Robert Guadano (Demandeur)
C.
Hamburg Chicago Line, G.m.b.h. et Kerr Steam
ships Limited, et les propriétaires du navire N. V.
Cap Vincent (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Urie—
Montréal (P.Q.), le 22 juin; Ottawa, le 3 juillet
1973.
Droit maritime—Marchandises dans des conteneurs en
pontée—Clause du connaissement l'autorisant—Marchandi-
ses endommagées—Charge de la preuve de la négligence
incombant au demandeur—Règles de La Haye, Art. III
(Règle 2), IV (Règle 2).
Des meubles, des objets d'art, des porcelaines et des
cristaux ont été transportés dans des conteneurs d'Anvers à
Montréal. Les conteneurs étaient arrimés sur le pont du Cap
Vincent qui était spécialement aménagé à cet effet. Les
marchandises étaient couvertes par un connaissement net
dont une clause précisait qu'on pouvait transporter sur le
pont les marchandises placées dans des conteneurs. Les
marchandises étaient mal emballées et on les a trouvées
endommagées quand on les a déballées.
Arrêt: il y a lieu de rejeter l'action en dommages-intérêts.
Vu la clause autorisant l'arrimage en pontée, le transporteur
avait le droit de transporter les conteneurs sur le pont, ce
qui, d'après la preuve, était une façon normale de transpor
ter les marchandises. En conséquence, le transporteur était .
dégagé de toute responsabilité en vertu de l'Art. IV (Règle 2)
des Règles de La Haye pour «insuffisance d'emballage» en
l'absence de négligence (Art. III (Règle 2)), et le demandeur,
à qui incombait d'apporter la preuve de la négligence, ne l'a
pas fait.
ACTION en dommages-intérêts.
AVOCATS:
Ian Harris pour le demandeur.
Peter Davidson pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Ian Harris, Montréal, pour le demandeur.
Brisset, Reycraft et Davidson, Montréal,
pour les défendeurs.
LE JUGE URIE—Par les présentes, le deman-
deur, qui détient un connaissement contenant
une déclaration sur la valeur, poursuit les défen-
deurs, la Hamburg Chicago Line, G.m.b.h., l'af-
fréteur du navire N. V. Cap Vincent et les pro-
priétaires dudit navire. A l'audience, les avocats
se sont entendus pour que soit abandonnée l'ac-
tion intentée contre la défenderesse Kerr
Steamships Limited.
Le demandeur réclame aux deux défendeurs
l'indemnisation des dommages causés à des
marchandises lui appartenant et se trouvant
dans deux conteneurs transportés sous connais-
sement émis à Anvers (Belgique), le 30 juin
1970, ou vers cette date. Les biens transportés
comprenaient des porcelaines et des cristaux
anciens, des tapis, des objets d'art et des meu-
bles anciens. Le 19 juin 1970, les conteneurs
pleins furent transportés dans deux camions de
Gand (Belgique) à Anvers (Belgique). Les par
ties conviennent que le transport routier de
Gand à Anvers s'est effectué sans incident. A
Anvers, les conteneurs furent placés sur le quai
en attendant d'être chargés à bord du N.V. Cap
Vincent.
Il est établi que les défendeurs sont des trans-
porteurs maritimes et qu'ils s'étaient engagés à
transporter la cargaison à bord du N.V. Cap
Vincent jusqu'au demandeur à Montréal
(Canada). Ce navire peut transporter des mar-
chandises diverses et sa capacité est d'environ
7000 tonnes. Toutefois, lors de la traversée en
question, il ne transportait qu'une cargaison d'à
peu près 2200 tonnes.
Les deux conteneurs en question étaient arri-
més sur le pont au milieu du navire ou environ à
la hauteur de l'écoutille numéro 2. Après avoir
quitté Anvers, le navire fit escale à Brême et à
Hambourg et, dans ces deux ports, des mar-
chandises furent chargées et déchargées. Il
poursuivit sa route jusqu'à Montréal, qu'il a
atteint 13 jours après avoir quitté Hambourg.
