable, car la négligence des préposés de la
Commission demanderesse était imputable à la compagnie
demanderesse; cette dernière n'a pas réussi à prouver que la
cause immédiate des dommages subis par elle était la négli-
gence des défendeurs; en outre, elle ne pouvait invoquer les
dispositions de la Contributory Negligence Act provinciale.
Arrêt suivi: The Algoma Central and Hudson Bay Rail
way Company c. Manitoba Pool Elevators Limited et les
Commissaires du port de Lakehead [1964] R.C.E. 505.
Arrêts examinés: S.S. «Peterborough» c. La Cie Bell
Téléphone [1952] 4 D.L.R. 699; Le «Fir» (1943) 76 Ll.
L.R. 77; H.M.S. «Princess Astrid» (1944) 78 Ll. L.R.
99; Williams & Sons Ltd. c. Port of London Authority
(1933) 47 Ll. L.R. 81; La cité de Halifax c. Les Com-
missaires du Port de Halifax [1935] R.C.S. 215; Gart-
land Steamship Co. c. La Reine [1960] R.C.S. 315; Le
Chinkiang [1908] A.C. 251; Le Hero [1912] A.C. 300;
La Reine c. Nord-Deutsche [1971] R.C.S. 849; Spar
rows Point c. Greater Vancouver Water District [1951]
R.C.S. 396; Le Devonshire [1912] A.C. 634.
ACTION.
AVOCATS:
A. Barry Oland et R. K. MacKinnon pour
les demanderesses.
Boon S. Lee et J. W. Pearson pour les
défendeurs.
PROCUREURS:
Owen, Bird, Vancouver, pour les demande-
resses.
Campney & Murphy, Vancouver, pour les
défendeurs.
LE JUGE URIE—II s'agit ici de la jonction de
deux actions intentées par chacune des deman-
deresses à l'encontre des défendeurs; cette
jonction d'actions fait suite à l'ordonnance du
juge suppléant Sheppard, rendue le 22 août
1973. Ces actions résultent des dommages subis
par les installations d'un poste d'amarrage
appartenant à la Commission demanderesse et
d'un poste de chargement de ce poste d'amar-
rage, appartenant à la compagnie demanderesse
qui l'exploite; le navire défendeur, en rompant
ses amarres alors qu'il se trouvait .à ce poste, a
causé ces dommages. Le navire défendeur
appartient aux deux autres défendeurs qui, par
demande reconventionnelle à l'encontre des
demanderesses, réclament des dommages-inté-
rêts pour les dommages subis par le navire lors
de cet incident.
Le poste d'amarrage en cause, connu sous le
nom de Fraser Surrey Dock, poste d'amarrage
n° 4, fut préparé, construit et modifié selon les
plans et instructions de la Fraser River Pile
Driving Company Limited, une compagnie qui,
selon la preuve, avait une vaste expérience en la
matière. Les installations de chargement de ce
poste d'amarrage ont été construites, aménagées
et exploitées par la compagnie demanderesse, la
Johnston Terminals Limited, ou en son nom.
Le poste d'amarrage est presque entièrement
construit en bois et se situe sur la rive sud du
fleuve Fraser en face de l'île Annacis (C.-B.); il
forme un angle d'environ 10 degrés avec la rive,
l'extrémité aval étant plus loin de la rive que
l'extrémité amont. Il fut construit afin de fournir
un dock pour le chargement en vrac de copeaux
et de sciure de bois dans des cargos à destina
tion du Japon. A l'époque de l'accident, ce poste
d'amarrage comprenait:
a) Une passerelle, avec main-courante, sui-
vant une direction nord-est sud-ouest, située
de 60 pieds à 200 pieds au large.
b) Six ducs d'Albe situés le long de cette
passerelle, du côté de la rivière, numérotés
de 1 à 6 respectivement, le premier étant situé
en amont et les autres vers l'aval. Chacun
d'eux comprend 16 pilotis verticaux munis de
20 pilots entrecroisés formant un angle de 45°
avec le rivage; ces poteaux boulonnés ensem
ble forment une seule unité. A l'origine, ils
avaient été enfoncés de 20 pieds dans le fond
de la rivière.
c) Une plate-forme ou ponton sur chacun des
ducs d'Albe. Deux des pilotis verticaux pas-
sent au travers de la plate-forme. Au sommet
de chacun de ces pilotis est fixé un montant
en acier de 4 pieds, comportant deux parties
latérales saillantes servant à maintenir en
place les amarres d'un navire. C'est ce qu'on
appelle un bollard. Ces bollards sont fixés sur
les pilotis par quatre tire-fond de 9 pouces.
En partant du numéro 1, les ducs d'Albe sont
espacés respectivement de 155, 155, 66, 124
et 150 pieds.
d) Une bouée signalant la présence d'une
ancre dans le prolongement des ducs d'Albe
situés le long de la passerelle, à une distance
de 445 pieds vers l'aval; la bouée est attachée
par une chaîne étançonnée de deux pouces de
grande résistance, à une ancre en béton armé
pesant approximativement 17.4 tonnes, enter-
rée à 10 pieds de profondeur dans le lit du
fleuve à une distance de 550 pieds du duc
d'Albe numéro 6, soit à peu près vis-à-vis de
la limite de la propriété de la Commission, sur
la rive.
e) Une tour de chargement en acier placée sur
un bloc de béton, utilisée pour le chargement
de la sciure et des copeaux de bois, sous
pression, est située à peu près au centre de la
rangée des ducs d'Albe.
f) Douze pieux de défense, situés du côté de
la rivière, sont reliés à la structure principale
par des traverses en bois horizontales et des
chaînes maintenant des boudins de caout-
chouc entre chaque groupe de traverses. Ces
défenses servent à répartir la force d'un
navire qui aborde ou d'un navire amarré entre
chacun des ducs d'Albe principaux, c'est-à-
dire à absorber l'énergie et à la transmettre à
l'ensemble du duc d'Albe.
g) Un secteur réservé aux gabarres servant à
décharger la sciure et les copeaux de bois soit
directement dans le compartiment cargo du
navire amarré soit dans un entrepôt à terre,
est situé entre la rive et la passerelle à peu
près en face du duc d'Albe numéro 4. Les
gabarres entrent dans ce secteur par le côté
aval du poste d'amarrage.
h) Deux installations d'amarres de travers sur
le rivage, dont la première est une poutre
enfoncée verticalement à peu près en face du
duc d'Albe numéro 2 à environ 125 pieds de
celui-ci et la seconde, une poutre longue de 10
pieds et d'un diamètre de 3 pieds, enterrée
horizontalement à une profondeur de 10 pieds
et connue sous le nom de «corps mort»,
située en aval en face du duc d'Albe numéro 6
à une distance d'environ 210 pieds de ce
dernier. Ces deux installations sur le rivage
comportent des câbles d'amarrage en acier
d'un pouce de diamètre allant jusqu'à la pas-
serelle au niveau du duc d'Albe le plus proche
et servant à attacher les amarres du navire.
L'utilisation de l'amarre de travers située vers
l'aval était sujette à interruption, car il fallait
la larguer afin de laisser passer les gabarres
qui entraient ou sortaient du bassin; en effet
ces dernières, chargées ou vides, étaient plus
hautes que l'amarre de travers, même lorsque
celle-ci était tendue. Lorsqu'on la larguait ou
lorsqu'on lui donnait du mou, l'amarre de
travers coulait simplement au fond de la
rivière où elle restait jusqu'à ce que l'équi-
page du navire la retende.
