Antares Shipping Corporation (Demanderesse)
c.
Le navire Capricorn (Défendeur)
Division de première instance, le juge Pratte —
Québec, le 26 juillet; Ottawa, le l ei octobre
1973.
Droit maritime—Compétence--Action in rem pour viola
tion du contrat de vente d'un navire—La Cour fédérale
a-t-elle compétence—Loi sur la Cour fédérale, art. 22.
La demanderesse a engagé une action in rem contre un
navire en allégant une violation du contrat par sa proprié-
taire D, une compagnie étrangère, qui s'était engagée à
vendre le navire à la demanderesse et l'a vendu par la suite
de façon frauduleuse à une autre compagnie étrangère, la P.
La demanderesse cherche à obtenir une déclaration portant
que la vente du navire de D à P était nulle, ainsi qu'à obtenir
l'exécution du contrat par lequel D s'engageait à lui vendre
le navire et des dommages-intérêts. La saisie du navire à
Québec fut levée moyennant une caution.
Arrêt: la Cour est compétente pour connaître de cette
action et l'autorisation est donnée d'adjoindre P et D en tant
que parties.
(1) Même si la réclamation de la demanderesse n'entrait
pas dans le cadre de la compétence prévue à l'article 22(2)
de la Loi sur la Cour fédérale et n'était pas une réclamation
en vertu du «droit maritime canadien» aux termes de l'arti-
cle 22(1), la demanderesse cherchait un redressement en
vertu d'une loi du Canada en matière de marine marchande.
La Cour est donc compétente en vertu de l'article 22(1). En
matière maritime, la compétence de la Cour en vertu de
l'article 22(1) va de pair avec le pouvoir législatif du Parle-
ment relatif à «la navigation et les bâtiments ou navires»,
même si le Parlement n'a pas effectivement légiféré sur la
question. En outre, la compétence n'est pas exclue du fait
qu'en vertu des règles du droit international privé, ladite
action relève d'un droit étranger.
La compétence de la Cour en matière de droit maritime
s'étend à toute la partie du droit maritime ayant trait aux
navires ainsi qu'aux personnes exerçant des fonctions qui
s'y rattachent; cela comprend la vente des navires.
(2) Étant donné que l'action a été exclusivement intentée
contre le navire, la demanderesse ne pouvait demander
qu'un redressement susceptible d'être exécuté contre le
navire. Ceci ne comprend pas une ordonnance visant l'exé-
cution réelle contre D, ni l'annulation de la vente du navire
par D à P. En outre, puisque le droit de la demanderesse à
des dommages-intérêts n'est pas garanti par un privilège
maritime, la demanderesse ne pouvait pas faire saisir le
navire sans demander en même temps l'annulation de la
vente. Il convient cependant de permettre à la demanderesse
d'adjoindre D et P à titre de parties à condition que, dans un
délai de 60 jours, elle leur signifie la déclaration.
ACTION.
AVOCATS:
R. Langlois et L. Côté pour la
demanderesse.
G. de Billy et S. Harrington pour le
défendeur.
PROCUREURS:
Langlois, Drouin et Laflamme, Québec,
pour la demanderesse.
Gagnon, de Billy et Cantin et Cie, Québec,
pour le défendeur.
LE JUGE PRATTE—Par cette requête, la
demanderesse vise à obtenir une ordonnance
radiant la déclaration et annulant la saisie du
navire défendeur.
Il s'agit purement d'une action in rem. Le
navire défendeur, saisi à Québec, est un pétro-
lier libérien; il est maintenant immatriculé au
nom de la Portland Shipping Company Inc. (ci-
après appelée la «Portland») qui l'a acheté de la
Delmar Shipping Co. Ltd. (ci-après appelée la
«Delmar»). La compagnie demanderesse, tout
comme l'actuel propriétaire et les anciens pro-
priétaires du navire défendeur, est une compa-
gnie libérienne.
On peut résumer de la manière suivante les
allégations contenues dans la déclaration:
(1) Au mois de mai 1973, la Delmar, alors
propriétaire immatriculée du navire défen-
deur, s'est engagée à le vendre à la demande-
resse; ce contrat a été conclu en Angleterre.
(2) La Delmar a omis de s'acquitter des obli
gations découlant de ce contrat et, dans l'in-
tention de frauder la demanderesse, elle a
vendu le navire défendeur à la Portland; cette
vente, effectuée en dehors du Canada, est un
subterfuge et elle est nulle.
(3) La Delmar ayant omis de vendre et de
livrer le navire à la demanderesse, cette der-
nière a subi des dommages et continuera d'en
subir.