Le capitaine, Ulrich Wilken, dont le témoignage
a été recueilli par interrogatoire avant l'au-
dience, a déclaré qu'au cours de la traversée, le
temps avait été relativement normal bien que le
navire ait rencontré un peu de mauvais temps et
des vents ordinaires, d'une force maximum de
neuf. Au cours de la traversée, il y a eu du
roulis et du tangage et le navire a embarqué de
l'eau. Les vagues étaient normales vu les condi
tions météorologiques.
Le capitaine a d'autre part déclaré que le
navire était «volage», ce qui signifie, tant au
dire des experts appelés à témoigner par le
demandeur que de ceux appelés par les défen-
deurs, que les mouvements du navire étaient
doux, coulants et légers en dépit du mauvais
temps, ce qui était dû, au moins en partie, au
fait que le navire était peu chargé et avait un
faible tirant d'eau. Le capitaine Hayes, appelé à
témoigner par les défendeurs, a déclaré qu'à
bord d'un navire «volage», les conteneurs
seraient soumis à des forces moindres qu'à bord
d'un navire «stable».
Il ressort de ce témoignage qu'il y avait sur le
pont 23 conteneurs y compris les 2 sur lesquels
porte cette action; le capitaine Wilken a expli-
qué que, bien que les cales soient relativement
vides, les conteneurs étaient transportés en
pontée car seul le pont était aménagé pour les
recevoir. Pour transporter des conteneurs dans
la cale, il aurait fallu utiliser des saisines supplé-
mentaires, ce qui n'était pas nécessaire sur le
pont. Il ne pouvait pas se rappeler si l'on avait
déplacé les conteneurs pendant le chargement
ou le déchargement de la cargaison à Brême et à
Hambourg.
Le connaissement établi pour la cargaison en
question était un connaissement net, c'est-à-dire
ne comportant aucune mention concernant
l'avarie de la marchandise ou son arrimage sur
le pont, et il semble que la cargaison ait été
livrée en bon état au port d'Anvers. Les parties
ont convenu qu'il ne s'était produit aucun inci
dent malencontreux ayant pu entraîner un dom-
mage à la cargaison pendant les opérations de
déchargement ou pendant le transport terrestre
au port de Montréal. Lors de l'ouverture des
conteneurs au port de Montréal, avant que les
marchandises n'en soient retirées, on s'est
aperçu que dans chaque conteneur, le contenu
était endommagé et qu'il y avait des éclats de
bois et d'or moulu au fond des conteneurs.
Apparemment, les meubles avaient été envelop-
pés dans du papier imperméable qui s'était
déchiré.
Les preuves produites par le demandeur révè-
lent que les objets de porcelaine et de cristal
avaient été emballés dans des boîtes en carton
et n'étaient pas abîmés. Les seuls objets endom-
magés étaient les objets d'art et les meubles
enveloppés dans du papier. On a affirmé que ce
mode d'emballage était normal pour ce genre de
marchandises et un des témoins du demandeur,
Bernard Keegan, agent de réclamation pour la
compagnie de déménagement, a déposé qu'à son
avis, les conteneurs avaient été correctement
remplis, la marchandise étant emballée dans un
épais papier imperméable et les meubles bien
encastrés dans les conteneurs.
Le capitaine George Hayes, qui a vingt-cinq
ans d'expérience en tant qu'expert maritime et
vingt ans en tant que marin, a déclaré que, selon
lui, des conteneurs remplis de meubles de valeur
n'auraient pas dû être placés sur le pont dans un
endroit découvert, mais mis dans la cale numéro
1 qui se trouvait presque vide ou dans quelque
autre endroit libre sous pont. D'après lui, la
pontée, qui était balayée par les paquets de mer,
pouvait être soumise aux chocs de fortes vagues
capables d'endommager la marchandise. De
plus, étant donné que les conteneurs se trou-
vaient sensiblement au-dessus du centre de gra-
vité du navire, ils étaient soumis à des accéléra-
tions et à des décélérations plus grandes que
s'ils avaient été dans la cale quand, par gros
temps, le navire roulait. D'après lui, il est impor
tant de vérifier très régulièrement l'état des sai-
sines de la pontée car elles peuvent se défaire
ou se rompre par suite du choc des paquets de
mer. Des saisines desserrées augmentent les
forces exercées sur les marchandises se trou-
vant dans les conteneurs. Le livre de bord du
navire indique que les saisines étaient vérifiées
de temps à autre mais il ne précise pas si cette
vérification avait lieu régulièrement.