L'agencement du poste d'amarrage tel que
décrit ci-dessus figure aux pièces P-21 et P-21A
et, selon la description donnée, il avait une
longueur totale d'environ 665 pieds. Sa disposi
tion au jour de l'accident, telle que décrite
ci-dessus, ne correspond pas exactement aux
plans initiaux. Des représentants des propriétai-
res du navire défendeur firent des recommanda-
tions à la suite desquelles on modifia quelque
peu lesdits plans; l'agencement final de ce poste
d'amarrage correspondant à la description
ci-dessus est le résultat de ces modifications. En
premier lieu, la bouée d'amarrage fut déplacée
de 70 pieds, puis de 95 pieds vers l'aval, par
rapport à l'endroit où l'on avait initialement
prévu de la placer. Ce changement était néces-
saire pour permettre, le cas échéant, l'amarrage
de navires plus longs, compte tenu de l'obliga-
tion de placer les amarres d'arrière de ces navi-
res dans le prolongement du dock ou selon un
angle aussi petit que possible avec celui-ci.
Lorsqu'on déplaça l'ancre de 95 pieds vers
l'aval, on l'enfonça à 10 pieds dans le lit du
fleuve au lieu de 5 pieds, comme c'était le cas
auparavant.
En deuxième lieu, on ajouta les deux amarres
de travers, sur le rivage, ainsi que les câbles
d'acier les reliant à la passerelle, afin de fournir
apparemment de meilleures amarres pour main-
tenir les navires très près de la jetée. En troi-
sième lieu, le plan initial prévoyait seulement
cinq ducs d'Albe. On ajouta un duc d'Albe, qui
devint le duc d'Albe numéro 4. En quatrième
lieu, la bouée d'amarrage qui était initialement
construite en bois fut remplacée par une bouée
cylindrique en acier, plus durable. En cinquième
lieu, on plaça des madriers en bois entre les
pilotis verticaux, juste en-dessous du ponton de
chacun des ducs d'Albe pour réduire l'effet de
levier sur les pilotis s'élevant au-dessus du
niveau du ponton et sur lesquels on avait fixé
les bollards, afin d'éviter qu'ils ne se cassent
sous la tension exercée par les amarres des
navires qui y étaient attachées.
Le navire défendeur, le Hiro Maru, arriva au
poste numéro 4 à 8h, le 11 décembre 1971; on
attacha alors trois amarres de l'avant à des
bollards du poste numéro 3. Une amarre partant
de l'avant du navire fut attachée au duc d'Albe
numéro 2; on décrivit cette dernière comme une
amarre de travers. Une amarre de poste avant
fut attachée vers l'arrière au duc d'Albe numéro
4. Une amarre de poste arrière fut attachée vers
l'avant au duc d'Albe numéro 4. Une amarre,
que l'officier en second décrivit comme une
amarre de travers, se trouvant à l'arrière du
bateau, fut attachée vers l'avant au duc d'Albe
numéro 5. On attacha trois amarres d'arrière à
la bouée d'amarrage flottante se trouvant en
aval. Aucune amarre ne fut attachée au duc
d'Albe numéro 6, car, renversé par un navire
peu de temps auparavant, il n'avait pas été
remis en place.
Pour mieux saisir le problème soulevé dans
cette affaire, il faut comprendre à quoi servent
les différentes amarres, selon la preuve présen-
tée par plusieurs témoins:
1. Amarres d'avant. Ces amarres vont de la
proue à un point d'amarrage suivant un angle
faible et sont utilisées en corrélation avec les
amarres d'arrière et les amarres de poste pour
empêcher le navire de dériver vers l'avant ou
l'arrière ainsi que pour le déplacer vers
l'avant ou vers l'arrière, le long du bassin.
2. Amarres d'arrière. Elles jouent le même
rôle que les amarres d'avant et sont attachées
de la même manière, mais elles partent de
l'arrière du navire.
3. Amarres de poste. Ces amarres vont d'un
point situé à l'avant du navire à un bollard
situé à l'arrière ou d'un point situé à l'arrière
du navire à un bollard situé à l'avant. Dans
chaque cas, elles forment un angle très aigu
avec le flanc du navire. Elles servent d'abord
à empêcher le navire de suivre en avant ou en
arrière la dérive du courant, la marée ou les
vents et, en second lieu, en corrélation avec
les amarres d'avant et d'arrière, à permettre
de déplacer le navire le long du bassin, vers
l'avant ou vers l'arrière.
4. Amarres de travers. Elles vont de points
situés vers la proue et vers la poupe du navire
à des points d'amarrage, suivant une ligne
aussi perpendiculaire que possible avec le
navire; elles servent à empêcher un mouve-
ment latéral du navire, causé par les marées,
les courants ou les vents, qui écarterait ce
dernier du bassin. En d'autres termes, elles
servent à maintenir fermement le navire le
long du bassin.
Toutes ces amarres sont complémentaires les
unes des autres et leur rôle respectif peut chan-
ger quelque peu lorsqu'on déplace le navire le
long du poste au cours du chargement. Il faut
rappeler que, dans cette affaire, le Hiro Maru
avait cinq chargements. La première cale à rem-
plir devait être la cale numéro 2; il fallut ensuite
déplacer le navire vers l'arrière pour remplir la
cale numéro 5. Les autres cales furent remplies
par la suite suivant un certain ordre de façon à
équilibrer l'avant et l'arrière du navire. Au
moment du chargement dans la cale numéro 1,
l'arrière du navire se trouvait à son point le plus
éloigné vers l'aval puisque la tour de charge-
ment restait stationnaire et que la cale numéro 1
est la plus proche de l'avant du navire.
Le capitaine Grozier, qui était à ce moment le
capitaine de port et travaillait pour la Commis
sion demanderesse, a témoigné que le duc
d'Albe numéro 6 avait été renversé le 5 septem-
bre 1971 au moment où le navire Diashan Maru
quittait le poste numéro 4, l'équipage n'ayant
pas largué à temps l'amarre attachée à ce duc
d'Albe. Il ne fut pas réparé avant le début
janvier 1972, car le poste numéro 4 était pres-
que constamment utilisé et, lorsqu'il ne l'était
pas, l'entrepreneur n'avait pas l'équipement
nécessaire pour procéder aux réparations. Il
témoigna en outre qu'un de ses contremaîtres
lui avait fait savoir le 8 octobre 1971 que le
navire Zencoran Maru avait déplacé l'ancre
d'amarrage. Immédiatement après, on la recula
de 95 pieds vers l'aval et on l'enterra à 10 pieds
de profondeur dans le lit du fleuve, comme nous
l'avons expliqué plus haut.
Le capitaine Grozier témoigna aussi qu'à ce
moment, ou peu après, il demanda au surinten-
dant adjoint, Kenneth Cavanaugh, de s'assurer
que les navires au poste d'amarrage numéro 4
utilisent en tout temps des amarres de travers
allant du navire au rivage, et que ces amarres de
travers ne soient relâchées qu'à marée descen-
dante ou lorsque la mer était calme et lorsque
les vents de mer étaient prédominants. On ne
devait, en aucune circonstance, déplacer les
navires se trouvant au poste ou donner du mou
aux amarres de travers à marée montante ou
lorsque les vents de terre étaient prédominants
même si des gabarres attendaient pour entrer ou
sortir du bassin numéro 4.
