T-775-73
Eberhard Schmitz (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, le 25 novembre, Ottawa, le 4 décem-
bre 1974.
Couronne—Collision entre un véhicule de l'armée et un
véhicule privé—Conducteur de l'armée responsable à 80%—
N'agissait pas dans l'exécution de ses fonctions—Responsa-
bilité de la Couronne à titre de propriétaire—Loi sur la
défense nationale, S.R.C. 1970, c. N-4, art. 102—Loi sur la
responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, c. C-38, art. 3,
4—Loi de la preuve au Canada, S.R.C. 1970, c. E-10—Code
criminel, S.R.C. 1970, c. C-34, art. 283, 295—Code de la
route, S.R.Q. 1964, c. 231, art. 46—Loi d'indemnisation des
victimes d'accidents d'automobile, S.R.Q. 1964, c. 232, art.
3b)—Code civil de la province de Québec, art. 1054.
Suite à une collision survenue entre la fourgonnette du
demandeur et une voiture d'état-major appartenant au minis-
tère de la Défense nationale et à l'usage de la base militaire
de Longue Pointe, (P.Q.), le demandeur poursuivit la Cou-
ronne pour négligence et les dommages qu'il subit furent
évalués, sur consentement des parties, à $1,000. La Cou-
ronne repoussa l'accusation de négligence et nia en outre sa
responsabilité à titre de propriétaire, aux motifs que le
conducteur avait obtenu possession du véhicule par vol ou
qu'il n'avait pas agi dans l'exécution de ses fonctions. A
l'audience, la preuve de la condamnation du conducteur
sous le régime de l'article 102 de la Loi sur la défense
nationale pour conduite d'un véhicule sans autorisation
jugée irrecevable, fut rejetée. Il fut par ailleurs démontré
que le conducteur (qui n'assistait pas au procès) avait utilisé
la voiture à des fins personnelles, ce qui ne pouvait avoir été
autorisé. Ou bien il avait en sa possession des documents
qui lui permettaient d'utiliser le véhicule hors de la base à
une fin autorisée qu'il n'a pas respectée; ou bien la négli-
gence des responsables de la base lui permit de sortir le
véhicule sans les documents faisant foi d'une utilisation
autorisée.
Arrêt: l'action est accueillie en partie; la collision est
imputable au fait que les conducteurs en question se sont
engagés dans l'intersection sans se conformer à l'article 46
du Code de la route du Québec. La part de responsabilité du
conducteur à la Couronne est fixée à 80% et celle du
demandeur à 20%. Il est permis d'intenter un recours contre
le conducteur de la Couronne en vertu de l'article 4(3) de la
Loi sur la responsabilité de la Couronne, et la Couronne est
responsable en vertu de l'article 3(2) de la Loi, au même
titre qu'«un particulier majeur et capable». En vertu de
l'article 3 b) de la Loi de l'indemnisation des victimes d'acci-
dents d'automobile du Québec, le propriétaire est responsa-
ble, à moins qu'il ne prouve qu'au moment de l'accident, le
conducteur du véhicule en avait obtenu possession par vol.
La Couronne n'a pas réussi à prouver de «vol» suivant la
règle énoncée par la Cour d'appel du Québec qui assimilait
le «vol» à l'infraction définie à l'article 283 du Code crimi-
nel. Même si l'action avait été intentée en vertu des lois
d'une province autorisant le défendeur propriétaire à invo-
quer une prise de possession sans consentement, comme le
prévoit l'article 295 du Code criminel, il est douteux que la
défenderesse en l'espèce ait satisfait l'obligation de prouver
l'absence de négligence, eu égard à la prise de possession du
véhicule par le conducteur. Le demandeur a droit de recou-
vrer 80% de ses dommages, soit $800.
Arrêt suivi: Martel c. LaForest, ès-qualité et Le fonds
d'indemnisation des victimes d'accidents d'automobiles
(Décision de la Cour d'appel du Québec, nr 13,569,
rendue le 13 décembre 1973).
ACTION.