Il ressort de la preuve que les conteneurs
eux-mêmes n'ont subi aucun dommage à part
des éraflures et des bosselures. Les parties sont
tombées d'accord sur le fait que le revêtement
intérieur des conteneurs était en lois, sur lequel
étaient fixées des plaques de carton ondulé,
mais elles ne peuvent pas s'accorder sur la
question de savoir si la structure des conteneurs
était en bois ou en métal. Je ne pense pas que ce
défaut de renseignements ait de conséquence.
Le capitaine Murdoch Matheson, cité par le
défendeur en tant qu'expert maritime, ne par-
tage pas l'opinion du capitaine Hayes selon
lequel on aurait dû placer les conteneurs sous
pont. A bord d'un navire «volage», a-t-il ajouté,
les chocs, les accélérations ainsi que les décélé-
rations ne se feraient pas beaucoup plus sentir
sur le pont qu'en dessous. Il a déclaré que,
quand le pont est aménagé pour recevoir des
conteneurs et que la cale ne l'est pas, le meilleur
endroit pour les installer est celui qui comporte
des goujons permettant l'amarrage, en l'espèce,
le pont. Par contre, s'il y avait eu des goujons
dans la cale et pas sur le pont, ou s'il y en avait
eu à la fois dans la cale et sur le pont, il aurait
été préférable de mettre les conteneurs dans la
cale. Sa longue expérience de conseiller en
emballage pour transport maritime ainsi que son
état d'expert maritime lui ont fait estimer que le
papier imperméable utilisé pour emballer les
meubles n'était pas suffisant. De plus, il consi-
dère que 20 30 pour cent du dommage causé
aux meubles est ancien et qu'il n'est pas imputa-
ble à la traversée. En outre, il est en désaccord
avec le capitaine Hayes qui prétend qu'il aurait
été préférable d'arrimer les conteneurs dans la
cale numéro 1 car, à son avis, la cale, étant plus
près de l'avant du navire, subirait de plus gros
chocs en cas de forte mer, ce qui présente donc
un plus grand risque pour la marchandise. A son
avis, cette cale devrait être réservée à des car-
gaisons lourdes qui peuvent être convenable-
ment arrimées.
Le capitaine Matheson n'a pas pu examiner
les marchandises dans les conteneurs puisqu'el-
les en avaient déjà été retirées et déposées sur
le sol de l'entrepôt quand il a été appelé à
examiner les marchandises pour évaluer les
dommages. Il a demandé à voir les emballages
et on lui a montré le carton ondulé, qui lui a
semblé avoir été placé sur les parois internes
des conteneurs, les emballages de papier et cer-
tains cadres. D'après ce qu'il a pu voir, il n'y
avait aucune boîte permettant de placer les
meubles dans les conteneurs.
Le principe en vigueur quant à l'arrimage sur
le pont est énoncé de manière concise dans
l'ouvrage Scrutton on Charterparties (17éd., p.
145):
[TRADUCTION] On doit charger les marchandises dans les
endroits qui leur sont ordinairement destinés.
L'armateur ou le capitaine ne seront autorisés à arrimer
des marchandises en pontée que (1) par les usages du
commerce, ou du port d'embarquement, prescrivant l'arri-
mage en pontée de marchandises de cette catégorie pour un
voyage de ce genre; ou que (2) par convention expresse
avec l'expéditeur de ces marchandises, qui accepte qu'elles
soient arrimées de cette façon.
L'arrimage sur le pont non autorisé aura pour effet d'an-
nuler les exonérations prévues dans la charte-partie ou le
connaissement et d'engager la responsabilité de l'armateur
aux termes du contrat de transport pour tous dommages
causés aux marchandises.
Si, en vertu de son connaissement, l'armateur est autorisé
à transporter soit en cale soit en pontée, il n'est pas tenu
d'informer le chargeur que le transport s'effectuera en
pontée pour lui permettre d'assurer ses marchandises en tant
que pontée.
Dans l'arrêt Svenska Traktor Aktiebolaget c.
