Nissan Automobile Co. (Canada) Ltd. (Demande-
resse)
c.
Les propriétaires du navire Continental Shipper,
United Steamship Corporation, Federal Com
merce and Navigation Company Limited et Fed
eral Pacific Lakes Line (Défendeurs)
Division de première instance (T-342-72), le
juge Urie—Montréal, les 4 et 19 décembre
1973; Ottawa, le 3 janvier 1974.
Droit maritime—Cargaison d'automobiles non embal-
lées—Dommages mineurs et éraflures—Responsabilité du
transporteur—Loi sur le transport des marchandises par
eau, Article III, r. 2, Article IV, r. 2m) et n).
A défaut d'une réserve incluse dans le connaissement,
comme c'est le cas en l'espèce, le transporteur est responsa-
ble des dommages, même mineurs, subis par des automobi
les non emballées, pendant toute la période couverte par le
connaissement. En l'espèce, les dommages résultent non pas
de l'absence d'emballage ou d'un mauvais arrimage des
véhiculçs dans les cales du navire, mais du défaut de dili
gence dans la manutention et l'arrimage desdites voitures
placées trop près les unes des autres.
Distinction faite avec i arrêt le Southern Cross [1940]
A.M.C. 59; Arrêt suivi: Chrysler Motors Corporation c.
Atlantic Shipping Co. SA (non publié).
ACTION.
AVOCATS:
V. Prager pour la demanderesse.
E. Baudry pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott & Cie, Montréal, pour la
demanderesse.
Brisset, Reycraft & Cie, Montréal, pour les
défendeurs.
LE JUGE URIE—Par la présente, la demande-
resse a intenté une action en dommages-intérêts
pour les dommages subis par une cargaison
d'automobiles Datsun transportées à bord du
navire Continental Shipper de Yokohama
(Japon) à Montréal (Canada), en février et mars
1970. Les défendeurs étaient, à toutes les épo-
ques en cause, les propriétaires, exploitants,
affréteurs et gérants du navire. La demande-
resse prétend que sur les 321 automobiles
Datsun qui lui ont été expédiées, 174 étaient
endommagées lors de la livraison; le coût total
des réparations s'élevait à $6,345.20, dont $400
pour les frais d'expertise.
Le navire Continental Shipper est un cargo
qui avait été aménagé pour le voyage en cause
afin de permettre le transport d'automobiles
Datsun neuves, sans que ces dernières soient
placées dans des cadres. Les voitures en cause
furent transportées dans trois cales où l'on avait
construit six ponts provisoires. On avait cons-
truit lesdits ponts en utilisant des échafaudages
dressés sur les côtés du navire et au centre de
chaque cale; ils consistaient en une série de
montants séparés par des barres parallèles sur
lesquelles on avait disposé des planches de bois
où l'on arrima les automobiles.
Aucun des témoins de la demanderesse n'a
été admis à bord du navire avant le décharge-
ment de la cargaison et la preuve relative à
l'arrimage ne provient donc que de la déposition
du capitaine George Glover, expert maritime
chevronné de Montréal, que les défendeurs
avaient chargé d'examiner la cargaison dans le
navire, avant le déchargement, et d'effectuer
par la suite un examen plus minutieux sur le
quai. Les défendeurs n'ont demandé à aucun
des officiers du navire ou membres de l'équi-
page de témoigner sur l'arrimage ou la nature du
voyage de Yokohama à Montréal de sorte que la
preuve relative à la nature de l'arrimage et à
l'état de la cargaison dans les cales se limite à la
déposition du capitaine Glover. Il témoigna que
le fabricant avait muni chacune des voitures de
deux petits crochets de chaque côté, à l'avant et
à l'arrière. Les voitures furent placées sur les
ponts provisoires susmentionnés, en laissant
neuf à douze pouces entre elles sur les côtés et
pare-chocs contre pare-chocs à l'avant et à l'ar-
rière. Elles furent arrimées à l'aide de fils métal-
liques reliant chacun desdits crochets à un câble
en acier allant d'un côté à l'autre du navire, au
niveau de chacun des ponts, et attaché solide-
ment sur les côtés du navire. Les quatre fils
métalliques de chacune des voitures étaient
enroulés autour des câbles qui se trouvaient à
l'avant et à l'arrière de chaque rang de véhicu-
les. On tendit tous ces fils de fer attachés au
câble grâce à ce que - l'on appelle un trésillon,
consistant simplement en un morceau de bois
passé dans la boucle formée par le fil métallique
permettant de la resserrer en le faisant tourner.