AVOCATS:
B. Kravitz pour le demandeur.
Y. Brisson pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Kravitz & Kravitz, Montréal, pour le
demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour
la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés par
LE JUGE WALSH: Le demandeur réclame de
la défenderesse la somme de $1,001.05 repré-
sentant les dommages causés à son véhicule et
la perte d'usage du véhicule pendant qu'il subis-
sait des réparations, suite à un accident survenu
à Montréal le 22 septembre 1971 ou aux envi
rons de cette date vers minuit vingt; le deman-
deur conduisait alors sa fourgonnette Econoline
qui circulait du sud vers le nord, lorsqu'à l'angle
de l'avenue Du Parc et de la rue Sherbrooke,
elle entra en collision avec une voiture d'état-
major, appartenant au ministère de la Défense
nationale et conduite par un certain Miles Kirk-
wood, qui circulait de l'ouest vers l'est sur la rue
Sherbrooke. Le demandeur prétend que le véhi-'
cule de la défenderesse s'est engagé dans l'inter-
section de façon illégale et négligente alors qu'il
faisait face à un feu rouge et que lui-même
bénéficiait d'un feu vert; que ce véhicule circu-
lait à une vitesse illégale, dangereuse et exces
sive; et que le conducteur dudit véhicule a
admis sa faute et sa responsabilité après
l'accident.
La défenderesse allègue que son véhicule fut
heurté par le véhicule appartenant au deman-
deur et conduit par ce dernier, qu'au moment de
l'accident, son véhicule était conduit par Miles
Kirkwood qui en avait obtenu la possession par
vol, que celui-ci n'agissait pas dans l'exécution
de ses fonctions et qu'il a subi un procès par
voie sommaire sous une accusation portée en
vertu de l'article 102 de la Loi sur la défense
nationale' et a été déclaré coupable, de sorte
que la défenderesse n'est pas responsable des
dommages subis par le demandeur.
Au début, la défenderesse avait également
déposé une demande reconventionnelle récla-
mant une somme de $959 pour dommages
causés à son véhicule, mais elle s'est plus tard
désistée de cette demande reconventionnelle
avec le consentement du demandeur. Ainsi que
l'a expliqué l'avocat au cours des débats, la
défenderesse a, en fait, intenté contre ledit
Miles Kirkwood et contre le demandeur d'autres
procédures devant cette cour en réclamation de
ce montant et le désistement de la demande
reconventionnelle avait simplement pour but
d'éviter un double emploi, ce désistement ne
devant pas être interprété comme une admission
de la responsabilité du conducteur de son véhi-
cule. Les parties ont reconnu que le montant
des dommages subis par le demandeur est bien
de $1001.05.
Quant aux faits, le demandeur déclare que le
soir en question, après avoir franchi l'intersec-
tion du boulevard de Maisonneuve et de l'ave-
nue Du Parc, la première intersection au sud de
la rue Sherbrooke, il constata que le feu de
circulation qui lui faisait face sur la rue Sher-
brooke était au rouge de sorte qu'il gravit lente-
ment la côte, rétrogradant en seconde vitesse.
Rendu à peu près à mi-chemin dans la côte, le
feu passa au vert et il s'engagea dans l'intersec-
tion. Il aperçu soudain un véhicule qui venait du
côté gauche et bien qu'il appliquât les freins, il y
eut collision. Son véhicule fut projeté à trois ou
quatre pieds vers la droite et l'autre véhicule
s'arrêta sur la rue Sherbrooke au-delà de l'inter-
section. Il n'allait pas à plus de 15 milles à
l'heure au moment de l'impact. Après la colli
sion, il entendit le conducteur de l'autre véhi-
R.C.S. 1970, c. N-4.
cule dire à l'agent de police qui avait été appelé
sur les lieux, qu'il était originaire de l'Ontario et
qu'il avait franchi l'intersection sur le feu jaune,
comme c'était l'usage au Québec, croyait-il. Le
demandeur maintient que le feu devant lui était
passé au vert trois ou quatre secondes avant la
collision qui survint à huit pieds peut-être à
l'intérieur de l'intersection de la rue Sherbrooke.
Il se trouvait dans la voie centrale et remontait
l'avenue Du Parc. Les parties ont produit de
consentement des photographies des deux véhi-
cules, montrant que tous les dommages causés
au véhicule de la Couronne se trouvent du côté
droit, partant du milieu de la voiture environ, et
que, par contre, c'est la partie avant gauche du
véhicule du demandeur qui est endommagée. Le
demandeur maintient qu'en raison de la pente, il
ne commença pas à accélérer lorsque le feu
passa au vert, qu'il voulait franchir directement
l'intersection et qu'il surveillait les feux à
l'avant mais non le feu jaune latéral réglemen-
tant la circulation est-ouest sur la rue
Sherbrooke.