Maritime Agencies [1953] 2 All E.R. 570, le
juge Pilcher [à la page 572] a fait les observa
tions suivantes sur la pontée:
[TRADUCTION] Le Carriage of Goods by Sea Act vise à régir
les relations entre armateurs et propriétaires de marchandi-
ses à partir de principes bien connus. En excluant, par
définition, des «marchandises» dont le transport est régi par
la loi les marchandises transportées en pontée en vertu
d'une stipulation expresse, la loi vise, selon moi, à laisser à
l'armateur la liberté de transporter des marchandises en
pontée, à ses propres conditions, et sans être astreint aux
obligations créées par la loi, dans toutes les circonstances
où, si cette loi n'existait pas, il aurait le droit de les transpor
ter en pontée, pourvu cependant que ces marchandises
soient effectivement transportées en pontée et que le con-
naissement régissant ce transport prévoie de façon mani-
feste le transport en pontée de cette cargaison. Cette dispo
sition manifeste du connaissement constitue un avis et un
avertissement, à l'adresse de ses consignataires et endossa-
taires, investis de la propriété des marchandises par l'art. 1
du Bills of Lading Act de 1855, que, les marchandises qu'ils
doivent prendre en charge sont expédiées en pontée. Ils
acceptent donc ces effets en pleine connaissance de cause et
savent que le transport de ces marchandises en pontée n'est
pas régi par la loi. Si, d'autre part, il n'existe aucun accord
spécifique entre les parties quant au transport en pontée et
qu'aucune disposition manifeste du connaissement ne
vienne préciser que les marchandises aient été effectivement
transportées en pontée, les consignataires ou les endossatai-
res du connaissement seront en droit de supposer qu'il
s'agissait de marchandises dont le transport ne pouvait être
effectué par l'armateur que conformément aux dispositions
de la loi. Une autorisation, donnée en termes généraux, de
transporter éventuellement des marchandises en pontée ne
constitue pas, selon moi, une disposition duc contrat de
transport prévoyant le transport effectif de ces marchandi-
ses en pontée. Toute autre interprétation s'écarterait à mon
avis du sens normal des mots de l'art. Ic). Je décide par
conséquent que le transport par les armateurs des tracteurs
des demandeurs était régi par la règle 2 de l'art. III de la loi.
Le connaissement stipulait expressément que
le contrat de transport dont il faisait foi était
soumis à toutes les clauses et conditions des
Règles de La Haye qui ont été incorporées dans
les dispositions législatives de divers pays. Au
Royaume-Uni, on les retrouve sous le titre de
Carriage of Goods by Sea Act, mentionné dans
l'arrêt Svenska (précité). Dans ces règles, l'Arti-
cle Ic) définit les marchandises de la façon
suivante:
«marchandises» comprend des biens, objets, marchandises
et articles de nature quelconque, à l'exception des animaux
vivants et de la cargaison qui, par le contrat de transport, est
déclarée comme mise sur le pont et, en fait, est ainsi
transportée; ... [le soulignement est du juge].
Au recto du connaissement, on ne trouve
aucune indication que la cargaison doit être
transportée sur le pont et rien n'indique que le
demandeur savait que ses marchandises
devaient voyager ainsi. Bien que le demandeur
n'ait pas témoigné en personne à ce sujet, la
preuve fournie en son nom semble indiquer qu'il
n'était pas au courant. Cependant, on trouve au
recto du connaissement sous le titre «conditions
de transport» la clause 6 ainsi rédigée:
[TRADUCTION] 6. (Marchandise sur le pont et animaux).
Le transporteur se réserve le droit d'arrimer des marchan-
dises sur le pont; cet arrimage est aux risques de l'expédi-
teur. L'approbation de l'expéditeur pour cet arrimage sur le
pont ou de tout arrimage semblable subséquent sera présu-
mée après acceptation du connaissement. La pontée et les
animaux seront pris en charge, arrimés, transportés et
déchargés aux risques des expéditeurs. Le transporteur ne
sera pas responsable de la perte ou du dommage, quelle
qu'en soit la cause, même si le dommage provient de l'inna-
vigabilité ou du mauvais fonctionnement du navire ou d'ac-
tes ou de la négligence de l'équipage ou des préposés du
transporteur.
Les parties conviennent que les marchandises transportées
sous ce connaissement et arrimées dans des conteneurs
peuvent être transportées en pontée et seront considérées
aux fins de l'avarie commune comme des marchandises
transportées sous le pont. [Le soulignement est du juge.]