Les voitures étaient parallèles les unes aux
autres et placées longitudinalement. Une ou
deux voitures sur chacun des ponts avaient été
placées en travers et ces voitures étaient immo
bilisées par des cales en bois. Aucune autre
voiture n'avait de cale sous les roues; mais le
capitaine Glover a témoigné que toutes les voi-
tures étaient embrayées et les freins à main
serrés. Je conclus, au vu de son témoignage, que
les véhicules étaient arrimés de manière raison-
nable pour le voyage.
Il témoigna en outre que la distance séparant
chacun des ponts était supérieure à sa propre
taille, savoir cinq pieds onze pouces, et il estime
donc que la hauteur de chaque pont était de plus
de 6 pieds. Cependant un témoin-expert appelé
par la demanderesse réfuta ce témoignage en se
référant au plan du bateau d'où il déduisit que la
hauteur séparant les ponts ne pouvait être supé-
rieure à 5i pieds. Je ne pense pas qu'en l'es-
pèce, quelque chose dépende de cet élément de
preuve, mais j'admets la déposition du témoin
oculaire, le capitaine Glover, comme exacte à
cet égard.
Pour enlever les voitures qui se trouvaient sur
les ponts, il fallait d'abord soulever l'une d'elles,
désignée par le capitaine Glover comme la voi-
ture «clef», dans un filet; pour les autres voitu-
res, on a utilisé un appareil de levage breveté
qui consistait en une plate-forme aux coins de
laquelle on attachait les fils métalliques, avec
des tendeurs, de sorte que les fils métalliques ne
touchaient pas . 1a voiture lorsqu'elle se trouvait
sur la plate-forme et était soulevée par ledit
appareil hors de la cale. On conduisait ou l'on
poussait les voitures sur cet appareil de levage.
D'après le témoignage du capitaine, les automo
biles étant arrimées très près les unes des
autres, il était inévitable que les vêtements
portés par les déchargeurs et les membres de
l'équipage fassent quelques éraflures, en parti-
culier les boutons en métal utilisés sur ce genre
de vêtements; mais normalement, il s'agissait
d'éraflures assez mineures, ce qu'on admet dans
de telles circonstances. Les témoignages sont
contradictoires sur la question de savoir si les
véhicules étaient recouverts d'une cire protec-
trice et j'admets à cet égard le témoignage du
capitaine Glover affirmant qu'ils ne l'étaient
pas.
Le capitaine Glover témoigna qu'il avait ins
pecté le chargement avant que les véhicules ne
soient sortis des cales, que cette inspection dura
environ une heure et qu'à ce moment, il ne
remarqua aucun dommage important. D'après
son témoignage, que j'accepte, les rangées des
voitures sur chaque pont étaient droites et les
espaces les séparant, uniformes, aucune des voi-
tures n'en touchant une autre d'une manière à
l'endommager. Rien n'indique que certains véhi-
cules aient bougé au cours du voyage. Cepen-
dant, avec un assistant, il procéda à l'examen de
chaque voiture sur le quai, après qu'elles aient
été sorties de la cale, et fit un rapport sur les
dommages remarqués au cours de cette inspec
tion. Il déclara que l'état des voitures n'étaient
ni pire ni meilleur que celui des chargements
d'autres navires sur lesquels il avait navigué, et
qu'au cours de ses nombreuses années d'expé-
rience, -il n'avait jamais vu de voiture sortir d'un
navire sans dommages. Il découvrit que certai-
nes voitures avaient subi des dommages dont la
gravité allait de l'éraflure légère à l'éraflure pro-
fonde, ét de la bosselure mineure à la bosselure
plus grande. Il décrivit les éraflures légères
comme des éraflures superficielles sur la sur
face peinte et très lisse d'une voiture, pouvant
être effacées par simple polissage, et les éraflu-
res profondes comme celles atteignant la pein-
ture de base ou l'acier lui-même. Selon sa défi-
nition, les petites bosselures avaient la
dimension d'une pièce de 50 cents et les grandes
bosselures, toute dimension supérieure. D'après
son témoignage, les éraflures légères et les peti
tes bosselures sont un risque inhérent à cette
façon de transporter des automobiles, particuliè-
rement par le gros temps auquel il faut s'atten-
dre au cours d'un voyage à cette époque de
l'année, car les membres de l'équipage portent
alors des vêtements épais dont les boutons ris-
quent de causer ce genre de dommages lors des
inspections périodiques de la cargaison.
