T-4256-73
D r H. Hoyle Campbell (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Heald —
Toronto, le 28 octobre; Ottawa le l er novembre
1974.
Impôt sur le revenu—Médecin constituant une compagnie
pour exploiter un hôpital—Médecin salarié de la compa-
gnie—Honoraires médicaux cédés à la compagnie—La légis-
lation provinciale interdit à une compagnie d'exercer la
médecine—Honoraires du médecin assujettis à l'impôt sur le
revenu—Loi de l'impôt sur le revenu, art. 16(1) et 23—The
Medical Act, S.R.O. 1960, c. 234, art. 19, 42 et 51—The
Private Hospitals Act, S.R.O. 1960, c. 361, art. 16.
Le demandeur, spécialiste en chirurgie plastique, est à
l'origine de la constitution d'une compagnie dans laquelle il
était propriétaire réel de la totalité des actions émises. La
compagnie était habilitée à créer et exploiter des hôpitaux
privés et à recruter des médecins et chirurgiens pour réaliser
ses objets. Le demandeur et un autre médecin ont été
engagés comme salariés, en vertu d'un contrat de travail, à
titre de chirurgiens à plein temps. Au départ, la compagnie
facturait aux malades les soins hospitaliers ainsi que les
soins médicaux prodigués par ses médecins salariés. Avec
l'institution d'un régime provincial d'assurance médicale et
vu les règlements gouvernementaux en la matière, les méde-
cins salariés envoyaient les factures aux patients et endos-
saient au nom de la compagnie les chèques reçus en paie-
ment. Le montant de $86,492 provient des services
médicaux fournis par le demandeur pendant les années
d'imposition 1967 à 1969. Le Ministre a établi une nouvelle
cotisation à l'impôt sur le revenu du demandeur pour ce
montant, au motif qu'il aurait dû être inclus dans les déclara-
tions d'impôt du demandeur comme «revenu tiré d'honorai-
res professionnels, plutôt que d'être ajouté au revenu de la
compagnie.
Arrêt: l'appel est rejeté (sous réserve d'un examen du
montant en cause); les honoraires ont été perçus par le
demandeur consulté par les patients. La compagnie était
simplement cessionnaire des honoraires qu'elle ne pouvait
percevoir. The Medical Act (Ontario) prévoit clairement que
la médecine ne peut être exercée que par une personne
physique, engageant sa responsabilité personnelle vis-à-vis
du patient et de l'organisme régissant la profession. Le
Ministre était fondé à ajouter au revenu du demandeur les
honoraires médicaux perçus par ce dernier.
Arrêt suivi: Kindree c. M.R.N. [1965] 1 R.C.É. 305.
Distinction faite avec l'arrêt: Sazio c. M.R.N. [1969] 1
R.C.É. 373.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
P. S. A. Lamek pour le demandeur.
M. R. V. Storrow et S. Pustogorodsky pour
la défenderesse.
PROCUREURS:
Fraser & Beatty, Toronto, pour le
demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour
la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés par
LE JUGE HEALD: Par les présentes, appel est
interjeté de la nouvelle cotisation établie par le
ministre du Revenu national, relativement aux
déclarations d'impôt sur le revenu du deman-
deur pour les années d'imposition 1967, 1968 et
1969. Le Ministre a ajouté au revenu net du
demandeur les sommes suivantes à titre de
«revenu tiré d'honoraires professionnels»:
Pour l'année d'imposition 1967 $28,768.00
Pour l'année d'imposition 1968 $29,574.00
Pour l'année d'imposition 1969 $28,150.00
Total $86,492.00
Le point principal soulevé par cet appel est de
savoir si ces sommes ont été ajoutées à bon
droit au revenu net du demandeur pour les
années d'imposition en question.