L'avocat de la défense soutient que cette pré-
tendue «clause de liberté» autorise le transpor-
teur défendeur à arrimer sur le pont les mar-
chandises en question et il invoque à l'appui de
cet argument l'affaire Svenska (précitée). Il sou-
ligne que, dans cette affaire, on n'avait pas
démontré que les consignataires avaient accepté
de voir leurs marchandises arrimées sur le pont
et que le connaissement ne comportait aucune
inscription à cet effet.
Le principe général applicable à l'arrimage
des marchandises sur le pont est que ces mar-
chandises ne doivent pas y être transportées si
elles y sont exposées à un risque plus grand que
dans la partie du navire ordinairement réservée
aux marchandises à moins que l'expéditeur n'ait
accepté de voir sa marchandise ainsi transportée
ou à moins qu'il existe un usage dans ce com
merce particulier permettant de transporter ces
marchandises ainsi. Voir l'ouvrage Carver on
Carriage by Sea (12e éd.) Londres 1971, vol. 2,
aux pages 604 et suiv.:
[TRADUCTION] Mais il semble que ce soit une question de
fait dans chaque espèce, et, compte tenu de la manière dont
on construit les navires de nos jours, il serait peut-être
difficile de soutenir que les marchandises doivent toujours
être transportées sous le pont principal afin d'être dans la
partie du navire ordinairement réservée aux marchandises.
[Le soulignement est du juge.]
Dans une référence au bas de la page 602,
l'auteur se reporte à l'arrêt The Neptune (1867)
16 L.T. 36, qui contient le passage suivant:
[TRADUCTION] Quand il s'agit d'un navire construit pour le
transport de maichandises en pontée sous un pont à oura-
gan, il a été décidé aux États-Unis que les expéditeurs sont
présumés avoir consenti à un tel transport. [Le soulignement
est du juge.]
Ce point de vue semble bien appuyer la thèse
selon laquelle, dans les navires modernes cons-
truits ou aménagés pour le transport de conte-
neurs sur le pont, c'est celui-ci qui est «la partie
du navire ordinairement réservée aux marchan-
dises».
Les défendeurs ont soutenu que la clause 6
des conditions de transport figurant au dos du
connaissement les autorisait à transporter les
conteneurs sur le pont. Il faut souligner que la
deuxième phrase de la clause 6 précisait que les
parties ont convenu que les marchandises trans-
portées sous ce connaissement et arrimées dans
des conteneurs «peuvent être transportées en
pontée». On a donc soutenu que, sous réserve
des dispositions de l'Article III, Règle 2, les
défendeurs avaient le droit de transporter les
conteneurs sur le pont bien qu'ils aient omis
d'indiquer au recto du document que les mar-
chandises devaient être transportées de cette
manière. A cet égard, il faut examiner si l'on
peut considérer le pont comme «la partie du
navire ordinairement réservée aux marchandi-
ses». En l'espèce, il ressort de la preuve qu'on
avait aménagé le pont du N.V. Cap Vincent
pour y arrimer des conteneurs et, par consé-
quent, il me semble que l'on puisse dire que le
pont était l'emplacement destiné aux marchandi-
ses. A fortiori, dans le cas d'un navire dont les
cales ne sont pas aménagées pour l'arrimage des
conteneurs, et c'est le cas du N.V. Cap Vincent,
sans aucun doute, on doit considérer le pont
comme l'emplacement normalement destiné au
transport des conteneurs.
Si ce raisonnement est juste, il y a eu accord
exprès avec le chargeur pour l'arrimage des
marchandises sur le pont, ce qui permet d'invo-
quer les clauses d'exonération énoncées à l'Arti-
cle IV, Règle 2, limitant la responsabilité du
transporteur pour perte ou dommage, comme
défense dans une action en dommages-intérêts
contre le transporteur. A cet effet, les défen-
deurs ont plaidé, preuves à l'appui, que les
meubles placés dans les conteneurs avaient été
emballés de manière insuffisante. Comme nous
l'avons exposé précédemment, l'Article IV
Règle 2 des Règles de La Haye est repris dans le
connaissement et l'alinéa n) dudit article relève
le transporteur de toute responsabilité pour
perte découlant d'un «emballage insuffisant».