Le constable Jacques Dubé, qui fut appelé sur
les lieux, a fourni des précisions sur l'accident,
identifiant le conducteur du véhicule de la
défenderesse comme étant Miles Kirkwood de
la base militaire de Longue Pointe située à l'ex-
trémité est de Montréal. A la lumière du rap
port, il déclare qu'à son avis, l'accident fut
causé par Kirkwood qui s'était engagé sur le feu
jaune et, croit-il, c'est ce que Kirkwood lui
affirma, bien qu'il ne puisse en être sûr mainte-
nant. Le véhicule du demandeur était enregistré
au nom de la S. & W. Die Company. Cité à
nouveau, le demandeur a déclaré qu'il s'agissait
d'une entreprise unipersonnelle qu'il avait enre-
gistrée en 1971.
L'un des témoins, Nicholas Skafidas, déclare
qu'il a vu l'accident. Il sortait tout juste d'un
restaurant situé du côté ouest de l'avenue Du
Parc qu'il situa, sur un croquis, au nord de la rue
Sherbrooke bien qu'il eût déclaré qu'il se trou-
vait au sud. Il entendit la collision et vit les deux
voitures déraper et porta immédiatement son
regard sur le feu de circulation de la rue Sher-
brooke; il constata qu'il était au rouge pour
immobiliser la circulation sur la rue Sherbrooke.
Il remit sa carte au demandeur. Il avait, à l'occa-
sion, traité avec lui. Il s'apprêtait à traverser
l'avenue Du Parc au moment de l'accident de
sorte qu'il n'eut qu'à regarder à sa droite lors-
qu'il entendit la collision.
L'avocat de la défenderesse a déclaré qu'il
avait été incapable de retracer Miles Kirkwood,
le conducteur du véhicule de l'armée. Il a cité
comme témoin Donald Gozzola, un cuisinier de
l'armée. Il a déclaré qu'au moment de l'accident
il se trouvait dans la voiture avec Miles Kirk-
wood et Jack Fudge. Il était assis du côté droit
de la banquette avant, Fudge étant au centre et
Kirkwood au volant. Il vit le feu devant eux sur
la rue Sherbrooke passer du vert au jaune et il
ne se souvint ensuite que de la collision qui
l'assomma temporairement. Il ne connaissait pas
Kirkwood personnellement mais, le soir précé-
dent, vers 20h ou 21h, Fudge et lui avaient pris
place dans la cantine des casernes de Longue
Pointe lorsqu'il mentionna qu'il n'avait jamais
assisté à une partie de baseball professionnel.
Kirkwood offrit de les conduire à un match des
Expos. Il ne se rappelle pas très bien ce qui
survint par la suite. Ils firent, semble-t-il, la
tournée de plusieurs bars de Montréal; il déclare
toutefois qu'ils consommèrent peu de boisson. Il
ne connaît pas très bien Montréal et ne sait pas
exactement où ils sont allés, mais ils circulaient
sans arrêt depuis une demi-heure lorsque sur-
vint l'accident; ils revenaient aux casernes à ce
moment-là, car ils devaient partir à 5h le lende-
main matin pour retourner à Petawawa. Il ignore
s'il pleuvait ou non, ou s'ils avaient réduit leur
vitesse avant de s'engager dans l'intersection.
Ce n'est qu'après l'accident, dit-il, qu'il réalisa
que c'était une voiture d'état-major.
Joseph Rousseau, répartiteur aux casernes de
Longue Pointe, a comparu et expliqué le con-
trôle des véhicules. Si un membre des forces
armées désire utiliser un véhicule, il doit
s'adresser au répartiteur; celui-ci laisse sortir le
véhicule qui doit être utilisé pour une fin
donnée. Il doit toutefois s'agir d'une utilisation
autorisée. Le conducteur doit remplir des for-
mules et apporter sa feuille de route avec lui.
On n'a retracé aucun ordre de travail daté du 21
septembre 1971 qui soit destiné à Miles Kirk-
wood. Les clés sont toujours laissées dans le
contact des voitures mais il y a un contrôle aux
entrées de la base où l'on est censé vérifier les
documents du conducteur. De plus, les portes
de garage sont toujours fermées à clé et ne sont
censées être ouvertes que si le conducteur a en
sa possession les documents voulus. La voiture
en question avait été affectée au service du
H.M.C.S. Fraser qui se trouvait au port, mais il
ignore si Kirkwood en était le conducteur auto-
risé ou non.