A environ 4h20 du matin, le 14 décembre
1971, juste après un changement de quart, le
chargement de la cale numéro 1 du navire
défendeur s'effectuait normalement. Dans son
témoignage, l'officier en second du navire
déclara avoir remarqué à ce moment que l'ar-
rière du navire se trouvait à trois ou quatre
pieds de la jetée. En conséquence, il demanda
aux membres de l'équipage d'enrouler sur le
treuil deux des amarres d'arrière fixées à la
bouée dans le but de rapprocher au maximum le
navire de la jetée. Il ajouta avoir aussi remarqué
à ce moment qu'au lieu de replacer le navire
dans sa position initiale, cette manoeuvre avait
déplacé la bouée dans la même direction que les
amarres, ce qui indiquait que l'ancre avait été
déplacée par rapport à sa position initiale au
fond du fleuve. Il fit alors appel à l'ensemble de
l'équipage et avec un des membres alla inspec-
ter l'amarre de poste avant et remarqua à ce
moment que le bollard du duc d'Albe numéro 4
s'était détaché ainsi que les amarres de poste
qui y avaient été fixées. A ce moment, l'arrière
du navire se déplaçait rapidement vers le milieu
du fleuve. Il relâcha alors l'amarre de travers
d'avant et, afin de ralentir le mouvement vers
l'extérieur, il jeta l'ancre de bâbord. Il tendit
alors ce qu'il décrit comme l'amarre de travers
d'arrière et cette manoeuvre arracha le duc
d'Albe numéro 5 et le fit tomber à l'eau. A ce
moment, ou peu après, certaines parties de la
passerelle, situées de chaque côté du duc d'Albe
numéro 4 s'effondrèrent et l'une d'elles tomba à
l'eau.
Les demanderesses soutiennent que le dom-
mage causé à leurs installations d'amarrage et
de chargement est imputable à la négligence des
personnes chargées de s'occuper du navire
défendeur, savoir les employés ou les agents des
propriétaires défendeurs, parce qu'ils avaient
omis d'amarrer correctement le navire à la jetée
et, notamment, d'utiliser et de maintenir en
place une amarre de travers à l'arrière du
navire, tout en sachant que c'était contraire à
l'usage à cet égard et contraire aux instructions
du capitaine de port.
Par contre, les défendeurs soutiennent que la
Commission demanderesse en autorisant ou en
incitant des navires à utiliser le poste numéro 4
garantissait implicitement que les installations
d'amarrage étaient en bon état. Ils allèguent en
outre que les installations n'étaient pas en bon
état car la bouée d'amarrage se trouvant en aval
était défectueuse et insuffisante pour l'utilisa-
tion qu'on en faisait et qu'elle avait été déplacée
ou partiellement arrachée de son emplacement
avant l'arrivée du Hiro Maru. Cette prétention
est appuyée selon eux par le fait que le duc
d'Albe numéro 6 n'était pas utilisable. Ils allè-
guent aussi certains autres actes ou omissions
dont il sera fait mention par la suite.
Les demanderesses ont notamment soumis le
témoignage du surintendant adjoint de la Com
mission de port, Cavanaugh (témoignage qui fut
corroboré par un de ses contremaîtres, McCul-
lough), il avait remarqué, le matin du 11 décem-
bre 1971, qu'aucune des amarres de travers
allant jusqu'au rivage n'était attachée au Hiro
Maru; elles pendaient encore des crochets se
trouvant sur la passerelle. Le capitaine Grozier
lui ayant demandé de les faire attacher, il monta
à bord avec McCullough pour demander pour-
quoi elles ne l'étaient pas. Il témoigna avoir
parlé à l'officier en second et lui avoir dit que,
selon les instructions du capitaine de port,
toutes les amarres de travers devaient être
fixées. Il sembla à Cavanaugh que l'officier en
second, dont la langue maternelle est le japo-
nais, avait compris ses instructions. Pour s'assu-
rer cependant que c'était le cas, il répéta les
mêmes instructions au mandataire de l'affréteur
qui, accompagné du capitaine, était arrivé au
moment où il parlait avec l'officier en second.
Le mandataire s'adressa en japonais à l'officier
en second et dit à Cananaugh que «tout irait
bien»; ce dernier en conclut que le message
avait été compris. Le 13 décembre, il parla au
capitaine Grozier et l'informa que le Hiro Maru
n'utilisait toujours pas l'amarre de travers
d'arrière.
L'officier en second témoigna qu'il ne se sou-
venait aucunement avoir reçu de telles instruc
tions de Cavanaugh. Il admit que les amarres de
travers allant du navire à la rive n'étaient pas
attachées, car il pensait que l'amarre d'arrière
empêcherait les gabarres de passer. En outre,
lors des déplacements du navire le long du poste
pour changer de cale lors du chargement,
l'amarre de travers risquait d'endommager les
montants des lampes qui étaient plus élevées
que la passerelle, la main-courante et peut-être
certains des pilotis des ducs d'Albe. Il admit lors
du contre-interrogatoire que l'on pouvait relâ-
cher l'amarre de travers d'arrière et la laisser
couler au fond de la rivière afin de permettre
l'entrée et la sortie des gabarres et qu'elle pas-
sait largement au-dessus du support des lampes
ou des mains-courantes lorsqu'elle était tendue,
car le pont du navire se trouvait à quelque 30
pieds de la ligne de flottaison. Il admit aussi que
l'amarre allant du secteur tribord arrière au duc
d'Albe numéro 5, qu'il avait définie comme une
amarre de travers, était en fait une amarre de
poste d'arrière. Il admit qu'il aurait été prudent
d'attacher l'amarre de travers d'arrière au rivage
lorsque le navire s'était écarté du poste afin de
l'en rapprocher, mais qu'il ne le fit pas parce
qu'il ne l'avait pas utilisée lors des quatre amar-
rages précédents du navire à cet endroit. La
preuve soumise par les demanderesses en la
forme de rapport pour chacun des trois postes
du personnel à terre s'occupant du chargement
du navire du 11 décembre au 14 décembre
inclus, indique qu'entre 10h30 le 12 décembre
et environ 10h le 14 décembre, soit après l'acci-
dent, il n'y avait aucune gabarre dans le bassin
qui leur était réservé.
Le chef d'équipe qui était de service au
moment de l'incident, Steve Hryniuk, confirma
qu'aucune des amarres de travers reliant le
navire au rivage n'était attachée. Il témoigna en
outre que, juste avant la pause réservée au
repas, à 4h30, il remarqua que le Hiro Maru
s'était écarté d'environ 30 pieds de la jetée au
niveau du duc d'Albe numéro 6. Après avoir fait
déplacer les appareils de chargement pour éviter
que le navire en s'écartant de la jetée ne leur
cause quelque dommage, il fit appel au pilote
d'un remorqueur pour qu'il aide à ramener le
navire le long de la jetée. Il remarqua que le
bollard du duc d'Albe numéro 4 avait été
arraché.