Toutefois, lesdites exceptions ne pourront pas
protéger les défendeurs si leur négligence peut
être prouvée. En somme, il se peut qu'il y ait
violation du contrat de transport, ce qui donne
droit à des dommages-intérêts au chargeur ou au
consignataire, si les défendeurs ont omis d'ob-
server l'Article III, Règle 2, qui les oblige à
procéder «de façon appropriée et soigneuse .. .
à l'arrimage, ... aux soins et, au déchargement
des marchandises transportées».
En quoi consiste donc, en l'espèce, la preuve
que la Règle 2 n'a pas été observée? Le seul
indice est qu'à l'ouverture des conteneurs, on a
constaté qu'une partie des marchandises était
endommagée sans qu'on puisse trouver d'expli-
cation logique. Une fois que le demandeur a
prouvé que ses marchandises étaient endomma-
gées à l'arrivée, il incombe aux défendeurs de
prouver que les conteneurs avaient été correcte-
ment arrimés et qu'on en avait pris un soin
suffisant. Voir l'arrêt Silver c. Ocean S.S. Co.
[1930] 1 K.B. 416, à 435. Il en ressort que si
l'expéditeur prouve que les marchandises ont
été endommagées pendant le transport, le far-
deau de la preuve revient alors au transporteur
qui doit prouver que la cause du dommage
relève précisément de l'Article IV, Règle 2. Si le
demandeur désire faire échec à ce moyen en
rapportant la preuve d'une négligence, il lui
incombe de la prouver. Voir l'ouvrage Carver on
Carriage by Sea 12e éd. vol. 1, p. 267. Les
défendeurs soutiennent qu'ils n'ont commis
aucune négligence et qu'on peut raisonnable-
ment imputer le dommage au fait que le deman-
deur a omis d'emballer les marchandises de
façon appropriée; ils cherchent ainsi à entrer
dans le cadre de la Règle 2n) de l'Article IV. A
l'appui de cette prétention, ils invoquent la
déposition du capitaine Matheson selon qui
l'emballage était nettement insuffisant. Cepen-
dant, Keegan, témoin du demandeur, a déposé
que l'emballage des meubles était le genre d'em-
ballage couramment utilisé pour les marchandi-
ses de ce genre transportées par conteneurs.
Le capitaine Matheson m'a donné l'impres-
sion d'être un expert sûr et circonspect. Par
contre, je n'ai pas ressenti la même chose à
l'égard de Keegan, peut-être parce que l'issue
du litige lui importait dans la mesure où il était
intéressé personnellement à une partie de la
cargaison. II n'a d'ailleurs pas révélé l'étendue
de sa participation. Je ne voudrais pas le moin-
drement du monde laisser entendre que c'était
un témoin malhonnête, mais j'ai eu l'impression
que son indépendance était peut-être entravée
par l'intérêt personnel dont j'ai parlé. En consé-
quence, j'accepte le témoignage du capitaine
Matheson d'après qui l'emballage était insuffi-
sant et, ceci fait, il semble donc qu'il incombe à
nouveau au demandeur de prouver que les
défendeurs avaient mal arrimé la marchandise.
A cet égard, le demandeur a cité son expert,
le capitaine Hayes, qui, comme nous l'avons
déjà dit, a déclaré qu'à son avis, une cargaison
de ce genre devrait être mise sous le pont afin
d'être protégée du choc des vagues frappant les
conteneurs ainsi que de l'accélération et de la
décélération auxquelles sont sujets les conte-
neurs de par le roulis du navire. Ces phénomè-
nes sont effectivement plus violents sur le pont
qu'en dessous puisque, plus la cargaison s'éloi-
gne du centre de gravité du navire, plus l'arc de
roulis est grand. Comme cet arc était plus grand
et comme le temps qu'il faut pour parcourir la
distance d'une extrémité de l'arc à la position
verticale ou à l'autre extrémité était le même
quel que soit l'emplacement de la cargaison à
bord, plus elle était haut placée, plus les forces
d'accélération et de décélération croissaient.
Pour ces deux raisons et parce que les défen-
deurs étaient au courant de la possibilité de
rencontrer du gros temps dans l'Atlantique nord
à cette saison, ou auraient dû l'être, le deman-
deur a appuyé sa réclamation sur le fait que les
défendeurs ont violé le contrat en omettant de
procéder «de façon appropriée et soigneuse .. .