Le demandeur, médecin dûment autorisé à
exercer la médecine, est un spécialiste en chi-
rurgie plastique. Il a obtenu son diplôme en
1936 à la faculté de médecine de l'Université de
Toronto. Par la suite, et jusqu'en 1939, il a reçu
une formation post-universitaire afin de se spé-
cialiser dans la chirurgie réparatrice. En 1939, il
a rejoint les forces armées comme spécialiste en
chirurgie plastique auprès de l'Armée britanni-
que et de l'Armée canadienne. A son retour
d'Europe en 1945 et jusqu'en 1949, il a rempli
les fonctions de chirurgien à plein temps au
Christie Street Hospital de Toronto. Pendant
cette période, il était un salarié à plein temps du
ministère des Anciens combattants. Puis, de
1949 à 1956, il a exercé la médecine privée à
Toronto, consacrant une partie de son temps à
l'hôpital Sunnybrook pour Anciens combattants
à Toronto comme spécialiste à temps partiel en
chirurgie plastique. Il indiqua dans son témoi-
gnage qu'en raison d'une part de son expérience
pendant la guerre et d'autre part de son expé-
rience dans la médecine privée à Toronto, il
commença à prendre conscience au début des
années 50 que nombre de malades en chirurgie
séjournaient dans les hôpitaux bien plus long-
temps qu'il n'était nécessaire. Il estimait à tra-
vers ses propres expériences qu'en réduisant le
nombre de journées postopératoires dans un
hôpital et en y substituant des soins postopéra-
toires donnés en clinique externe, on réduirait
considérablement l'escalade des coûts hospita-
liers. Il a déclaré en avoir discuté avec plusieurs
personnes averties qui n'ont fait que confirmer
ses propres vues. C'est pourquoi il a décidé
d'être un «pionnier» dans ce domaine en créant
son propre hôpital privé où il pourrait mettre ses
idées en application. Ainsi, en 1954, il consulta
son avocat qui lui conseilla de constituer une
compagnie afin d'exploiter ledit hôpital privé.
La compagnie a été constituée le 25 mars 1954
sous le nom de Campbell Hospitals Limited
(ci-après appelée la compagnie). Le demandeur
a toujours été propriétaire réel de la totalité des
actions émises par ladite compagnie. Les buts et
objets de la compagnie sont, inter alfa, les
suivants:
[TRADUCTION] a) Créer, équiper, entretenir, exploiter et diri-
ger des hôpitaux privés et autres institutions destines à
fournir des services médicaux et chirurgicaux aux personnes
dont l'état nécessitera leur admission;
b) Engager, employer ou autrement s'assurer les services de
médecins, chirurgiens, chercheurs, infirmières, technologis-
tes qualifiés et autres personnes en vue de promouvoir et de
réaliser les objets de la compagnie; .. .
Finalement, en 1956, la compagnie était prête
à exploiter un hôpital privé sis rue Victoria à
Toronto et, le 14 août 1956, elle demanda un
agrément au ministère de la Santé de la province
de l'Ontario. Ledit agrément a été dûment déli-
vré et a été renouvelé chaque année depuis
1956. Ces agréments délivrés par la Commis
sion des services hospitaliers de l'Ontario auto-
risaient la compagnie à exploiter un hôpital chi-
rurgical sous le nom de [TRADUCTION] «Institut
de chirurgie traumatique, plastique et répara-
trice» de Toronto (ci-après appelé l'Institut) ne
devant pas admettre dans ses services plus de
quatre malades adultes et devant se limiter à la
chirurgie traumatique, plastique et réparatrice.