La demanderesse demande les réparations
suivantes:
(1) une déclaration que la vente du navire
défendeur par la Delmar à la Portland est
nulle et non avenue et qu'en conséquence, le
navire défendeur appartient encore à la
Delmar;
(2) un jugement ordonnant à la Delmar d'exé-
cuter les obligations auxquelles elle a souscrit
en vertu de l'accord conclu avec la
demanderesse;
(3) des dommages-intérêts.
Suite à la saisie, la Portland a obtenu la main-
levée de la saisie du navire défendeur en versant
un cautionnement d'un montant fixé par la
Cour; elle a également présenté plusieurs
demandes à la Cour, mais il est inutile d'en
examiner la nature en l'espèce. Ce n'est qu'a-
près avoir pris activement part à ces procédures
que la Portland a déposé une demande en radia
tion de la déclaration et en annulation de la
saisie.
Cette requête est fondée sur deux motifs:
(1) La Cour n'est pas compétente en l'espèce;
(2) La nature du redressement que la deman-
deresse cherche à obtenir fait qu'on ne peut
l'obtenir par une action in rem.
Ce qu'on appelle communément la «compé-
tence d'amirauté» de la Cour fédérale est
décrite à l'article 22 de la Loi sur la Cour
fédérale. Le paragraphe (1) de l'article 22 la
décrit en termes généraux alors que le paragra-
phe (2) énumère de manière précise les diverses
catégories de réclamations qui relèvent de la
compétence de la Cour.
L'article 22(1) dispose que:
22. (1) La Division de première instance a compétence
concurrente en première instance, tant entre sujets qu'autre-
ment, dans tous les cas où une demande de redressement est
faite en vertu du droit maritime canadien ou d'une autre loi
du Canada en matière de navigation ou de marine mar-
chande, sauf dans la mesure où cette compétence a par
ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale.
L'avocat de la requérante a fait valoir que la
Cour n'était pas compétente pour juger cette
affaire car, à son avis, la réclamation de la
demanderesse:
(1) ne relève pas de l'énumération de l'article
22(2);
(2) n'est pas couverte par l'article 22(1) car
cette réclamation n'est pas faite
a) en vertu du droit maritime canadien ou
b) en vertu de toute autre loi du Canada en
matière de navigation ou de marine
marchande.
A supposer que la réclamation de la demande-
resse, comme l'affirme l'avocat, ne relève d'au-
cune catégorie de l'article 22(2) et qu'elle ne
constitue pas une réclamation faite en vertu du
«droit maritime canadien», j'estime néanmoins
que cette Cour est compétente en l'espèce car, à
mon avis, la demanderesse cherche à obtenir un
redressement en vertu d'une loi du Canada en
matière de marine marchande.
A mon avis, une réclamation qui a trait à «la
navigation et à la marine marchande», sujet qui,
en vertu de l'article 91(10) de l'Acte de l'Améri-
que du Nord britannique, 1867, relève de la
compétence législative exclusive du Parlement,
est une réclamation faite en vertu d'une loi du
Canada en matière de navigation ou de marine
marchande. Autrement dit, en matière maritime,
la compétence de la Cour en vertu de l'article
22(1) va de pair avec le pouvoir législatif du
Parlement relatif à «la navigation et les bâti-
ments ou navires»; cette compétence de la Cour
ne se limite pas aux sujets de cette catégorie à
l'égard desquels le Parlement a déjà légiféré. 1
D'autre part, une action en réclamation qui
porte sur la navigation et la marine marchande,
et qui relève donc de la compétence de la Cour,
ne sera pas soustraite à cette compétence au
motif qu'en vertu des règles du droit internatio
nal privé, ladite action relève d'un droit étran-
ger. A proprement parler, un tribunal canadien
n'applique jamais de droit étranger. Comme le
déclare Lord Parker dans l'arrêt Dynamit Acti-
en-Gesselschaft c. Rio Tinto Company, Limited
[1918] A.C. 292 à la page 302:
[TRADUCTION] Tout jugement rendu par nos tribunaux
découle de l'application de notre propre droit aux faits de
l'espèce, tels qu'établis par des preuves idoines. Un de ces
faits peut être l'état de certains droits étrangers; toutefois,
ce n'est pas à ces droits étrangers mais à notre propre droit
qu'il est donné effet, que ce soit en allouant des dommages-
intérêts, en rendant une injonction, en délivrant une ordon-
nance déclarative de droits et de responsabilités ou en
prenant quelque autre mesure.