à l'arrimage, ... aux soins et au déchargement
des marchandises transportées», ainsi que
l'exige l'Article III, Règle 2 (précité).
Je ne peux souscrire à cet argument et j'ac-
cepte la déposition du capitaine Matheson selon
qui les marchandises étaient correctement arri-
mées vu qu'elles étaient transportées dans des
conteneurs apparemment en bon état et qu'il
convenait de les placer à l'endroit prévu à cet
effet. Les défendeurs savaient que les conte-
neurs renfermaient des marchandises fragiles
mais, même s'ils en avaient eu l'occasion, ils
n'avaient aucune obligation d'examiner l'embal-
lage pour s'assurer qu'il était suffisant; à mon
sens, ils étaient en droit de s'attendre à ce que
l'expéditeur se soit assuré que les marchandises
fragiles et précieuses étaient emballées de
manière à supporter les rigueurs d'une traversée
de l'Atlantique nord quel que soit l'endroit où
les conteneurs étaient arrimés.
Puisque à mon avis, les marchandises étaient
emballées de manière insuffisante et qu'elles
étaient arrimées à l'emplacement normal, le
demandeur n'a pas droit d'être indemnisé des
pertes subies pendant la traversée. Je rejette
dqnc l'action avec dépens.
Je vais, cependant, évaluer les dommages-
intérêts. Le demandeur réclame un total de
$4109.97. La preuve rapportée à l'appui de
cette réclamation était moins que satisfaisante,
On ne trouvait, par exemple, aucune preuve
attestant la valeur des marchandises placéest\
dans les conteneurs. L'avocat des défendeurs a
admis que le devis de réparation présenté par le
témoin Frank Cesar était acceptable. Il a, cepen-
dant, contesté l'affirmation de Frank Cesar
_selon laquelle les réparations ont entraîné une
dépréciation de 25 à 30 pour cent sur la valeur
des meubles. Il n'a cependant rapporté aucune
preuve de l'inexactitude du calcul de Frank
Cesar; confronté par cette preuve non contre-
dite, je dois l'accepter. Mon problème est de
savoir à quel chiffre je dois appliquer ce fac-
teur de dépréciation.
L'avocat des défendeurs a accepté la note de
$48.00 pour le rapport d'expertise de Cesar,
mais il s'est opposé aux deux autres $100.00
demandés par Harry M. Allice à titre de frais de
consultation au sujet des marchandises endom-
magées et $221.97 demandés par la Dale &
Company Limited à titre de frais d'expertise. Il
me semble que la somme de $100.00 facturée
par Allice l'était aux fins de ce procès et, par
conséquent, je la rejette, mais j'accepte la note
d'expertise de la Dale & Company Limited puis-
que le demandeur a dû payer ce montant pour
évaluer les dommages-intérêts aux fins de cette
action ainsi que pour faire sa réclamation aux
assurances.
Je fixe les dommages-intérêts du demandeur
de la manière suivante:
réparations aux marchandises
endommagées $ 2140.00
honoraires de la Dale & Company
Limited 221.97
établissement du devis par Frank Cesar 48.00
$ 2409.97
Il faudrait ajouter à ce montant un facteur de
dépréciation de 25% du coût des marchandises
endommagées, mais, étant donné que je ne peux
évaluer ce montant, le demandeur n'ayant
fourni aucune preuve sur la valeur des marchan-
dises endommagées, je ne peux rien ajouter à ce
titre. Dans mon calcul des dommages-intérêts,
je n'ai pu tenir compte ni des arguments de
l'avocat des défendeurs, ni des preuves qu'ils
ont fournies portant que certains dommages
étaient anciens, car ils n'ont pu apporter aucune
preuve satisfaisante à cet égard. Bien que, dans
leurs plaidoiries, les défendeurs aient demandé,
en raison de la règle de la responsabilité maxi
mum en vertu des Règles de La Haye, la limita
tion de l'indemnité payable, au cas où ils,
seraient jugés responsables, cette question n'a
pas été plaidée devant moi et je suppose que les
défendeurs ont abandonné cette position pour la
simple raison que le dommage causé à chaque
article en particulier n'atteignait pas la limite
imposée par les Règles de La Haye.
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