Le capitaine John Y. Kennedy, expert mari
time et détenteur depuis 1950 d'un diplôme de
capitaine de navire long-courrier, cité comme
expert par les demanderesses, témoigna que le
14 décembre 1971, selon l'Annuaire canadien
des marées, la marée était haute à 6h de sorte
que l'accident eut lieu à marée montante. Il
déclara que lors du chargement de la cale
numéro 1 du Hiro Maru, l'arrière du navire
dépassait l'extrémité aval de la passerelle d'en-
viron 200 pieds. A son avis, dans ces circon-
stances, l'usage veut qu'un capitaine compétent
surveille attentivement l'amarre de travers d'ar-
rière et s'assure qu'elle est en place. En outre, il
est d'avis qu'utiliser l'amarre reliant le secteur
tribord arrière au duc d'Albe numéro 5 ne reve-
nait pas au même qu'utiliser une amarre de
travers dans le but de garder le navire contre la
jetée; ce n'était en fait qu'une autre amarre de
poste arrière. A son avis, la rupture d'amarre est
probablement imputable au fait qu'on a négligé
d'utiliser l'amarre de travers d'arrière qui, si elle
avait été en place, aurait empêché ladite rup
ture. Lorsqu'une aussi grande partie du navire
se trouve dans le courant, une amarre allant
directement de l'arrière au corps mort se trou-
vant sur le rivage, n'offre pas une résistance
suffisante; à son avis, il fallait donc utiliser
l'amarre de travers allant du treuil d'arrière le
long du côté tribord jusqu'à un point où on
l'aurait fait passer à travers un chaumard de
manière à fournir une traction presque perpen-
diculaire nécessaire à un bon amarrage.
Il a été démontré par une preuve abondante,
notamment les témoignages de l'officier en
second et celui de l'expert des défendeurs,
Thomas W. Morgan, qu'il était impossible de le
faire en raison des obstacles constitués par cer-
taines conduites verticales se trouvant près des
logements de l'équipage, du côté tribord, qui
auraient empêché de placer l'amarre comme le
suggérait le capitaine Kennedy. En outre, il
témoigna qu'il n'y avait pas assez de treuils à
l'arrière du navire pour placer trois amarres
d'arrière allant jusqu'à la bouée d'amarrage ainsi
qu'une amarre de travers d'arrière. Je conclus
pourtant qu'aucune de ces objections n'est vala-
ble et que les conduites verticales laissaient
suffisamment de place pour faire passer
l'amarre de l'un des treuils se trouvant à l'ar-
rière au chaumard, après l'avoir fait passer à
travers le chaumard tribord arrière. Il me
semble que l'officier en second a tout simple-
ment jugé l'amarre de travers d'arrière inutile et
gênante, car il aurait fallu la relâcher de temps
en temps pour laisser entrer ou sortir les gabar-
res du bassin qui leur était réservé. Morgan
admit qu'on aurait pu trouver un moyen permet-
tant d'utiliser un treuil pour l'amarre de travers
d'arrière en enlevant une des amarres de poste
et en utilisant un bollard fixe se trouvant sur le
navire, un membre de l'équipage aurait pu
embraquer l'amarre de poste manuellement.
J'accepte en outre le témoignage du capitaine
Grozier relatif à ses instructions concernant
l'utilisation des amarres de travers et admets
comme fait que Cavanaugh et McCullough les
ont transmises à l'officier en second et au capi-
taine du Hiro Maru qui, pour des raisons qu'eux
seuls connaissent, choisirent de les ignorer. Il
est probable que les inconvénients découlant de
l'utilisation d'une amarre de travers d'arrière ont
motivé cette décision; toutefois, aucune gabarre
n'étant entrée ou sortie du secteur de charge-
ment entre le 12 décembre et le moment de
l'accident, aucun inconvénient n'aurait découlé
du mouvement des gabarres, du moins pendant
cette période. J'accepte aussi le témoignage du
capitaine Kennedy et admets comme fait qu'il
incombait aux officiers du navire de suivre les
instructions du capitaine de port même s'ils les
désapprouvaient. En cas de désaccord, il aurait
fallu, comme l'a indiqué le capitaine Kennedy,
se conformer aux ordres sous réserve expresse,
ce qui aurait eu pour effet de rendre le capitaine
de port responsable de tout dommage subi en
raison de ces ordres.
Ayant admis cette preuve et en étant arrivé à
ces conclusions, je conclus en outre que, si les
amarres de travers avaient été fixées correcte-
ment comme il était possible de le faire dans les
limites formulées par le capitaine Grozier, en
utilisant une des méthodes suggérées par le
capitaine Kennedy, le navire Hiro Maru n'aurait
probablement pas rompu ses amarres. Les
représentants des propriétaires défendeurs
avaient prévu la nécessité d'utiliser de telles
amarres de travers puisqu'au moment de la
construction initiale, ils avaient recommandé
l'installation de points d'amarrage sur la rive
pour ces amarres de travers; la Commission
demanderesse avait suivi la recommandation. Je
conclus que les officiers ont commis une autre
négligence en déplaçant le navire à marée mon-
tante sans attacher les amarres de travers ou,
par ailleurs, sans avoir eu recours à des remor-
queurs, car, ce faisant, ils créaient une situation
dangereuse due à la pression exercée par le
courant rapide contre une grande partie de la
poupe du navire qui se trouvait dans la rivière
elle-même. Tous ces actes fautifs ou omissions
résultent du fait qu'on a négligé d'attacher les
amarres de travers reliant le navire au rivage et
cette négligence est, à mon avis, la cause fonda-
mentale des dommages.
Cette conclusion ne règle cependant pas l'af-
faire et je dois déterminer maintenant si l'on
peut imputer aux demanderesses, comme le sou-
tiennent les défendeurs, une rupture de contrat
ou une rupture de garantie en ce qui concerne la
sécurité de l'amarrage ou si, comme ils le sou-
tiennent aussi, les demanderesses ont commis
une négligence qui a contribué à l'accident et
donc aux dommages.