Le demandeur, en faisant état de l'activité de
l'hôpital a déclaré que ce dernier était doté de
services de consultation externe et de services
pour malades hospitalisés, d'une salle de réani-
mation, d'un laboratoire, dés salles de consulta
tion et de bureaux pour les médecins. Il a ajouté
qu'au cours des années, le personnel de l'hôpital
comprenait environ quinze à dix-huit personnes,
à savoir les infirmières, les aides-infirmières, un
secrétaire, un comptable, un archiviste médical,
le personnel d'entretien des différents services
et les médecins. Le demandeur a témoigné que
l'activité de l'hôpital était certainement une
réussite eu égard à la réduction du nombre des
journées d'hospitalisation des malades. En
1959, le demandeur publia un article dans une
revue connue sous le nom de «Hospital
Administration and Construction». Cet article
était intitulé [TRADUCTION] «Peut-on réduire les
frais occasionnés par une maladie?» Le deman-
deur y exprime ses idées sur la question et
relate l'expérience de son propre hôpital à
Toronto où on a réduit les frais d'hospitalisation
pour chaque malade en diminuant considérable-
ment le nombre de journées d'hospitalisation du
malade.
Pour chacune des années d'imposition faisant
l'objet du présent examen, la compagnie a passé
un contrat avec la Commission des services
hospitaliers de l'Ontario en vertu duquel l'hôpi-
tal était dûment autorisé à fournir les services
assurés selon le régime d'assurance-soins hospi-
taliers de la province de l'Ontario. Ledit contrat
stipule comme suit aux paragraphes 4 et 6:
[TRADUCTION] (4) La compagnie et son hôpital doivent assu-
rer dans ledit hôpital les services et traitements hospitaliers,
infirmiers et médicaux appropriés et doivent se conformer
aux normes raisonnables pour les soins et traitements hospi-
taliers, infirmiers et médicaux que la Commission peut pres-
crire à l'occasion.
(6) La compagnie et son hôpital doivent maintenir dans ledit
hôpital le personnel que la Commission peut déterminer aux
fins d'assurer les services et traitements médicaux appro-
priés aux patients.
Le demandeur a déclaré que la compagnie a
recruté, dès le début, des chirurgiens et des
infirmières à plein temps. A compter de 1956 et
jusqu'à maintenant, la compagnie s'est assurée
les services du demandeur et du docteur Charles
S. Kilgour comme chirurgiens à plein temps sur
une base salariée. Le contrat de travail du
demandeur avec la compagnie a été conclu le 31
mars 1956 tandis que le contrat du docteur
Kilgour porte la date du 30 juin 1956. D'autres
chirurgiens ont été également engagés, de temps
à autre, sur une base salariée à plein temps. Un
autre médecin, le docteur E. Mitchell Tanz, a
été associé à l'hôpital depuis 1965 mais sur une
base différente de celle du demandeur et du
docteur Kilgour. Le demandeur et le docteur
Kilgour touchent tous deux de l'hôpital un
salaire annuel payable en versements mensuels.
Il existe dans les deux contrats de travail une
disposition concernant le paiement des primes
annuelles que les administrateurs de la compa-
gnie peuvent fixer à l'occasion. La compagnie
louait ses équipements y compris des automobi
les, de l'équipement et des installations de
bureau, de l'équipement chirurgical etc. à une
compagnie constituée aussi en 1954 et connue
sous le nom de Independent Management and
Services Limited (ci-après appelée l'entreprise
de gestion). A toutes les époques en cause, le
demandeur était propriétaire réel de â des
actions émises par l'entreprise de gestion et le
docteur Kilgour, de â . Les frais payés par la
compagnie à l'entreprise de gestion pour la ges-
tion, les services de bureau et d'hospitalisation
pendant chacune des années faisant l'objet de
notre examen s'élevaient à environ $54,000. A
son tour, l'entreprise de gestion a versé au
demandeur, pendant chacune desdites années,
un salaire de $5,000 en contrepartie de son
travail d'administration de l'entreprise de ges-
tion. L'unique source de revenu de l'entreprise
de gestion et l'unique objet de ses activités
étaient la gestion de la compagnie. Au 31 mars
1969, les gains réalisés par l'entreprise de ges-
tion s'élevaient à quelque $100,000.