Le capitaine Gordon Duncan, officier des
forces armées à Ottawa, déclare qu'il a accès
aux dossiers de la Défense nationale et qu'il a
étudié le dossier de Miles Kirkwood; il précise
que, le 23 septembre 1971, Kirkwood fut
inculpé en vertu de l'article 102 de la Loi sur la
défense nationale et plaida coupable; il fut con-
damné à une amende de $150 et à 30 jours de
suppression de permission. Il a obtenu son
congé des forces armées en novembre 1971 et
depuis lors, elles ont tenté, par l'intermédiaire
de la G.R.C., de le retracer en vue du procès
mais sans succès. Il n'a jamais déposé de
demande de redressement. Ledit article 102 se
lit comme suit:
102. Quiconque,
a) se sert d'un véhicule des Forces canadiennes à des fins
non autorisées;
b) se sert, sans autorisation, d'un véhicule des Forces
canadiennes à une fin quelconque; ou
c) se sert d'un véhicule des Forces canadiennes d'une
façon contraire aux règlements, ordres ou instructions;
est coupable d'une infraction et encourt, sur déclaration de
culpabilité, un emprisonnement de moins de deux ans ou
une moindre peine.
L'avocat du demandeur s'est objecté à cette
preuve au motif que le dossier n'est pas une
pièce d'archives judiciaires et que le renvoi aux
renseignements qu'il contient constitue un ouï-
dire. L'objection fut prise sous réserve. Il est
bien sûr que dans des procédures criminelles, il
ne serait pas permis d'établir le casier judiciaire
d'un accusé par le simple témoignage d'un
employé du greffe qui a vu le dossier sans qu'il
n'en dépose une copie authentique et n'établisse
l'identité de l'accusé comme étant la personne
dont on produit le dossier. Cependant, il ne
s'agit pas ici de procédures criminelles, mais
d'une affaire civile et, en outre d'une procédure
d'ordre militaire concernant la preuve que l'on
cherche à faire accepter. Kirkwood ne fut pas
traduit en justice suivant le processus ordinaire
qui comporte une accusation, une déclaration de
culpabilité et une sentence dont les copies
authentiques seraient déposées à titre de pièces
d'archives judiciaires; il est possible qu'il ait
simplement été traduit devant son commandant
et, vu son plaidoyer de culpabilité, que l'affaire
ne soit pas allée plus loin et ait été inscrite dans
son dossier militaire. Pour essayer de démontrer
que, le soir en question, Kirkwood utilisait le
véhicule à des fins non autorisées, ou sans auto-
risation, et en violation de tous règlements,
ordres, ou directives et qu'il a plaidé coupable à
cette accusation, la défenderesse fait appel au
capitaine Duncan qui, ayant accès à son dossier
militaire et l'ayant examiné, affirme que c'est
bien ce qui s'est produit; cette preuve est irrece-
vable. Pour être admissible en preuve en vertu
des dispositions de la Loi de la preuve au
Canada, son témoignage aurait dû être corro-
boré par une copie authentique de la partie de
son dossier afférente à cette déclaration de cul-
pabilité. L'objection soulevée contre cette
preuve est donc maintenue.
Cela ne signifie pas, cependant, que la Cour
ne peut pas conclure, à la lumière d'autres élé-
ments de preuve, qu'en fait, le soir en question,
Kirkwood n'utilisait pas le véhicule à des fins
autorisées ou sans une autorisation valable. Sui-
vant la déposition de Gozzola, il est manifeste
que le soir en question, lui et ses compagnons, y
compris Kirkwood, avaient fait dans la voiture
d'état-major une tournée des bars de l'endroit.
Ils avaient prétendument quitté les casernes
vers 20h ou 21h pour assister à une partie de
baseball des Expos, mais ils n'allaient sûrement
pas dans cette direction après minuit. Le témoi-
gnage de Rousseau montre en outre clairement
que les véhicules militaires ne peuvent être utili-
sés qu'à des fins autorisées et sur présentation
de documents appropriés. Il est manifeste
qu'une telle utilisation de la voiture d'état-major
en question n'aurait pas été autorisée et que par
conséquent, Kirkwood, avait en sa possession
des documents qui lui permettaient d'utiliser le
véhicule hors de la base à une fin autorisée qu'il
n'a pas respectée ou, ce qui est plus probable,
qu'en raison de la négligence d'autres personnes
censées exercer un contrôle à la base, on lui a
permis de sortir le véhicule sans documents
appropriés faisant foi d'une utilisation autorisée.