Les défendeurs allèguent que la Commission
demanderesse est tenue, aux termes des textes
législatifs, d'assurer la sécurité du mouillage à
Fraser Surrey Dock et qu'il y a donc eu viola
tion de ce devoir de sorte que la Commission est
responsable envers les défendeurs des domma-
ges subis par le navire ou, si je conclus comme
je l'ai fait, que les défendeurs ont eux-mêmes
commis une négligence, que la Commission
demanderesse ne s'est pas conformée à ce
devoir et est donc en partie responsable de
l'accident. Subsidiairement, ils allèguent que les
deux demanderesses avaient, envers les défen-
deurs, l'obligation contractuelle, en tant que gar-
diens de quai, de prendre les précautions néces-
saires pour s'assurer que le quai était en bon
état ou, à défaut, de les avertir qu'ils ne
l'avaient pas fait. Les défendeurs soutiennent en
outre que la Commission demanderesse a, dans
la construction et l'entretien du bassin, agi de
façon négligente et que cette négligence est la
seule cause immédiate du dommage causé au
bassin et au navire défendeur. Les allégations
de négligence telles que je les comprends sont
les suivantes:
a) les demanderesses savaient ou auraient dû
savoir que l'ancre d'amarrage était d'un poids
insuffisant pour résister à la tension exercée
par des navires du gabarit de ceux qui doivent
être amarrés au Fraser Surrey Dock. En
outre, la Commission savait ou aurait dû
savoir qu'une telle ancre, afin d'offrir la plus
grande résistance possible, doit être placée de
manière à ce que l'amarre allant de l'arrière
d'un navire amarré jusqu'à l'ancre d'amarrage
forme un angle aussi étroit que possible avec
le dessus de l'ancre enterrée. C'est pour cette
raison, ont-ils fait remarquer, qu'à la demande
des propriétaires défendeurs, le plan initial
avait été modifié avant la construction de
manière à déplacer l'ancre vers l'aval, à une
distance supérieure à celle prévue dans les
plans originaux. Malgré cette modification,
l'ancre avait été entraînée, le 8 octobre 1971,
par le Zencoran Maru, un des plus grands
navires qui aient utilisé ce bassin; en consé-
quence, on augmenta de 95 pieds la distance
de la bouée d'amarrage au duc d'Albe numéro
6 et l'ancre fut enfouie à une profondeur de
10 pieds au lieu de 5 pieds, sans qu'on n'en ait
augmenté le poids. Les défendeurs soutien-
nent que la Commission savait ou aurait dû
savoir que, malgré cette modification, l'ancre
ne fournissait toujours pas une résistance suf-
fisante aux navires ayant gabarit équivalent
ou supérieur à celui du Hiro Maru. Selon eux,
l'insuffisance de ces modifications ressort du
fait qu'on avait recouvert l'ancre de gravier
après cette seconde installation, probablement
pour lui donner une plus grande résistance et
qu'après l'accident du Hiro Maru, les dimen
sions et le poids de l'ancre avaient été
doublés;
b) la Commission n'a pas tenu compte de
certains indices, connus d'elle, montrant que
la rivière était soumise à un phénomène d'af-
fouillement qui avait pour effet d'éroder la
terre autour des pilotis, réduisant ainsi leur
résistance. A l'appui de cette allégation, ils
invoquent la preuve soumise par les témoins
des demanderesses ainsi que par leurs propres
témoins indiquant qu'après que le Hiro Maru
eut arraché les pilotis de la rivière en rompant
ses amarres, on a pu constater qu'une partie
importante du sol autour de certains pilotis, et
en particulier autour des étançons avait été
érodé, et ce sur une profondeur de 8 à 12
pieds;
c) puisque les étançons avaient été enfoncés
dans la rive, leur but était de résister à la
pression exercée par un navire mouillé le long
du quai. Selon Morgan, il n'y avait aucun
ancrage pour assujettir les ducs d'Albe au
rivage de sorte que lesdits ducs d'Albe étaient
inadéquats, car il n'existait aucune armature
pour neutraliser la force de traction ou de
tension des navires tendant à arracher les
ducs d'Albe du rivage;
d) les bollards fixés aux ducs d'Albe n'étaient
pas assez solides en raison d'un défaut de
construction, les tire-fond servant à fixer les
bollards sur les pilotis en bois n'étant pas
assez résistants aux fins de l'utilisation
prévue;
e) le duc d'Albe numéro 6 avait été renversé
par le Diashan Maru, le 5 septembre, mais
n'avait pas été réparé bien que le bassin n'ait
pas été utilisé plus de 11 jours pendant le
mois de novembre. Puisque toutes les amarres
allant du navire au quai ont un rôle bien
particulier et complémentaire, l'impossibilité
d'utiliser le duc d'Albe numéro 6 parce que la
Commission demanderesse avait négligé de le
faire réparer, a contribué à l'accident;
f) la conception et la construction du bassin
étaient défectueuses, car on l'avait construit
en tenant compte de la force de compression
exercée par des navires appuyés contre lui et
non de la tension résultant de certains effets
de la marée montante à certaines saisons oh.
parfois le courant de la rivière remonte en fait
et peut entraîner le navire et l'écarter du
bassin.
Le témoignage de Leslie A. Corbett, président
de la Fraser River Pile Driving Company, est
essentiel pour décider de la validité de ces allé-
gations de négligence. Ce témoin m'a fait fort
bonne impression en raison de ses connaissan-
ces techniques et de sa franchise, et j'ajoute foi
à son témoignage.
Il témoigna que chaque duc d'Albe et bollard
avait été prévu pour résister à une force de
traction de 50 tonnes et chaque duc d'Albe pour
résister à la pression exercée par un navire de
30,000 tonnes lourdes approchant à la vitesse
de 033 pieds par seconde. L'ancre pesant plus
de 17 tonnes et enfouie à une profondeur de 5
pieds dans le lit du fleuve avait été construite de
manière à résister à une force de traction de 100
tonnes, ce qui signifie qu'en y ajoutant un fac-
teur de sécurité de 50 tonnes, elle pouvait résis-
ter à une force de traction de 150 tonnes. Le
fait de l'avoir enfouie à une profondeur de 10
pieds n'a pas augmenté de manière appréciable
sa résistance, mais permettait de compenser
tout affouillement ou érosion possible du sol la
recouvrant. La capacité de résistance à la force
de traction totale était à son maximum lorsque
la traction s'exerçait dans l'axe formé par
l'amarre allant de la passerelle au dessus de la
bouée enfouie. Toute déviation importante de
cet axe réduisait la capacité maximum de résis-
tance de sorte que, lorsque l'arrière d'un navire
s'écartait du poste d'amarrage, comme le fit le
Hiro Maru, la force de résistance diminuait.
Corbett admit savoir qu'il y avait un certain
risque d'érosion partout dans le fleuve Fraser et
avoir en fait discuté ce problème avec le capi-
taine Grozier à diverses occasions avant l'inci-
dent du Hiro Maru, bien qu'apparemment, il n'y
ait eu aucune trace d'érosion avant cet incident.
Même à ce moment, affirma-t-il, il n'y avait
aucun indice d'érosion autour des pilotis verti-
caux des ducs d'Albe numéro 5 ou numéro 6
alors qu'il y en avait autour des étançons, sur
une profondeur allant de 8 à 12 pieds. Il y aurait
donc eu une certaine diminution de la capacité
de résistance de ces montants.
Morgan, l'expert des défendeurs, fit quelques
calculs qui confirmèrent qu'une ancre de 100
tonnes, même dans un courant d'une vitesse de
deux noeuds, offrait une résistance suffisante à
la force de traction d'un navire du gabarit du
Hiro Maru. Cependant, il estimait aussi qu'elle
n'offrait pas une résistance suffisante pour s'op-
poser à la force de traction d'un navire plus
important tel que le Zencoran Maru et il conclut
donc qu'un tel navire entraînerait très probable-
ment l'ancre. L'avocat des défendeurs a sou-
tenu, en se fondant sur ce point, que puisqu'en
fait le Zencoran Maru avait entraîné l'ancre le 8
octobre, à la suite de quoi on l'avait déplacée en
aval, il était probable que le navire l'ait entraî-
née à nouveau lors de son amarrage suivant à ce
poste le 15 novembre, bien qu'on ait enfoui
l'ancre plus profondément.
J'estime que cette dernière prétention se
réduit en fait à une simple spéculation et l'on ne
m'a présenté aucune preuve démontrant qu'il
s'agissait d'autre chose. Je dois donc conclure
que l'ancre d'amarrage était en place le 14
décembre et pouvait résister à la force de trac
tion exercée par le Hiro Maru dans les condi
tions pour lesquelles elle avait prévue bien que,
comme le montre la suite des événements, elle
ait été incapable de résister à une force venant
d'une direction pour laquelle elle n'avait pas été
prévue sans l'aide d'une amarre complémen-
taire, savoir l'amarre de travers d'arrière du
Hiro Maru. A mon avis, il ne s'agit pas d'une
négligence dans la conception ou la construction
de l'ancre d'amarrage. Je ne me prononcerai pas
sur l'admissibilité de la preuve montrant qu'on
avait doublé les dimensions de l'ancre après
l'incident en cause. Mais en supposant qu'elle
est admissible, le fait qu'on ait apporté ces
modifications et le but dans lequel on le fit ne
changent aucunement ce point de vue, mais
indiquent simplement qu'on savait que la
manoeuvre fautive d'un navire pouvait créer à
nouveau un danger et qu'on avait donc pris des
précautions afin d'empêcher que l'ancre ne soit
à nouveau entraînée dans un tel cas.