La compagnie facturait aux malades les soins
hospitaliers ainsi que les soins médicaux prodi-
gués par ses médecins salariés. Avec l'institu-
tion par le gouvernement provincial d'un régime
d'assurance hospitalière et médicale, ces régi-
mes prenaient en charge une grande partie des
comptes facturés par la compagnie. Les règle-
ments gouvernementaux en la matière exi-
geaient que la partie correspondant aux services
fournis aux malades hospitalisés soit facturée
directement à la Commission des services hospi-
taliers de l'Ontario tandis que la partie médicale
et chirurgicale couvrant les services fournis par
les médecins devait être facturée à l'O.H.I.P.
(Plan d'assurance-santé de l'Ontario ou son pré-
décesseur, Régime d'assurances médicales de
l'Ontario) au bénéfice .du médecin qui avait
donné personnellement les soins médicaux. La
compagnie recevait les paiements directement
de la Commission des services hospitaliers de
l'Ontario pour la partie hospitalière et non médi-
cale et l'O.H.I.P. payait la partie médicale direc-
tement au médecin qui avait donné les soins. Le
demandeur et le docteur Kilgour ont endossé
tous ces chèques qu'ils ont remis à la compa-
gnie. Dans l'hypothèse de soins donnés à des
patients non assurés, comme les non-résidents
de la province de l'Ontario, et de services non
assurés (chirurgie esthétique et plastique par
exemple) fournis à des patients assurés, on éta-
blissait une seule facture qui couvrait à la fois la
partie médicale et la partie non médicale. Toutes
ces sources de revenu de la compagnie étaient
incluses, aux fins de l'impôt sur le revenu, dans
le revenu de la compagnie. Ainsi, cette dernière
était-elle en possession, pendant les années en
cause, de revenus tirés des services médicaux et
chirurgicaux fournis par le demandeur et le doc-
teur Kilgour. Ces sommes provenant des servi
ces médicaux fournis par le demandeur pendant
les années en cause sont les sommes totalisant
$86,492 dont j'ai fait mention au début de l'ex-
posé des présents motifs. La défenderesse sou-
tient que le demandeur aurait dû inclure lesdites
sommes dans ses déclarations d'impôt en tant
que «revenu tiré d'honoraires professionnels»
plutôt que de les inclure comme revenu dans les
déclarations d'impôt sur le revenu de la
compagnie.
La défenderesse prétend que le demandeur a
exercé la médecine pendant les années en cause,
qu'il aurait dû inclure dans le calcul de son
revenu tiré de l'exercice de la médecine toutes
les sommes gagnées en pratiquant la médecine
et perçues en son nom par la compagnie. La
défenderesse fait valoir subsidiairement que si
la compagnie a touché un revenu quelconque
gagné par le demandeur, ledit revenu représen-
tait un paiement ou transport de biens effectués
selon les instructions ou avec le consentement
du demandeur au sens de l'article 16(1) de la
Loi de l'impôt sur le revenu' et, par conséquent,
qu'il aurait dû être inclus dans le calcul du
revenu du demandeur.
La défenderesse fait valoir, par ailleurs, que
si le demandeur a transporté à la compagnie
(avec laquelle il ne traitait pas à distance) le
droit à tout montant, ce montant aurait dû être
inclus, si ce droit n'avait pas été ainsi trans
porté, dans le calcul du revenu du demandeur
aux termes des dispositions de l'article 23 de la
Loi de l'impôt sur le revenue.
De son côté, le demandeur, en s'appuyant sur
le contrat de travail conclu entre la compagnie
et lui-même, déclare qu'à aucun moment de la
période en cause il n'a exercé la médecine ou
donné de soins médicaux ou de conseils en son
nom propre ou au nom d'aucune autre personne
que la compagnie. Le demandeur soutient, en
outre, que les honoraires et les frais ajoutés par
le Ministre à son revenu net correspondaient
aux services médicaux fournis par la compagnie
aux malades dans le cours normal de ses activi-
tés d'hôpital privé spécialisé en chirurgie et,
qu'à ce titre, lesdits honoraires et frais corres-
pondant à ces services représentaient le revenu
de la compagnie et non le revenu du demandeur.