Je n'ai donc aucune peine à conclure, qu'au
moment de l'accident, il n'agissait pas dans
l'exécution de ses fonctions.
Il faudrait citer certains articles de la Loi sur
la responsabilité de la. Couronnez. L'article
3(1)a) se lit comme suit:
3. (1) La Couronne est responsable des dommages dont
elle serait responsable, si elle était un particulier majeur et
capable,
a) à l'égard d'un délit civil commis par un préposé de la
Couronne,... .
L'article 3(2) décrète:
3. (2) La Couronne est responsable des dommages que
cause un véhicule automobile qui lui appartient, sur un
chemin public, et dont elle serait responsable si elle était un
particulier majeur et capable.
L'article 4(2) et (3) se lit comme suit:
4. (2) On ne peut exercer de recours contre la Couronne,
en vertu de l'alinéa 3(1)a), à l'égard d'un acte ou d'une
omission d'un préposé de la Couronne, sauf si, indépendam-
ment de la présente loi, l'acte ou l'omission eût donné
ouverture à une poursuite en responsabilité délictuelle
contre ce préposé ou sa succession.
(3) On ne peut exercer de recours contre la Couronne en
vertu du paragraphe 3(2), à l'égard de dommages causés par
un véhicule automobile sur un chemin public, sauf si le
conducteur de ce véhicule ou sa succession est responsable
de ces dommages.
Il faut donc en premier lieu déterminer si,
compte tenu des faits en l'espèce, on peut exer-
cer un recours contre le conducteur Miles
Kirkwood.
Il est manifeste que le véhicule de la défende-
resse traversait l'intersection sur un feu jaune,
sinon sur un feu rouge. L'article 46b) du Code
de la route du Québec' se lit comme suit:
46. Aux lieux où des signaux lumineux sont installés les
conducteurs de véhicules doivent
b) en face du feu jaune, arrêter avant la croisée à moins
qu'ils n'y soient engagés ou en soient si près qu'il leur
serait impossible de le faire sans danger;
Rien dans la preuve n'indique que le véhicule de
la défenderesse était si près de l'intersection,
lorsque le feu passa au jaune, qu'il lui était
impossible de s'arrêter sans danger avant de s'y
2 S.R.C. 1970, c. C-38.
3 S.R.Q. 1964, c. 231.
engager. Tout en étant, semble-t-il, un témoin
très sincère et très honnête, le témoin Gozzola a
tout au plus un vague souvenir des événements
du soir de l'accident et il déclare simplement
avoir vu que le feu devant eux était au vert, puis
au jaune, et c'est alors que la collision survint. Il
n'a pas dit, et je suis convaincu qu'il était inca
pable de le faire de façon précise, si le feu était
encore au vert lorsqu'ils se sont engagés dans
l'intersection ou s'il est passé au jaune alors
qu'ils en étaient trop près pour pouvoir s'arrêter
sans danger. Il n'y a également aucune preuve
satisfaisante de la vitesse du véhicule.
Le témoin Skafidas, également honnête mais
quelque peu embrouillé, peut-être en raison de
difficultés de langue, vit, mais seulement après
la collision, que le feu réglementant la circula
tion de la rue Sherbrooke était au rouge. Il
entendit tout d'abord la collision et, instinctive-
ment il tourna la tête dans cette direction et
remarqua la couleur du feu de circulation; je
suis convaincu que son attention se serait
d'abord dirigée vers les voitures qui dérapaient
avant que son regard ne se porte sur les feux, de
sorte qu'il y aurait un bref intervalle entre le
moment de l'impact et le moment où il vit que le
feu était au rouge. Ce témoignage n'établit donc
pas de façon très concluante si effectivement le
feu était déjà passé au rouge avant l'impact.
Il y a enfin le témoignage du demandeur qui
déclare d'une façon très catégorique que, le feu
étant au rouge lorsqu'il gravit la côte, il s'appro-
cha de l'intersection lentement, en seconde
vitesse, et ne s'y engagea que lorsque le feu
passa au vert; il ajoute que le feu était au vert
depuis trois ou quatre secondes avant que ne
survienne la collision. Si le feu devant lui était
au vert, le véhicule de la défenderesse aurait
alors, bien sûr, fait face à un feu rouge.