Corbett admit cependant avoir discuté avec le
capitaine Grozier de l'érosion qui éventuelle-
ment pouvait réduire l'efficacité des ducs
d'Albe avant l'incident du Hiro Mari, mais que
rien n'avait été fait pour déterminer si une telle
érosion se produisait en faisant faire des sonda-
ges ou une inspection des ducs d'Albe par un
homme-grenouille. Dans la mesure où. l'érosion
a contribué au fait que le Hiro Mari, a entraîné
le duc d'Albe numéro 5, le fait d'avoir négligé
de procéder à une telle inspection constitue à
mon avis une négligence. En outre, le fait que le
duc d'Albe numéro 6 n'avait pas été réparé et
était inutilisable depuis plus de trois mois, alors
que la Commission savait ou aurait dû savoir
qu'il était indispensable au bon amarrage des
navires au poste d'amarrage numéro 4, constitue
une négligence qui a contribué à l'accident puis-
qu'on avait eu amplement le temps de le faire
réparer, ce qui n'a pas été fait.
Je ne pense pas que la preuve soit de nature à
démontrer que le plan des ducs d'Albe, pris
individuellement, ou celui de l'ensemble du
poste d'amarrage était défectueux comme l'allè-
guent les défendeurs. Bien au contraire, je suis
d'avis que la preuve selon laquelle le poste
d'amarrage fut utilisé à plein temps sans inci
dent majeur autre que les dommages causés par
le Zencoran Maru et le Diashan Maru, de
février 1970, date où la construction fut termi-
née, au 14 décembre 1971, indique que ce poste
avait été correctement construit et ne s'est
effondré que parce qu'il a été utilisé de manière
négligente et a été soumis à des forces bien
supérieures à celles que tout ingénieur raisonna-
ble aurait pu prévoir.
Bien que la décision en l'espèce dépende
essentiellement de mes conclusions sur les faits,
les avocats des parties, ont cité un certain
nombre de précédents, dont la plupart n'étaient
pas nécessaires à ma décision. Les arrêts sui-
vants sont ceux que j'ai néanmoins examinés.
Les principes que l'on peut en tirer sont bien
connus; nous en avons tenu compte dans ces
motifs et dans la détermination des responsabili-
tés respectives des parties: S.S. «Peterborough»
c. La Cie Bell Téléphone [1952] 4 D.L.R. 699;
Le «Fit.» (1943) 76 Ll. L.R. 77; H.M.S. «Prin-
cess Astrid» (1944) 78 Ll. L.R. 99; et Williams
& Sons Ltd. c. Port of London Authority (1933)
47 LI. L.R. 81.
A mon avis, pour tous ces motifs, on arrive,
en l'espèce, au partage des responsabilités, mais
je dois décider d'abord si les demanderesses
peuvent dans ces circonstances recouvrer un
montant quelconque. En réponse à une question
adressée lors des débats à l'avocat des défen-
deurs, je fus informé qu'on pouvait certaine-
ment conclure en droit à la négligence contribu-
tive et donc probablement décider du partage de
la responsabilité pour les dommages subis. Si je
me souviens bien, l'avocat des demanderesses
ne contesta pas cette prétention, mais aucun des
avocats ne m'a présenté de plaidoirie à cet
égard. Il est évident que l'article 648 de la Loi
sur la marine marchande du Canada ne s'appli-
que pas en l'espèce, car il ne s'agit pas d'un
abordage entre deux ou plusieurs navires, mais
entre un navire et une construction ayant ses
fondations sur la rive. C'est pourquoi, les défen-
deurs ayant établi leur défense fondée sur la
négligence contributive, abstraction faite de tout
redressement statutaire dont on pourrait se pré-
valoir en vertu de la Contributory Negligence
Act de la Colombie-Britannique, S.R.C.-B.
1960, c. 74, l'action des demanderesses doit être
rejetée puisqu'elles n'ont pas prouvé que le
navire défendeur était la seule cause directe des
dommages en cause.
Il y a bien sûr deux demanderesses dans cette
action. La Commission de port du Fraser fut
établie par une proclamation datée du 20 avril
1965, en conformité de la Loi sur les Commis
sions de port, Statuts du Canada, 1964-1965, c.
32. D'après les plaidoiries, l'autre demande-
resse, la Johnston Terminals Limited, est une
personne morale constituée en vertu des lois de
la province de la Colombie-Britannique. La
question de savoir si les dispositions législatives
adoptées par les législatures provinciales s'ap-
pliquent dans de telles circonstances a été
exhaustivement examinée par le juge de district
d'amirauté Wells (tel était alors son titre) dans
l'affaire The Algoma Central and Hudson Bay
Railway Company et Parrish & Heimbecker
Limited c. Manitoba Pool Elevators Limited et
les Commissaires du port de Lakehead [1964]
R.C.É. 505.
Dans cette affaire, la compagnie de chemins
de fer demanderesse était propriétaire d'un
navire transportant du blé pour la co-demande-
resse, la Parrish & Heimbecker Limited et
avait intenté une action en dommages-intérêts
contre les défendeurs pour les dommages résul-
tant de l'échouage du navire au bassin de la
défenderesse, la Manitoba Pool Elevators Limi
ted dans la cité de Port Arthur. Les Commissai-
res du port de Lakehead, défendeurs, étaient
une personne morale constituée par une loi du
Parlement du Canada, chapitre 34, 7 Elizabeth
II. Dans leurs plaidoiries, les Commissaires du
port de Lakehead invoquèrent entre autres le
fait qu'ils constituaient un pouvoir public au
sens de la Public Authorities Protection Act telle
qu'adoptée par la Législature de l'Ontario,
S.R.O. 1960, c. 318, dont l'article 11 interdit
d'engager une action à moins qu'elle ne soit
introduite dans les six mois suivant l'acte de
négligence dont on se plaint. Les Commissaires
soutenaient qu'ils étaient des préposés de la
Couronne et qu'en vertu des prérogatives de la
Couronne, ils avaient le droit de bénéficier des
dispositions d'une loi provinciale.
Le juge de district d'amirauté Wells a soi-
gneusement examiné la loi constitutive et con-
clut que les Commissaires du port de Lakehead
agissaient en tant que préposés de la Couronne
du chef du Canada. Il conclut donc que les
défendeurs en l'espèce, en tant que préposés de
la Couronne, pouvaient se prévaloir des disposi
tions de la Public Authorities Protection Act; il
rejeta donc l'action à l'encontre des Conunissai-
res du port parce qu'elle n'avait pas été intentée
dans les délais prévus par la Loi.