Les avocats des parties ont convenu que les
voitures, lors de leur chargement, étaient en bon
état apparent et que tous les dommages en
cause dans cette action sont postérieurs au
chargement.
Les dommages en cause en l'espèce sont ceux
subis au cours du voyage ou lors du décharge-
ment et n'incluent aucunement les dommages
résultant du transport terrestre.
L'expert appelé comme témoin par la deman-
deresse n'a pas procédé lui-même à l'expertise
sur le quai, mais a utilisé les rapports des
employés pour dresser son rapport d'expertise
final. Il n'y eut aucune réclamation pour les
éraflures superficielles qui pouvaient être effa
cées par «polissage» ou autrement. Les récla-
mations visaient les éraflures suffisamment pro-
fondes pour qu'il faille repeindre la surface
endommagée. Très peu de bosselures pouvaient
être réparées sans qu'il faille repeindre. Si
c'était le cas, aucune réclamation n'était inscrite
dans le rapport. Les frais de réparation sont
ceux sur lesquels se sont entendus la demande-
resse et le garage qui procéda aux réparations;
ils sont de trois sortes:
a) Le coût des pièces fut établi par la deman-
deresse, soit leur coût réel plus 10%.
b) Les frais de main-d'oeuvre ont été facturés
par demi-heure, au taux de $6.50 l'heure; on a
affirmé que ce taux était moins élevé que le
taux usuel, en raison du nombre important de
voitures à réparer.
c) Le prix de la peinture fut établi selon un
barème de taux uniformes convenus entre la
demanderesse et le garage effectuant les
réparations.
Les deux avocats ont admis que c'est l'usage
aujourd'hui d'expédier les automobiles par mer
sans les placer dans des cadres. En outre, il est
évident, comme l'admet l'avocat des défen-
deurs, qu'il y a un risque inhérent à ce type de
transport; ce dernier n'a donc pas contesté la
réclamation de la demanderesse concernant la
réparation des éraflures profondes et des bosse-
lures les plus grandes, selon la définition du
capitaine Glover, généralement confirmée par
les témoins de la demanderesse. Il a cependant
contesté la réclamation de la demanderesse con-
cernant les éraflures ou les bosselures mineures,
telles que définies par le capitaine Glover. En ce
qui concerne les bosselures mineures et les éra-
flures superficielles, il s'appuie sur l'Article IV,
r. 2m) et n) de la Loi sur le transport des
marchandises par eau, S.R.C. 1970, c. C-15,
comme s'opposant à de telles réclamations; en
voici le texte:
Article IV
2. Ni le transporteur ni le navire ne seront responsables
pour perte ou dommage résultant ou provenant:
m) de la freinte en volume ou en poids ou de toute autre
perte ou dommage résultant de vice caché, nature spéciale
ou vice propre de la marchandise;
n) d'une insuffisance d'emballage;
En outre, il affirme que la demanderesse n'a pas
établi correctement le montant de sa réclama-
tion qui devrait être renvoyée à un expert
nommé par la Cour pour que les dommages
soient évalués.