Bien que la faute de Kirkwood, le conducteur
du véhicule de la défenderesse, ne puisse faire
de doute, les photographies montrant l'endroit
et la nature des dommages causés aux deux
véhicules et l'état des lieux soulèvent quelque
doute quant à savoir s'il n'y a pas eu une cer-
taine négligence contributive de la part du
demandeur. Il gravissait en seconde vitesse une
côte exceptionnellement abrupte, circulant len-
terrent parce qu'il faisait face à un feu rouge et
attendant qu'il passe au vert pour s'engager
dans l'intersection. Dans ces conditions, il aurait
dû être capable, en apercevant le véhicule de la
défenderesse, d'effectuer un arrêt complet pres-
que instantanément sans avancer de plus de
quelques pieds. Il est normal, mais peut-être
répréhensible, que le conducteur d'une voiture
encore en mouvement, s'approchant d'une inter
section et attendant que le feu passe au vert
avant de s'y engager, regarde à droite en direc
tion du feu jaune qui avertit les automobilistes
circulant sur la rue transversale que le feu est
sur le point de passer au rouge. Dans ces circon-
stances, un conducteur n'est pas immobilisé
lorsqu'il démarre à l'intersection mais il est déjà
en mouvement et peut s'engager dans l'intersec-
tion au moment même où le feu passe au vert, si
en fait il ne s'y engage pas un peu avant. En
outre, il se fie entièrement au feu et ne regarde
pas à sa gauche pour voir si une voiture s'appro-
che rapidement de l'intersection et ne fait voir
aucune intention d'arrêter lorsque le feu de la
rue transversale passe au jaune ou au rouge.
Bien qu'il y ait un immeuble situé à l'angle
sud-ouest de la rue Sherbrooke et de l'avenue
Du Parc, celui-ci n'aurait pas empêché le
demandeur d'apercevoir le véhicule qui appro-
chait, s'il avait regardé dans cette direction. Les
photographies indiquent clairement que le côté
gauche avant du véhicule du demandeur heurta
le centre du côté droit du véhicule de la défen-
deresse. Au moment de l'impact, le véhicule de
la défenderesse avait franchi plus de la moitié
sinon les deux tiers de l'intersection, et au
moment où il heurta le véhicule de la défende-
resse, le véhicule du demandeur avait franchi
environ huit pieds dans ladite intersection.
Même si on acceptait la version du demandeur
selon laquelle il se trouvait en face d'un feu vert
avant de s'engager dans l'intersection et selon
laquelle au moment de la collision, par consé-
quent, le feu faisant face au véhicule de la
défenderesse n'était pas simplement au jaune
mais était déjà passé au rouge, il est manifeste
qu'une seconde ou deux plus tard, le véhicule de
la défenderesse aurait franchi l'intersection sans
danger si le demandeur l'avait vu venir et avait
appliqué les freins. De toute évidence, il s'est fié
uniquement aux feux et n'a pas regardé à sa
gauche avant de s'engager dans l'intersection
car, dans les très courts instants nécessaires
pour parcourir les huit pieds, le véhicule de la
défenderesse n'a pu franchir une distance telle
que le demandeur n'ait pu l'apercevoir lorsqu'il
s'est engagé dans l'intersection. Bien qu'un con-
ducteur ait droit de se fier aux feux de circula
tion à une intersection et de présumer que les
conducteurs circulant sur la rue transversale en
feront autant, ceci ne doit pas le libérer complè-
tement de toute obligation de s'assurer, avant de
s'engager dans l'intersection, qu'aucune voiture
ne s'approche rapidement avec l'intention évi-
dente d'ignorer le feu jaune ou rouge. En d'au-
tres termes, même lorsqu'il fait face à un feu
vert, il devrait regarder à gauche et à droite
avant de s'engager. Je crois donc que le deman-
deur aurait pu, jusqu'à un certain point, éviter
cet accident s'il avait été plus vigilant. Toutefois
Kirkwood porte manifestement la responsabilité
principale et j'évalue sa part de responsabilité à
80 pour cent et celle du demandeur à 20 pour
cent; je répartis les dommages en conséquence,
réduisant par le fait même de $1001.05 à
$800.84 le montant convenu de l'indemnité due
au demandeur.