L'avocat du demandeur s'est appuyé dans ses
plaidoiries sur la décision du juge Cattanach
16. (1) Un paiement ou transport de biens effectué
selon les instructions du contribuable, ou avec son consente-
ment, à quelque autre personne à l'avantage du contribuable
ou constituant un avantage que le contribuable a voulu faire
conférer à l'autre personne, doit être inclus dans le calcul du
revenu du contribuable, dans la mesure où il le serait si le
paiement ou le transport lui avait été fait.
2 23. Lorsqu'un contribuable a, en tout temps avant la fin
d'une année d'imposition (soit avant, soit après l'entrée en
vigueur de la présente loi), transporté ou cédé à une per-
sonne avec qui il ne traitait pas à distance le droit à un
montant qui serait inclus, si ce droit n'avait pas été ainsi
transporté ou cédé, dans le calcul de son revenu pour
l'année d'imposition parce que le montant aurait été par lui
reçu, ou susceptible de l'être, au cours ou à l'égard de
l'année, le montant doit être inclus dans le calcul du revenu
du contribuable pour l'année d'imposition, à moins que le
revenu ne provienne de biens et que le contribuable n'ait
également transporté ou cédé les biens.
dans l'affaire Sazio c. M.R.N. 3 . Dans cette
affaire l'appelant, entraîneur d'un club de foot
ball, avait constitué une compagnie aux fins
d'exercer lesdites activités d'entraînement con-
jointement avec d'autres activités auxquelles il
se livrait. Le club de football passa un contrat
avec cette compagnie pour s'assurer les services
d'entraînement et, à son tour, l'appelant s'enga-
gea à réserver exclusivement à la compagnie ses
services d'entraînement pour permettre à cette
dernière d'exécuter son contrat conclu avec le
club. Le club versait chaque année $22,000 à la
compagnie pour les services d'entraînement
tandis que l'appelant touchait un salaire annuel
de $6,000 seulement versé par la compagnie. Le
Ministre tenta de faire abstraction de la compa-
gnie, de considérer l'appelant comme un
employé du club et de l'assujettir à l'impôt sur
la base des $22,000. Le Ministre dans cette
affaire, tout comme dans celle qui nous est
soumise, s'est appuyé sur les articles 16 et 23 de
la Loi de l'impôt sur le revenu (précitée). Le juge
Cattanach en accueillant l'appel de l'appelant a
conclu, compte tenu des faits de cette espèce,
que la compagnie n'était pas une [TRADUCTION]
«simple façade, trompe l'oeil ou couverture» et
était parfaitement habilitée à se livrer à des
activités d'entraînement comme elle l'a fait; que
les contrats conclus entre l'appelant, la compa-
gnie et le club étaient des transactions commer-
ciales authentiques et qu'en fait ils régissaient et
déterminaient les relations entre les parties.
Toutefois, à la page 381 du jugement qu'il a
rendu dans l'affaire Sazio (précitée) le juge Cat-
tanach a ajouté:
[TRADUCTION] Il ne fait absolument aucun doute que la
compagnie est une entité juridique dûment formée et qu'elle
pouvait, à bon droit, remplir les objets pour lesquels elle
avait été constituée. Toute personne fournissant des servi
ces peut constituer une compagnie pour assurer la prestation
de ces services pourvu qu'il n'existe aucune interdiction de
nature à empêcher que ces services soient fournis par une
compagnie plutôt que par une personne physique.