A mon avis, l'expression «marine marchande»
à l'article 91(10) de l'Acte de l'Amérique du
Nord britannique, 1867, et à l'article 22(1) de la
Loi sur la Cour fédérale recouvre la même réa-
lité que l'expression «law of shipping» qui est
définie de la façon suivante dans le Black's Law
Dictionary 4 ème éd. 1951, sous le mot
«shipping»:
[TRADUCTION] Expression recouvrant toute la partie du
droit maritime ayant trait aux navires ainsi qu'aux personnes
exerçant des fonctions s'y rattachant. Elle comprend des
matières telles que la construction et l'armement des navi-
res, leur immatriculation et nationalisation, la propriété des
navires et leur inspection, leur emploi (y compris les char-
tes-parties, le fret, la surestarie, le remorquage et le sauve-
tage), leur vente, transfert ou nantissement; et aussi l'enga-
gement, les droits, pouvoirs et obligations des capitaines et
des marins; ainsi que le droit applicable aux consignataires
de navires, agents maritimes, pilotes, etc?
Comme c'est ce sens-là de l'expression «marine
marchande» que je retiens, il s'ensuit à mon avis
que, dans l'exercice de son pouvoir législatif, le
Parlement peut réglementer la vente de navires.
Pour ces motifs, je considère que l'action
intentée par la demanderesse, visant l'exécution
d'un contrat de vente portant sur un navire,
relève de la compétence de la Cour.
Je vais examiner maintenant le deuxième
motif invoqué par la requérante, à savoir, que
les redressements que la demanderesse cherche
à obtenir ne peuvent l'être par une action in
rein.
La demanderesse a intenté son action exclusi-
vement contre le navire défendeur. Elle n'a
poursuivi ni la Delmar ni la Portland. Même si
l'on peut peut-être soutenir que la Portland est
devenue partie à l'action, suite à la part active
qu'elle a prise dans les procédures avant de
déposer la présente requête, on ne saurait en
dire autant de la Delmar.
D'après moi, les propositions qui suivent sont
si évidentes qu'elles ne demandent aucune
explication:
1. Le redressement visé par une action in
rem, action contre une chose, doit être sus
ceptible d'être exécuté contre la chose
elle-même.
2. Un tribunal ne peut pas ordonner l'exécu-
tion réelle d'un contrat si la personne visée
par l'ordonnance n'a pas été constituée partie
à l'action.
3. Un tribunal ne peut pas déclarer un contrat
nul dans une action où les parties au contrat
n'ont pas été poursuivies.
Vu ces propositions, je suis obligé de conclure
que la demanderesse, dans son action contre le
navire défendeur, ne pouvait demander ni une
ordonnance d'exécution réelle à l'encontre de la
Delmar ni l'annulation de la vente conclue entre
la Delmar et la Portland. D'ailleurs, puisque le
droit de la demanderesse à des dommages-inté-
rêts n'est pas garanti par un privilège maritime,
la demanderesse ne pouvait pas saisir le navire
défendeur sans, en même temps, demander l'an-
nulation de la vente conclue entre la Delmar et
la Portland.
Il s'ensuit que, d'un strict point de vue techni
que, il serait possible d'annuler la saisie du
navire défendeur et de radier complètement la
déclaration. Cependant, compte tenu de la Règle
1716 qui dispose que «la validité d'une action
n'est pas affectée à cause d'une fausse constitu
tion de partie ou de l'omission de mettre une
partie en cause», je considère qu'il convient de
permettre à la demanderesse d'adjoindre la
Delmar et la Portland à titre de défenderesses à
condition que, dans un délai de 60 jours à dater
de cette ordonnance, elle signifie la déclaration
aux deux compagnies.
J'ordonne donc l'adjonction de la Delmar et
de la Portland à titre de défenderesses et la
modification de l'intitulé de la cause en consé-
quence; j'ordonne en outre la suspension de
toutes les procédures pendant une période de 60
jours à dater de cette ordonnance et, à l'expira-
tion de cette période, la radiation de la déclara-
tion et l'annulation de la saisie du navire défen-
deur si, dans l'intervalle, la demanderesse n'a
pas déposé la preuve de la signification de l'ac-
tion à la Delmar Shipping Co. Ltd. et à la
Portland Shipping Company Inc.
Il ne faut pas interpréter cette décision
comme entraînant pour la demanderesse l'auto-
risation d'effectuer une signification ex juris au
cas où il lui serait impossible de signifier la
déclaration à la Delmar ou à la Portland au
Canada.
Les dépens de cette requête suivront l'issue
de la cause.
' Voir la définition des «droits du Canada» dans l'article 2
de la Loi sur la Cour fédérale. Comparer avec l'arrêt Con
solidated Distilleries Ltd. c. Le Roi [1933] A.C. 508, aux
pages 521-522.
2 Pour autant que je sache, cette définition moderne du
droit de la marine marchande regroupe de manière exacte le
contenu des divers ouvrages, anciens ou récents, écrits sur
ce sujet.
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