Il faut maintenant examiner la défense au
fond selon laquelle la défenderesse n'est pas
responsable des dommages puisque Kirkwood
n'agissait pas dans l'exécution de ses fonctions
au moment de l'accident et qu'il utilisait le véhi-
cule à des fins non autorisées ou sans autorisa-
tion. Voici un extrait de l'article 1054 du Code
civil de la province de Québec:
Les maîtres et les commettants sont responsables du
dommage causé par leurs domestiques et ouvriers dans
l'exécution des fonctions auxquelles ces derniers sont
employés.
mais pour trancher la présente affaire, il n'est
pas nécessaire de déterminer si l'application de
cet article peut libérer la Couronne de la respon-
sabilité visée aux articles 3(1)a) et 4(2) de la Loi
sur la responsabilité de la Couronne (précités)
puisque cette loi contient des dispositions spé-
ciales, énoncées aux articles 3(2) et 4(3) (préci-
tés), concernant les réclamations qui découlent
de la propriété d'un véhicule automobile. Il n'y a
donc qu'à déterminer si, étant la propriétaire du
véhicule automobile, la Couronne serait respon-
sable «si elle était un particulier majeur et
capable».
Pour trancher la question de responsabilité
découlant de la propriété d'un véhicule, il fau-
drait citer la Loi de l'indemnisation des victimes
d'accidents d'automobile' du Québec puisque
l'accident est survenu dans cette province. L'ar-
ticle 3 b) de cette loi se lit comme suit:
3. Le propriétaire d'une automobile est responsable de
tout dommage causé par cette automobile ou par son usage,
à moins qu'il ne prouve
b) que lors de l'accident l'automobile était conduite par
un tiers en ayant obtenu la possession par vol, ou
Il faut donc établir le sens du mot «vol» contenu
dans cette loi et déterminer s'il est suffisamment
étendu pour englober l'usage non autorisé ou
sans l'autorisation du propriétaire comme le pré-
tend la défenderesse. On ne définit le «vol» ni
dans ce texte de loi ni dans la Loi d'interpréta-
tion du Québec. En examinant le Code criminels
nous retrouvons une définition du «vol» à l'ex-
trait suivant de l'article 283:
283. (1) Commet un vol, quiconque prend frauduleuse-
ment et sans apparence de droit, ou détourne à son propre
usage ou à l'usage d'une autre personne, frauduleusement et
sans apparence de droit, une chose quelconque, animée ou
inanimée, avec l'intention
a) de priver, temporairement ou absolument, son proprié-
taire, ou une personne y ayant un droit de propriété
spécial ou un intérêt spécial, de cette chose ou de son
droit ou intérêt dans cette chose,
En soi, cette définition serait suffisamment
large pour couvrir l'usage non autorisé car il
prive temporairement le défendeur du véhicule.
Pour atténuer la rigueur de cette disposition, un
autre article du Code criminel traite spécifique-
ment de l'infraction consistant à prendre un
véhicule sans le consentement du propriétaire
avec l'intention de le conduire. Cet article se lit
comme suit:
295. Est coupable d'une infraction punissable sur déclara-
tion sommaire de culpabilité, quiconque, sans le consente-
ment du propriétaire, prend un véhicule à moteur avec
l'intention de le conduire ou de l'employer ou de le faire
conduire ou employer.
9S.R.Q. 1964, c. 232.
S.R.C. 1970, c. C-34, et ses modifications.
Cet article a pour effet de soustraire à la défini-
tion générale du vol l'infraction consistant à
prendre un véhicule à moteur sans le consente-
ment du propriétaire, lorsqu'il est manifeste
qu'il n'y a aucune intention de le voler ou de
priver le propriétaire de son usage si ce n'est
que temporairement, comme c'est le cas en l'es-
pèce, de sorte que s'il s'agissait ici de procédu-
res criminelles, l'infraction de vol ne serait pas
applicable. La défenderesse prétend toutefois
que les distinctions faites au Code criminel aux
fins de déterminer quelle accusation criminelle
peut être portée, ne s'appliquent pas aux procé-
dures civiles et qu'en interprétant la significa
tion du mot «vol» utilisé dans la Loi d'indemni-
sation des victimes d'accidents d'automobile, il
faut lui accorder une portée étendue de façon à
englober, aux fins de la présente action, l'usage
non autorisé, ce qui libérerait la défenderesse de
sa responsabilité pendant que le véhicule était
ainsi utilisé.