Une telle interdiction s'est posée par exemple dans l'arrêt
Kindree c. M.R.N. [[19651 1 R.C.É. 305; [1964] C.T.C. 386],
dans lequel j'ai déclaré qu'à mon avis la médecine ne
pouvait être exercée que par une personne physique, cette
opinion découlant de l'économie générale de la Medical Act
et du code de déontologie de la profession médicale. J'ai
également indiqué qu'une clause afférente aux objets de la
3 [1969] 1 R.C.É. 373.
compagnie ne doit pas avoir d'effet dans la mesure où elle
tend à autoriser une compagnie à exercer la médecine.
A la différence de l'affaire Kindree, il n'existe en l'espèce
aucune interdiction de cette nature.
Il est donc instructif d'examiner l'affaire Kin-
dree puisqu'elle envisage également le revenu
d'un médecin. Dans cette affaire, l'appelant a
constitué une compagnie qui, à son tour,
employait ledit appelant comme médecin et sa
femme comme infirmière. La compagnie
employait également d'autres médecins qui
assistaient l'appelant dans l'exercice de la méde-
cine. Les éléments de preuve ont indiqué qu'il
n'existait aucun changement effectif dans la
façon dont l'appelant donnait des soins médi-
caux aux patients et, par là-même, exerçait la
médecine avant ou après la constitution de la
compagnie. Le Ministre a ajouté au revenu per
sonnel de l'appelant la partie du revenu à l'actif
de la compagnie qui dépassait le montant qu'elle
avait versé aux médecins sous forme de salai-
res, au motif que ce revenu représentait le
revenu de l'appelant et non celui de la compa-
gnie. Le juge Cattanach a confirmé la cotisation
établie par le Ministre et rejeté l'appel. Voici le
motif déterminant du jugement énoncé aux
pages 311 et 312 du recueil:
[TRADUCTION] Selon moi, il ne fait absolument aucun
doute que la médecine ne peut être exercée que par une
personne physique qui engage sa propre responsabilité vis-à-
vis du patient et de l'organisme régissant la profession, cette
conclusion étant évidente si on s'appuie sur l'économie
générale de la Medical Act et sur le code de déontologie de
la profession médicale auquel a adhéré l'appelant. La clause
b) afférente aux objets de la compagnie doit être sans effet
dans la mesure où elle tend à autoriser la compagnie à
exercer la médecine.
Comme les éléments de preuve l'ont indiqué, la constitu
tion de la compagnie n'a pas modifié fondamentalement les
activités en cause. D'après moi, le critère décisif consiste à
déterminer la personne que les malades pensaient consulter
et consultaient effectivement. Ils ne connaissaient pas ni
n'avaient aucun moyen de connaître l'existence de la com-
pagnie jusqu'à ce qu'on Ieur envoie, après leur traitement, la
facture où figurait le nom de la compagnie.
Selon moi, l'appelant est dans l'impossibilité, en droit et
en fait et pour une question d'intérêt public, d'exercer la
médecine sous toutes ses formes en qualité d'agent d'une
personne morale et le document qui se veut un contrat de
travail entre l'appelant et la compagnie n'établissait aucune
relation employeur-employé. De la même façon, les docu
ments qui se veulent des contrats de travail conclus entre les
autres médecins et la compagnie n'établissaient aucune rela-
Lion employeur-employé entre eux et la compagnie; cette
relation existait plutôt entre eux et l'appelant.
Vu les faits qui me sont soumis, j'en conclus que les
sommes touchées par la compagnie en contrepartie des
services fournis par l'appelant et les autres médecins repré-
sentaient des honoraires que ce dernier avait déjà gagnés
soit en son nom soit au nom des médecins à son service, et
la compagnie était simplement le cessionnaire de ces hono-
raires qu'elle ne gagnait pas ni ne pouvait gagner et sur
lesquels elle ne possédait aucun droit, si ce n'est en qualité
de cessionnaire des gains de l'appelant.
D'après moi, les faits déterminants dans l'af-
faire qui m'est soumise se confondent avec ceux
de l'affaire Kindree (précitée). En l'espèce éga-
lement, l'économie générale de The Medical
Act' indique clairement que la médecine ne peut
être exercée que par une personne physique
engageant sa propre responsabilité vis-à-vis du
patient et de l'organisme régissant la profession.