L'examen de la Loi sur les Commissions de
ports, qui créa la Commission de port du Fraser,
révèle que le gouverneur en conseil peut, au
moyen d'une proclamation, établir une commis
sion relative à tout port au Canada dont le nom
n'apparaît pas dans la Loi sur le Conseil des
ports nationaux ou à tout port pour lequel le
Parlement n'a pas, par ailleurs, établi une com
mission. Chaque commission ainsi établie est
réputée être un corps constitué. La proclama
tion établissant une commission doit en énoncer
la raison sociale, délimiter le port pour lequel la
commission est établie et fixer le nombre des
membres. La majorité des membres sont
nommés par le gouverneur en conseil et tous les
membres occupent leur poste à titre amovible
pendant -une période d'au plus trois ans. Leur
rémunération est déterminée par le gouverneur
en conseil et versée sur les revenus de la Com
mission. La loi autorise chaque commission à
réglementer et à contrôler l'utilisation et l'amé-
nagement de tout terrain, bâtiment et autres
biens dans les limites du port, et de tous les
docks, quais et autres dispositifs construits ou
utilisés à cet égard. Une commission peut, avec
l'approbation du ministre des Transports, ache-
ter des terrains et acheter ou construire, entrete-
nir et exploiter des docks, quais et autres struc
tures et ne peut louer des terrains qu'elle
administre pour le compte de Sa Majesté du
chef du Canada sans l'approbation du ministre
des Transports ou celle du gouverneur en con-
seil selon la longueur du bail. Elle est autorisée,
avec l'approbation du gouverneur en conseil, à
établir des statuts administratifs concernant sa
régie intérieure et les attributions de ses fonc-
tionnaires et employés. Elle peut emprunter des
fonds en vue de défrayer la construction et
l'amélioration des quais, structures et autres
ouvrages dans les limites du port selon les
modalités qu'il est loisible au gouverneur en
conseil d'approuver. La Commission doit verser
au receveur général du Canada les revenus qui
lui restent en main, après paiement de toutes les
dépenses, à l'expiration de chaque année finan-
cière. La Commission peut aussi exproprier des
terrains avec l'approbation du gouverneur en
conseil.
Ce passage, extrait du jugement rendu par le
juge Wells, aux pages 510 et 511 de l'arrêt The
Algoma Central and Hudson Bay Railway Com
pany and Parrish & Heimbecker Limited (pré-
cité), semble approprié pour caractériser la
législation en vertu de laquelle la Commission
demanderesse fonctionne:
[TRADUCTION] II semble que ce contrôle général soit le fil
directeur de la législation. A mon avis, la loi examinée par le
juge en chef Duff dans l'affaire La Cité de Halifax c. Les
Commissaires du Port de Halifax ([1935] R.C.S. 215) et la
loi constitutive des Commissaires du port de Lakehead
présentent des similarités frappantes. Après avoir analysé la
loi relative aux Commissaires du Port de Halifax, le savant
juge a résumé de la manière suivante les pouvoirs et devoirs
des Commissaires du Port de Halifax à la p. 226:
Leur activité consiste à gérer et administrer le port public
de Halifax et tous les biens de ce port qui appartiennent à
la Couronne; leurs pouvoirs leur ont été conférés par une
loi du Parlement du Canada; mais ils sont soumis à tout
moment, dans l'exercice de ces pouvoirs, au contrôle du
gouverneur représentant Sa Majesté et agissant sur avis
du Conseil privé de Sa Majesté au Canada.
et après un examen plus détaillé des pouvoirs desdits Com-
missaires, à la page 227, il fait le résumé suivant:
Je ne peux mettre en doute le fait que les services prévus
par cette législation sont non seulement des services
publics au sens large, mais aussi des services gouverne-
mentaux, au sens strict, ni le fait que l'occupation de la
propriété du gouvernement, objet de l'affaire présente,
est, vu la signification donnée à ces mots par Lord Cairns
dans le passage cité (et vu leur interprétation par Lord
Blackburn et Lord Watson) une occupation par des per-
sonnes «utilisant» ces biens «pour le compte et au service
de la Couronne».
Il n'est pas inutile de souligner que, depuis la Confédéra-
tion, excepté dans certains cas spéciaux oh l'on a trouvé
plus commode de pourvoir à l'administration des ports en
nommant des commissaires de port, le contrôle, la gestion
et la réglementation des affaires confiées aux intimés ont
été considérés dans ce pays comme relevant des services
de la Couronne.
En toute déférence, ces mots semblent tout aussi bien
s'appliquer aux commissaires défendeurs dans l'affaire pré-
sente. A mon avis, il est manifeste, à la lecture attentive de
la législation, que les défendeurs agissent en tant que prépo-
sés de la Couronne du chef du Canada.
Un examen minutieux de la Loi sur les Com
missions de ports en vertu de laquelle fut prise
la proclamation susmentionnée, révèle que cette
loi reprend pour ainsi dire les mêmes termes que
ceux de la législation considérée par le juge de
district d'amirauté Wells. Il conclut, comme
nous l'avons signalé plus haut, que les Commis-
saires agissaient en tant que préposés de la
Couronne du chef du Canada et il me semble
qu'il ressort de la simple lecture de la loi créant
la Commission de port du Fraser que celle-ci
agit également en tant que préposée de la Cou-
ronne du chef du Canada puisque le contrôle
général exercé par le gouverneur en conseil ou
le ministre des Transports [TRADUCTION]
«semble être le fil directeur de l'ensemble de la
loi». Elle a fort peu d'autonomie.
Il nous faut donc décider si la négligence des
employés de la Commission de port du Fraser a
un effet quelconque sur sa réclamation. Cette
question a été examinée à diverses reprises par
la Cour suprême du Canada dans des arrêts dont
je ferai mention par la suite.
Dans l'affaire Gartland Steamship Co. c. La
Reine [1960] R.C.S. 315, un navire était entré en
collision avec un pont appartenant à la Cou-
ronne. Le juge Judson se référa à la page 327 à
l'arrêt Toronto Transportation Commission c.
Le Roi [1949] R.C.S. 510, oh. le juge Kerwin
déclarait à la page 515:
[TRADUCTION] La Couronne est demanderesse dans une
action fondée sur la négligence d'un préposé du défendeur.
Le défendeur n'exerce pas un recours contre la Couronne,
mais, en s'opposant à l'action de cette dernière, invoque la
négligence des préposés de la Couronne qui ont également
causé le dommage. Il ne fait aucun doute qu'à l'âge d'or de
la doctrine de la négligence contributive, si un particulier
intentait une action en dommages-intérêts contre un autre
particulier dans de telles circonstances, le demandeur ne
pouvait pas recouvrer de dommages-intérêts parce qu'il ne
réussissait pas à prouver que le défendeur avait causé le
dommage. La Couronne ne pouvait exercer un recours
devant les tribunaux que sur la base du droit applicable aux
particuliers à moins que le droit général relatif à la matière
ne soumette la Couronne à un régime différent ... En
l'espèce, si seule la common law était applicable, la Cou-
ronne n'aurait aucun recours puisqu'elle n'a pu prouver que
le dommage est imputable à la négligence des préposés de la
Commission. Il a été décidé en amirauté que les «Commis-
sioners for Executing the Office of the Lord High Admiral
of the United Kingdom», en tant que demandeurs, avaient
droit à la moitié seulement du montant des dommages subis
quand on arrivait à la conclusion que leurs préposés avaient
commis une faute concurremment avec le défendeur. Voir
les arrêts Le Chinkiang ([1908] A.C. 251) Le Hero ([1912]
A.C. 300).
La Couronne peut invoquer la Negligence Act de l'Ontario
et a donc droit à la moitié des dommages-intérêts.