Dans un jugement unanime portant le n°
13,569 en date du 3 décembre 1973 rendu dans
l'affaire Martel c. LaForest, ès-qualité et Le
fonds d'indemnisation des victimes d'accidents
d'automobile, la Cour d'appel du Québec semble
avoir tranché cette question de façon définitive,
tout au moins quant aux principes du droit qué-
bécois; après avoir établi qu'il y avait deux
écoles de jurisprudence qui ont interprété le
sens du mot «vol» contenu dans cette loi, et
après avoir cité les arrêts à l'appui des deux
écoles, le juge Turgeon poursuit ainsi à la page 5
de son jugement:
Le but de la Loi de l'indemnisation n'est pas de protéger
les automobilistes mais bien les victimes d'accidents d'auto-
mobile. La loi impose à cette fin une lourde responsabilité
au propriétaire et au conducteur. La défense de vol prévue à
l'article 3 ci-dessus est une exception à la règle générale de
la responsabilité du propriétaire. Elle doit donc être interpré-
tée d'une façon restrictive pour assurer l'accomplissement
de l'objet de la loi et du but du législateur.
Je suis d'opinion que le législateur québécois en utilisant
le mot «vol» à l'article 3 avait en vue l'offense de vol définie
à l'article 283 du Code criminel et non la prise d'un véhicule
à moteur sans le consentement du propriétaire avec l'inten-
tion de le conduire ou de l'utiliser. Si son intention avait été
différente, il aurait ajouté à l'exception la prise de posses
sion sans la permission du propriétaire ou la dépossession
du propriétaire hors sa connaissance. Il a voulu limiter
l'exception au vol. Le même législateur n'a pas manqué de
s'exprimer clairement lorsqu'il a voulu en matière pénale
amoindrir le fardeau du propriétaire d'un véhicule automo-
bile. Le paragraphe 1 de l'article 69 du Code de la route le
démontre. Il se lit comme suit:
69. 1. Le propriétaire d'un véhicule automobile est res-
ponsable de toute infraction commise avec ce véhicule à
l'encontre des dispositions de la présente loi ou d'un
règlement édicté sous son autorité par le lieutenant-gou-
verneur en conseil ou la Régie des transports ou d'un
règlement visé par l'article 76 ou l'article 77 et décrété par
un conseil municipal, le tout à moins qu'il ne prouve que
lors de l'infraction, le véhicule était, sans son consente-
ment, en la possession d'un tiers autre que son chauffeur.
D'ailleurs, il déclare à la page 8:
•
Il m'apparaît que le législateur québécois a délibérément
exclus la prise de possession sans le consentement du pro-
priétaire comme moyen d'exonération à l'article 3 de la Loi
d'indemnisation, afin de mieux protéger les victimes d'acci-
dents d'automobile. Il serait trop facile à un propriétaire
d'automobile, pour échapper à la responsabilité, d'affirmer
que son véhicule avait été pris sans sa permission et de
placer ainsi la victime dans une situation illusoire, surtout
lorsqu'il existe des liens de parenté entre le conducteur et le
propriétaire de l'automobile. La victime se verrait souvent
dans l'impossibilité de contrôler et de repousser la version
du propriétaire. C'est pour ce motif que dans les provinces
canadiennes où le texte de la loi permet au propriétaire de
s'exonérer en prouvant prise de possession sans son consen-
tement, les tribunaux exigent la preuve qu'il a été dans
l'impossibilité d'empêcher cette prise de possession et qu'il
n'a commis aucune négligence à ce sujet.
Je souscris entièrement à cette décision et à
l'interprétation donnée au mot «vol» tel qu'il
apparaît dans la Loi d'indemnisation des victi-
mes d'accidents d'automobile. En vertu de la loi
québécoise, il n'est pas nécessaire de décider si
la défenderesse a effectivement prouvé qu'il lui
était impossible d'empêcher Kirkwood de pren-
dre possession du véhicule et qu'elle n'a commis
aucune négligence à cet égard. Je ferais remar-
quer toutefois que les mesures destinées à con-
trôler l'utilisation des véhicules à la base de
Longue Pointe semblent avoir été très peu sévè-
res à ce moment-là, car il aurait été impossible à
Kirkwood de sortir la voiture du garage dont les
portes sont censées être toujours fermées à clé
et de quitter la base sans les documents néces-
saires. Même s'il avait eu ces documents en sa
possession, il aurait dû être manifeste qu'il n'al-
lait pas utiliser la voiture à une fin autorisée,
compte tenu du fait qu'il était accompagné de
deux autres personnes qui, ni l'une ni l'autre,
n'étaient officiers d'état-major. Je doute par
conséquent que la défenderesse ait de quelque
façon établi absence de négligence quant à la
prise de possession du véhicule en question par
Kirkwood. La défense au fond est donc égale-
ment rejetée.
Le demandeur obtient jugement au montant
de $800.84 avec intérêts et dépens.
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