Le juge Cattanach a déclaré que [TRADUCTION]
« ... le critère décisif consiste à déterminer la
personne que les malades pensaient consulter et
consultaient effectivement». Dans l'affaire Kin-
dree (précitée) la compagnie remettait les comp-
tes correspondant aux services médicaux. Dans
l'affaire qui nous occupe, les factures corres-
pondant au service médical par rapport au
compte général étaient envoyées sur le papier à
lettre portant l'en-tête du demandeur et du doc-
teur Kilgour. Cette différence concrète montre
encore plus clairement que ne le fait l'affaire
Kindree (précitée) que les patients consultaient
bien le demandeur et non la compagnie et que
les paiements correspondant à ces services
étaient, en fait, des paiements adressés au
demandeur et non à la compagnie. Cette obser
vation est confirmée par le fait que l'O.H.I.P. et
la Commission des accidents de travail de l'On-
tario, en effectuant les paiements correspondant
aux services fournis par le demandeur, ont
libellé les chèques à l'ordre du demandeur qui, à
son tour, les a endossés et remis à la compagnie.
En l'espèce, tout comme dans l'affaire Kindree
(précitée), la compagnie est simplement le ces-
sionnaire des honoraires qu'elle ne gagnait pas
ni ne pouvait gagner et sur lesquels elle ne
possédait aucun droit, si ce n'est en qualité de
cessionnaire des gains de l'appelant.
4 S.R.O. 1960, c. 234—voir par exemple les articles 19, 42
et 51.
L'avocat du demandeur a tenté d'établir une
distinction avec la décision rendue dans l'arrêt
Kindree, en se fondant sur le motif que dans
l'affaire Kindree (précitée) il n'existait aucun
but légitime justifiant la constitution d'une com-
pagnie et que cette constitution n'était manifes-
tement qu'un stratagème, sans doute ingénieux à
certains égards, aux fins de détourner une partie
du revenu de source médicale vers une compa-
gnie. L'avocat prétend que dans l'affaire sou-
mise à cette cour la compagnie a été constituée
aux fins expresses et premières d'exploiter un
hôpital privé, ce qu'elle a fait pendant 18 ans, et
que ce trait caractéristique permet d'établir une
distinction entre la présente affaire et l'affaire
Kindree (précitée). Il est exact que la compagnie
s'employait à exploiter un hôpital privé et
qu'elle était parfaitement habilitée à le faire.
Elle s'est toutefois livrée à d'autres activités
qu'elle n'avait pas le droit d'exercer, à savoir
l'exercice de la médecine sous couvert de ses
employés, le demandeur et le docteur Kilgour.
Au paragraphe 1 c) du contrat de travail conclu
entre le demandeur et la compagnie le deman-
deur a accepté:
[TRADUCTION] 1. .. .
c) de consigner fidèlement toutes ses visites profession-
nelles, de dresser une liste de tous les malades soignés et
de toutes les autres activités exercées par lui au nom de la
compagnie et il devra rendre compte et verser à la compa-
gnie toutes les sommes reçues par lui en contrepartie des
services fournis par la compagnie. [C'est moi qui
souligne.]
Il ressort clairement de cette clause (qui figure
également dans le contrat du docteur Kilgour)
que les [TRADUCTION] «services fournis par la
compagnie» se rapportent aux soins médicaux
donnés par le demandeur et que la compagnie
essaye en réalité d'exercer la médecine. En
outre, le paragraphe 5 dudit contrat stipule ce
qui suit:
[TRADUCTION] 5. Campbell convient que pendant la durée
de son emploi en vertu des présentes il ... exercera la
médecine pour le compte et au profit de la compagnie.
(Le contrat du docteur Kilgour contient la
même disposition).