Dans l'arrêt Gartland (précité) le juge Judson
déclarait aux pages 326 et 327:
[TRADUCTION] Abstraction faite du texte législatif, cette
action serait rejetée. La négligence contributive ayant été
plaidée et établie en l'espèce, la demanderesse n'est pas
recevable puisqu'elle ne peut prouver que la défenderesse a
causé le dommage: T.T.C. c. Le Roi ([1949] R.C.S. 510, à la
p. 515, 3 D.L.R. 161, 63 C.R.C.T. 289). La Loi sur la
marine marchande du Canada, incorporant la Maritime Con
ventions Act 1911, ne s'applique pas à une collision entre un
navire et une structure terrestre. 11 faut donc choisir entre
aucun redressement ou un redressement en vertu de la
Negligence Act de l'Ontario. Il s'agit d'une action en domma-
ges-intérêts, en common law, au sens de l'article 29d) de la
Loi sur la Cour de !Échiquier, S.R.C. 1952, c. 98, et la
Couronne est, à mon avis, en tant que demanderesse, autori-
sée à bénéficier de la loi ontarienne: T.T.C. c. Le Roi
(précité). Elle doit donc recouvrer un tiers de ses pertes.
L'arrêt Gartland fut suivi par la Cour
suprême du Canada dans une affaire québécoise
La Reine c. Nord-Deutsche [1971] R.C.S. 849, à
la page 878, ainsi que par le juge de district
d'amirauté Wells dans l'arrêt The Algoma Cen
tral and Hudson Bay Railway Company
(précité).
Il semble donc manifeste que la Commission
demanderesse a droit, en vertu de l'article 2 de
la Contributory Negligence Act de la Colombie-
Britannique, de recouvrer des dommages-inté-
rêts sur la base de la répartition que je vais
exposer plus loin. A mon avis cependant, la
demande de dommages-intérêts présentée par la
demanderesse, la Johnston Terminals Limited,
doit être rejetée en raison de la négligence des
préposés de la Commission demanderesse, attri-
buée à la Johnston Terminals Limited. Cette
dernière ne peut en effet bénéficier de la loi
provinciale comme peut le faire la Commission
demanderesse, conformément à ma conclusion.
Les motifs d'une telle décision sont entièrement
énoncés par le juge de district d'amirauté Wells
aux pages 518 et 519 de l'arrêt The Algoma
Central and Hudson Bay Railway Company, où
il déclare:
[TRADUCTION] Si les dispositions de la Ontario Negligence
Act étaient applicables, elles me permettraient de répartir les
dommages-intérêts en fonction de la responsabilité de la
Manitoba Pool d'une part et des officiers du navire d'autre
part. En vertu de la jurisprudence cependant, il me semble
tout à fait évident que je ne peux répartir la négligence entre
le navire, les propriétaires de l'Algoway et la compagnie de
l'élévateur. La Ontario Negligence Act ne s'applique pas à
une telle situation. Cette question fut discutée par la Cour
suprême dans l'arrêt Sparrows Point c. Greater Vancouver
Water District et autres ([1951] R.C.S. 396). A la page 411
le juge Rand affirmait à propos d'un autre aspect de la
Contributory Negligence Act de la Colombie-Britannique:
Il semble que l'avocat ait présumé que la Contributory
Negligence Act provinciale s'appliquait en ce qui concerne
les intimés, mais je ne peux me ranger à cette opinion. Il
s'agit ici d'une situation particulière. Aux termes de la Loi
sur le Conseil des ports nationaux, la Commission est
déclarée être préposée de la Couronne aux fins de la
gestion du port. La Loi impose une obligation à la Com
mission, mais, comme en l'espèce elle relève de la Cour ,
d'amirauté, c'est le droit maritime qui devient applicable.
Au vu du jugement de la Chambre des lords dans l'affaire
Le Devonshire [1912] A.C. 634, le droit maritime a repris
à son compte, à cet égard, la common law. Il s'ensuit qu'il
ne peut y avoir de répartition de la responsabilité entre les
défendeurs.
Il me semble également évident qu'abstraction faite du texte
législatif, il n'existe aucun redressement en cas de négli-
gence contributive.
De la même manière, dans la décision que j'ai déjà mention-
née, l'arrêt Gartland Steamship Company c. La Reine, à la
p. 326, dans un paragraphe déjà cité, le juge Judson rendant
jugement en son nom et aux noms des juges Taschereau et
Cartwright et de lui-même, faisait remarquer au sujet de
cette affaire, après avoir conclu que la négligence contribu-
tive avait été établie, que dans un tel cas, «abstraction faite
du texte législatif, cette action serait rejetée.» La négligence
contributive ayant été plaidée et établie, comme dans l'af-
faire présente, la demanderesse n'est pas recevable puis-
qu'elle ne peut prouver que la défenderesse a causé le
dommage: T.T.C. c. Le Roi ([19491 R.C.S. 510, la page
515) et, comme le fait remarquer par la suite le juge Judson,
la Loi sur la marine marchande du Canada incorporant The
Maritime Conventions Act de 1911, ne s'applique pas à une
collision entre un navire et une structure terrestre, en l'es-
pèce un petit rocher au fond du port. Dans l'affaire Gart-
land, les parties étaient d'une part la Reine et de l'autre la
compagnie de navigation, et, on décida à juste titre que la
Couronne, en tant que demanderesse, avait le droit d'invo-
quer les dispositions de la Negligence Act de l'Ontario. Dans
les circonstances de l'espèce, cependant, et dans une action
où aucune des trois parties ne représente la Couronne, on ne
peut, à mon avis, avoir recours aux dispositions de cette loi,
même si un tel recours était utile et justifié. Jusqu'à mainte-
nant, le Parlement n'a pas jugé utile d'élargir la portée des
dispositions de la Loi sur la marine marchande du Canada
relatives aux abordages entre navires pour englober d'autres
incidents de navigation maritime. Il me semble donc qu'en
raison de la négligence contributive de la demanderesse en
l'espèce, qui, à mon avis, lie aussi la demanderesse, Parrish
& Heimbecker Limited du moins en ce qui concerne les
défendeurs, lesdites demanderesses n'ont droit à aucun
redressement à l'encontre de la compagnie d'élévateurs,
défenderesse. [Le souligné est de moi.]
A mon avis, les dommages subis résultent
essentiellement de manoeuvres négligentes des
officiers du Hiro Maru et je fixe donc la respon-
sabilité des défendeurs pour les dommages subis
par la demanderesse à 80%. La Commission
demanderesse a fait preuve de négligence en ce
qui concerne l'entretien du bassin, comme je l'ai
déjà indiqué, et je fixe sa responsabilité à 20%
des dommages subis par les défendeurs. Mal-
heureusement, pour les motifs énoncés dans
l'arrêt The Algoma Central and Hudson Bay
Railway Company, la Johnston Terminals Limi
ted, demanderesse, ne peut bénéficier des dispo
sitions de la Contributory Negligence Act de la
Colombie-Britannique et son action est donc
rejetée avec dépens. La détermination du mon-
tant des dommages-intérêts, compte tenu du
partage des responsabilités, fera l'objet d'un
renvoi en vertu de la Règle 500 des Règles de la
Cour. La Commission demanderesse et les
défendeurs auront droit à leurs dépens taxés de
cette jonction d'actions ainsi que de la détermi-
nation du montant des dommages-intérêts, dans
la proportion de leur responsabilité respective.
L'avocat des demanderesses rédigera le juge-
ment et présentera une requête pour que ce
jugement soit dûment prononcé.
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