Les connaissements délivrés par les défen-
deurs au moment du chargement étaient des
connaissements nets sur lesquels ne figurait
aucune réserve. Comme je l'ai mentionné plus
haut, l'expert de la demanderesse a constaté des
dommages sur 174 automobiles et la demande-
resse a fait valoir en preuve, par l'intermédiaire
du propriétaire du garage, que tous les domma-
ges mentionnés dans le rapport d'expertise ont
été réparés dans son garage, par ses employés,
aux prix indiqués sur les factures et que toutes
les factures ont été réglées. J'admets comme fait
que la Zambre Garage Limited a effectivement
fait les réparations aux prix indiqués dans ses
factures et que ces prix étaient raisonnables
pour le travail effectué. Le coût moyen des
réparations se chiffrait à un peu moins de
$40.00 par voiture.
Je dois cependant examiner la prétention des
défendeurs selon laquelle ils ne devraient pas
être tenus responsables de toutes les répara-
tions. Comme je l'ai fait remarquer plus haut,
les automobiles n'étaient pas placées dans des
cadres pour leur transport, mais toutes les par
ties en cause ont admis qu'il était d'usage en
1970 d'expédier des automobiles sans cadre; il
semble qu'elles conviennent en outre que les
voitures subissent inévitablement des domma-
ges mineurs dans de telles circonstances. Dans
l'affaire présente, le litige porte sur la question
de savoir qui doit payer les frais de réparation.
Les parties ont admis que les dispositions de
la Loi sur le transport des marchandises par eau
devaient s'appliquer en l'espèce et qu'en consé-
quence aux termes de l'Article III, r. 2 de l'An-
nexe à cette loi, il incombait aux défendeurs de
procéder de façon appropriée et soigneuse au
chargement, à la manutention, à l'arrimage, au
transport, aux soins et au déchargement des
marchandises. L'Article III, r. 2, se lit comme
suit:
Article III
2. Le transporteur, sous réserve des dispositions de l'arti-
cle IV, procédera de façon appropriée et soigneuse au
chargement, à la manutention, à l'arrimage, au transport, à la
garde, aux soins et au déchargement des marchandises
transportées.
La demanderesse a fait la preuve qu'un nombre
important de voitures déchargées sur les quais à
Montréal étaient endommagées, alors qu'elles
avaient été livrées au navire à Yokohama pour
être expédiées à Montréal, en bon état apparent;
il incombe donc aux défendeurs de prouver
qu'ils ne peuvent être tenus responsables de la
cause des dommages en vertu de cette loi et
qu'ils ont apporté tous les soins nécessaires à la
garde des véhicules afin de prévenir les
dommages.
II va de soi que les défendeurs sont responsa-
bles des dommages subis par les automobiles et
imputables à leur négligence. Selon leur avocat,
cependant, c'est la première fois qu'on demande
à un tribunal canadien ou anglais de se pronon-
cer sur la question de savoir si les défendeurs
sont responsables des dommages mineurs surve-
nus malgré les soins raisonnables apportés à la
manutention des véhicules au cours des opéra-
tions de chargement, d'arrimage et de décharge-
ment. Les défendeurs ont apporté la preuve que
les automobiles transportées sans cadre subis-
sent toujours des dommages mineurs, éraflures
et bosselures, sans qu'il y ait eu négligence; ils
ne devraient donc pas être tenus responsables
desdits dommages, qui constituent un risque
inhérent à cette façon de transporter les
automobiles.
On m'a renvoyé à l'arrêt Southern Cross
[1940] A.M.C. 59, qui, a-t-on déclaré, fait auto-
rité en l'espèce. Dans cette affaire, cependant,
la réserve suivante avait été apposée au
connaissement:
[TRADucTION] Non emballées, au risque du propriétaire. Le
navire décline toute responsabilité pour les pièces détacha-
bles à moins qu'elles soient emballées et fassent l'objet d'un
reçu.
(Le souligné est de moi.)