L'avocat du demandeur a prétendu que la
compagnie n'engageait des médecins qu'aux fins
de se conformer aux dispositions des paragra-
phes 4 et 6 de son contrat conclu avec la Com-
mission des services hospitaliers (pièce 1,
tableau 5), dont les clauses l'obligeaient à doter
l'hôpital d'un personnel médical suffisant. Je
n'interprète pas les paragraphes, 4 et 6 comme
signifiant que la compagnie doit faire appel à un
personnel médical salarié. Ces paragraphes exi
gent simplement que l'hôpital offre à ses
patients des soins médicaux appropriés. Pour se
conformer à ces exigences, l'hôpital aurait pu
choisir d'autres moyens, à savoir s'assurer par
contrat le concours de médecins compétents
exerçant la médecine privée. La compagnie
n'était pas tenue d'essayer de se livrer elle-
même à l'exercice de la médecine pour remplir
les obligations contractuelles ci-dessus mention-
nées.
L'avocat du demandeur °a fait valoir, en outre,
que ledit contrat n'était pas différent de celui
signé par les autres hôpitaux publics et privés
qui emploient des médecins salariés à plein
temps, comme par exemple des radiologues, des
anesthésistes, des internes résidents etc. et
qu'une telle pratique n'a rien d'illégal ou d'abu-
sif. L'avocat prétend que cette pratique est
admissible aux termes de The Private Hospitals
Act de l'Ontario 5 et plus particulièrement aux
termes de l'article 16 de cette loi qui dispose
comme suit:
[TRAnucrioN] 16. Nul ne doit être employé comme
interne dans un hôpital privé s'il n'est affilié en vertu de The
Medical Act.
Suivant la prétention de l'avocat, puisque ledit
article 16 envisage l'emploi d'un interne dans un
hôpital privé, cet emploi est alors admissible en
vertu de ladite loi. Je souscris à cette prétention
dans la mesure où, selon moi, les hôpitaux ont
tout à fait le droit d'engager des médecins sala-
riés pour fournir les services médicaux dans
leur établissement aussi longtemps que ce sont
les médecins et non les hôpitaux qui exercent la
médecine.
Pour les motifs indiqués précédemment et
compte tenu des faits particuliers de l'espèce,
j'estime que la compagnie essayait d'exercer la
médecine, ce qui lui est interdit en vertu de The
Medical Act de l'Ontario.
5 S.R.O. 1970, c. 361.
Je conclus, par conséquent, que le Ministre
était justifié d'ajouter au revenu net du deman-
deur les honoraires médicaux gagnés par ce
dernier et précédemment ajoutés au revenu de
la compagnie.
Je suis parvenu à cette conclusion, conscient
du fait qu'en me prononçant dans ce sens je
refuse au demandeur, parce qu'il exerce une
profession libérale et que la Loi régissant sa
profession interdit à une compagnie d'exercer la
médecine, l'avantage fiscal dont bénéficient,
grâce à la constitution en compagnie, la plupart
des hommes d'affaires et membres de certaines
autres professions. Je n'ignore pas les opinions
de certains éditorialistes et experts fiscaux selon
lesquelles l'imposition devrait être neutre quel-
les que soient les formes d'entreprises et les
manières de réaliser des profits. Toutefois,
comme on l'a souligné à plusieurs reprises, il
incombe à la Cour d'interpréter la loi telle
qu'elle est et non telle qu'elle pourrait ou devrait
être.
Au début de l'audience, les deux avocats ont
convenu que si l'appel du demandeur était rejeté
sur la question de principe, les cotisations en
cause seraient renvoyées au Ministre pour
nouvel examen et conclusion finale sur la ques
tion du quantum des sommes à ajouter au
revenu du demandeur pour les années d'imposi-
tion faisant l'objet du présent examen. Il en est
ainsi ordonné.
Après ce nouvel examen, on pourra reprendre
l'affaire au besoin.
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