En outre la preuve indiquait qu'un espace de
18 pouces séparait les voitures arrimées et que
la distance entre les ponts était de 8$ pieds. Des
cales avaient été placées sous les roues. Les
arrimeurs et les membres de l'équipage
employés par le transporteur devaient porter
des gants lorsqu'ils manutentionnaient les auto
mobiles et on leur avait demandé de ne pas se
tenir trop près des voitures de manière à éviter
d'endommager cette surface très lisse. A partir
de ces conclusions, la Cour décida alors (page
66 du recueil):
[TRADUCTION] Cependant, des éraflures superficielles de la
peinture ou du poli de l'automobile, ou de petites bosselures
ou marques sur les panneaux n'entrent pas dans la catégorie
des dommages qui créent une présomption de négligence du
transporteur. On doit les considérer comme «l'usure nor-
male ... des marchandises au cours du transport.»
Aux pages 65 et 66, le juge suppléant Leibell
affirme:
[TRADUCTION] La mention «Non emballées au risque du
propriétaire» apposée au connaissement ne signifie pas en
soi que le propriétaire assume le risque de tout dommage
subi par les automobiles, mais seulement des dommages
pouvant être attribués au fait que l'automobile n'était pas
placée dans un cadre. On doit interpréter strictement l'ex-
pression «au risque du propriétaire». Colton c. N.Y. et Cuba
Mail S. S. Co, 1928 A.M.C. 1391, 27 F. (2d) 671. Ladite
expression ne dégage pas non plus le transporteur de la
responsabilité pour tout dommage subi par l'automobile
imputable à la négligence dans la manutention ou l'arrimage
de cette dernière, même dans le cas où ladite négligence
n'aurait pas causé de dommages si l'automobile avait été
emballée. Toute autre interprétation de cette exonération
serait contraire aux dispositions du Harter Act et du Car
nage of Goods by Sea Act aux termes desquels il est interdit
au transporteur d'insérer, dans le connaissement, des clau
ses d'exonération de responsabilité pour des dommages
imputables à sa propre négligence dans le chargement, l'arri-
mage, la surveillance, la garde ou la livraison des marchandi-
ses (46 Mason's U.S.C., art. 190 et art. 1303(8)).
Il semble cependant qu'il n'y ait aucune raison pour qu'un
transporteur ne puisse pas essayer à bon droit de se dégager
de toute responsabilité pour les dommages éventuellement
subis par une automobile non emballée, s'il a exercé une
diligence raisonnable lors de la manutention de l'automobile,
de son chargement à bord du navire, de son arrimage dans la
cale ou de son déchargement sur les quais. Même en faisant
preuve d'une diligence raisonnable, on peut érafler superfi-
ciellement la surface peinte et extrêmement lisse d'une
automobile, on peut légèrement cabosser un panneau au
cours des opérations de chargement ou de déchargement
dans les élingues ou lors de son arrimage entre deux ponts.
La mise en caisse de l'automobile permettrait d'éviter d'en
marquer la surface et le transporteur, pour se protéger du
risque de dommages ne résultant pas de sa négligence, peut
à bon droit inclure une réserve dans le connaissement pla-
çant ledit risque à la charge de l'expéditeur. Mais tout
dommage dont l'apparence et la nature même indiquent qu'il
est imputable à une autre cause, doit, à mon avis, être
attribué à la négligence du transporteur. Lorsque le connais-
sement stipule que les marchandises ont été reçues en bon
état apparent et qu'elles sont remises endommagées, le
transporteur est responsable, à moins qu'il ne puisse démon-
trer que les dommages subis relèvent d'une réserve incluse à
bon droit dans le connaissement.
(Le souligné est de moi.)
La décision dans l'affaire Southern Cross
était fondée sur deux points:
a) d'une part le transporteur a fait tout ce qui
était raisonnablement nécessaire pour préve-
nir des dommages mineurs par sa méthode
d'arrimage, en particulier en fixant un espace
suffisant par véhicule et en donnant des ins
tructions aux membres de l'équipage et aux
arrimeurs, et
b) d'autre part, peut-être plus encore le fait
qu'il a inclus dans le connaissement la pre-
mière phrase de la réserve complète
susmentionnée.
A mon avis l'affaire présente diffère sur ces
deux points de l'affaire Southern Cross: en pre
mier lieu, les défendeurs n'ont soumis aucune
preuve tendant à démontrer que les membres de
l'équipage et les arrimeurs s'occupant de la car-
gaison avaient reçu des instructions concernant
les soins à apporter à la cargaison et à sa manu-
tention. En outre, il est manifeste que des véhi-
cules arrimés très près les uns des autres subis-
sent inévitablement des dommages mineurs,
éraflures et bosselures, ce que confirme la dépo-
sition du capitaine Glover.
En second lieu, aucune réserve, n'a été
incluse aux connaissements en l'espèce. L'af-
faire Southern Cross démontre clairement qu'il
incombe aux défendeurs d'inclure une telle
réserve s'ils veulent invoquer cet arrêt à titre de
précédent les dégageant de leur responsabilité
pour les dommages mineurs, éraflures et bosse-
lures. A défaut d'une telle réserve, le transpor-
teur est donc responsable, à mon avis, des dom-
mages, même mineurs, subis par les automobiles
non emballées, pendant toute la durée couverte
par les connaissements.
Les avocats m'ont signalé que, ni au Canada
ni en Angleterre, il n'existait de précédent
appuyant directement une telle théorie, mais
qu'on trouve une conclusion semblable dans
l'arrêt Chrysler Motors Corporation c. Atlantic
Shipping Company SA, décision non publiée de
la United States District Court, Southern Dis
trict of Alabama, Southern Division, dont une
copie fut déposée par la demanderesse au cours
du procès. Le paragraphe 4 de la copie du
jugement qu'on m'a soumise, énonce succincte-
ment la proposition à laquelle je souscris
entièrement:
[TRADUCTION] 4. Sans aucun doute le transporteur est res-
ponsable des dommages subis par les automobiles non
emballées, lorsqu'ils résultent de sa propre négligence. Il
s'agit en l'espèce de déterminer si le transporteur est respon-
sable d'un dommage mineur survenu malgré la diligence
raisonnable exercée lors du chargement, de l'arrimage, et du
déchargement. Le défendeur prétend que des automobiles
non emballées subissent toujours des dommages mineurs,
savoir des éraflures et des bosselures, même s'il n'y a
aucune négligence, et que le transporteur ne devrait pas être
tenu responsable de ces dommages. The Southern Cross,
1940 AMC 59 (1939, U.S. Dist. Ct. for Sou. Dist. of N.Y)
est l'arrêt faisant autorité à cet égard et il ne semble pas
appuyer une telle théorie. Cette affaire cependant portait sur
l'interprétation d'une réserve apposée au connaissement
portant que les voitures étaient «non emballées au risque du
propriétaire.» La Cour a conclu qu'une telle réserve ne
pouvait dégager le transporteur de sa responsabilité lorsque
le dommage était imputable à sa propre négligence, mais le
dégageait seulement de cette responsabilité pour les mar-
ques superficielles qui ne résultaient pas de la négligence.
Aucune réserve de ce genre n'avait été incluse dans le
connaissement dans l'affaire présente. Même s'il est d'usage
dans la marine marchande de dégager le transporteur de
toute responsabilité pour des éraflures superficielles, il est
aussi d'usage d'inclure une réserve à cet effet dans le
connaissement. (William Tetley, Marine Cargo Claims, Car-
swell Company Ltd., Toronto, Canada, 1965, la p. 145.) Si
le transporteur omet d'inclure une telle réserve, la Cour ne
peut le faire pour lui. A défaut d'une réserve, telle que celle
de l'affaire The Southern Cross (précitée), le transporteur
est donc responsable des dommages, même mineurs, subis
par des automobiles non emballées, pendant toute la période
couverte par le connaissement. (Tetley à la page 74, déclare
catégoriquement que le transporteur n'est pas responsable
pour les éraflures superficielles des voitures non emballées,
mais s'appuie sur l'arrêt The Southern Cross et sur plusieurs
décisions françaises postérieures. A la page 145 cependant,
il recommande d'inclure une réserve dans le connaissement
lors du transport par mer de voitures non emballées.)
Je conclus donc que la défense invoquant un
emballage insuffisant est irrecevable en l'es-
pèce, en premier lieu, parce qu'aucune réserve
n'avait été incluse dans le connaissement et, en
second lieu, parce que les défendeurs admettent
que, selon l'usage commercial, les automobiles
sont transportées par mer sans emballage.
Je n'accepte pas non plus leur défense invo-
quant le vice propre. Il ne s'agissait pas d'une
cargaison inhabituelle exigeant un traitement
spécial. Il fallait seulement faire preuve de dili
gence raisonnable lors du chargement de la
manutention et de l'arrimage. Elle n'exigeait
aucune autre attention spéciale et, à mon avis la
cargaison n'était donc pas de nature à permettre
aux défendeurs de plaider le vice propre.
L'énoncé de la clause m) de l'Article IV, r. 2
indique qu'elle vise une cargaison que l'on pour-
rait appeler une cargaison en vrac comme le
montre l'utilisation des mots suivants: «de la
freinte en volume ou en poids ou de toute autre
perte ou dommage résultant de vice caché,
nature spéciale ou vice propre de la marchan-
dise». On ne trouve pas le moindre indice dans
la preuve qu'en l'espèce, les dommages subis
par les véhicules résultent d'un vice caché des-
dites marchandises. Je conclus que les domma-
ges résultent non pas de l'absence d'emballage
ou d'un mauvais arrimage des véhicules dans les
cales du navire, mais du défaut de diligence
dans la manutention et l'arrimage desdites voitu-
res placés trop près les unes des autres.
Les défendeurs ont cité un passage de l'ou-
vrage de Thomas, On Stowage, à la page 284,
selon lequel des automobiles non emballées doi-
vent être arrimées, autant que possible, longitu-
dinalement et à environ huit ou neuf pouces de
distance, pour appuyer leur défense basée sur
l'absence de négligence. Le capitaine Glover
qualifie cet ouvrage de «bible du marin», mais,
tout ce que je peux dire, c'est qu'il me semble-
rait plus raisonnable et plus prudent en raison
du temps et de l'état de la mer auxquels il faut
s'attendre à l'époque de l'année où l'on a effec-
tué le transport, de laisser un plus grand espace
entre les véhicules, d'autant plus que les mem-
bres de l'équipage et les arrimeurs sont obligés
de porter des vêtements épais lorsqu'ils inspec-
tent l'amarrage des véhicules pendant le voyage
et lors du déchargement. A mon avis, on doit
seulement considérer les recommandations con-
tenues dans l'ouvrage de Thomas comme un
guide et garder à l'esprit les conditions atmos-
phériques particulières à chaque transport de
marchandises.
En ce qui concerne le montant des domma-
ges-intérêts, j'ai déjà signalé que j'avais admis la
preuve soumise à la Cour concernant les répara-
tions effectuées sur les véhicules conformément
à l'expertise dressée par l'expert de la demande-
resse; j'ai conclu que lesdites réparations étaient
raisonnables et nécessaires pour remettre en
état les véhicules afin de les revendre et que les
frais de réparations ont été réglés. Les défen-
deurs n'ont présenté aucune preuve satisfai-
sante selon laquelle lesdites réparations
n'étaient pas nécessaires ou les prix demandés
excessifs; je fixe donc à $6,345.20 les domma-
ges-intérêts payables par les défendeurs, hono-
raires d'expertise compris. A mon avis, ces der-
niers étaient raisonnables et nécessaires pour
déterminer quelles réparations étaient requises
et leurs coûts, et puisque les avocats m'ont
signalé que ces honoraires ne se rapportaient
aucunement aux véhicules non endommagés, je
les inclus en entier dans le montant des
dommages-intérêts.
La demanderesse a également droit à ses
dépens taxés.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.